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Genre & mobilisations sociales: étude de genre des mobilisations féministes radicales et LGBT à  Istanbul

( Télécharger le fichier original )
par Adèle PRUVOST
Université Rennes 1 - Master 2 Sciences Politiques 2011
  

Disponible en mode multipage

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UNIVERSITE RENNES 1

UFR Droit et Sciences Politiques
Master 2 Sciences Politiques

Genre & Mobilisations sociales

Etude de genre des mobilisations féministes radicales et LGBT à Istanbul
Présenté et soutenu par Adèle Pruvost

Table des matières :

Etude de genre des mobilisations féministes
radicales et LGBT à Istanbul

Introduction...................................................................................................... p8

(( On ne naît pas femme, on le devient »

Le genre, les mobilisations critiques du genre, et le contexte turc

Objet d'étude : Amargi et Lambda deux organisations critiques du genre Plan du mémoire et problématique

Méthodologie

Limites du travail de recherche

Section 1 : LE GENRE DANS LA RECHERCHE EN SCIENCE SOCIALE

I) Pourquoi utiliser l'analyse par le genre dans l'étude des mobilisations sociales ?

A) Théories traditionnelles des mobilisations sociales et critique............................p14

Qu'est ce qu'un mouvement social ?

Les théories du comportement collectif & l'apport du concept de (( frustration »

Les théories des mobilisations des ressources & la focale sur les structures organisationnelles

Les théories des NMS, et les théories identitaires ou le rapprochement avec les militants

Conclusion, critiques & apports

B) Nouveaux apports théoriques du genre dans l'étude des mouvements sociaux... p17

Qu'est ce que le Genre ?

Pourquoi inclure le genre dans l'étude des mouvements sociaux ?

Verta Taylor et les structures d'opportunités genrées

Fillieule, Contamin, et Judith Taylor : les structures organisationnelles et expressives genrées

Mya Marx Ferree et Joan Acker : l' « éthique masculine de la rationalité et de la froideur »

Vers une méthodologie personnelle...

Section 2 : APPREHENDER LE CONTEXTE TURC PAR LE GENRE

I) La femme et l'imaginaire collectif turc : les représentations du « féminin » dans les mythes nationalistes, les interprétations islamiques, et le projet kémaliste de modernisation

A) Les mythes nationalistes de la femme en Turquie : de la personnification de la Terre al'objectivation des femmes................................................................................................p26

La Métaphore nationaliste de la Terre en « Bien-aimée » et en mère

La Femme porteuse de l'identité culturelle turque

B) La femme turque comme symbole du projet islamique...........................................p29 Une égalité homme/femme dans l'Islam ?

Symboliques du voile en Turquie

Le Féminisme islamique en Turquie

C) La femme turque comme symbole du projet de modernisation de Kemal Atatürk~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~.p32

Le « State Feminism »

Le projet kémaliste de civilisation

II) Des facteurs macro sociaux offrant des opportunités aux mobilisations féministes

A) De l'emergence de la societe civile dans les annees 80~~~~~~~~~~~~~~~ p35
Tradition d'un Etat fort

Une libéralisation économique et politique marquant l'émergence de la société civile De l'émergence de la société civile a l'émergence des mouvements de femmes

B) Une situation de la femme qui change dans un contexte de mondialisation mais qui reste néanmoins critiquable~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~.p39

Une situation encore fortement inégale des femmes et des hommes sur le marché du travail

La violence domestique faîte aux femmes : un fléau national en Turquie Des lacunes dans la mise en place des mesures de protection des femmes

Section 3 : ANALYSER DEUX ORGANISATIONS DE REMISE EN CAUSE DES NORMES SOCIALES DE GENRE PAR LE GENRE

I) AMARGI et LAMBDA : deux organisations militantes critiques du genre A) Naissances des organisations dans leurs contextes et revendications p44
Amargi une association féministe « radicale »

Amargi dans le contexte de la « 3ème vague féministe »

Lambda une organisation LGBT (Lesbiennes Gays Bisexuels Transexuels)

Le contexte turc de discrimination et de violences faîtes a l'égard des personnes LGBT

B) Idéologies et identités collectives : entre la lutte contre le patriarcat, la mouvance Queer, et le mouvement Transgenre..................................................................................p47

Féministe radicale

Mouvance transgenre Mouvance Queer

II) Des structures organisationnelles et des répertoires d'action genrés

A) Des structures organisationnelles par les femmes et pour les femmes.................. p49
Un rapport hiérarchique de genre dans les organisations militantes

Des structures de mobilisation de femmes qui suivent une logique féminine

Amargi & Lambda : deux organisations suivant des logiques autres qu'androcentrées

B) Des stratégies d'Action qui suivent une « logique féminine » p54

« Une école de vie oil on apprend à s'émanciper des normes de genre intellectuellement mais surtout dans le quotidien »

Un lieu de convivialité et de plaisirs Actions politiques dans l'espace publique Un lieu de soutien

III) Des espaces de résistance aux normes de genre ou la possible construction d'un soi émancipé des normes sociales de genre

A) Des espaces de liberté et de créativité qui offrent une alternative à un idéal de la femme « soumise, chaste, et accomplissant les tâches domestiques p60

B) Le « travail » émotionnel au sein des organisations~~~~~~~~~~~~~~~~~ p62

IV) « Militer c'est d'abord s'émanciper soi » : un rapport féminin à l'engagement ?

A) Facteurs d'entrée dans le militantisme~~~~~ ~~~~~~~~~~~~~~~~~~~p66 D'ol viennent les militantes féministes et LGBT ?

B) Des coûts et des rétributions féminins du militantisme~~~~~~~~~~~~~~~.p68 Gaxie et la théorie des coûts et rétributions

Les coûts du militantisme féminin en Turquie

Des rétributions du militantisme féminin ouvertement exprimées et assumées

Conclusion p75

Bibliographie ~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~ p78

Annexes~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~ p81

Introduction

« On ne naît pas femme, on le devient »

(( On ne naît pas femme on le devient )). Ecrite par Simone de Beauvoir dans le (( Deuxième Sexe )) en 1949, cette phrase constitue l'un des prémices des études de genre. Le concept de genre est pluriel et complexe à définir. Au départ il naît de sa différenciation avec le concept de (( sexe )). (( Sexe )) caractérisant les différences hommes/femmes de type biologique, c'est-à-dire faisant référence aux appareils génitaux et autres différences organiques propres au corps de sexe féminin ou au corps de sexe masculin. Le concept de genre, lui fait référence à la construction sociale des individus selon le genre féminin ou masculin ou autre (personnes intersexués ou transgenres), construction qui se fait de manière plus ou moins relative au sexe biologique. Simone de Beauvoir introduit donc dans sa critique féministe une première rupture entre le (( biologique )) et le (( social )) ; (( si le (( biologique )) et le (( social )) sont deux domaines distincts, alors l'idée que les inégalités de pouvoir entre hommes et femmes découlent des différences anatomiques ou de la capacité des femmes à enfanter perd de son évidence )). 1 Le concept de genre permet donc d'expliquer, et donc d'étudier les mouvements féministes et critiques du genre. Car si le (( biologique )) semble acquis, le (( social )) peut être changé par le biais d'actions individuelles ou collectives. Les mouvements féministes et critique du genre ne formulent pas tous les mêmes critiques, certains luttent contre la hiérarchie des normes de genre (féminisme radical a Amargi), d'autres vont plus loin et remettent en question ces normes de genre en créant des alternatives, et en refusant d'entrer dans une des catégories binaires de genre (mouvement transgenre et Queer à Lambda). Si la rupture entre le (( social )) et le (( naturel/biologique )) a servi de tremplin aux mouvements féministes dans les années 70, il semblerait aujourd'hui que le (( biologique )) ne soit en réalité pas non plus un (( acquis )), et que le (( genre précède le sexe )). 2Ainsi le terme (( sexe )) lui-même n'est pas facile a définir. Et ce que de nombreux travaux scientifiques démontrent aujourd'hui c'est que le (( sexe )) engloberait plusieurs éléments : les marqueurs chromosomiques et hormonaux, la présence de gonades, des organes génitaux internes et externes, mais aussi des caractéristiques physiques secondaires (poitrine, pilosité..) et de capacités particulières

1 Simone de BEAUVOIR, Le deuxième Sexe : Partie 2 « Formation», Folio Essais

2 Laure BERENI, Sébastien CHAUVIN, Alexandre JAUNAIT, Anne REVILLARD, Introduction aux Gender Studies : Manuel des études sur le genre, Collections Ouvertures politiques, édition de Boeck, (2008)

(porter des enfants, pénétrer un orifice...) Ce ne serait pas « soit l'un soit l'autre mais un ensemble complexe de caractéristiques » (Anne Fausto-Sterling dans Laure Bereni3) Ainsi si nos corps sont sexués ce serait du fait de nos perceptions normées, et du sens que nous donnons à nos corps pour les rendre physiquement conformes au caractéristiques que nous définissons comme étant du sexe féminin ou du sexe masculin.

Le genre, les mobilisations critiques du genre, et le contexte turc

Le genre en tant que construit social influe sur nos perceptions, nos représentations, nos comportements et nos rôles dans tous les domaines de nos vies. Encore trop peu reconnus dans les sciences sociales, il est pourtant nécessaire de le prendre en compte autant que le concept de « rapport de classe » en sociologie par exemple. L'objectif de ce mémoire est triple, prouver que l'utilisation du genre dans l'étude des mouvements sociaux est essentiel, qu'il l'est d'autant plus dans l'études des mouvements féministes et critique du genre (LGBT) afin de rendre compte au mieux de la spécificité de ces mouvements, mais aussi dans l'étude politico-culturelle de la Turquie, car le genre permet de rendre compte des hiérarchies sexuées ancrées dans les schémas culturels. Ce travail est donc basé sur trois aspects : le genre, en tant que catégorie analytique, mais aussi en tant que revendication, les mouvements féministes et LGBT, et le contexte politico-culturel turc. Avec le concept de genre et la façon dont nos comportements, nos perceptions, nos rôles sont normés par l'intériorisation de cette division sociale en deux parties hiérarchique, le masculin dominant le féminin, nous pouvons étudier les mouvements critiques de cette division. Le genre apparaît dés lors comme l'outil analytique le plus approprié pour l'étude des mouvements féministes et LGBT, que nous qualifierons de « critique du genre », car lucides sur la construction sociale de genre, les premières cherchent a s'en émanciper, c'est-à-dire à pouvoir choisir de ne pas subir la hiérarchie des rapports de genre, tandis que les seconds cherchent a s'en défaire et a ne rentrer dans aucune logique de genre. L'outil du genre permet donc d'étudier le contexte d'émergence de ces mouvements, le contexte culturel turc étant complexe, à la fois aspirant à la « modernité » européenne et revendiquant à la fois ses traditions, sa culture, son unicité. La situation des femmes y étant loin d'être satisfaisante, avec des agressions physiques et sexuelles fréquentes notamment dans le cadre de la vie conjugale. La société turque est empreinte de la ségrégation hommes/femmes à tous les niveaux, et dans toutes les sphères. La hiérarchie de genre du « masculin » sur le « féminin » s'observe dans les représentations populaires du féminin au travers des mythes nationalistes, des interprétations vestimentaires islamiques, et du projet politique de Kemal. Ceci fera l'objet de la deuxième section de ce mémoire. Ces représentations populaires peuvent s'avérer très utiles car elle reflètent la société d'une part, et se traduisent

3 Laure BERENI, Sébastien CHAUVIN, Alexandre JAUNAIT, Anne REVILLARD, Introduction aux Gender
Studies : Manuel des études sur le genre
, Collections Ouvertures politiques, édition de Boeck, (2008)

concrètement ensuite dans le rôle normé des femmes et des hommes, ainsi que dans leurs manières de penser, dans leurs émotions..Il est donc nécessaire d'étudier ce contexte afin de pouvoir comprendre le cadre dans lequel émergent, puis évoluent les mobilisations sociales critiques du genre.

Objet d'étude : Amargi et Lambda deux organisations critiques du genre

Dans ce travail, nous nous intéressons à deux organisations critiques du genre : Amargi et Lambda. Amargi est une organisation féministe, que nous qualifierons de radicale, non pas dans le sens de ces actions qui sont loin d'être extrémiste, mais dans son projet politique, qui est de prendre conscience des normes de genre et de s'en émanciper que ce soit dans la sphère privée ou publique. Son projet peut donc être qualifié de radical dans le sens oü il remet en question l'ordre social établi, c'est-à-dire sur un rapport hiérarchique des normes de genre. Amargi a donc un double objectif, le premier est la critique aux normes de genre et son émancipation, c'est-à-dire le choix d'en faire ce que l'on veut, et son deuxième objectif est plus pragmatique, celui de lutter avec d'autres organisations de femmes et/ou féministes sur des questions urgentes comme la violence domestique faîte aux femmes. Lambda est une organisation pour la défense des droits LGBT (Lesbiennes Gays Bisexuels et Transexuels). Lambda a aussi un double objectif, le premier de défendre concrètement les LGBT et leurs droits dans un contexte où les discriminations et les agressions à leurs égards sont nombreuses. Le deuxième but de l'association est de, comme Amargi, encourager les gens à prendre conscience des normes de genre, mais à la différence des féministes, les militantes de Lambda vont plus loin, car elles remettent en cause ces normes, en ne s'identifiant ni à la catégorie du masculin, ni à la catégorie du féminin, pour le mouvement transgenre, ou Queer. Les deux organisations se rejoignent souvent, notamment dans l'organisation d'évènements tels que la « Pride March » ou le Feministival. Si ces deux organisations sont critiques des normes de genre, nous verrons dans une troisième section qu'elles mobilisent des répertoires d'action et des discours qui ont avoir avec l'identité sexuée des participantes. Ayant dans le cadre de Lambda, pris parti de faire un travail d'observations a partir des entretiens des militantes femmes et trans, et non des hommes, (ce que j'ai regretté plus tard), ce travail porte donc exclusivement sur les mobilisations de femmes. Il est donc abordé dans la troisième section le fait que ces organisations ont, au de là de leurs revendications critiques du genre, un répertoire d'action, une structure organisationnelle, un rapport a l'engagement que nous pouvons qualifier de « genré » car suivant une « logique identitaire féminine », en rapport avec la construction identitaire des participantes en fonction de leur « sexe féminin ~. Il n'est donc pas si facile de se « libérer » des normes de genres intériorisées. Nous aborderons aussi que, ces organisations Lambda et Amargi jouent un rôle non négligeable dans la diffusion de modèle alternatifs à « l'idéal féminin de chasteté, de soumission, et de vertu » diffusé majoritairement par la société turque. Et qu'en cela les organisations Lambda et

Amargi ont un impact sur la construction sociale du genre au présent et a l'avenir. L'objectif ici est bien de démontrer que l'étude de genre dans les mobilisations sociales mixtes ou non mixtes est nécessaire, et qu'elle rend d'autant plus compte de la spécificité des mobilisations sociales de femmes et LGBT jusque là plutôt invisibles ou rares dans les travaux d'étude des mouvements sociaux. Nous commencerons donc d'abord ce travail en faisant un point sur les théories des mouvements sociaux et leurs failles, ainsi que ce que le genre comme outil analytique peut apporter à ces études.

Plan du mémoire et problématique

L'objet d'étude de ce mémoire est donc «Le genre comme approche des mobilisations critiques du genre (féministes radicale et LGBT) à Istanbul ~, cet objet s'articule autour de la problématique suivante « En quoi l'utilisation de l'approche du genre dans l'étude des mouvements sociaux est-elle nécessaire ? Comment étudier les mobilisations de femme critiques du genre dans le contexte particulier de la Turquie au travers le genre ? »

Ce travail va donc se développer en trois sections, la première sur l'apport du genre dans l'étude des mobilisations sociales, la deuxième section abordera la représentation du Féminin dans la, religion, le nationalisme et l' idéologie kémaliste, ces trois cadres culturels reflétant la société turque, mais jouant un rôle en tant que réflexif et de diffusion de l'image d'un « idéal de féminin », influant de manière puissante la construction sociale genré, et la hiérarchie du « masculin » sur le « féminin » dans la société. Nous aborderons aussi dans cette section en quoi la conjoncture économique et politique des années 80 a pu jouer un rôle sur l'émergence de la société civile, et donc en son sein des mouvements de femmes, et féministes, et LGBT. (En Turquie, la distinction entre mouvement des femmes et féministe est assez floue, « féministe » comporte une connotation idéologique politique, alors que les mouvements des femmes non, mais les deux luttent souvent ensemble pour des causes pragmatiques comme la lutte des violences physiques et sexuelles faîtes aux femmes). Et en troisième section, nous étudierons donc les organisations Lambda et Amargi, leurs idéologies critiques des normes de genre (transgenre, Queer, antipatriarcal), ainsi que leur mode d'action, leurs structures organisationnelles, mais aussi le rapport des militantes à leur engagement.

Méthodologie

En ce qui concerne la méthodologie pour ce travail, le cadre théorique comporte à la fois des apports des théories « classiques » des mouvements sociaux, mais aussi les apports des études de genre, et des travaux sur la combinaison des deux, c'est-à-dire l'étude des mouvements sociaux par le genre. Les sources bibliographiques ont donc été des articles anglophones sur le féminisme en Turquie, sur la situation des femmes, le contexte culturel et politique, avec des articles de chercheurs et chercheuses turcs,

traduites en anglais, Sirin Tekeli, Nilüfer Gôle, Yesim Arat, Ayse Saktanber...ainsi que l'appui des rapports de Human Rights Watch, de l'ONU, ainsi que des sources plus théoriques en français et en anglais sur les théories des mouvements sociaux (Erik Neveu, Cécile Péchu, Olivier Filliuele, Gaxie), sur les études de genre (Laure Bereni, Christine Guionnet, Judith Butler), et sur les études des mouvements sociaux par la catégorie analytique du genre (Olivier Fillieule, Verta Taylor, Judith Taylor, Mya Marx Ferree, Guionnet, Kergoat, Cheryl Hercus, Jean-Gabriel Contamin, Laure Bereni). Je me suis également appuyées sur une série d'entretiens, 5 en Turquie, 3 a Lambda, deux à Amargi, et un entretien préparatoire à Mix Cité à Rennes. Les entretiens se sont déroulés en anglais sauf pour une militante en Turquie, française d'origine, et pour l'entretien a Rennes. Les militantes étaient âgées de 21 a 35 ans, d'ancienneté variable (de 9 ans d'ancienneté a 1 an et demi). Tous les entretiens durent entre 40 minutes et une heure. Pour ma recherche, et en ce qui concerne la troisième section du mémoire, sur les structures organisationnelles, répertoire d'actions, rapport a l'engagement et coûts et rétributions du militantisme, je me suis inspirée de tous, essentiellement des entretiens en Turquie.

Limites du travail de recherche :

Les difficultés de ce travail de recherche sont nombreuses. D'une part le fait que l'objet d'étude soit a l'étranger, ce qui rend difficile l'appréhension du contexte culturel. Les féministes turques ne sont pas les mêmes que les françaises même si il y a des points de convergences, de part le contexte politique, religieux, culturel, social, et économique qui n'est pas le même, les causes de mobilisations sont donc différentes, ainsi que les revendications. Et appréhender en un an tous les paramètres d'un contexte aussi complexe et riche que la Turquie n'est pas évident. D'autre part ne pas parler turc est une difficulté supplémentaire, pour la recherche de sources écrites sur le féminisme en Turquie, elles sont quasi inexistantes en Français, et très rares en anglais. Les sources théoriques d'études de genre dans les mobilisations sociales sont aussi en plus grand nombre en anglais (Verta Taylor, Mya Marx Ferree, Cheryl Hercus) et sont donc non traduites, la difficulté est alors de comprendre tous les concepts et idées théoriques défendues en anglais, et de comprendre le texte en profondeur. Mais aussi pour les entretiens, trouver des militantes qui savent parler anglais et qui acceptent de faire l'entretien en anglais n'est pas simple, et ce dernier est peut être moins « profond )) que si il se déroulait en langue maternelle, pour l'interviewée comme pour l'intervieweuse. Nous pouvons d'ailleurs l'observer aisément avec le fait que les entretiens en français sont beaucoup plus longs (environ 10 pages, alors que plutôt 5, 6 pages pour les entretiens en anglais). L'observation des activités militantes se retrouve aussi nettement amoindrie, les meetings, réunions, divers évènements, ainsi que les slogans des manifestations étant en turc. D'autre part être une chercheuse étrangère rend plus difficile l'intégration au sein des organisations féministes, et à acquérir la confiance des militantes, qui avaient du mal à me prendre

au sérieux et a m'accorder un entretien. Elles avaient peur d'être jugées par une « occidentale ». Pour acquérir leur confiance j'ai du mentir et dire que je faisais moimême parti d'une organisation féministe et/ou LGBT en France, ainsi que participer à certains de leurs ateliers. D'autre part, le fait d'étudier une mobilisation féminine et de l'étudier au travers du genre, peut être dangereux, car il faut toujours tenter d'être le plus objectif possible, étant moi-même du genre féminin. Mes propres questions furent d'ailleurs inconsciemment genrées, puisque je m'intéressais davantage au ressenti des militantes, et à leurs vécus. Ce qui a pu peut être orienté ce travail de recherche. Néanmoins je me suis efforcée tout au long de ce travail de recherche de faire attention a la neutralité axiologique, et j'espère y être parvenue. De plus le travail sur le genre peut s'avérer difficile et flou puisque novateur, ou au contraire on peut avoir tendance à trop facilement appliquer des « évidences », telles que « les femmes agissent suivant une logique féminine, et les hommes selon une logique de la masculinité ~, or il y a des femmes qui n'agissent pas forcément selon « la logique féminine ~. C'est aussi l'intérêt d'un travail sur un mouvement LGBT : regarder si des mobilisations autres que suivant une logique féminine ou masculine sont possibles. Au final malgré ces difficultés, faire un travail de recherche sur un objet d'étude a l'étranger renforce l'immersion dans la culture turque et s'avère particulièrement enrichissant, d'autres part les recherches en anglais furent tout autant intéressantes, car pouvant apporter un point de vue, ou une perspective différente aux travaux français.

Espérant que les triples objectifs de ce mémoire seront atteints, c'est-à-dire dans la démonstration de l'outils de genre en tant que nécessaire dans l'étude des mouvements sociaux, particulièrement les mobilisations de femmes et LGBT jusque là oubliés des études de mouvements sociaux, et qui sans le genre n'auraient pu être étudiés de manière satisfaisante, et enfin dans la démonstration de l'utilité de l'outils de genre dans l'étude d'un contexte, politique, culturel, social, historique et religieux de la Turquie, contexte dans lequel les catégories hiérarchiques de genre se retrouvent sans cesse. Contexte permettant aussi d'expliquer les causes des mobilisations critiques des normes de genre.

Section 1 : LE GENRE DANS LA RECHERCHE EN SCIENCE SOCIALE

I) Pourquoi utiliser l'analyse par le genre dans l'étude des mobilisations sociales ?

A) Théories traditionnelles des mobilisations sociales et critiques

Qu'est ce qu'un mouvement social ?

On définit traditionnellement un mouvement social comme une action collective en faveur d'une cause matérielle ou immatérielle et visant a transformer l'ordre social existant. Le mouvement des femmes en Turquie, peut être considéré comme rejoignant plus globalement le mouvement féministe international même si le contexte et les revendications sont parfois différents. Les mouvements des femmes et/ ou féministes en Turquie ont un double objectifs améliorer le droit des femmes, notamment l'accès au travail, et réduire l'impunité des violences faites aux femmes notamment domestiques. Mais aussi dans le changement des mentalités et dans la modification des rapports entre les deux sexes, en vue d'atteindre l'égalité totale entre les hommes et les femmes, sans domination des uns sur les autres. Le projet est donc bien une transformation en profondeur de la société, les mouvements féministes, et/ou de femmes sont donc bien des mouvements sociaux. Il apparaît donc logique d'étudier des mouvements féministes avec l'appui des études théoriques des mouvements sociaux.

Mais « Un mouvement social c'est aussi d'abord, une mobilisations de femmes et d'hommes, autour d'espoirs, d'émotions, et d'intérêts. C'est aussi une occasion privilégiée de mettre en discussion des enjeux sociaux » selon Eric Neveu4. Dans cette définition donnée par Eric Neveu, le plus important est dit. Un mouvement social c'est aussi «des espoirs, des émotions, des intérêts » semble t-il souligner en rapport avec les théories classiques du mouvement social qui semblaient oublier cette dimension.

Il est utile de reprendre ici brièvement les théories du mouvement social, leurs points
forts, leurs faiblesses, et ensuite en quoi le genre peut être une catégorie analytique
indispensable dans la compréhension des émergences, des développements des

4 Erik NEVEU, Sociologie des Mouvements sociaux, Collection Repères, La Découverte

mouvements sociaux, de leurs structures organisationnelles mais aussi du point de vue des vécus et des expériences des militants et militantes.

Les théories du comportement collectif & l'apport du concept de « frustration »

Les premières théories sont les théories du comportement collectif. Elles émergent pendant l'entre deux guerres, avec l'Ecole de Chicago et Park et Blumer, et donnent particulièrement d'importance au comportement collectif. Des chercheurs comme Smelser, fonctionnaliste, et d'autres plus proches des psychosociologies comme Gurr, contribuent à ces travaux. La psychologie des foules de LeBon est remplacée par une logique de convergence, la naissance des comportements collectifs vient de la synchronisation entre les croyances et les frustrations des individus. Gurr invente la notion de « frustration relative », les individus espèrent quelque chose en fonction de leur perception de leur statut social, qu'ils considèrent en dessous de ce qu'ils estiment être en droit d'attendre. Cette théorie peut être critiquée car si les mobilisations émergent la plupart du temps à cause de frustrations, il est difficile d'évaluer une frustration, et il serait dangereux de prouver qu'il y a frustration parce qu'il y a mobilisation.

Dans les années 1970, surgit le Paradoxe d'Olson. Olson donc souligne le fait que si plusieurs membres souhaitent la même finalité, selon les rationalités individuelles de chacun, il peut y avoir action collective ou non. Il va donc apporter les approches de la rationalité individuelles, qui seront reprises plus tard dans les années 80 avec les théories de l'Action rationnelle, oü la tendance est d'appliquer le modèle de l'Homo Oeconmicus à tous les faits sociaux. C'est-à-dire que tout individu serait rationnel et serait pousser dans toute action par un calcul coûts/avantages. Le risque de ces théories est qu'il y est un écart entre théories « objectives » et les motivations subjectives des agents sociaux.

Les théories des mobilisations des ressources & la focale sur les structures organisationnelles

Dans les années 70, émergent les théories des mobilisations ressources, gagnant ensuite leurs essors dans les années 80. Les auteurs sont Obershall, Gamson, Tilly, McCarthy et Zald. Au lieu de se demander pourquoi les groupes se mobilisent ils se demandent comment les mobilisations émergent, se développent et s'organisent. Ils s'intéressent donc surtout aux organisations, et notamment a leur rapport avec le politique et l'Etat. Mac Carthy et Zald analysent les organisations de mobilisations comme des entreprises, « des structures d'offre répondant a des préférences diffuses sur le marché ». Au sein des membres actifs ils distingueraient les « bénéficiaires potentiels ~ censés tirés un bénéfice personnel de l'action collective et les « militants moraux ~ qui agirait dans l'action collectif sans espérer en tirer parti. Mais les théories

ne disent pas pourquoi les « militants moraux ~ s'engageraient si ce n'est pas par bénéfice personnel. Oberschall insiste sur les notions de structurations sociales, et sur les réseaux de sociabilité dans l'émergence des actions collectives.

Les théories des NMS, et les théories identitaires ou le rapprochement avec les militants

Les théories les plus récentes sont les théories des nouveaux mouvements sociaux (NMS) qui sont assez controversées. Elles éclairent le fait que dans les années 60-70, de nouveaux types de mouvements sociaux auraient émergés et qu'ils témoigneraient d'un changement de la société devenue postindustrielle. Les besoins économiques et vitaux des individus seraient comblés, de nouveaux types de revendications apparaitraient. Les NMS seraient identifiables aux formes d'organisations et aux répertoires d'actions. Les structures y seraient décentralisées, de type autonome, Les types d'action seraient nouveaux, peu institutionnels voire ludiques. Les revendications aussi ne seraient les mêmes, elles mettraient l'accent sur la résistance au contrôle social, et sur l'affirmation de styles de vie ou d'identités. Le rapport au politique change lui aussi, il s'agit de construire des espaces d'autonomies contre lui. Et enfin les identités des acteurs n'est plus seulement fondés sur les rapports de classe, mais sur d'autres principes identitaires. Les NMS seraient critiqués car certains traits seraient déjà dans les « anciens » mouvements entre autres. Ils ont néanmoins le mérite de prendre ses distances avec l'objectivisme des théories plus anciennes, et de réhabiliter les valeurs, les identités et les émotions des militants.

Enfin Gaxie, dans les années 80, est l'un des premiers a esquisser une théorie des pratiques militantes, qui étudie les coûts et rétributions de l'engagement des militants. Il parle notamment de dimension d'intégration sociale, d'émotions et de convivialité qui sont des aspects attractifs de l'engagement militant. Il développe aussi le concept de « l'effet surrégénérateur », repris par Hirschman « le bénéfice individuel de l'action collective n'est pas la différence entre le résultat qu'espère le militant et l'effort fourni, mais la somme de ces deux grandeurs ».

Conclusion, critiques & apports

Après ce rapide aperçu des théories des mouvements sociaux, qui ont apporté des nouveautés significatives, mais qui ont aussi leurs failles.

Les théories comportementales collectives nous ont apporté le concept de frustration utile pour comprendre l'émergence des mobilisations. Les théories des mobilisations des ressources l'analyse des organisations, le regard sur le « comment » ces agents sociaux se mobilisent-ils. Néanmoins le trop grand objectivisme de ces théories peut être critiquable, et la grande distance avec le vécu des agents sociaux acteurs de l'action collective aussi. Les NMS nous ont apporté des concepts tels que la logique identitaire différente des rapports de classe sur lesquels se fondent les actions

collectives, et le rapprochement avec les acteurs. Les théories de Gaxie sont intéressante du point de vue de la prise en compte de la subjectivité des vécus militants, et donc des économies de coûts et de rétributions qui rentre en jeu dans la manière d'entrer, de s'investir dans le militantisme.

Après avoir passé brièvement en revue les théories classiques des mouvements sociaux, nous allons maintenant jeter un coup d'oeil aux quelques auteurs introduisant la catégorie analytique du genre dans les mouvements sociaux, afin de comprendre de quelle manière le genre peut-il apporter quelque chose dans la compréhension des mouvements sociaux.

B) Nouveaux apports théoriques du genre dans l'étude des mouvements sociaux

Ce travail de recherche est basé sur un premier constat, celui que les différentes théories des mouvements sociaux jusqu'à aujourd'hui ne prennent pas en compte le genre dans leurs théories.

Qu'est ce que le Genre ?

La Commission générale de terminologie et de néologie en aurait rejeté l'usage en 2005. Pourtant de nombreux chercheurs et académiciens continuent a l'utiliser. Qu'est ce que le genre, et quel est son utilité dans les travaux scientifiques de recherche en sciences sociales comme dans d'autres domaines ? Au sens le plus général, le genre est la construction sociale de la différence des sexes5. On distingue du genre, le sexe qui par opposition au genre, est biologique, physiologique. Par le sexe on distingue des hommes et des femmes dotés d'appareils génitaux masculins ou féminins. L'emploi du terme « genre » permet de souligner le caractère social des comportements et des significations associées à la différence des sexes voire à cette différence elle-même6. Le terme genre nous permet de différencier le sexe biologique ou « naturel » et le sexe social ou « genre ».

L'objectif des études de genre est donc de chercher a comprendre comment le social
transforme le sexe en genre, qu'est ce qui dans le processus de construction sociale

5 Anne Revillard et Laure de Verdalle, « Les Dynamiques du genre », ENS Cachan | Terrains & travaux. 2006/1 - n° 10 pages 3 à 17

6 Laqueur, 1992, dans « Les dynamiques du genre », ENS Cachan | Terrains & travaux. 2006/1 - n° 10 pages 3 à 17

fait que nous agissons de telles ou telles manières si nous sommes nées fille ou garçon ? Quels rôles sociaux incarnons-nous de part notre identité de genre ? Depuis la petite enfance avec l'éducation différente que nous avons reçue de part notre famille ou a l'école nous poussant a aller plutôt vers tels ou tels jouets, ou à nous comporter de telles ou telles manières selon notre sexe, jusqu'au monde du travail, oü il existe indéniablement une division nette des tâches, des salaires, et des places hiérarchiques, en passant par la sphère privée et le vie conjugale où la encore une division genrée des rôles est très souvent présente... La division de genre est omniprésente dans toutes les sphères de nos vies.

Il convient cependant de ne pas penser le genre qu'à partir de cette opposition binaire féminin/masculin, et d'étudier la construction du genre tout en étant attentif à la déconnection entre construction de la féminité et de la masculinité qui reste dans une certaine mesure relativement indépendante des sexes biologiques. (En particulier chez les Transgenres, intersexes par exemple).

Les relations de genre ne seraient pas seulement présentes dans les dimensions de la construction sociale, c'est-à-dire les comportements, les statuts, les gouts, les rôles... Mais elles sont aussi dans les symboles, les valeurs, les émotions rattachés au féminin et au masculin. Les cadres symboliques rendant les oppositions féminin/masculins (( naturelles )) ou allant de soi sont très puissants et très anciens. Ainsi depuis (il semblerait) presque toujours et dans de nombreuses sociétés cette dichotomie fondée sur le biologique existe et est largement répandue. Le féminin serait associé dans de nombreuses cultures à la (( Nature ~, a la reproduction, et soins de l'enfant. Alors que le masculin lui est associé à la (( Culture )) et aux tâches intellectuelles et physiques relevant de la sphère extérieure au privé. Un des arguments les plus fréquents est de dire que la nature détermine la culture. La femme serait physiquement plus faible que l'homme et aurait un cerveau plus petit, c'est pourquoi naturellement elle serait destinée à des tâches différentes que celles des hommes. Cet argument est scientifiquement contesté. La division des tâches relève donc plus d'une division politique et de pouvoir que d'une division biologique7.

En effet il existe intrinsèquement au genre un rapport de pouvoir, que l'on peut définir selon une hiérarchie, selon laquelle les hommes dominent les femmes, et en termes de normes selon lesquelles le social accorde plus d'importance aux valeurs et significations liées au masculin plutôt qu'au féminin8. (Article (( dynamiques de

7 Christine GUIONNET et Erik NEVEU, (2009) Féminins/Masculins: Sociologie du Genre, Collection U, Edition Armand Colin

8 Anne REVILLARD et Laure de VERDALLE, (( Les Dynamiques du genre » ENS Cachan | Terrains & travaux. 2006/1 - n° 10 pages 3 à 17

genre »). Ce sont les théories féministes qui ont les premières mis à jour cet aspect relationnel de pouvoir lié au genre. Entre autres Christine Delphy a conceptualisé le terme de patriarcat, et Colette Guillaumin les concepts de (( sexages » et (( d'appropriation », en France. Aux Etats-Unis, l'une des précurseurs Judith Butler, dont les écrits ont servis a l'émergence de la mouvance « Queer », démontre que chaque individu quelque soit son sexe subit une pression sociale à se conformer à une norme de genre, et qu'en cas de transgression il y aurait une sanction sociale. La mouvance (( Queer ~ s'emploi donc a analyser les normes de genre et l'hétérosexualité et à travailler à leur déconstruction et à leur remise en question. Cette remise en question des normes de genre et de sexualité laissent aussi une place plus grande à des mobilisations jusque là invisible dans les travaux scientifiques de sciences sociales comme les mobilisations LGBT (Lesbiennes Gay Bisexuel et Trans).

Les études de genre ont été d'abord plus précoces et plus fructueuses dans les pays anglophones et notamment aux Etats-Unis et au Canada. Elles furent, et elles continuent à être dans ces pays fortement reliées au militantisme féministe, sans lequel ce courant n'aurait surement jamais vu le jour. Néanmoins cette association chercheur/militant peut être vue comme dangereuse, et serait une des causes au refroidissement de la France et des pays d'Europe envers ce type d'étude et d'analyse. De plus ce type d'étude reste peut être encore trop centré sur l'étude des femmes et du féminin, alors que l'étude du masculin est tout autant intéressant, et le risque serait de désintéresser une certaine partie de la population a ce type d'étude, qui par ailleurs devrait pouvoir concerner tout le monde9. Néanmoins l'étude du genre devient de plus en plus florissante et reconnue en France, comme en témoigne la multiplication récente des publications sur le sujet, et les ouvertures de chairs universitaires dans ce domaine. Les travaux sur le genre sont diverses et variés et transcendent toutes les domaines de recherches ; Histoire, Philosophie, Science politique, Psychologie, Sociologie, Littérature... Et toutes les sphères, celles du privé, de la vie conjugale, de la sexualité, de la famille, comme celles du publique ; sphère du travail, de l'espace publique. Et tous les champs ; politiques, économique, et sociaux...

Pourquoi inclure le genre dans l'étude des mouvements sociaux ? Verta Taylor et les structures d'opportunités genrées

Selon Verta Taylor, Mya Marx Ferree, Judith Taylor, Jean Gabriel Contamin, Olivier Fillieule, Danièle Kergoat, entre autres, les chercheurs en sciences politiques et en sociologie auraient jusqu'à présent rarement envisager le genre en tant que catégorie analytique dans l'émergence et développement des mouvements sociaux. Ces chercheurs avant-gardistes dans le domaine du genre et des mobilisations sociales

9 Christine GUIONNET et Erik NEVEU, (2009) Féminins/Masculins: Sociologie du Genre, Collection U, Edition Armand Colin

commencent par remettre en question les théories des mouvements. Les seuls travaux selon Verta Taylor qui auraient observé que le mouvement social serait traverser par des dynamiques de genre sont peu connus et peu reconnus (Fantasia 1998, Gamson1997, Mc Adam 1992, Neuhausen 1995)10. Selon elle cela contrasterait avec la croissance des travaux fructueux sur le genre dans tous les autres domaines confondus. Malgré tout un groupe de chercheuses féministes aux Etats-Unis ont fait des travaux dans ce domaine, et ont pu prouver que le « genre était un des facteurs clé explicatifs dans l'émergence, de la nature et des résultats de tous les mouvements sociaux, ceux qui n'évoquent pas intrinsèquement le conflit de genre comme ceux qui revendiquent son changement ». 11 Verta Taylor fait partie de ce groupe avec entre autres Marx Ferree, Whittier, Blee, Robnett... Elle fait notamment de nombreuses recherches sur les groupes de soutien de femmes en dépression post-partum (après l'accouchement d'un enfant). Selon elle ces groupes de soutien sont de véritables groupes d'action collectives s'incérant dans le mouvement plus large du féminisme et tentant de lutter contre les images, les rôles, et les comportements de la « mère idéale nurturante », c'est-à-dire de la mère seule responsable des soins et de l'affection dont l'enfant a besoin. Ainsi toute la pression de l'éducation et des soins affectifs de l'enfant reposerait seulement sur les épaules de la mère, ce qui expliquerait en grande partie les dépressions post-partum de ces dernières. Les groupes de soutien luttent aussi pour une meilleure connaissance de la maladie, qui est très peu reconnue notamment dans le champ médical. En effet il y aurait une réticence culturelle à envisager la naissance d'un enfant autrement que dans le bonheur. Selon Verta Taylor, les champs culturels et médicaux fortement genrés, qui diffusent et renvoie ce type d'image de la femme sont autant de structures d'opportunités pour des mobilisations de femmes.

Fillieule, Contamin, et Judith Taylor : les structures organisationnelles et expressives genrées

Olivier Fillieule 12 pense lui aussi que le genre est peu pris en compte dans l'étude des mobilisations sociales. Même si de plus en plus de travaux apparaissent sur le sujet et notamment en France. La sociologie des rapports de genre ne serait pas aussi naturellement considérée que celle des rapports de classe. En France, les chercheurs s'intéresseraient surtout a la place des femmes dans les grèves mixtes, en étudiants les rapports sociaux de sexe. Dans ses recherches il utilise le genre pour expliquer les

10 Verta TAYLOR, «Gender and Social Movements: Gender Processes in Women's Self Help Movements », Gender and Society, Vol 13, N°1,(1999), p8-33

11Verta TAYLOR, Ibid

12 Olivier FILLIEULE, Le Sexe du Militantisme, Collection Sociétés en Mouvement, Edition Science Po Les Presses, (2009)

notions de frustrations, d'opportunités politiques, de cadres dominants, mais aussi les structures organisationnelles, avec la perspective ou non du leadership androcentré, l'éventuelle division du travail militant, et enfin les coûts et rétributions de l'engagement. Utiliser le genre nécessiterait une redéfinition des frontières du militantisme et faire le rejet des découpages habituels. Il serait intéressant d'envisager d'autres sphères que celles de l'Etat et des élites, comme la communauté, la famille, les réseaux, la parenté, lesquelles seraient assignées aux femmes et donc plus particulièrement investis par ces dernières13. Ce serait donc aussi rendre visible des mobilisations qui sont habituellement mises de côté.

Chercheuse aux Etats-Unis, Judith Taylor, elle aussi fait partie de ce petit groupe de chercheurs qui étudie les mobilisations sociales par le biais de la catégorie analytique du genre. Elle cherche à mettre en évidence (notamment dans sa recherche sur les mobilisations pour le droit a l'avortement en Irlande) 14 que les modèles traditionnels nous limite dans la compréhension du mouvement. Elle critique le fait que en politique, comme en sciences sociales il est souvent utilisé des termes « neutres », voire un vocabulaire de type « militaire », avec des notions de stratégies, de tactiques d'antagonistes/protagonistes (ces deux derniers concepts étant développés par Doug McAdam, David Snow, et Gamson). Gamson et Mc Adam se focalisent très fortement sur la dynamique entre le mouvement et le gouvernement. Dans sa recherche en Irlande, elle compare les interventions de femmes et d'hommes qui sont féministes et qui sont dans le mouvement pour le droit a l'avortement lors des meetings. Durant ces interventions donc, les femmes exprimeraient plus leurs émotions, leurs ressentis, leurs expériences personnelles. Ils utilisent donc les meetings comme des lieux de paroles et de partages d'expériences. Tandis que les hommes parlent de logiques d'action collective et tentent d'organiser la prochaine action collective de manière stratégique. Elle observe aussi l'irritation de certaines militantes quant a la façon dont les hommes avaient d'emblée monopoliser les discussions et leurs empressements a diriger chants et slogans et a conduire la manifestation. Dans l'organisation aussi, elle note que les militantes femmes préfèrent la prise de décision par consensus, c'est-àdire prises par petits groupes de paroles, car plus intimes. Les militants hommes en revanche préfèrent la prise de décisions par vote car ils le considèrent comme plus démocratiques.

13 Olivier FILLIEULE, Le Sexe du Militantisme, Collection Sociétés en Mouvement, Edition Science Po Les Presses, (2009)

14 Judith TAYLOR «Les tactiques féministes confrontées aux «tirs amis» dans les mouvements des femmes en Irlande», Politix Volume 20 n°78/2007, p65-86

Un autre chercheur français, Jean Gabriel Contamin, qui a fait une étude sur la pétition contre la loi Debré15, estime lui aussi que la prise en compte du genre est indispensable dans l'étude des actions collectives, quand bien même cette action est jugée neutre aux premiers abords. En effet, pour la pétition contre la loi Debré, il y avait autant de participants hommes que femmes. Il y observe des différences genrées dans les expressions des pétitionnaires. Dans les témoignages, les femmes feraient preuve d'empathie, elles n'hésiteraient pas a exprimer leurs émotions, et elles se positionneraient avant tout comme des mères de familles (pour une majorité). Alors que les hommes (là encore des exceptions existent) se positionnent d'abord contre une politique, et s'expriment de manière plus « froide )). Il dénonce « une définition restrictive du domaine politique qui le réduit aux activités les plus institutionnelles et les moins ouvertes aux femmes, un vocabulaire « non genré )) qui masque qui fait quoi, et qui renforce implicitement l'impression qu'organisateurs, dirigeants, et militants ne sont jamais des « organisatrices )), des « dirigeantes )) ou des « militantes )) ; la tendance à présenter les modes de participation politique des femmes comme des comportements en marge de la politique, relevant des « pratiques morales )) plutôt que des luttes « politiques )) )).16

Mya Marx Ferree et Joan Acker : l' « éthique masculine de la rationalité et de la froideur »

Joan Acker écrit un article en 1990 sur l'étude féministe des organisations. Elle observe que les organisations s'appuient sur une « éthique masculine de la rationalité )). Les organisations récompenseraient en effet des comportements au travail de type masculin comme « la capacité d'abstraction et de planification, la mise de côté des dimensions émotionnelles, et une forme de supériorité cognitive dans la résolution des problèmes et la prise de décision. )) 17 En résumé, non seulement il y aurait une hiérarchie entre ce que l'organisation pense être une « éthique masculine )) et une « éthique féminine ~. Mais l'organisation exercerait une pression sur l'individu femme ou homme pour qu'il se conforme a cette éthique selon son sexe ou non. Ainsi les hommes devraient masquer toute émotion et faire preuve de capacités intellectuelles et rationnelles. Alors que les femmes devant elles aussi se conformer à ce que l'organisation attend d'elles, doivent faire preuve de capacités de soutien, d'empathie, de négociations, et d'écoute. Dans certaines organisations, il leur sera demandé également des « compétences esthétiques )). Danièle Kergoat, dans son livre « Les

15 Jean Gabriel CONTAMIN, « Genre et modes d'entrées dans l'Action collective : l'exemple du mouvement pétitionnaire de la loi Debré )), Politix N°78/2007, p 13-37

16 Ibid

17 Joan Acker dans Christine GUIONNET et Erik NEVEU, (2009) Féminins/Masculins: Sociologie du Genre, Collection U, Edition Armand Colin

Infirmières et leur Coordination», 18dénonce aussi le fait que les infirmières sont sous payées, parce que le corps médical et l'Etat attendent d'elles des qualités considérées comme « naturelles ~, d'aide, d'écoute, d'empathie, qu'ils ne considèrent pas comme des qualifications. Se plier a l'éthique masculine ou féminine que l'organisation attend de nous demande souvent un véritable travail sur soi même, de self-control, pour les hommes comme pour les femmes.

Mya Marx Ferree et D.A Merril dénoncent elles l'invisibilisation de l'émotion dans les mouvements sociaux19. Selon elles la sociologie des mobilisations est construite autour de l'idée que le comportement politique, tout comme celui du chercheur doit être « rationnel », « dénué d'émotions, de passions, et de sentiments ». Alors que les mobilisations seraient tout sauf froides, mais au contraire « pleines d'émotions, de passions, et de valeurs ». Là aussi le masculin serait rattaché au « non émotionnel, calculateur, égoïste, dominateur, et hiérarchique ~, le passionnel et l'émotionnel seraient réservés au féminin, mais comme ces deux aspects ne sont pas étudiés, il y aurait bien selon elles une hiérarchie de genre au sein des recherches en sciences sociales.

Des points qu'il reste a soulever....

Verta Taylor souligne le danger de trop insister sur les pratiques organisationnelles genrées, car cela renforcerait, ou maintiendrait les inégalités de genre. Elle préconise l'utilité aussi de travailler sur des phénomènes de résistance aux normes de genre. Comme lorsque des mobilisations de femmes développent des alternatives aux normes genrées, alternative de l'image de la femme par exemple, ou sur le travail émotionnel qui est fait au sein de l'organisation. Verta Taylor insiste aussi sur le fait qu'analyser les mobilisations sociales par le biais du genre c'est bien, mais il ne faut pas oublier l'impact des mobilisations sociales sur la construction sociale du genre. En effet de part les mobilisations de femmes, qui font un véritable travail de « développement des consciences » sur les normes de genre, et qui de part leur croissance et leur impact pourrait bien influer sur les normes dans le présent comme à l'avenir.

Vers une méthodologie personnelle...

Dans cette section théorique, nous avons fait un rapide « état des lieux » des théories
des mouvements sociaux, puis nous avons vu que l'apport du genre dans ces théories

18 Danièle KERGOAT, Françoise IMBERT, Hélène Le DOARE et Danièle SENOTIER, Les infirmières et leur Coordination, Ouvrage recensé par Colette Gendron, Recherches Féministes, Vol 6,n°2, (1993), p171-175

19 Mya Marx FERREE et D.A MERRIL, «Cold Cognition: Thinking about Social Movements in Gendered Frames», Contemporary Sociology, Vol 29, n°3, (2000), p454-462

était nécessaire. Afin d'étudier l'émergence des organisations féministes et LGBT (Lambda et Amargi), et afin de rendre au mieux de leur spécificité, l'outil analytique du genre sera donc utiliser dans cette recherche, tout en combinant des apports non négligeables des théories « classiques » des mouvements sociaux. Au début de ce travail de recherche, certains traits ; l'émotion, l'expérience personnelle, la convivialité, et l'objectif de s'émanciper soi se démarquèrent plus particulièrement, prouvant ainsi que les théories classiques des mouvements sociaux de pouvaient être suffisant dans le cadre de cette étude. C'est pourquoi les travaux de Verta Taylor et d'autres20 cherchant à inclure le genre dans leurs recherches, ont particulièrement servi dans le cadre théorique de ce travail.

Dans ces recherches, il sera donc étudié les structures organisationnelles, les répertoires d'action au travers du genre, mais aussi décrypté des témoignages des militantes lors des entretiens, et la recherche de leurs intérêts à se mobiliser dans cette cause. Les coûts et rétributions des militantes ne sont pas les mêmes que ceux des militants hommes. Il est donc intéressant d'avoir un regard analytique sur les autres sphères de la vie des militantes, aspect souvent banni dans les recherches « classiques » des mouvements sociaux. Cette observation ne se basant que sur les mobilisations de femmes, l'appui sur d'autres recherches de rapport de genre dans les groupes de mobilisations mixtes, ou masculins, afin d'établir une comparaison mais surtout afin de définir si il y a effectivement une logique d'action féminine, peut être utile.

Le contexte politico-culturel sera aussi étudié au travers du rapport social de genre, car jouant un rôle puissant dans l'émergence des mouvements sociaux, générant des frustrations et des donc des opportunités de mobilisation. La Turquie est en effet un contexte politico-culturel où la hiérarchie des normes de genre entre le « féminin » et le « masculin » est particulièrement forte et prégnante, et dont les cadres très puissants influent dans toutes les sphères de la vie d'une femme. (Famille, vie conjugale, travail, vie sociale, espace publique).

Enfin, selon ce que disait Verta Taylor21, il est important de s'interroger aussi sur l'influence du mouvement social sur la construction sociale du genre, et observer éventuellement des changements à ce niveau. Amargi et Lambda sont des organisations nationalement connues, revendiquant la prise de conscience des normes

20 Olivier FILLIEULE, Verta TAYLOR, Judith TAYLOR, Mya Marx FERREE, Christine GUIONNET, Danièle KERGOAT, Cheryl HERCUS, Jean-Gabriel CONTAMIN, Laure BERENI

21 Verta TAYLOR, «Gender and Social Movements: Gender Processes in Women's Self Help Movements », Gender and Society, Vol 13, N°1,(1999), p8-33

genrées des femmes et des hommes, et le fait de s'en émanciper (pour les féministes d'Amargi), ou de s'en défaire (pour les Queer et transgenres de Lambda). On peut donc légitimement se poser la question de l'impact de ses actions dans le champ social, bien que cela semble difficile à évaluer.

Enfin, il semble intéressant de noter aussi le paradoxe des militantes féministes et LGBT qui revendiquent l'émancipation des normes de genre, mais qui de manière inconsciente(ou non) réutilisent dans leurs actions, et leurs organisations des logiques identitaires genrées ayant à voir avec leurs identité sexuées. Mais comment pourrait-il en être autrement ?

Section 2 : APPREHENDER LE CONTEXTE TURC PAR LE GENRE

I) La femme et l'imaginaire collectif turc : les représentations du « féminin » dans les mythes nationalistes, les interprétations islamiques, et le projet kémaliste de modernisation

A) Les mythes nationalistes de la femme en Turquie : de la personnification de la Terre a l'objectivation des femmes

Pour comprendre l'étude des mobilisations féministes et LGBT, en tant que mobilisations subversives aux normes de genre, il est important d'étudier comment naissent ces ancrages culturel de ségrégation des sexes dans la société turque mais aussi dans l'imaginaire collectif. Selon l'UNESCO la culture est « Dans son sens le plus large, la culture peut aujourd'hui être considérée comme l'ensemble des traits

distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une sociétéou un groupe social. Elle englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les

droits fondamentaux de l'être humain, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances. » Dans cette partie je souhaite étudier la représentation de la femme dans certains traits constitutifs de la culture turque, ou du moins de son contexte culturel, le nationalisme, qui est prégnant en Turquie depuis le projet kémaliste de 1923, l'Islam, car religion majoritaire en Turquie, et le projet kémaliste qui est encore actuel, comme nous pouvons le voir de part les nombreux portraits d'Atatürk qui jalonnent le paysage. La représentation ainsi que les symboliques de la femme diffusées par ces trois traits culturels en Turquie, traits plus ou moins récents, ont des répercussions fondamentales sur l'oppression quotidienne des femmes turques. L'étude de genre de ces cadres culturels s'impose donc, car elle permet de comprendre l'oppression des femmes et donc l'émergence des mobilisations féminines.

Qu'est ce que le nationalisme en Turquie ? Le nationalisme débute a la fin de l'empire ottoman, puis se développe avec le fondement de l République de Kemal en 1923. Le nationalisme permet de souder un peuple face a l'extérieur, de créer de la cohésion nationale. Tout le projet de modernisation de la Turquie de Kemal se fonde sur cette idéologie. Nous n'allons pas ici nous intéressée a l'idéologie nationaliste développée par Kémal, mais a la symbolique de genre qu'il y a dans les poèmes et chansons nationalistes. Nous l'avons vu, le nationalisme est prégnant en Turquie, il faut donc comprendre les symboliques féminines des chansons et poèmes nationalistes comme les révélateurs de traits culturels turc, ces traits culturels n'étant pas immuables, ni fixés et pouvant évoluer.

La Métaphore nationaliste de la Terre en « Bien-aimée » et en mère

Dans de nombreux poèmes nationalistes turcs, mais aussi iraniens, palestiniens... Nous pouvons retrouvons la personnification de la Terre. Dans les poèmes iranien on parle de « Vatan » (mère patrie), qui est donc personnifiée en tant que « bien -aimée », ou mère22. La communauté nationale et le sentiment nationaliste se construiraient sur une hiérarchie de genre. En effet les symboliques nationalistes sont centrées sur une conception masculine, et sur l'exclusion des femmes. Le fait de présentée dans la plupart des poèmes et des chansons traditionnelles la Terre patrie comme une bienaimée, une femme donc, montre que cette conception est masculine. Cette personnalisation servirait à faire naître le sentiment « d'amour patriotique ». Se dessine alors une Terre dont les frontières seraient celles d'un corps de femme, un corps que les hommes de la communauté nationale pourraient aimer, posséder, protéger, et pour lequel ils pourraient tuer ou être tué, et qui pourrait être pénétrée, violée, par l'ennemi extérieur. Si les hommes n'arrivent pas a protéger leur Terre du viol, cela revoit à leur faiblesse, et leur honneur, qui du coup est remis en cause. Les hommes sont donc les gardiens de l'honneur de la communauté, qui est attaché a l'inaccessibilité de la Terre, comme l'inaccessibilité de la femme. La Terre est aussi symbolisée en mère nourricière, c'est elle qui a enfanté les hommes « les frères » de la communauté nationale. L'assimilation de la femme a la Terre serait non sans conséquence pour la représentation féminine qui serait vue comme vulnérable sexuellement et ayant avant tout un rôle de mère23. De plus par cette métaphore la femme est objectivée, elle devient donc un objet « dont on dispose », qui est caractérisé par sa passivité et son impuissance ; « on la prend, on la viole ».24

La Femme porteuse de l'identité culturelle turque

Par ce biais la femme turque est porteuse de l'identité culturelle, et est responsable du lien permanent de la culture traditionnelle, qui signe « l'inscription dans le temps, l'enracinement sur la Terre », et donc la « légitimité de la présence » des hommes sur leur territoire. Les femmes sont donc chargées de fournir et véhiculer une identité sur laquelle repose aussi le droit à la Terre. Et c'est en affirmant cette culture face aux altérités culturelles d'autres peuples, d'autres civilisations, que le peuple se sent appartenir à la nation turque. La femme turque doit donc être porteuse de l'identité culturelle face aux autres cultures, et notamment face à la culture occidentale en position de force idéologique. Ainsi selon Nilüfer Göle « Dans un pays musulman, la

22 Afsaneh NAJMABADI, « The Erotic Vatan (Homeland) as Beloved and mother : to love, to possess, and to protect », Comparatives Studies in Society and History, Vol 39, N°3, (1997), p442-467

23 Pénélope LARZILLIERE, Etre Jeune en Palestine, Voix et regards, Balland, Paris, (2004) 24Pénélope LARZILLIERE , Ibid

place de la femme dans la société définit les enjeux même de l'occidentalisation et, audelà des conditions de vie des femmes, met en cause de façon générale la culture et la civilisation ».25 S'il y avait rupture avec la tradition par les femmes, cela effectuerait donc à une rupture sociale, et cela représenterait une trahison nationale. La volonté de changement dans le comportement des femmes est donc fortement dépréciée, même si la Turquie est tiraillée entre modernité et traditions islamiques. Nous aborderons dans une deuxième et troisième sous partie ces deux courants, celui de l'occidentalisation kémaliste, et les traditions islamiques qui traversent la Turquie et s'y affrontent tout en utilisant la femme comme porteuse de ces projets de civilisation. Selon ces mythes nationalistes perdre la Terre reviendrai a perdre l'honneur qui renvoie a la préservation de l'inaccessibilité des femmes. Et perde l'honneur attaché a la réputation des femmes renverrai a perde la terre. L'inaccessibilité des femmes symbolise donc la garantie de l'honneur. L'honneur de la famille, mais aussi de la communauté entière repose sur la préservation de la réputation des femmes et particulièrement des jeunes filles. Ainsi en Turquie des tests de virginité sont encore effectués avec l'accord d'un juge sans le consentement de la jeune fille. L'inaccessibilité des femmes peut notamment être symbolisée par le port du voile et par l'assignation des femmes a la sphère privée. Ainsi « le contrôle des femmes est un enjeu de pouvoir a l'intérieur des sociétés, mais aussi entre les sociétés. » 26Préserver la sphère privée de toute intrusion extérieure, tout comme préserver les femmes des regards des hommes, revient a préserver l'honneur de la communauté, et garantie un « espace inviolé ~. C'est avec cette optique de symbiose sémantique entre l'inaccessibilité de la Terre et l'inaccessibilité des femmes que l'on peut retrouver dans beaucoup de pays et de cultures, que nous pouvons aussi tenter d'expliquer certains crimes de guerre, notamment les viols massifs de femmes en Bosnie.

Synthèse

Comme nous l'avons vu ici l'ordre du genre structure profondément la société turque, puisqu'il se retrouve dans les puissants cadres culturels de cette société, cadres culturels qui sont souhaités comme « immuables », puisque symbolisant la légitimité d'un peuple sur une terre. C'est cette construction idéologique et culturelle qui fait que l'homme sera valorisé comme étant actif, et devant s'exposer et agir dans l'espace public, alors que pour la femme il sera préférable d'être passive, et de « se cacher » dans la sphère du privé.

25 Nilüfer GOLE, Musulmanes et modernes : Voiles et civilisations en Turquie, Editions La découverte, réédité en 2003

26 Pénélope LARZILLIERE, Etre Jeune en Palestine, Voix et regards, Balland, Paris, (2004)

Nous avons brièvement abordé dans cette sous première sous-partie, le fait que la Turquie depuis sa création en 1923 fut traversée par deux courants l'occidentalisation kémaliste et le courant islamiste, tous deux utilisant la femme comme symbole de projet de civilisation. Nous allons dans un premier temps étudier la représentation de la femme dans l'Islam, ce qui n'est pas chose facile, l'Islam étant constitué de divers courant, divers interprétations.

B) La femme turque comme symbole du projet islamique :

(( Pour comprendre comment et pourquoi le processus civilisateur fut constitué et culturellement codé en termes de sexe, il est capital d'étudier la religion musulmane en tant que constitutive d'une organisation sociale fondée sur la ségrégation des sexes » 27

Nous venons d'aborder la personnification de la Terre au travers des mythes nationalistes entraînant l'objectivisation de la femme et le fait que ces schémas culturels avaient des répercussions lourdes sur les représentations féminines. Le nationalisme est un cadre culturel puissant en Turquie, mais il n'est pas le seul, l'Islam y est fondamental aussi, en tant que religion traditionnelle d'une part, et projet de civilisation politique d'autre part. Quel est donc la représentation de la femme dans l'Islam ?

Une égalité homme/femme dans l'Islam ?

Selon les recherches de Nilüfer Göle, il y aurait une croyance assez majoritaire en Turquie selon laquelle dans l'Islam d'origine, il n'y aurait aucune ségrégation des sexes, les textes ne seraient pas misogynes, mais au contraire revendiqueraient une parfaite égalité homme/femme. NiLüfer Göle appelle cela (( l'utopie de l'âge d'or ». Selon cette utopie la ségrégation des sexes serait dans l'héritage culturel et dans une mauvaise interprétation du Coran. Et force est de constaté, nous l'avons vu dans les mythes nationalistes, que la ségrégation des sexes n'est pas propre a l'Islam. Nous ne pouvons évidemment pas vérifier si cette (( utopie de l'âge d'or » est fondée ou non, mais il est intéressant de prendre cela en compte car cela marque la croyance de certaines femmes et hommes en une alternative a l'Islam actuel. Et il convient de même de ne pas (( diaboliser )) l'Islam, en tant que seul responsable d'une société fondée sur la ségrégation des sexes.

