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Les enchanteresses dans les compilations du XVe siècle

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par Julie Grenon-Morin
Université Sorbonne-nouvelle - Master 2 2011
  

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Ces femmes magiques

Les compilateurs ne parlent pas forcément tous des enchanteresses Médée, Circé et les sibylles. L'annexe II, Les enchanteresses selon les compilateurs, montre par un tableau la présence ou non des enchanteresses selon chaque compilation. Elles sont présentes entre quatre et quatorze fois. C'est Boccace qui en a mis le moins et Christine de Pizan le plus. Le cas des sibylles est de loin le plus complexe, car les auteurs ne sont pas tous d'accord quant à leur nombre et leur nom. Il existe donc quatorze sibylles, alors que, dans les compilations, on en dénombre neuf, dix ou douze. Dans le tableau, les douze sibylles, de Libie à Phrigie, sont présentes Symphorien Champier. Chez Martin Le Franc, il y a Albunée et Chimère qui diffèrent. Champier considère qu'Albunée et Tiburtine sont les mêmes. Il faut aussi noter que les noms varient d'un auteur à l'autre, ce qui rend parfois difficile leur classement. De plus, la sibylle Érithrée revient à deux reprises, dans Le Livre de la Cité des dames : une première fois dans le chapitre « Où il est question des dix sibylles » et la seconde fois dans le chapitre qui le suit directement « Où il est question de la sibylle Érithrée ». Cela est aussi le cas pour Almathée, qui apparaît dans le chapitre des dix sibylles et dans un qui lui est consacré. Chez Le Franc, Érythrée revient également à deux reprises. Chez ces deux auteurs, on présente d'abord les sibylles en groupe, puis une ou deux autres d'entre elles sont décrites à part.

En tout, il existe cinquante-sept cas d'enchanteresses, dans les compilations de mon corpus seulement. Deux figures seulement reviennent chez les six compilateurs : les sibylles Érythrée et Almathée ou Cumane. Médée est plus populaire que Circé, se retrouvant dans quatre compilations, contre trois pour sa congénère. Les sibylles reviennent généralement chez plus d'un auteur des compilations. Chimère, quant à elle, est présente seulement chez Martin Le Franc. Malgré que Boccace soit l'instigateur des compilations, un fait retient l'attention : il n'a retenu que quatre enchanteresses dans De claris mulieribus (Érythrée, Almathée, Médée et Circé). À l'inverse, Christine de Pizan qui s'est fortement inspirée du Florentin en compte le plus grand nombre. On peut donc affirmer qu'elle n'a pas lésiné sur les ajouts. Il faut dire que son ouvrage se veut un monument à la gloire des femmes et qu'il est avantageux d'y intégré toutes celles qu'elle juge dignes d'intérêt. Derrière Christine, Jean Robertet a augmenté le nombre des sibylles à douze et parle également de Circé. Contrairement à Christine, Symphorien Champier et Martin Le Franc annoncent dix sibylles. En outre, Champier est l'unique auteur qui parle de Médée sans parler de Circé.

Champier, Boccace et Christine de Pizan ont composé de recueils qui juxtaposent des chapitres désignant chacun un ou plusieurs personnages. Martin Le Franc est exclu du tableau de l'annexe II. Le Champion est une oeuvre qui tient beaucoup du récit, car son ouvrage n'est pas divisé en chapitres correspondant à un personnage. Champier a suivi l'ordre des chapitres de Christine de Pizan et Boccace. L'ordre des femmes chez Dufour ne présente que peu de similitudes avec les autres compilateurs. Sans être placés au même endroit dans la compilation, certains personnages sont à proximité les uns des autres, par exemple Érythrée placée douzième chez Dufour et treizième chez Champier. Elles se chevauchent donc et cela peut relever du hasard uniquement. Les astérisques, toujours dans le tableau, indiquent ces rapprochements.

Comme mentionné en ouverture de ce texte, les enchanteresses jouissent d'une représentation foisonnante. Outre les compilations, plusieurs oeuvres de fiction les ont mises en scène. Ainsi, les sibylles sont des héroïnes multiples réduites à une seule chez Guillaume de Machaut avec le Voir-dit et Antoine de la Sale avec Le Paradis de la reine Sibylle, où elle est une souveraine d'un monde étrange. Quant à Médée, Benoît de Sainte-Maure dans Le Roman de Troie et Guillaume de Machaut dans la même oeuvre ont esquissé son portrait. Finalement, Circé, une nouvelle fois la moins populaire, a pris vie dans le Roman de Troie et Le Voir-dit, encore. Comme nous le verrons, cette impopularité tient du fait que son histoire est moins explosive que celle de Médée. Du côté des sibylles, leur nombre crée leur force. Les cinquante-sept portraits portant sur les enchanteresses sont rédigés en moyen français et en latin. La coloration des mots utilisés pour parler d'elles fera ici l'objet d'une attention particulière. Les auteurs médiévaux ont transformé la matière antique selon leur gré, mais aussi selon les conventions de leur époque. Pour nous, lecteurs contemporains, les enchanteresses désignent des magiciennes, voire des fées, dont le savoir merveilleux déclenche l'admiration et nous plonge dans un monde en dehors de la réalité. Sous la plume des compilateurs, elles en sont pourtant bien loin.

Les enchanteresses sont des femmes aux pouvoirs surnaturels. Comme tel, elles ne sont pas de véritables humaines. Leur savoir merveilleux ne peut pas se retrouver entre les mains de simples mortelles. Les enchanteresses ne sont pas non plus des fées, car elles n'ont pas hérité de leurs pouvoirs. Le savoir merveilleux qui nous occupe ici concerne la divination (chez les sibylles), la capacité de se métamorphoser (la reine Sibylle) ou bien de transformer d'autres personnages (Circé). Chez Médée, elle sait notamment ensorceler des objets et fabriquer des potions. Elles les ont acquis par la pratique et l'enseignement. Les enchanteresses sont cependant des « êtres faés », c'est-à-dire magiques.

Le texte qui suit tentera donc de répondre aux questions suivantes : Comment était perçu le savoir des enchanteresses dans les compilations du XVe siècle? Pourquoi les auteurs jugent de manière positive ou négative le savoir des femmes? (Qu'est-ce que cela nous apprend sur leur vision de la femme / ce qui vient de leur propre condition : homme / femme, clerc ou non, etc.?). Par savoir dénigré, j'entends le savoir qui est critiqué par les auteurs. Il s'agit le plus souvent de dons extraordinaires caractéristiques des enchanteresses, mais qui provoquent une attitude négative chez les auteurs. À l'inverse, le savoir valorisé est le savoir dont les auteurs font l'éloge ou qui provoquent leur admiration. Mon travail se divise en trois chapitres : Médée, Circé et les sibylles. Chacune des parties est divisée en deux : le savoir dénigré et le savoir valorisé. Chaque chapitre commence par une courte introduction et une conclusion le termine. Plusieurs annexes éclairent le texte.

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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus