Le déséquilibre significatif dans les relations commerciales établies (article l442-6 1;2?° du code de commerce)( Télécharger le fichier original )par Avocat stagiaire (2011), Idarque (promotion 2010- 2011) Cédric Dubucq Université Paul Cézanne Aix Marseille - Master 2 Droit économique 2011 |
Section 3 Vers le devoir pour le juge de relever d'office le déséquiibre significatifLa possibilité donnée au juge de relever d'office le caractère abusif d'une clause est, d'un point de vue pratique comme théorique, considérable. Actuellement, en droit commun, la solution est posée par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation le 21 décembre 2007, qui énonce que « si, parmi les principes directeurs du procès, l'article 12 du Nouveau Code de procédure civile oblige le juge à donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux invoqués par les parties au soutien de leurs prétentions, il ne lui fait pas obligation, sauf règles particulières, de changer la dénomination ou le fondement juridique de leurs demandes »158. Le principe est cependant différent en ce qui concerne le droit de la consommation (Section 1), où la Cour de Justice de l'Union Européenne a estimé qu'eut égard à la nature de ce droit spécial, il incombait au juge de relever d'office les clauses abusives. Nous verrons que si aucune solution n'a encore été dégagée, le droit des pratiques restrictives de concurrence pourrait bien faire sienne une telle analyse (Section 2). 157 en ce sens, D. Ferrier et D. Ferré, D. 2008, p. 2234, n° 28 ; les auteurs sont tellement persuadés que les prescriptions de l'article L. 442-6 sont respectées par les opérateurs qu'ils ont intitulé leur commentaire de la loi du 4 août 2008, « La réforme des pratiques commerciales », et non pas « La réforme du droit des pratiques commerciales » 158 Cass. Ass. plén., 21 déc. 2007, Bull. civ. Ass. plén., no 101, Bull. inf. C. cass., no 680, rapport du conseiller Loriferne, avis du premier avocat général de Gouttes, Rapp. C. cass. 2007, « La santé dans la jurisprudence de la Cour de cassation », Doc. fr., 2008, p. 445, RDC 2008, p. 435, obs. Y.-M. Serinet, § 1 L'influence de la CJUE sur le droit de la consommation Dans son arrêt Pannon du 4 juin 2009, la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) a affirmé que les juges nationaux sont tenus, pour donner effet utile aux règles communautaires protégeant les consommateurs, de relever d'office le caractère abusif d'une clause contractuelle159. Dans son dispositif, la Cour a estimé que « le juge national est tenu d'examiner d'office le caractère abusif d'une clause contractuelle dès qu'il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet. Lorsqu'il considère une telle clause comme étant abusive, il ne l'applique pas, sauf si le consommateur s'y oppose. Cette obligation incombe au juge national également lors de la vérification de sa propre compétence territoriale »160 Avant cet arrêt, la Cour de Luxembourg avait simplement estimé que les juridictions nationales ne pouvaient se voir privées du pouvoir de relever d'office une clause abusive destinée au consommateur161. L'arrêt Pannon va désormais plus loin en affirmant que les juges ont désormais le devoir de relever d'office la clause abusive. Ainsi, en droit interne, le juge se doit désormais absolument de relever d'office la violation des règles protectrices du consommateur. Ce principe comporte néanmoins deux limites. D'abord, le relevé d'office du caractère abusif d'une clause ne peut se faire contre la volonté du consommateur. L'arrêt indique en effet que « lorsqu'il considère une telle clause comme étant abusive, le juge ne l'applique pas, sauf si le consommateur s'y oppose ». On ne retrouvera une telle situation que lorsque le
consommateur aura interêt à renoncer à 159CJCE, 26 oct. 2006, Mostaza Claro, aff. C-168/05, spéc. pt 38, LPA 20 sept. 2007, p. 9, note G. Poissonnier et J.-Ph. Tricoit 160 CJCE, 4 juin 2009, Pannon GSM Zrt. c/ Erzsébet Sustikné Gyorfi, aff. C-243/08, LEDC, septembre 2009, p. 6, obs. G. Guerlin, RLDC 2009, no 63, p. 13, obs. V. Maugeri, D. 2009, p. 2312 161 CJCE, 27 juin 2000, Oceano Grupo, aff. C-240/98 à C-244/98, JCP G 2001, II, 10513, note M. Carballo Fidalgo et G. Paisant ; la solution a été confirmée à plusieurs reprises et étendue au domaine du crédit à la consommation : CJCE, 4 oct. 2007, aff. C-492/05, Rampion, JCP G 2008, II, 10031, note G. Paisant t), du Traité CE, selon lequel l'action de la Communauté comporte « une contribution au renforcement de la protection des consommateurs » énonce que « dans l'exercice de cette obligation, le juge national n'est toutefois pas tenu, en vertu de la directive, d'écarter l'application de la clause en cause si le consommateur, après avoir été avisé par ledit juge, entend ne pas en faire valoir le caractère abusif et non contraignant ». Une partie de la doctrine estime , dans la lignée de cet arrêt, que tous les textes communautaires qui irrigueront notre droit et qui seront destinés à protéger les consommateurs devront être relevés par le juge162. La question est de savoir l'influence que vont avoir ces décisions sur notre déséquilibre significatif. § 2 La justification d'un tel mécanisme par la nature protectionniste du droit des pratiques restrictives de concurrence Le problème va être de savoir si le droit des pratiques restrictives, et plus particulièrement les clauses abusives entre professionnels vont recevoir le même traitement. Dans la mesure où le législateur, on l'a vu, a offert aux professionnels en situation d'infériorité une mesure qui les protège davantage que les consommateurs, pourquoi dès lors refuser ce principe? Il est par 'ailleurs intéressant d'observer l'évolution de l'office du juge s'agissant du droit de la consommation. Au départ, le Quai de l'Horloge interdisait au juge le relevé d'office des moyens de droit fondés sur le droit de la consommation. La Cour de cassation a fini par autoriser un tel relevé en droit de la consommation 163, anticipant sur l'application de la réforme du Code de la consommation par la loi Chatel du 3 janvier 2008164. 162 en ce sens égal., v. G. Paisant, note préc., G. Poissonnier, note préc. 163 Cass. civ. 1re, 22 janv. 2009, JCP G 2009, II, 10037, note X. Lagarde 164 qui a inséré un nouvel article L. 141-4, aux termes duquel « le juge peut soulever d'office toutes les dispositions du présent code dans les litiges nés de son application » Nous savons que l'intention du législateur est d'offrir une protection réelle et effective à la partie en situation de faiblesse. La question va alors être de savoir si cet article est d'ordre public ou non. Si tel est le cas, je juge devra, à l'instar de ce qui est prévu dans le droit de la consommation, relever d'office les clauses abusives. Ceci est un des moyens invoqué par la Cour du Luxembourg qui souhaite que le droit de la consommation soit considéré comme équivalent des règles d'ordre public. Dans la mesure où l'objet est identique entre le droit de la consommation et le droit des pratiques restrictives, est- il absurde d'obliger le juge à se saisir du texte? Nous ne le pensons pas. D'autant plus que l'article L. 442-6, I, 5o a, pour sa part, été reconnu comme faisant partie des lois de police dans l'ordre international165. Le fait que le ministre de l'économie, ainsi que le Ministère public puissent agir en lieu et place de la victime, ajouté au caractère pénal de la sanction suffit à nous convaincre du caractère d'ordre public de ce dispositif. En conclusion, nous pensons que le juge devra, ou dans une moindre mesure, pourra se saisir d'office du déséquilibre significatif, qu'il soit juridique, ou économique. On remarquera au seuil de la première partie de cette étude, que le législateur a offert un outil assez remarquable aux professionnels. Cet outil, lorsqu'ils sont disposés à l'utiliser, les protègent d'avantage que les consommateurs, car le déséquilibre significatif n'est pas cantonné. Le souci de lutter contre ces clauses non négociées a même été jusqu'à réorganiser partiellement le fonctionnement judiciaire en souhaitant mettre au point des juridictions spécialisées et en créant cette commission d'examen de pratiques commerciales. On a vu que l'influence du droit de la consommation devra être relativisée nonobstant l'interprétation du Conseil Constitutionnel. Il nous paraît indispensable, une fois dressé ces explications, d'envisager l'avenir et ce que 165M. Behar-Touchais, L'application de l'article L. 442-6 du Code de commerce aux rapports internationaux, Revue des contrats, 01 janvier 2009 n° 1, P. 197 seront les outils juridiques de demain pour lutter contre les déséquilibres significatifs. Seconde partie: Les solutions prospectives pour le déséquilibre significatif Il nous semble indispensable de lutter efficacement et sans démagogie contre des situations qui méritent de bénéficier d' outils juridiques performants qui peuvent être de différentes natures. L'article L442-6,1,2° ,on l'a vu, offre des perspectives excessivement larges et devra être limité à une proportion que l'on estimera raisonnable (Titre 1). Si le maintien de ce droit spécial est envisageable, nous souhaitons également étudier l'éventualité selon laquelle, demain, ce texte soit abrogé. Il nous semble en effet tout à fait possible de lutter, avec les dispositions d'aujourd'hui et celles qui seront codifiées demain, contre l'injustice contractuelle et de donner par là même, la vigueur nécessaire au droit commun (Titre 2). |
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