27 Nilüfer GOLE, Musulmanes et modernes : Voiles et civilisations en Turquie, Editions La découverte, réédité en 2003

Néanmoins nous allons étudier certaines représentations notamment vestimentaires inscrites et diffusées par des interprétations islamiques majoritaires.

Symboliques du voile en Turquie

Selon l'interprétation islamique la plus courante, le port du voile serait donc obligatoire. La ségrégation des sexes est donc symbolisée par le vêtement, le vêtement pudique qui ne doit pas mettre en valeur les corps des femmes, il doit le cacher. Ainsi les femmes sont sensées porter de long manteau ample, cachant fesses, poitrines, cuisses. Les normes vestimentaires renforcent les symboliques de genre, la virilité pour l'homme (avec la moustache, la barbe), la chasteté, la vertu, et la soumission pour la femme (en portant vêtements amples, sombres, le voile cachant les cheveux, la nuque, voire tout le visage pour le voile intégrale). Les femmes voilées intérioriseraient l'idée qu'elles doivent contrôler leur sexualité, et elle choisie de protéger sa « vertu », et d'être chaste l'objectif étant de se rendre la moins attirante possible en public. En effet pour bon nombres d'interprétations islamiques « la sexualité de la femme, sa beauté menacent l'ordre social ».28 Le voile permet donc de défendre l'ordre de la communauté. Il aurait trois fonctions ; la première empêchant les femmes d'être regardées, et donc les cachant, la deuxième fonction est spatiale et permet de tracer une frontière entre les deux sexes, la troisième est d'ordre moral, et pose un interdit. Ainsi en cachant les femmes, en les séparant des hommes, on les rend inaccessible, et elles sont donc protégées d'éventuelles intrusions sexuelles, remettant en cause l'honneur de la communauté, et l'ordre social. Dans les sociétés musulmanes, la vie privée renverrait directement a la sexualité de la femme, et donc a l'espace interdit. « Mahrem » signifie « intime », « familier », « secret », « ce qui ne doit pas être su de tous »29, mais il signifie aussi l'interdit, l'interdit du regard d'un homme étranger a la famille, dont les relations sont considérées comme illégitimes par la Charia. Le voile renvoit donc au domaine de l'intime et de l'interdit (mahrem).

L'ordre social repose donc ici sur l'inaccessibilité de l'homme étranger au « mahrem », et est symbolisé par la femme voilée, ainsi que là encore par son assignation à la sphère du privé. Il est intéressant de voir ici que nous retrouvons les mêmes symboliques que dans les mythes nationalistes.

Le Féminisme islamique en Turquie

En Turquie, il y a de nombreuses manières de porter le voile, mais les deux plus
courantes, sont la manière traditionnelle, avec un voile parfois noué dans le coup ou
sur la nuque portée par les plus âgées en costumes traditionnels et dans les zones

28 Nilüfer GOLE, Musulmanes et modernes : Voiles et civilisations en Turquie, Editions La découverte, réédité en 2003

29 Nilüfer GOLE, Ibid.

rurales, la seconde manière est le voile recouvrant la totalité des cheveux, associés au port d'un manteau long et portés la plupart du temps par les étudiantes30. Cette manière de porter le voile symbolise un acte politique de la part de ces étudiantes se revendiquant du mouvement féministe islamiste. Ce mouvement est apparu dans les années 80, en parallèle du mouvement islamiste se revendiquant comme acteur important culturel, social, et politique et ayant été trop longtemps « évacué » de la scène politique et de l'espace publique par le projet kémaliste de modernisation de la Turquie a l'occidentale depuis les années 1923. Les féministes islamistes se revendiquent comme une alternative a l'Islam traditionnel, en revendiquant elles aussi leur place dans la sphère publique, au sein des universités, en politique, mais aussi dans des carrières professionnelles comme en médecine, ou en droit, mais voilées. Elles marquent la scène publique, en manifestant dans les années 1980 contre l'interdiction du port de voile dans les universités et lieux publics. Si elles veulent rester voilées dans la sphère publique et ce contrairement au projet kémaliste qui (nous le verrons dans la troisième sous partie) voulaient que les femmes adoptent un style vestimentaire « a l'occidentale ~, c'est pour justement s'affirmer en opposition a l'Occident. Ainsi face aux femmes occidentales qui selon elles revendiquent leur sexualité a l'extérieur, dans l'espace publique, les femmes islamistes font tout l'inverse et retreignent toute marque de sexualité au « mahrem ». « Nous serons séduisantes à l'intérieur et repoussantes a l'extérieure ».31 La notion de féminisme islamique s'explique donc par une volonté d'émancipation au projet kémaliste, mais aussi à l'islam traditionnel en se réappropriant la sphère publique et politique tout en affirmant leur identité culturelle musulmane face a l'identité féminine dominante occidentale. Le terme de féminisme pour caractériser ce mouvement reste néanmoins critiquable, notamment par les organisations féministes radicales et LGBT que j'ai étudié (nous le verrons plus loin), car elles ne revendiquent pas une totale émancipation. Ainsi elles témoignent d'une volonté a rester chastes, vertueuses et dévouées à leurs maris et enfants. Dans les recherches de Nilüfer Göle « Musulmanes et modernes », 32les femmes de ces mouvements féministes islamistes, les étudiantes ne témoignent pas de la volonté première de faire de longues études dans le but d'avoir une profession, et d'être indépendante financièrement. Elles disent faire des études pour être cultivées et afin de pouvoir éduquer au mieux leurs enfants. Selon leurs témoignages, les études ne seraient donc pas une fin en soi, leurs priorités restant leurs dévotions à la sphère du privé. Certaines revendiquent même le fait de travailler dans certains postes comme en médecine ou en politique, dans le but de

30 Ayþe SAKTANBER and Gül ÇORBACOÐLU, «Veiling and Headscarf-Skepticism in Turkey», oxfordjournals.org, (2008), p 514-538

31 Nilüfer GOLE, Musulmanes et modernes : Voiles et civilisations en Turquie, Editions La découverte, réédité en 2003

32 Nilüfer GOLE, Ibid.

transmettre au mieux les idéologies islamiques, car les autres femmes leur accorderaient plus de confiance, ou afin de rendre service aux femmes musulmanes refusant par exemple de se faire ausculter par un homme. Même si le féminisme islamique reste quelque peu limité, n'ayant pas pour projet de renverser l'ordre social existant, et les relations de genre s'y trouvant ancrées, il est néanmoins important d'y porter un regard, car en se revendiquant actrice de la sphère publique, et en manifestant pour leur droits à porter le voile, les féministes islamiques ont montrés qu'elles n'étaient plus simplement passive, et qu'elles pouvaient agir et avoir du pouvoir et de l'impact dans l'espace publique, ainsi que dans l'acquisition d' « un capital symbolique » issu de leurs étude.

C) La femme turque comme symbole du projet de modernisation de Kemal Atatürk

Le « State Feminism »

L'idéologie kémaliste a été un projet de civilisation ayant un impact fondamental sur la société turque depuis la fondation de la République de Turquie en 1923, et jusqu'à aujourd'hui. Les nombreux portraits d'Atatürk, et fêtes en son honneur nous le rappelle sans cesse en Turquie, la République de Kemal Atatürk a laissé des traces. En 1923 donc, il instigue un projet de civilisation à la fois de modernisation, et de sécularisation de la Turquie. Dans ce cadre de nombreuses réformes furent menées amenant de nombreux changement pour l'ancien empire Ottoman, le but étant d'amener la Turquie au rang des puissances voisines occidentales. C'est dans ce contexte que de nombreuses réformes en faveur des femmes ont vu le jour. Parmi elles, le droit de vote aux élections locales en 1930, puis nationales en 1934. Le gouvernement encourageait les femmes à ne plus porter de voile, à entrer dans les universités, à avoir des professions exclusivement convoitées auparavant par les hommes (en médecine, en droit, en politique...). Nous appelons « State Feminism » ou féminisme d'Etat ces réformes en faveur des femmes et la politique de visibilité et de participation des femmes dans la sphère publique. Entre 1920 et 1938, 10% des universitaires graduées étaient des femmes (selon article Jenny B White33), ce qui marque une nette progression. Un code civil remplaça les lois islamiques, et confèrent aux femmes des droits civils égaux aux hommes, les mariages polygames sont interdits, les femmes peuvent depuis initiés un divorce, et elles acquièrent une égalité dans les droits de propriété. Néanmoins il reste inscrit dans le code civil et ce jusque dans les

33 Jenny B WHITE, «State Feminism, Modernization and the Turkish Republican Woman» NWSA Journal, volume 15

années 90, que le chef officiel est le père, et que la femme a besoin de sa permission pour voyager, ou pour travailler a l'extérieur de la maison. Mustafa Kemal voyait un idéal féminin qui ne correspondait pas aux différentes valeurs de la population. Pour lui les femmes devaient représenter la modernité et la sécularisation, et cela devait être visible. Il insistait donc sur la mode vestimentaire à « l'occidental ~, l'interdiction du voile a l'université, et la présence des femmes dans l'espace publique. Cette visibilité des femmes habillées à « l'occidentale » et « émancipées ~ était d'autant plus importante pour Mustafa Kemal qu'elle représentait le symbole de la récente modernité de la Turquie. Les femmes qui part tradition, ou religion voulaient se couvrir la tête se retrouvaient exclues de la République de Kémal, dans le sens où elles ne représentaient pas la « femme idéale », la citoyenne cultivée, moderne, et urbaine. Les femmes portant le voile étaient critiquées d'ignorance et d'être arriérées et renvoyaient a l'ancien Empire ottoman. L' « anatolienne idéale » était certes « moderne » et cultivée, mais selon Mustafa et l'élite kémaliste, elle devait néanmoins rester chaste, vertueuse et dévouée à son mari et ses enfants, la fonction première de la femme étant la « motherhood », la maternité34. Cette émancipation des femmes par l'Etat reste donc limitée, puisque les femmes ne sont pas actrice des changements mais sont les instruments symboliques d'un projet de modernisation. Malgré les signes extérieurs d'émancipation des femmes, la société turque reste socialement et sexuellement profondément conservative, et ce même dans les villes. Tout ce qui relève du mauvais traitement des femmes ne concerne pas le féminisme d'Etat turc. Mustafa Kémal marqua en effet le début de la tradition de « l'Etat fort », avec lequel il n'y a aucune place pour la société civile, pour les droits de l'homme et les libertés individuelles, et à une quelconque opposition. Atatürk ferma en effet en 1923, le Premier Parti Républicain des femmes. En 1935, il laisse la Fédération des femmes turques participer au Congrès féministe international se déroulant à Istanbul, puis dissout la fédération juste après prétextant qu'elle « n'avait plus lieu d'être, tous les droits en faveur de l'égalité hommes/femmes ayant été accordés ». Les féministes des années 80 dénoncèrent plus tard, le fait qu'Atatürk avait utilisé l'évènement du Congrès féministe international pour montrer aux puissances européennes à quel point les femmes turques étaient cultivées et émancipée, ceci « révélant la modernisation de la Turquie ».

Le projet kémaliste de civilisation

Le projet de civilisation de cet Etat volontariste kémaliste révèle lui aussi l'utilisation
femmes comme d'un instrument symbolique de projet politique, et a eu des

34 Nilüfer GOLE, Musulmanes et modernes : Voiles et civilisations en Turquie, Editions La découverte, réédité en 2003

répercussions sur l'émancipation des femmes en tant qu'il a bridé leur expressions individuelles et leur réelles participations sur la scène publique. Le féminisme d'Etat du (( Père fondateur ~ n'est pas a proprement parlé un féminisme, puisque les femmes ne sont pas actrices de ce projet. Néanmoins on ne peut nier que toutes ces réformes ont eu un impact sur la situation des femmes ne Turquie, en augmentant par exemple considérablement leur accès a l'Université, et ce même si les réformes ont mis et mettent encore beaucoup de temps a atteindre les régions rurales. (L'analphabétisme y reste élevée et les mariages juvéniles fréquents). En encourageant les femmes à avoir les mêmes professions que les hommes et à être présentes sur la sphère publique, les réformes ont pu d'une certaine manière « préparer le terrain » à l'émergence des mouvements des femmes et féministes dans les années 80. Ainsi selon Nilüfer Göle (( La question de la femme (en Turquie) est au coeur de ces transformations. La femme est la pierre de touche, à la fois du changement historique comme projet de civilisation, mais aussi de l'organisation sociale islamique fondée sur la ségrégation des sexes ». 35Ainsi en Turquie, tiraillée entre deux idéologies, deux projets de société, l'un moderne, laïc, et volontariste (le projet kémaliste), l'autre traditionnel, religieux, et libéral (projet islamique), la visibilité de la femme qu'elle soit voilée, ou (( occidentalisée )) semble être l'instrument symbolique de ces projets politiques. Nous avons vu que la ségrégation des sexes était fortement ancré dans les interprétations islamiques, le rôle de la femme y étant fondamental pour la sauvegarde de l'ordre social et de l'honneur de la communauté. Mais la hiérarchie des rôles de genre n'est pas propre a l'Islam, puisque nous la retrouvons dans les représentations nationalistes, ainsi que le projet de modernisation kémaliste qui se veut pourtant porteur de la modernité et d'égalité.

Nous aborderons dans une deuxième partie l'impact que ces cadres culturels ont pu avoir sur la situation actuel des femmes en Turquie. Cette hiérarchie des représentations de genre, et des rôles de genre ensuite sont omniprésents dans les cadres culturels du contexte turc, et fournissent en eux même un des aspects des structures d'opportunité a l'émergence des mobilisations de femmes et féministes dans les années 80. Nous aborderons donc aussi l'émergence de la société civile dans les années 80, dans laquelle s'inscrit l'émergence des mobilisations féminines. Le projet de civilisation turc tel que Kémal le définit sera appliqué en Turquie jusque dans les années 80, ne reconnaissant aucun espace autonome a l'individu, a la société civile, a l'économie de marché en dehors de l'Etat. Ainsi selon Nilüfer Göle (( la modernisation turc ne s'est pas effectuée a partir de force créative et entreprenante de la société civile, qui aurait elle-même été édifiée sur la base de la différenciation et du pluralisme. C'est au contraire un projet de civilisation qui a oeuvré a l'encontre de la mémoire, du tissu social, des appartenances et des valeurs traditionnelles. (..) l'Islam

35 Nilüfer GOLE, Musulmanes et modernes : Voiles et civilisations en Turquie, Editions La découverte, réédité en 2003

populaire, étranger aux valeurs nationalistes, a été repoussé hors de l'histoire par ce projet de modernisation des élites »,36 d'oü un regain des mouvements islamistes dans les années 80 comme acteur social et politique. Ainsi malgré la complexité de l'histoire politico-culturelle turque, il est intéressant de constater que quelque soit les courants de pensée divergents qui la traverse, la hiérarchie des normes de genre, les représentations du féminin selon lequel la femme est passive, doit être caché, et assignée aux tâche domestique de la sphère privée, alors que l'homme est actif, exposé, et dans la sphère publique, y sont ancrées et présentes, et que d'ailleurs on les retrouve dans beaucoup de pays voisins, et même si les représentations symboliques sont différentes en France, puisque nous n'avons pas les notions « d'honneur », de « communauté », la hiérarchie de genre y est tout aussi présente.

Synthèse

Nous avons abordé dans cette partie la représentation de la Femme dans l'imaginaire collectif, imaginaire faisant écho aux traits culturels caractéristiques de la société turque. La représentation du féminin en tant que rapport hiérarchique genré est essentielle car elle se répercute sur la situation des femmes en Turquie et leur oppression, terreau de frustrations essentiel dans l'émergence des mobilisations. Finalement la femme est représenté comme soumise, chaste, fragile et objet, quelque soit les intentions et les projets politiques, que ce soit dans les différentes interprétations islamiques, dans les poèmes nationalistes, ou dans la vision politique soit disant égalitaire et moderne de Mustafa Kemal Atatürk. Nous allons donc dans la partie suivante étudier comment à partir de cette représentation du féminin ancré dans la culture turc, des mobilisations de femmes vont émerger.

II) Des facteurs macro sociaux offrant des opportunités aux mobilisations féministes

A) De l'émergence de la société civile dans les années 80

Le contexte politico-culturel turc, comme nous venons de le voir présente des puissants symboles de ségrégation entre les hommes et les femmes. Cette ségrégation et cette hiérarchie des normes sociales de genre ne peuvent être les seuls facteurs d'opportunité a l'émergence des mouvements de femmes et féministes. Certes ce contexte oppresse les femmes, et ce dans toutes les sphères de leur vies publiques et

36 Nilüfer GOLE, Musulmanes et modernes : Voiles et civilisations en Turquie, Editions La découverte, réédité en 2003

privées. Mais nous allons voir que les changements politiques et économiques des années 80 sont essentiels dans l'émergence des mouvements de femmes, ils peuvent même être considérés comme l'évènement- rupture déclencheur. En effet les années 80 ont vu l'émergence de la société civile et donc en son sein l'émergence du mouvement des femmes et féministes. La société civile peut se définir comme (( une vie associative opérant sur la base des droits civils et des libertés, pouvant se positionner contre l'Etat, et étant lié a la libéralisation économique, et a l'individualisme », mais aussi entant que (( vie sociale pouvant s'organiser sans l'interférence de l'Etat, et coordonner ses activités au travers d'organisations basées sur le volontariat, et pouvant transférer des demandes à la sphère politique via cette organisation » 37 La société civile peut aussi être relié au processus de démocratisation, car elle limite le pouvoir d'un « Etat fort », en protégeant les droits et libertés des individus, tout en étant elle-même reliée au processus de démocratisation sans lequel elle n'existerait pas. Le mouvement des femmes en tant qu'il s'organise de lui-même, indépendamment de l'Etat, protégeant les libertés et les droits des femmes, et formulant des requêtes a l'Etat, donc faisant l'intermédiaire entre la société et l'Etat, est donc un mouvement de la société civile, et a un impact sur la vie sociale et politique de Turquie.

Tradition d'un Etat fort

Le contexte de la Turquie est spécifique et l'émergence de la société civile y semble bien plus tardive que dans les pays européens. Pour le comprendre, il faut reprendre le fil historique au début des fondements de la République de Turquie par Mustafa Kemal Atatürk en 1923. Atatürk voyait en les puissances européennes des modèles à suivre pour rendre la Turquie moderne, en faisant d'elle un Etat-nation, fort, laïc et (( développé )) tant au niveau de l'industrie, que des lois, du « mode de vie )) qu'il voulait à (( l'occidentale )). L'Etat était alors considéré comme un agent dominant dans le processus de modernisation de la Turquie, c'est le début de la tradition de « l'Etat fort )) en Turquie. L'Etat est alors l'acteur privilégié et souverain agissant de manière complètement indépendante de la société et assumant totalement son rôle à la changer par le (( haut )). La manière de gouverner était elle aussi centrée sur l'Etat, et marquait l'unité entre l'Etat et la nation, ainsi qu'entre les intérêts nationaux et les intérêts de l'Etat. L'idéologie développementaliste nationale devint alors l'une des principales idéologies. Et l'Etat développa l'économie selon un mode d'économie planifiée et tourné vers l'intérieur. Il n'était alors pas question de parler de la société en termes de droits et de libertés individuelles, ni d'individualisme, de pluralisme, ou encore de participation démocratique. La société devait être organique, homogène et

37 KEYMAN (( Turkish politics in a changing world: Global Dynamics Transformations », 2007, Bilgi Universitesi

monolithique afin de servir au mieux les intérêts nationaux. Pour l'élite kémaliste c'était la seule façon de rendre la Turquie moderne. Cette hégémonie de l'Etat sur la vie sociale, économique et sociale dura même après la transition démocratique de la Turquie dans les années 45, marquées par le début du système multipartiste parlementaire, alors qu'avant il n'y avait qu'un parti unique le Parti Républicain du Peuple. La société civile était donc complètement inexistante et ce jusque dans les années 80. Il y avait certes des organisations sociales (syndicats, coopératives, associations), mais existant dans le but unique de soutenir le processus de modernisation et la cohésion de l'identité nationale.

Une libéralisation économique et politique marquant l'émergence de la société civile

Les années 80 marquent réellement la rupture avec la tradition d'un Etat au pouvoir hégémonique. D'abord de part les changements économiques mondiaux, et de leurs répercussions sur la vie économique turque. L'émergence et le développement du néolibéralisme et de l'économie de libre marché ne s'accordant plus du tout avec l'idéologie développementaliste nationale turque, et une économie tournée vers l'intérieur du pays et non vers l'extérieur du pays. L'économie planifiée va donc être remplacée par des politiques de libéralisation du marché, et donc d'exportation. L'idéologie de développement national perd alors un peu de son poids, car elle n'est plus considérée comme étant la seule à dicter les règles économique, et donc à dicter toutes les règles. Avec la libéralisation économique naissent peu à peu l'individualisme, au sens ou les gens se mettent peu à peu à penser à leur intérêts propres avant de penser a celui de l'Etat, on voit par exemple se développer entres autre l'entreprenariat. Mais aussi l'idée d'Etat minimal, commence a germer, en effet selon ce concept, moins l'Etat intervient, mieux l'économie se porte. Mais la libéralisation n'est pas seulement économique, elle est aussi politique. En effet cette période correspond aussi a l'après coup d'Etat. Le coup d'Etat militaire de 1980 a 1983, dissout le parlement, des partis seraient jugés« trop à gauche )) ou « trop à droite )) comme le parti islamique, et risqueraient selon l'Armée, qui représente un véritable poids en Turquie, de mettre en péril les valeurs de la République. Après cette intervention militaire de trois ans, de nouvelles élections ont eu lieu, et les gens ont décidés de voter l'ANAP (Parti de la mère patrie), qui représentait alors la seule opposition aux interventions militaires, ce qui marque la volonté du peuple à plus de libertés et l'aspiration vers un processus de démocratisation. L'ANAP va être l'instigateur du début des politiques de décentralisation du gouvernement, de la privatisation des entreprises économiques de l'Etat, et la réorientation de l'économie nationale vers une économie de marché. Des enjeux comme la pollution, la santé publique et le tourisme commencent a être mise sur l'agenda politique, qui comporte aussi de plus en plus de politiques publiques. De plus avec l'ANAP, l'opposition n'est plus rejetée comme auparavant, ce qui permet l'émergence des débats publics sur la place publique, et le développement de l'opinion publique, qui est une condition sine

qua none de la démocratie. Emergent donc des mouvements sociaux comme le mouvement islamique se revendiquant en tant qu'important acteur culturel, politique, et économique et revendiquant la participation aux prises de décisions politiques, dénonçant la tradition de l'Etat-fort et séculaire, brimant leurs libertés de culte et culturelles. Apparaît aussi le mouvement kurde, critiquant la vision hégémonique d'une société homogène et monolithique, dans laquelle ils sont marginalisés et discriminés. Mais aussi les mouvements gauchiste, les écologistes, et notamment le mouvement des femmes.

De l'émergence de la société civile a l'émergence des mouvements de femmes

C'est donc dans ce contexte de libéralisation économique, et politique, permettant un développement de l'opinion publique et l'émergence de divers mouvements sociaux formant la société civile, que le mouvement des femmes a donc véritablement émergé, en tant que véritablement indépendant de l'Etat et luttant d'abord et avant tout pour la cause des femmes et leurs droits et non pour la cause de l'Etat, comme le féminisme d'Etat, que nous avons abordé dans la première partie. Le mouvement des femmes des années 80, influencé par l'international, et notamment par les mouvements féministes européens conteste pour la première fois les systèmes patriarcaux présents dans la famille, l'Etat, l'armée et le capitalisme. Elles défendent aussi les droits des femmes et luttent contre la violence domestique, véritable fléau qui traverse la Turquie encore a l'heure actuelle. En 1987, la première manifestation des femmes contre la violence faîte aux femmes marque le début de l'émergence et du développement de ce mouvement, qui n'aurait peut être pas encore vu le jour sans ses bouleversements économiques, politiques et sociétaux. Dans la deuxième sous partie, nous verrons que bien que la Turquie est connue de véritables changements depuis les années 80, et que le processus de démocratisation est en marche, notamment grâce au développement de la société civile et de la participation politique, la situation des femmes a l'heure actuelle est loin d'être satisfaisante. Le mouvement des femmes, dans les années 80, a en effet montré qu'une « prise de conscience » des femmes de leurs droits , et de leurs libertés avait été possible, et que celles-ci se sont dès lors organisées en coopérative, associations, indépendamment de l'Etat pour revendiquer leurs droits, qui sont aujourd'hui toujours pas appliqués. La coopération entre le mouvement des femmes et l'Etat est indispensable pour venir a bout de l'oppression des femmes turques, et de la hiérarchie des genres omniprésente dans cette société.

B) Une situation de la femme qui change dans un contexte de mondialisation mais qui reste néanmoins critiquable

Comme nous venons de voir, la Turquie connaît des changements sociétaux ces dernières années et ce depuis les années 80, avec la libéralisation économique et l'assouplissement politique, mais aussi avec la volonté de s'intégrer dans l'Union européenne avec notamment sa demande d'adhésion en 1987, symbolisant sa volonté de se tourner vers l'extérieur aussi bien politiquement qu'économiquement. Selon la Banque Mondial, la Turquie aurait eu un taux de croissance en 2010 de 8,1%, ce qui est deux plus que le taux de croissance mondial, évalué à 3,9%. Elle serait de plus 12 ème puissance économique mondiale en 2010, et elle 6 ème puissance économique européenne. Cette forte croissance économique marque donc un fort développement de l'urbanisation, depuis les années 80 jusqu'à aujourd'hui, s'accompagnant d'une augmentation du niveau d'instruction, d'une forte ouverture sur le monde, et du développement d'un (( mode de vie urbain », avec le grossissement de la classe moyenne vivant en ville. On note aussi une liberté d'expression des médias, ainsi que le développement des syndicats et de la société civile, ce qui marque une évolution vers la démocratie. De plus la candidature de la Turquie a l'Union européenne depuis 1987, a provoquer de nombreuses réformes des lois turques qui étaient auparavant quelques peu (( archaïques » afin de se (( mettre à niveau », elle modifie notamment son code pénal en profondeur en 2004, réformant plus de 31 articles sur les discriminations sexuelles.

En parallèle de ces changements, la situation des femmes s'améliore puisque leur niveau d'éducation augmente, ainsi que l'accès a l'Université, et donc leur accès au marché du travail aussi et on compte désormais une plus grande professionnalisation des femmes. Tout ceci entraînant le fait que de plus en plus de femmes aspirent de fait à une égalité hommes/femmes pas seulement dans les lois, ni seulement dans la sphère publique, mais aussi dans le privé. Ainsi en parallèle de l'augmentation des associations de femmes et féministes (ici la différence est mince, féministe à une connotation idéologique et organisation de femme signifie organisation de soutien aux femmes, sachant qu'en Turquie la plus part des associations féministes sont aussi des associations de femme), les femmes ont de plus en plus conscience de leur potentiel et de la place qu'elles devraient tenir dans la société, et des droits qu'elles sont en droit d'avoir. Les femmes ayant accès a l'éducation, et aux études supérieures, ont accès aux lectures, mais aussi aux médias (presse, TV, internet) et donc aussi a ce qu'il se passe en dehors de la Turquie. Elles développent donc un sens critique de leur situation qui s'améliore certes, mais qui reste néanmoins très en deçà d'une réelle égalité homme/femme et ce dans toutes les strates de la société. C'est ce constat qui

fait écho à la théorie de Gurr sur la « frustration relative », théorie expliquant l'émergence des mouvements sociaux a un moment donné. Comme nous l'avons vu, c'est dans ce contexte d'assouplissement politique, de libéralisation économique, et d'échanges mondiaux, les femmes prennent conscience de ce qu'elles n'ont toujours pas, même si leur situation s'améliore, elles conscientes que c'est loin d'être satisfaisant.

Une situation encore fortement inégale des femmes et des hommes sur le marché du travail

En effet, nous avons vu que l'augmentation de l'éducation des femmes, de leurs présence au sein des systèmes universitaires, amélioraient la prise de conscience des femmes sur leurs liberté, cette « prise de conscience ~ étant nécessaire a l'émergence des mouvements de femme. D'ailleurs nous le verrons dans la deuxième section, toutes les militantes que j'ai rencontrées sont soit étudiantes, soit ayant fait des études. L'indépendance professionnelle et l'autonomie financière sont aussi des passages obligés pour les femmes afin qu'elles puissent être a même de revendiquer leurs droits et leurs libertés. Mais selon l'OCDE (Organisation du Commerce et du développement économique), la participation active des femmes de 15 à 64 ans serait seulement de 24,3% en Turquie contre 62% dans l'Union Européenne en 2001 et aurait même baissé en Turquie depuis 1981 où il était à 35% en Turquie. (Chiffres tirés du rapport « Les femmes sur le marché du Travail : évidence empirique sur les rôles des politiques économiques dans les pays de l'OCDE »).38 Les organisations féministes dénoncent aussi une présence des hommes sur le marché du travail nettement plus importante que les femmes et ce quelque soit leur niveau d'étude, puisque le taux d'emploi des hommes n'ayant reçu qu'une éducation primaire voire moindre est nettement supérieur à celle des femmes diplômées39. Dans les zones rurales, l'accès a l'école des jeunes filles seraient aussi très limité. Ainsi selon les chiffres du Parlement européen plus un demi-million de jeunes filles ne fréquentent pas l'école qui est pourtant obligatoire40. Toujours selon le Parlement européen 1/5 des femmes en Turquie ne saurait ni lire ni écrire, et 1/2 femmes dans les régions rurales. On remarque aussi que dans les régions rurales le taux de mariage juvénile est bien plus élevé. En effet le poids des traditions étant encore prégnant dans bon nombre de famille et ce surtout dans les régions rurales, la jeune fille est alors destinée à être une bonne

38 Rapport de l'OCDE (Organisation du Commerce et du Développement Economique), « Les femmes sur le marché du Travail : évidence empirique sur les rôles des politiques économiques dans les pays de l'OCDE », revue économique de l'OCDE, n°37, 2003/2

39 Chiffres tirés de l'article OVIPOT (Observatoire de la Vie Politique Turque)«La situation de la femme turque, enjeu encore et toujours des réformes les plus urgentes» (mai 2008) http://ovipot.hypotheses.org/

40 Chiffres tirés de l'article de l'OVIPOT, Ibid.

épouse dévouée et soumise à son mari, une bonne mère, et dont toutes les taches domestiques lui incombent. Certaines familles ne voient donc pas l'utilité pour leurs filles d'aller a l'école et d'apprendre a lire et a écrire. Beaucoup de femmes travaillent aussi de manière informelle dans l'agriculture et ne sont pas payées, 50% dans les zones rurales selon l'article de l'OVIPOT. En 2009, les hommes seraient 70,5% sur le marché du travail turc contre 26% des femmes travaillant. Et les femmes auraient des ressources financières moindres du fait qu'elles occupent des emplois peu qualifiés et même quand elles occupent le même poste, elles sont payées 20% à 30% moins. Et 59% des femmes ne bénéficient d'aucune couverture sociale. 41Sous la pression de l'Union européenne, la Turquie a réformé le code du Travail pour encourager le Travail des femmes, mais cela reste encore théorique et peu appliquée dans la pratique. Si l'augmentation des femmes instruites et ayant fait des études supérieures entraînent une augmentation de leur « prise de conscience », et donc de leurs revendications sur les égalités hommes/femmes, de même que cela augmente leur entrée sur le marché du travail et par ce biais leur indépendance financière, au vu des chiffres du Parlement européen cette évolution reste très inégale selon les régions en Turquie, et selon les zones rurales ou non, de même qu'elle est loin d'être satisfaisante. Il relève ici d'un cercle dont il semble difficile de sortir; dans les zones rurales, les schémas traditionnels restent fortement présents, le taux d'instruction des femmes reste faible, le patriarcat familial reste donc très puissant, l'oppression des femmes allant de pair, avec un très fort taux de violence domestique.

La violence domestique faîte aux femmes : un fléau national en Turquie

Ainsi selon un réseau de plusieurs ONG42, le taux de mariage juvénile s'élève a 37% en Turquie, et jusqu'à 68% dans les régions sud de l'Anatolie. Selon un rapport de l'ONU de 2009, près de la moitié des femmes en Turquie sont victimes de violence conjugale, 42% sont victimes d'agressions physiques et sexuelles, 44% physiques et psychologiques43. Selon les organisations de femmes et féministes actuellement 3 femmes meurent tous les jours en Turquie des couts de leurs maris, frères, ou pères. Dans ce chiffre sont inclus les crimes d'honneurs, selon lesquels un membre de la famille va décider de punir une jeune fille ou femme en lui ôtant la vie pour avoir commis un comportement jugé « immoral » (relation sexuelles avant le mariage, refus d'un mariage arrangé, ayant eu un mode de vie trop « a l'occidentale », ou ayant eu des rapports sexuels forcés...). La réforme du code pénal de 2004 a permis que le viol

41 Chiffres tirés de l'article de l'OVIPOT, Id.

42 Chiffres tirés de l'article de l'OVIPOT, Id.

43 Rapport United Nations Entity for Gender Equality and the Empowerment of Women, «It's time to empower Women and Girls» http://www.endvawnow.org/

soit considéré comme un crime devant être jugé par la loi et non pas par les codes de l'honneur familial. De même les membres impliqués dans un crime d'honneur ne devraient plus se voir accorder une réduction de peine, sous prétexte d'avoir voulu « laver l'honneur de la famille ». Mais ces mesures ont beau avoir été prises par la justice, il est difficile de voir si évolution il y a eu ou non, et difficile aussi d'obtenir des statistiques fiables. Bon nombre de crimes d'honneurs seraient ainsi maquillés en suicide, ainsi dans certaines régions comme Þanlýurfa (sud est de l'Anatolie), l'organisation « Women`s Association Federation », il y aurait eu 149 suicides de femmes en 2011 et 125 en 2010.44 Vrais suicides ou suicides maquillés ? Difficile de savoir, mais la mortalité féminine est élevée et il semblerait que la l'oppression familiale en soit la cause principale. Les tests de virginité aussi ont été maintenus sur plainte, avec autorisation du juge et du procureur sans le consentement de la jeune fille.

Des lacunes dans la mise en place des mesures de protection des femmes

Comme l'indique le rapport de Human Rights Watch du 4 mai 201145, les femmes et les jeunes filles seraient a la merci de la violence domestique dans l'ensemble du pays à cause de lacunes dans le système légal et institutionnel turc. Les protections vitales comme les ordonnances de protection délivrées par les tribunaux et les centres d'accueils d'urgence resteraient hors de portée pour de nombreuses victimes de loi et de défaillance dans son application. Dans les mauvais traitements subies par des femmes et des jeunes filles âgées de 14 à 65 ans interrogées par Human Rights Watch, « certaines ont été violées, poignardées, frappées a coup de pied alors qu'elles étaient enceintes(...)» Tous ces abus se seraient produit dans toutes les régions de Turquie est indépendamment des classes sociales et du niveau d'éducation.

Sous la pression de l'Europe, des réformes pénales ont été adoptées. Les femmes peuvent solliciter une ordonnance du juge ou du procureur en cas de violence domestique permettant de la placer a l'abri du mari, et d'interdire au mari d'avoir tous contacts avec elle ou les enfants. Mais en réalité, les juges et la police manqueraient à leur devoirs et renverraient la plus part du temps les femmes chez elles, alors que celles qui ont le courage de s'adresser a un tiers sont en général celles qui sont victimes de violences extrêmes. D'autre part la loi prévoit la construction de centres d'accueil pour les femmes ayant subies de viols ou des agressions physiques dans les municipalités de plus de 50 000 habitants. Cette loi est loin d'être appliquée, et dans le

44 Article « Rising rates of women's suicides ring alarm bells in Þanlýurfa» (paru en 2011) http://www.hurriyetdailynews.com

45 Rapport de HUMAN RIGHTS WATCH «He loves you; he beats you»: http://www.hrw.org/en/reports/2011/05/04/he-loves-you-he-beats-you

cas où les centres sont construits ils sont souvent mal gérés, car ils laissent entrer les maris qui viennent récupérer leurs femmes. Donc même si des réformes ont été faîtes permettant l'amélioration du code législatif en faveur de l'égalité des femmes, et de leur protections contre la violence domestique, force est de constater qu'il ya encore de fortes lacunes.

Synthèse

La loi ne suffit donc pas à changer les mentalités. La Turquie et les Nations Unies travaillent de manière très proche sur les mesures d' « empowerment » des femmes, c'est-à-dire à aider les femmes à acquérir du pouvoir et à sortir des schémas traditionnels, par l'éducation, l'indépendance financière, et les associations de femmes favorisant « prise de conscience )) et solidarité. L'intensification de la coopération entre le gouvernement et la société civile, c'est-à-dire les organisations féminines et de femmes rassemblées en plateforme, réseaux et coalition, afin de permettre une sensibilisation des femmes d'abords et du reste de la société ensuite en passant par les institutions sensées les protéger. Le mouvement des femmes et sa lutte est donc primordial dans l'émancipation des femmes elles mêmes et dans le changement des mentalités de la société ensuite. Dans la deuxième section nous allons donc attacher plus particulièrement d'importance aux mouvements des femmes, a leurs luttent, et a leurs manières de s'émanciper.

Section 3 : ANALYSER DEUX ORGANISATIONS DE REMISE EN CAUSE DES NORMES SOCIALES DE GENRE PAR LE GENRE

I) AMARGI et LAMBDA : deux organisations militantes critiques du genre

A) Naissances des organisations dans leurs contextes et revendications

Amargi une association féministe « radicale ))

Amargi est une coopérative (au sens association) de femmes, c'est aussi une librairie féministe, et un Café. Elle a été créée en 2001 par un groupe de féministe activiste. Elle cherche à défendre les droits des femmes et des personnes LGBT, et à lutter contre toute forme de violence et de discriminations et se décrit comme une organisation féministe, anti-hiérachique, anti-nationaliste, et anti-militariste. L'un de ses objectifs premiers, est d'aider a émanciper les femmes des normes de genre dans la vie de tous les jours, et de vivre selon ses choix propres et non selon les normes sociales. Et c'est en cela que l'on peut qualifier Amargi d'organisation féministe radicale, car remettant en cause l'ordre social établi sur cette hiérarchie des normes de genre. Cette émancipation individuelle et collective passe d'abord par une « prise de conscience )) au cours de lectures personnelles, de discussions, de débats, d'ateliers. Le combat de cette organisation est aussi politique, et elle dénonce principalement le système même du patriarcat présent dans les familles, l'économie, l'armée, l'Etat, et la religion. Les militantes mènent aussi divers projets, et font parti de réseaux associatifs, de partenariats, et de coalitions nationales et internationales. L'un des principaux combats menés par Amargi en termes d'amélioration des Droits des femmes, en partenariat avec d'autres associations est la lutte contre la violence faite aux femmes, au sein notamment de la « Coalition des femmes contre la violence sexuelle faite aux femmes )). Il y a 28 groupes de femmes au sein de cette coalition. Cette coalition veut forcer le gouvernement a mettre en place des centres d'accueil pour les femmes ayant subies des agressions sexuelles. Ce combat mené par Amargi et les autres associations est révélateur d'une situation grave de violence domestique dans lesquelles encore trop de femmes se trouvent en Turquie.

Amargi dans le contexte de la « 3ème vague féministe »

C'est dans ce contexte d'oppression des femmes, que les organisations féministes et de soutiens sont nés, dans les années 1990, 2000. Chaque organisation défend une politique, une philosophie, une identité collective singulière et différente, mais elles se rejoignent en plateforme ou en coalition sur des enjeux aussi urgent que celui de la violence faîte aux femmes. Cette périodes qui débute dans les années 90 est appelée par certains chercheurs la « troisième vague )) du mouvement féministe. Quelque soit le pays elle se différencie des mouvements des années 60-70-80 appelés « deuxième vague ))et caractérisé par la lutte contre la patriarcat, c'est-à-dire domination des hommes dans toutes les sphères de la société, sphère privées comme publiques. Les mouvements des années 90-2000 reprennent les concepts de la « deuxième vague )), notamment l'anti-patriarcat dans toutes les sphères, mais diversifient aussi leur combat et accordent notamment de l'importance à la diversité au sein des groupes, par exemple une meilleure visibilité des femmes considérées comme « doublement marginalisées )) (de couleurs, autochtones, lesbiennes, transsexuelles, handicapées). Dans cette optique Amargi est ouvert a toutes personnes quelque soit sa couleur, sa religion, sa classe sociale, notamment les trans et lesbiennes et elle soutient les minorités, comme les kurdes, les réfugiés. Amargi est donc sur plusieurs combats, et a un double objectif ; émanciper les femmes des normes de genre, et de manière plus pragmatique faire en sorte que les institutions turques et l'Etat turc protègent les femmes contre les violences domestiques de manière efficace. Cette polyvalence du mouvement, qui ne défend pas une idéologie unique, et dont les causes sont diverses et variées, caractérise aussi la plupart des organisations féministes de la troisième vague, et peut être critiqué comme « dispersant le mouvement )). Un autre aspect qui les caractérise est la manière dont ces associations investissent le champ des médias, publient des magazines et développent des sites internet, diffusant ainsi leurs idées, et des informations permettant la diffusion de la prise de conscience de la situation des femmes dans la société turque. Depuis les années 90, le mouvement féministe s'est donc diversifié dans le monde, mais aussi et surtout a l'échelle d'un pays comme la Turquie. Les différentes branches du mouvement féministe y sont désormais très nombreuses et variées. Les féministes sont radicales comme Amargi, socialistes, islamiques, kémalistes, kurdes ou encore arméniennes, et se construisent avec une identité collective différente. Ainsi il y aurait environ 250 groupes de femmes et féministes en Turquie, revêtant diverses formes, idéologies, structures allant de l'association féministe au centre d'accueil des femmes ayant subies un viol.

Lambda une organisation LGBT (Lesbiennes Gays Bisexuels Transexuels)

Lambda est une association crée en juillet 1993 après que le jour de la gay pride (Cristopher Street day sexual Liberation activities) soit interdit. Cette association est comme Amargi non hérarchique et fonctionne avec des bénévoles. L'essence même de l'organisation est la défense du droit premier de s'associer, car le gouvernement a interdit a plusieurs reprises aux LGBT ce droit là, les accusant d'être « un outrage à la morale publique » et (( d'encourager un mauvais comportement ». Lambda a depuis porté plainte à la Cour européenne, et a obtenu un statut légal, qui reste cependant menacé. Un des objectifs fondamentaux de Lambda est la défense les droits LGBT, et le changement de la Constitution turque qui contient notamment des discriminations à leur égard. Les militants organisent aussi des campagnes nationales et internationales contre l'homophobie, la transphobie, les crimes d'honneurs les meurtres et agressions des personnes LGBT. Lambda se positionne aussi sur les problématiques féministes, anti-militariste, et les concepts alternifs aux normes de genre comme ceux de la mouvance transgenre ou de la mouvance Queer. Lambda est avant tout un lieu de rencontres, d'échanges, de discussions, de prise d'informations. C'est aussi une bibliothèque, une terrasse, un café. De nombreux workshops (ateliers) ainsi que la (( Pride March ~ sont organisés en partenariat avec Amargi. Lambda n'est pas une organisation féministe comme Amargi dans le sens ou elle défend prioritairement les droits LGBT, mais aussi dans le sens où certains cadres d'identités collectives militants diffusées au sein de l'association vont plus loin que le cadre féministe en refusant de s'inscrire dans l'une ou l'autre des catégories de genre, comme c'est le cas pour l'identité transgenre.

Le contexte turc de discrimination et de violences faîtes a l'égard des personnes LGBT

L'homosexualité n'est pas un crime en Turquie. Mais le code pénal contient des interdictions contre (( outrage à la morale publique », qui sont utilisées pour harceler les personnes LGBT. Les crimes contre les personnes LGBT sont fréquents, ainsi que les crimes d'honneur, commis par des membres de la famille. Les harcèlements, agressions physiques, verbales et les discriminations sont courantes. Il n'existe pas en Turquie de lois de protection des personnes LGBT contre les discriminations à l'embauche, au logement, au soin... Les sujets de l'homosexualité et de la transsexualité provoquent des crispations, des rejets, de la censure et de la violence. L'Armée interdit le service militaire aux personnes LGBT, et fait faire des examens humiliant pour prouver l'homosexualité, Human Rights Watch. Enfin, il y a en Turquie une grande disparité dans l'acceptation et la visibilité des personnes LGBT suivant les différentes régions, et les différents milieux sociaux.

B) Idéologies et identités collectives : entre la lutte contre le patriarcat, la mouvance Queer, et le mouvement Transgenre

Selon Verta Taylor, (( la division de genre est reproduite dans les langages et les idées, que les activistes utilisent pour diffuser messages et émotions cultivés afin de mobiliser et influencer )), par exemple dans les travaux de Taylor sur les groupes de soutiens post-partum dans lesquels les activistes critiquent les idéaux féminins conventionnels de la société américaine, et la survalorisation de la maternité pour la femme. Si le genre est présent dans le (( cadre d'action )) des structures de mobilisations, il l'est aussi dans la construction de l'identité collective propre au mouvement. Dans les deux organisations étudiées dans ce travail, Amargi et Lambda, trois (( identités collectives )) ressortent des entretiens. Elles se rejoignent en certains points et divergent en d'autres, toutes ont le point commun de la prise en compte de la construction sociale du genre. Amargi et Lambda n'ont pas d'identités collectives propres puisqu'elles sont ouvertes à toutes personnes, néanmoins nous pouvons dégager tout de même des identités collectives majoritaires. Que sont les identités collectives? Les militantes de ces organisations se définissent comme ayant des idées, des valeurs, des modes de vies différents des autres, et c'est ce qui les rassemble autour de cette (( identité commune )), qui peut être renforcée par les organisations militantes dans lesquelles elles se diffusent. Ces identités militantes, dans leur essence se construisent dans leur rapport aux autres, et se caractérisent donc par le fait qu'elles sont ici contestataires par rapport aux normes sociales établies.

Féministe radicale

Ainsi à Amargi ainsi qu'à Lambda, bon nombre de militantes se définissent comme (( féministe )) et en donne quasiment la même définition ; (( le féminisme c'est s'améliorer soi même, avoir plus de force dans sa vie en tant que femme et prendre le contrôle de sa vie )) (Eceme, 21 ans), (( Pour moi se libérer soi même, c'est reconnaître ce que je veux vraiment, et commencer a le mettre en pratique dans ma vie, c'est très important parce qu'il y a tellement de frontière a l'extérieur, dans le monde, pour les femmes, mais les frontières sont aussi dans nos têtes )) (Hilal 35 ans)Les femmes s' identifient comme féministe, c'est-à-dire comme (( éclairées )) sur la construction sociale des normes de genre, et le poids que celles-ci ont sur leur vie et choisissant de s'en émanciper. Ainsi, au lieu de suivre la norme traditionnelle, pousse les jeunes filles à se marier tôt, a rester a la maison afin d'accomplir les tâches domestiques, et à s'occuper du mari et des enfants. Au lieu de cela, les militantes féministes font des études, sont indépendantes financièrement et ne sont pas mariés. L'identité collective diffusée a Amargi est celle d'une femme, émancipée des normes. L'identité féminine

reste donc assumée, alors qu'elle est remise en question chez les transgenres à Lambda.

Mouvance transgenre

A Lambda donc certaines militantes se décrivent comme (( trans féministes p ou (( transgenres p. Le mouvement transgenre critique une séparation binaire de sexes qu'institue le genre. A contre courant des transsexuels, qui veulent changer de sexe, ou qui ont changé de sexe, les transgenres se revendiquent comme n'appartenant ni au groupe des femmes, ni au groupe des hommes, que ce soit au niveau du sexe, ou au niveau du genre. Nous avons d'ailleurs vu dans l'introduction que le (( genre précédait le sexe p46, c'est-à-dire que la perception d'un corps comme étant sexué est elle-même une perception genrée, puisque le (( sexe ~ n'est en fait qu'une définition complexe et englobant de nombreuses caractéristiques, et qu'un sexe n'est finalement jamais tout l'un ou tout l'autre. La mouvance transgenre se manifeste donc par le refus d'intégrer l'une ou l'autre catégorie, de genre ou de sexe. Ils parviennent donc à installer le trouble dans les catégories naturalisés du genre. Ainsi (( en renvoyant le sexe à sa construction sociale et biologique, le mouvement transgenre critique le système de partition de l'humanité en sexes, non seulement pour sa binarité oppressive, mais également dans sa prétention même à faire du sexe un indice pertinent des divisions du monde social p.47 Et défaire une binarité des sexes, c'est aussi défaire les sexualités (hétérosexualités et homosexualités), puisqu'on ne se définit plus comme faisant partie d'un sexe, on ne définit pas non plus l'autre comme étant du même sexe ou du sexe opposé, il n'y a donc plus ni d'hétérosexualités, ni d'homosexualités. Les barrières éclatent.

Mouvance Queer

D'autres militantes a Lambda et a Amargi se définissent comme (( Queer p. Selon Anne de Lambda (( la tendance Queer essaie d'aller vers la disparition des genres, vers le floutage des genres, alors que les féministes reconnaissent la dualité des genres mais luttent contre la hiérarchie qu'il y a entre ce rapport de genre p. La critique Queer, qui prend forme à partir des années 90, et notamment avec les écrits de Judith Butler (( Troubles dans le genre p, et cherche à déconstruire les politiques de normes majoritaires, comme l'hétéronormativité. Les identités minoritaires deviennent alors le

46 Laure BERENI, Sébastien CHAUVIN, Alexandre JAUNAIT, Anne REVILLARD, Introduction aux Gender Studies : Manuel des études sur le genre, Collections Ouvertures politiques, édition de Boeck, (2008)

47 Laure BERENI, Sébastien CHAUVIN, Alexandre JAUNAIT, Anne REVILLARD, Ibid.

lieu de contestation de la norme. Selon Judith Butler, les sexualités (homosexualité, hétérosexualité, bisexualité) et les genres (féminin ou masculin) ne sont pas innés, ni figés. Elle explique ce qu'elle appelle « la performativité de genre )), c'est-à-dire ce qui va faire qu'une petite fille ayant intériorisée les normes sociales de genre va se précipiter sur une poupée, plutôt que sur un ballon. « La performativité de genre ))pousserait les individus à jouer un rôle social en fonction de leur identité de genre, obéissant à une logique qui « range )) individus à une « place )) sexuelle prédéfinie. Judith Butler et la mouvance Queer qui s'inspire de ces textes veulent se libérer progressivement de ces « assignations à résidence )) sociales ou sexuelles48.

Synthèse

Amargi, organisation féministe et Lambda organisation LGBT se ressemblent donc autant qu'elles se différencient. Et si les revendications et les actions sont parfois différentes, nous avons pu voir que les identités collectives sont finalement assez proche, mais surtout ne sont pas cloîtrées a l'organisation dont elles émergent principalement. Il y a donc des féministes radicales et « Queer )) autant a Amargi qu'à Lambda. C'est peut être aussi ça la caractéristique de la troisième vague, les frontières éclatent, et les féministes rejoignent les LGBT sur le sujet du genre.

II) Des structures organisationnelles et des répertoires d'action genrés

A) Des structures organisationnelles par les femmes et pour les femmes : Un rapport hiérarchique de genre dans les organisations militantes

Selon Verta Taylor, l'émergence d'un mouvement social dépend aussi de comment les
groupes sont capables de développer une « solidarité organisationnelle )) nécessaire
pour impulser le mouvement49. Nous allons donc nous intéresser aux formes

48 Judith BUTLER, Trouble dans le Genre : le Féminisme et la subversion de l'identité, Edition Découverte/Poche (1990)

49 Verta TAYLOR, «Gender and Social Movements: Gender Processes in Women's Self Help Movements )), Gender and Society, Vol 13, N°1,(1999), p8-33

organisationnelles des deux organisations Lambda et Amargi. Dans les études de rapport de genre au sein des organisations militantes mixtes ou même non mixte, il a été observé que ces structures reproduisaient un mode organisationnel avec un rapport hiérarchique de genre. Les théories de mobilisation des ressources avec Obershall (1973), Zald et McCarthy (1987) ont d'ailleurs eux même reproduit cette hiérarchie de genre dans leur recherche et théories, puisque rendant la place des femmes, ou des LGBT dans le militantisme invisible. On définira la structure organisationnelle comme « un moyen de mobiliser et le produit d'une action collective, et sa forme autant que sa puissance dépendent des ressources des agents qui s'attachent a la construire, lesquelles sont inégales » (Pierru dans « le sexe du militantisme » Olivier Fillieule).50 Les sociologues féministes des mouvements sociaux utilisent le terme d' « organisations suivant une logique de genre» emprunté à Joan Acker, qui a démontré que toute organisation est traversée par des dynamiques de genre masquées sous une idéologie neutre, et qu'elles attachent beaucoup plus d'importance a ce qu'on pourrait appeler « éthique rationnelle masculine », qui se rapporte à des comportements assignés au masculin, comme le non-émotionnel, la rationalité, l'intelligence, les prises de décisions, et de responsabilités, la mise de côté des considérations personnelles..etc. Les structures de mobilisations sont donc elles aussi traversées par les dynamiques de genre. La sphère du militantisme est en effet connue pour son machisme. Les sociologues ayant fait des travaux dans le domaine constate une forte hiérarchie des tâches militantes. Selon Dominique Loiseau51, les femmes seraient reléguées à des tâches de seconde main, soutenant leurs époux militants et effectuant des petits travaux de type domestique au sein de l'organisation. Leurs tâches seraient donc comme une prolongation des tâches ménagères auxquelles elles sont assignées dans le privé. Elles auraient du mal a s'intégrer au sein des groupes de mobilisations fortement masculinisé, ne pouvant pas participer ou avec plus de difficulté aux discussions informelles, à un humour, ou des références qui ne leur parlent pas forcément. Elles auraient aussi des difficultés à accéder au poste de leader. Le poste de leader qui serait confié le plus souvent a des hommes d'âge mûrs, blanc, et issus des catégories sociales les mieux dotés. 52De plus les femmes étant par ailleurs sollicitées dans la sphère du privé, pour les tâches familiales, domestiques, cela

50 Olivier FILLIEULE, Le Sexe du Militantisme, Collection Sociétés en Mouvement, Edition Science Po Les Presses, (2009)

51 Dominique LOISEAU dans, Chrsitine GUIONNET et Erik NEVEU, (2009) Féminins/Masculins: Sociologie du Genre, Collection U, Edition Armand Colin

52 Olivier FILLIEULE, Le Sexe du Militantisme, Collection Sociétés en Mouvement, Edition Science Po Les Presses, (2009)

aurait donc un impact sur leur entrée dans le militantisme. Il est évidemment plus difficile de s'engager dans une activité militante après avoir eu une « double journée de travail )).

Des structures de mobilisation de femmes qui suivent une logique féminine

Dans notre cas d'étude, les organisations sont non-mixtes ou considérées comme telle, Lambda étant une organisation mixte, dans laquelle nous nous sommes intéressés pour ce travail à la partie féminine, c'est-à-dire aux militantes ayant un « sexe )) féminin. Alors que les organisations traditionnelles suivent une logique de « l'éthique masculine de la rationalité )), selon le concept de Joan Acker, c'est-à-dire accordant plus de valeurs aux compétences perçues comme « masculines )), comme la capacité à prendre des responsabilités, a être ambitieux, stratégique... Dans les structures de mobilisations de femmes ou LGBT, celles-ci ne suivent pas cette logique « masculine )) de part l'origine sexuée de des participantes, mais aussi par volonté (pour les LGBT) de suivre des logiques différentes à la « norme )) vécue comme oppressante. Ainsi les militantes dans les mobilisations de femmes seraient pousser à « cultiver des structures alternatives, avec des relations de pouvoir horizontales, non hiérarchiques, et permettant l'expression de l'émotion, de l'empathie, et de l'attention a l'autre )) à l'inverse de la logique masculine de rationalité. (Taylor et Rupp 1993, Taylor 2000 dans le « Sexe du militantisme ))).53 Dans les travaux de Margaret Maruani qui étudient les grèves de femmes, sont observés ce mode organisationnel féminin inhabituel, les études de mouvements sociaux ayant oublié jusque là les mobilisations de femmes. Elle montre « qu'à partir de leur propre expérience d'oppression, des femmes peuvent créer des règles de vie collectives égalitaires et anti-autoritaires )). (Maruani, 1979)

Amargi & Lambda : deux organisations suivant des logiques autres qu'androcentrées

En effet, Lambda et Amargi suivent des modes d'organisations non conventionnels, c'est-à-dire ne suivant pas la fameuse « éthique masculine de la rationalité )), ces deux organisations sont donc anti-hiérarchiques... La théorie de Margaret Maruani semble ici s'appliquer, des minorités, hommes et femmes ayant été oppressés dans d'autres sphères de leurs vies par cette hiérarchie des normes de genre, et par cette éthique rationnelle masculine, se mobiliseraient donc en réaction à cette oppression dans une logique identitaire différente. Lambda par exemple fonctionne en commissions. Il y a la commission académique, prenant e, charge les gens qui veulent faire des recherches, qui ont besoin de chiffres, de documents. La commission des actions s'occupe d'organiser manifestations et autres meetings. La commission des relations extérieures s'occupe du lobbying avec l'Union européenne notamment, la commission des fêtes, la commission des médias, qui s'occupe des dossiers des presses..etc. Il n'y a aucun

53 Olivier FILLIEULE, Ibid.

(( bureau » (Président, sous-président, trésorier, secrétaire). A Amargi l'organisation semble plus diffuse, (( ça fonctionne par groupe de travail »54 (Hilal, 35 ans), (( On propose juste ce que nous voulons faire, et les personnes qui sont d'accord avec cela se rassemblent dans un groupe et travaillent sur le sujet, on s'en fiche de qui fait quoi, on partage juste les responsabilités »55 (Gizem, 23ans). Ce type d'organisation de type non hiérarchique semble plutôt bien fonctionner. Certaines militantes soulignent les limites de cette organisation (( je réalise que je présente cela comme quelque chose d'idéal, bien sûr que ça se passe pas toujours bien, et qu'il y a souvent des problèmes. On ne se dispute souvent pas pour des raisons individuelles, mais politiques, et on se critique beaucoup aussi»56 (Gizem, 23 ans). Les limites peuvent donc se trouver dans la difficulté a s'organiser, car il n'y a personne pour trancher, ou pour avoir le dernier mot. Les militantes parlent beaucoup de responsabilités et de confiance mutuelle, valeurs très peu entendues chez les militants hommes. Certaines militantes plus anciennes soulignent le fait, que même sans hiérarchie formelle, une hiérarchie se forme quand même, ou ce que Jo Freeman appelle (( la tyrannie de l'absence de structure », terme fort montrant que sans hiérarchie institutionnelle, c'est (( le poids de l'intimité et des relations d'amitié qui contribuent a faire reposer toute une organisation, sur un petit groupe de personnes choisies et très soudées, suscitant des relations hiérarchiques d'autant plus prégnantes qu'elles sont dissimulées57 ». Ainsi nous livre Hilal, militante de longue date à Amargi (( à partir du moment où nous travaillons ensemble quelque soit le travail, et que nous sommes en connections, en communication avec des femmes, il peut y avoir de la hiérarchie, mais nous avons assez de sincérité au moins pour nous le dire ». Et sans hiérarchie, sans personne pour trancher, comment fonctionne la prise de décision ? Elle se fait ici par consensus. On se met par petits groupes et on essaie de se mettre d'accord. Cet aspect a été vu dans les recherches de Judith Taylor sur les mouvements féministes mixtes pour le droit à l'avortement en Irlande. Dans son enquête sociologique58, elle avait observé que les femmes préféraient former des petits groupes de discussions, plus (( intimes » pour que chacune puisse livrer son opinion alors que les militants hommes n'étaient pas

54 Tiré des entretiens réalisés en anglais avec 5 militantes (trois à Lambda, deux à Amargi), âgées de 21 à 35ans, entretiens effectués à Istanbul en Turquie.

55 Tiré des entretiens.

56 Tiré des entretiens.

57 FREEMAN (1970) in, Olivier FILLIEULE, Le Sexe du Militantisme, Collection Sociétés en Mouvement, Edition Science Po Les Presses, (2009)

58 Judith TAYLOR «Les tactiques féministes confrontées aux «tirs amis» dans les mouvements des femmes en Irlande», Politix, Volume 20 n°78/2007, p65-86

d'accord avec cette méthode et préféraient le vote a main levées, qu'ils jugeaient plus démocratiques.

Nous pouvons observer aussi une certaine souplesse et flexibilité des organisations avec leur militantes qui excepté les étudiantes, travaillent. En effet, les conditions de travail étant difficiles en Turquie, avec 8, à 10 h, voire 12h de travail par jour, il est difficile de s'engager. Les militantes ont donc pour habitude de se désinvestir de temps en temps, lorsqu'elles ont trop de travail par exemple. Dans l'ouvrage de Christine Gionnet59, il est souligné que, de part leurs assignations aux tâches domestiques et familiales, les femmes avaient d'autant plus de difficultés a s'engager dans le militantisme. Il est intéressant d'observer que dans ces deux organisations Lambda, et Amargi, aucune femme mariée et ayant des enfants n'a été rencontrée. Il faut ici rappeler qu'en Turquie, le poids des rôles traditionnels reste prégnant dans toutes les classes confondues et qu'une femme mariée, ayant des enfants doit dans la grande majorité des cas avant tout se plier aux tâches domestiques, familiales et conjugales, il aurait été donc bien plus difficile pour elle, voire impossible de s'engager. Il est important de noter ici, que toutes les militantes des organisations Lambda et Amargi, sont issues de la classe moyennes supérieure, elles ont donc toutes fait, ou sont en train de faire des études, ce qui a facilité leur accès au marché du travail, et donc leur indépendance financière, leur permettant ainsi de faire autre chose que « femme mariée au foyer ».

Ces organisations sont dotés aussi d'une volonté a rester autonome, c'est-à-dire indépendantes de l'Etat, et donc a ne recevoir aucune subvention de l'Etat. On peut noter une ouverture aussi, à Amargi, qui se dit « ouvert à toutes les différences et à toutes les politiques » (tant que ça rentre dans leur cadre politique assez large ». Amargi et Lambda sont ouvert a l'international aussi, ces deux organisations ont toutes deux de nombreux contacts a l'extérieur du pays, et s'incèrent dans de nombreux réseaux, plateformes et partenariats internationaux et nationaux.

Enfin selon Gusfield le mouvement des femmes serait fluide car basé sur des actions quotidiennes60, c'est ce que nous allons aborder dans la seconde partie sur les répertoires d'actions.

59 Chrsitine GUIONNET et Erik NEVEU, (2009) Féminins/Masculins: Sociologie du Genre, Collection U, Edition Armand Colin

60 GUSFIELD in Verta TAYLOR, «Gender and Social Movements: Gender Processes in Women's Self Help Movements », Gender and Society, Vol 13, N°1,(1999), p8-33

Synthèse

Nous avons vu dans cette partie que les dynamiques de genre d'abord, et ensuite la hiérarchie de ces rapport se reproduisent dans chacune des organisations et suivent pour la plupart une ((éthique masculine de la rationalité » selon les termes de Joan Acker. Les structures de mobilisations féminines et LGBT ne suivent pas cette logique (( androcentrée », dans les structures féminines, ceci allant de pair avec l'indenté sexuée des participantes, et dans les mobilisations LGBT, par une volonté de faire autrement que la (( norme oppressante ». En effet les organisations Lambda et Amargi ont des structures organisationnelles qui peuvent être qualifiées de (( non conventionnelles », elles sont anti-hiérarchiques, autonomes, (( fluides » et (( flexibles » et la prise de décision se fait par consensus.

B) Des stratégies d'Action qui suivent une « logique féminine »

« Line école de vie oil on apprend à s'émanciper des normes de genre intellectuellement mais surtout dans le quotidien »

Amargi se présente avant tout comme une (( école de vie ~. Ce terme n'est en effet, pas anodin, car si les mobilisations féminines sont considérées comme (( fluide » selon Gusfield, c'est bien parce que l'une des fonctions premières est l'apprentissage des femmes a se défaire des normes de genre, oü du moins a s'émanciper du poids hiérarchique de celles-ci dans la vie de tous les jours. On pourrait donc appeler Amargi, organisation de (( self help », ou soutien. Amargi est avant tout une librairie féministe, et Lambda un (( Culture center », où toutes femmes et hommes peuvent se documenter. La fonction d'apprentissage intellectuelle a donc beaucoup d'importance, mais elle prend tout son ampleur dans la concrétisation de celle-ci dans la vie pratique, l'objectif étant sa diffusion à toutes les sphères de vie des individus. Alors que dans les études des mouvements sociaux traditionnels, on ne se préoccupait que du rapport militant/politique. Ici l'activisme est considéré comme quotidien, pratique et pragmatique, adaptable a d'autres sphères comme la sphère conjugale, du travail, ou familiale. Ainsi Ozge, (de Lambda) définit (( l'émancipation c'est une pratique quotidienne selon moi ». Anne (de Lambda) fait référence aux actions militantes de type traditionnel et dit (( ça m'intéresse pas ces grands discours et ses grandes théories(...), moi ma lutte elle est dans le quotidien pas dans l'exceptionnel, ou les élections ». Cette nouvelle vision du militantisme, semblent faire écho aux études des Nouveaux Mouvements sociaux61, qui définissent ces types de mouvements comme

61 Erik NEVEU, Sociologie des Nouveaux Mouvements sociaux, Collection Repères, La Découverte

revendiquant une identité et un nouveau style de vie. L'application de la théorie des NMS reste néanmoins critiquable aux mouvements féministes qui prennent leurs sources dans des mouvements féministes bien plus anciens, et qui ne serait en fait qu'un seul et unique mouvement, avec ses fluctuations, ses moments de « silence » ou de statut quo, selon les conjonctures et les structures d'opportunité politiques et sociales de l'époque.62

Toutes les militantes d'Amargi et de Lambda témoignent de la place que ces organisations ont eu dans leurs vie, en les aidant a s'émanciper des normes de genres qui étaient profondément ancrées et intériorisées en elles, et qui les ont aider à changer leur vies petit à petit. Ainsi Hilal résume « Pur moi se libérer soi même, c'est reconnaître ce que je veux vraiment, quelle est ma volonté, et commencer à le mettre en pratique, c'est très important car il y a beaucoup de frontières pour les femmes à l'extérieur, comme dans nos propres têtes(...)j'ai appris a changer ma vie petit a petit, c'est ça le féminisme pour moi, et ça je le dois a Amargi(...) je ne fais pas de l'activisme pour dire à untel de faire ceci ou cela, je fais de l'activisme pour moi-même ». Ces organisations auraient donc un véritable rôle de pédagogie, et de soutien émancipatoire pour les femmes. Rappelons que nous sommes dans une société, la Turquie, profondément patriarcale, et que par conséquent tous les champs institutionnels, social, politiques, économiques, de l'éducation.. sont très fortement marqués par un rapport hiérarchique du genre. Les femmes ont donc très rarement accès a d'autres modèles de genre que le modèle de « féminin » auquel elles doivent se plier et qui traverse la société turque. Au travers de la littérature en libre accès dans ces organisations, puis au cours des discussions, des meetings, des rencontres avec les autres militantes les femmes vont découvrir une alternative à ce modèle traditionnel féminin, qui leur sont assigné depuis toutes petites.

Ce type d'action d'apprentissage, de pédagogie, et d'émancipation des normes sociales est privilégié et primordial dans ces structures de mobilisations. A contrario des structures de mobilisation étudiés dans les théoriques classiques de mouvements sociaux, et dans lesquelles les sphères du privé et du publique sont séparées, les théoriciens ne s'attachant absolument pas au privé, ici, dans les organisations féministes et LGBT, vie privée et vie militante sont liées. Pour Gizem « nous essayons de faire de la politique dans la vie de tous les jours, afin de la transformer(...) la politique et le quotidien sont reliés » 63ou encore pour Anne « Pour moi tout est politique(...) on t'a appris a parler, a pleurer, ou a pas pleurer, a être dedans ou dehors, a te battre ou pas...et donc a partir de là pour moi l'activisme c'est du comportement

62 Verta TAYLOR, «Social movement continuity: The women's movement in abeyance», American Sociological Review, (1989)

63 Tirée des entretiens réalisés en anglais avec 5 militantes (trois à Lambda, deux à Amargi), âgées de 21 à 35ans, entretiens effectués à Istanbul en Turquie

quotidien ». 64Ainsi à Amargi des ateliers sont régulièrement organisés, ayant pour thèmes « la sexualité et le genre », dans lequel sont abordées les questions de la perception du corps à travers une perspective féministe relié aux normes de genre, d'orientation sexuelle, et d'identité sexuelle. Des ateliers cinéma Queer sont organisés avec des projections de films sur le thème Queer, portant donc sur l'identité transgenre, la transsexualité, l'intersexualité, l'activisme lesbien..et la construction sociale du genre. Après le film une discussion est alors menée. Des ateliers de selfdéfense sont aussi mis en place. Toujours dans cette optique « pédagogique », les ateliers sont tenus afin d'encourager les femmes a s'exprimer, et de ces échanges naitraient les changements.

Un lieu de convivialité et de plaisirs

Judith Taylor insiste dans son étude sur « les pratiques consacrées a l'entretien de la sociabilité et la cohésion du groupe, qui sont accomplies sur un mode informel ». 65 Temma Kaplan parle de « communauté du mouvement social, dans laquelle les réseaux d'activistes seraient organisés de manière informelle ».66 A Amargi et à Lambda, la convivialité est très importante et présente, ainsi que la notion de plaisirs, de joie liée à cette convivialité, tout comme les relations d'amitié. Ainsi les militantes Ozge, Anne et Gizem décrivent successivement leurs organisations comme « un centre culturel, où les gens viennent ensemble boire un thé et discuter », « les gens sont drôles, l'endroit est chouette, et l'été les gens viennent profiter de la terrasse », « c'est vraiment sympa, nous sommes si content de nous revoir, et nous aimons être ensemble et faire des choses ensemble ». Des brunchs sont organisés le dimanche chaque semaine à Amargi, qui fait aussi office de Café tous les jours, tandis que des soirées ainsi que des projections de films sont organisées à Lambda sur un mode très convivial avec pop corn, gâteau, thé. Chez les militantes de ces deux organisations, on est avant tout content de se voir et de discuter autour d'un thé, ou d'un bon petit déjeuner. En quoi la convivialité est elle importante au sein de ces organisations ? Cela permet une cohésion de groupe, plus les militantes se connaissent et s'apprécient, plus cela facilite les prises de décision ainsi que l'organisation des actions. Poletta parlerait de « proximité affective et d'entre-soi qui jouerait un rôle d'empowerment ».67 La convivialité permet non seulement de créer des relations

64 Tirée des entretiens, Ibid.

65 Judith TAYLOR, in Olivier FILLIEULE, Le Sexe du Militantisme, Collection Sociétés en Mouvement, Edition Science Po Les Presses, (2009)

66 Temma KAPLAN, in Ibid.

67 Fransesca POLETTA, in Olivier FILLIEULE, Le Sexe du Militantisme, Collection Sociétés en Mouvement, Edition Science Po Les Presses, (2009)

personnelles entre militantes, qui permet un type (( de soutien très individuel )), 68 entraînant la prise de confiance en elles des femmes et les rendant plus fortes. Ce tissu de relation ainsi crées par le biais de la convivialité entre autres permettrait de renforcer cette (( communauté de femmes )), de renforcer la solidarité interne, ainsi que la cohésion de groupe. Ainsi dans ces mobilisations de femmes, parler de sa vie, ou parler de ses projets politiques, mais pas seulement autour d'une tasse de thé, c'est aussi un acte de militantisme. Nous apercevons ici encore le brouillage des sphères publique/privé, plaisir/politique. Les militantes femmes ont aussi peut être besoin de s'approprier le lieu, de se sentir chez « elles )), pour beaucoup ces organisations sont des deuxièmes, voire uniques (( famille )). Besoin de se sentir chez elles donc, avec des personnes familières pour s'émanciper des normes de genre, mais aussi afin de mettre en oeuvre des actions politique.

Actions politiques dans l'espace publique

Les actions politiques de Lambda et d'Amargi sont donc secondaires par rapport a (( l'activisme quotidien ~ et s'organisent surtout autour de type d'actions le lobbying et les manifestations. L'un des principaux évènements de Lambda reste la « Pride March )) (ou Gay pride), qui consiste surtout à monter la visibilité des LGBT en Turquie. Il faut noter que les participants a la Gaypride sont d'année en années de plus en plus nombreux à Istanbul, cette année plus de 10 000 participants ont déambulé dans les rues de Taksim, ils n'étaient qu'une trentaine en 2003. Cette marche est pacifique et bon enfant, avec des groupes de samba, des drapeaux arc-en-ciel omniprésents, et de nombreux slogans, qui veulent dire selon Anne (( On est là, Nous sommes gay, nous sommes lesbiennes, trans et nous sommes là ~. Ils utilisent des formes d'action non conventionnelles et ludiques comme le (( Genetically Modified Tomato Awards )) ou la tomate OGM distribuées aux enseignes publiques ayant eu des propos homophobes dans l'année. Pendant la « Pride week )) la semaine de la (( pride March )), il est organisé tout un programme d'activité autour de la célébration du fait de ne pas avoir honte d'être LGBT, avec des discussions, des présentations sur l'histoire du mouvement LGBt par exemple, des projections de films, des concerts, des soirées ect. Lorsqu'il y a « des choses à dires ))(Anne), les militantes et militants de Lambda organisent des manifestations à Taksim, le plus souvent pour revendiquer un changement dans la Consitution Turque et dans le code pénal. Les manifestations sont pendant l'année d'effectif réduit, une trentaine de personnes environ et se déroulent a Istiklal, grande avenue commerçante à Taksim (quartier occidental). Mais selon Anne, ce genre d'action prend beaucoup de temps, et se solde la plupart du temps par des échecs, dans le sens oü manifester pour changer une loi en Turquie n'est pas si efficace. De même, le Lobbying qui consiste à recenser les meurtres et les agressions commises contre les LGBT, et à envoyer cela aux instances européennes et

68 Mya Marx FERREE,in Ibid.

humanitaires, est en perte de vitesse car ressenti par les militants comme « nécessaire mais pas efficace ». Lambda met aussi en place à des niveaux nationaux ou internationaux des réseaux de partenariat contre l'homophobie. Les militantes expliquent qu'elles manifestent « avant tout pour elles mêmes, et ensuite pour lutter contre l'invisibilité des LGBT, et notamment pour les autres LGBT qui seraient isolés »69 (Eceme) Il semble que manifester dans l'espace publique permet d'affirmer son identité par rapport aux autres et donc d'être mieux avec soi même. Nous allons voir que pour les féministes radicales d'Amargi, il en est de même, elles agissent avant tout pour elles, et pour s'affirmer en tant que telles. Finalement ce serait d'abord se changer soi, puis s'affirmer dans l'espace publique, et enfin les mentalités pourraient changer ou encore « se changer soi pour changer le monde », ou « soyez le changement que vous voulez voire dans le monde » (Gandhi). Les actions dans l'espace publique des mouvements LGBT et des féministes sont souvent critiquées, car elles seraient vues comme « communautaires » et donc « auto-discriminantes ». Mais là aussi c'est peut être parce qu'avant de chercher à toucher l'opinion public, les féministes et LGBT cherchent d'abord a s'affirmer individuellement et collectivement en tant que différent de la norme dominante de genre et de sexualité, et ils le font d'abord pour eux même. Et là encore il ne faut pas oublier que s'affirmer soi en tant que différent de la norme sociale est très difficile dans un contexte où le poids de la norme sexuelle et de genre est prégnant, comme c'est le cas en Turquie.

Amargi participe aussi à la « Pride march ~, et d'ailleurs Lambda et Amargi font de nombreuses actions ensemble car elles se rejoignent globalement sur la lutte de la norme de genre et sur le droit des LGBT, mais aussi sur les actions contre la violence faite aux femmes. Mais Amargi diverge un peu de Lambda dans les priorités de lutte qui ne sont pas les mêmes. En effet certains comités ou groupes d'actions d'Amargi mènent des actions politiques notamment dans le cadre des coalitions de groupes de femmes, alors que la revendication des LGBT se porte prioritairement pour la défense de leurs droits. Amargi forme des comités avec d'autres organisations de femmes et elles mêmes pour prendre des initiatives dans l'amélioration des droits des femmes en Turquie et ont crée une coalition nationale contre les violences sexuelles faites aux femmes. Coalition qui regroupe 25 groupes de femmes sur toute la Turquie, veut faire passer une loi forçant le Gouvernement à construire des centres d'aide aux victimes de viols. Amargi organise aussi avec d'autres associations féministes de nombreuses campagnes contre les meurtres de femmes et spécialement les crimes d'honneur, mais aussi contre les crimes de LGBT. Rappelons qu'en Turquie, 3 femmes meurent tous les jours des coups de son père, frère, ou mari, les crimes d'honneurs sont un véritable fléau en Turquie. Ils touchent aussi les LGBT qui peuvent être aussi victimes de meurtres commis par les membres de leur propre famille. L'objectif des ces

69 Tirée des entretiens réalisés en anglais avec 5 militantes (trois à Lambda, deux à Amargi), âgées de 21 à 35ans, entretiens effectués à Istanbul en Turquie

campagnes étant de sensibiliser un maximum de personnes, et de personnages politiques sur ces faits.

Si les actions politiques d'Amargi ont plus d'ampleur, et plus de résultats aussi, c'est peut être parce que la question de la violence sexuelles faite aux femmes, ainsi que les crimes d'honneur ne touche pas seulement Amargi mais est un enjeu urgent qui concerne toutes les femmes en Turquie, et dont toutes les branches de féminismes ou « groupes de femmes », « groupes de soutien aux femmes », se sentent solidaires.

Amargi publie aussi un magazine du même nom, qui sort tous les trimestres, qui est le seul magazine féministe en Turquie, et qui discute des relations de pouvoirs, de politiques, et d'idéologie selon une perspective féministe. Ce magazine est ouvert a l'écriture a toutes les femmes, et comporte également des pages réservées aux spécialistes, universitaires, et experts sur le féminisme, et la question des femmes en Turquie. Il existe depuis 2005 et a comme volonté de montrer la encore une certaine visibilité des écrits féminin et féministes parmi la presse, mais aussi d'être diffusé et accessible au plus grand nombre.

Un lieu de soutien

Amargi et Lambda, mais surtout Lambda sont aussi des lieux de soutien. Ainsi à Amargi, comme nous l'avons expliqué plus haut, les relations interpersonnelles entre femmes d'amitiés qui se tissent créer un espace privilégié pour raconter ses expériences, son vécu. Les femmes peuvent donc parler de leurs biographies respectives, là où dans les organisations régies par des lois d' « éthiques masculines de la rationalité », les considérations personnelles seraient mise de côté. Ce soutien là « émotionnel et individuel » 70est très important et efficace, car il brise l'isolement, et rend les femmes solidaires. De plus le fait de pouvoir s'exprimer librement sur son passé en petit groupe ou en grand groupe, sur un viol vécu, un harcèlement, ou une agression homophobe permet aux femmes de libérer émotionnellement (nous aborderons plus largement cet aspect dans le troisième paragraphe), et de d'encourager les témoignages d'expériences vécues similaires, et qui là encore libère la personne de son isolement et permet un véritable soutien affectif.

Lambda a mis en place des stratégies d'action dans le domaine du soutien, comme la Helpline, ligne téléphonique ouverte tous les jours, pour les gens qui auraient besoin d'informations, de conseils, de contacts (psy, avocats, médecin acceptant les LGBT), mais aussi parfois de personne en détresse, au bord du suicide ou autre. Il a été mis en place aussi une aide juridique, un volontaire avocat, qui agit apparemment beaucoup

70 Mya Marx FERREE, in Verta TAYLOR, «Gender and Social Movements: Gender Processes in Women's Self Help Movements », Gender and Society, Vol 13, N°1,(1999), p8-33

sur les questions du service militaire par exemple (le service militaire étant interdit aux LGBT en Turquie).

Synthèse

Les organisations étudiées dans ce travail, Amargi et Lambda ont des répertoires d'action non conventionnels de ceux décrits dans les théories classiques des mouvements sociaux. La priorité ici est donnée a l'émancipation au quotidien, a la convivialité soudant les femmes entre elles, et les rendant plus fortes affectivement et émotionnellement. Les actions dans l'espace publique sont là encore non conventionnelles et sont sur le mode du « ludique ». De part ces actions non conformes au militantisme traditionnel (selon ce qu'il en a été présenté dans les théories « classiques ~), le militantisme féministe radical et LGBT cherche d'abord a ne plus rentrer dans la norme d'un militantisme androcentré.

III) Des espaces de résistance aux normes de genre ou la possible construction d'un soi émancipé des normes sociales de genre

A) Des espaces de liberté et de créativité qui offrent une alternative à un idéal de la femme « soumise, chaste, et accomplissant les tâches domestiques »

Dans son article71, Verta Taylor souligne le fait que certes nous pouvons parler de structures organisationnelles et de répertoires d'action genrées dans les mobilisations de femmes, ce qui peut paraître paradoxal avec le fait que la plupart de ces mobilisations de femmes luttent contre cette hiérarchie de genre, et la pression sociale à devoir se conformer à des identités de genre selon nos sexes. Nous l'avons vu ces répertoires d'action et ces structures organisationnelles suivent plutôt une « logique féminine » selon les termes de Joan Acker, cependant les militantes femmes ayant intériorisées ces normes, il apparaît logique que leur mode d'action, d'expression, et d'organisation se fassent suivant cette logique « féminine » ayant à voir avec leur identité sexuée dans la plus part des cas. Il en est de même pour la plupart des militantes LBT qui revendiquent un floutage du genre (selon la mouvance Queer) ou une négation du genre (pour les transgenres), il peut paraître peut être paradoxale qu'elles s'expriment, agissent, ou s'organise suivant une logique

71 Verta TAYLOR, «Gender and Social Movements: Gender Processes in Women's Self Help Movements », Gender and Society, Vol 13, N°1,(1999), p8-33

(( féminine ~. Mais elles ont d'une part elles aussi intériorisées les normes de genre féminine, et donc de même que pour les militantes féministes radicales, il est difficile de se défaire ce cette (( socialisation primaire ». Secondement, il semble aussi que de certaines militantes et militant LGBT, (même si je n'ai pas eu d'interviews avec les militants hommes de l'association, il semble que leur actions, et organisations puisque souvent communes avec les militantes, suivent aussi cette logique (( féminine ») s'attachent avant tout a ne pas agir, s'exprimer ou s'organiser de manière conventionnelle, et donc suivant la logique masculine. D'autres part nous avons vu que ce (( mode )) d'organisation, d'agir a ses avantages puisqu'il permet une cohésion de groupe, des relations individuelles de soutien et d'affection, la création d'un tissu de solidarité, le sentiment d'être plus forte individuellement comme collectivement. Verta Taylor insistait dans cet article72, qu'outre ce paradoxe, il faut étudier les capacités de ces mobilisations, qui même si elles n'échappent pas a la règle et s'organisent sur des dynamiques de genre, diffusent aussi un modèle alternatif à la norme du féminin. Norme puissante en Turquie selon laquelle la femme doit être (( chaste, soumise, dévouée à son mari et ses enfants ». Nous allons donc voir dans cette partie en quoi les organisations Lambda et Amargi s'attachent a diffuser des modèles de résistances aux normes de genre.

