Femme ou fée? Mélior dans "Partonopeu de Blois"( Télécharger le fichier original )par Julie Grenon-Morin Université Sorbonne-nouvelle - Master 1 2010 |
B L'union entre l'Occident et l'OrientOn le sait : Mélior est impératrice de Constantinople. Ce déplacement vers l'Orient par rapport au monde occidental apporte des éléments intéressants. Le mariage de la fée et de Partonopeu fait du héros l'empereur de cette région. Placer le récit à cet endroit du globe n'est pas anodin de la part de l'auteur ou des auteurs. La description de Constantinople dans le roman emprunte d'ailleurs des éléments à des récits de voyage en Orient ou à ceux des croisades84(*). Non seulement Partonopeu de Blois mélange les genres et les formes littéraires (tantôt en octosyllabes, tantôt en alexandrins ou en décasyllabes), mais aussi le monde occidental et le monde oriental. Tout comme les deux mondes où évoluent Partonopeu et Mélior, c'est-à-dire le monde féérique et le monde des hommes, l'«oeuvre semble s'être élaborée avant tout à partir des deux modèles que fournissaient le roman arthurien et la chanson de geste85(*)». Donc, le fait de tomber amoureux de Mélior et de se marier avec elle pour finalement devenir empereur classe le texte anonyme parmi les romans orientaux. En effet, les épreuves chevaleresques et la quête amoureuse du neveu de Clovis se déroulent dans l'Orient de Byzance. L'union célébrée entre les deux protagonistes est une métaphore de l'utopie de réunir pour de bon l'Orient et l'Occident, alors déchiré par les Croisades, au moment de la rédaction de l'oeuvre. Malgré tout, le royaume de l'ouest triomphe sur celui de l'est dans le roman. En associant Mélior à Byzance et Partonopeu à l'Occident et puisque le mariage couronne un empereur venu d'Europe, le monde occidental est présenté comme gagnant. De plus, le lignage du héros est décrit au tout début des vers, ce qui laisse présager le succès du ponant. Malgré tout, l'appartenance de la fée à l'Orient est peut-être le fruit d'une simple erreur courante au Moyen âge. Il est possible de penser que les aïeux de Mélior soient les Grecs de l'Antiquité, puisqu'on confondait souvent Constantinople et Troie86(*). Les deux époux pourraient donc provenir d'un même lignage. D'ailleurs, Mélior ne présente jamais les Troyens dont elle relate les exploits comme ses ancêtres. Vu les tensions entre les deux peuples occidental et oriental, la supposition des ancêtres grecs de Mélior fait peut-être plus de sens. Après tout, le comte de Blois aurait trahit ses origines troyennes en épousant la fée. Partonopeu de Blois est sans contredit un hymne au royaume français, représenté par le héros masculin. Non seulement il devient le chef d'un empire ennemi, mais aussi il se bat contre des Bretons, des Anglais et des Allemands, qu'il vainc évidemment. En plus de cela, il est «choisi» par le chef d'état même de Constantinople, ce qui n'est pas peu dire. La fée affirme d'ailleurs qu'elle a jeté son dévolu sur le jeune homme parce qu'il descend des Troyens. On remarque aussi que l'impératrice voulait se marier pour assurer son lignage menacé d'extinction, puisqu'elle est la seule héritière avec Urraque sa soeur. Il est aussi nécessaire que Mélior se marie, car, en tant que femme, il ne lui est pas permis de régner. Constantinople perd donc de ses plumes face à une France pleine d'énergie : «L'Occident, par l'intermédiaire de Partonopeu, vient régénérer l'Orient, le restaurer dans sa grandeur passée87(*)». La relation de Mélior et de Partonopeu fait également se confronter le contexte religieux de l'époque (vers 1180). Chrétien, Partonopeu devient empereur du royaume et peut ainsi suggérer la domination de la religion chrétienne dans l'empire byzantin. Le comte de Blois intervient aussi en le délivrant des pouvoirs magiques de Mélior, même si ceux-ci ne sont pas mauvais par nature. Il faut aussi noter que les Byzantins refusent que le sultan de la Perse change de l'islamisme au christianisme pour épouser l'impératrice. Même la joute à laquelle participe Partonopeu pour reconquérir Mélior prend des allures de croisades. Malgré tout, C. Gaullier-Bougassas explique que le texte se montre favorable à la paix avant toute chose et que montrer l'Orient empreint de féérie qui le rend plus sympathique : Tout le roman, et surtout le long récit du tournoi, se construit en grande part contre l'idéologie des croisades. Son enjeu essentiel est d'exprimer le rêve d'une réconciliation et d'une paix universelles, grâce à l'union de l'Occident et de l'Orient. (...) Partonopeu découvre ainsi un Orient paré de toutes les séductions de la féérie, un espace merveilleux qui s'offre à lui sous les apparences de l'Autre Monde des récits bretons88(*). Une des ambitions de l'auteur anonyme est de montrer un couple heureux et qui s'apprête à régner sur un royaume paisible. La fée Mélior possède peu ou pas de défauts. Elle montre cependant de la colère, ce qui est compréhensible lorsqu'on sait que le manquement la privait de ses pouvoirs. Mélior partage certains attributs avec d'autres fées plus ou moins célèbres. [
* 84 Catherine Gaullier-Bougassas, « L'Orient troyen des origines: l'Orient byzantin de Mélior et l'Occident français dans Partonopeus de Blois », "Plaist vos oïr bone cançon vallant?" Mélanges de langue et de littérature médiévales offerts à François Suard, éd. Dominique Boutet, Marie-Madeleine Castellani, Françoise Ferrand et Aimé Petit, Lille, éditions du Conseil scientifique de l'Université Charles-de-Gaulle-Lille III, 1999, t. 1, p. 296. * 85 Id. * 86 Ibid., p. 298. * 87 Ibid., p. 300. * 88 Ibid., p. 303-304. |
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