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Les enchanteresses dans les compilations du XVe siècle

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par Julie Grenon-Morin
Université Sorbonne-nouvelle - Master 2 2011
  

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b) Du côté de la fiction

La comparaison de la Sibylle ou diable est symptomatique de l'époque, où les femmes devaient de plus en plus souffrir d'être accusées de toutes sortes de maux:

Lorsque se développa le mythe de la sorcière, la société médiévale réussit à projeter sa peur de la femme, sa peur de la mort, dans une image uniquement maléfique de la femme : elle en fit un bouc émissaire chargé de tous les miasmes du groupe. La sorcière incarne la face nocturne de la femme : elle communique avec le monde d'En-Bas, elle s'accouple avec le démon169(*).

Il en va de même avec Antoine de la Sale et Le Paradis de la reine Sibylle, texte contenu dans La Salade (1441-1442). En effet, il dépeint une sibylle aux attraits autant sinon plus maléfiques. La courte histoire raconte le périple de voyageurs qui s'insinuent dans une caverne se trouvant à l'intérieur d'une montagne italienne qui leur réserve plusieurs surprises: « Dont furent moult esmerveillez pour ce que, quand ilz estoient en l'autre cave avant les portes de metal, ilz avoient en l'autre ouy de tresgrans bruiz et murmuremens de gens, se leur sembloit170(*) ». Le labyrinthe les conduit dans un endroit magnifique, où règnent la luxure et le perpétuel plaisir. Une nourriture fabuleuse n'y manque jamais, les lieux sont richement décorés et il n'y a nul besoin de travailler pour obtenir quoi que ce soit. Tout cela est dissimulé derrière une succession de portes, les dernières étant faites de cristal :

Mais avant qu'ilz le feissent entrer oultre une autre porte, assez plus belle et plus riche que la premiere n'estoit, les firent entrer en une petite chambrette moult richement tendue; et la les firent despoiller de tous leurs habiz, du greigneur jusques au moindre, si les vestirent d'autres tresriches vestemens. Puis les menerent a instrumens et melodies, par jardins, par salles et par chambres, les unes bien et les autres mieulx tendues c'om pourroit ou sauroit deviser171(*).

La seule ombre au tableau est la métamorphose de la reine et de sa suite en serpents et couleuvres tous les samedis, démonisant du coup cette reine qui paraissait parfaite. Chacun des chapitres de l'oeuvre est très court. Un d'eux est consacré à cet épisode de transformation et s'intitule « Comment la royne Sibile et ses femmes sont separees des hommes, que anuit elles sont couleuvres ». Quand minuit sonne, dans la nuit du vendredi au samedi, dans un lieu séparé des voyageurs, elles se livrent à leur métamorphose : « Pour ce que, quand venoit le vendredi, après la mienuyt, sa compaigne se levoit d'emprès lui et s'en aloit a al royne, et toutes les autres de leans aussi. Et la estoient en chambres et en autres lieux ad ce ordonnez en estat de couleuvres et de serpens, toutes ensemble172(*) ».

Ainsi, comme la Médée d'Antoine Dufour, la Sibylle est une « serpente ». De la même façon que les enchanteresses Médée et Circé, la reine d'Antoine de la Sale présente des caractéristiques ambiguës : elle possède des qualités, mais qui sont démonisées dans la majorité des cas. La Sibylle du Paradis regorge, de prime abord, de tout ce dont un homme peut rêver : richesses, beauté, nourriture, palais, etc. Cependant, sa perfection connaît une faille, sa transformation en un être répugnant. Comme avec Médée et Circé, l'accent est mis sur leurs dons, mais aussi sur leur capacité à faire le mal, comme si les auteurs étaient incapables de simplement brosser un portrait positif de ces femmes (à l'exception de Christine de Pizan). Contrairement aux sibylles des compilateurs, la magie de l'héroïne du Paradis de la reine Sibylle représente le mal, ce sur quoi nous reviendrons plus tard.

