B- Le management de l'innovation à Google
« Après Ford pour l'automatisation,
après Toyota pour la qualité, le modèle des entreprises du
XXIe siècle, c'est Google » Bernard Girard (2006).
Le succès de Google repose non pas sur sa technologie
avancée en matière d'indexation des pages internet mais sur son
modèle de management. Si cette entreprise innove autant c'est parce que
l'organisation tout entière est conçue à cette fin.
Quelles sont donc les bonnes pratiques de Google en matière de gestion
de l'innovation et de la créativité ?
Tout d'abord Google offre à ses salariés des
conditions matérielles exceptionnelles. Un cadre de
travail agréable dans lequel ils se sentent bien86(*). C'est un facteur de
bien-être qui comme le laissait entendre Elton Mayo (1933) contribue
à améliorer la productivité générale des
salariés. Ce qui marque aussi le nouveau venu, c'est le degré
d'autonomie et de liberté accordés aux employés. Olivier
Bousquet, ingénieur français travaillant pour Google,
témoigne de l'absence d'horaire fixe imposé par la
direction : « l'évaluation ne se fait pas sur le
temps passé au bureau, mais sur les objectifs
atteints ».87(*)
Les objectifs à atteindre sont fixés au niveau
d'équipes de trois à six personnes, qui travaillent de
façon plus ou moins indépendante et sans hiérarchie pour
favoriser l'émergence d'idées. Cette confiance donnée aux
salariés est un facteur de responsabilisation qui comme
le précisait Vincent Boly (2004) permet de libérer la
capacité créative des individus. Ce découpage en petites
équipes souples et libres de répartir leur temps et leur budget
alloués est une source d'implication personnelle importante. Elle permet
en outre de reproduire les conditions de vie d'une start-up et constitue une
forme d'intrapreneuriat allégée.
De plus, le management de petites équipes commando
créé un jeu de concurrence interne qui stimule l'innovation et la
créativité des équipes. La pression des
paires est à ce titre particulièrement efficace88(*).
Les managers favorisent également la mobilité
des salariés pour donner périodiquement de l'oxygène
à leur créativité. Dans ce même ordre
d'idées, un projet ne dépasse jamais les six à huit
semaines de conception, ceci afin d'empêcher le cloisonnement et de
faciliter la circulation des idées et des feed-back.
Cette hiérarchie souple est l'un des facteurs
clés de succès du management Google. Mais cette autonomie est
néanmoins rendue possible grâce à une politique
de recrutement extrêmement sélective
voire élitiste (l'entreprise reçoit un million de CV par jour).
Ram Shriram, un des premiers investisseurs de Google, déclarait à
ce propos : « Recrutez des cadors et ils recruteront d'autres
cadors. Si vous recrutez des gens moins bons, ils recruteront des
médiocres ou des mauvais ».
La politique des ressources humaines met aussi l'accent sur la
diversité culturelle des employés. Une démarche
volontariste qui mise sur la fertilisation croisée des connaissances,
des expériences et du vécu de chacun des employés pour
favoriser les échanges sources de créativité.
Cette flexibilité managériale
se concrétise enfin par la célèbre règle des
20%89(*). Cette
règle permet aux ingénieurs Google de consacrer 20% de leur temps
de travail (soit un jour par semaine) à des projets qui les
intéressent, et qui ne sont pas forcément liés à
leurs missions quotidiennes. Aucun responsable ne peut ainsi refuser à
quiconque de démarrer un projet. Cette méthode de management
incite les ingénieurs à travailler plus rapidement (augmentation
de la productivité) et encourage également les contacts
extérieurs et informels (ce qui confère à chaque
employé un rôle de gatekeeper). La motivation
intrinsèque des employés s'en trouve par ailleurs grandit ce qui
tend à réduire le turnover. Chacun des projets
développés en interne pourra ensuite être "vendu" à
l'entreprise Google ce qui constitue aussi un moyen de générer de
nouvelles idées.
Il s'agit plus d'une culture que d'un véritable
décompte du temps alloué. Une culture de liberté
caractéristique de cette entreprise où la bureaucratie est
absente.
Pourtant l'entreprise Google demeure très
structurée et organisée. Elle dispose pour cela d'un très
puissant système d'information qui permet à la direction de
contrôler les opérations en cours et d'avoir une vue d'ensemble
sur les activités de chacun sans pour autant que ce contrôle soit
intrusif.
Ce SI est aussi un moyen efficace de rendre
l'information accessible à tous (transparence et
multiplication des collaborations transversales) : « nous
donnons accès à un maximum d'information Ils peuvent se manager
eux-mêmes ainsi que leur temps car ils ont accès à toute
cette information. Cela donne aux personnes le sentiment d'indépendance
qui leur est nécessaire innover sans inhibition » Marissa
Mayer, vice-présidente Search Products & User Experience Google.
Dans le cadre du management des idées ce système permet de faire
proliférer les idées en les mettant en commun, elles sont ainsi
soumises à l'évaluation des paires qui peuvent suggérer
des pistes d'améliorations afin de transformer l'idée en
innovation réelle. Ce sont là les fondements même de
l'innovation participative90(*).
En plus d'un SI globalisé à toute la structure,
Google a crée de nombreux espaces de rencontres et autres lieux de
contacts entre les différents départements. L'entreprise joue
aussi les ambiances pour créer des environnements variés qui
stimulent la créativité.
Le management stratégique de Google est dominé
par un triumvirat (Éric Schmidt et les deux
co-fondateurs). C'est un mode de direction que de nombreux théoricien du
management auraient réfuté (Henri Fayol notamment, qui
prône l'unité de commandement) mais qui semble ici porter ses
fruits. Son principal avantage est de mettre un voile sur le
développement excessif des égos. Il permet également de
revenir plus rapidement sur une erreur (dilution des responsabilités) et
atténue les rapports de forces au sommet de l'entreprise (contrôle
mutuel).
Une culture d'entreprise propice au changement semble aussi
être l'une des forces de la société. « Nous
avons la capacité de remettre en cause complètement la
façon dont nous faisons les choses » confie Serguey Brin,
le cofondateur de Google.
Ainsi même si cette description de l'entreprise peut
paraître quelque peu idyllique, les résultats de l'entreprise
attestent de sa réussite. Et, sans calquer le schéma
organisationnel à d'autres entreprises, il y a là de bonnes
pratiques managériales qui doivent être prises en compte et dont
une entreprise comme Axialys pourrait s'inspirer.
Principales sources bibliographiques pour
l'étude de cas :
- Une révolution du management : Le modèle
Google - Bernard Girard - 2006
- Gary Hamel et Bill Breen - The futur of Management -
2007
Sources spécifiques :
- The 50 Most Innovative Companies - Bloomberg Business
Week - 2009
- World's Most Admired Companies - Fortune - 2009
- Le management de Google, moteur de son innovation -
Journal La Croix - Avril 2008
- Le secret de l'innovation chez Google - L'expansion -
Janvier 2006
- L'innovation agile à la Google est-elle un
modèle ou une anomalie ? - Internet Actu - Février
2008
- Google : L'opportunité d'innover qui se mesure -
Désignant - Avril 2010
C. Tableau comparatif des modes d'organisation et de
mangement de Google et Axialys
Les résultats proposés dans ce tableau, sont
pour le cas d'Axialys, basés sur mon expérience dans l'entreprise
et sur mes observations personnelles.
Caractéristiques managériales et
organisationnelles
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Culture d'entreprise
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Centrée sur le client, culture du risque et du changement.
Volonté d'opérer hors de son coeur de métier. Horizon
décisionnel à long-terme.
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Faiblement diffusée au sein de l'entreprise. Mais prise de
risque et volonté de dépasser le métier historique
d'opérateur télécom. Ambiance start-up qui tend à
se formaliser.
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Stratégie pour l'innovation
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Les innovations de rupture sont recherchées. L'innovation
est au coeur du développement de l'entreprise.
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Pas de réelle stratégie en faveur de l'innovation.
Innovations essentiellement incrémentales. Position de suiveur sur le
marché.
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Organisation hiérarchique
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Triumvirat à la tête de l'entreprise.
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Unité de commandement stratégique mais direction
managériale bicéphale.
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Contrôle hiérarchique
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Degré d'autonomie très important.
Responsabilisation des équipes de projet. Management par objectifs
(horaires de travail très souples). Le contrôle se fait par les
pairs. La contestation est encouragée.
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Faible degré d'autonomie accordée aux
salariés. Le travail par équipe est très rare et reste
soumis à un contrôle managérial coercitif.
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Système d'information
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Au coeur du système managérial permet de coordonner
l'ensemble des équipes de projet. L'information est
démocratisée.91(*)
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Système standard de dialogue ente le département
technique et le département commercial. Rationnalise les échanges
interservices. L'information est cloisonnée.
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Architecture des bureaux
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Espaces modulables pour
permettre de changer les
équipes au moins deux fois
par an. Encourage les échanges en prévoyant
de nombreux lieux de contacts.
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La cafétéria constitue l'unique espace de rencontre
interservices. Sa proximité avec le bureau de la direction restreint la
liberté d'expression donc l'échange des idées.
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Communication et mobilité interne
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Transparence et multiplication
des collaborations transversales.
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Culture
de méfiance. Les communications internes sont restreintes.
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Innovation participative
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Ancrée dans la culture de l'entreprise. Soutenu par un SI
très puissant ("Google Ideas").
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Non formalisée. Quasiment inexistantes car freinées
par une organisation conservatrice et atone.
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Système de reconnaissance
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Grande mobilité horizontale et verticale des
salariés.
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Mécanismes de clientélisme.
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Politique de recrutement
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Très sélective. Niveau Bac+5, environ 5 entretiens
différents sont réalisés pour chaque recrutement.
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Peu sélective. Les stagiaires sont recrutés au
niveau bac+5 mais les cadres de l'entreprise sont souvent des proches de la
famille.
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Ouverture sur l'extérieur
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Via la présence de gatekeeper.
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Les activités de vigie sont informelles et sporadiques.
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Le tableau dressé peut sembler excessivement noir voire
provocateur mais reflète une constante chez Axialys. Toutefois la
critique pour demeurer légitime doit être
tempérée : chaque entreprise développe ses propres
mécanismes de censures à l'innovation, c'est même une
condition de survie, aussi paradoxale que cela puisse le paraître. Mais
une dynamique de changement sans contrepoids serait synonyme
d'instabilité.
D'ailleurs Google est une organisation très
structurée. Elle n'est pas totalement aplatie ni même
démocratique. Les mécanismes de contrôle existent mais la
reconnaissance par les pairs se substitue très souvent à
l'autorité centrale de référence. L'ensemble est
coordonné par de puissants outils informatiques qui permettent à
la direction d'avoir une vue d'ensemble sur les projets en cours et leurs
avancements. Le degré de responsabilisation des équipes et la
symétrie d'information au sein de la structure sont les autres atouts
clés de Google en matière de management de l'innovation.
Le management à Axialys s'articule de façon bien
différente : le pouvoir hiérarchique et les
responsabilités sont détenues par une "caste" dirigeante uniforme
et hermétique. La plupart des orientations stratégiques sont
marquées du sceau d'un favoritisme où l'esprit de finesse
à tendance à s'hypertrophier au détriment d'un jugement de
valeur rationnel des compétences et du potentiel créatif des
acteurs du changement. Les communications internes et les échanges
d'idées ne sont pas encouragés et l'implication des
employés dans la démarche d'innovation est minimale.
L'information est opaque et son accessibilité est limitée.
Pourtant Axialys, possède d'indéniables
forces :
- Une expertise technologique dans des domaines
variés,
- Un capital financier substantiel (marge de manoeuvre
importante),
- Une rente de situation due à son statut
d'opérateur télécom92(*),
- Des ressources humaines qualifiées et
compétentes (niveau de recrutement fixé à bac+4/5),
- Une grande diversité culturelle au sein des
ressources humaines,
- Une localisation géographique idéale (tant
pour le recrutement que pour la mise en place de partenariats ou l'insertion
dans des pôles de compétitivité),
- Un système de pouvoir familial (orientation sur le
long-terme. Les logiques court-termiste ne favorisent pas l'innovation et
l'expérimentation).
Axialys dispose donc d'innombrables atouts pour bâtir
une stratégie ambitieuse d'innovation totale.
* 86 Se reporter à
l'annexe 5.C - Photos des bureaux Google.
* 87 Source de la
citation : Le management de Google, moteur de son innovation - Journal La
Croix - Avril 2008.
* 88 Les travaux de Uschi
Backles-Gellner et Alwine Mohnen, Arndt Werner regroupé dans un article
publié en 2004 , intitulé "Team Size and Effort in
Start-up-Teams " souligne ce point.
* 89 L'entreprise 3M avait
développé une règle similaire dans les années 1950.
Google s'en est inspiré.
* 90 La moitié des
innovations mises sur le marché par Google sont le résultat
d'initiatives individuelles (Gmail, Google actualité et bien
d'autres).
* 91 Par exemple Google Expert
Search est un outil très efficace permettant aux employés de
trouver des collègues ayant des compétences particulières
pour les aider à avancer sur leurs projets.
* 92 L'achat et la revente de
minutes de télécommunications lui assurent une rente
régulière et automatisée.
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