Le droit des propriétés publiques à l'épreuve de la valorisation du domaine public hertzien par le CSA( Télécharger le fichier original )par Morgan Reynaud Université du Maine - Master 2 Juriste de droit Public 2011 |
II) La gestion et la valorisation du spectre par le CSA
La refonte du code du domaine, et la création du CGPPP qui en a découlé avaient pour objectif de mieux gérer le domaine public. Il avait ainsi pour objet, non seulement de faire désenfler la masse des biens publics mais également d'en faciliter la gestion et la valorisation. Le mouvement a, tout d'abord, été initié par la LOLF de 200157(*) qui prenait pour la première fois en compte l'importance de la gestion domaniale dans les finances publiques. Le CGPPP a poursuivi et parachevé ce mouvement en octroyant aux personnes publiques de nombreux outils permettant de valoriser leur patrimoine, de l'enrichir, de le restaurer, de s'échanger des biens etc. D'autres lois, de circonstances parfois58(*), sont venues enrichir cette « boite à outils domaniale » qui permet, en principe, de valoriser les propriétés des personnes publiques. Le terme même de valorisation a pénétré le vocable juridique, un nouveau bail emphytéotique portant le nom de BEA de valorisation59(*) ayant fait son entrée dans notre droit. On ne s'étonnera donc pas de voir surgir, concernant le domaine public hertzien, les mêmes nécessités de gestion (A) et de valorisation optimale de la ressource (B) ; les moyens de parvenir à ces deux objectifs se voulant adaptés à la spécificité du domaine public hertzien. Le Conseil supérieur de l'audiovisuel a, dès lors qu'il gère une partie de cette dépendance, un rôle évident à jouer dans cette gestion et cette valorisation. A) La gestion du domaine public hertzien par le CSALe Conseil supérieur de l'audiovisuel passe, on le verra, des conventions avec les chaînes de télévisions et de radio avant de délivrer toute autorisation d'occupation privative du domaine public hertzien. Ces conventions s'inspirent fortement de celles que l'on retrouve traditionnellement en matière de gestion domaniale (1). Cependant, pèse sur le CSA une obligation encore récente en matière de gestion domaniale classique mais bien ancrée en matière audiovisuelle : celle d'assurer la concurrence entre les différents opérateurs (2). Les opérateurs du service public audiovisuel ne sont, eux, pas soumis à l'obligation de conventionnement. Ils sont en effet astreints à un cahier des charge fixé par décret60(*) qui, en quelque sorte, « remplace » la convention. Ces derniers éditeurs ne seront donc pas principalement étudiés dans le cadre des développements suivants. 1) Convention d'occupation domaniale hertzienne et droit du domaine.Le CSA gère le domaine public hertzien par le biais d'autorisations d'occupations assorties de conventions. Aussi, pour bien comprendre la gestion domaniale hertzienne (b), il convient de s'interroger sur la nature de ces conventions (a). a) La nature juridique de la conventionAu titre de l'article 28 de la loi de 1986, « la délivrance des autorisations d'usage de la ressource radioélectrique pour chaque nouveau service diffusé par voie hertzienne terrestre, autre que ceux exploités par les sociétés nationales de programme, est subordonnée à la conclusion d'une convention passée entre le Conseil supérieur de l'audiovisuel au nom de l'État et la personne qui demande l'autorisation ». La suite de cet article prévoit les dispositions que doivent nécessairement contenir ces conventions. Doivent, par exemple, être stipulées, les obligations de diffusions et de promotions d'oeuvres d'expression française, les temps de publicité, le type de programmes diffusés etc. La liste est longue et il ne semble pas nécessaire de tout rappeler ici61(*). L'objet de telles conventions est d'individualiser, autant que possible, l'autorisation d'émission en radio ou en télévision. Il est en effet indéniable qu'un service de télévision ayant pour objet l'information en continu de ses téléspectateurs ne doit pas supporter les mêmes obligations qu'une chaîne généraliste. Aussi, la convention de BFM TV, dont l'objet est de diffuser de l'information en continu, ne prévoit-elle pas d'obligation de diffusion d'oeuvres cinématographiques62(*). Comme dit précédemment, seuls les services privés de diffusion audiovisuelle signent une convention avec le CSA. Les services publics, eux, obéissent à un cahier des charges élaboré par décret et soumis pour avis au Conseil supérieur de l'audiovisuel63(*). Ce cahier des charges fait, par la suite, l'objet d'une publication au journal officiel et joue, peu ou prou, le même rôle que la convention tout en contenant cependant des dispositions propres à l'exécution d'un service public de la communication audiovisuelle. Sont des sociétés nationales de programmes au sens de l'article 44 de la loi de 1986 les groupes France télévision (France 2 , France 3, France 4, France 5 France Ô et plusieurs chaînes dans les DOM-COM par le biais de Outre-mer 1ère) pour la télévision, et Radio France pour la radio (France Info, France Inter, France Bleu, France culture, France musique, Fip, le Mouv', France Vivace, 107.7 FM). Cependant, cette question ne sera pas traitée dès lors que la présente partie se concentre sur les conventions des éditeurs de services de radio ou de télévision auxquelles ne sont pas soumis les éditeurs du service public. De manière imagée, le cahier des charges de ces opérateurs publics s'apparente aux conventions prévues à l'article 28 de la loi : seule leur nature juridique diffère. Les conventions prévues à l'article 28 de la loi de 1986 se décomposent en plusieurs parties distinctes : la présentation du programme, les stipulations générales, les stipulations particulières, les pénalités et les dispositions finales. Les intitulés diffèrent parfois, notamment en ce qui concerne les radios, mais la trame générale reste la même. Le cas échéant, ces conventions pourront prévoir les dispositions relatives à l'organisation, par la chaîne, d'un service de télévision mobile personnelle64(*) ; à savoir, l'émission par un éditeur sur des supports téléphoniques adéquats ; cette possibilité tendant à se développer avec l'émergence des « smartphones ». Au vu de ce découpage, il est évident que toutes les clauses ne sont pas négociées. Seules les parties spécifiques à la chaîne ou à la station le sont. A contrario, les stipulations d'ordre général et les sanctions applicables ne sont, elles, pas négociées. Cette convention peut ainsi s'analyser en une convention d'occupation domaniale assez classique. En effet, dans toute convention d'occupation, certaines stipulations sont négociées, d'autres sont imposées. Ainsi, par exemple, les dispositions financières ou les dispositions ayant trait à l'utilisation du domaine sont négociées entre l'opérateur et la personne publique. A l'inverse, certaines clauses sont imposées par la personne publique. Ainsi en va-t-il des obligations de service public pesant sur l'opérateur. Or, les stipulations générales prévues dans les conventions de radio ou de télévision s'analysent, au vu de leur objet et de leur finalité, en de véritables obligations de service public. Les éditeurs s'y engagent, notamment, à respecter la déontologie des programmes et des services, à assurer le pluralisme, à ne pas diffuser de programmes susceptibles de nuire à l'ordre public etc. Le constat d'une grande similitude entre la convention domaniale traditionnelle et la convention d'occupation du domaine public hertzien s'impose donc. Néanmoins, quelle est la nature de cette convention ? Pour Jean-Philippe Brouant, les conventions signées entre le CSA et les éditeurs de services de communication audiovisuelle sont des « contrats administratifs » qui, en tant que tels, justifient la compétence du juge administratif65(*). Si on admet cette acception, quelle est, dès lors, la nature de ce contrat administratif ? Il ne peut, en tout état de cause, s'agir d'un marché public. Celui-ci est défini par le code des marchés publics comme « les contrats conclus à titre onéreux entre les pouvoirs adjudicateurs définis à l'article 2 et des opérateurs économiques publics ou privés, pour répondre à leurs besoins en matière de travaux, de fournitures ou de services66(*) ». Or, en l'occurrence, le contrat n'est pas conclu à titre onéreux, on y reviendra . De plus, la convention n'a pas pour objet de répondre aux besoins de la personne publique. En conséquence, cette convention n'est pas un contrat de marché public. La qualification de ces conventions en conventions d'occupations temporaires ne tient pas davantage dès lors qu'il n'y a, en l'espèce, aucun droit réel et aucune construction d'ouvrage. De plus, le « cocontractant » ne paye pas de loyer à l'État. Sont également exclus tous les contrats qui permettent au cocontractant de percevoir une redevance, fixe ou variable, sur l'utilisation du service par les usagers, dès lors que ceux-ci ne payent pas « l'utilisation » des chaînes de télévision ou de radio. En conséquence, la convention ne peut être qualifiée d'affermage ou de régie intéressée. On pourrait tout de même, sur ce point, objecter que certains services de communication valent payement. Ainsi en va-t-il de certains services utilisant la ressource hertzienne et qui, en contrepartie de leur réception, font payer un abonnement à leurs auditeurs ou téléspectateurs. C'est notamment le cas de la chaîne CANAL+ et des autres chaînes payantes de la TNT. Néanmoins, la qualification de régie intéressée ne tient pas dès lors que ces opérateurs assument le risque et qu'il n'appartient pas à la personne publique d'y faire face. De même la convention échappe à la qualification de concession d'affermage, y compris pour les chaînes payantes, dès lors que l'opérateur ne reverse pas de surtaxe à la personne publique. Pourrait-on voir, en ces conventions, une sorte de délégation de service public ? Cette dernière est définie par l'article L1411-1 du code général des collectivités territoriales comme «un contrat par lequel une personne morale de droit public confie la gestion d'un service public dont elle a la responsabilité à un délégataire public ou privé, dont la rémunération est substantiellement liée aux résultats de l'exploitation du service». Là encore, cette définition ne semble pas convenir. En effet, peut-on vraiment dire que la communication audiovisuelle est un service public ? Nous ne le pensons pas. La communication n'est qu'un moyen d'assurer un service public mais n'est pas, au sens strict, un service public...même virtuel. La diffusion n'est donc que le support du service public et il serait faux d'y voir la concrétisation même d'un tel service ; ce serait un peu comme confondre le service public et l'ouvrage qui en est le support. Du reste, même si, effectivement, les chaînes tirent une part conséquente de leur rémunération dans l'exploitation d'un service (non public) de communication, celle-ci n'est pas la contrepartie de l'usage mais le fait de ressources publicitaires. Dès lors, la convention conclue entre le CSA et les différents opérateurs n'est pas une délégation de service public. En réalité, la convention d'occupation hertzienne n'est pas une convention indépendante. Elle n'est que l'accessoire de l'autorisation d'occupation domaniale conférée par le CSA. Le Conseil d'État a, d'ailleurs, confirmé cette vision en considérant que « la convention conclue en application des dispositions précitées de l'article 28 de la loi du 30 septembre 1986 n'est pas un contrat administratif distinct de l'autorisation d'usage d'une ressource radioélectrique délivrée par le Conseil supérieur de l'audiovisuel, dont elle n'est que l'accessoire nécessaire67(*) ». Deux conséquences peuvent être tirées de la lecture de cet attendu de principe. Premièrement, les conventions conclues par le CSA avec les éditeurs de services de communication audiovisuelle ne sont pas des contrats administratifs autonomes. Elles ne sont que les accessoires nécessaires à la décision d'autorisation d'occupation domaniale. Il en découle, et c'est la seconde observation, que la convention, contrairement aux principes traditionnels, n'a pas qu'un effet inter partes dès lors que ses implications dépassent largement le seul cadre des relations entre le CSA et l'éditeur, ou diffuseur, concerné. Ainsi, les concurrents d'un opérateur sont recevables à agir contre la convention de ce dernier68(*). Une telle action peut ainsi conduire à l'annulation d'une seule clause contestée69(*) ou, si la clause litigieuse est indivisible de l'ensemble de la convention, à l'annulation de celle-ci, et, par voie de conséquence, à l'annulation de l'autorisation elle-même70(*), la convention étant, rappelons-le, l'accessoire nécessaire de l'autorisation. De même, un autre opérateur peut se prévaloir, en justice, d'un manquement de l'un des éditeurs à ses obligations « contractuelles71(*) ». La jurisprudence traditionnelle consacrant l'effet relatif des contrats administratifs72(*) n'est donc pas opposables aux conventions signées par le CSA ce qui fait sortir celles-ci du champ même de contrat. Si l'effet relatif des contrats est cependant remis en cause ces dernières années avec l'émergence de nouveaux recours (référé pré-contractuel, référé contractuel ou Recours Tropic), il s'agit là d'un indice laissant penser que la convention liant le CSA à l'éditeur de service fait partie de l'autorisation d'occupation domaniale et n'est donc pas un contrat autonome. Outre la question de la convention, l'autorisation domaniale hertzienne est également semblable, en de nombreux points, à une autorisation domaniale classique. L'administration représentée par le CSA en vertu de l'article 28 de la loi73(*) possède, en effet, plusieurs prérogatives nécessaires à la gestion du domaine public hertzien. * 57 Loi organique n°2001-692 du 1 août 2001 relative aux lois de finances. * 58 Voir en ce sens : Ph Yolka, « Reconversion de l'Hotel de la Marine, le Bateau ivre ? » AJDA 2011.429. * 59 E Fatôme et M Raunet : « Naissance d'un nouveau bail emphytéotique administratif : le BEA de valorisation », AJDA2010.2475. * 60 Article 44 de la loi du 30 novembre 1986. * 61 Pour plus de précisions, voir l'article 28 de la loi du 30 septembre 1986. * 62 Voir en ce sens, pour BFMTV : Décision n° 2005-477 du 19 juillet 2005 autorisant la société BFM TV à utiliser une ressource radioélectrique pour l'exploitation d'un service de télévision à caractère national diffusé en clair par voie hertzienne terrestre en mode numérique. * 63 Articles 44 et 48 de la loi loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986. * 64 Voir en ce sens, pour le service I-télé : Décision n° 2005-473 du 19 juillet 2005 autorisant la Société d'exploitation d'un service d'information (SESI) à utiliser une ressource radioélectrique pour l'exploitation d'un service de télévision à caractère national diffusé en clair par voie hertzienne terrestre en mode numérique. * 65 J-Ph Brouant, « L'utilisation des fréquences de communication audiovisuelle et la domanialité publique » précité. * 66 Article 1 du code des marchés publics. * 67 CE. 2 décembre 2009. Sté NRJ GROUP, Req n°311903 et 311905 : Rec Lebon. * 68 CE.5 mars 2008.Stés TF1, TMC, NRJ Group, NRJ 12, TMC, NT1, RTL 9, Req n° 286273, 286275, 286281, 286282, 286283 : Rec Lebon. * 69 CE. 5 juillet 2004, Société Canal Antilles, Req n° 255589 et 255590 : Rec Lebon, p.289. * 70 CE.5 mars 2008.Stés TF1, TMC, NRJ Group, NRJ 12, TMC, NT1, RTL 9 précité. * 71 CE. 2 décembre 2009. Sté NRJ GROUP, Req n°311903 et 311905 précité. * 72 CE. 4 août 1905, Martin Req n° 14220 : Rec Lebon p 749, ccl Romieu ; D. 1907.3.49, ccl Romieu, RDP. 1906.249 note Jèze, S. 1906.3.49 note Hauriou, GAJA 17e éd. N° 16. * 73 Art 28 al 1 L. 1986 : « La délivrance des autorisations d'usage de la ressource radioélectrique pour chaque nouveau service diffusé par voie hertzienne terrestre autre que ceux exploités par les sociétés nationales de programme, est subordonnée à la conclusion d'une convention passée entre le Conseil supérieur de l'audiovisuel au nom de l'État et la personne qui demande l'autorisation » |
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