Antoine de la Sale n'aurait pas pu choisir pire animal pour la transformation de la reine. Le serpent, symbolisant le Mal, dans le récit d'Adam et Ève, est lourd de significations :

La transformation en serpents de la Sibylle et de ses femmes relève d'une vieille tradition de symbolique chrétienne qui, sur la foi de la Genèse, voit dans le serpent la figure de Satan, et d'une non moins vieille tradition de misogynie cléricale qui voit dans la femme, objet du désir charnel, l'image du péché et l'agent du Démon, en dépit des apparences, il y a peu de rapports avec la légende de Mélusine173(*).

En effet, par sa luxure constante, la reine Sibylle incarne le péché, tel que perçu dans la religion chrétienne. Par sa beauté, ses charmes et ses possessions, elle apparaît dangereuse. Cependant, elle ne possède pas le don magique de ses homologues, les sibylles chrétiennes des compilateurs. Son pouvoir extraordinaire réside seulement dans sa capacité à se métamorphoser. Il est aussi vrai que, au Moyen âge et dans d'autres époques encore, la femme était particulièrement touchée par des croyances qui n'augmentaient en rien son statut. C'est le cas de la reine Sibylle, qui est démonisée à cause de sa luxure et sa métamorphose.

Le rapport principal entre Mélusine et la reine Sibylle est évident : la transformation en serpente. Mélusine se transforme en dragon ailé qui s'envolera de son palais construit par elle. Son époux Raimondin n'en savait rien. Dans les deux cas, la métamorphose a lieu le samedi, ce qui est significatif. J.-J. Vincensini propose d'associer cette journée à la purification, mais non sans prudence :

Un très rapide coup d'oeil sur quelques samedis littéraires invite à plus de prudence et persuade de ne pas identifier automatiquement `samedi' et `jour de la purification' ou du `sabbat des sorcières'. (...) Ce qui, bien entendu, n'est pas exclu. La connotation sabbatique du sort que connaissent, entre le vendredi et le dimanche, la compagne du chevalier Hans Wanbranbourg, et ses amies dans Le Paradis de la reine Sibylle (...) est nette174(*).

Ainsi, il s'agit bien d'une « remise à neuf » des deux femmes magiques en ce dernier jour de la semaine. Elles sont alors prêtes à commencer celle qui suit. Cette régénérescence est une autre preuve de la nature extraordinaire de ces enchanteresses. Cependant, Antoine de la Sale ne mentionne pas si la reine a appris ce tour ou bien si elle est née avec cette capacité. Ce don, acquis ou non, empire l'image de la Sibylle. En effet, sans cette métamorphose en serpent, la reine serait un personnage idyllique sans défaut, à l'exception peut-être de son oisiveté. La transformation en reptile, le pire animal selon la Bible, classe définitivement la reine Sibylle comme un être démoniaque.

Le chevalier est trompé par la Sibylle. Celle qui lui faisait miroiter tant de belles choses, aux dires de l'auteur, n'est en fait qu'une créature du Diable. Les richesses de la reine sont sans fin, ne semblent jamais se tarir. De prime abord, elle paraît parfaite, mais le protagoniste se rendra compte du contraire. Il découvrira son appartenance au Mal : « Si le serpent symbolise le Mal, c'est parce qu'il est l'emblème de la luxure, forme dégradée de la fécondité qu'il incarnait jadis175(*) ».

* 169 Kappler, ibid., p. 266.

* 170 Antoine de la Sale. «Le Paradis de la reine Sibylle» dans Francine Mora, Voyages en Sibyllie, Paris, éd. Riveneuve, 2009, p. 267.

* 171 Ibid., p. 268.

* 172 Ibid., p. 272.

* 173Antoine de la Sale. Le Paradis de la reine Sibylle, ibid., p. 137.

* 174 Jean-Jacques Voncensini. « Samedi, jour de la double vie de Mélusine. Introduction à la signification mythique des récits mélusiniens », Mélusines continentales et insulaires, textes réunis par Jean-Marie Boivin et Proinsias MacCana, Paris, Honoré Champion, coll. Nouvelle Bibliothèque du Moyen Âge, 49, 1999, p. 80.

* 175 Francine Mora. «Métamorphoses dans le Paradis de la Reine Sibylle : des archétypes mythiques aux jeux d'une écriture» dans Métamorphose et bestiaire fantastique au Moyen âge, textes réunis par Laurence Harf-Lancner, Paris, ENSJF, 1985, p. 294.

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault