UNIVERSITE RENNES 1
UFR Droit et Sciences Politiques Master 2 Sciences
Politiques
Genre & Mobilisations sociales
Etude de genre des mobilisations féministes radicales et
LGBT à Istanbul Présenté et soutenu
par Adèle Pruvost
Table des matières :
Etude de genre des mobilisations féministes radicales
et LGBT à Istanbul
Introduction......................................................................................................
p8
(( On ne naît pas femme, on le devient
»
Le genre, les mobilisations critiques du genre, et le
contexte turc
Objet d'étude : Amargi et Lambda deux
organisations critiques du genre Plan du mémoire et
problématique
Méthodologie
Limites du travail de recherche
Section 1 : LE GENRE DANS LA RECHERCHE EN SCIENCE
SOCIALE
I) Pourquoi utiliser l'analyse par le genre dans
l'étude des mobilisations sociales ?
A) Théories traditionnelles des mobilisations sociales et
critique............................p14
Qu'est ce qu'un mouvement social ?
Les théories du comportement collectif &
l'apport du concept de (( frustration »
Les théories des mobilisations des ressources
& la focale sur les structures organisationnelles
Les théories des NMS, et les théories
identitaires ou le rapprochement avec les militants
Conclusion, critiques & apports
B) Nouveaux apports théoriques du genre dans
l'étude des mouvements sociaux... p17
Qu'est ce que le Genre ?
Pourquoi inclure le genre dans l'étude des
mouvements sociaux ?
Verta Taylor et les structures d'opportunités
genrées
Fillieule, Contamin, et Judith Taylor : les
structures organisationnelles et expressives genrées
Mya Marx Ferree et Joan Acker : l' «
éthique masculine de la rationalité et de la froideur
»
Vers une méthodologie
personnelle...
Section 2 : APPREHENDER LE CONTEXTE TURC PAR LE
GENRE
I) La femme et l'imaginaire collectif turc : les
représentations du « féminin » dans les mythes
nationalistes, les interprétations islamiques, et le projet
kémaliste de modernisation
A) Les mythes nationalistes de la femme en Turquie : de la
personnification de la Terre al'objectivation des
femmes................................................................................................p26
La Métaphore nationaliste de la Terre en
« Bien-aimée » et en mère
La Femme porteuse de l'identité culturelle
turque
B) La femme turque comme symbole du projet
islamique...........................................p29 Une
égalité homme/femme dans l'Islam ?
Symboliques du voile en Turquie
Le Féminisme islamique en
Turquie
C) La femme turque comme symbole du projet de modernisation de
Kemal Atatürk~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~.p32
Le « State Feminism »
Le projet kémaliste de
civilisation
II) Des facteurs macro sociaux offrant des opportunités
aux mobilisations féministes
A) De l'emergence de la societe civile dans les annees
80~~~~~~~~~~~~~~~ p35 Tradition d'un Etat fort
Une libéralisation économique et
politique marquant l'émergence de la société civile De
l'émergence de la société civile a l'émergence des
mouvements de femmes
B) Une situation de la femme qui change dans un contexte de
mondialisation mais qui reste néanmoins
critiquable~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~.p39
Une situation encore fortement inégale des
femmes et des hommes sur le marché du travail
La violence domestique faîte aux femmes : un
fléau national en Turquie Des lacunes dans la mise en place des mesures
de protection des femmes
Section 3 : ANALYSER DEUX ORGANISATIONS DE REMISE EN
CAUSE DES NORMES SOCIALES DE GENRE PAR LE GENRE
I) AMARGI et LAMBDA : deux organisations militantes critiques
du genre A) Naissances des organisations dans leurs contextes et
revendications p44 Amargi une association féministe
« radicale »
Amargi dans le contexte de la «
3ème vague féministe »
Lambda une organisation LGBT (Lesbiennes Gays
Bisexuels Transexuels)
Le contexte turc de discrimination et de violences
faîtes a l'égard des personnes LGBT
B) Idéologies et identités collectives : entre la
lutte contre le patriarcat, la mouvance Queer, et le mouvement
Transgenre..................................................................................p47
Féministe radicale
Mouvance transgenre Mouvance Queer
II) Des structures organisationnelles et des
répertoires d'action genrés
A) Des structures organisationnelles par les femmes et pour les
femmes.................. p49 Un rapport hiérarchique de
genre dans les organisations militantes
Des structures de mobilisation de femmes qui suivent
une logique féminine
Amargi & Lambda : deux organisations suivant des
logiques autres qu'androcentrées
B) Des stratégies d'Action qui suivent une « logique
féminine » p54
« Une école de vie oil on apprend
à s'émanciper des normes de genre intellectuellement mais surtout
dans le quotidien »
Un lieu de convivialité et de plaisirs Actions
politiques dans l'espace publique Un lieu de soutien
III) Des espaces de résistance aux normes de genre ou
la possible construction d'un soi émancipé des normes sociales
de genre
A) Des espaces de liberté et de créativité
qui offrent une alternative à un idéal de la femme «
soumise, chaste, et accomplissant les tâches domestiques p60
B) Le « travail » émotionnel au sein des
organisations~~~~~~~~~~~~~~~~~ p62
IV) « Militer c'est d'abord s'émanciper soi »
: un rapport féminin à l'engagement ?
A) Facteurs d'entrée dans le militantisme~~~~~
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~p66 D'ol viennent les militantes
féministes et LGBT ?
B) Des coûts et des rétributions féminins du
militantisme~~~~~~~~~~~~~~~.p68 Gaxie et la théorie des
coûts et rétributions
Les coûts du militantisme féminin en
Turquie
Des rétributions du militantisme
féminin ouvertement exprimées et assumées
Conclusion p75
Bibliographie ~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~ p78
Annexes~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~ p81
Introduction
« On ne naît pas femme, on le devient
»
(( On ne naît pas femme on le devient )). Ecrite par
Simone de Beauvoir dans le (( Deuxième Sexe )) en 1949, cette phrase
constitue l'un des prémices des études de genre. Le concept de
genre est pluriel et complexe à définir. Au départ il
naît de sa différenciation avec le concept de (( sexe )). (( Sexe
)) caractérisant les différences hommes/femmes de type
biologique, c'est-à-dire faisant référence aux appareils
génitaux et autres différences organiques propres au corps de
sexe féminin ou au corps de sexe masculin. Le concept de genre, lui fait
référence à la construction sociale des individus selon le
genre féminin ou masculin ou autre (personnes intersexués ou
transgenres), construction qui se fait de manière plus ou moins relative
au sexe biologique. Simone de Beauvoir introduit donc dans sa critique
féministe une première rupture entre le (( biologique )) et le ((
social )) ; (( si le (( biologique )) et le (( social )) sont deux domaines
distincts, alors l'idée que les inégalités de pouvoir
entre hommes et femmes découlent des différences anatomiques ou
de la capacité des femmes à enfanter perd de son évidence
)). 1 Le concept de genre permet donc d'expliquer, et donc
d'étudier les mouvements féministes et critiques du genre. Car si
le (( biologique )) semble acquis, le (( social )) peut être
changé par le biais d'actions individuelles ou collectives. Les
mouvements féministes et critique du genre ne formulent pas tous les
mêmes critiques, certains luttent contre la hiérarchie des normes
de genre (féminisme radical a Amargi), d'autres vont plus loin et
remettent en question ces normes de genre en créant des alternatives, et
en refusant d'entrer dans une des catégories binaires de genre
(mouvement transgenre et Queer à Lambda). Si la rupture entre le ((
social )) et le (( naturel/biologique )) a servi de tremplin aux mouvements
féministes dans les années 70, il semblerait aujourd'hui que le
(( biologique )) ne soit en réalité pas non plus un (( acquis )),
et que le (( genre précède le sexe )). 2Ainsi le terme
(( sexe )) lui-même n'est pas facile a définir. Et ce que de
nombreux travaux scientifiques démontrent aujourd'hui c'est que le ((
sexe )) engloberait plusieurs éléments : les marqueurs
chromosomiques et hormonaux, la présence de gonades, des organes
génitaux internes et externes, mais aussi des caractéristiques
physiques secondaires (poitrine, pilosité..) et de capacités
particulières
1 Simone de BEAUVOIR, Le deuxième Sexe :
Partie 2 « Formation», Folio Essais
2 Laure BERENI, Sébastien CHAUVIN, Alexandre
JAUNAIT, Anne REVILLARD, Introduction aux Gender Studies : Manuel des
études sur le genre, Collections Ouvertures politiques,
édition de Boeck, (2008)
(porter des enfants, pénétrer un orifice...) Ce
ne serait pas « soit l'un soit l'autre mais un ensemble complexe de
caractéristiques » (Anne Fausto-Sterling dans Laure
Bereni3) Ainsi si nos corps sont sexués ce serait du fait de
nos perceptions normées, et du sens que nous donnons à nos corps
pour les rendre physiquement conformes au caractéristiques que nous
définissons comme étant du sexe féminin ou du sexe
masculin.
Le genre, les mobilisations critiques du genre, et le
contexte turc
Le genre en tant que construit social influe sur nos
perceptions, nos représentations, nos comportements et nos rôles
dans tous les domaines de nos vies. Encore trop peu reconnus dans les sciences
sociales, il est pourtant nécessaire de le prendre en compte autant que
le concept de « rapport de classe » en sociologie par exemple.
L'objectif de ce mémoire est triple, prouver que l'utilisation du genre
dans l'étude des mouvements sociaux est essentiel, qu'il l'est d'autant
plus dans l'études des mouvements féministes et critique du genre
(LGBT) afin de rendre compte au mieux de la spécificité de ces
mouvements, mais aussi dans l'étude politico-culturelle de la Turquie,
car le genre permet de rendre compte des hiérarchies sexuées
ancrées dans les schémas culturels. Ce travail est donc
basé sur trois aspects : le genre, en tant que catégorie
analytique, mais aussi en tant que revendication, les mouvements
féministes et LGBT, et le contexte politico-culturel turc. Avec le
concept de genre et la façon dont nos comportements, nos perceptions,
nos rôles sont normés par l'intériorisation de cette
division sociale en deux parties hiérarchique, le masculin dominant le
féminin, nous pouvons étudier les mouvements critiques de cette
division. Le genre apparaît dés lors comme l'outil analytique le
plus approprié pour l'étude des mouvements féministes et
LGBT, que nous qualifierons de « critique du genre », car lucides sur
la construction sociale de genre, les premières cherchent a s'en
émanciper, c'est-à-dire à pouvoir choisir de ne pas subir
la hiérarchie des rapports de genre, tandis que les seconds cherchent a
s'en défaire et a ne rentrer dans aucune logique de genre. L'outil du
genre permet donc d'étudier le contexte d'émergence de ces
mouvements, le contexte culturel turc étant complexe, à la fois
aspirant à la « modernité » européenne et
revendiquant à la fois ses traditions, sa culture, son unicité.
La situation des femmes y étant loin d'être satisfaisante, avec
des agressions physiques et sexuelles fréquentes notamment dans le cadre
de la vie conjugale. La société turque est empreinte de la
ségrégation hommes/femmes à tous les niveaux, et dans
toutes les sphères. La hiérarchie de genre du « masculin
» sur le « féminin » s'observe dans les
représentations populaires du féminin au travers des mythes
nationalistes, des interprétations vestimentaires islamiques, et du
projet politique de Kemal. Ceci fera l'objet de la deuxième section de
ce mémoire. Ces représentations populaires peuvent
s'avérer très utiles car elle reflètent la
société d'une part, et se traduisent
3 Laure BERENI, Sébastien CHAUVIN, Alexandre
JAUNAIT, Anne REVILLARD, Introduction aux Gender Studies : Manuel des
études sur le genre, Collections Ouvertures politiques,
édition de Boeck, (2008)
concrètement ensuite dans le rôle normé
des femmes et des hommes, ainsi que dans leurs manières de penser, dans
leurs émotions..Il est donc nécessaire d'étudier ce
contexte afin de pouvoir comprendre le cadre dans lequel émergent, puis
évoluent les mobilisations sociales critiques du genre.
Objet d'étude : Amargi et Lambda deux
organisations critiques du genre
Dans ce travail, nous nous intéressons à deux
organisations critiques du genre : Amargi et Lambda. Amargi est une
organisation féministe, que nous qualifierons de radicale, non pas dans
le sens de ces actions qui sont loin d'être extrémiste, mais dans
son projet politique, qui est de prendre conscience des normes de genre et de
s'en émanciper que ce soit dans la sphère privée ou
publique. Son projet peut donc être qualifié de radical dans le
sens oü il remet en question l'ordre social établi,
c'est-à-dire sur un rapport hiérarchique des normes de genre.
Amargi a donc un double objectif, le premier est la critique aux normes de
genre et son émancipation, c'est-à-dire le choix d'en faire ce
que l'on veut, et son deuxième objectif est plus pragmatique, celui de
lutter avec d'autres organisations de femmes et/ou féministes sur des
questions urgentes comme la violence domestique faîte aux femmes. Lambda
est une organisation pour la défense des droits LGBT (Lesbiennes Gays
Bisexuels et Transexuels). Lambda a aussi un double objectif, le premier de
défendre concrètement les LGBT et leurs droits dans un contexte
où les discriminations et les agressions à leurs égards
sont nombreuses. Le deuxième but de l'association est de, comme Amargi,
encourager les gens à prendre conscience des normes de genre, mais
à la différence des féministes, les militantes de Lambda
vont plus loin, car elles remettent en cause ces normes, en ne s'identifiant ni
à la catégorie du masculin, ni à la catégorie du
féminin, pour le mouvement transgenre, ou Queer. Les deux organisations
se rejoignent souvent, notamment dans l'organisation d'évènements
tels que la « Pride March » ou le Feministival. Si ces deux
organisations sont critiques des normes de genre, nous verrons dans une
troisième section qu'elles mobilisent des répertoires d'action et
des discours qui ont avoir avec l'identité sexuée des
participantes. Ayant dans le cadre de Lambda, pris parti de faire un travail
d'observations a partir des entretiens des militantes femmes et trans, et non
des hommes, (ce que j'ai regretté plus tard), ce travail porte donc
exclusivement sur les mobilisations de femmes. Il est donc abordé dans
la troisième section le fait que ces organisations ont, au de là
de leurs revendications critiques du genre, un répertoire d'action, une
structure organisationnelle, un rapport a l'engagement que nous pouvons
qualifier de « genré » car suivant une « logique
identitaire féminine », en rapport avec la construction identitaire
des participantes en fonction de leur « sexe féminin ~. Il n'est
donc pas si facile de se « libérer » des normes de genres
intériorisées. Nous aborderons aussi que, ces organisations
Lambda et Amargi jouent un rôle non négligeable dans la diffusion
de modèle alternatifs à « l'idéal féminin de
chasteté, de soumission, et de vertu » diffusé
majoritairement par la société turque. Et qu'en cela les
organisations Lambda et
Amargi ont un impact sur la construction sociale du genre au
présent et a l'avenir. L'objectif ici est bien de démontrer que
l'étude de genre dans les mobilisations sociales mixtes ou non mixtes
est nécessaire, et qu'elle rend d'autant plus compte de la
spécificité des mobilisations sociales de femmes et LGBT jusque
là plutôt invisibles ou rares dans les travaux d'étude des
mouvements sociaux. Nous commencerons donc d'abord ce travail en faisant un
point sur les théories des mouvements sociaux et leurs failles, ainsi
que ce que le genre comme outil analytique peut apporter à ces
études.
Plan du mémoire et
problématique
L'objet d'étude de ce mémoire est donc «Le
genre comme approche des mobilisations critiques du genre (féministes
radicale et LGBT) à Istanbul ~, cet objet s'articule autour de la
problématique suivante « En quoi l'utilisation de l'approche du
genre dans l'étude des mouvements sociaux est-elle nécessaire ?
Comment étudier les mobilisations de femme critiques du genre dans le
contexte particulier de la Turquie au travers le genre ? »
Ce travail va donc se développer en trois sections, la
première sur l'apport du genre dans l'étude des mobilisations
sociales, la deuxième section abordera la représentation du
Féminin dans la, religion, le nationalisme et l' idéologie
kémaliste, ces trois cadres culturels reflétant la
société turque, mais jouant un rôle en tant que
réflexif et de diffusion de l'image d'un « idéal de
féminin », influant de manière puissante la construction
sociale genré, et la hiérarchie du « masculin » sur le
« féminin » dans la société. Nous aborderons
aussi dans cette section en quoi la conjoncture économique et politique
des années 80 a pu jouer un rôle sur l'émergence de la
société civile, et donc en son sein des mouvements de femmes, et
féministes, et LGBT. (En Turquie, la distinction entre mouvement des
femmes et féministe est assez floue, « féministe »
comporte une connotation idéologique politique, alors que les mouvements
des femmes non, mais les deux luttent souvent ensemble pour des causes
pragmatiques comme la lutte des violences physiques et sexuelles faîtes
aux femmes). Et en troisième section, nous étudierons donc les
organisations Lambda et Amargi, leurs idéologies critiques des normes de
genre (transgenre, Queer, antipatriarcal), ainsi que leur mode d'action, leurs
structures organisationnelles, mais aussi le rapport des militantes à
leur engagement.
Méthodologie
En ce qui concerne la méthodologie pour ce travail, le
cadre théorique comporte à la fois des apports des
théories « classiques » des mouvements sociaux, mais aussi les
apports des études de genre, et des travaux sur la combinaison des deux,
c'est-à-dire l'étude des mouvements sociaux par le genre. Les
sources bibliographiques ont donc été des articles anglophones
sur le féminisme en Turquie, sur la situation des femmes, le contexte
culturel et politique, avec des articles de chercheurs et chercheuses turcs,
traduites en anglais, Sirin Tekeli, Nilüfer Gôle,
Yesim Arat, Ayse Saktanber...ainsi que l'appui des rapports de Human Rights
Watch, de l'ONU, ainsi que des sources plus théoriques en
français et en anglais sur les théories des mouvements sociaux
(Erik Neveu, Cécile Péchu, Olivier Filliuele, Gaxie), sur les
études de genre (Laure Bereni, Christine Guionnet, Judith Butler), et
sur les études des mouvements sociaux par la catégorie analytique
du genre (Olivier Fillieule, Verta Taylor, Judith Taylor, Mya Marx Ferree,
Guionnet, Kergoat, Cheryl Hercus, Jean-Gabriel Contamin, Laure Bereni). Je me
suis également appuyées sur une série d'entretiens, 5 en
Turquie, 3 a Lambda, deux à Amargi, et un entretien préparatoire
à Mix Cité à Rennes. Les entretiens se sont
déroulés en anglais sauf pour une militante en Turquie,
française d'origine, et pour l'entretien a Rennes. Les militantes
étaient âgées de 21 a 35 ans, d'ancienneté variable
(de 9 ans d'ancienneté a 1 an et demi). Tous les entretiens durent entre
40 minutes et une heure. Pour ma recherche, et en ce qui concerne la
troisième section du mémoire, sur les structures
organisationnelles, répertoire d'actions, rapport a l'engagement et
coûts et rétributions du militantisme, je me suis inspirée
de tous, essentiellement des entretiens en Turquie.
Limites du travail de recherche :
Les difficultés de ce travail de recherche sont
nombreuses. D'une part le fait que l'objet d'étude soit a
l'étranger, ce qui rend difficile l'appréhension du contexte
culturel. Les féministes turques ne sont pas les mêmes que les
françaises même si il y a des points de convergences, de part le
contexte politique, religieux, culturel, social, et économique qui n'est
pas le même, les causes de mobilisations sont donc différentes,
ainsi que les revendications. Et appréhender en un an tous les
paramètres d'un contexte aussi complexe et riche que la Turquie n'est
pas évident. D'autre part ne pas parler turc est une difficulté
supplémentaire, pour la recherche de sources écrites sur le
féminisme en Turquie, elles sont quasi inexistantes en Français,
et très rares en anglais. Les sources théoriques d'études
de genre dans les mobilisations sociales sont aussi en plus grand nombre en
anglais (Verta Taylor, Mya Marx Ferree, Cheryl Hercus) et sont donc non
traduites, la difficulté est alors de comprendre tous les concepts et
idées théoriques défendues en anglais, et de comprendre le
texte en profondeur. Mais aussi pour les entretiens, trouver des militantes qui
savent parler anglais et qui acceptent de faire l'entretien en anglais n'est
pas simple, et ce dernier est peut être moins « profond )) que si il
se déroulait en langue maternelle, pour l'interviewée comme pour
l'intervieweuse. Nous pouvons d'ailleurs l'observer aisément avec le
fait que les entretiens en français sont beaucoup plus longs (environ 10
pages, alors que plutôt 5, 6 pages pour les entretiens en anglais).
L'observation des activités militantes se retrouve aussi nettement
amoindrie, les meetings, réunions, divers évènements,
ainsi que les slogans des manifestations étant en turc. D'autre part
être une chercheuse étrangère rend plus difficile
l'intégration au sein des organisations féministes, et à
acquérir la confiance des militantes, qui avaient du mal à me
prendre
au sérieux et a m'accorder un entretien. Elles avaient
peur d'être jugées par une « occidentale ». Pour
acquérir leur confiance j'ai du mentir et dire que je faisais
moimême parti d'une organisation féministe et/ou LGBT en France,
ainsi que participer à certains de leurs ateliers. D'autre part, le fait
d'étudier une mobilisation féminine et de l'étudier au
travers du genre, peut être dangereux, car il faut toujours tenter
d'être le plus objectif possible, étant moi-même du genre
féminin. Mes propres questions furent d'ailleurs inconsciemment
genrées, puisque je m'intéressais davantage au ressenti des
militantes, et à leurs vécus. Ce qui a pu peut être
orienté ce travail de recherche. Néanmoins je me suis
efforcée tout au long de ce travail de recherche de faire attention a la
neutralité axiologique, et j'espère y être parvenue. De
plus le travail sur le genre peut s'avérer difficile et flou puisque
novateur, ou au contraire on peut avoir tendance à trop facilement
appliquer des « évidences », telles que « les femmes
agissent suivant une logique féminine, et les hommes selon une logique
de la masculinité ~, or il y a des femmes qui n'agissent pas
forcément selon « la logique féminine ~. C'est aussi
l'intérêt d'un travail sur un mouvement LGBT : regarder si des
mobilisations autres que suivant une logique féminine ou masculine sont
possibles. Au final malgré ces difficultés, faire un travail de
recherche sur un objet d'étude a l'étranger renforce l'immersion
dans la culture turque et s'avère particulièrement enrichissant,
d'autres part les recherches en anglais furent tout autant
intéressantes, car pouvant apporter un point de vue, ou une perspective
différente aux travaux français.
Espérant que les triples objectifs de ce mémoire
seront atteints, c'est-à-dire dans la démonstration de l'outils
de genre en tant que nécessaire dans l'étude des mouvements
sociaux, particulièrement les mobilisations de femmes et LGBT jusque
là oubliés des études de mouvements sociaux, et qui sans
le genre n'auraient pu être étudiés de manière
satisfaisante, et enfin dans la démonstration de l'utilité de
l'outils de genre dans l'étude d'un contexte, politique, culturel,
social, historique et religieux de la Turquie, contexte dans lequel les
catégories hiérarchiques de genre se retrouvent sans cesse.
Contexte permettant aussi d'expliquer les causes des mobilisations critiques
des normes de genre.
Section 1 : LE GENRE DANS LA RECHERCHE EN SCIENCE
SOCIALE
I) Pourquoi utiliser l'analyse par le genre dans
l'étude des mobilisations sociales ?
A) Théories traditionnelles des mobilisations
sociales et critiques
Qu'est ce qu'un mouvement social ?
On définit traditionnellement un mouvement social comme
une action collective en faveur d'une cause matérielle ou
immatérielle et visant a transformer l'ordre social existant. Le
mouvement des femmes en Turquie, peut être considéré comme
rejoignant plus globalement le mouvement féministe international
même si le contexte et les revendications sont parfois différents.
Les mouvements des femmes et/ ou féministes en Turquie ont un double
objectifs améliorer le droit des femmes, notamment l'accès au
travail, et réduire l'impunité des violences faites aux femmes
notamment domestiques. Mais aussi dans le changement des mentalités et
dans la modification des rapports entre les deux sexes, en vue d'atteindre
l'égalité totale entre les hommes et les femmes, sans domination
des uns sur les autres. Le projet est donc bien une transformation en
profondeur de la société, les mouvements féministes, et/ou
de femmes sont donc bien des mouvements sociaux. Il apparaît donc logique
d'étudier des mouvements féministes avec l'appui des
études théoriques des mouvements sociaux.
Mais « Un mouvement social c'est aussi d'abord, une
mobilisations de femmes et d'hommes, autour d'espoirs, d'émotions, et
d'intérêts. C'est aussi une occasion privilégiée de
mettre en discussion des enjeux sociaux » selon Eric Neveu4.
Dans cette définition donnée par Eric Neveu, le plus important
est dit. Un mouvement social c'est aussi «des espoirs, des
émotions, des intérêts » semble t-il souligner en
rapport avec les théories classiques du mouvement social qui semblaient
oublier cette dimension.
Il est utile de reprendre ici brièvement les
théories du mouvement social, leurs points forts, leurs faiblesses,
et ensuite en quoi le genre peut être une catégorie
analytique indispensable dans la compréhension des émergences,
des développements des
4 Erik NEVEU, Sociologie des Mouvements
sociaux, Collection Repères, La Découverte
mouvements sociaux, de leurs structures organisationnelles mais
aussi du point de vue des vécus et des expériences des militants
et militantes.
Les théories du comportement collectif &
l'apport du concept de « frustration »
Les premières théories sont les théories
du comportement collectif. Elles émergent pendant l'entre deux guerres,
avec l'Ecole de Chicago et Park et Blumer, et donnent particulièrement
d'importance au comportement collectif. Des chercheurs comme Smelser,
fonctionnaliste, et d'autres plus proches des psychosociologies comme Gurr,
contribuent à ces travaux. La psychologie des foules de LeBon est
remplacée par une logique de convergence, la naissance des comportements
collectifs vient de la synchronisation entre les croyances et les frustrations
des individus. Gurr invente la notion de « frustration relative »,
les individus espèrent quelque chose en fonction de leur perception de
leur statut social, qu'ils considèrent en dessous de ce qu'ils estiment
être en droit d'attendre. Cette théorie peut être
critiquée car si les mobilisations émergent la plupart du temps
à cause de frustrations, il est difficile d'évaluer une
frustration, et il serait dangereux de prouver qu'il y a frustration parce
qu'il y a mobilisation.
Dans les années 1970, surgit le Paradoxe d'Olson. Olson
donc souligne le fait que si plusieurs membres souhaitent la même
finalité, selon les rationalités individuelles de chacun, il peut
y avoir action collective ou non. Il va donc apporter les approches de la
rationalité individuelles, qui seront reprises plus tard dans les
années 80 avec les théories de l'Action rationnelle, oü la
tendance est d'appliquer le modèle de l'Homo Oeconmicus à tous
les faits sociaux. C'est-à-dire que tout individu serait rationnel et
serait pousser dans toute action par un calcul coûts/avantages. Le risque
de ces théories est qu'il y est un écart entre théories
« objectives » et les motivations subjectives des agents sociaux.
Les théories des mobilisations des
ressources & la focale sur les structures
organisationnelles
Dans les années 70, émergent les théories
des mobilisations ressources, gagnant ensuite leurs essors dans les
années 80. Les auteurs sont Obershall, Gamson, Tilly, McCarthy et Zald.
Au lieu de se demander pourquoi les groupes se mobilisent ils se demandent
comment les mobilisations émergent, se développent et
s'organisent. Ils s'intéressent donc surtout aux organisations, et
notamment a leur rapport avec le politique et l'Etat. Mac Carthy et Zald
analysent les organisations de mobilisations comme des entreprises, « des
structures d'offre répondant a des préférences diffuses
sur le marché ». Au sein des membres actifs ils distingueraient les
« bénéficiaires potentiels ~ censés tirés un
bénéfice personnel de l'action collective et les « militants
moraux ~ qui agirait dans l'action collectif sans espérer en tirer
parti. Mais les théories
ne disent pas pourquoi les « militants moraux ~
s'engageraient si ce n'est pas par bénéfice personnel. Oberschall
insiste sur les notions de structurations sociales, et sur les réseaux
de sociabilité dans l'émergence des actions collectives.
Les théories des NMS, et les
théories identitaires ou le rapprochement avec les
militants
Les théories les plus récentes sont les
théories des nouveaux mouvements sociaux (NMS) qui sont assez
controversées. Elles éclairent le fait que dans les années
60-70, de nouveaux types de mouvements sociaux auraient émergés
et qu'ils témoigneraient d'un changement de la société
devenue postindustrielle. Les besoins économiques et vitaux des
individus seraient comblés, de nouveaux types de revendications
apparaitraient. Les NMS seraient identifiables aux formes d'organisations et
aux répertoires d'actions. Les structures y seraient
décentralisées, de type autonome, Les types d'action seraient
nouveaux, peu institutionnels voire ludiques. Les revendications aussi ne
seraient les mêmes, elles mettraient l'accent sur la résistance au
contrôle social, et sur l'affirmation de styles de vie ou
d'identités. Le rapport au politique change lui aussi, il s'agit de
construire des espaces d'autonomies contre lui. Et enfin les identités
des acteurs n'est plus seulement fondés sur les rapports de classe, mais
sur d'autres principes identitaires. Les NMS seraient critiqués car
certains traits seraient déjà dans les « anciens »
mouvements entre autres. Ils ont néanmoins le mérite de prendre
ses distances avec l'objectivisme des théories plus anciennes, et de
réhabiliter les valeurs, les identités et les émotions des
militants.
Enfin Gaxie, dans les années 80, est l'un des premiers
a esquisser une théorie des pratiques militantes, qui étudie les
coûts et rétributions de l'engagement des militants. Il parle
notamment de dimension d'intégration sociale, d'émotions et de
convivialité qui sont des aspects attractifs de l'engagement militant.
Il développe aussi le concept de « l'effet
surrégénérateur », repris par Hirschman « le
bénéfice individuel de l'action collective n'est pas la
différence entre le résultat qu'espère le militant et
l'effort fourni, mais la somme de ces deux grandeurs ».
Conclusion, critiques & apports
Après ce rapide aperçu des théories des
mouvements sociaux, qui ont apporté des nouveautés
significatives, mais qui ont aussi leurs failles.
Les théories comportementales collectives nous ont
apporté le concept de frustration utile pour comprendre
l'émergence des mobilisations. Les théories des mobilisations des
ressources l'analyse des organisations, le regard sur le « comment »
ces agents sociaux se mobilisent-ils. Néanmoins le trop grand
objectivisme de ces théories peut être critiquable, et la grande
distance avec le vécu des agents sociaux acteurs de l'action collective
aussi. Les NMS nous ont apporté des concepts tels que la logique
identitaire différente des rapports de classe sur lesquels se fondent
les actions
collectives, et le rapprochement avec les acteurs. Les
théories de Gaxie sont intéressante du point de vue de la prise
en compte de la subjectivité des vécus militants, et donc des
économies de coûts et de rétributions qui rentre en jeu
dans la manière d'entrer, de s'investir dans le militantisme.
Après avoir passé brièvement en revue les
théories classiques des mouvements sociaux, nous allons maintenant jeter
un coup d'oeil aux quelques auteurs introduisant la catégorie analytique
du genre dans les mouvements sociaux, afin de comprendre de quelle
manière le genre peut-il apporter quelque chose dans la
compréhension des mouvements sociaux.
B) Nouveaux apports théoriques du genre dans
l'étude des mouvements sociaux
Ce travail de recherche est basé sur un premier
constat, celui que les différentes théories des mouvements
sociaux jusqu'à aujourd'hui ne prennent pas en compte le genre dans
leurs théories.
Qu'est ce que le Genre ?
La Commission générale de terminologie et de
néologie en aurait rejeté l'usage en 2005. Pourtant de nombreux
chercheurs et académiciens continuent a l'utiliser. Qu'est ce que le
genre, et quel est son utilité dans les travaux scientifiques de
recherche en sciences sociales comme dans d'autres domaines ? Au sens le plus
général, le genre est la construction sociale de la
différence des sexes5. On distingue du genre, le sexe qui par
opposition au genre, est biologique, physiologique. Par le sexe on distingue
des hommes et des femmes dotés d'appareils génitaux masculins ou
féminins. L'emploi du terme « genre » permet de souligner le
caractère social des comportements et des significations
associées à la différence des sexes voire à cette
différence elle-même6. Le terme genre nous permet de
différencier le sexe biologique ou « naturel » et le sexe
social ou « genre ».
L'objectif des études de genre est donc de chercher a
comprendre comment le social transforme le sexe en genre, qu'est ce qui dans
le processus de construction sociale
5 Anne Revillard et Laure de Verdalle, « Les
Dynamiques du genre », ENS Cachan | Terrains & travaux. 2006/1 -
n° 10 pages 3 à 17
6 Laqueur, 1992, dans « Les dynamiques du genre
», ENS Cachan | Terrains & travaux. 2006/1 - n° 10 pages
3 à 17
fait que nous agissons de telles ou telles manières si
nous sommes nées fille ou garçon ? Quels rôles sociaux
incarnons-nous de part notre identité de genre ? Depuis la petite
enfance avec l'éducation différente que nous avons reçue
de part notre famille ou a l'école nous poussant a aller plutôt
vers tels ou tels jouets, ou à nous comporter de telles ou telles
manières selon notre sexe, jusqu'au monde du travail, oü il existe
indéniablement une division nette des tâches, des salaires, et des
places hiérarchiques, en passant par la sphère privée et
le vie conjugale où la encore une division genrée des rôles
est très souvent présente... La division de genre est
omniprésente dans toutes les sphères de nos vies.
Il convient cependant de ne pas penser le genre qu'à
partir de cette opposition binaire féminin/masculin, et d'étudier
la construction du genre tout en étant attentif à la
déconnection entre construction de la féminité et de la
masculinité qui reste dans une certaine mesure relativement
indépendante des sexes biologiques. (En particulier chez les
Transgenres, intersexes par exemple).
Les relations de genre ne seraient pas seulement
présentes dans les dimensions de la construction sociale,
c'est-à-dire les comportements, les statuts, les gouts, les
rôles... Mais elles sont aussi dans les symboles, les valeurs, les
émotions rattachés au féminin et au masculin. Les cadres
symboliques rendant les oppositions féminin/masculins (( naturelles ))
ou allant de soi sont très puissants et très anciens. Ainsi
depuis (il semblerait) presque toujours et dans de nombreuses
sociétés cette dichotomie fondée sur le biologique existe
et est largement répandue. Le féminin serait associé dans
de nombreuses cultures à la (( Nature ~, a la reproduction, et soins de
l'enfant. Alors que le masculin lui est associé à la (( Culture
)) et aux tâches intellectuelles et physiques relevant de la
sphère extérieure au privé. Un des arguments les plus
fréquents est de dire que la nature détermine la culture. La
femme serait physiquement plus faible que l'homme et aurait un cerveau plus
petit, c'est pourquoi naturellement elle serait destinée à des
tâches différentes que celles des hommes. Cet argument est
scientifiquement contesté. La division des tâches relève
donc plus d'une division politique et de pouvoir que d'une division
biologique7.
En effet il existe intrinsèquement au genre un rapport
de pouvoir, que l'on peut définir selon une hiérarchie, selon
laquelle les hommes dominent les femmes, et en termes de normes selon
lesquelles le social accorde plus d'importance aux valeurs et significations
liées au masculin plutôt qu'au féminin8.
(Article (( dynamiques de
7 Christine GUIONNET et Erik NEVEU, (2009)
Féminins/Masculins: Sociologie du Genre, Collection U, Edition
Armand Colin
8 Anne REVILLARD et Laure de VERDALLE, (( Les
Dynamiques du genre » ENS Cachan | Terrains & travaux. 2006/1 -
n° 10 pages 3 à 17
genre »). Ce sont les théories féministes
qui ont les premières mis à jour cet aspect relationnel de
pouvoir lié au genre. Entre autres Christine Delphy a
conceptualisé le terme de patriarcat, et Colette Guillaumin les concepts
de (( sexages » et (( d'appropriation », en France. Aux Etats-Unis,
l'une des précurseurs Judith Butler, dont les écrits ont servis a
l'émergence de la mouvance « Queer », démontre que
chaque individu quelque soit son sexe subit une pression sociale à se
conformer à une norme de genre, et qu'en cas de transgression il y
aurait une sanction sociale. La mouvance (( Queer ~ s'emploi donc a analyser
les normes de genre et l'hétérosexualité et à
travailler à leur déconstruction et à leur remise en
question. Cette remise en question des normes de genre et de sexualité
laissent aussi une place plus grande à des mobilisations jusque
là invisible dans les travaux scientifiques de sciences sociales comme
les mobilisations LGBT (Lesbiennes Gay Bisexuel et Trans).
Les études de genre ont été d'abord plus
précoces et plus fructueuses dans les pays anglophones et notamment aux
Etats-Unis et au Canada. Elles furent, et elles continuent à être
dans ces pays fortement reliées au militantisme féministe, sans
lequel ce courant n'aurait surement jamais vu le jour. Néanmoins cette
association chercheur/militant peut être vue comme dangereuse, et serait
une des causes au refroidissement de la France et des pays d'Europe envers ce
type d'étude et d'analyse. De plus ce type d'étude reste peut
être encore trop centré sur l'étude des femmes et du
féminin, alors que l'étude du masculin est tout autant
intéressant, et le risque serait de désintéresser une
certaine partie de la population a ce type d'étude, qui par ailleurs
devrait pouvoir concerner tout le monde9. Néanmoins
l'étude du genre devient de plus en plus florissante et reconnue en
France, comme en témoigne la multiplication récente des
publications sur le sujet, et les ouvertures de chairs universitaires dans ce
domaine. Les travaux sur le genre sont diverses et variés et
transcendent toutes les domaines de recherches ; Histoire, Philosophie, Science
politique, Psychologie, Sociologie, Littérature... Et toutes les
sphères, celles du privé, de la vie conjugale, de la
sexualité, de la famille, comme celles du publique ; sphère du
travail, de l'espace publique. Et tous les champs ; politiques,
économique, et sociaux...
Pourquoi inclure le genre dans l'étude des
mouvements sociaux ? Verta Taylor et les structures d'opportunités
genrées
Selon Verta Taylor, Mya Marx Ferree, Judith Taylor, Jean
Gabriel Contamin, Olivier Fillieule, Danièle Kergoat, entre autres, les
chercheurs en sciences politiques et en sociologie auraient jusqu'à
présent rarement envisager le genre en tant que catégorie
analytique dans l'émergence et développement des mouvements
sociaux. Ces chercheurs avant-gardistes dans le domaine du genre et des
mobilisations sociales
9 Christine GUIONNET et Erik NEVEU, (2009)
Féminins/Masculins: Sociologie du Genre, Collection U, Edition Armand
Colin
commencent par remettre en question les théories des
mouvements. Les seuls travaux selon Verta Taylor qui auraient observé
que le mouvement social serait traverser par des dynamiques de genre sont peu
connus et peu reconnus (Fantasia 1998, Gamson1997, Mc Adam 1992, Neuhausen
1995)10. Selon elle cela contrasterait avec la croissance des
travaux fructueux sur le genre dans tous les autres domaines confondus.
Malgré tout un groupe de chercheuses féministes aux Etats-Unis
ont fait des travaux dans ce domaine, et ont pu prouver que le « genre
était un des facteurs clé explicatifs dans l'émergence, de
la nature et des résultats de tous les mouvements sociaux, ceux qui
n'évoquent pas intrinsèquement le conflit de genre comme ceux qui
revendiquent son changement ». 11 Verta Taylor fait partie de
ce groupe avec entre autres Marx Ferree, Whittier, Blee, Robnett... Elle fait
notamment de nombreuses recherches sur les groupes de soutien de femmes en
dépression post-partum (après l'accouchement d'un enfant). Selon
elle ces groupes de soutien sont de véritables groupes d'action
collectives s'incérant dans le mouvement plus large du féminisme
et tentant de lutter contre les images, les rôles, et les comportements
de la « mère idéale nurturante », c'est-à-dire
de la mère seule responsable des soins et de l'affection dont l'enfant a
besoin. Ainsi toute la pression de l'éducation et des soins affectifs de
l'enfant reposerait seulement sur les épaules de la mère, ce qui
expliquerait en grande partie les dépressions post-partum de ces
dernières. Les groupes de soutien luttent aussi pour une meilleure
connaissance de la maladie, qui est très peu reconnue notamment dans le
champ médical. En effet il y aurait une réticence culturelle
à envisager la naissance d'un enfant autrement que dans le bonheur.
Selon Verta Taylor, les champs culturels et médicaux fortement
genrés, qui diffusent et renvoie ce type d'image de la femme sont autant
de structures d'opportunités pour des mobilisations de femmes.
Fillieule, Contamin, et Judith Taylor : les
structures organisationnelles et expressives genrées
Olivier Fillieule 12 pense lui aussi que le genre
est peu pris en compte dans l'étude des mobilisations sociales.
Même si de plus en plus de travaux apparaissent sur le sujet et notamment
en France. La sociologie des rapports de genre ne serait pas aussi
naturellement considérée que celle des rapports de classe. En
France, les chercheurs s'intéresseraient surtout a la place des femmes
dans les grèves mixtes, en étudiants les rapports sociaux de
sexe. Dans ses recherches il utilise le genre pour expliquer les
10 Verta TAYLOR, «Gender and Social Movements:
Gender Processes in Women's Self Help Movements », Gender and
Society, Vol 13, N°1,(1999), p8-33
11Verta TAYLOR, Ibid
12 Olivier FILLIEULE, Le Sexe du
Militantisme, Collection Sociétés en Mouvement, Edition
Science Po Les Presses, (2009)
notions de frustrations, d'opportunités politiques, de
cadres dominants, mais aussi les structures organisationnelles, avec la
perspective ou non du leadership androcentré, l'éventuelle
division du travail militant, et enfin les coûts et rétributions
de l'engagement. Utiliser le genre nécessiterait une redéfinition
des frontières du militantisme et faire le rejet des découpages
habituels. Il serait intéressant d'envisager d'autres sphères que
celles de l'Etat et des élites, comme la communauté, la famille,
les réseaux, la parenté, lesquelles seraient assignées aux
femmes et donc plus particulièrement investis par ces
dernières13. Ce serait donc aussi rendre visible des
mobilisations qui sont habituellement mises de côté.
Chercheuse aux Etats-Unis, Judith Taylor, elle aussi fait
partie de ce petit groupe de chercheurs qui étudie les mobilisations
sociales par le biais de la catégorie analytique du genre. Elle cherche
à mettre en évidence (notamment dans sa recherche sur les
mobilisations pour le droit a l'avortement en Irlande) 14 que les
modèles traditionnels nous limite dans la compréhension du
mouvement. Elle critique le fait que en politique, comme en sciences sociales
il est souvent utilisé des termes « neutres », voire un
vocabulaire de type « militaire », avec des notions de
stratégies, de tactiques d'antagonistes/protagonistes (ces deux derniers
concepts étant développés par Doug McAdam, David Snow, et
Gamson). Gamson et Mc Adam se focalisent très fortement sur la dynamique
entre le mouvement et le gouvernement. Dans sa recherche en Irlande, elle
compare les interventions de femmes et d'hommes qui sont féministes et
qui sont dans le mouvement pour le droit a l'avortement lors des meetings.
Durant ces interventions donc, les femmes exprimeraient plus leurs
émotions, leurs ressentis, leurs expériences personnelles. Ils
utilisent donc les meetings comme des lieux de paroles et de partages
d'expériences. Tandis que les hommes parlent de logiques d'action
collective et tentent d'organiser la prochaine action collective de
manière stratégique. Elle observe aussi l'irritation de certaines
militantes quant a la façon dont les hommes avaient d'emblée
monopoliser les discussions et leurs empressements a diriger chants et slogans
et a conduire la manifestation. Dans l'organisation aussi, elle note que les
militantes femmes préfèrent la prise de décision par
consensus, c'est-àdire prises par petits groupes de paroles, car plus
intimes. Les militants hommes en revanche préfèrent la prise de
décisions par vote car ils le considèrent comme plus
démocratiques.
13 Olivier FILLIEULE, Le Sexe du
Militantisme, Collection Sociétés en Mouvement, Edition
Science Po Les Presses, (2009)
14 Judith TAYLOR «Les tactiques féministes
confrontées aux «tirs amis» dans les mouvements des femmes en
Irlande», Politix Volume 20 n°78/2007, p65-86
Un autre chercheur français, Jean Gabriel Contamin, qui
a fait une étude sur la pétition contre la loi
Debré15, estime lui aussi que la prise en compte du genre est
indispensable dans l'étude des actions collectives, quand bien
même cette action est jugée neutre aux premiers abords. En effet,
pour la pétition contre la loi Debré, il y avait autant de
participants hommes que femmes. Il y observe des différences
genrées dans les expressions des pétitionnaires. Dans les
témoignages, les femmes feraient preuve d'empathie, elles
n'hésiteraient pas a exprimer leurs émotions, et elles se
positionneraient avant tout comme des mères de familles (pour une
majorité). Alors que les hommes (là encore des exceptions
existent) se positionnent d'abord contre une politique, et s'expriment de
manière plus « froide )). Il dénonce « une
définition restrictive du domaine politique qui le réduit aux
activités les plus institutionnelles et les moins ouvertes aux femmes,
un vocabulaire « non genré )) qui masque qui fait quoi, et qui
renforce implicitement l'impression qu'organisateurs, dirigeants, et militants
ne sont jamais des « organisatrices )), des « dirigeantes )) ou des
« militantes )) ; la tendance à présenter les modes de
participation politique des femmes comme des comportements en marge de la
politique, relevant des « pratiques morales )) plutôt que des luttes
« politiques )) )).16
Mya Marx Ferree et Joan Acker : l' «
éthique masculine de la rationalité et de la froideur
»
Joan Acker écrit un article en 1990 sur l'étude
féministe des organisations. Elle observe que les organisations
s'appuient sur une « éthique masculine de la rationalité )).
Les organisations récompenseraient en effet des comportements au travail
de type masculin comme « la capacité d'abstraction et de
planification, la mise de côté des dimensions
émotionnelles, et une forme de supériorité cognitive dans
la résolution des problèmes et la prise de décision. ))
17 En résumé, non seulement il y aurait une
hiérarchie entre ce que l'organisation pense être une «
éthique masculine )) et une « éthique féminine ~.
Mais l'organisation exercerait une pression sur l'individu femme ou homme pour
qu'il se conforme a cette éthique selon son sexe ou non. Ainsi les
hommes devraient masquer toute émotion et faire preuve de
capacités intellectuelles et rationnelles. Alors que les femmes devant
elles aussi se conformer à ce que l'organisation attend d'elles, doivent
faire preuve de capacités de soutien, d'empathie, de
négociations, et d'écoute. Dans certaines organisations, il leur
sera demandé également des « compétences
esthétiques )). Danièle Kergoat, dans son livre « Les
15 Jean Gabriel CONTAMIN, « Genre et modes
d'entrées dans l'Action collective : l'exemple du mouvement
pétitionnaire de la loi Debré )), Politix
N°78/2007, p 13-37
16 Ibid
17 Joan Acker dans Christine GUIONNET et Erik NEVEU,
(2009) Féminins/Masculins: Sociologie du Genre, Collection U,
Edition Armand Colin
Infirmières et leur Coordination»,
18dénonce aussi le fait que les infirmières sont sous
payées, parce que le corps médical et l'Etat attendent d'elles
des qualités considérées comme « naturelles ~,
d'aide, d'écoute, d'empathie, qu'ils ne considèrent pas comme des
qualifications. Se plier a l'éthique masculine ou féminine que
l'organisation attend de nous demande souvent un véritable travail sur
soi même, de self-control, pour les hommes comme pour les femmes.
Mya Marx Ferree et D.A Merril dénoncent elles
l'invisibilisation de l'émotion dans les mouvements
sociaux19. Selon elles la sociologie des mobilisations est
construite autour de l'idée que le comportement politique, tout comme
celui du chercheur doit être « rationnel », «
dénué d'émotions, de passions, et de sentiments ».
Alors que les mobilisations seraient tout sauf froides, mais au contraire
« pleines d'émotions, de passions, et de valeurs ». Là
aussi le masculin serait rattaché au « non émotionnel,
calculateur, égoïste, dominateur, et hiérarchique ~, le
passionnel et l'émotionnel seraient réservés au
féminin, mais comme ces deux aspects ne sont pas étudiés,
il y aurait bien selon elles une hiérarchie de genre au sein des
recherches en sciences sociales.
Des points qu'il reste a
soulever....
Verta Taylor souligne le danger de trop insister sur les
pratiques organisationnelles genrées, car cela renforcerait, ou
maintiendrait les inégalités de genre. Elle préconise
l'utilité aussi de travailler sur des phénomènes de
résistance aux normes de genre. Comme lorsque des mobilisations de
femmes développent des alternatives aux normes genrées,
alternative de l'image de la femme par exemple, ou sur le travail
émotionnel qui est fait au sein de l'organisation. Verta Taylor insiste
aussi sur le fait qu'analyser les mobilisations sociales par le biais du genre
c'est bien, mais il ne faut pas oublier l'impact des mobilisations sociales sur
la construction sociale du genre. En effet de part les mobilisations de femmes,
qui font un véritable travail de « développement des
consciences » sur les normes de genre, et qui de part leur croissance et
leur impact pourrait bien influer sur les normes dans le présent comme
à l'avenir.
Vers une méthodologie
personnelle...
Dans cette section théorique, nous avons fait un rapide
« état des lieux » des théories des mouvements
sociaux, puis nous avons vu que l'apport du genre dans ces théories
18 Danièle KERGOAT, Françoise
IMBERT, Hélène Le DOARE et Danièle SENOTIER, Les
infirmières et leur Coordination, Ouvrage recensé par
Colette Gendron, Recherches Féministes, Vol 6,n°2, (1993),
p171-175
19 Mya Marx FERREE et D.A MERRIL, «Cold
Cognition: Thinking about Social Movements in Gendered Frames»,
Contemporary Sociology, Vol 29, n°3, (2000), p454-462
était nécessaire. Afin d'étudier
l'émergence des organisations féministes et LGBT (Lambda et
Amargi), et afin de rendre au mieux de leur spécificité, l'outil
analytique du genre sera donc utiliser dans cette recherche, tout en combinant
des apports non négligeables des théories « classiques
» des mouvements sociaux. Au début de ce travail de recherche,
certains traits ; l'émotion, l'expérience personnelle, la
convivialité, et l'objectif de s'émanciper soi se
démarquèrent plus particulièrement, prouvant ainsi que les
théories classiques des mouvements sociaux de pouvaient être
suffisant dans le cadre de cette étude. C'est pourquoi les travaux de
Verta Taylor et d'autres20 cherchant à inclure le genre dans
leurs recherches, ont particulièrement servi dans le cadre
théorique de ce travail.
Dans ces recherches, il sera donc étudié les
structures organisationnelles, les répertoires d'action au travers du
genre, mais aussi décrypté des témoignages des militantes
lors des entretiens, et la recherche de leurs intérêts à se
mobiliser dans cette cause. Les coûts et rétributions des
militantes ne sont pas les mêmes que ceux des militants hommes. Il est
donc intéressant d'avoir un regard analytique sur les autres
sphères de la vie des militantes, aspect souvent banni dans les
recherches « classiques » des mouvements sociaux. Cette observation
ne se basant que sur les mobilisations de femmes, l'appui sur d'autres
recherches de rapport de genre dans les groupes de mobilisations mixtes, ou
masculins, afin d'établir une comparaison mais surtout afin de
définir si il y a effectivement une logique d'action féminine,
peut être utile.
Le contexte politico-culturel sera aussi étudié
au travers du rapport social de genre, car jouant un rôle puissant dans
l'émergence des mouvements sociaux, générant des
frustrations et des donc des opportunités de mobilisation. La Turquie
est en effet un contexte politico-culturel où la hiérarchie des
normes de genre entre le « féminin » et le « masculin
» est particulièrement forte et prégnante, et dont les
cadres très puissants influent dans toutes les sphères de la vie
d'une femme. (Famille, vie conjugale, travail, vie sociale, espace
publique).
Enfin, selon ce que disait Verta Taylor21, il est
important de s'interroger aussi sur l'influence du mouvement social sur la
construction sociale du genre, et observer éventuellement des
changements à ce niveau. Amargi et Lambda sont des organisations
nationalement connues, revendiquant la prise de conscience des normes
20 Olivier FILLIEULE, Verta TAYLOR, Judith TAYLOR, Mya
Marx FERREE, Christine GUIONNET, Danièle KERGOAT, Cheryl HERCUS,
Jean-Gabriel CONTAMIN, Laure BERENI
21 Verta TAYLOR, «Gender and Social Movements:
Gender Processes in Women's Self Help Movements », Gender and
Society, Vol 13, N°1,(1999), p8-33
genrées des femmes et des hommes, et le fait de s'en
émanciper (pour les féministes d'Amargi), ou de s'en
défaire (pour les Queer et transgenres de Lambda). On peut donc
légitimement se poser la question de l'impact de ses actions dans le
champ social, bien que cela semble difficile à évaluer.
Enfin, il semble intéressant de noter aussi le paradoxe
des militantes féministes et LGBT qui revendiquent l'émancipation
des normes de genre, mais qui de manière inconsciente(ou non)
réutilisent dans leurs actions, et leurs organisations des logiques
identitaires genrées ayant à voir avec leurs identité
sexuées. Mais comment pourrait-il en être autrement ?
Section 2 : APPREHENDER LE CONTEXTE TURC PAR LE
GENRE
I) La femme et l'imaginaire collectif turc : les
représentations du « féminin » dans les mythes
nationalistes, les interprétations islamiques, et le projet
kémaliste de modernisation
A) Les mythes nationalistes de la femme en Turquie : de la
personnification de la Terre a l'objectivation des femmes
Pour comprendre l'étude des mobilisations
féministes et LGBT, en tant que mobilisations subversives aux normes de
genre, il est important d'étudier comment naissent ces ancrages culturel
de ségrégation des sexes dans la société turque
mais aussi dans l'imaginaire collectif. Selon l'UNESCO la culture est «
Dans son sens le plus large, la culture peut aujourd'hui
être considérée comme l'ensemble des traits
distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels
et affectifs, qui caractérisent une sociétéou un groupe
social. Elle englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie,
les
droits fondamentaux de l'être humain, les
systèmes de valeurs, les traditions et les croyances. » Dans
cette partie je souhaite étudier la représentation de la femme
dans certains traits constitutifs de la culture turque, ou du moins de son
contexte culturel, le nationalisme, qui est prégnant en Turquie depuis
le projet kémaliste de 1923, l'Islam, car religion majoritaire en
Turquie, et le projet kémaliste qui est encore actuel, comme nous
pouvons le voir de part les nombreux portraits d'Atatürk qui jalonnent le
paysage. La représentation ainsi que les symboliques de la femme
diffusées par ces trois traits culturels en Turquie, traits plus ou
moins récents, ont des répercussions fondamentales sur
l'oppression quotidienne des femmes turques. L'étude de genre de ces
cadres culturels s'impose donc, car elle permet de comprendre l'oppression des
femmes et donc l'émergence des mobilisations féminines.
Qu'est ce que le nationalisme en Turquie ? Le nationalisme
débute a la fin de l'empire ottoman, puis se développe avec le
fondement de l République de Kemal en 1923. Le nationalisme permet de
souder un peuple face a l'extérieur, de créer de la
cohésion nationale. Tout le projet de modernisation de la Turquie de
Kemal se fonde sur cette idéologie. Nous n'allons pas ici nous
intéressée a l'idéologie nationaliste
développée par Kémal, mais a la symbolique de genre qu'il
y a dans les poèmes et chansons nationalistes. Nous l'avons vu, le
nationalisme est prégnant en Turquie, il faut donc comprendre les
symboliques féminines des chansons et poèmes nationalistes comme
les révélateurs de traits culturels turc, ces traits culturels
n'étant pas immuables, ni fixés et pouvant évoluer.
La Métaphore nationaliste de la Terre en
« Bien-aimée » et en mère
Dans de nombreux poèmes nationalistes turcs, mais aussi
iraniens, palestiniens... Nous pouvons retrouvons la personnification de la
Terre. Dans les poèmes iranien on parle de « Vatan »
(mère patrie), qui est donc personnifiée en tant que « bien
-aimée », ou mère22. La communauté
nationale et le sentiment nationaliste se construiraient sur une
hiérarchie de genre. En effet les symboliques nationalistes sont
centrées sur une conception masculine, et sur l'exclusion des femmes. Le
fait de présentée dans la plupart des poèmes et des
chansons traditionnelles la Terre patrie comme une bienaimée, une femme
donc, montre que cette conception est masculine. Cette personnalisation
servirait à faire naître le sentiment « d'amour patriotique
». Se dessine alors une Terre dont les frontières seraient celles
d'un corps de femme, un corps que les hommes de la communauté nationale
pourraient aimer, posséder, protéger, et pour lequel ils
pourraient tuer ou être tué, et qui pourrait être
pénétrée, violée, par l'ennemi extérieur. Si
les hommes n'arrivent pas a protéger leur Terre du viol, cela revoit
à leur faiblesse, et leur honneur, qui du coup est remis en cause. Les
hommes sont donc les gardiens de l'honneur de la communauté, qui est
attaché a l'inaccessibilité de la Terre, comme
l'inaccessibilité de la femme. La Terre est aussi symbolisée en
mère nourricière, c'est elle qui a enfanté les hommes
« les frères » de la communauté nationale.
L'assimilation de la femme a la Terre serait non sans conséquence pour
la représentation féminine qui serait vue comme vulnérable
sexuellement et ayant avant tout un rôle de mère23. De
plus par cette métaphore la femme est objectivée, elle devient
donc un objet « dont on dispose », qui est caractérisé
par sa passivité et son impuissance ; « on la prend, on la viole
».24
La Femme porteuse de l'identité culturelle
turque
Par ce biais la femme turque est porteuse de l'identité
culturelle, et est responsable du lien permanent de la culture traditionnelle,
qui signe « l'inscription dans le temps, l'enracinement sur la Terre
», et donc la « légitimité de la présence »
des hommes sur leur territoire. Les femmes sont donc chargées de fournir
et véhiculer une identité sur laquelle repose aussi le droit
à la Terre. Et c'est en affirmant cette culture face aux
altérités culturelles d'autres peuples, d'autres civilisations,
que le peuple se sent appartenir à la nation turque. La femme turque
doit donc être porteuse de l'identité culturelle face aux autres
cultures, et notamment face à la culture occidentale en position de
force idéologique. Ainsi selon Nilüfer Göle « Dans un
pays musulman, la
22 Afsaneh NAJMABADI, « The Erotic Vatan
(Homeland) as Beloved and mother : to love, to possess, and to protect »,
Comparatives Studies in Society and History, Vol 39, N°3, (1997),
p442-467
23 Pénélope LARZILLIERE, Etre
Jeune en Palestine, Voix et regards, Balland, Paris, (2004)
24Pénélope LARZILLIERE , Ibid
place de la femme dans la société définit
les enjeux même de l'occidentalisation et, audelà des conditions
de vie des femmes, met en cause de façon générale la
culture et la civilisation ».25 S'il y avait rupture avec la
tradition par les femmes, cela effectuerait donc à une rupture sociale,
et cela représenterait une trahison nationale. La volonté de
changement dans le comportement des femmes est donc fortement
dépréciée, même si la Turquie est tiraillée
entre modernité et traditions islamiques. Nous aborderons dans une
deuxième et troisième sous partie ces deux courants, celui de
l'occidentalisation kémaliste, et les traditions islamiques qui
traversent la Turquie et s'y affrontent tout en utilisant la femme comme
porteuse de ces projets de civilisation. Selon ces mythes nationalistes perdre
la Terre reviendrai a perdre l'honneur qui renvoie a la préservation de
l'inaccessibilité des femmes. Et perde l'honneur attaché a la
réputation des femmes renverrai a perde la terre.
L'inaccessibilité des femmes symbolise donc la garantie de l'honneur.
L'honneur de la famille, mais aussi de la communauté entière
repose sur la préservation de la réputation des femmes et
particulièrement des jeunes filles. Ainsi en Turquie des tests de
virginité sont encore effectués avec l'accord d'un juge sans le
consentement de la jeune fille. L'inaccessibilité des femmes peut
notamment être symbolisée par le port du voile et par
l'assignation des femmes a la sphère privée. Ainsi « le
contrôle des femmes est un enjeu de pouvoir a l'intérieur des
sociétés, mais aussi entre les sociétés. »
26Préserver la sphère privée de toute intrusion
extérieure, tout comme préserver les femmes des regards des
hommes, revient a préserver l'honneur de la communauté, et
garantie un « espace inviolé ~. C'est avec cette optique de
symbiose sémantique entre l'inaccessibilité de la Terre et
l'inaccessibilité des femmes que l'on peut retrouver dans beaucoup de
pays et de cultures, que nous pouvons aussi tenter d'expliquer certains crimes
de guerre, notamment les viols massifs de femmes en Bosnie.
Synthèse
Comme nous l'avons vu ici l'ordre du genre structure
profondément la société turque, puisqu'il se retrouve dans
les puissants cadres culturels de cette société, cadres culturels
qui sont souhaités comme « immuables », puisque symbolisant la
légitimité d'un peuple sur une terre. C'est cette construction
idéologique et culturelle qui fait que l'homme sera valorisé
comme étant actif, et devant s'exposer et agir dans l'espace public,
alors que pour la femme il sera préférable d'être passive,
et de « se cacher » dans la sphère du privé.
25 Nilüfer GOLE, Musulmanes et modernes
: Voiles et civilisations en Turquie, Editions La découverte,
réédité en 2003
26 Pénélope LARZILLIERE, Etre Jeune
en Palestine, Voix et regards, Balland, Paris, (2004)
Nous avons brièvement abordé dans cette sous
première sous-partie, le fait que la Turquie depuis sa création
en 1923 fut traversée par deux courants l'occidentalisation
kémaliste et le courant islamiste, tous deux utilisant la femme comme
symbole de projet de civilisation. Nous allons dans un premier temps
étudier la représentation de la femme dans l'Islam, ce qui n'est
pas chose facile, l'Islam étant constitué de divers courant,
divers interprétations.
B) La femme turque comme symbole du projet islamique :
(( Pour comprendre comment et pourquoi le processus
civilisateur fut constitué et culturellement codé en termes de
sexe, il est capital d'étudier la religion musulmane en tant que
constitutive d'une organisation sociale fondée sur la
ségrégation des sexes » 27
Nous venons d'aborder la personnification de la Terre au
travers des mythes nationalistes entraînant l'objectivisation de la femme
et le fait que ces schémas culturels avaient des répercussions
lourdes sur les représentations féminines. Le nationalisme est un
cadre culturel puissant en Turquie, mais il n'est pas le seul, l'Islam y est
fondamental aussi, en tant que religion traditionnelle d'une part, et projet de
civilisation politique d'autre part. Quel est donc la représentation de
la femme dans l'Islam ?
Une égalité homme/femme dans l'Islam
?
Selon les recherches de Nilüfer Göle, il y aurait
une croyance assez majoritaire en Turquie selon laquelle dans l'Islam
d'origine, il n'y aurait aucune ségrégation des sexes, les textes
ne seraient pas misogynes, mais au contraire revendiqueraient une parfaite
égalité homme/femme. NiLüfer Göle appelle cela ((
l'utopie de l'âge d'or ». Selon cette utopie la
ségrégation des sexes serait dans l'héritage culturel et
dans une mauvaise interprétation du Coran. Et force est de
constaté, nous l'avons vu dans les mythes nationalistes, que la
ségrégation des sexes n'est pas propre a l'Islam. Nous ne pouvons
évidemment pas vérifier si cette (( utopie de l'âge d'or
» est fondée ou non, mais il est intéressant de prendre cela
en compte car cela marque la croyance de certaines femmes et hommes en une
alternative a l'Islam actuel. Et il convient de même de ne pas ((
diaboliser )) l'Islam, en tant que seul responsable d'une société
fondée sur la ségrégation des sexes.
27 Nilüfer GOLE, Musulmanes et modernes :
Voiles et civilisations en Turquie, Editions La découverte,
réédité en 2003
Néanmoins nous allons étudier certaines
représentations notamment vestimentaires inscrites et diffusées
par des interprétations islamiques majoritaires.
Symboliques du voile en Turquie
Selon l'interprétation islamique la plus courante, le
port du voile serait donc obligatoire. La ségrégation des sexes
est donc symbolisée par le vêtement, le vêtement pudique qui
ne doit pas mettre en valeur les corps des femmes, il doit le cacher. Ainsi les
femmes sont sensées porter de long manteau ample, cachant fesses,
poitrines, cuisses. Les normes vestimentaires renforcent les symboliques de
genre, la virilité pour l'homme (avec la moustache, la barbe), la
chasteté, la vertu, et la soumission pour la femme (en portant
vêtements amples, sombres, le voile cachant les cheveux, la nuque, voire
tout le visage pour le voile intégrale). Les femmes voilées
intérioriseraient l'idée qu'elles doivent contrôler leur
sexualité, et elle choisie de protéger sa « vertu », et
d'être chaste l'objectif étant de se rendre la moins attirante
possible en public. En effet pour bon nombres d'interprétations
islamiques « la sexualité de la femme, sa beauté menacent
l'ordre social ».28 Le voile permet donc de défendre
l'ordre de la communauté. Il aurait trois fonctions ; la première
empêchant les femmes d'être regardées, et donc les cachant,
la deuxième fonction est spatiale et permet de tracer une
frontière entre les deux sexes, la troisième est d'ordre moral,
et pose un interdit. Ainsi en cachant les femmes, en les séparant des
hommes, on les rend inaccessible, et elles sont donc protégées
d'éventuelles intrusions sexuelles, remettant en cause l'honneur de la
communauté, et l'ordre social. Dans les sociétés
musulmanes, la vie privée renverrait directement a la sexualité
de la femme, et donc a l'espace interdit. « Mahrem » signifie «
intime », « familier », « secret », « ce qui ne
doit pas être su de tous »29, mais il signifie aussi
l'interdit, l'interdit du regard d'un homme étranger a la famille, dont
les relations sont considérées comme illégitimes par la
Charia. Le voile renvoit donc au domaine de l'intime et de l'interdit
(mahrem).
L'ordre social repose donc ici sur l'inaccessibilité de
l'homme étranger au « mahrem », et est symbolisé par la
femme voilée, ainsi que là encore par son assignation à la
sphère du privé. Il est intéressant de voir ici que nous
retrouvons les mêmes symboliques que dans les mythes nationalistes.
Le Féminisme islamique en
Turquie
En Turquie, il y a de nombreuses manières de porter le
voile, mais les deux plus courantes, sont la manière traditionnelle,
avec un voile parfois noué dans le coup ou sur la nuque portée
par les plus âgées en costumes traditionnels et dans les zones
28 Nilüfer GOLE, Musulmanes et modernes :
Voiles et civilisations en Turquie, Editions La découverte,
réédité en 2003
29 Nilüfer GOLE, Ibid.
rurales, la seconde manière est le voile recouvrant la
totalité des cheveux, associés au port d'un manteau long et
portés la plupart du temps par les étudiantes30. Cette
manière de porter le voile symbolise un acte politique de la part de ces
étudiantes se revendiquant du mouvement féministe islamiste. Ce
mouvement est apparu dans les années 80, en parallèle du
mouvement islamiste se revendiquant comme acteur important culturel, social, et
politique et ayant été trop longtemps « évacué
» de la scène politique et de l'espace publique par le projet
kémaliste de modernisation de la Turquie a l'occidentale depuis les
années 1923. Les féministes islamistes se revendiquent comme une
alternative a l'Islam traditionnel, en revendiquant elles aussi leur place dans
la sphère publique, au sein des universités, en politique, mais
aussi dans des carrières professionnelles comme en médecine, ou
en droit, mais voilées. Elles marquent la scène publique, en
manifestant dans les années 1980 contre l'interdiction du port de voile
dans les universités et lieux publics. Si elles veulent rester
voilées dans la sphère publique et ce contrairement au projet
kémaliste qui (nous le verrons dans la troisième sous partie)
voulaient que les femmes adoptent un style vestimentaire « a l'occidentale
~, c'est pour justement s'affirmer en opposition a l'Occident. Ainsi face aux
femmes occidentales qui selon elles revendiquent leur sexualité a
l'extérieur, dans l'espace publique, les femmes islamistes font tout
l'inverse et retreignent toute marque de sexualité au « mahrem
». « Nous serons séduisantes à l'intérieur et
repoussantes a l'extérieure ».31 La notion de
féminisme islamique s'explique donc par une volonté
d'émancipation au projet kémaliste, mais aussi à l'islam
traditionnel en se réappropriant la sphère publique et politique
tout en affirmant leur identité culturelle musulmane face a
l'identité féminine dominante occidentale. Le terme de
féminisme pour caractériser ce mouvement reste néanmoins
critiquable, notamment par les organisations féministes radicales et
LGBT que j'ai étudié (nous le verrons plus loin), car elles ne
revendiquent pas une totale émancipation. Ainsi elles témoignent
d'une volonté a rester chastes, vertueuses et dévouées
à leurs maris et enfants. Dans les recherches de Nilüfer Göle
« Musulmanes et modernes », 32les femmes de ces mouvements
féministes islamistes, les étudiantes ne témoignent pas de
la volonté première de faire de longues études dans le but
d'avoir une profession, et d'être indépendante
financièrement. Elles disent faire des études pour être
cultivées et afin de pouvoir éduquer au mieux leurs enfants.
Selon leurs témoignages, les études ne seraient donc pas une fin
en soi, leurs priorités restant leurs dévotions à la
sphère du privé. Certaines revendiquent même le fait de
travailler dans certains postes comme en médecine ou en politique, dans
le but de
30 Ayþe SAKTANBER and Gül
ÇORBACOÐLU, «Veiling and Headscarf-Skepticism in Turkey»,
oxfordjournals.org, (2008), p
514-538
31 Nilüfer GOLE, Musulmanes et modernes :
Voiles et civilisations en Turquie, Editions La découverte,
réédité en 2003
32 Nilüfer GOLE, Ibid.
transmettre au mieux les idéologies islamiques, car les
autres femmes leur accorderaient plus de confiance, ou afin de rendre service
aux femmes musulmanes refusant par exemple de se faire ausculter par un homme.
Même si le féminisme islamique reste quelque peu limité,
n'ayant pas pour projet de renverser l'ordre social existant, et les relations
de genre s'y trouvant ancrées, il est néanmoins important d'y
porter un regard, car en se revendiquant actrice de la sphère publique,
et en manifestant pour leur droits à porter le voile, les
féministes islamiques ont montrés qu'elles n'étaient plus
simplement passive, et qu'elles pouvaient agir et avoir du pouvoir et de
l'impact dans l'espace publique, ainsi que dans l'acquisition d' « un
capital symbolique » issu de leurs étude.
C) La femme turque comme symbole du projet de modernisation
de Kemal Atatürk
Le « State Feminism »
L'idéologie kémaliste a été un
projet de civilisation ayant un impact fondamental sur la société
turque depuis la fondation de la République de Turquie en 1923, et
jusqu'à aujourd'hui. Les nombreux portraits d'Atatürk, et
fêtes en son honneur nous le rappelle sans cesse en Turquie, la
République de Kemal Atatürk a laissé des traces. En 1923
donc, il instigue un projet de civilisation à la fois de modernisation,
et de sécularisation de la Turquie. Dans ce cadre de nombreuses
réformes furent menées amenant de nombreux changement pour
l'ancien empire Ottoman, le but étant d'amener la Turquie au rang des
puissances voisines occidentales. C'est dans ce contexte que de nombreuses
réformes en faveur des femmes ont vu le jour. Parmi elles, le droit de
vote aux élections locales en 1930, puis nationales en 1934. Le
gouvernement encourageait les femmes à ne plus porter de voile, à
entrer dans les universités, à avoir des professions
exclusivement convoitées auparavant par les hommes (en médecine,
en droit, en politique...). Nous appelons « State Feminism » ou
féminisme d'Etat ces réformes en faveur des femmes et la
politique de visibilité et de participation des femmes dans la
sphère publique. Entre 1920 et 1938, 10% des universitaires
graduées étaient des femmes (selon article Jenny B
White33), ce qui marque une nette progression. Un code civil
remplaça les lois islamiques, et confèrent aux femmes des droits
civils égaux aux hommes, les mariages polygames sont interdits, les
femmes peuvent depuis initiés un divorce, et elles acquièrent une
égalité dans les droits de propriété.
Néanmoins il reste inscrit dans le code civil et ce jusque dans les
33 Jenny B WHITE, «State Feminism, Modernization
and the Turkish Republican Woman» NWSA Journal, volume 15
années 90, que le chef officiel est le père, et
que la femme a besoin de sa permission pour voyager, ou pour travailler a
l'extérieur de la maison. Mustafa Kemal voyait un idéal
féminin qui ne correspondait pas aux différentes valeurs de la
population. Pour lui les femmes devaient représenter la modernité
et la sécularisation, et cela devait être visible. Il insistait
donc sur la mode vestimentaire à « l'occidental ~, l'interdiction
du voile a l'université, et la présence des femmes dans l'espace
publique. Cette visibilité des femmes habillées à «
l'occidentale » et « émancipées ~ était d'autant
plus importante pour Mustafa Kemal qu'elle représentait le symbole de la
récente modernité de la Turquie. Les femmes qui part tradition,
ou religion voulaient se couvrir la tête se retrouvaient exclues de la
République de Kémal, dans le sens où elles ne
représentaient pas la « femme idéale », la citoyenne
cultivée, moderne, et urbaine. Les femmes portant le voile
étaient critiquées d'ignorance et d'être
arriérées et renvoyaient a l'ancien Empire ottoman. L' «
anatolienne idéale » était certes « moderne » et
cultivée, mais selon Mustafa et l'élite kémaliste, elle
devait néanmoins rester chaste, vertueuse et dévouée
à son mari et ses enfants, la fonction première de la femme
étant la « motherhood », la maternité34.
Cette émancipation des femmes par l'Etat reste donc limitée,
puisque les femmes ne sont pas actrice des changements mais sont les
instruments symboliques d'un projet de modernisation. Malgré les signes
extérieurs d'émancipation des femmes, la société
turque reste socialement et sexuellement profondément conservative, et
ce même dans les villes. Tout ce qui relève du mauvais traitement
des femmes ne concerne pas le féminisme d'Etat turc. Mustafa
Kémal marqua en effet le début de la tradition de « l'Etat
fort », avec lequel il n'y a aucune place pour la société
civile, pour les droits de l'homme et les libertés individuelles, et
à une quelconque opposition. Atatürk ferma en effet en 1923, le
Premier Parti Républicain des femmes. En 1935, il laisse la
Fédération des femmes turques participer au Congrès
féministe international se déroulant à Istanbul, puis
dissout la fédération juste après prétextant
qu'elle « n'avait plus lieu d'être, tous les droits en faveur de
l'égalité hommes/femmes ayant été accordés
». Les féministes des années 80 dénoncèrent
plus tard, le fait qu'Atatürk avait utilisé
l'évènement du Congrès féministe international pour
montrer aux puissances européennes à quel point les femmes
turques étaient cultivées et émancipée, ceci «
révélant la modernisation de la Turquie ».
Le projet kémaliste de
civilisation
Le projet de civilisation de cet Etat volontariste
kémaliste révèle lui aussi l'utilisation femmes comme
d'un instrument symbolique de projet politique, et a eu des
34 Nilüfer GOLE, Musulmanes et modernes
: Voiles et civilisations en Turquie, Editions La découverte,
réédité en 2003
répercussions sur l'émancipation des femmes en
tant qu'il a bridé leur expressions individuelles et leur réelles
participations sur la scène publique. Le féminisme d'Etat du ((
Père fondateur ~ n'est pas a proprement parlé un
féminisme, puisque les femmes ne sont pas actrices de ce projet.
Néanmoins on ne peut nier que toutes ces réformes ont eu un
impact sur la situation des femmes ne Turquie, en augmentant par exemple
considérablement leur accès a l'Université, et ce
même si les réformes ont mis et mettent encore beaucoup de temps a
atteindre les régions rurales. (L'analphabétisme y reste
élevée et les mariages juvéniles fréquents). En
encourageant les femmes à avoir les mêmes professions que les
hommes et à être présentes sur la sphère publique,
les réformes ont pu d'une certaine manière « préparer
le terrain » à l'émergence des mouvements des femmes et
féministes dans les années 80. Ainsi selon Nilüfer Göle
(( La question de la femme (en Turquie) est au coeur de ces transformations. La
femme est la pierre de touche, à la fois du changement historique comme
projet de civilisation, mais aussi de l'organisation sociale islamique
fondée sur la ségrégation des sexes ».
35Ainsi en Turquie, tiraillée entre deux idéologies,
deux projets de société, l'un moderne, laïc, et volontariste
(le projet kémaliste), l'autre traditionnel, religieux, et
libéral (projet islamique), la visibilité de la femme qu'elle
soit voilée, ou (( occidentalisée )) semble être
l'instrument symbolique de ces projets politiques. Nous avons vu que la
ségrégation des sexes était fortement ancré dans
les interprétations islamiques, le rôle de la femme y étant
fondamental pour la sauvegarde de l'ordre social et de l'honneur de la
communauté. Mais la hiérarchie des rôles de genre n'est pas
propre a l'Islam, puisque nous la retrouvons dans les représentations
nationalistes, ainsi que le projet de modernisation kémaliste qui se
veut pourtant porteur de la modernité et d'égalité.
Nous aborderons dans une deuxième partie l'impact que
ces cadres culturels ont pu avoir sur la situation actuel des femmes en
Turquie. Cette hiérarchie des représentations de genre, et des
rôles de genre ensuite sont omniprésents dans les cadres culturels
du contexte turc, et fournissent en eux même un des aspects des
structures d'opportunité a l'émergence des mobilisations de
femmes et féministes dans les années 80. Nous aborderons donc
aussi l'émergence de la société civile dans les
années 80, dans laquelle s'inscrit l'émergence des mobilisations
féminines. Le projet de civilisation turc tel que Kémal le
définit sera appliqué en Turquie jusque dans les années
80, ne reconnaissant aucun espace autonome a l'individu, a la
société civile, a l'économie de marché en dehors de
l'Etat. Ainsi selon Nilüfer Göle (( la modernisation turc ne s'est
pas effectuée a partir de force créative et entreprenante de la
société civile, qui aurait elle-même été
édifiée sur la base de la différenciation et du
pluralisme. C'est au contraire un projet de civilisation qui a oeuvré a
l'encontre de la mémoire, du tissu social, des appartenances et des
valeurs traditionnelles. (..) l'Islam
35 Nilüfer GOLE, Musulmanes et modernes :
Voiles et civilisations en Turquie, Editions La découverte,
réédité en 2003
populaire, étranger aux valeurs nationalistes, a
été repoussé hors de l'histoire par ce projet de
modernisation des élites »,36 d'oü un regain des
mouvements islamistes dans les années 80 comme acteur social et
politique. Ainsi malgré la complexité de l'histoire
politico-culturelle turque, il est intéressant de constater que quelque
soit les courants de pensée divergents qui la traverse, la
hiérarchie des normes de genre, les représentations du
féminin selon lequel la femme est passive, doit être caché,
et assignée aux tâche domestique de la sphère
privée, alors que l'homme est actif, exposé, et dans la
sphère publique, y sont ancrées et présentes, et que
d'ailleurs on les retrouve dans beaucoup de pays voisins, et même si les
représentations symboliques sont différentes en France, puisque
nous n'avons pas les notions « d'honneur », de «
communauté », la hiérarchie de genre y est tout aussi
présente.
Synthèse
Nous avons abordé dans cette partie la
représentation de la Femme dans l'imaginaire collectif, imaginaire
faisant écho aux traits culturels caractéristiques de la
société turque. La représentation du féminin en
tant que rapport hiérarchique genré est essentielle car elle se
répercute sur la situation des femmes en Turquie et leur oppression,
terreau de frustrations essentiel dans l'émergence des mobilisations.
Finalement la femme est représenté comme soumise, chaste, fragile
et objet, quelque soit les intentions et les projets politiques, que ce soit
dans les différentes interprétations islamiques, dans les
poèmes nationalistes, ou dans la vision politique soit disant
égalitaire et moderne de Mustafa Kemal Atatürk. Nous allons donc
dans la partie suivante étudier comment à partir de cette
représentation du féminin ancré dans la culture turc, des
mobilisations de femmes vont émerger.
II) Des facteurs macro sociaux offrant des
opportunités aux mobilisations féministes
A) De l'émergence de la société civile
dans les années 80
Le contexte politico-culturel turc, comme nous venons de le
voir présente des puissants symboles de ségrégation entre
les hommes et les femmes. Cette ségrégation et cette
hiérarchie des normes sociales de genre ne peuvent être les seuls
facteurs d'opportunité a l'émergence des mouvements de femmes et
féministes. Certes ce contexte oppresse les femmes, et ce dans toutes
les sphères de leur vies publiques et
36 Nilüfer GOLE, Musulmanes et modernes :
Voiles et civilisations en Turquie, Editions La découverte,
réédité en 2003
privées. Mais nous allons voir que les changements
politiques et économiques des années 80 sont essentiels dans
l'émergence des mouvements de femmes, ils peuvent même être
considérés comme l'évènement- rupture
déclencheur. En effet les années 80 ont vu l'émergence de
la société civile et donc en son sein l'émergence du
mouvement des femmes et féministes. La société civile peut
se définir comme (( une vie associative opérant sur la base des
droits civils et des libertés, pouvant se positionner contre l'Etat, et
étant lié a la libéralisation économique, et a
l'individualisme », mais aussi entant que (( vie sociale pouvant
s'organiser sans l'interférence de l'Etat, et coordonner ses
activités au travers d'organisations basées sur le volontariat,
et pouvant transférer des demandes à la sphère politique
via cette organisation » 37 La société civile peut aussi
être relié au processus de démocratisation, car elle limite
le pouvoir d'un « Etat fort », en protégeant les droits et
libertés des individus, tout en étant elle-même
reliée au processus de démocratisation sans lequel elle
n'existerait pas. Le mouvement des femmes en tant qu'il s'organise de
lui-même, indépendamment de l'Etat, protégeant les
libertés et les droits des femmes, et formulant des requêtes a
l'Etat, donc faisant l'intermédiaire entre la société et
l'Etat, est donc un mouvement de la société civile, et a un
impact sur la vie sociale et politique de Turquie.
Tradition d'un Etat fort
Le contexte de la Turquie est spécifique et
l'émergence de la société civile y semble bien plus
tardive que dans les pays européens. Pour le comprendre, il faut
reprendre le fil historique au début des fondements de la
République de Turquie par Mustafa Kemal Atatürk en 1923.
Atatürk voyait en les puissances européennes des modèles
à suivre pour rendre la Turquie moderne, en faisant d'elle un
Etat-nation, fort, laïc et (( développé )) tant au niveau de
l'industrie, que des lois, du « mode de vie )) qu'il voulait à ((
l'occidentale )). L'Etat était alors considéré comme un
agent dominant dans le processus de modernisation de la Turquie, c'est le
début de la tradition de « l'Etat fort )) en Turquie. L'Etat est
alors l'acteur privilégié et souverain agissant de manière
complètement indépendante de la société et assumant
totalement son rôle à la changer par le (( haut )). La
manière de gouverner était elle aussi centrée sur l'Etat,
et marquait l'unité entre l'Etat et la nation, ainsi qu'entre les
intérêts nationaux et les intérêts de l'Etat.
L'idéologie développementaliste nationale devint alors l'une des
principales idéologies. Et l'Etat développa l'économie
selon un mode d'économie planifiée et tourné vers
l'intérieur. Il n'était alors pas question de parler de la
société en termes de droits et de libertés individuelles,
ni d'individualisme, de pluralisme, ou encore de participation
démocratique. La société devait être organique,
homogène et
37 KEYMAN (( Turkish politics in a changing world:
Global Dynamics Transformations », 2007, Bilgi Universitesi
monolithique afin de servir au mieux les intérêts
nationaux. Pour l'élite kémaliste c'était la seule
façon de rendre la Turquie moderne. Cette hégémonie de
l'Etat sur la vie sociale, économique et sociale dura même
après la transition démocratique de la Turquie dans les
années 45, marquées par le début du système
multipartiste parlementaire, alors qu'avant il n'y avait qu'un parti unique le
Parti Républicain du Peuple. La société civile
était donc complètement inexistante et ce jusque dans les
années 80. Il y avait certes des organisations sociales (syndicats,
coopératives, associations), mais existant dans le but unique de
soutenir le processus de modernisation et la cohésion de
l'identité nationale.
Une libéralisation économique et
politique marquant l'émergence de la société
civile
Les années 80 marquent réellement la rupture
avec la tradition d'un Etat au pouvoir hégémonique. D'abord de
part les changements économiques mondiaux, et de leurs
répercussions sur la vie économique turque. L'émergence et
le développement du néolibéralisme et de l'économie
de libre marché ne s'accordant plus du tout avec l'idéologie
développementaliste nationale turque, et une économie
tournée vers l'intérieur du pays et non vers l'extérieur
du pays. L'économie planifiée va donc être remplacée
par des politiques de libéralisation du marché, et donc
d'exportation. L'idéologie de développement national perd alors
un peu de son poids, car elle n'est plus considérée comme
étant la seule à dicter les règles économique, et
donc à dicter toutes les règles. Avec la libéralisation
économique naissent peu à peu l'individualisme, au sens ou les
gens se mettent peu à peu à penser à leur
intérêts propres avant de penser a celui de l'Etat, on voit par
exemple se développer entres autre l'entreprenariat. Mais aussi
l'idée d'Etat minimal, commence a germer, en effet selon ce concept,
moins l'Etat intervient, mieux l'économie se porte. Mais la
libéralisation n'est pas seulement économique, elle est aussi
politique. En effet cette période correspond aussi a l'après coup
d'Etat. Le coup d'Etat militaire de 1980 a 1983, dissout le parlement, des
partis seraient jugés« trop à gauche )) ou « trop
à droite )) comme le parti islamique, et risqueraient selon
l'Armée, qui représente un véritable poids en Turquie, de
mettre en péril les valeurs de la République. Après cette
intervention militaire de trois ans, de nouvelles élections ont eu lieu,
et les gens ont décidés de voter l'ANAP (Parti de la mère
patrie), qui représentait alors la seule opposition aux interventions
militaires, ce qui marque la volonté du peuple à plus de
libertés et l'aspiration vers un processus de démocratisation.
L'ANAP va être l'instigateur du début des politiques de
décentralisation du gouvernement, de la privatisation des entreprises
économiques de l'Etat, et la réorientation de l'économie
nationale vers une économie de marché. Des enjeux comme la
pollution, la santé publique et le tourisme commencent a être mise
sur l'agenda politique, qui comporte aussi de plus en plus de politiques
publiques. De plus avec l'ANAP, l'opposition n'est plus rejetée comme
auparavant, ce qui permet l'émergence des débats publics sur la
place publique, et le développement de l'opinion publique, qui est une
condition sine
qua none de la démocratie. Emergent donc des mouvements
sociaux comme le mouvement islamique se revendiquant en tant qu'important
acteur culturel, politique, et économique et revendiquant la
participation aux prises de décisions politiques,
dénonçant la tradition de l'Etat-fort et séculaire,
brimant leurs libertés de culte et culturelles. Apparaît aussi le
mouvement kurde, critiquant la vision hégémonique d'une
société homogène et monolithique, dans laquelle ils sont
marginalisés et discriminés. Mais aussi les mouvements gauchiste,
les écologistes, et notamment le mouvement des femmes.
De l'émergence de la société
civile a l'émergence des mouvements de femmes
C'est donc dans ce contexte de libéralisation
économique, et politique, permettant un développement de
l'opinion publique et l'émergence de divers mouvements sociaux formant
la société civile, que le mouvement des femmes a donc
véritablement émergé, en tant que véritablement
indépendant de l'Etat et luttant d'abord et avant tout pour la cause des
femmes et leurs droits et non pour la cause de l'Etat, comme le
féminisme d'Etat, que nous avons abordé dans la première
partie. Le mouvement des femmes des années 80, influencé par
l'international, et notamment par les mouvements féministes
européens conteste pour la première fois les systèmes
patriarcaux présents dans la famille, l'Etat, l'armée et le
capitalisme. Elles défendent aussi les droits des femmes et luttent
contre la violence domestique, véritable fléau qui traverse la
Turquie encore a l'heure actuelle. En 1987, la première manifestation
des femmes contre la violence faîte aux femmes marque le début de
l'émergence et du développement de ce mouvement, qui n'aurait
peut être pas encore vu le jour sans ses bouleversements
économiques, politiques et sociétaux. Dans la deuxième
sous partie, nous verrons que bien que la Turquie est connue de
véritables changements depuis les années 80, et que le processus
de démocratisation est en marche, notamment grâce au
développement de la société civile et de la participation
politique, la situation des femmes a l'heure actuelle est loin d'être
satisfaisante. Le mouvement des femmes, dans les années 80, a en effet
montré qu'une « prise de conscience » des femmes de leurs
droits , et de leurs libertés avait été possible, et que
celles-ci se sont dès lors organisées en coopérative,
associations, indépendamment de l'Etat pour revendiquer leurs droits,
qui sont aujourd'hui toujours pas appliqués. La coopération entre
le mouvement des femmes et l'Etat est indispensable pour venir a bout de
l'oppression des femmes turques, et de la hiérarchie des genres
omniprésente dans cette société.
B) Une situation de la femme qui change dans un contexte de
mondialisation mais qui reste néanmoins critiquable
Comme nous venons de voir, la Turquie connaît des
changements sociétaux ces dernières années et ce depuis
les années 80, avec la libéralisation économique et
l'assouplissement politique, mais aussi avec la volonté de
s'intégrer dans l'Union européenne avec notamment sa demande
d'adhésion en 1987, symbolisant sa volonté de se tourner vers
l'extérieur aussi bien politiquement qu'économiquement. Selon la
Banque Mondial, la Turquie aurait eu un taux de croissance en 2010 de 8,1%, ce
qui est deux plus que le taux de croissance mondial, évalué
à 3,9%. Elle serait de plus 12 ème puissance économique
mondiale en 2010, et elle 6 ème puissance économique
européenne. Cette forte croissance économique marque donc un fort
développement de l'urbanisation, depuis les années 80
jusqu'à aujourd'hui, s'accompagnant d'une augmentation du niveau
d'instruction, d'une forte ouverture sur le monde, et du développement
d'un (( mode de vie urbain », avec le grossissement de la classe moyenne
vivant en ville. On note aussi une liberté d'expression des
médias, ainsi que le développement des syndicats et de la
société civile, ce qui marque une évolution vers la
démocratie. De plus la candidature de la Turquie a l'Union
européenne depuis 1987, a provoquer de nombreuses réformes des
lois turques qui étaient auparavant quelques peu (( archaïques
» afin de se (( mettre à niveau », elle modifie notamment son
code pénal en profondeur en 2004, réformant plus de 31 articles
sur les discriminations sexuelles.
En parallèle de ces changements, la situation des
femmes s'améliore puisque leur niveau d'éducation augmente, ainsi
que l'accès a l'Université, et donc leur accès au
marché du travail aussi et on compte désormais une plus grande
professionnalisation des femmes. Tout ceci entraînant le fait que de plus
en plus de femmes aspirent de fait à une égalité
hommes/femmes pas seulement dans les lois, ni seulement dans la sphère
publique, mais aussi dans le privé. Ainsi en parallèle de
l'augmentation des associations de femmes et féministes (ici la
différence est mince, féministe à une connotation
idéologique et organisation de femme signifie organisation de soutien
aux femmes, sachant qu'en Turquie la plus part des associations
féministes sont aussi des associations de femme), les femmes ont de plus
en plus conscience de leur potentiel et de la place qu'elles devraient tenir
dans la société, et des droits qu'elles sont en droit d'avoir.
Les femmes ayant accès a l'éducation, et aux études
supérieures, ont accès aux lectures, mais aussi aux médias
(presse, TV, internet) et donc aussi a ce qu'il se passe en dehors de la
Turquie. Elles développent donc un sens critique de leur situation qui
s'améliore certes, mais qui reste néanmoins très en
deçà d'une réelle égalité homme/femme et ce
dans toutes les strates de la société. C'est ce constat qui
fait écho à la théorie de Gurr sur la
« frustration relative », théorie expliquant
l'émergence des mouvements sociaux a un moment donné. Comme nous
l'avons vu, c'est dans ce contexte d'assouplissement politique, de
libéralisation économique, et d'échanges mondiaux, les
femmes prennent conscience de ce qu'elles n'ont toujours pas, même si
leur situation s'améliore, elles conscientes que c'est loin d'être
satisfaisant.
Une situation encore fortement inégale des
femmes et des hommes sur le marché du travail
En effet, nous avons vu que l'augmentation de
l'éducation des femmes, de leurs présence au sein des
systèmes universitaires, amélioraient la prise de conscience des
femmes sur leurs liberté, cette « prise de conscience ~
étant nécessaire a l'émergence des mouvements de femme.
D'ailleurs nous le verrons dans la deuxième section, toutes les
militantes que j'ai rencontrées sont soit étudiantes, soit ayant
fait des études. L'indépendance professionnelle et l'autonomie
financière sont aussi des passages obligés pour les femmes afin
qu'elles puissent être a même de revendiquer leurs droits et leurs
libertés. Mais selon l'OCDE (Organisation du Commerce et du
développement économique), la participation active des femmes de
15 à 64 ans serait seulement de 24,3% en Turquie contre 62% dans l'Union
Européenne en 2001 et aurait même baissé en Turquie depuis
1981 où il était à 35% en Turquie. (Chiffres tirés
du rapport « Les femmes sur le marché du Travail : évidence
empirique sur les rôles des politiques économiques dans les pays
de l'OCDE »).38 Les organisations féministes
dénoncent aussi une présence des hommes sur le marché du
travail nettement plus importante que les femmes et ce quelque soit leur niveau
d'étude, puisque le taux d'emploi des hommes n'ayant reçu qu'une
éducation primaire voire moindre est nettement supérieur à
celle des femmes diplômées39. Dans les zones rurales,
l'accès a l'école des jeunes filles seraient aussi très
limité. Ainsi selon les chiffres du Parlement européen plus un
demi-million de jeunes filles ne fréquentent pas l'école qui est
pourtant obligatoire40. Toujours selon le Parlement européen
1/5 des femmes en Turquie ne saurait ni lire ni écrire, et 1/2 femmes
dans les régions rurales. On remarque aussi que dans les régions
rurales le taux de mariage juvénile est bien plus élevé.
En effet le poids des traditions étant encore prégnant dans bon
nombre de famille et ce surtout dans les régions rurales, la jeune fille
est alors destinée à être une bonne
38 Rapport de l'OCDE (Organisation du Commerce et du
Développement Economique), « Les femmes sur le marché du
Travail : évidence empirique sur les rôles des politiques
économiques dans les pays de l'OCDE », revue économique
de l'OCDE, n°37, 2003/2
39 Chiffres tirés de l'article OVIPOT
(Observatoire de la Vie Politique Turque)«La situation de la femme turque,
enjeu encore et toujours des réformes les plus urgentes» (mai 2008)
http://ovipot.hypotheses.org/
40 Chiffres tirés de l'article de l'OVIPOT,
Ibid.
épouse dévouée et soumise à son
mari, une bonne mère, et dont toutes les taches domestiques lui
incombent. Certaines familles ne voient donc pas l'utilité pour leurs
filles d'aller a l'école et d'apprendre a lire et a écrire.
Beaucoup de femmes travaillent aussi de manière informelle dans
l'agriculture et ne sont pas payées, 50% dans les zones rurales selon
l'article de l'OVIPOT. En 2009, les hommes seraient 70,5% sur le marché
du travail turc contre 26% des femmes travaillant. Et les femmes auraient des
ressources financières moindres du fait qu'elles occupent des emplois
peu qualifiés et même quand elles occupent le même poste,
elles sont payées 20% à 30% moins. Et 59% des femmes ne
bénéficient d'aucune couverture sociale. 41Sous la
pression de l'Union européenne, la Turquie a réformé le
code du Travail pour encourager le Travail des femmes, mais cela reste encore
théorique et peu appliquée dans la pratique. Si l'augmentation
des femmes instruites et ayant fait des études supérieures
entraînent une augmentation de leur « prise de conscience », et
donc de leurs revendications sur les égalités hommes/femmes, de
même que cela augmente leur entrée sur le marché du travail
et par ce biais leur indépendance financière, au vu des chiffres
du Parlement européen cette évolution reste très
inégale selon les régions en Turquie, et selon les zones rurales
ou non, de même qu'elle est loin d'être satisfaisante. Il
relève ici d'un cercle dont il semble difficile de sortir; dans les
zones rurales, les schémas traditionnels restent fortement
présents, le taux d'instruction des femmes reste faible, le patriarcat
familial reste donc très puissant, l'oppression des femmes allant de
pair, avec un très fort taux de violence domestique.
La violence domestique faîte aux femmes : un
fléau national en Turquie
Ainsi selon un réseau de plusieurs ONG42, le
taux de mariage juvénile s'élève a 37% en Turquie, et
jusqu'à 68% dans les régions sud de l'Anatolie. Selon un rapport
de l'ONU de 2009, près de la moitié des femmes en Turquie sont
victimes de violence conjugale, 42% sont victimes d'agressions physiques et
sexuelles, 44% physiques et psychologiques43. Selon les
organisations de femmes et féministes actuellement 3 femmes meurent tous
les jours en Turquie des couts de leurs maris, frères, ou pères.
Dans ce chiffre sont inclus les crimes d'honneurs, selon lesquels un membre de
la famille va décider de punir une jeune fille ou femme en lui
ôtant la vie pour avoir commis un comportement jugé « immoral
» (relation sexuelles avant le mariage, refus d'un mariage arrangé,
ayant eu un mode de vie trop « a l'occidentale », ou ayant eu des
rapports sexuels forcés...). La réforme du code pénal de
2004 a permis que le viol
41 Chiffres tirés de l'article de l'OVIPOT,
Id.
42 Chiffres tirés de l'article de l'OVIPOT,
Id.
43 Rapport United Nations Entity for Gender Equality
and the Empowerment of Women, «It's time to empower Women and
Girls» http://www.endvawnow.org/
soit considéré comme un crime devant être
jugé par la loi et non pas par les codes de l'honneur familial. De
même les membres impliqués dans un crime d'honneur ne devraient
plus se voir accorder une réduction de peine, sous prétexte
d'avoir voulu « laver l'honneur de la famille ». Mais ces mesures ont
beau avoir été prises par la justice, il est difficile de voir si
évolution il y a eu ou non, et difficile aussi d'obtenir des
statistiques fiables. Bon nombre de crimes d'honneurs seraient ainsi
maquillés en suicide, ainsi dans certaines régions comme
Þanlýurfa (sud est de l'Anatolie), l'organisation « Women`s
Association Federation », il y aurait eu 149 suicides de femmes en 2011 et
125 en 2010.44 Vrais suicides ou suicides maquillés ?
Difficile de savoir, mais la mortalité féminine est
élevée et il semblerait que la l'oppression familiale en soit la
cause principale. Les tests de virginité aussi ont été
maintenus sur plainte, avec autorisation du juge et du procureur sans le
consentement de la jeune fille.
Des lacunes dans la mise en place des mesures de
protection des femmes
Comme l'indique le rapport de Human Rights Watch du 4 mai
201145, les femmes et les jeunes filles seraient a la merci de la
violence domestique dans l'ensemble du pays à cause de lacunes dans le
système légal et institutionnel turc. Les protections vitales
comme les ordonnances de protection délivrées par les tribunaux
et les centres d'accueils d'urgence resteraient hors de portée pour de
nombreuses victimes de loi et de défaillance dans son application. Dans
les mauvais traitements subies par des femmes et des jeunes filles
âgées de 14 à 65 ans interrogées par Human Rights
Watch, « certaines ont été violées,
poignardées, frappées a coup de pied alors qu'elles
étaient enceintes(...)» Tous ces abus se seraient produit dans
toutes les régions de Turquie est indépendamment des classes
sociales et du niveau d'éducation.
Sous la pression de l'Europe, des réformes
pénales ont été adoptées. Les femmes peuvent
solliciter une ordonnance du juge ou du procureur en cas de violence domestique
permettant de la placer a l'abri du mari, et d'interdire au mari d'avoir tous
contacts avec elle ou les enfants. Mais en réalité, les juges et
la police manqueraient à leur devoirs et renverraient la plus part du
temps les femmes chez elles, alors que celles qui ont le courage de s'adresser
a un tiers sont en général celles qui sont victimes de violences
extrêmes. D'autre part la loi prévoit la construction de centres
d'accueil pour les femmes ayant subies de viols ou des agressions physiques
dans les municipalités de plus de 50 000 habitants. Cette loi est loin
d'être appliquée, et dans le
44 Article « Rising rates of women's
suicides ring alarm bells in Þanlýurfa» (paru en 2011)
http://www.hurriyetdailynews.com
45 Rapport de HUMAN RIGHTS WATCH «He loves you;
he beats you»:
http://www.hrw.org/en/reports/2011/05/04/he-loves-you-he-beats-you
cas où les centres sont construits ils sont souvent mal
gérés, car ils laissent entrer les maris qui viennent
récupérer leurs femmes. Donc même si des réformes
ont été faîtes permettant l'amélioration du code
législatif en faveur de l'égalité des femmes, et de leur
protections contre la violence domestique, force est de constater qu'il ya
encore de fortes lacunes.
Synthèse
La loi ne suffit donc pas à changer les
mentalités. La Turquie et les Nations Unies travaillent de
manière très proche sur les mesures d' « empowerment »
des femmes, c'est-à-dire à aider les femmes à
acquérir du pouvoir et à sortir des schémas traditionnels,
par l'éducation, l'indépendance financière, et les
associations de femmes favorisant « prise de conscience )) et
solidarité. L'intensification de la coopération entre le
gouvernement et la société civile, c'est-à-dire les
organisations féminines et de femmes rassemblées en plateforme,
réseaux et coalition, afin de permettre une sensibilisation des femmes
d'abords et du reste de la société ensuite en passant par les
institutions sensées les protéger. Le mouvement des femmes et sa
lutte est donc primordial dans l'émancipation des femmes elles
mêmes et dans le changement des mentalités de la
société ensuite. Dans la deuxième section nous allons donc
attacher plus particulièrement d'importance aux mouvements des femmes, a
leurs luttent, et a leurs manières de s'émanciper.
Section 3 : ANALYSER DEUX ORGANISATIONS DE REMISE EN
CAUSE DES NORMES SOCIALES DE GENRE PAR LE GENRE
I) AMARGI et LAMBDA : deux organisations militantes
critiques du genre
A) Naissances des organisations dans leurs contextes et
revendications
Amargi une association féministe «
radicale ))
Amargi est une coopérative (au sens association) de
femmes, c'est aussi une librairie féministe, et un Café. Elle a
été créée en 2001 par un groupe de féministe
activiste. Elle cherche à défendre les droits des femmes et des
personnes LGBT, et à lutter contre toute forme de violence et de
discriminations et se décrit comme une organisation féministe,
anti-hiérachique, anti-nationaliste, et anti-militariste. L'un de ses
objectifs premiers, est d'aider a émanciper les femmes des normes de
genre dans la vie de tous les jours, et de vivre selon ses choix propres et non
selon les normes sociales. Et c'est en cela que l'on peut qualifier Amargi
d'organisation féministe radicale, car remettant en cause l'ordre social
établi sur cette hiérarchie des normes de genre. Cette
émancipation individuelle et collective passe d'abord par une «
prise de conscience )) au cours de lectures personnelles, de discussions, de
débats, d'ateliers. Le combat de cette organisation est aussi politique,
et elle dénonce principalement le système même du
patriarcat présent dans les familles, l'économie, l'armée,
l'Etat, et la religion. Les militantes mènent aussi divers projets, et
font parti de réseaux associatifs, de partenariats, et de coalitions
nationales et internationales. L'un des principaux combats menés par
Amargi en termes d'amélioration des Droits des femmes, en partenariat
avec d'autres associations est la lutte contre la violence faite aux femmes, au
sein notamment de la « Coalition des femmes contre la violence sexuelle
faite aux femmes )). Il y a 28 groupes de femmes au sein de cette coalition.
Cette coalition veut forcer le gouvernement a mettre en place des centres
d'accueil pour les femmes ayant subies des agressions sexuelles. Ce combat
mené par Amargi et les autres associations est révélateur
d'une situation grave de violence domestique dans lesquelles encore trop de
femmes se trouvent en Turquie.
Amargi dans le contexte de la «
3ème vague féministe »
C'est dans ce contexte d'oppression des femmes, que les
organisations féministes et de soutiens sont nés, dans les
années 1990, 2000. Chaque organisation défend une politique, une
philosophie, une identité collective singulière et
différente, mais elles se rejoignent en plateforme ou en coalition sur
des enjeux aussi urgent que celui de la violence faîte aux femmes. Cette
périodes qui débute dans les années 90 est appelée
par certains chercheurs la « troisième vague )) du mouvement
féministe. Quelque soit le pays elle se différencie des
mouvements des années 60-70-80 appelés « deuxième
vague ))et caractérisé par la lutte contre la patriarcat,
c'est-à-dire domination des hommes dans toutes les sphères de la
société, sphère privées comme publiques. Les
mouvements des années 90-2000 reprennent les concepts de la «
deuxième vague )), notamment l'anti-patriarcat dans toutes les
sphères, mais diversifient aussi leur combat et accordent notamment de
l'importance à la diversité au sein des groupes, par exemple une
meilleure visibilité des femmes considérées comme «
doublement marginalisées )) (de couleurs, autochtones, lesbiennes,
transsexuelles, handicapées). Dans cette optique Amargi est ouvert a
toutes personnes quelque soit sa couleur, sa religion, sa classe sociale,
notamment les trans et lesbiennes et elle soutient les minorités, comme
les kurdes, les réfugiés. Amargi est donc sur plusieurs combats,
et a un double objectif ; émanciper les femmes des normes de genre, et
de manière plus pragmatique faire en sorte que les institutions turques
et l'Etat turc protègent les femmes contre les violences domestiques de
manière efficace. Cette polyvalence du mouvement, qui ne défend
pas une idéologie unique, et dont les causes sont diverses et
variées, caractérise aussi la plupart des organisations
féministes de la troisième vague, et peut être
critiqué comme « dispersant le mouvement )). Un autre aspect qui
les caractérise est la manière dont ces associations investissent
le champ des médias, publient des magazines et développent des
sites internet, diffusant ainsi leurs idées, et des informations
permettant la diffusion de la prise de conscience de la situation des femmes
dans la société turque. Depuis les années 90, le mouvement
féministe s'est donc diversifié dans le monde, mais aussi et
surtout a l'échelle d'un pays comme la Turquie. Les différentes
branches du mouvement féministe y sont désormais très
nombreuses et variées. Les féministes sont radicales comme
Amargi, socialistes, islamiques, kémalistes, kurdes ou encore
arméniennes, et se construisent avec une identité collective
différente. Ainsi il y aurait environ 250 groupes de femmes et
féministes en Turquie, revêtant diverses formes,
idéologies, structures allant de l'association féministe au
centre d'accueil des femmes ayant subies un viol.
Lambda une organisation LGBT (Lesbiennes Gays
Bisexuels Transexuels)
Lambda est une association crée en juillet 1993
après que le jour de la gay pride (Cristopher Street day sexual
Liberation activities) soit interdit. Cette association est comme Amargi non
hérarchique et fonctionne avec des bénévoles. L'essence
même de l'organisation est la défense du droit premier de
s'associer, car le gouvernement a interdit a plusieurs reprises aux LGBT ce
droit là, les accusant d'être « un outrage à la morale
publique » et (( d'encourager un mauvais comportement ». Lambda a
depuis porté plainte à la Cour européenne, et a obtenu un
statut légal, qui reste cependant menacé. Un des objectifs
fondamentaux de Lambda est la défense les droits LGBT, et le changement
de la Constitution turque qui contient notamment des discriminations à
leur égard. Les militants organisent aussi des campagnes nationales et
internationales contre l'homophobie, la transphobie, les crimes d'honneurs les
meurtres et agressions des personnes LGBT. Lambda se positionne aussi sur les
problématiques féministes, anti-militariste, et les concepts
alternifs aux normes de genre comme ceux de la mouvance transgenre ou de la
mouvance Queer. Lambda est avant tout un lieu de rencontres, d'échanges,
de discussions, de prise d'informations. C'est aussi une bibliothèque,
une terrasse, un café. De nombreux workshops (ateliers) ainsi que la ((
Pride March ~ sont organisés en partenariat avec Amargi. Lambda n'est
pas une organisation féministe comme Amargi dans le sens ou elle
défend prioritairement les droits LGBT, mais aussi dans le sens
où certains cadres d'identités collectives militants
diffusées au sein de l'association vont plus loin que le cadre
féministe en refusant de s'inscrire dans l'une ou l'autre des
catégories de genre, comme c'est le cas pour l'identité
transgenre.
Le contexte turc de discrimination et de violences
faîtes a l'égard des personnes LGBT
L'homosexualité n'est pas un crime en Turquie. Mais le
code pénal contient des interdictions contre (( outrage à la
morale publique », qui sont utilisées pour harceler les personnes
LGBT. Les crimes contre les personnes LGBT sont fréquents, ainsi que les
crimes d'honneur, commis par des membres de la famille. Les
harcèlements, agressions physiques, verbales et les discriminations sont
courantes. Il n'existe pas en Turquie de lois de protection des personnes LGBT
contre les discriminations à l'embauche, au logement, au soin... Les
sujets de l'homosexualité et de la transsexualité provoquent des
crispations, des rejets, de la censure et de la violence. L'Armée
interdit le service militaire aux personnes LGBT, et fait faire des examens
humiliant pour prouver l'homosexualité, Human Rights Watch. Enfin, il y
a en Turquie une grande disparité dans l'acceptation et la
visibilité des personnes LGBT suivant les différentes
régions, et les différents milieux sociaux.
B) Idéologies et identités collectives :
entre la lutte contre le patriarcat, la mouvance Queer, et le mouvement
Transgenre
Selon Verta Taylor, (( la division de genre est reproduite
dans les langages et les idées, que les activistes utilisent pour
diffuser messages et émotions cultivés afin de mobiliser et
influencer )), par exemple dans les travaux de Taylor sur les groupes de
soutiens post-partum dans lesquels les activistes critiquent les idéaux
féminins conventionnels de la société américaine,
et la survalorisation de la maternité pour la femme. Si le genre est
présent dans le (( cadre d'action )) des structures de mobilisations, il
l'est aussi dans la construction de l'identité collective propre au
mouvement. Dans les deux organisations étudiées dans ce travail,
Amargi et Lambda, trois (( identités collectives )) ressortent des
entretiens. Elles se rejoignent en certains points et divergent en d'autres,
toutes ont le point commun de la prise en compte de la construction sociale du
genre. Amargi et Lambda n'ont pas d'identités collectives propres
puisqu'elles sont ouvertes à toutes personnes, néanmoins nous
pouvons dégager tout de même des identités collectives
majoritaires. Que sont les identités collectives? Les militantes de ces
organisations se définissent comme ayant des idées, des valeurs,
des modes de vies différents des autres, et c'est ce qui les rassemble
autour de cette (( identité commune )), qui peut être
renforcée par les organisations militantes dans lesquelles elles se
diffusent. Ces identités militantes, dans leur essence se construisent
dans leur rapport aux autres, et se caractérisent donc par le fait
qu'elles sont ici contestataires par rapport aux normes sociales
établies.
Féministe radicale
Ainsi à Amargi ainsi qu'à Lambda, bon nombre de
militantes se définissent comme (( féministe )) et en donne
quasiment la même définition ; (( le féminisme c'est
s'améliorer soi même, avoir plus de force dans sa vie en tant que
femme et prendre le contrôle de sa vie )) (Eceme, 21 ans), (( Pour moi se
libérer soi même, c'est reconnaître ce que je veux vraiment,
et commencer a le mettre en pratique dans ma vie, c'est très important
parce qu'il y a tellement de frontière a l'extérieur, dans le
monde, pour les femmes, mais les frontières sont aussi dans nos
têtes )) (Hilal 35 ans)Les femmes s' identifient comme féministe,
c'est-à-dire comme (( éclairées )) sur la construction
sociale des normes de genre, et le poids que celles-ci ont sur leur vie et
choisissant de s'en émanciper. Ainsi, au lieu de suivre la norme
traditionnelle, pousse les jeunes filles à se marier tôt, a rester
a la maison afin d'accomplir les tâches domestiques, et à
s'occuper du mari et des enfants. Au lieu de cela, les militantes
féministes font des études, sont indépendantes
financièrement et ne sont pas mariés. L'identité
collective diffusée a Amargi est celle d'une femme,
émancipée des normes. L'identité féminine
reste donc assumée, alors qu'elle est remise en question
chez les transgenres à Lambda.
Mouvance transgenre
A Lambda donc certaines militantes se décrivent comme
(( trans féministes p ou (( transgenres p. Le mouvement transgenre
critique une séparation binaire de sexes qu'institue le genre. A contre
courant des transsexuels, qui veulent changer de sexe, ou qui ont changé
de sexe, les transgenres se revendiquent comme n'appartenant ni au groupe des
femmes, ni au groupe des hommes, que ce soit au niveau du sexe, ou au niveau du
genre. Nous avons d'ailleurs vu dans l'introduction que le (( genre
précédait le sexe p46, c'est-à-dire que la
perception d'un corps comme étant sexué est elle-même une
perception genrée, puisque le (( sexe ~ n'est en fait qu'une
définition complexe et englobant de nombreuses caractéristiques,
et qu'un sexe n'est finalement jamais tout l'un ou tout l'autre. La mouvance
transgenre se manifeste donc par le refus d'intégrer l'une ou l'autre
catégorie, de genre ou de sexe. Ils parviennent donc à installer
le trouble dans les catégories naturalisés du genre. Ainsi (( en
renvoyant le sexe à sa construction sociale et biologique, le mouvement
transgenre critique le système de partition de l'humanité en
sexes, non seulement pour sa binarité oppressive, mais également
dans sa prétention même à faire du sexe un indice pertinent
des divisions du monde social p.47 Et défaire une
binarité des sexes, c'est aussi défaire les sexualités
(hétérosexualités et homosexualités), puisqu'on ne
se définit plus comme faisant partie d'un sexe, on ne définit pas
non plus l'autre comme étant du même sexe ou du sexe
opposé, il n'y a donc plus ni d'hétérosexualités,
ni d'homosexualités. Les barrières éclatent.
Mouvance Queer
D'autres militantes a Lambda et a Amargi se définissent
comme (( Queer p. Selon Anne de Lambda (( la tendance Queer essaie d'aller vers
la disparition des genres, vers le floutage des genres, alors que les
féministes reconnaissent la dualité des genres mais luttent
contre la hiérarchie qu'il y a entre ce rapport de genre p. La critique
Queer, qui prend forme à partir des années 90, et notamment avec
les écrits de Judith Butler (( Troubles dans le genre p, et cherche
à déconstruire les politiques de normes majoritaires, comme
l'hétéronormativité. Les identités minoritaires
deviennent alors le
46 Laure BERENI, Sébastien CHAUVIN,
Alexandre JAUNAIT, Anne REVILLARD, Introduction aux Gender Studies : Manuel
des études sur le genre, Collections Ouvertures politiques,
édition de Boeck, (2008)
47 Laure BERENI, Sébastien CHAUVIN, Alexandre
JAUNAIT, Anne REVILLARD, Ibid.
lieu de contestation de la norme. Selon Judith Butler, les
sexualités (homosexualité, hétérosexualité,
bisexualité) et les genres (féminin ou masculin) ne sont pas
innés, ni figés. Elle explique ce qu'elle appelle « la
performativité de genre )), c'est-à-dire ce qui va faire qu'une
petite fille ayant intériorisée les normes sociales de genre va
se précipiter sur une poupée, plutôt que sur un ballon.
« La performativité de genre ))pousserait les individus à
jouer un rôle social en fonction de leur identité de genre,
obéissant à une logique qui « range )) individus à
une « place )) sexuelle prédéfinie. Judith Butler et la
mouvance Queer qui s'inspire de ces textes veulent se libérer
progressivement de ces « assignations à résidence ))
sociales ou sexuelles48.
Synthèse
Amargi, organisation féministe et Lambda organisation
LGBT se ressemblent donc autant qu'elles se différencient. Et si les
revendications et les actions sont parfois différentes, nous avons pu
voir que les identités collectives sont finalement assez proche, mais
surtout ne sont pas cloîtrées a l'organisation dont elles
émergent principalement. Il y a donc des féministes radicales et
« Queer )) autant a Amargi qu'à Lambda. C'est peut être aussi
ça la caractéristique de la troisième vague, les
frontières éclatent, et les féministes rejoignent les LGBT
sur le sujet du genre.
II) Des structures organisationnelles et des
répertoires d'action genrés
A) Des structures organisationnelles par les femmes et pour
les femmes : Un rapport hiérarchique de genre dans les organisations
militantes
Selon Verta Taylor, l'émergence d'un mouvement social
dépend aussi de comment les groupes sont capables de
développer une « solidarité organisationnelle ))
nécessaire pour impulser le mouvement49. Nous allons donc
nous intéresser aux formes
48 Judith BUTLER, Trouble dans le Genre : le
Féminisme et la subversion de l'identité, Edition
Découverte/Poche (1990)
49 Verta TAYLOR, «Gender and Social Movements:
Gender Processes in Women's Self Help Movements )), Gender and
Society, Vol 13, N°1,(1999), p8-33
organisationnelles des deux organisations Lambda et Amargi.
Dans les études de rapport de genre au sein des organisations militantes
mixtes ou même non mixte, il a été observé que ces
structures reproduisaient un mode organisationnel avec un rapport
hiérarchique de genre. Les théories de mobilisation des
ressources avec Obershall (1973), Zald et McCarthy (1987) ont d'ailleurs eux
même reproduit cette hiérarchie de genre dans leur recherche et
théories, puisque rendant la place des femmes, ou des LGBT dans le
militantisme invisible. On définira la structure organisationnelle comme
« un moyen de mobiliser et le produit d'une action collective, et sa forme
autant que sa puissance dépendent des ressources des agents qui
s'attachent a la construire, lesquelles sont inégales » (Pierru
dans « le sexe du militantisme » Olivier Fillieule).50 Les
sociologues féministes des mouvements sociaux utilisent le terme d'
« organisations suivant une logique de genre» emprunté
à Joan Acker, qui a démontré que toute organisation est
traversée par des dynamiques de genre masquées sous une
idéologie neutre, et qu'elles attachent beaucoup plus d'importance a ce
qu'on pourrait appeler « éthique rationnelle masculine », qui
se rapporte à des comportements assignés au masculin, comme le
non-émotionnel, la rationalité, l'intelligence, les prises de
décisions, et de responsabilités, la mise de côté
des considérations personnelles..etc. Les structures de mobilisations
sont donc elles aussi traversées par les dynamiques de genre. La
sphère du militantisme est en effet connue pour son machisme. Les
sociologues ayant fait des travaux dans le domaine constate une forte
hiérarchie des tâches militantes. Selon Dominique
Loiseau51, les femmes seraient reléguées à des
tâches de seconde main, soutenant leurs époux militants et
effectuant des petits travaux de type domestique au sein de l'organisation.
Leurs tâches seraient donc comme une prolongation des tâches
ménagères auxquelles elles sont assignées dans le
privé. Elles auraient du mal a s'intégrer au sein des groupes de
mobilisations fortement masculinisé, ne pouvant pas participer ou avec
plus de difficulté aux discussions informelles, à un humour, ou
des références qui ne leur parlent pas forcément. Elles
auraient aussi des difficultés à accéder au poste de
leader. Le poste de leader qui serait confié le plus souvent a des
hommes d'âge mûrs, blanc, et issus des catégories sociales
les mieux dotés. 52De plus les femmes étant par
ailleurs sollicitées dans la sphère du privé, pour les
tâches familiales, domestiques, cela
50 Olivier FILLIEULE, Le Sexe du
Militantisme, Collection Sociétés en Mouvement, Edition
Science Po Les Presses, (2009)
51 Dominique LOISEAU dans, Chrsitine GUIONNET et Erik
NEVEU, (2009) Féminins/Masculins: Sociologie du Genre,
Collection U, Edition Armand Colin
52 Olivier FILLIEULE, Le Sexe du
Militantisme, Collection Sociétés en Mouvement, Edition
Science Po Les Presses, (2009)
aurait donc un impact sur leur entrée dans le
militantisme. Il est évidemment plus difficile de s'engager dans une
activité militante après avoir eu une « double
journée de travail )).
Des structures de mobilisation de femmes qui suivent
une logique féminine
Dans notre cas d'étude, les organisations sont
non-mixtes ou considérées comme telle, Lambda étant une
organisation mixte, dans laquelle nous nous sommes intéressés
pour ce travail à la partie féminine, c'est-à-dire aux
militantes ayant un « sexe )) féminin. Alors que les organisations
traditionnelles suivent une logique de « l'éthique masculine de la
rationalité )), selon le concept de Joan Acker, c'est-à-dire
accordant plus de valeurs aux compétences perçues comme «
masculines )), comme la capacité à prendre des
responsabilités, a être ambitieux, stratégique... Dans les
structures de mobilisations de femmes ou LGBT, celles-ci ne suivent pas cette
logique « masculine )) de part l'origine sexuée de des
participantes, mais aussi par volonté (pour les LGBT) de suivre des
logiques différentes à la « norme )) vécue comme
oppressante. Ainsi les militantes dans les mobilisations de femmes seraient
pousser à « cultiver des structures alternatives, avec des
relations de pouvoir horizontales, non hiérarchiques, et permettant
l'expression de l'émotion, de l'empathie, et de l'attention a l'autre ))
à l'inverse de la logique masculine de rationalité. (Taylor et
Rupp 1993, Taylor 2000 dans le « Sexe du militantisme ))).53
Dans les travaux de Margaret Maruani qui étudient les grèves de
femmes, sont observés ce mode organisationnel féminin inhabituel,
les études de mouvements sociaux ayant oublié jusque là
les mobilisations de femmes. Elle montre « qu'à partir de leur
propre expérience d'oppression, des femmes peuvent créer des
règles de vie collectives égalitaires et anti-autoritaires )).
(Maruani, 1979)
Amargi & Lambda : deux organisations suivant
des logiques autres qu'androcentrées
En effet, Lambda et Amargi suivent des modes d'organisations
non conventionnels, c'est-à-dire ne suivant pas la fameuse «
éthique masculine de la rationalité )), ces deux organisations
sont donc anti-hiérarchiques... La théorie de Margaret Maruani
semble ici s'appliquer, des minorités, hommes et femmes ayant
été oppressés dans d'autres sphères de leurs vies
par cette hiérarchie des normes de genre, et par cette éthique
rationnelle masculine, se mobiliseraient donc en réaction à cette
oppression dans une logique identitaire différente. Lambda par exemple
fonctionne en commissions. Il y a la commission académique, prenant e,
charge les gens qui veulent faire des recherches, qui ont besoin de chiffres,
de documents. La commission des actions s'occupe d'organiser manifestations et
autres meetings. La commission des relations extérieures s'occupe du
lobbying avec l'Union européenne notamment, la commission des
fêtes, la commission des médias, qui s'occupe des dossiers des
presses..etc. Il n'y a aucun
53 Olivier FILLIEULE, Ibid.
(( bureau » (Président, sous-président,
trésorier, secrétaire). A Amargi l'organisation semble plus
diffuse, (( ça fonctionne par groupe de travail »54
(Hilal, 35 ans), (( On propose juste ce que nous voulons faire, et les
personnes qui sont d'accord avec cela se rassemblent dans un groupe et
travaillent sur le sujet, on s'en fiche de qui fait quoi, on partage juste les
responsabilités »55 (Gizem, 23ans). Ce type
d'organisation de type non hiérarchique semble plutôt bien
fonctionner. Certaines militantes soulignent les limites de cette organisation
(( je réalise que je présente cela comme quelque chose
d'idéal, bien sûr que ça se passe pas toujours bien, et
qu'il y a souvent des problèmes. On ne se dispute souvent pas pour des
raisons individuelles, mais politiques, et on se critique beaucoup
aussi»56 (Gizem, 23 ans). Les limites peuvent donc se trouver
dans la difficulté a s'organiser, car il n'y a personne pour trancher,
ou pour avoir le dernier mot. Les militantes parlent beaucoup de
responsabilités et de confiance mutuelle, valeurs très peu
entendues chez les militants hommes. Certaines militantes plus anciennes
soulignent le fait, que même sans hiérarchie formelle, une
hiérarchie se forme quand même, ou ce que Jo Freeman appelle (( la
tyrannie de l'absence de structure », terme fort montrant que sans
hiérarchie institutionnelle, c'est (( le poids de l'intimité et
des relations d'amitié qui contribuent a faire reposer toute une
organisation, sur un petit groupe de personnes choisies et très
soudées, suscitant des relations hiérarchiques d'autant plus
prégnantes qu'elles sont dissimulées57 ». Ainsi
nous livre Hilal, militante de longue date à Amargi (( à partir
du moment où nous travaillons ensemble quelque soit le travail, et que
nous sommes en connections, en communication avec des femmes, il peut y avoir
de la hiérarchie, mais nous avons assez de sincérité au
moins pour nous le dire ». Et sans hiérarchie, sans personne pour
trancher, comment fonctionne la prise de décision ? Elle se fait ici par
consensus. On se met par petits groupes et on essaie de se mettre d'accord. Cet
aspect a été vu dans les recherches de Judith Taylor sur les
mouvements féministes mixtes pour le droit à l'avortement en
Irlande. Dans son enquête sociologique58, elle avait
observé que les femmes préféraient former des petits
groupes de discussions, plus (( intimes » pour que chacune puisse livrer
son opinion alors que les militants hommes n'étaient pas
54 Tiré des entretiens réalisés
en anglais avec 5 militantes (trois à Lambda, deux à Amargi),
âgées de 21 à 35ans, entretiens effectués à
Istanbul en Turquie.
55 Tiré des entretiens.
56 Tiré des entretiens.
57 FREEMAN (1970) in, Olivier FILLIEULE, Le Sexe
du Militantisme, Collection Sociétés en Mouvement, Edition
Science Po Les Presses, (2009)
58 Judith TAYLOR «Les tactiques féministes
confrontées aux «tirs amis» dans les mouvements des femmes en
Irlande», Politix, Volume 20 n°78/2007, p65-86
d'accord avec cette méthode et
préféraient le vote a main levées, qu'ils jugeaient plus
démocratiques.
Nous pouvons observer aussi une certaine souplesse et
flexibilité des organisations avec leur militantes qui excepté
les étudiantes, travaillent. En effet, les conditions de travail
étant difficiles en Turquie, avec 8, à 10 h, voire 12h de travail
par jour, il est difficile de s'engager. Les militantes ont donc pour habitude
de se désinvestir de temps en temps, lorsqu'elles ont trop de travail
par exemple. Dans l'ouvrage de Christine Gionnet59, il est
souligné que, de part leurs assignations aux tâches domestiques et
familiales, les femmes avaient d'autant plus de difficultés a s'engager
dans le militantisme. Il est intéressant d'observer que dans ces deux
organisations Lambda, et Amargi, aucune femme mariée et ayant des
enfants n'a été rencontrée. Il faut ici rappeler qu'en
Turquie, le poids des rôles traditionnels reste prégnant dans
toutes les classes confondues et qu'une femme mariée, ayant des enfants
doit dans la grande majorité des cas avant tout se plier aux
tâches domestiques, familiales et conjugales, il aurait été
donc bien plus difficile pour elle, voire impossible de s'engager. Il est
important de noter ici, que toutes les militantes des organisations Lambda et
Amargi, sont issues de la classe moyennes supérieure, elles ont donc
toutes fait, ou sont en train de faire des études, ce qui a
facilité leur accès au marché du travail, et donc leur
indépendance financière, leur permettant ainsi de faire autre
chose que « femme mariée au foyer ».
Ces organisations sont dotés aussi d'une volonté
a rester autonome, c'est-à-dire indépendantes de l'Etat, et donc
a ne recevoir aucune subvention de l'Etat. On peut noter une ouverture aussi,
à Amargi, qui se dit « ouvert à toutes les
différences et à toutes les politiques » (tant que ça
rentre dans leur cadre politique assez large ». Amargi et Lambda sont
ouvert a l'international aussi, ces deux organisations ont toutes deux de
nombreux contacts a l'extérieur du pays, et s'incèrent dans de
nombreux réseaux, plateformes et partenariats internationaux et
nationaux.
Enfin selon Gusfield le mouvement des femmes serait fluide car
basé sur des actions quotidiennes60, c'est ce que nous allons
aborder dans la seconde partie sur les répertoires d'actions.
59 Chrsitine GUIONNET et Erik NEVEU, (2009)
Féminins/Masculins: Sociologie du Genre, Collection U, Edition
Armand Colin
60 GUSFIELD in Verta TAYLOR, «Gender and Social
Movements: Gender Processes in Women's Self Help Movements », Gender
and Society, Vol 13, N°1,(1999), p8-33
Synthèse
Nous avons vu dans cette partie que les dynamiques de genre
d'abord, et ensuite la hiérarchie de ces rapport se reproduisent dans
chacune des organisations et suivent pour la plupart une ((éthique
masculine de la rationalité » selon les termes de Joan Acker. Les
structures de mobilisations féminines et LGBT ne suivent pas cette
logique (( androcentrée », dans les structures féminines,
ceci allant de pair avec l'indenté sexuée des participantes, et
dans les mobilisations LGBT, par une volonté de faire autrement que la
(( norme oppressante ». En effet les organisations Lambda et Amargi ont
des structures organisationnelles qui peuvent être qualifiées de
(( non conventionnelles », elles sont anti-hiérarchiques,
autonomes, (( fluides » et (( flexibles » et la prise de
décision se fait par consensus.
B) Des stratégies d'Action qui suivent une «
logique féminine »
« Line école de vie oil on apprend
à s'émanciper des normes de genre intellectuellement mais surtout
dans le quotidien »
Amargi se présente avant tout comme une (( école
de vie ~. Ce terme n'est en effet, pas anodin, car si les mobilisations
féminines sont considérées comme (( fluide » selon
Gusfield, c'est bien parce que l'une des fonctions premières est
l'apprentissage des femmes a se défaire des normes de genre, oü du
moins a s'émanciper du poids hiérarchique de celles-ci dans la
vie de tous les jours. On pourrait donc appeler Amargi, organisation de (( self
help », ou soutien. Amargi est avant tout une librairie féministe,
et Lambda un (( Culture center », où toutes femmes et hommes
peuvent se documenter. La fonction d'apprentissage intellectuelle a donc
beaucoup d'importance, mais elle prend tout son ampleur dans la
concrétisation de celle-ci dans la vie pratique, l'objectif étant
sa diffusion à toutes les sphères de vie des individus. Alors que
dans les études des mouvements sociaux traditionnels, on ne se
préoccupait que du rapport militant/politique. Ici l'activisme est
considéré comme quotidien, pratique et pragmatique, adaptable a
d'autres sphères comme la sphère conjugale, du travail, ou
familiale. Ainsi Ozge, (de Lambda) définit (( l'émancipation
c'est une pratique quotidienne selon moi ». Anne (de Lambda) fait
référence aux actions militantes de type traditionnel et dit ((
ça m'intéresse pas ces grands discours et ses grandes
théories(...), moi ma lutte elle est dans le quotidien pas dans
l'exceptionnel, ou les élections ». Cette nouvelle vision du
militantisme, semblent faire écho aux études des Nouveaux
Mouvements sociaux61, qui définissent ces types de mouvements
comme
61 Erik NEVEU, Sociologie des Nouveaux Mouvements
sociaux, Collection Repères, La Découverte
revendiquant une identité et un nouveau style de vie.
L'application de la théorie des NMS reste néanmoins critiquable
aux mouvements féministes qui prennent leurs sources dans des mouvements
féministes bien plus anciens, et qui ne serait en fait qu'un seul et
unique mouvement, avec ses fluctuations, ses moments de « silence »
ou de statut quo, selon les conjonctures et les structures d'opportunité
politiques et sociales de l'époque.62
Toutes les militantes d'Amargi et de Lambda témoignent
de la place que ces organisations ont eu dans leurs vie, en les aidant a
s'émanciper des normes de genres qui étaient profondément
ancrées et intériorisées en elles, et qui les ont aider
à changer leur vies petit à petit. Ainsi Hilal résume
« Pur moi se libérer soi même, c'est reconnaître ce que
je veux vraiment, quelle est ma volonté, et commencer à le mettre
en pratique, c'est très important car il y a beaucoup de
frontières pour les femmes à l'extérieur, comme dans nos
propres têtes(...)j'ai appris a changer ma vie petit a petit, c'est
ça le féminisme pour moi, et ça je le dois a Amargi(...)
je ne fais pas de l'activisme pour dire à untel de faire ceci ou cela,
je fais de l'activisme pour moi-même ». Ces organisations auraient
donc un véritable rôle de pédagogie, et de soutien
émancipatoire pour les femmes. Rappelons que nous sommes dans une
société, la Turquie, profondément patriarcale, et que par
conséquent tous les champs institutionnels, social, politiques,
économiques, de l'éducation.. sont très fortement
marqués par un rapport hiérarchique du genre. Les femmes ont donc
très rarement accès a d'autres modèles de genre que le
modèle de « féminin » auquel elles doivent se plier et
qui traverse la société turque. Au travers de la
littérature en libre accès dans ces organisations, puis au cours
des discussions, des meetings, des rencontres avec les autres militantes les
femmes vont découvrir une alternative à ce modèle
traditionnel féminin, qui leur sont assigné depuis toutes
petites.
Ce type d'action d'apprentissage, de pédagogie, et
d'émancipation des normes sociales est privilégié et
primordial dans ces structures de mobilisations. A contrario des structures de
mobilisation étudiés dans les théoriques classiques de
mouvements sociaux, et dans lesquelles les sphères du privé et du
publique sont séparées, les théoriciens ne s'attachant
absolument pas au privé, ici, dans les organisations féministes
et LGBT, vie privée et vie militante sont liées. Pour Gizem
« nous essayons de faire de la politique dans la vie de tous les jours,
afin de la transformer(...) la politique et le quotidien sont reliés
» 63ou encore pour Anne « Pour moi tout est politique(...)
on t'a appris a parler, a pleurer, ou a pas pleurer, a être dedans ou
dehors, a te battre ou pas...et donc a partir de là pour moi l'activisme
c'est du comportement
62 Verta TAYLOR, «Social movement continuity: The
women's movement in abeyance», American Sociological Review,
(1989)
63 Tirée des entretiens réalisés
en anglais avec 5 militantes (trois à Lambda, deux à Amargi),
âgées de 21 à 35ans, entretiens effectués à
Istanbul en Turquie
quotidien ». 64Ainsi à Amargi des
ateliers sont régulièrement organisés, ayant pour
thèmes « la sexualité et le genre », dans lequel sont
abordées les questions de la perception du corps à travers une
perspective féministe relié aux normes de genre, d'orientation
sexuelle, et d'identité sexuelle. Des ateliers cinéma Queer sont
organisés avec des projections de films sur le thème Queer,
portant donc sur l'identité transgenre, la transsexualité,
l'intersexualité, l'activisme lesbien..et la construction sociale du
genre. Après le film une discussion est alors menée. Des ateliers
de selfdéfense sont aussi mis en place. Toujours dans cette optique
« pédagogique », les ateliers sont tenus afin d'encourager les
femmes a s'exprimer, et de ces échanges naitraient les changements.
Un lieu de convivialité et de
plaisirs
Judith Taylor insiste dans son étude sur « les
pratiques consacrées a l'entretien de la sociabilité et la
cohésion du groupe, qui sont accomplies sur un mode informel ».
65 Temma Kaplan parle de « communauté du mouvement
social, dans laquelle les réseaux d'activistes seraient organisés
de manière informelle ».66 A Amargi et à Lambda,
la convivialité est très importante et présente, ainsi que
la notion de plaisirs, de joie liée à cette convivialité,
tout comme les relations d'amitié. Ainsi les militantes Ozge, Anne et
Gizem décrivent successivement leurs organisations comme « un
centre culturel, où les gens viennent ensemble boire un thé et
discuter », « les gens sont drôles, l'endroit est chouette, et
l'été les gens viennent profiter de la terrasse », «
c'est vraiment sympa, nous sommes si content de nous revoir, et nous aimons
être ensemble et faire des choses ensemble ». Des brunchs sont
organisés le dimanche chaque semaine à Amargi, qui fait aussi
office de Café tous les jours, tandis que des soirées ainsi que
des projections de films sont organisées à Lambda sur un mode
très convivial avec pop corn, gâteau, thé. Chez les
militantes de ces deux organisations, on est avant tout content de se voir et
de discuter autour d'un thé, ou d'un bon petit déjeuner. En quoi
la convivialité est elle importante au sein de ces organisations ? Cela
permet une cohésion de groupe, plus les militantes se connaissent et
s'apprécient, plus cela facilite les prises de décision ainsi que
l'organisation des actions. Poletta parlerait de « proximité
affective et d'entre-soi qui jouerait un rôle d'empowerment
».67 La convivialité permet non seulement de
créer des relations
64 Tirée des entretiens, Ibid.
65 Judith TAYLOR, in Olivier FILLIEULE, Le Sexe du
Militantisme, Collection Sociétés en Mouvement, Edition
Science Po Les Presses, (2009)
66 Temma KAPLAN, in Ibid.
67 Fransesca POLETTA, in Olivier FILLIEULE, Le
Sexe du Militantisme, Collection Sociétés en Mouvement,
Edition Science Po Les Presses, (2009)
personnelles entre militantes, qui permet un type (( de
soutien très individuel )), 68 entraînant la prise de
confiance en elles des femmes et les rendant plus fortes. Ce tissu de relation
ainsi crées par le biais de la convivialité entre autres
permettrait de renforcer cette (( communauté de femmes )), de renforcer
la solidarité interne, ainsi que la cohésion de groupe. Ainsi
dans ces mobilisations de femmes, parler de sa vie, ou parler de ses projets
politiques, mais pas seulement autour d'une tasse de thé, c'est aussi un
acte de militantisme. Nous apercevons ici encore le brouillage des
sphères publique/privé, plaisir/politique. Les militantes femmes
ont aussi peut être besoin de s'approprier le lieu, de se sentir chez
« elles )), pour beaucoup ces organisations sont des deuxièmes,
voire uniques (( famille )). Besoin de se sentir chez elles donc, avec des
personnes familières pour s'émanciper des normes de genre, mais
aussi afin de mettre en oeuvre des actions politique.
Actions politiques dans l'espace
publique
Les actions politiques de Lambda et d'Amargi sont donc
secondaires par rapport a (( l'activisme quotidien ~ et s'organisent surtout
autour de type d'actions le lobbying et les manifestations. L'un des principaux
évènements de Lambda reste la « Pride March )) (ou Gay
pride), qui consiste surtout à monter la visibilité des LGBT en
Turquie. Il faut noter que les participants a la Gaypride sont d'année
en années de plus en plus nombreux à Istanbul, cette année
plus de 10 000 participants ont déambulé dans les rues de Taksim,
ils n'étaient qu'une trentaine en 2003. Cette marche est pacifique et
bon enfant, avec des groupes de samba, des drapeaux arc-en-ciel
omniprésents, et de nombreux slogans, qui veulent dire selon Anne (( On
est là, Nous sommes gay, nous sommes lesbiennes, trans et nous sommes
là ~. Ils utilisent des formes d'action non conventionnelles et ludiques
comme le (( Genetically Modified Tomato Awards )) ou la tomate OGM
distribuées aux enseignes publiques ayant eu des propos homophobes dans
l'année. Pendant la « Pride week )) la semaine de la (( pride March
)), il est organisé tout un programme d'activité autour de la
célébration du fait de ne pas avoir honte d'être LGBT, avec
des discussions, des présentations sur l'histoire du mouvement LGBt par
exemple, des projections de films, des concerts, des soirées ect.
Lorsqu'il y a « des choses à dires ))(Anne), les militantes et
militants de Lambda organisent des manifestations à Taksim, le plus
souvent pour revendiquer un changement dans la Consitution Turque et dans le
code pénal. Les manifestations sont pendant l'année d'effectif
réduit, une trentaine de personnes environ et se déroulent a
Istiklal, grande avenue commerçante à Taksim (quartier
occidental). Mais selon Anne, ce genre d'action prend beaucoup de temps, et se
solde la plupart du temps par des échecs, dans le sens oü
manifester pour changer une loi en Turquie n'est pas si efficace. De
même, le Lobbying qui consiste à recenser les meurtres et les
agressions commises contre les LGBT, et à envoyer cela aux instances
européennes et
68 Mya Marx FERREE,in Ibid.
humanitaires, est en perte de vitesse car ressenti par les
militants comme « nécessaire mais pas efficace ». Lambda met
aussi en place à des niveaux nationaux ou internationaux des
réseaux de partenariat contre l'homophobie. Les militantes expliquent
qu'elles manifestent « avant tout pour elles mêmes, et ensuite pour
lutter contre l'invisibilité des LGBT, et notamment pour les autres LGBT
qui seraient isolés »69 (Eceme) Il semble que manifester dans
l'espace publique permet d'affirmer son identité par rapport aux autres
et donc d'être mieux avec soi même. Nous allons voir que pour les
féministes radicales d'Amargi, il en est de même, elles agissent
avant tout pour elles, et pour s'affirmer en tant que telles. Finalement ce
serait d'abord se changer soi, puis s'affirmer dans l'espace publique, et enfin
les mentalités pourraient changer ou encore « se changer soi pour
changer le monde », ou « soyez le changement que vous voulez voire
dans le monde » (Gandhi). Les actions dans l'espace publique des
mouvements LGBT et des féministes sont souvent critiquées, car
elles seraient vues comme « communautaires » et donc «
auto-discriminantes ». Mais là aussi c'est peut être parce
qu'avant de chercher à toucher l'opinion public, les féministes
et LGBT cherchent d'abord a s'affirmer individuellement et collectivement en
tant que différent de la norme dominante de genre et de
sexualité, et ils le font d'abord pour eux même. Et là
encore il ne faut pas oublier que s'affirmer soi en tant que différent
de la norme sociale est très difficile dans un contexte où le
poids de la norme sexuelle et de genre est prégnant, comme c'est le cas
en Turquie.
Amargi participe aussi à la « Pride march ~, et
d'ailleurs Lambda et Amargi font de nombreuses actions ensemble car elles se
rejoignent globalement sur la lutte de la norme de genre et sur le droit des
LGBT, mais aussi sur les actions contre la violence faite aux femmes. Mais
Amargi diverge un peu de Lambda dans les priorités de lutte qui ne sont
pas les mêmes. En effet certains comités ou groupes d'actions
d'Amargi mènent des actions politiques notamment dans le cadre des
coalitions de groupes de femmes, alors que la revendication des LGBT se porte
prioritairement pour la défense de leurs droits. Amargi forme des
comités avec d'autres organisations de femmes et elles mêmes pour
prendre des initiatives dans l'amélioration des droits des femmes en
Turquie et ont crée une coalition nationale contre les violences
sexuelles faites aux femmes. Coalition qui regroupe 25 groupes de femmes sur
toute la Turquie, veut faire passer une loi forçant le Gouvernement
à construire des centres d'aide aux victimes de viols. Amargi organise
aussi avec d'autres associations féministes de nombreuses campagnes
contre les meurtres de femmes et spécialement les crimes d'honneur, mais
aussi contre les crimes de LGBT. Rappelons qu'en Turquie, 3 femmes meurent tous
les jours des coups de son père, frère, ou mari, les crimes
d'honneurs sont un véritable fléau en Turquie. Ils touchent aussi
les LGBT qui peuvent être aussi victimes de meurtres commis par les
membres de leur propre famille. L'objectif des ces
69 Tirée des entretiens réalisés
en anglais avec 5 militantes (trois à Lambda, deux à Amargi),
âgées de 21 à 35ans, entretiens effectués à
Istanbul en Turquie
campagnes étant de sensibiliser un maximum de
personnes, et de personnages politiques sur ces faits.
Si les actions politiques d'Amargi ont plus d'ampleur, et plus
de résultats aussi, c'est peut être parce que la question de la
violence sexuelles faite aux femmes, ainsi que les crimes d'honneur ne touche
pas seulement Amargi mais est un enjeu urgent qui concerne toutes les femmes en
Turquie, et dont toutes les branches de féminismes ou « groupes de
femmes », « groupes de soutien aux femmes », se sentent
solidaires.
Amargi publie aussi un magazine du même nom, qui sort
tous les trimestres, qui est le seul magazine féministe en Turquie, et
qui discute des relations de pouvoirs, de politiques, et d'idéologie
selon une perspective féministe. Ce magazine est ouvert a
l'écriture a toutes les femmes, et comporte également des pages
réservées aux spécialistes, universitaires, et experts sur
le féminisme, et la question des femmes en Turquie. Il existe depuis
2005 et a comme volonté de montrer la encore une certaine
visibilité des écrits féminin et féministes parmi
la presse, mais aussi d'être diffusé et accessible au plus grand
nombre.
Un lieu de soutien
Amargi et Lambda, mais surtout Lambda sont aussi des lieux de
soutien. Ainsi à Amargi, comme nous l'avons expliqué plus haut,
les relations interpersonnelles entre femmes d'amitiés qui se tissent
créer un espace privilégié pour raconter ses
expériences, son vécu. Les femmes peuvent donc parler de leurs
biographies respectives, là où dans les organisations
régies par des lois d' « éthiques masculines de la
rationalité », les considérations personnelles seraient mise
de côté. Ce soutien là « émotionnel et
individuel » 70est très important et efficace, car il
brise l'isolement, et rend les femmes solidaires. De plus le fait de pouvoir
s'exprimer librement sur son passé en petit groupe ou en grand groupe,
sur un viol vécu, un harcèlement, ou une agression homophobe
permet aux femmes de libérer émotionnellement (nous aborderons
plus largement cet aspect dans le troisième paragraphe), et de
d'encourager les témoignages d'expériences vécues
similaires, et qui là encore libère la personne de son isolement
et permet un véritable soutien affectif.
Lambda a mis en place des stratégies d'action dans le
domaine du soutien, comme la Helpline, ligne téléphonique ouverte
tous les jours, pour les gens qui auraient besoin d'informations, de conseils,
de contacts (psy, avocats, médecin acceptant les LGBT), mais aussi
parfois de personne en détresse, au bord du suicide ou autre. Il a
été mis en place aussi une aide juridique, un volontaire avocat,
qui agit apparemment beaucoup
70 Mya Marx FERREE, in Verta TAYLOR, «Gender and
Social Movements: Gender Processes in Women's Self Help Movements »,
Gender and Society, Vol 13, N°1,(1999), p8-33
sur les questions du service militaire par exemple (le service
militaire étant interdit aux LGBT en Turquie).
Synthèse
Les organisations étudiées dans ce travail,
Amargi et Lambda ont des répertoires d'action non conventionnels de ceux
décrits dans les théories classiques des mouvements sociaux. La
priorité ici est donnée a l'émancipation au quotidien, a
la convivialité soudant les femmes entre elles, et les rendant plus
fortes affectivement et émotionnellement. Les actions dans l'espace
publique sont là encore non conventionnelles et sont sur le mode du
« ludique ». De part ces actions non conformes au militantisme
traditionnel (selon ce qu'il en a été présenté dans
les théories « classiques ~), le militantisme féministe
radical et LGBT cherche d'abord a ne plus rentrer dans la norme d'un
militantisme androcentré.
III) Des espaces de résistance aux normes de
genre ou la possible construction d'un soi émancipé des normes
sociales de genre
A) Des espaces de liberté et de
créativité qui offrent une alternative à un idéal
de la femme « soumise, chaste, et accomplissant les tâches
domestiques »
Dans son article71, Verta Taylor souligne le fait
que certes nous pouvons parler de structures organisationnelles et de
répertoires d'action genrées dans les mobilisations de femmes, ce
qui peut paraître paradoxal avec le fait que la plupart de ces
mobilisations de femmes luttent contre cette hiérarchie de genre, et la
pression sociale à devoir se conformer à des identités de
genre selon nos sexes. Nous l'avons vu ces répertoires d'action et ces
structures organisationnelles suivent plutôt une « logique
féminine » selon les termes de Joan Acker, cependant les militantes
femmes ayant intériorisées ces normes, il apparaît logique
que leur mode d'action, d'expression, et d'organisation se fassent suivant
cette logique « féminine » ayant à voir avec leur
identité sexuée dans la plus part des cas. Il en est de
même pour la plupart des militantes LBT qui revendiquent un floutage du
genre (selon la mouvance Queer) ou une négation du genre (pour les
transgenres), il peut paraître peut être paradoxale qu'elles
s'expriment, agissent, ou s'organise suivant une logique
71 Verta TAYLOR, «Gender and Social Movements:
Gender Processes in Women's Self Help Movements », Gender and
Society, Vol 13, N°1,(1999), p8-33
(( féminine ~. Mais elles ont d'une part elles aussi
intériorisées les normes de genre féminine, et donc de
même que pour les militantes féministes radicales, il est
difficile de se défaire ce cette (( socialisation primaire ».
Secondement, il semble aussi que de certaines militantes et militant LGBT,
(même si je n'ai pas eu d'interviews avec les militants hommes de
l'association, il semble que leur actions, et organisations puisque souvent
communes avec les militantes, suivent aussi cette logique (( féminine
») s'attachent avant tout a ne pas agir, s'exprimer ou s'organiser de
manière conventionnelle, et donc suivant la logique masculine. D'autres
part nous avons vu que ce (( mode )) d'organisation, d'agir a ses avantages
puisqu'il permet une cohésion de groupe, des relations individuelles de
soutien et d'affection, la création d'un tissu de solidarité, le
sentiment d'être plus forte individuellement comme collectivement. Verta
Taylor insistait dans cet article72, qu'outre ce paradoxe, il faut
étudier les capacités de ces mobilisations, qui même si
elles n'échappent pas a la règle et s'organisent sur des
dynamiques de genre, diffusent aussi un modèle alternatif à la
norme du féminin. Norme puissante en Turquie selon laquelle la femme
doit être (( chaste, soumise, dévouée à son mari et
ses enfants ». Nous allons donc voir dans cette partie en quoi les
organisations Lambda et Amargi s'attachent a diffuser des modèles de
résistances aux normes de genre.
Tout d'abord, nous l'avons vu dans le paragraphe
précédent, les stratégies d'action principales d'Amargi et
Lambda, sont l'apprentissage d'une émancipation des normes de genre dans
le quotidien. Il s'agit donc d'encourager les femmes a penser ce qu'elles sont
et ce qu'elles veulent réellement et a agir par elle-même selon
leur souhait. Ce travail passe d'abord par une prise de conscience des normes
intériorisées, puis par l'apprentissage dans la vie pratique a
faire autrement que ce qu'elles ont été habitué a faire
auparavant, que ce soit dans leur famille, a l'école, au travail ou
ailleurs. Certaines ont changé de travail, d'autres ont
divorcé... La prise de conscience et l'apprentissage se font
individuellement au terme de certaines lectures, de discussions, de rencontres
avec certaines personnes, de conférence, débats... Tout cela se
retrouve en condensé à Amargi et a Lambda, et sont donc des
réels facteurs d'émancipation personnelle aux normes de genre.
Dans ces espaces dans lequel on peut ne pas correspondre aux
normes de genre diffusées par la société turque, on peut
(( se lâcher », être soi, et se sentir libre de la pression
sociale. Ainsi à Amargi, Gizem dit (( J'ai ici la possibilité de
m'exprimer et de faire de la politique comme je le le veux. C'est vraiment
très important. Et c'est pour ça
72 Verta TAYLOR, ((Gender and Social Movements: Gender
Processes in Women's Self Help Movements », Gender and Society,
Vol 13, N°1,(1999), p8-33
que j'aime Amargi )).73 Anne témoigne de
l'ambiance un peu folle qu'il ya à Lambda (( Tu fais péter
tellement de cadres ici... que les gens ici ils sont déjantés
quoi !il y a un espèce de truc de fête ! de pas sérieux...
on fait n'importe quoi, on s'en fout, tu peux te permettre d'être un peu
cinglé car tu es dans un lieu oü tu se sens bien, pas en
danger(...) on peut être plus soi même, on peut repousser vachement
les limites p. Ainsi a l'image des témoignages des militantes, les
ateliers proposés par Lambda et Amargi, et notamment durant le festival
Féministe d'Istanbul : le Feministival, sont tout autant
déjantés. Durant la semaine du Feministival (organisé par
plusieurs associations féministes d'Istanbul et par Lambda cette
année, ont été mis en place des évènements
aussi ludiques, non conventionnels et créatifs que la (( pose de
graffitis en mousse végétale p dans les rues d'Istanbul, ateliers
d'écriture, ateliers de fabrications d'instruments de musique, ateliers
de création de Sextoys (( fait mains p, cours d'électroniques,
projection de films, ateliers de danse, atelier de chansons, concerts et
soirées. L'expression des femmes est très importante et peut
ainsi se produire de manière créative, ludique, artistique. Et
par le biais de ces ateliers auxquelles n'importe quelles femmes et trans peut
participer, est donc diffusé des alternatives aux genres. Par la
création et l'expression elles sont encourager a être elles et a
s'affirmer en tant qu'individu singulier, et non comme la fille, femme «
de p... Elles sont encouragées à déconstruire les normes
intériorisées et à se reconstruire comme elles le
souhaitent, soit en tant que femme émancipée de la
hiérarchie des normes de genre (pour celles qui s'identifient comme
féministes), soit en floutant le genre (identité Queer) ou en
entrant d'aucune des catégories binaires (mouvance transgenre). En cela
Amargi et Lambda sont des espaces de liberté et de résistances
aux normes.
B) Le (( travail )) émotionnel au sein des
organisations
D'autres parts Verta Taylor parlait dans son article,
74du travail émotionnel créé par les
organisations avec leurs membres. Nous nous basons ici encore sur la
théorie de Joan Acker75, selon laquelle a la
différence des organisations basées selon l'éthique du ((
travailleur masculin )), les organisations de femmes cultivent des formes
structurelles différentes comme l'affichage libre des émotions,
de l'empathie, et une attention
73 Tirée des entretiens réalisés
en anglais avec 5 militantes (trois à Lambda, deux à Amargi),
âgées de 21 à 35ans, entretiens effectués à
Istanbul en Turquie
74 Verta TAYLOR, ((Gender and Social Movements: Gender
Processes in Women's Self Help Movements )), Gender and Society, Vol
13, N°1,(1999), p8-33
75 Joan Acker, in Olivier FILLIEULE, Le Sexe du
Militantisme, Collection Sociétés en Mouvement, Edition
Science Po Les Presses, (2009)
particulière aux biographies des participantes. Mais
cette logique féminine ne se retrouverait pas seulement chez les femmes,
ainsi selon les études de Hickman76, certains hommes
activistes participant au groupes de soutien de femmes (dans le cas du
mouvement de soutien aux femmes en dépression post-partum) motiveraient
d'autres hommes a dépasser ce détachement émotionnel et
cette inexpressivité et à dire à leur femmes leur
ressenti. Il est donc important de rappeler que toute organisation de femmes ne
suit pas forcément une logique féminine77, il faut
donc faire attention à ne pas généraliser, et plaquer
cette (( logique féminine trop rapidement à toutes mobilisations
de femmes. Il convient (( d'examiner la logique de genre des structures de
mobilisation des mouvements afin de reconnaître son
impact)).78 C'est Arlie Hochschild (1979) qui parle la
première de « emotional work )) ou travail émotionnel pour
désigner le travail que les individus hommes et femmes doivent fournir
sur leur émotions sur le lieu de travail, émotions qui ne sont
pas sollicitées de la même manière pour les femmes et pour
les hommes et selon la profession. Les hôtesses de l'air par exemple sont
très sollicitées sur un ensemble de qualités telles que la
séduction, la capacité maternante, le
dévouement..etc79. Dans l'étude de Danièle
Kergoat sur « Coordination d'infirmières )), on retrouve cet ((
emotional work )) auxquelles les infirmières doivent se conformer, sans
pour autant être payées pour ses qualités qui ne sont pas
considérées comme des qualifications mais comme étant
naturel. A l'inverse les hommes doivent aussi dans certaines professions faire
preuve de travail émotionnel, et s'empêcher de montrer toute
émotion, ou empathie, ou encore (( mobiliser des affects qui sont
associés aux valeurs viriles )).80 Certains salariés
devant mobiliser ces émotions toute la journée, seraient
épuiser mentalement, ou plus capable d'exprimer leurs véritables
émotions en privé. Cheryl Hercus en s'inspirant des travaux de
Verta Taylor et Mya Marx Ferree fait de nouveaux travaux de recherche en
prenant en compte l'émotion dans les mobilisations sociales de femmes
aux Etats-Unis81. Elle observe par exemple que la colère est
une
76 Hickman, in Verta TAYLOR, ((Gender and Social
Movements: Gender Processes in Women's Self Help Movements )), Gender and
Society, Vol 13, N°1,(1999), p8-33
77 Verta TAYLOR,Ibid.
78 Verta TAYLOR, Ibid.
79 Arlie HOCHSCHILD, in Chrsitine GUIONNET et Erik
NEVEU, (2009) Féminins/Masculins: Sociologie du Genre,
Collection U, Edition Armand Colin
80 Chrsitine GUIONNET et Erik NEVEU,Ibid.
81 Cheryl HERCUS (( Identity, Emotion, and Feminist
Collective Action )), Gender & Society, Vol 13, N°1, Part 2,
(1999), p 34-55
des émotions (( moteurs » des mobilisations
sociales. Les mobilisations sociales, et notamment les manifestations auraient
la fonction de légitimer (( l'expression d'une indignation morale et
d'une colère juste ». En effet, dans la continuité des
travaux de Hochschild, Verta Taylor montre que les organisations de femmes
transformeraient les émotions destructives comme la honte, la peur et la
dépression, en une émotion active comme la colère. Ainsi a
l'inverse du « travail émotionnel » subit par les
employés d'une organisation, selon Hochschild, les organisations
féministes produisent un (( travail émotionnel » positif
avec leurs militantes, et qui résiste aux normes sociales. En effet, non
seulement ce travail de transformation d'émotions destructives en
émotions plus positives comme la colère est réellement
bénéfique pour les femmes pour leur équilibre. Mais aussi,
le fait de pouvoir exprimer des émotions culturellement vues comme ((
déviantes » par la société, comme le sont la honte,
la dépression, la peur, et la colère notamment de la part des
femmes permet d' offrir à ces femmes le moyen d'être autre que le
modèle de femme renvoyée par la société. Et en ce
sens cela pourrait aider particulièrement les femmes comme une
thérapie, non seulement en les soutenant psychologiquement, mais aussi
dans leur émancipation personnelles. En effet sur le terrain, il a
été remarqué que certaines militantes étaient
dépressives, avant d'entrer dans ces organisations, elles avaient subie
des violences psychologiques de la part de leur famille, notamment chez les
LBT, des humiliations, des insultes et parfois même des agressions
physiques (comme le harcèlement sexuel ou le viol). Eceme (21 ans de
Lambda) témoigne de sa propre expérience et dit (( c'était
dur de trouver la force de venir ici (...) ma mère me disait que
l'association était comme le (( Hezbollah » (en Turquie les
activistes sont parfois considérées comme des terroristes),
qu'ils m'utilisaient et qu'ils allaient me laver le cerveau, elle
réagissait si mal, c'était une forme de violence psychologique,
elle disait que la police m'observait et qu'ils prenaient des photos de moi,
elle essayait de m'humilier(...) on se battait souvent avec ma mère
à cause de mon orientation sexuelle ».82 Eceme
était en dépression lorsqu'elle est entrée a Lambda, elle
avait 17ans. Pendant l'entretien elle répète souvent (( je me
sens forte grâce à Lambda (...) Ici on peut reprendre des forces..
». Ce n'est pas la seule, toutes les militantes interrogées
à Lambda ou à Amargi parlent de se sentir plus forte et d'avoir
repris confiance en elles. Pour beaucoup de militantes, qui on souffert
auparavant les groupes de soutien comme Lambda et Amargi sont de
véritables soutien émotionnel, affectifs et psychologique.
(( Changing the world is a serious business, but the emphasis
during this workshop will be on the need for feminists to enjoy ourselves-to
laught and sing and dance-as we go
82 Tirée des entretiens réalisés
en anglais avec 5 militantes (trois à Lambda, deux à Amargi),
âgées de 21 à 35ans, entretiens effectués à
Istanbul en Turquie
about the important work of the revolution
».83 Cette phrase souligne l'importance du rire, de la chanson,
de la danse, dans les ateliers proposes dans ce groupe de soutien aux femmes.
En deux mots la joie est très importante, (( si on veut changer les
choses, il faut d'abord retrouver la joie et retrouver goût a la vie
». Les entretiens menés, et les observations des ateliers, des
projections de films montrent qu'effectivement l'ambiance semble très
joyeuse, festive, et détendue. Cette joie distillée dans les
diverses actions et évènements organisées par les
associations est fondamentale et aussi caractéristique de cette ((
logique féminine ». Les fonctions psychologiques,
thérapeutiques, émotionnelles et affectives sont des traits
caractéristiques de l'activisme féminin semble t-il et sont
vraiment bénéfiques aux femmes, dans l'amélioration de
leurs états psychologiques pour certaines et dans l'accompagnement vers
l'épanouissement personnel.
Synthèse
Il a d'abord été montré dans cette partie
que les deux organisations Lambda et Amargi permettaient en créant des
espaces de liberté et de créativité de permettre aux
femmes de se détacher du modèle féminin normé, et
de choisir d'être une femme émancipée du rapport
hiérarchiques des normes de genre, ou bien encore de remettre en
question ces catégories binaires de genre (pour les identités
Queer et Transgenre). En cela Amargi et Lambda ont un impact sur l'ordre
social, et la construction sociale du genre, en tant qu'elles créent des
formes de résistances a la norme du féminin. Ensuite nous avons
vu que ces organisations produisent un (( travail émotionnel » avec
les militantes en leur permettant d'une part d'exprimer les émotions
considérées culturellement comme déviante, mais aussi en
transformant les émotions (( négatives » comme la honte, la
dépression et la peur, en émotions positives comme la
colère, moteur des mobilisations sociales. Ce travail émotionnel
jouant le rôle dans certains cas d'outils thérapeutiques et
d'émancipation personnelle.
83 Phrase tirée d'un atelier
féministe auquel Cheryl Hercus a assisté au Personal Growth
Centre, 1991, in Cheryl HERCUS (( Identity, Emotion, and Feminist Collective
Action », Gender & Society, Vol 13, N°1, Part 2, (1999),
p 34-55
IV) « Militer c'est d'abord s'émanciper soi
» : un rapport féminin à l'engagement ?
A) Facteurs d'entrée dans le militantisme
Certaines théories des mouvements sociaux, celles du
comportement collectif, se focaliseraient sur une frustration collective comme
cause d'émergence de ces mobilisations. Les théories des
mobilisations des ressources quant à elles accorderaient plus
d'importance a l'organisation, et aux stratégies menées par
l'organisation pour atteindre ces objectifs, mettant une certaine emphase sur
les stratégies menées a l'encontre de l'Etat et/ou des
élites. Au final le reproche que l'on peut porter a ces deux
théories est qu'elles n'accordent pas assez d'importance a l'individu,
et aux pratiques militantes. Qu'est ce qui fait qu'un individu de part ses
frustrations personnelles, de part son expérience, son parcours de vie
se décide à entrer dans le militantisme ? Qu'est ce qui fait
qu'il soit plus ou moins sensible ou attirés par certaines causes ?
C'est ce que nous allons aborder ici. Dans un second paragraphe nous essayerons
d'observer les coûts et les rétributions du militantisme
féministe radical et LBT à Istanbul. D'après Gaxie,
observer coûts et rétributions du militantisme n'est pas toujours
facile. Certaines rétributions sont en effet d'ordre «
inconscientes » alors que traditionnellement les militants seraient «
officiellement désintéressés et censuraient l'existence
d'intérêts propres distincts de l'attachement a la cause de
l'Action collective. »84 Cependant il semblerait que dans les
groupes de mobilisations de femmes, les rétributions autres que
l'attachement a la cause sont ouvertement exprimées, notamment les
dimensions psychologiques, affectives, émotionnelles, et
émancipatoires de l'activisme. Il apparaît donc plus facile au
premier abord d'étudier les coûts et les rétributions d'un
militantisme dans lequel les femmes n'hésitent pas a s'exprimer sur ce
qu'elles ressentent, et sur les efforts et les bénéfices que leur
coûte ou leur apporte cet engagement.
D'oà viennent les militantes féministes
et LGBT ?
Dans son étude sur les jeunes militantes dans les
mouvements féministes, Liane Henneron85 montre que
l'éducation des mères n'a pas forcément de
corrélation avec
84 Daniel GAXIE, «Rétributions du
militantisme et paradoxes de l'action collective», Swiss Political
Science Revue, Vol 11, N°1, (2005), p157-188
85 Liane HENNERON, « Etre jeune féministe
aujourd'hui : les rapports de génération dans le mouvement
féministe contemporain », L'Homme et la
société, n°158, (2005/4), p93-111
l'entrée dans le militantisme féministe de leurs
filles. En effet les mères peuvent être des contre-modèles
pour leur fille. Cependant la transmission familiale aurait son importance dans
l'intérêt de la jeune fille pour la politique. La « prise de
conscience )) passerait par la découverte des idées
féministes et de la construction sociale du genre au travers des
lectures personnelles, ou pendant certains cours a l'Université. En
effet les militantes féministes et LBT de Lambda et Amargi, ayant
été interrogées, ont toutes fait des études a
l'Université, ou sont en train de les faire. Deux étudient la
sociologie, une étudie l'archéologie, une autre a
étudié l'histoire, et la cinquième le graphisme.
Même si le panel est restreint nous pouvons néanmoins observer que
la majorité des militantes a fait des études en sciences
sociales, notamment en sociologie, qui peut s'avérer être un biais
privilégié pour découvrir les études de genre.
Toutes les militantes interrogées sont issues de la classe moyenne
supérieures, avec des pères journalistes, directeur, comptable...
Et des mères qui travaillent parfois aussi, ou qui sont mères au
foyer. Les militantes témoignaient sur l'effet un peu « ghetto ))
du militantisme féministe, toutes les militantes étant issues de
la classe moyenne supérieure, et dont les principales actions se
déroulaient à Taksim, lieu privilégié de la classe
aisée et occidentalisé. Le fait d'être issue de la classe
moyenne supérieure semble grandement avoir facilité
l'entrée dans le militantisme féministe et LBT de ces femmes.
Premièrement car étant issues de famille plutôt
intellectuelles et relativement aisées, elles ont pu faire des
études a l'Université et donc avoir accès a un certain
nombre de connaissances et de lectures facilitant cette « prise de
conscience )). La socialisation primaire issue d'une famille plutôt
intellectuelle peut favoriser un intérêt pour la politique.
Deuxièmement il semble que les familles de classes moyennes
supérieures, vivant pour la plupart dans des grandes villes, et dans des
quartiers occidentalisées sont moins imprégnées du poids
des traditions, et sont peut être plus ouvertes. Le fait d'habiter dans
un quartier, comme Taksim par exemple, cosmopolite et ouvert, facilite les
rencontres. Le fait de pouvoir voir d'autres manifestations ou actions
militante, peut éveiller une curiosité et faciliter une
entrée dans le militantisme. La moyenne d'âge des militantes
interrogées varie entre 20 et 35 ans, il semble qu'elle est
significative de la tranche d'âge de toutes les militantes des deux
associations, tranche d'âge que nous pouvons qualifier de jeune. Quand
les militantes sont interrogées sur leurs motivation à entrer
dans le militantisme, la plupart (qu'elles soient féministe ou LBT)
répondent que c'est leur avidité d'information, et de lectures,
qui les ont poussé à venir dans ces lieux qui sont aussi des
bibliothèques. Après s'être ensuite familiarisées
avec les lieux, elles ont eu envie de s'investir aussi « pour donner en
retour toute l'aide que j'avais reçus ici )). Dans beaucoup d'entretiens
il apparaît aussi la notion de confiance en soi, peu de militantes avant
de s'investir dans ces organisations avait confiance en elles. Souvent elles
mettent d'ailleurs un certain temps avant « d'oser venir )), un
élément déclencheur comme une rupture sentimentale, ou un
conflit familial, va faire que l'individu va enfin
oser. Et beaucoup disent retrouver confiance en elles au sein
des organisations, se sentant soutenus par les autres, ayant des liens amicaux
ou affectifs, et surtout ne se sentant pas en « danger » ou «
jugées ».
B) Des coûts et des rétributions
féminins du militantisme Gaxie et la théorie des coûts et
rétributions
En France, Gaxie a été l'un des premiers a
apporté cette théorie des coûts et des rétributions
du militantisme86. Il est parti lui-même des théories
des mobilisations sociales, et notamment celle de Weber, qui n'apportaient pas
d'explications de l'engagement bénévole du militant de base.
Weber fournissait en revanche une explication à l'engagement des
militants bénéficiant d'une rémunération. Les
analyses de Gaxie publiées en 1977 sur les coûts et
rétributions auraient essuyées de nombreuses critiques. Selon lui
la définition même de rétribution en tant que «
plaisirs, joie, bonheurs, profits, bénéfices, gratifications,
incitations, ou récompenses du militantisme (pas nécessairement
recherchées comme telles et la plupart du temps non monétaires)
» ne seraient pas au goût des milieux militants, ni de certains
chercheurs, car non officielles ou vues comme « scandaleuses ».
87Les rétributions telles quelles sont décrites chez
Gaxie seraient contraires aux valeurs de l'engagement qualifié comme
« estimable, noble, généreux, courageux, civique ».
Paradoxalement encore, il semble que ces rétributions, « joie,
bonheur, et autres » qui sont reniés dans les milieux militants et
dans les travaux des chercheurs jusque là, soient au contraire assumer
et défendues ouvertement dans les mobilisations sociales de femmes. Il
semblerait donc que masquer, renier ces rétributions au profit du seul
attachement a la noble cause corresponde a une logique masculine de
l'engagement. Bien sûr chez les militantes femmes interviewées,
l'attachement a la cause féministe, ou LBT est importante, mais elle est
loin de masquer les rétributions qui comme nous allons le voir sont
ouvertement exprimées.
Les coûts du militantisme féminin en
Turquie
Selon Gaxie l'engagement militant « génère
des rétributions qui le stimulent en retour », mais il «
peut aussi être couteux (en temps, énergie, disponibilité,
pénibilité, style de vie...) ~, pour lui les causes de
l'engagement seraient égales a la somme des
86 Daniel GAXIE, «Rétributions du
militantisme et paradoxes de l'action collective», Swiss Political
Science Revue, Vol 11, N°1, (2005), p157-188
87 Daniel GAXIE, Ibid.
couts et des rétributions, car les efforts fournis les
sacrifices, le don de soi, les risques généreraient des «
sensations d'apaisement, de sérénité, de satisfaction
morale ».88 Nous allons voir dans un premier temps
qu'effectivement le militantisme des femmes à Istanbul peut être
très couteux.
D'une part l'activisme en général est vu en
Turquie par l'opinion publique comme du « terrorisme ». La
société civile ayant émergée après le coup
militaire de 1980, l'activisme a gardé pour l'opinion publique une
connotation péjorative synonyme d'anarchie, et de remise en cause de
l'ordre social. Ainsi militer, faire partie d'une association c'est aussi se
confronter au regard pas toujours bienveillant, voire souvent négatif de
la majorité, et souvent de sa propre famille. Ce qui peut dans le cas de
jeunes filles (Eceme par exemple) être coûteux psychologiquement.
Pendant les manifestations, il y a évidemment les insultes et autres
harcèlement verbaux, ou certains dangers « minimes » comme les
gaz lacrymaux. Les manifestations ayant lieu toujours à Taksim, à
Istiklal Cadesi, dans cette longue rue commerçante et
occidentalisée, cela représente donc un risque limité, en
revanche les militants que ce soit pour les causes féministes, LGBt ou
tout autre domaine, ne se risquent pas à manifester ailleurs que dans ce
périmètre « sécurisé ». A partir de
là, nous pouvons penser que l'activisme en Turquie est bel et bien
risqué. Certaines militantes disent que la police les mette sur
écoute, d'autres disent que tant qu'elles n'ont rien à voir avec
les kurdes, on les laisse tranquilles. Quoi qu'il en soit la peur est bien
présente. Il était souvent dit « tout le monde nous met des
limites, la famille met des limites, l'Etat met des limites, la police met des
limites, mais nous passons au dessus ». 89 Elles ne
s'empêchaient donc pas de mener leurs actions, tout en restant prenant
garde de rester dans une « certaine limite ». Hilal (d'Amargi) disait
« je ressens tout le temps le danger autour, mais toujours se concentrer
sur le danger te rends malade ». 90Nous pouvons ici
brièvement évoquer l'histoire de Pinar Seleck, l'une des
fondatrices d'Amargi, également rédactrice au magazine Amargi,
chercheuse en sociologie, et activiste féministe, anti-militariste,
pacifiste, pro kurde et internationalement connue. Il y a quelques
années maintenant, elle a été accusée a tort
d'être l'instigatrice d'un attentat à la bombe dans le bazar aux
épices d'Istanbul. Elle passa deux ans et demi en prison et onze
années devant les tribunaux. Acquittée trois fois, en 2006, en
2008, puis le 9 février 2011, elle vient d'être reconvoquée
par la Cour d'assise en juin 2011. Cet exemple souligne le fait qu'il existe
encore certaines lacunes en matière de Droit de l'Homme et de la Femme
en Turquie, et notamment dans le droit d'expression, ainsi les libertés
d'expressions sont limitées surtout lorsque l'on défend la cause
kurde.
88 Daniel GAxie, Ibid.
89 Tirée des entretiens réalisés
en anglais avec 5 militantes (trois à Lambda, deux à Amargi),
âgées de 21 à 35ans, entretiens effectués à
Istanbul en Turquie
90 Tirée des entretiens , Ibid.
D'autres coûts existent comme la difficulté de
gérer toutes les sphères de la vie personnelle. Les militantes
à Lambda et à Amargi sont toutes bénévoles, la
plupart sont étudiantes, mais les autres travaillent. Comment
gérer vie professionnelle, vie de famille, vie de couple, moments
à soi et activisme tout à la fois ? Certaines évoquent la
difficulté à lier vie professionnelle et activisme, par exemple,
Hilal (35 ans) « Au début je travaillais de 9h à 18h, voire
plus, et je travaillais sur la rive asiatique (à environ 1h/2h de route)
(...) c'est très difficile d'être un(e) activiste en Turquie,
ça prend beaucoup de temps, si tu veux faire quelque chose, tu dois
chercher des fonds, ce qui prend du temps, et les conditions de travail sont
dures, tu travailles 8, 10,12h par jour, donc tu ne peux pas faire n'importe
quelle profession si tu es activiste, par exemple pour la classe
ouvrière c'est beaucoup plus difficile ».91 Ce
témoignage peut donner une bribe d'explication concernant le fait que la
composition des militantes soit aussi peut brassée au niveau des classes
sociales. Hilal a changé de travail et est devenue graphiste free lance
pour se laisser la liberté et la possibilité d'être
activiste. Anne, elle aussi a un fait un choix, elle a décidé de
n'avoir aucune profession, et de consacrer tout son temps a l'activisme (et de
ne travailler qu'en cas de force majeur). Carrière professionnelle et
carrière militante sembleraient donc difficilement conciliables. Vie
familiale? aucune n'a d'enfant. Vie conjugale? aucune n'est mariée. Pour
les plus âgées (la trentaine), militer est donc devenu un choix de
vie, avec lequel, en fonction duquel, et autour duquel elles organisent leur
vie. L'activisme semble tellement apporter que le reste ne semble plus si
important. Pour les étudiantes, la prise de temps que demande
l'engagement militant semble aussi parfois difficile a concilier avec les
études et la vie étudiante. Ozge (Lambda) parle «
d'auto-exclusion du militantisme pendant un certain temps, pour avoir du temps
pour soi, pour son job, et pour ses études ».92 Gizem
témoigne de la fluctuation de son engagement « Maintenant que j'ai
terminé mes études, je vais être plus disponible(...) mon
engagement dans l'association change tout le temps(...) ça demande
beaucoup de temps et ce n'est pas facile, c'est vraiment dur pour moi
mentalement d'être responsable de quelque chose dans sa totalité,
d'avoir certains délais a tenir...~. Effectivement l'investissement
militant semble prendre beaucoup d'énergie et « d'espace mental
», pas toujours facile à gérer en parallèle de sa vie
de jeune adulte et de ses études. Mais grâce à la
flexibilité des organisations, il semble facile pour ces jeunes
militantes de s'éloigner quelque temps, de prendre ses distances, de
« mettre des limites avec sa vie privée » (Eceme) et revenir
ensuite au militantisme.
Si nous revenons a ce que disait Gaxie, les causes de
l'engagement qui correspondrait à la somme des coûts et des
rétributions, et non pas les rétributions moins les coûts.
Il semble ici qu'effectivement, travailler dur, sacrifier de son temps
personnel à la
91 Tirée des entretiens réalisés
en anglais avec 5 militantes (trois à Lambda, deux à Amargi),
âgées de 21 à 35ans, entretiens effectués à
Istanbul en Turquie
92 Tirée des entretiens, Ibid.
réalisation d'un projet, participe grandement a
l'amplification des gratifications lorsque que ce projet ou
évènement est enfin réalisé. Ainsi Hilal dit «
j'adore travailler si dur pour qu'Amargi survive )).
Des rétributions du militantisme
féminin ouvertement exprimées et assumées
Quelles sont donc les rétributions de l'activisme
féministe et LBT ? Même si les militantes femmes parlent peut
être plus ouvertement de certaines rétributions, il n'est pas si
aisée de toutes les percevoir, d'autant plus que certaines sont non
conscientes chez les militantes. La rétribution (non monétaire et
autre que la cause) la plus visible est l'intégration des militantes
dans un réseau social partageant une identité collective commune
par le biais des organisations Amargi et Lambda. Ainsi Hilal dit « nous
sommes comme une famille (...) la plupart des gens s'aime a Amargi )), Gizem :
« Amargi m'a fait connaître des gens formidables et vraiment
géniaux )), Anne : « mes amis sont ici (...) ça créer
des liens supers forts entre les gens qui fréquentent ce lieu )), Eceme
; « A Lambda j'ai trouvé beaucoup d'amis, de bons amis, et de
petites amies )).93 Ainsi Amargi et Lambda sont des lieux de
rencontres, de tissage de relations amoureuses ou amicales, et permettent aussi
le développement du sentiment rassurant d'appartenir a une
communauté, « une famille ~, d'être soutenu et compris
quoiqu'il arrive. Pour certaines ces associations remplacent leur propres
famille, en effet certaines LBT par exemple ont subit des rejets ou des
exclusions de part leur famille n'acceptant par exemple leurs orientations
sexuelles. Lambda fait donc office de refuge. Et se sentir à nouveau
intégrer une communauté peut aider à panser les blessures
vécues. Gaxie parle « d'espace d'intégration, de loisirs, de
convivialité, de fraternité et de vie amoureuse
)).94
Une autre rétribution qui apparaît assez
facilement est l'augmentation de l'estime de soi des militantes. Bien que
l'engagement dans ce type d'associations provoque pour la plupart un rejet de
la famille, mais aussi souvent un rejet du milieu extérieur
professionnel ou autre, car être militante féministe ou LBT c'est
s'exposer aux insultes, ou a l'incompréhension, le fait de se retrouver
dans ce que nous pouvons appeler « une communauté )) et de se
sentir soutenues, aidées, et comprises augmente la confiance en elles
des militantes. Hilal témoigne « en entrant a Amargi, j'ai
commencé à faire confiance aux autres, et on m'a accordé
de la confiance, j'ai réalisé que je m'étais
libérée... ~. D'autres militantes témoignent du fait de se
sentir de plus en plus fortes grâce au militantisme, Eceme dit «
Lambda donne de la force et de l'espoir aux
93 Tirée des entretiens réalisés
en anglais avec 5 militantes (trois à Lambda, deux à Amargi),
âgées de 21 à 35ans, entretiens effectués à
Istanbul en Turquie
94 Daniel GAXIE, «Rétributions du
militantisme et paradoxes de l'action collective», Swiss Political
Science Revue, Vol 11, N°1, (2005), p157-188
LGBTs ». Le fait d'être en « communauté
», soutenues, et comprises, ne serait pas le seul élément
permettant d'augmenter l'estime de soi de ces militantes, ile fait d'arriver
peu a peu a affirmer son identité en tant que différent de la
norme peut jouer aussi beaucoup. Ozge s'est affirmé en tant que Trans a
Lambda, par exemple. Mais aussi l'enrichissement intellectuel, le fait d'avoir
accès a autant de lectures, ainsi qu' à des discussions, des
débats philosophiques, sociologiques, de rencontrer d'autres
étudiants, ou personnes érudites, fait qu'il y a une sorte
d'émulation intellectuelle, et que les militantes se sentent plus «
riches )) qu'avant. Certaines ont ainsi le sentiment de commencer à
comprendre le monde qui les entourent, ainsi Anne nous livre dans son entretien
« Il y a beaucoup de gens qui réfléchissent là-dessus
(à propos des normes de genre) que tu rencontre, et puis tout d'un coup
tu es pris dans le truc, et puis c'est comme une pelote, tu tires dessus, et il
y a tout un amas de trucs qui apparaissent et qui deviennent clair dans ta
tête, c'est comme si tout devenait limpide ~. Et puis il y a
l'apprentissage pratique a s'émanciper des normes sociales et a
l'appliquer au quotidien, dans les workshops par exemple sur le corps ou la
sexualité. Toutes les militantes témoignent de l'aide qu'ont
apporté ces organisations dans leur émancipation personnelles. Le
militantisme féminin permet aussi l'amélioration des
savoirs-faires, ou de certaines compétences pratiques comme organiser
des évènements, ou mettre en oeuvre des projets, passer des coups
de téléphones, prendre la parole en public... Tout ceci contribue
au sentiment d'amélioration de la confiance en soi. Le sentiment d'agir
sur sa vie d'abord, et sur le monde ensuite, et de ne plus être
simplement passive est aussi une gratification du militantisme. Ainsi Ozge dit
« je me sens plus forte parce que j'ai le sentiment d'agir sur la
politique et sur ma vie ». Anne explique « moi il y a trop de trucs
qui me mettent en colère pour que je puisse juste me lever et aller
travailler tous les matins ce n'est pas possible. Donc moi je peux pas faire
autrement que de m'organiser pour que ça change 95»,
finalement pour elle « agir » serait comme une
nécessité morale. Marion96 (militante à
Mix-Cité Rennes) affirme « je me dis qu'au moins je me laisse pas
faire, même si les mentalités ne changent pas, j'aurais fait tout
ce que j'ai pu, ça aide a se regarder dans la glace ». Ici on voit
bien que le fait d'avoir le sentiment d'agir aide a l'amélioration de
l'estime de soi, et pour certaines cela devient une nécessité
« morale », de prime abord mais peut être aussi parce que
reliés a l'estime de soi. Pour finir voici le témoignage de
Marion qui résume bien, toutes les rétributions que j'ai pu
observer dans les mobilisations de femme à Istanbul : « Je pense
que pour être militante sur la durée, il faut vraiment le faire
pour soi en fait. Parce que si tu le fais pour les autres tu seras
déçue d'investir autant d'énergie, ce serait essayer de
vider la mer avec une petite cuiller... Si tu le fais d'abord pour toi... Enfin
moi par exemple ça m'a appris plein de
95 Tirée des entretiens réalisés
en anglais avec 5 militantes (trois à Lambda, deux à Amargi),
âgées de 21 à 35ans, entretiens effectués à
Istanbul en Turquie
96 Pré entretien réalisé avec
Marion, militante rennaise à Mix Cité.
choses d'être militante. Déjà il y a eu
beaucoup de lectures qui m'ont fait du bien. Au niveau plus pratique, je fais
de la vidéo maintenant mais j'ai appris via le militantisme. Enfin des
choses toutes bêtes, faire un compte rendu, faire un tract, faire une
belle affiche, enfin tu vois ça m'a vachement apporté, et puis il
y a les rencontres aussi et j'ai rencontré des gens formidables. Donc je
suis contente de moi. Je suis contente de vivre ça. Après je ne
le fais pas que pour moi... C'est hyper gratifiant, tu vois il ya pleins de
choses qui m'énerve mais au moins je fais mon possible pour que
ça change. Donc ouais ça fait du bien quoi97».
Elle fait preuve d'une grande lucidité sur les motivations de son
engagement sur le long terme et de ses rétributions. Selon Gaxie a les
gratifications que génèrent l'engagement sont susceptibles
d'être concurrencées par d'autres obligations ou satisfactions
telle que la vie amoureuse, familiale, scolaires, professionnelle, ou encore
les loisirs ». Donc si ces militantes s'investissent sur le long terme, (9
ans pour Hilal, 3 ans pour Gizem, 4 ans pour Eceme, Marion 4 ans, Ozge 1 an et
demi) et alors que cet investissement comporte des coûts, et même
si les coûts sont parfois eux même synonymes de gratification,
force est de constaté que cet engagement apportent de nombreuses
rétributions aux femmes qui en font partie. Et que ces
rétributions en concurrence avec les autres sphères de la vie
personnelle de ces militantes, sont responsables des fluctuations de
l'investissement militant, et de leur besoins de se a déconnecter »
du militantisme de temps à autres, mais pour au final y revenir. Et pour
en revenir à ce que nous avons dit au début du paragraphe, il est
notable que les militantes femmes n'ont pas du tout honte, d'exprimer ces
gratifications (non monétaires), qu'elles en parlent même avec
fierté, car pour la plupart, ces rétributions sont le signe
même de leur évolution, et donc de leur émancipation. Au
final, c'est ici que se joue la différence avec d'autres mobilisations
sociales, dont les objectifs sont aux premiers abords d'ordre « politique
», ou a humanitaire » ou autre, et donc pour lesquelles il est
difficile d'avouer des rétributions autres que l'attachement a la cause.
Pour les mobilisations féministes et LBT, la manière d'agir est
autre, c'est d'abord « se changer soi pour changer le monde ~,
l'émancipation personnelle est donc ici primordial, il fait parti des
revendications, et des moyens d'action. « se changer soi » est
intrinsèquement lié aux théories féministes, mais
aussi LBT, et est surtout lié a un vécu d'oppression. Des hommes
utilisent aussi cette stratégie d'action (Gandhi), elle n'est donc pas
propre au féminin.
Synthèse
Nous avons vu dans cette partie que les militantes de Lambda
et d'Amargi étaient toutes issues de la classe moyenne
supérieure, ce qui a facilité leur entrée dans le
militantisme, leur permettant d'avoir accès a un « capital
symbolique intellectuel », de part leurs études et le milieu dans
lequel elles ont évoluées et grandies. Le
97 Pré entretien réalisé avec
Marion, Ibid.
militantisme féminisme et LGBT est donc difficilement
accessible à tout le monde, et à toutes les classes. Nous avons
vu ensuite que le militantisme féministe et LGBT en Turquie comporte de
nombreux coûts, en tant qu'étant très mal vu par l'opinion
publique, mais aussi très surveillé par l'Etat et la police. De
plus les conditions de travail en Turquie sont difficiles, il est donc
difficile d'allier profession et militantisme, et pourtant le fait d'avoir un
travail apparaît comme une condition sine qua non de l'entrée dans
le militantisme, car il permet aussi l'indépendance financière et
donc la liberté du choix de vie. Si les militantes persistent dans ce
type de militantisme c'est qu'il comporte de nombreuses rétributions
autres que financières et morales, rétributions qu'elles assument
parfaitement. En effet le militantisme féminin permet
l'intégration dans un réseau social ayant des valeurs
identitaires proches ou identiques de celles aspirées, il permet aussi
l'augmentation de la confiance en soi des participantes de part le soutien
affectif et émotionnel, mais aussi de part l'enrichissement
intellectuel, l'acquisition de nombreux savoirs faire et donne le sentiment
d'être active sur sa vie et non plus passive.
Conclusion
Nous avons cherché tout au long de ce travail à
démontrer trois choses : la première est la
nécessité d'impliquer le genre dans l'étude des mouvements
sociaux, la deuxième est l'utilité encore de cet outil analytique
dans l'étude du contexte politicoculturel, contexte étant
primordial à saisir pour comprendre les raisons des revendications des
mobilisations étudiées, et donc de la cause de leurs
émergences, et de leur développement, et enfin nous avons voulu
prouver que l'étude de genre était d'autant plus importante dans
l'étude des mouvements qualifiés ici de « critiques du genre
», c'est-à-dire des féministes radicales et des mouvements
LGBT, afin de rendre compte au mieux de toute leur
spécificité.
Nous avons donc d'abord étudié brièvement
les failles des théories classiques des mouvements sociaux,
c'est-à-dire leur langage « rationalisant, stratégique
» suivant une logique masculine de la rationalité et ne permettant
pas de rendre compte pleinement des mouvements féministes et LGBT. Nous
avons ensuite établis un rapide « état des lieux ~ des
théories novatrices combinant l'apport du genre dans l'étude des
mouvements sociaux. En effet le genre permet de rendre compte, des structures
d'opportunités en étudiant les champs culturels, politiques du
contexte des mobilisations. Il permet aussi de faire ressortir les structures
organisationnelles et les répertoires d'action des mobilisation de
femmes et féministes qui suivent une logique différente que celle
invoquée dans les théories classiques de l'étude des
mouvement sociaux, en raison de l'appartenance sexuée de leurs
participantes. Enfin nous avons vu avec les théories de Ferree et de
Acker que le travail émotionnel d'une organisation pouvait être
étudié à partir du genre, car les organisations suivraient
en majorité une « éthique masculine de la rationalité
» (selon le concept de Joan Acker), alors que les mobilisations
féministes et LGBt ne suivent pas cette logique, et donc font un travail
émotionnel différent.
Afin d'étudier l'émergence des mobilisations
féministes et LGBT, il utile de comprendre le contexte turc, contexte
fortement normé. Afin de tenter de saisir d'oü vient cette division
hiérarchique culturelle des rapports de genre, nous avons exploré
l'image de la femme dans l'imaginaire collectif, c'est-à-dire à
partir des mythes nationalistes, de la religion majoritaire : l'Islam, et de
l'idéologie kémaliste encore prégnante actuellement. Dans
les mythes nationalistes, Nous avons vu d'abord que la Terre était
personnifiée en femme, la « Bien - aimée » et en
mère nourricière ayant enfanté les hommes de la
communauté. Ces métaphores sexuelles presque érotiques ne
sont pas sans répercutions sur les femmes, puisque l'objectivation de la
femme la rend dans l'image collective passive sexuellement, fragile, objet
« que l'on prend et viole », et mère nourricière.
Images de la femme que l'on retrouve dans l'imaginaire collectif religieux,
celui des interprétations islamiques. Ainsi le voile rend symboliquement
la
femme inaccessible de tout regard étranger, et sa
protection permet la sauvegarde de l'honneur, sans quoi l'ordre social de la
communauté tout entière serait menacé. Nous avons
abordé aussi brièvement le cas des féministes islamiques,
qui portent le voile de manière politique, qui revendique une relecture
de l'Islam alternative, c'est-à-dire permettant aux femmes d'être
actrice dans la sphère publique, en revendiquent son identité
musulmane (porter le voile a l'université par exemple), et tout en
restant dévouée à son mari et ses enfants dans le
privé. Ces féministes islamiques réagissent en
réaction a l'Occident et aux femmes occidentales, qui montrent leurs
sexualité dans la sphère publique, mais aussi a
l'idéologie kémaliste qui a bridé l'identité
populaire islamique en bannissant le voile, le fez, la musique traditionnelle,
et en pratiquant un laïcisme forcé. L'idéologie
kémaliste qui nous l'avons débute dans les années 20 en
Turquie et reste prégnante jusque dans les années 80 et laisse
des traces encore aujourd'hui a été le moteur du « State
Feminism )) avec le développement des lois en faveur des femmes, et leur
encouragement à être visible sur la scène publique, en
fréquentant comme les hommes les universités, les professions
jusque là (( masculines )) comme en médecine, en droit, ou en
politique ...Mais malgré ce qui semble être un grand pas en avant
pour les femmes turques, il semblerait que Kemal Atatürk, fondateur de la
République de Turquie, ne se soit en fait servit de l'image de la femme
(( émancipée )) pour montrer aux puissances occidentales à
quel point la Turquie s'était modernisé. La femme turque
étant l'instrument du projet politique kémaliste, n'était
donc pas réellement émancipée, et n'était pas
actrice de sa vie.
Ensuite, nous avons abordé l'émergence de la
société civile liée a la libéralisation
économique et politique de la Turquie dans les années 80, et en
son sein l'émergence des mouvements de femmes et féministes.
Faisant écho à la théorie de Gurr sur la (( frustration
relative ~, en effet le mouvement des femmes naît d'un assouplissement du
contexte, créant une brèche de liberté, permettant la
prise de conscience d'une inégalité profonde des hommes et des
femmes dans la société turque vis-à-vis de
l'extérieure, et donc cette « tension )), entre assouplissement des
conditions prise de conscience de ce qu'elles méritent, les femmes ont
donc commencer a se mobiliser. Malgré ces mobilisations de femmes et
féministes dans les années 80, nous avons abordé la
situation actuelle de la femme en Turquie qui reste plus que
préoccupante, avec ce qui fait office de (( fléau national )) :
la violence domestique faîte aux femmes. Selon les rapports des Nations
Unis pour l'équité de genre, il faut pour stopper la violence
faîte aux femmes des mesures d' (( empowerment )), c'est-à-dire
afin de rendre les femmes plus fortes, les mesures permettant l'augmentation de
l'instruction des jeunes filles et des femmes mais aussi les mesures
encourageant les institutions et la société a favoriser
l'entrée des femmes sur le marché du travail et donc a devenir
indépendante financièrement.
Dans une troisième et dernière section, nous
avons étudié les mobilisations féministes et LGBT
à Istanbul. Après avoir rapidement présenté les
deux organisations Amargi
(féministe) et Lambda (LGBT), nous avons abordé
les différentes identités collectives des militantes,
identité féministe radicale (a conscience de la hiérarchie
des rapports de genre et souhaite s'émanciper de cette
hiérarchie), les identités transgenres, qui remettent
complètement en question les normes de genre en ne rentrant dans aucune
catégorie, et les Queer, qui eux aussi renverse la norme et floute les
notions de genre.
Nous avons ensuite abordé ensuite le mode
organisationnel et les répertoires d'actions des organisations qui ne
sont pas conventionnels, et qui suive une logique propre ayant a voir avec
l'identité sexuée des participantes, mais aussi la volonté
de ne pas se conformer à la logique masculine, logique étant
finalement la seule valorisée dans nos sociétés. Bien que
ces organisations « critiques du genre » suivent une logique qui peut
apparaître comme identitairement genrée, ce qui peut sembler
paradoxal avec la nature de leurs revendications, il faut souligner le fait que
ces organisations soient aussi des espaces de résistances aux normes de
genre en permettant aux militantes de s'affirmer en tant que femmes ou
individus autres que selon la norme sociale du féminin, et ce en
dépit de leur identités sexuée. Enfin nous avons pu
observer que les militantes femmes (féministes et LGBT) assumaient
fièrement les rétributions du militantisme (rétributions
autre que monétaires), telles que l'intégration dans un
réseau social, l'amélioration de la confiance en soi, le soutien
émotionnel et affectif, et qui fait que ces militantes perdurent dans
leur engagement.
L'outil analytique du genre est donc primordial dans
l'étude des mouvements féministes et LGBT, ainsi que dans
l'étude du contexte d'émergence de ces mouvements, et plus
globalement dans l'étude des mouvements sociaux, et dans la recherche en
science sociale en général.
BIBLIOGRAPHIE
Articles et livres sur le féminisme en Turquie :
ARAT Ye°im, «From emancipation to Liberation: The Changing
Role of Women in Turkey's Public realm» Journal of International
Affairs, Middle Eastern studies
GOLE Nilüfer, Musulmanes et modernes : Voiles et
civilisations en Turquie, Editions La découverte,
réédité en 2003
KADIOGLU Ay°e, « Women's Subordination in Turkey: Is Islam
really the Vilain? » Middle East Journal
LARZILLIERE Pénélope, Etre Jeune en
Palestine, Voix et regards, Balland, Paris, (2004)
NAJMABADI Afsaneh, « The Erotic Vatan (Homeland) as Beloved
and mother: to love, to possess, and to protect », Comparatives
Studies in Society and History, Vol 39, N°3, (1997), p442-467
SAKTANBER Ayþe and ÇORBACOÐLU Gül,
«Veiling and Headscarf-Skepticism in Turkey»,
oxfordjournals.org, (2008), p
514-538
WHITE Jenny B, «State Feminism, Modernization and the
Turkish Republican Woman» NWSA Journal, volume 15
YUKSEL Metin, «The Encounter of Kurdish Women with
nationalism in Turkey» Middle Eastern Studies
Articles et livres sur l'étude du genre dans les
mouvements sociaux: BEAUVOIR Simone, Le deuxième Sexe :
Partie 2 « Formation», Folio Essais
BERENI Laure, CHAUVIN Sébastien, JAUNAIT Alexandre,
REVILLARD Anne, Introduction aux Gender Studies : Manuel des études
sur le genre, Collections Ouvertures politiques, édition de Boeck,
(2008)
BUTLER Judith, Trouble dans le Genre : le Féminisme et la
subversion de l'identité, Edition Découverte/Poche (1990)
CONTAMIN Jean Gabriel, « Genre et modes d'entrées
dans l'Action collective : l'exemple du mouvement pétitionnaire de la
loi Debré », Politix, N°78/2007, p 13-37
FERREE Mya Marx ET MERRIL D.A, «Cold Cognition: Thinking
about Social Movements in Gendered Frames», Contemporary
Sociology, Vol 29, n°3, (2000), p454-462
FILLIEULE Olivier, Le Sexe du Militantisme, Collection
Sociétés en Mouvement, Edition Science Po Les Presses, (2009)
GUIONNET Christine et NEVEU Erik, (2009)
Féminins/Masculins: Sociologie du Genre, Collection U, Edition
Armand Colin
HENNERON Liane, « Etre jeune féministe aujourd'hui :
les rapports de génération dans le mouvement féministe
contemporain », L'Homme et la société, n°158,
(2005/4), p93-111
HERCUS Cheryl « Identity, Emotion, and Feminist Collective
Action », Gender & Society, Vol 13, N°1, Part 2, (1999),
p 34-55
KERGOAT Danièle, IMBERT Françoise, Le DOARE
Hélène et SENOTIER Danièle, Les infirmières et
leur Coordination, Ouvrage recensé par Colette Gendron, Recherches
Féministes, Vol 6,n°2, (1993), p171-175
REVILLARD Anne et VERDALLE Laure, « Les Dynamiques du genre
», ENS Cachan | Terrains & travaux. 2006/1 - n° 10 pages
3 à 17
TAYLOR Judith «Les tactiques féministes
confrontées aux «tirs amis» dans les mouvements des femmes en
Irlande», Politix, Volume 20 n°78/2007, p65-86
TAYLOR Verta, «Social movement continuity: The women's
movement in abeyance», American Sociological Review, (1989)
TAYLOR Verta, «Gender and Social Movements: Gender Processes
in Women's Self Help Movements », Gender and Society, Vol 13,
N°1,(1999), p8-33
Livres sur les théories des mouvements sociaux :
FILLIEULE Olivier et PECHU Cécile, « Lutter ensemble
: Les théories de l'Action collective »,Paris l'Harmattan (1994)
GAXIE Daniel, «Rétributions du militantisme et
paradoxes de l'action collective», Swiss Political Science Revue,
Vol 11, N°1, (2005), p157-188
NEVEU Erik, Sociologie des Nouveaux Mouvements sociaux,
Collection Repères, La Découverte
Articles et Livres sur l'économie et la politique en
Turquie :
GOLE Nilüfer, «Toward an Autonomization of Politics and
Civil Society in Turkey» M. Heper and A. Evin (eds.), Politics in the
Third Turkish Republic, (Boulder: Westview Press, 1994), p. 218
ONIS Ziya & KEYMAN Fuat « Turkish politics in a changing
world: Global Dynamics Transformations », 2007, Bilgi Universitesi
VANER Semih, AKAGUL Deniz, et KALEAGASI Bahadir, La Turquie
en mouvement, Editions Complexe, (1995)
Rapports en lignes et sources internet :
OVIPOT (Observatoire de la Vie Politique Turque), «La
situation de la femme turque, enjeu encore et toujours des réformes les
plus urgentes» (mai 2008) http://ovipot.hypotheses.org/
HUMAN RIGHTS WATCH, Rapport: «He loves you; he beats
you»:
http://www.hrw.org/en/reports/2011/05/04/he-loves-you-he-beats-you
UNITED NATIONS ENTITY for Gender Equality and the Empowerment of
Women, Rapport: «It's time to empower Women and Girls»
http://www.endvawnow.org/
Article « Rising rates of women's suicides ring alarm bells
in Þanlýurfa» (paru en 2011)
http://www.hurriyetdailynews.com
ANNEXES
Table des Matières des Annexes :
Annexe 1 : Entretien avec Hilal, 35 ans, militante
à Amargi
Annexe 2 : Entretien avec Anne, 30 ans, militante
à Lambda
Annexe 3 : Article du rapport de Human Rights Watch «
He loves you, he beats you »
Annexe 1:
INTERVIEW of Hilal (35 ans, Amargi)
YOU
1. Can you present yourself briefly? (Age, study, job,
parental job, religion, origin)?
No I don't have any religion. My name is Hilal. I am 35 years
old. I am a feminist. And I make graphic design. It's my profession. I like
speaking Spanish, I try to learn Spanish now. I have a lot Hobbies, I like
walking around (rire). I don't know (about my origin) I don't think so. My
grand grand father was lost in the 1st World War. So we came from
Azerbaïdjan, there are any Kurdish village there. So I am not sure, maybe
I have some Armenian blood... Actullay when I ask to my grandfather he said I
don't know...so (rires). I am born in Istanbul. My father's job? He is an
accounter. She was an accouter before, now she is housewife.
2. Do you feel feminist? What does it mean for you be a
feminist?
For me feminism is to liberate myself. And to liberate myself it
doesn't mean that I can do whatever I want, for me liberating myself is to
recognize what I really want , how I construct myself inside, and what are my
will, so recognizing this and start to practis this is very important. Because
there are physically boundaries outside in women worlds. but also each one of
us have our own blocks and boundaries in our minds. So It was a big choc and
surprise for me in my life when I was 30 years old and I was recognize that, a
lot of stuff that I would like to make, but I didn't have enough confidence,
and I didn't believe. But when I start to be in solidarity with women, and I
start to trust with someone, and to be trusted, I realized that I liberated
myself, I started liberating myself. So I started to change my life bit by bit,
this Feminism for me really. And I found it in a feminist organization.
THE ASSOCIATION:
3. How long are you in Lambda? How did you come in this
association, how did you begin to involve you in this organization?
It has been 9 years, when I started to come to Amargi. In some
of the period I was far away because I was working in Asian sea, I mean I was
working 9pm to 6am, or much more . So I couldn't be activist enough. But Then,
I mentioned previously that I started to change my life, so I became a Free
lancer, I quit my job, I made lot of changes in my life. Now I am more inside
activism, and I am producing(...)
4. Could you present shortly the association? What are the
main Ideas? How much members there are? What kind of action?
I can speak for now. Now we are maybe 80/90/100 members. But the
activists are maybe 20. Amargi is just like me. Amargi was turning, changing,
and improving. So it's a feminist organization, so it's women and some
transgender persons include. And the general Ideas... Amargi is a woman
cooperative against patriarchy; struggle against patriarchy, and against other
systems which works with patriarchy like militarism, capitalism,
fundamentalism, and
this kind of things. And Amargi is a kind of association that
works in working groups with women or trans inside with their own wills and
initiatives to produce some kind of work, or protest, or action, whatever it
is. I feel myself to produce any kind of stuff. But also before, like my life,
Amargi was also producing different kind of studies or actions before.
(Are there any kind of Hierarchy in this organization?)
We try not to make but of course there are. I mean it's an
anti-hierarchical organization, it doesn't have any president or director or
whatever it is. But since you work together in all kind of works, in the
connection, communication between women they can be hierarchy but we have
enough sincerity to try to change that at least.
5. What is your role in the association?
No I don't have any role. I mean I make design of Amargi,
because it's my job of course, but I made a lot of other stuff also.
6. Do you think feminist/ LGBT activism is accessible to
everybody? (... is that any woman could involve here in this
organization?)
Mmmh. Good question. It's depending. I think it's not accessible
enough. It's not acceptable enough, it's still marginal. It's still in the
society. I mean women Rights started to be normalized. It has both advantages
and disadvantages so I cannot decide if it's good to be accessible or not. But
when women started to ask questions about patriarchy in their own world they
can access in a way to a feminist organization.
7. In general are the Action of Amargi/Lambda ended in
failure or success? How can you estimate it? And what is your feeling after an
action? Are you happy?
I cannot decide if it's failure or success. Because sometimes we
started something and we didn't finish, sometimes we couldn't.
8. Which reaction people have to your actions? There
are positive and negative reactions. PUBLIC OPINION/
SOCIETY:
9. In your opinion what do people think of feminism in
general and LGBT people (which stereotypes people have?)), and more
specifically what do people think on your association, on your actions?
Well I don't know, I think for the last 9 years, Amargi has a
name in its environment. I mean even my mom think that Amargi is good thing
now. It's mean that Amargi made a name. I can't say what people think about
Feminism in general but yes there are some Myths about feminism and feminists.
And they remain in the stay, that feminism are lesbians, feminists are ugly,
feminists are hating men especially, still in Turkey there are a period,
newspaper, and intellectuals can make this kind of stereotype. Stupide
(rires).
10. Have you ever been confronted with a danger as an
activist? Or as feminist women/ LGBT people? (on the street, during an action?,
family, work?)
Well for physical danger I made it (stage de self defense?) one
of for 4 years. It's came really well for me. It's was good for me. I felt so
strong. And when I walk in the street now, I feel more confident. But because I
am an activist, I am a feminist.
It's not depending of if you are feminist or not (c'est pas
écrit sur ta tête). I am feeling the danger around, but always
focusing on the danger, it does'nt...It make you sick I mean (rires). I am not
trying to focus this too much. But of course when we are making demonstration,
we are obligated by the police. This kind of danger.. (paper gaz/ lacrimo), but
I never have been taken in police station for last ten years. Of course it's
depend. And I have been insulted in the street when I am a feminist or when I
am not a feminist, it doesn't make any difference.
And With the Family.. Everybody's Family want the same thing,
want that you get married, or authorities, this kind of stereotype stuff. It
depends if you call youself feminist or not. I know a lot of women who doesn't
call themselves feminist but they are really feminists. It's depend of the
practicing your lives or the thing that you ...in your life.
COSTS/RETRIBUTION OF ACTIVISM:
11. Are you involved in other associations outside of
Lambda? ( in other political parties? or for Hobby?)
Yes I am in autonom group, called Illet. I am in Illet in the
same time. It's an LBT autonom, but in inself it's just autonom yes, that
people come together, and we are not making identity politics, or lesbian, or
trans, or bisexual..But last year after the pride week we have just occurred
the women (..) and we sarted to produce something together.and it's not only on
including, lesbian, tran, or bisexual. The main issue is about LBT rights, this
queer and feminist perspective.
12. Do you think that you will stay in the association over
the long term?
Well Amargi is my first organization. It's the only organization
I have participated. I was 26 or something. I don't think I will go to another
association like Mor Cati, or such feminist collective because every
organization work about something which is very important. For me in the women
movement, feminist organizations are making a lot of stuff. You can focus on
the Cati or the publishing, or whatever. Everything has been done is so much
important. I don't want to be this kind of identity. I learn all from Amargi
and how not to be a member of Amargi? I don't have this kind of identity, for 3
years. For me Personal leaving are important, Personality and solidarity. So I
don't think I will change amargi because I think I change Amargi. It's
something like that.
13. Was your involving in the association always the
same?
Well As I said, I am inside, And I am outside, But I am not
seeing myself as a part of Amargi. Of course I am a part of Amargi, but also
Amargi is a part of me. Every old member of Amargi is feeling this way. We use
Amargi to make our wishes come to, to make our dreams. If I need to be away
from amargi for just respire or come to myself, I stay away from Amargi. It's
good for myself and at the same time it's good for Amargi.
14. Do your involving take a lot of time, place in your
life? Do you manage to do everything with job/personal life/Family?
To be an activist in Turkey is very very difficult. It takes a
lot of your time. It' doesn't give you a kind of money, so you have to work.
Because the association doesn't take fond from the government. The state
doesn't give you money. So it's double or triple hard if you want to do
something. It's very difficult. If you have some projects you have to search
for fond. And the working circunstances in Turkey is hard. So you work 8 hours,
10 hours, 12 hours.. So when you work like this it's very difficult to organize
other stuff. And in amargi when we make meeting, we make meeting after 7 O'
Clock. So they finished at 11 O'Clock, or midnight sometimes. You cannot make
every profession, if you are an activist, or just if your parents are
rich...It's something that middle class can do. But for the working class it's
really I think difficult.
15. What is the atmosphere in the Lambda/Amargi? And how is
your relationship with other members of the association? is that it's more
friendly, familial...?
Yes with some of them I feel we are like a Family. With some of
them I am not very close. But mostly I love people in Amargi. And I change my
life with some of people in Amargi in being in contact. I mean it's not only
me, but I also observe the other, how they change their life. It's very
important for our motivation. I feel very deep feeling about Amargi. And I like
working really so hard to survive Amargi. That's why it's so important for me.
That's the point when you start to giving from yourself to such place to
survive not to be close. Yes I am feeling like it's a part of me. No I come
only once in a week because I am trying to make my other work out.
But in kadikoy or in other places I meet with my friends from
Amargi also. So yes we are like a family for me.
POLITIC:
16. What about your political opinion?
Well to be a feminist is political enough for me. And my
political opinion of course has a feminist perspective. Because with my
feminist context I can answer a lot of questions. Because I don't think
feminism is determinism of movement. Sometimes it's too much political for me.
But of course because I am a feminist I am in solidarity with other
discriminated groups, who have the same culture, the emigrants women workers,
anti-militarism, anarchist women..
17. Do you will vote for the next election in June?
I think about voting.
18. Do you think that activism is a way to participate in
the political life of Turkey?
There are all the same. There are too much patriarchy inside,
there are too much masculinity a large part of what I have struggle for.
ENDLY/
19. Open question: How do you see your future as a feminist
or LGBT activist? (Do you think that for example it's going to be positive,
that minds are changed, or the contrary, there is still much work to
do?)
For me there will not have happy point, that we will be
finished and go, that there will be no patriarchy...For me freedom is
important, and everybody's freedom is important. So liberating women is
important for liberating man, and everybody, and I am just struggling for this.
What is important for me, is how I get that in own roads, so I focus my present
time also not focus of some kind of(..) for the future. So every day I am
leaving, every night I am passing I try to be happy of it and also I liberate
myself, and I (..) and I am not making activism to say someone to make
something. I just am doing it for myself. So that is my life (rires).
Annexe 2:
INTERVIEW ANNE. 30 ans. LAMBDA
YOU
1. Can you present yourself briefly? (Age, study, job,
parental job, religion, origin? )
Je m'appelle Anne, j'ai un peu plus de 30 ans, je suis
française, j'ai fait des études d'histoires en France, je suis
issue de la classe moyenne supérieure. Ma religion j'en ai pas, mon job
j'en ai pas non plus, je ne travaille pas.
2. Do you feel feminist? What does it mean for you to be a
feminist?
En fait ma façon de penser et de concevoir les choses
c'est plus la tendance Queer, qui essaie justement d'aller vers la disparition
des genres de flouter les genres..ect Du coup dans cet état d'esprit
là, féministe c'est reconnaître qu'il ya une dualité
de genre, donc moi je rejette cette approche à priori féministe,
mais en même temps je suis bien consciente que dans la
société dans laquelle on vit cette distinction elle existe, et
que tant qu'elle existera je serais féministe c'est sûre. Je
m'engagerai pour ça parce que bon ca va pas..Comme je m'engagerais pour
les réfugiés, ou contre le racisme tant qu'il y en aura dans la
société, après voilà je suis une fille, enfin j'ai
été élevée comme une fille, reconnue socialement
comme une fille, du coup il est sûr et certain que c'est aussi une
oppression que je vis moi, qu'on me renvoie a la figure parce que je suis prise
pour une fille par la société.
Est-ce que c'est difficile pour toi d'assumer cette
identité de féministe, ou de queer ?
Alors ca dépend où je suis, je n'ai pas dis mais je
viens de Lambda. C'est l'association oi je m'engage le plus, ca empêche
pas que je fréquente d'autres associations aussi mais, quand je suis
arrivée a Istanbul l'année dernière c'est aussi l'endroit
que j'ai visité en premier ou j'ai été accueillie en
premier. Voilà les gens sont chouettes. Et puis mine de rien ya quand
même une différence entre les féministes et les
pédés, c'est un gros stéréotype ce que je vais te
dire mais au niveau de la remise en cause des normes quelles quelles soient ;
en général ya une opinion plus large chez les LGBT que chez les
féministes qui peuvent parfois ce crisper sur des trucs hyper
orthodoxe.
Pour répondre a ta question...A Lambda, c'est pas une
association féministe dans le sens où ce n'est pas le but
premier, mais c'est une association féministe comme elle
anti-militariste. Dans le cadre de Lambda je n'ai pas du tout de
difficulté a assumer mon identité féministe, mais dans un
autre cadre, les gens ont beaucoup de préjugés, de
mal-baisées, chiantes, donc c'est moins évident..ca c'est
arrivé souvent dans d'autres groupes qui peuvent contester d'autres
choses mais qui ne s'interrogent pas sur les normes de genre par exemple.
Ici a Istanbul les gens que je fréquente c'est des gens
qui ne se permettraient jamais de faire des trucs comme ca. Mais parce qu'ici
ya une urgence dans les luttes qui est là, c'est trois femmes qui se
font buter chaque jours par leur mari, c'est des pédés qui se
font casser la gueule dans la rue, du coup je pense que personne ne se
permettrait de remettre en cause les luttes dans lesquelles sont les gens en
fait. Ya un respect plus grand j'ai l'impression pour ça. Alors qu'en
France j'ai plus l'impression que bon ca va quoi vous avez eu les années
70, c'est bon qu'est ce que tu veux quoi ? j'ai l'impression quoi je sais
pas.
THE ASSOCIATION:
3. How long are you in Lambda? How did you come in this
association, how did you begin to involve you in this organization?
1 an. Bon Lambda Istanbul ils sont hyper connus parce que ya pas
énormément d'associations LGBT en Turquie. A Istanbul il y en a,
à ma connaissance deux : Lambda Istanbul et Istanbul LGBTT, qui
s'intéresse a toutes les problématiques mais en fait les gens de
l'association c'est surtout des Trans, du coup même si eux ils
s'interrogent sur les questions de genre, de fait la répartition, une
asso pour les trans et une asso pour les autres. Moi je connaissais
déjà Lambda Istanbul d'avant, de réputation, du coup quand
je suis venue a Istanbul je suis venue là. Je suis passé quoi
pour voir, comme je suis passé à Amargi comme je suis
passé dans pleins d'associations, voire et rencontrer les gens. Ils
organisaient la pride week quand je suis arrivée, et il y avait un
groupe de meuf justement qui organisait une conférence, un atelier, et
un workshop mais que pour les filles, et du coup je me suis mise dans
l'équipe de préparation et donc du coup voilà, de fait je
suis restée à Lambda après. Ici ca tourne que avec des
bénévoles, du coup n'importe qui a la pêche qui en veut,
bah il est bienvenu, il le fait et voilà.
(Qu'est ce qui t'as donné envie de participer a ce truc
là par exemple ?)
Parce que moi c'est des problématiques, des
thématiques, des luttes qui font parties de... ca fait un moment que je
fais ca...Ici c'était facile, les gens sont hyper drôle, l'endroit
il est chouette, ya pleins de possibilités de faire des choses et puis
il y avait besoin des
gens.et puis voilà.
4. Could you present shortly the association? What are the
main Ideas? How much members there are? What kind of action?
Lambda c'était une asso, c'en était pas une avant,
c'est devenue une asso, ya je pense 3 /4 ans, a la suite de descente de police
qu'il y a eu ici, a la suite d'une interdiction qui a été faite.
Parce que ca contrevenait à la morale publique, ou un truc comme ca.
Avant ca fonctionnait, c'était un groupe de gens. Ca avait pas le statut
légal d'une association et a partir de ce moment là, il y a eu la
volonté d'avoir un statut légal avec des membres pour montrer un
poids dans la société, des membres un peu connus..toute une
campagne là-dessus, et puis maintenant on est toujours une asso, parce
que c'est aussi a la Cour européenne des droits de l'homme, pour
l'instant on attend on attend toujours de savoir si ca va passer ou pas, c'est
très long surtout pour un pays qui n'est pas membre comme la Turquie.
(Pour les subventions ?) Non pas pour les subventions pour savoir si ils vt
juger... Finalement ici ca a été reconnue comme une association
sous réserve de ne faut pas encourager un mauvais comportement »,
du coup on a fait recours contre cette décision, et ca c'est a la Cour
euro maintenant, du coup on attend que eux ils émettent un jugement.
Mais donc pour l'instant on est toujours une association du coup, mais c'est
pas très important en fait, après ca a permis d'être
subventionner pour certains trucs puisqu'on avait un statut légal,
maintenant nous on a refuser a continuer d'être subventionner par ce
biais là. Alors on a des membres qui paient plus ou moins des
cotisations, en fait c'est pas comme ca qu'on travaille quoi. Et puis combien
ya de membre ? qui paient yen a peut être 280, officiellement yen a peut
être 50..enfin voilà ça ça veut rien dire pour nous.
Après ca c'est plus les gens qui sont engager dans l'asso, qui y
travaillent, ca ca va de 60/70
aux réunions, des fois on est 3 selon les gens y vont y
viennent, selon si les gens ont le temps ou pas de s'investir c'est très
fluctuant en fait puisque ca dépend de voilà...ca dépend
quand c'est l'hivers ya moins de gens parce qu tout le monde est un peu plus
down, quand c'est l'été
c'est chouette les gens viennent profiter de la terrasse, du coup
il peut se passer des choses puisqu'il y a des discussions. Voilà c'est
assez fluctuant.
Après l'asso, bah voilà c'est pour des LGBT ,
qu'est ce qu'on fait , bah voilà ya ce lieu qui est ouvert oi les gens
peuvent venir, se poser, parler... ya une bibliothèque..On organise des
discussions, des films, des soirées, des manifs quand il y a des choses.
Après c'est plutôt sur les droits des LGBT , ca on le fait plus
mais on le faisait avant, de relever a chaque fois qu'il y a un
problème, ca peut aller jusqu'au meurtre de gens, des gens qui ont des
problèmes dans la rue parce qu'ils sont reconnus ou accuser d'être
LGBT , de recenser tout ca, d'envoyer ca a des instances européennes qui
sont sensés eux aussi recenser tout ca. Recenser toutes les attaques en
fait, parce après c'est reléguer a des instances
supérieures de Lobbying, d'associations humanitaire..ect Après il
ya tout le travail auprès des politiques, la par exemple, il ya la
nouvelle constitution qui va être écrite. Avec ce catalogue de
« tares « qu'on peut avoir, de races, de religions, de classes, de
genres... Il y a avait justement ce qui avait été demandé
de-qui a été rajouté dans les brouillons- l'orientation
sexuelle et l'identité de genre, qui a été enlevé
finalement du dernier brouillon, donc la il ya tout un travail en lien avec les
autres associations à Istanbul et en Turquie, ya pleins de plateforme
qui se font dont Lambda fait partie. Après nous on prend aussi position
sur les problématiques féministes, antimilitariste...Après
sur l'Homophobie on met en place aussi des réseaux, que ce soit en
Turquie, ou selon les problématiques avec des pays avec lesquels on les
partage. Ca peut être les pays arabes, ca peut être les pays de la
Méditerranée... Après aussi très
concrètement il y a aussi une Helpline qui fonctionne, les gens peuvent
appeler, obtenir des conseils, obtenir si ils ont besoin de conseils ca peut
être très pratique, ca peut être un médecin, un psy
LGBT Friendly...Ya aussi une aide juridique, on a un avocat qui bosse ici, sur
tout un tas de problématique, une des grosses problématique c'est
le service militaire par exemple. Enfin voilà. (et ca c'est des
bénévoles qui font ca ?) Ouais tout le monde est
bénévole. (et vous êtes briefer la dessus ?) Alors la
voilà moi je fais pas, parce que il y a la langue turque que je ne
maîtrise pas parfaitement, si ya des gens désespérés
au téléphone, ils ont pas envie de répéter 5 fois
la même phrase, (rire) moi je fais pas ca, mais oui ya aussi des
briefings, ceux qui travaillent a l'accueil, donc dans des bureaux, eux aussi
sont briefer sur voilà : les idées de l'association c'est quoi,
comment réagir si ya quelqu'un qui est voilà en situation de
détresse, qui veut se suicider ou quoi. Après nous a
l'intérieur de Lambda, on travaille en commission, donc ya la commission
des actions, moi je travaille dans la commission des relations
extérieurs, donc c'est tout ce qui se fait avec par exemple le lobbying
a l'extérieur (mais on décidé d'arrêter parce que
ça n'intéresse personne, notamment avec l'Union
européenne, tout ces trucs là, on fait quand on a le temps, mais
c'est pas forcément notre priorité), on fait aussi des projets
avec les autres groupes de bases dans les autres pays. Il ya la commission
académique, qui prennent en charge quand il y a des gens qui font des
recherches, qui ont besoins de chiffres, de docs... Il y a la Commission des
fêtes..Il y a la commission Médias aussi, donc quand un groupe
veut faire sortir un texte, il l'envoie au groupe média qui s'en
occupe..(...)
L'idée c'est que ce soit complètement horizontale,
avec voilà l'idée qu'il n'ya ait pas de spécialiste et
puis que bah on s'attèle toujours au même question, que ca
fonctionne plus ou moins bien et que les gens sont pas forcément
payés donc ya des responsabilités à prendre par rapport a
un travail d'activisme et que voilà si tout d'un coup t'as besoin de
fric, et que t'as besoin de travailler plus, et bah pendant un mois tu vas pas
venir ici, et puis que la commission dans laquelle tu fais partie elle peut
aussi en souffrir et puis que...
5. What is your role in the association?
Alors ca. (on vient d'en parler) et puis on est deux c'est nous
qui gérons le fric de l'association, je suis dans la commission des
relations extérieurs parce que c'est un groupe qui se réunit et
qui parle en anglais, et puis du coup c'est ce travail là en
détail, c'est répondre aux e-mail qui viennent en anglais, c'est
quand il y a des assos qui viennent de telles autres villes que ce soit des
assos LGBT ou féministe ou autre et qui veulent rencontrer les gens, les
accueillir, le expliquer ce qu'on fait, et puis là on est en train de
monter un groupe d'aide au réfugiés, avec aussi une helpline,
avec en français en anglais, et en farcies pour les
réfugiés qui viennent ici. L'helpline, c'est tous les jours entre
telles heures et telles heures, il ya quelqu'un qui tient le
téléphone et puis c'est son tour de tenir le
téléphone.
6. Do you think feminist/ LGBT activism is accessible to
everybody? (... is that any woman could involve here in this
organization?)
N'importe qui réfléchit un minimum sur le monde
dans lequel il est il peut s'engager. Mais t'as pas besoin d'être
réfugié pour lutter pour les réfugiés, t'as pas
besoin de faire partie d'une minorité discriminée pour faire de
l'anti fa, ou de l'anti racisme. Après ca dépend des groupes, est
ce que c'est facile d'entrer dans tel ou tel groupe ? après ça
dépend de comment le groupe il fonctionne. (Tu as l'impression que c'est
assez brassé comme personne a l'intérieur de cette asso ?) Ici,
ouais il y a quand même beaucoup de gens qui passe, et puis c'est un lieu
ouvert, et puis il y a les fêtes...Pendant les fêtes il y a
vraiment beaucoup beaucoup de monde. Pendant la manif de la gay pride
l'année dernière il y avait 20 000personnes, ce qui est quand
même deux fois plus que l'année d'avant et ce qui est beaucoup
quoi.
7. In general are the Action of Amargi/Lambda ended in
failure or success? How can you estimate it? and what is your feeling after an
action? Are you happy?
Ouais ca dépend. Moi je pense que ce sont des
échecs. Enfin des échecs, que ce ne sont pas des succès
dans la mesure où ca reste quand même minoritaire et confidentiel,
c'est pas un mouvement de masse qui va faire changer la loi... les politiques
s'y intéressent pas, a part le BDP qui fait des interpellations sur les
questions de genre et de sexualité. Donc ouais c'est pas...Après
par exemple il y a une asso de médecins, de psy je crois qui se
réunis qui a par exemple contacter Lambda pour nous dire « donner
un Workshop d'éducation sexuelle pour les LGBT par exemple ~, donc
voilà il y a un intérêt des associations...et l'idée
c'est quand même d'être visible. Et ça c'est un grand truc
ici dans les slogans c'est de dire « arrête de te taire, on est
homosexuel, on est trans , on est n'importe quoi...et on est là »
et puis ce truc d'être visible et bah voilà a force de le dire de
le dire, les gens finissent par se dire bah oui ils sont là.
Après au niveau des lois c'est pas un succès c'est sûr.
Mais est ce que c'est ca qui est important j'en sais rien. Pas sur justement.
Je pense que les actions elles ont de l'impact, et qu'il y a un soutien, enfin
voilà 100 000 ( ?) personnes à la gay pride c'est deux fois plus
que l'an passé donc voilà ca c'est visibilité qui est
intéressante moi je pense.
8. Which reaction people have to your actions?
C'est difficile surtout quand les ministres se permettent de
tenir ouvertement officiellement des propos homophobes, qui sont ni
désavoués par le gouvernement, et même certains qui le
répètent, après tu vas au Tribunal quand il y a des
meurtres pour des raisons homophobes tu te dis pourquoi, il ya aucune raison
que ca change quand les personnes officielles, représentant de l'Etat
condamnent pas ces trucs là kil les cautionnent. Enfin je sais pas le
ministre de la famille est homophobe c'est quand même hallucinant. Enfin
ya pas raison qua ca change ces lois là. Après ici c'est
Istanbul, moi je ne connais pas vraiment la Turquie mais je connais Istanbul,
c'est Istanbul, c'est Taksim, la population de l'asso c'est quand même
souvent des étudiants ou des gens qui travaillent a
l'Université ou des artistes. Effectivement quand tu demandais si
c'était accessible, effectivement il y a quand même une certaine
population , mais j'ai l'impression comme partout, ca veut pas dire qu'il y a
plus de LGBT dans ces milieux là, ca veut dire que c'est plus facile
d'être visible que quand t'es dans un milieu plus traditionnel, plus
conservateur.
(Du coup quand vous faites des actions c'est plus pour
vous-même que vous les faites ?)
Bah pour la visibilité ...quand tu essaie de changer la
Constitution c'est plus pour la communauté. Après voilà
quand il y a eu l'assassinat du réfugié « nom » dans le
poste de police là près de Taksim. Lambda y va, on a signé
contre le nucléaire. On est ancré dans la société
turque, ya une remise en cause d'un truc plus global et qui touche aussi bien
les réfugiés, les kurdes, les pédés, les putes(...)
un système qui oppresse pleins de personnes différentes quoi.
PUBLIC OPINION/ SOCIETY:
7. In your opinion what do people think of feminism in
general and LGBT people (which stereotypes people have?)), and more
specifically what do people think on your association, on your actions?
C'est difficile a dire...Les trans, quand on croise un trans on
croit que c'est une travailleuse du sexe, la ministre de la famille pense que
c'est des malades mentaux...elle n'est pas la seule. Des intellectuels croyant
ou non d'ailleurs ; enfin ya de tout. Après globalement, le
société est homophobe, Istanbul c'est une grande ville, c'est
possible d'avoirs des lieux, d'être tranquille dans la rue, tu risques
plus ou moins, en tout cas, beaucoup moins que dans d'autres endroits, les LGBT
mais pas que il arrive qu'ils se fassent tuer par leur famille, parce que c'est
un déshonneur, donc on vie quand même dans une
société profondément homophobe en Turquie mais pas
que.et sexiste
8. Have you ever been confronted with a danger as an
activist? Or as feminist women/ LGBT people? (on the street, during an action?,
family, work?)
Par les flics? (Oui ou par les gens) Non moi pas, enfin en tant
qu'activiste moi pas. Il arrive que tu te fasses cassez la gueule pendant une
manif, mais ca ce n'est pas propre a la Turquie. La police elle défend
l'Etat donc si tu le remets en cause voilà. Et concernant les attaques
de gens, non a Istanbul contrairement a l'Europe de l'Ouest par exemple, il n'y
a pas de milice qui serait prête à intervenir. En tant
qu'activiste ya pas de danger, ya pas de peur a avoir, après ca arrive
régulièrement que des gens se fasse casser la gueule quand ils
descendent dans la rue. (Et toi en tant que LGBT ?) Non moi pas du tout, mais
je suis blanche, je fais européenne, donc les gens me prennent pour une
touriste. Donc même si je me retrouvais chez les flics ils ne veulent pas
avoir d'ennuis avec les gens d'Europe de l'Ouest. Ce n'est pas du tout la
même histoire quand t'es turc. Pas du tout.
COSTS/RETRIBUTION OF ACTIVISM:
9. Are you involved in other associations outside of
Lambda?( in other political parties? or for Hobby?)
Ouais alors moi j'ai toujours été dans des groups
qui réfléchissaient aux questions de genre, des groupes qui
squattaient, qui condamnaient la notion de propriété, des groupes
politiques, mais pas des partis non.
11. Do you think that you will stay in the association over
the long term? Bah aussi longtemps que je resterais à Istanbul je
pense.
12. Was your involving in the association always the
same?
Non bien sûr que non, parce que plus je peux parler turc,
plus je peux faire des choses, donc voilà moi c'est lié a
ça. Et puis, il ya des moments oi j'en ai marre d'être a Istanbul
parce que c'est quand même une ville assez pénible. Et donc du
coup j'ai envie de me tirer, après si voilà ma présence
est souhaitée parce que je suis la seule du groupe, bon je fais avec.
Après ca dépend aussi du temps que tu as...de beaucoup de
choses.
13. Do your involving take a lot of time, place in your
life? Do you manage to do everything with job/personal life/Family?
Pour moi ya rien qui est séparé en fait, moi ma
vie c'est l'activisme. Mes amis sont là. Tout ce que je fais, ya rien
qui n'est pas politique en fait. Donc n'importe qui quand on va se voir on va
parler de ce qu'on va faire, de quand on va se voir...etc. donc moi je fais
aucune différence. Donc pour moi ce n'est pas une partie de ma vie a
côté d'un autre truc. C'est ma vie c'est ca. Et puis je n'ai pas
de travail parce que je n'en ai pas, mais parce que je ne veux pas travailler.
Et justement ça ce serait un truc qui ne serait pas ma vie, qui me
mettrait dans une situation de faire un truc qui prend du temps alors qu'en
fait j'ai d'autres choses a faire. Voilà
(Et t'as jamais travaillé ?) Si...j'ai besoin d'argent
comme tout le monde, donc il m'arrive de travailler, mais j'essaie de faire des
choses qui m'intéressent ou avec des gens qui m'intéressent. Et
puis voilà après j'arrête. Et puis aussi pour finir
là-dessus, moi j'aurais jamais comme job d'être activiste par
exemple, parce que justement je ne veux pas, parce que justement ce qui
m'intéressent c'est toutes ces questions autour du pouvoir, et quand tu
es spécialiste c'est toi qui a le pouvoir et moi je ne veux pas. Je ne
veux pas être dans une structure qui cautionne ce genre de
fonctionnement. (Mais ça t'es venue comment ce choix de vie là
?)
Bah moi j'ai toujours été comme ca j'ai
l'impression. C'est quoi, c'est tu finis tes études, tu trouves un job,
c'est rigolo ca se passe bien, et après tu te rend compte que t'as un
patron qui te fais chier, que t'as pas envie, qu'on te donne des ordres.. Toi
t'as envie de prendre les décisions avec les gens, d'en discuter,
d'avoir ton mot a dire qu'on écoute, que machin...et puis quand tu te
retrouves dans une situation qui est pas comme ca tu te dis « mais moi je
ne veux pas, ca va pas quoi » du coup tu ne fais pas ça tu ne
travaille pas quoi. Voilà on est adulte, et on n'a pas envie que
quelqu'un nous dise « fais ci », on veut bien le faire mais que si on
trouve ça intéressant, et puis « me parle pas comme ca
d'abord », voilà sauf que ça les patrons ils n'aiment pas
trop entendre ce genre de choses, donc bon ca a raccourci ma vie
professionnelle (rires).
14. What is the atmosphere in the Lambda and how is your
relationship with other members of the association? is that it's more friendly,
familial...?
Nan mais je sais pas pourquoi j'ai pas besoin de faire une
comparaison avec les féministes mais.... Bon après il y a 10
milliards formes de faire du féminisme, 10 milliards formes d'être
LGBT. Je vais faire un peu des généralisations mais bon de fait
quand tu remets en cause l'identité de genre. La société
entière est construite autour d'une binarité et quand tu remets
en cause ça. Tu touche a un truc que...tu fais tellement péter
les cadres que... Les gens ici sont déjantés quoi ! Ya une
espèce de truc de de...de fête ! de pas sérieux..Pas de pas
sérieux on fait n'importe quoi on s'en fout, mais de pas sérieux
ou juste tu peux te permettre d'être un peu cingler ! et ouais ya un truc
qui est hyper chouette avec ça. Et ça c'est possible dans un lieu
oi tu te sens bien, dans un lieu où tu te sens as en danger. Et du coup
ca créer une sorte de liens hyper forts entre les gens qui
fréquentent le lieu et les gens qui font en sorte qu'ils existent aussi.
Enfin voilà tu vois. Un truc qui est chouette là parce que tu te
dis, voilà ici on peut faire ce qu'on veut quoi ! On peut être
plus soi même, on peut repousser vachement les limites...bon moi c'est un
truc que des fois ça me gonfle aussi, c'est qu'à chaque fois
qu'on fais des trucs bon ca tourne toujours autour de sensualité, a
chaque fois qu'on fait des fêtes tout le monde finit a poil...Bon on
pourrait faire aussi des choses qui ne tournent pas autour de la
sexualité. En même temps voilà, c'est aussi parce que c'est
le seul lieu oi c'est possible de se mettre à poil dans une fête.
Bon après ca peut être un rébarbatif (rires) mais bon je
comprends quand même, cette liberté là, elle n'existe pas
ailleurs. Après ca peut te sembler con ou tu ce que tu veux, mais on
s'en fout, on n'a pas a juger. C'est juste que si t'as envie de faire un truc
tu peux le faire. Et ça c'est chouette, et du coup on se marre en plus ;
nan mais vraiment pour de vrais on se marre.
POLITIC:
15. What about your political opinion?
Ouais moi ca m'intéresse pas de me positionner.
Après moi je me qualifie pas parce ça m'intéresse pas, je
ne trouve pas ça intéressant de me mettre dans une case, et puis
justement je ne fais pas partis d'un parti, plutôt des groupes de
réflexion ou d'action. Mais de suivre une pensée comme ça
ne m'intéresse pas. Après c'est sur que je suis
complètement a gauche gauche gauche et dans les valeurs qui sont pour
moi essentielles qui sont les valeurs d'être ensemble et puis de faire
des choses ensembles. Après c'est voilà aujourd'hui on dit quoi
pour « anti-capitaliste, anti-sexiste, écolo... »
16. Do you will vote for the next election in June?
Non, je n'ai jamais vote de ma vie encore.
Mais juste pour revenir là-dessus, revendiquer des droits
pour les LGBT a l'Etat ici, par exemple ce n'est pas du tout une lutte qui me
concerne. C'est pour ca que j'ai jamais été dans des assos ou
voilà parce que je n'attends rien de l'Etat en fait. Après je me
rends bien compte que les lois...le fait qu'il y a un changement rapide des
mentalités c'est quand même les lois qui protègent un
maximum les gens aussi quoi. Mais même si je pense qu'il y a une
efficacité aussi là dedans, ce n'est évidemment pas mon
combat, parce que pour moi l'Etat il est a combattre plus qu'à
séduire. D'oi moi je ne vais pas voter non plus, mais des gens qui
pensent qu'il y a des choses à faire au niveau institutionnel se
déplacent pour voter.
17. Do you think that activism is a way to participate in
the political life of Turkey?
Bah en fait pour moi tout est politique. A un moment les gens
avec qui tu couches c'est choix politique aussi quoi. Selon la manière
dont tu parles a tes amis...selon si tu dis ca c'est privé ce
n'est pas mes oignons. Même la façon dont les gars
et les filles communiquent entre eux, selon ce qu'ils se disent, de quoi ils
parlent. Pour moi tout ca c'est politique on t'as appris a parler, a pleurer,
ou pas pleurer à être dedans ou dehors a te battre... donc
à partir de là pour moi l'activisme c'est du comportement
quotidien, est ce que quand tu sors dans la rue en jupe et que quelqu'un
t'embête est ce que tu commence a baisser les yeux, ou a l'insulter et
bah ça aussi c'est politique. Est-ce que tu prends les choses en main,
est ce que tu lui dis que c'est un connard et qu'il n'a pas le droit de faire
ça. Ou est ce que tu subis et tu te tais. Après dans tout ton
comportement ya une signification. Après l'activisme c'est aussi dire
« moi je veux que les choses elles changent » et puis je veux
créer des espaces ou je veux me sentir bien.. Après voilà
moi la vie politique de la Turquie ça m'intéresse pas, moi ce qui
m'intéresse c'est le quotidien, c'est là façon dont tu
vies. Parce qu'après voilà, yen a plein qui font partis de
groupes politiques anti-autorité, anti ceci, anti cela, mais en fait
dans la vie c'est des gros connards, ils te laissent pas parler. Voilà
moi ça m'intéresse pas ces grandes théories, et ces grands
discours, ça peut être très intéressant
intellectuellement parlant, de lire des textes et de réfléchir,
mais en tout cas moi ma lutte elle est dans le quotidien, pas dans
l'exceptionnel, l'élection...
ENDLY/
19. Open question: How do you see your future as a feminist
or LGBT activist? (Do you think that for example it's going to be positive,
that minds are changed, or the contrary, there is still much work to
do?)
Non, je ne crois pas, en tout cas moi dans ma perspective je
pense qu'il y aura toujours besoin de lutter. Voilà pour moi c'est
inadmissible de pouvoir se faire butter dans la rue, parce que t'es née
avec des organes génitaux féminins et que du coup, et qu'on peut
de violer.. Ca il faut que ca cesse, et il faut que ca cesse vite. Ou
même pour les mariages homosexuels, même dans les pays oi s'est
autorisés, ce n'est pas du out mis au même niveau, la norme reste
quand même le mariage homosexuel. Il y aura toujours, des pauvres, des
gens qui se font exploités...peut être qu'un jour il y en aura
plus, mais...du coup je pense que j'ai un bon avenir dans l'activisme
(rires)
(Finalement pour toi heureusement que cette asso elle existe?
Enfin dans ta vie l'activisme c'est primordial au final ? )
Après cette asso là... moi je trouve ça cool
ici parce qu'on se marre plus que dans des trucs plus sérieux.
Après quand tu parlais de la question de temps, c'est clair que moi je
n'aurais pas le temps d'être dans cette asso et dans une autre,
après voilà moi ya d'autres luttes dans lesquelles je peux
participer, après m'engager dans d'autres assos comme je m'engage dans
celle là, c'est clair que je n'aurais pas le temps. Ya tellement de
facettes dans la remise en cause de notre société que de toute
façon il y aurait d'autres assos si il n'y avait pas celle-ci quoi. Y a
d'autres assos qui m'intéressent pas, des assos de LBT qui veulent les
mêmes droits que tous le monde, (le mariage...) après de dire
« je suis handicapé mais je veux être normal, je suis noire
mais je veux être normal, je suis pédé mais je veux
être normal ~ cette forme de ghettoïsation là ça
m'intéresse pas. La société dans laquelle on vit elle est
raciste, elle est sexiste, c'est essayer de faire sauter ces trucs là
qui moi m'intéresse. Du coup voilà il y aurait beaucoup d'autres
choses a faire sauter, si ce n'était pas dans cette asso là, ce
serait dans une autre.
(est ce que tu as le sentiment que l'activisme quelque part
d'apporte une forme d'émancipation personnelle ?)
Moi ya trop de trucs qui me mettent en colère pour que
je puisse juste me lever et aller travailler tous les matins c'est pas
possible. Donc moi je ne peux pas faire autrement que de m'organiser pour que
ça change.
Moi j'ai grandi dans une famille de classe moyenne
supérieure et donc on m'a dit « tu auras un bon travail, tu
gagneras de l'argent ~t'auras un mari... Une image conventionnelle de la
société, et puis après en rencontrant des gens, tu te dis
mais pourquoi moi j'ai plutôt envie de faire ça..Je n'ai pas
besoin de frics, du coup t'as pas besoin d'argent t'as pas besoin de
travailler. Et puis au fur et à mesure de te rends compte « ah bha
ouais mais ça et ça c'est la même chose, c'est le
même mécanisme » et puis plus tu prends le temps de
réfléchir, de parler avec les gens, et plus tu affines tes trucs,
plus tu as un truc clair dans la tête des mécanismes dont tu ne
veux pas, et puis ce n'est pas juste un truc qui t'embête. J'ai
l'impression de comprendre tout un mécanisme dans lequel on essaie de
nous mettre. Et puis quand même moi j'ai été
socialisée comme ça, c'est super dur de désapprendre tout
un tas de trucs. Après tu te dis mais pourquoi j'aimerais être
avec un mec qui me demande en mariage? C'est complètement débile,
ca vient d'oi ce truc là? C'est complètement absurde (rires)
Enfin oui ça pourrait se passer comme ça mais ça pourrait
aussi se passer complètement autrement, enfin bref tu vois. Et puis bon
sauf que ça tu mets un moment avant de t'en rendre compte tu vois. Et
ça c'est un exemple, mais yen a des milliers de trucs qui sont
complètement ancrés. Ca prend du temps et du cerveau, d'arriver a
s'en rendre compte. Même de dire mais attend là je réagis
complètement comme une fille. On t'a conditionné comme ça
donc c'est normal quelque part..Mais juste de se rendre compte que ces des
trucs qu'on t'a appris a faire et que c'est des réflexes qu'on a appris,
et que tu les fais pour ça. Et d'avoir la conscience de se dire que
ça pourrait être autrement, après tu choisis si tu veux que
ca se passe autrement, et tu choisis ou pas ce que tu veux changer. Juste des
trucs où tu te dis « ah bah là je ferme ma gueule parce que
je suis une fille, si j'étais un mec je l'ouvrirais ». Ou
même moi je me rend compte des trucs hallucinants que moi j'ai comme
comportement et je me dis « mais ça c'est timbré quoi ~, et
puis voilà c'est des trucs de conditionnement ça je pense, des
peurs...Là je suis partie en vacances la semaine passée toute
seule, et tout le monde me disait « nan c'est horrible, tu vas te faire
violer, tu vas te faire tuer... prends un spray au poivre ou une lacrimo»
et puis tout le monde me disait la même chose, alors je me disais merde
ça serait con qu'il arrive un truc quoi, et puis c'est des turcs ils
savent mieux. Et puis je suis partie quand même et enfin de compte tout
s'est hyper bien passé, mais du coup dès que quelqu'un approchait
tu commençais a flipper et a te dire « il faut que je me
méfie ». Tu te rends compte qu'on t'as appris a vivre dans un monde
oi quand tu n'es pas dans ta cuisine on t'as appris a avoir peur. Après
on a aussi appris aux hommes que les femmes qui ne sont pas dans leur cuisine
on peut en faire ce qu'on veut, donc voilà il faut aussi se
méfier.
Donc voilà, l'émancipation, elle passe aussi par
là, de se dire tout ça ces conneries, je n'ai pas envie d'avoir
peur, de vivre dans un monde oi les filles elles sont sensés avoir peur
du coup. Après c'est vrai que quand t'es activiste, ya des discussions,
des groupes de paroles... qui font que tu as peut être plus accès
à ce type de réflexion, et donc de libération, plus que si
t'étais tout seul dans ton coin a lire ton journal et puis a pas en
parler a personne. L'activisme c'est peut être plus condensé, mais
je pense qu'il ya des milliers de facteurs qui peuvent d'amener a la
réflexion tout le temps quoi.
(Et tout ce qui est construction dans genre..Etc. comment tu as
été consciente de ca ? C'est toi qui a été vers des
lectures par toi-même ?)
Je ne m'en rappelle pas comment ça s'est passé. Moi
j'ai habité a Berlin, et a Berlin ya quand même beaucoup de
groupes qui remettent en cause tout ca, bon c'était facile il y avait un
peu tout une effervescence, des textes, un accès hyper facile aux
choses, aux gens..don voilà après comment ca s'est passé
aussi exactement..Je pense que c'est tout un tat de trucs. Tu te rends compte
que les gens te renvoies à la figure le fait que tu sois une fille et
qu'on te fait chier quoi et toi tu te dis « c'est bon quoi, je suis une
fille et alors ? » et puis même dans tes comportements, t'es
là pourquoi je réagis comme ca alors que j'en ai rien a foutre.
Après voilà quand tu habites dans un squat, t'es obligée
de faire tout toute seule, les frontières entre les activités de
genre elles se floutent aussi. Ouais voilà c'est tout un tat de gens qui
réfléchissent là-dessus, que tu rencontre, et puis tout
d'un coup tu es pris dans le truc, et puis c'est comme une pelote, tu tire
dessus, et ya tout un amas de trucs.
Annexe 3 :
Turkey: Women Left Unprotected From Violence
Gaps in Law, Police Response, Put Urgently Needed Help Out of
Reach May 4, 2011
A Turkish woman shouts slogans on March 8, 2009 in Istanbul where
more than 5,000 women gathered to mark International Women's Day. Purple
symbolizes feminism in Turkey.
(c) 2009 Getty Images
Gauri van Gulik, women's rights advocate and researcher at Human
Rights Watch
(Istanbul) - Turkey's flawed family violence protection system
leaves women and girls across the country unprotected against domestic abuse,
Human Rights Watch said in a report released today. Life-saving protections,
including court-issued protection orders and emergency shelters, are not
available for many abuse victims because of gaps in the law and enforcement
failures.
The 58-page report, ~`He Loves You, He Beats You': Family
Violence in Turkey and Access to Protection," documents brutal and
long-lasting violence against women and girls by husbands, partners, and family
members and the survivors' struggle to seek protection. Turkey has strong
protection laws, setting out requirements for shelters for abused women and
protection orders. However, gaps in the law and implementation failures by
police, prosecutors, judges, and other officials make the protection system
unpredictable at best, and at times downright dangerous.
"With strong laws in place, it is inexcusable that Turkish
authorities are depriving family violence victims of basic protections," said
Gauri van Gulik, women's rights advocate and researcher at Human Rights Watch
and author of the report. "Turkey has gone through exemplary reform on women's
human rights, but police, prosecutors, judges, and social workers need to make
the system exemplary in practice, not just on paper."
Human Rights Watch interviewed women and girls as young as 14 and
as old as 65 who described being raped; stabbed; kicked in the abdomen when
pregnant; beaten with hammers, sticks, branches, and hoses to the point of
broken bones and fractured skulls; locked up with dogs or other animals;
starved; shot with a stun gun; injected with poison; pushed off a roof; and
subjected to severe psychological violence. The violence occurred in all areas
where researchers conducted interviews, and across income and education
levels.
This report comes as the Council of Europe is about to adopt a
regional convention on violence against women and domestic violence. Turkey
played an important role in drafting the convention as the current Chair of the
Committee of Ministers, and the convention is scheduled to be signed at a
summit in Istanbul on May 11, 2011.
Some 42 percent of women over age 15 in Turkey and 47 percent of
rural women have experienced physical or sexual violence at the hands of a
husband or partner at some point in their lives, according to a 2009 survey
conducted by a leading Turkish university.
The report is based on interviews with, and the case files of,
40 women in Van, Istanbul, Trabzon, Ankara, Izmir, and Diyarbakýr, and
dozens of interviews with lawyers, women's organizations, social workers,
government officials, and other experts.
"That first time, he hit me, he kicked the baby in my belly, and
he threw me off the roof «said Selvi T., not her real name, forced to
marry at age 12, whose husband has abused her for years.
Turkey entered the vanguard of countries offering civil
mechanisms to protect against domestic violence with its 1998 adoption of Law
4320 on the Protection of the Family. This law, as amended in 2007, established
a protection order system under which a person abused by a family member under
the same roof, male or female, can apply directly or through a prosecutor for
an order from a family court.
The orders can, among other things, require the offender to
vacate the home, stay away from the victim and their children, surrender
weapons, and refrain from violence, threats, damaging property, or contacting
the victim. The system is designed to bring about quick action, within days at
most, since people who apply for them are often in extremely dangerous
situations.
The report documents serious shortcomings with Law 4320, though.
The law excludes certain groups of women altogether, such as divorced and
unmarried women. Police, prosecutors, and judges in many cases neglect their
duties. Many women said that police officers mocked them and sent them home to
their abusers, rather than helping them get protection orders, and that
prosecutors and judges were slow to act on protection order requests or
improperly demanded evidence not required by the law.
"The extreme brutality that family members inflict on women and
girls is bad enough, but it is even worse to know that a woman who finds the
courage to escape and ask for protection might be insulted and sent right back
to her abuser," van Gulik said.
Shelters for women and children are another important element of
Turkey's response to domestic abuse. The Law on Municipalities requires every
municipality with 50,000 or more residents to provide a shelter, but the
government has fallen far short of meeting this requirement. Moreover, women
reported to Human Rights Watch that some existing shelters
have dismal conditions and inadequate security procedures. In
fact, staff in some shelters has allowed abusers to enter and have urged women
to reconcile with their batterers.
Selvi T.'s experience reflects many of these problems. Her
husband has beaten and raped her repeatedly for years, inflicting grave
injuries, yet police sent her home multiple times when she sought protection.
When she finally fled to a shelter, police told her husband the location, and
shelter staff let him in and encouraged her to reconcile with him.
On March 7, Fatma ahin, a Justice and Development Party Member of
Parliament for Gaziantep, in southeastern Turkey, announced a proposal to
revise the Law on the Protection of the Family, following consultations with
women's groups. The proposed amendements are before parliament.
The amendments would widen the scope of protection to include
women who are in a relationship but not married. They would direct the Interior
Ministry to provide financial support to protection order recipients. The draft
law would require improved measures to protect information about victims,
including their addresses if they have moved. It provides for dedicated police
and prosecutor units staffed by officers with training and expertise in family
violence. It also would allow prosecutors to grant protection orders outside
court hours, to be presented later for a judge's approval.
Turkey should close the gaps in its family protection law by
explicitly providing that protection orders may be issued to unmarried and
divorced women, including women in unregistered religious marriages, Human
Rights Watch said.
The Justice and Interior Ministries should create dedicated units
at police stations and family courts with specialized staff who can refer women
to social services and deal with their protection claims, Human Rights Watch
said. The Interior Ministry should also develop a complaint mechanism to
identify police officers, prosecutors, and judges who do not uphold the law or
who mistreat domestic violence survivors.
Overall monitoring of the protection order system is also needed,
with more specific, publicly available data on the use of the system. More
shelters are needed, and both the Interior and Justice Ministries should
continue and improve training for police officers, and to train prosecutors and
judge's about the practical requirements of Law 4320, and each official's role
in the process.
"At a time when Turkey is about to host governments from all over
Europe to make a binding commitment to end violence against women, Turkey's
government should take an honest look at its own shortcomings," van Gulik said.
"Turkey needs to make changes so that its family violence protection system
will live up to the new treaty both in design and implementation."
100
|
|