CONCLUSION
Les fées de l'époque de Mélior sont,
contrairement aux fées contemporaines des films Disney par exemple, des
créatures de nature ambiguë. Si on observe Clochette de la
production cinématographique Peter Pan ou bien par la suite
dans ses propres films, son appartenance au monde féérique est
claire. Le plus grand des indices serait assurément ses ailes. Elle se
munit quelques fois d'une baguette magique et vit, à la manière
des dryades, dans un arbre. De plus, ses pouvoirs magiques ne peuvent tromper
personne sur sa nature. En revanche, les fées médiévales
ont souvent des caractéristiques à la fois de fée et
d'humaine. À l'observation des représentations iconographiques de
quelques fées telles Mélusine, Viviane et Morgane, on constate
qu'elles ne possèdent pas non plus d'attributs physiques permettant de
les différencier des humaines. Archétype représentant le
destin, elles sont également porteuses d'une parole dite
«vraie». Nul n'est à l'abri si une fée se prononce et
jette un sort. Lorsque Mélior émet son interdit, Partonopeu y est
soumis. Cela ne l'empêche pas de le transgresser, mais il devient alors
fou et doit subir de difficiles épreuves.
Prenons pour exemple l'image nommée «Raimondin
passant devant la Fontaine de Soif» issue du manuscrit Roman de
Mélusine, coté Français 24 383 et conçu
entre 1400 et 1450 en Flandre. Une illustration de Mélior de
Partonopeu de Blois aurait bien sûr été
préférable, mais le Moyen âge ne nous en a laissé
aucune. Sur le folio 5v, on y voit Mélusine et ses deux soeurs Palestine
et Mélior discutant avec Raimondin nouvellement rencontré
à cheval. Aucune caractéristique physique ne permet de savoir que
les femmes sont en fait des fées. Elles sont vêtues comme
pourraient l'être leurs contemporaines humaines de haut rang social.
Elles n'agissent pas non plus de manière à soupçonner
qu'elles appartiennent à un autre monde. Il en va de même avec la
littérature, ne serait-ce que les insertions assez rares du mot
«fée» qualifiant Mélior et quelques autres
éléments encore. On est loin de la fée marraine de
Cendrillon ou bien de la fée bleue dans
Pinocchio...
Mélior se distingue des femmes de son temps par
l'étendu de son savoir. Non seulement elle en sait beaucoup plus que ses
professeurs, mais elle sait aussi se servir de magie. Ses talents du
côté des enchantements touchent les sciences occultes, la
capacité plus ou moins définie d'apparaître, de
disparaître et de contrôler le destin de son ami.
L'impératrice de Constantinople est aussi une guérisseuse. Elle
sait manier la rhétorique, ce qui nous ramène à la notion
de parole. Grâce à son solide apprentissage universitaire,
Mélior est classable dans la première génération de
fée, autrement dit celles qui ont acquis leur pouvoir. Mélusine
se classerait dans la seconde génération, ayant acquis son savoir
par les liens génétiques.
Quelques images, assez rares, tirées de manuscrits
montrent des propriétés féériques des personnages.
Le premier cas provient du même ouvrage que celui cité plus haut,
plus précisément au folio 19. Mélusine prend son bain
hebdomadaire, s'étant transformé en femme-dragon et faisant
gicler l'eau autour d'elle. C'est le moment où Raimondin transgresse
l'interdit qui le mènera à sa chute. La métamorphose de la
fée ne laisse rien douter quant à son appartenance à la
féérie. Elle conserve tout de même son buste de femme, de
même que sa coiffe visible sur toutes les images de l'oeuvre. Un autre
cas serait «Lancelot prisonnier de Morgane» provenant du
Français 122, folio 160, Lancelot du lac fabriqué
à Hainaut, en Belgique en 1344. La femme en rouge qu'on
y aperçoit est la fée Morgue. Le geste de ses mains peut laisser
croire qu'elle est en train d'utiliser sa magie sur le pauvre chevalier. Le
château où il est enfermé est proportionnellement trop
petit pour accueillir véritablement des gens. Il n'y a que la magie qui
aurait pu retenir quelqu'un dans un lieu où la différence de
hauteur avec le sol n'est pas de la taille d'une personne. De plus,
l'encorbellement au-dessus de Lancelot tient office d'une sorte de grillage
protecteur, qui renforce, en tous les cas, l'idée de renfermement.
Malgré ses nombreuses caractéristiques humaines,
Mélior est bel et bien une fée. De part son rôle
joué dans Partonopeu de Blois, elle est une fée amante.
Même si les images des manuscrits ne vont pas dans ce sens, les
fées au Moyen âge dans la littérature existaient et
jouissaient d'une grande popularité. Bien que possédant quelques
enluminures rendant les pages plus jolies et le texte plus agréable
à lire, aucun artiste, dans les onze ouvrages, n'a
représenté l'épouse de Partonopeu. Ceux de Bern,
Cambridge, New Haven, Tours, le Vatican et les six exemplaires à Paris
ne permettent pas de savoir comment l'époque imaginait Mélior.
Cela est injuste si on tient compte, comme il est dit dans l'introduction au
roman, que Partonopeu de Blois est un des trois
chefs-d'oeuvre médiévaux français avec
Tristan et le Graal, largement illustrés.
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