Tout d'abord, nous l'avons vu dans le paragraphe précédent, les stratégies d'action principales d'Amargi et Lambda, sont l'apprentissage d'une émancipation des normes de genre dans le quotidien. Il s'agit donc d'encourager les femmes a penser ce qu'elles sont et ce qu'elles veulent réellement et a agir par elle-même selon leur souhait. Ce travail passe d'abord par une prise de conscience des normes intériorisées, puis par l'apprentissage dans la vie pratique a faire autrement que ce qu'elles ont été habitué a faire auparavant, que ce soit dans leur famille, a l'école, au travail ou ailleurs. Certaines ont changé de travail, d'autres ont divorcé... La prise de conscience et l'apprentissage se font individuellement au terme de certaines lectures, de discussions, de rencontres avec certaines personnes, de conférence, débats... Tout cela se retrouve en condensé à Amargi et a Lambda, et sont donc des réels facteurs d'émancipation personnelle aux normes de genre.

Dans ces espaces dans lequel on peut ne pas correspondre aux normes de genre diffusées par la société turque, on peut (( se lâcher », être soi, et se sentir libre de la pression sociale. Ainsi à Amargi, Gizem dit (( J'ai ici la possibilité de m'exprimer et de faire de la politique comme je le le veux. C'est vraiment très important. Et c'est pour ça

72 Verta TAYLOR, ((Gender and Social Movements: Gender Processes in Women's Self Help Movements », Gender and Society, Vol 13, N°1,(1999), p8-33

que j'aime Amargi )).73 Anne témoigne de l'ambiance un peu folle qu'il ya à Lambda (( Tu fais péter tellement de cadres ici... que les gens ici ils sont déjantés quoi !il y a un espèce de truc de fête ! de pas sérieux... on fait n'importe quoi, on s'en fout, tu peux te permettre d'être un peu cinglé car tu es dans un lieu oü tu se sens bien, pas en danger(...) on peut être plus soi même, on peut repousser vachement les limites p. Ainsi a l'image des témoignages des militantes, les ateliers proposés par Lambda et Amargi, et notamment durant le festival Féministe d'Istanbul : le Feministival, sont tout autant déjantés. Durant la semaine du Feministival (organisé par plusieurs associations féministes d'Istanbul et par Lambda cette année, ont été mis en place des évènements aussi ludiques, non conventionnels et créatifs que la (( pose de graffitis en mousse végétale p dans les rues d'Istanbul, ateliers d'écriture, ateliers de fabrications d'instruments de musique, ateliers de création de Sextoys (( fait mains p, cours d'électroniques, projection de films, ateliers de danse, atelier de chansons, concerts et soirées. L'expression des femmes est très importante et peut ainsi se produire de manière créative, ludique, artistique. Et par le biais de ces ateliers auxquelles n'importe quelles femmes et trans peut participer, est donc diffusé des alternatives aux genres. Par la création et l'expression elles sont encourager a être elles et a s'affirmer en tant qu'individu singulier, et non comme la fille, femme « de p... Elles sont encouragées à déconstruire les normes intériorisées et à se reconstruire comme elles le souhaitent, soit en tant que femme émancipée de la hiérarchie des normes de genre (pour celles qui s'identifient comme féministes), soit en floutant le genre (identité Queer) ou en entrant d'aucune des catégories binaires (mouvance transgenre). En cela Amargi et Lambda sont des espaces de liberté et de résistances aux normes.

B) Le (( travail )) émotionnel au sein des organisations

D'autres parts Verta Taylor parlait dans son article, 74du travail émotionnel créé par les organisations avec leurs membres. Nous nous basons ici encore sur la théorie de Joan Acker75, selon laquelle a la différence des organisations basées selon l'éthique du (( travailleur masculin )), les organisations de femmes cultivent des formes structurelles différentes comme l'affichage libre des émotions, de l'empathie, et une attention

73 Tirée des entretiens réalisés en anglais avec 5 militantes (trois à Lambda, deux à Amargi), âgées de 21 à 35ans, entretiens effectués à Istanbul en Turquie

74 Verta TAYLOR, ((Gender and Social Movements: Gender Processes in Women's Self Help Movements )), Gender and Society, Vol 13, N°1,(1999), p8-33

75 Joan Acker, in Olivier FILLIEULE, Le Sexe du Militantisme, Collection Sociétés en Mouvement, Edition Science Po Les Presses, (2009)

particulière aux biographies des participantes. Mais cette logique féminine ne se retrouverait pas seulement chez les femmes, ainsi selon les études de Hickman76, certains hommes activistes participant au groupes de soutien de femmes (dans le cas du mouvement de soutien aux femmes en dépression post-partum) motiveraient d'autres hommes a dépasser ce détachement émotionnel et cette inexpressivité et à dire à leur femmes leur ressenti. Il est donc important de rappeler que toute organisation de femmes ne suit pas forcément une logique féminine77, il faut donc faire attention à ne pas généraliser, et plaquer cette (( logique féminine trop rapidement à toutes mobilisations de femmes. Il convient (( d'examiner la logique de genre des structures de mobilisation des mouvements afin de reconnaître son impact)).78 C'est Arlie Hochschild (1979) qui parle la première de « emotional work )) ou travail émotionnel pour désigner le travail que les individus hommes et femmes doivent fournir sur leur émotions sur le lieu de travail, émotions qui ne sont pas sollicitées de la même manière pour les femmes et pour les hommes et selon la profession. Les hôtesses de l'air par exemple sont très sollicitées sur un ensemble de qualités telles que la séduction, la capacité maternante, le dévouement..etc79. Dans l'étude de Danièle Kergoat sur « Coordination d'infirmières )), on retrouve cet (( emotional work )) auxquelles les infirmières doivent se conformer, sans pour autant être payées pour ses qualités qui ne sont pas considérées comme des qualifications mais comme étant naturel. A l'inverse les hommes doivent aussi dans certaines professions faire preuve de travail émotionnel, et s'empêcher de montrer toute émotion, ou empathie, ou encore (( mobiliser des affects qui sont associés aux valeurs viriles )).80 Certains salariés devant mobiliser ces émotions toute la journée, seraient épuiser mentalement, ou plus capable d'exprimer leurs véritables émotions en privé. Cheryl Hercus en s'inspirant des travaux de Verta Taylor et Mya Marx Ferree fait de nouveaux travaux de recherche en prenant en compte l'émotion dans les mobilisations sociales de femmes aux Etats-Unis81. Elle observe par exemple que la colère est une

76 Hickman, in Verta TAYLOR, ((Gender and Social Movements: Gender Processes in Women's Self Help Movements )), Gender and Society, Vol 13, N°1,(1999), p8-33

77 Verta TAYLOR,Ibid.

78 Verta TAYLOR, Ibid.

79 Arlie HOCHSCHILD, in Chrsitine GUIONNET et Erik NEVEU, (2009) Féminins/Masculins: Sociologie du Genre, Collection U, Edition Armand Colin

80 Chrsitine GUIONNET et Erik NEVEU,Ibid.

81 Cheryl HERCUS (( Identity, Emotion, and Feminist Collective Action )), Gender & Society, Vol 13, N°1, Part 2, (1999), p 34-55

des émotions (( moteurs » des mobilisations sociales. Les mobilisations sociales, et notamment les manifestations auraient la fonction de légitimer (( l'expression d'une indignation morale et d'une colère juste ». En effet, dans la continuité des travaux de Hochschild, Verta Taylor montre que les organisations de femmes transformeraient les émotions destructives comme la honte, la peur et la dépression, en une émotion active comme la colère. Ainsi a l'inverse du « travail émotionnel » subit par les employés d'une organisation, selon Hochschild, les organisations féministes produisent un (( travail émotionnel » positif avec leurs militantes, et qui résiste aux normes sociales. En effet, non seulement ce travail de transformation d'émotions destructives en émotions plus positives comme la colère est réellement bénéfique pour les femmes pour leur équilibre. Mais aussi, le fait de pouvoir exprimer des émotions culturellement vues comme (( déviantes » par la société, comme le sont la honte, la dépression, la peur, et la colère notamment de la part des femmes permet d' offrir à ces femmes le moyen d'être autre que le modèle de femme renvoyée par la société. Et en ce sens cela pourrait aider particulièrement les femmes comme une thérapie, non seulement en les soutenant psychologiquement, mais aussi dans leur émancipation personnelles. En effet sur le terrain, il a été remarqué que certaines militantes étaient dépressives, avant d'entrer dans ces organisations, elles avaient subie des violences psychologiques de la part de leur famille, notamment chez les LBT, des humiliations, des insultes et parfois même des agressions physiques (comme le harcèlement sexuel ou le viol). Eceme (21 ans de Lambda) témoigne de sa propre expérience et dit (( c'était dur de trouver la force de venir ici (...) ma mère me disait que l'association était comme le (( Hezbollah » (en Turquie les activistes sont parfois considérées comme des terroristes), qu'ils m'utilisaient et qu'ils allaient me laver le cerveau, elle réagissait si mal, c'était une forme de violence psychologique, elle disait que la police m'observait et qu'ils prenaient des photos de moi, elle essayait de m'humilier(...) on se battait souvent avec ma mère à cause de mon orientation sexuelle ».82 Eceme était en dépression lorsqu'elle est entrée a Lambda, elle avait 17ans. Pendant l'entretien elle répète souvent (( je me sens forte grâce à Lambda (...) Ici on peut reprendre des forces.. ». Ce n'est pas la seule, toutes les militantes interrogées à Lambda ou à Amargi parlent de se sentir plus forte et d'avoir repris confiance en elles. Pour beaucoup de militantes, qui on souffert auparavant les groupes de soutien comme Lambda et Amargi sont de véritables soutien émotionnel, affectifs et psychologique.

(( Changing the world is a serious business, but the emphasis during this workshop will be on the need for feminists to enjoy ourselves-to laught and sing and dance-as we go

82 Tirée des entretiens réalisés en anglais avec 5 militantes (trois à Lambda, deux à Amargi), âgées de 21 à 35ans, entretiens effectués à Istanbul en Turquie

about the important work of the revolution ».83 Cette phrase souligne l'importance du rire, de la chanson, de la danse, dans les ateliers proposes dans ce groupe de soutien aux femmes. En deux mots la joie est très importante, (( si on veut changer les choses, il faut d'abord retrouver la joie et retrouver goût a la vie ». Les entretiens menés, et les observations des ateliers, des projections de films montrent qu'effectivement l'ambiance semble très joyeuse, festive, et détendue. Cette joie distillée dans les diverses actions et évènements organisées par les associations est fondamentale et aussi caractéristique de cette (( logique féminine ». Les fonctions psychologiques, thérapeutiques, émotionnelles et affectives sont des traits caractéristiques de l'activisme féminin semble t-il et sont vraiment bénéfiques aux femmes, dans l'amélioration de leurs états psychologiques pour certaines et dans l'accompagnement vers l'épanouissement personnel.

Synthèse

Il a d'abord été montré dans cette partie que les deux organisations Lambda et Amargi permettaient en créant des espaces de liberté et de créativité de permettre aux femmes de se détacher du modèle féminin normé, et de choisir d'être une femme émancipée du rapport hiérarchiques des normes de genre, ou bien encore de remettre en question ces catégories binaires de genre (pour les identités Queer et Transgenre). En cela Amargi et Lambda ont un impact sur l'ordre social, et la construction sociale du genre, en tant qu'elles créent des formes de résistances a la norme du féminin. Ensuite nous avons vu que ces organisations produisent un (( travail émotionnel » avec les militantes en leur permettant d'une part d'exprimer les émotions considérées culturellement comme déviante, mais aussi en transformant les émotions (( négatives » comme la honte, la dépression et la peur, en émotions positives comme la colère, moteur des mobilisations sociales. Ce travail émotionnel jouant le rôle dans certains cas d'outils thérapeutiques et d'émancipation personnelle.

83 Phrase tirée d'un atelier féministe auquel Cheryl Hercus a assisté au Personal Growth Centre, 1991, in Cheryl HERCUS (( Identity, Emotion, and Feminist Collective Action », Gender & Society, Vol 13, N°1, Part 2, (1999), p 34-55

IV) « Militer c'est d'abord s'émanciper soi » : un rapport féminin à l'engagement ?

A) Facteurs d'entrée dans le militantisme

Certaines théories des mouvements sociaux, celles du comportement collectif, se focaliseraient sur une frustration collective comme cause d'émergence de ces mobilisations. Les théories des mobilisations des ressources quant à elles accorderaient plus d'importance a l'organisation, et aux stratégies menées par l'organisation pour atteindre ces objectifs, mettant une certaine emphase sur les stratégies menées a l'encontre de l'Etat et/ou des élites. Au final le reproche que l'on peut porter a ces deux théories est qu'elles n'accordent pas assez d'importance a l'individu, et aux pratiques militantes. Qu'est ce qui fait qu'un individu de part ses frustrations personnelles, de part son expérience, son parcours de vie se décide à entrer dans le militantisme ? Qu'est ce qui fait qu'il soit plus ou moins sensible ou attirés par certaines causes ? C'est ce que nous allons aborder ici. Dans un second paragraphe nous essayerons d'observer les coûts et les rétributions du militantisme féministe radical et LBT à Istanbul. D'après Gaxie, observer coûts et rétributions du militantisme n'est pas toujours facile. Certaines rétributions sont en effet d'ordre « inconscientes » alors que traditionnellement les militants seraient « officiellement désintéressés et censuraient l'existence d'intérêts propres distincts de l'attachement a la cause de l'Action collective. »84 Cependant il semblerait que dans les groupes de mobilisations de femmes, les rétributions autres que l'attachement a la cause sont ouvertement exprimées, notamment les dimensions psychologiques, affectives, émotionnelles, et émancipatoires de l'activisme. Il apparaît donc plus facile au premier abord d'étudier les coûts et les rétributions d'un militantisme dans lequel les femmes n'hésitent pas a s'exprimer sur ce qu'elles ressentent, et sur les efforts et les bénéfices que leur coûte ou leur apporte cet engagement.

D'oà viennent les militantes féministes et LGBT ?

Dans son étude sur les jeunes militantes dans les mouvements féministes, Liane
Henneron85 montre que l'éducation des mères n'a pas forcément de corrélation avec

84 Daniel GAXIE, «Rétributions du militantisme et paradoxes de l'action collective», Swiss Political Science Revue, Vol 11, N°1, (2005), p157-188

85 Liane HENNERON, « Etre jeune féministe aujourd'hui : les rapports de génération dans le mouvement féministe contemporain », L'Homme et la société, n°158, (2005/4), p93-111

l'entrée dans le militantisme féministe de leurs filles. En effet les mères peuvent être des contre-modèles pour leur fille. Cependant la transmission familiale aurait son importance dans l'intérêt de la jeune fille pour la politique. La « prise de conscience )) passerait par la découverte des idées féministes et de la construction sociale du genre au travers des lectures personnelles, ou pendant certains cours a l'Université. En effet les militantes féministes et LBT de Lambda et Amargi, ayant été interrogées, ont toutes fait des études a l'Université, ou sont en train de les faire. Deux étudient la sociologie, une étudie l'archéologie, une autre a étudié l'histoire, et la cinquième le graphisme. Même si le panel est restreint nous pouvons néanmoins observer que la majorité des militantes a fait des études en sciences sociales, notamment en sociologie, qui peut s'avérer être un biais privilégié pour découvrir les études de genre. Toutes les militantes interrogées sont issues de la classe moyenne supérieures, avec des pères journalistes, directeur, comptable... Et des mères qui travaillent parfois aussi, ou qui sont mères au foyer. Les militantes témoignaient sur l'effet un peu « ghetto )) du militantisme féministe, toutes les militantes étant issues de la classe moyenne supérieure, et dont les principales actions se déroulaient à Taksim, lieu privilégié de la classe aisée et occidentalisé. Le fait d'être issue de la classe moyenne supérieure semble grandement avoir facilité l'entrée dans le militantisme féministe et LBT de ces femmes. Premièrement car étant issues de famille plutôt intellectuelles et relativement aisées, elles ont pu faire des études a l'Université et donc avoir accès a un certain nombre de connaissances et de lectures facilitant cette « prise de conscience )). La socialisation primaire issue d'une famille plutôt intellectuelle peut favoriser un intérêt pour la politique. Deuxièmement il semble que les familles de classes moyennes supérieures, vivant pour la plupart dans des grandes villes, et dans des quartiers occidentalisées sont moins imprégnées du poids des traditions, et sont peut être plus ouvertes. Le fait d'habiter dans un quartier, comme Taksim par exemple, cosmopolite et ouvert, facilite les rencontres. Le fait de pouvoir voir d'autres manifestations ou actions militante, peut éveiller une curiosité et faciliter une entrée dans le militantisme. La moyenne d'âge des militantes interrogées varie entre 20 et 35 ans, il semble qu'elle est significative de la tranche d'âge de toutes les militantes des deux associations, tranche d'âge que nous pouvons qualifier de jeune. Quand les militantes sont interrogées sur leurs motivation à entrer dans le militantisme, la plupart (qu'elles soient féministe ou LBT) répondent que c'est leur avidité d'information, et de lectures, qui les ont poussé à venir dans ces lieux qui sont aussi des bibliothèques. Après s'être ensuite familiarisées avec les lieux, elles ont eu envie de s'investir aussi « pour donner en retour toute l'aide que j'avais reçus ici )). Dans beaucoup d'entretiens il apparaît aussi la notion de confiance en soi, peu de militantes avant de s'investir dans ces organisations avait confiance en elles. Souvent elles mettent d'ailleurs un certain temps avant « d'oser venir )), un élément déclencheur comme une rupture sentimentale, ou un conflit familial, va faire que l'individu va enfin

oser. Et beaucoup disent retrouver confiance en elles au sein des organisations, se sentant soutenus par les autres, ayant des liens amicaux ou affectifs, et surtout ne se sentant pas en « danger » ou « jugées ».

B) Des coûts et des rétributions féminins du militantisme Gaxie et la théorie des coûts et rétributions

En France, Gaxie a été l'un des premiers a apporté cette théorie des coûts et des rétributions du militantisme86. Il est parti lui-même des théories des mobilisations sociales, et notamment celle de Weber, qui n'apportaient pas d'explications de l'engagement bénévole du militant de base. Weber fournissait en revanche une explication à l'engagement des militants bénéficiant d'une rémunération. Les analyses de Gaxie publiées en 1977 sur les coûts et rétributions auraient essuyées de nombreuses critiques. Selon lui la définition même de rétribution en tant que « plaisirs, joie, bonheurs, profits, bénéfices, gratifications, incitations, ou récompenses du militantisme (pas nécessairement recherchées comme telles et la plupart du temps non monétaires) » ne seraient pas au goût des milieux militants, ni de certains chercheurs, car non officielles ou vues comme « scandaleuses ». 87Les rétributions telles quelles sont décrites chez Gaxie seraient contraires aux valeurs de l'engagement qualifié comme « estimable, noble, généreux, courageux, civique ». Paradoxalement encore, il semble que ces rétributions, « joie, bonheur, et autres » qui sont reniés dans les milieux militants et dans les travaux des chercheurs jusque là, soient au contraire assumer et défendues ouvertement dans les mobilisations sociales de femmes. Il semblerait donc que masquer, renier ces rétributions au profit du seul attachement a la noble cause corresponde a une logique masculine de l'engagement. Bien sûr chez les militantes femmes interviewées, l'attachement a la cause féministe, ou LBT est importante, mais elle est loin de masquer les rétributions qui comme nous allons le voir sont ouvertement exprimées.

Les coûts du militantisme féminin en Turquie

Selon Gaxie l'engagement militant « génère des rétributions qui le stimulent en
retour », mais il « peut aussi être couteux (en temps, énergie, disponibilité, pénibilité,
style de vie...) ~, pour lui les causes de l'engagement seraient égales a la somme des

86 Daniel GAXIE, «Rétributions du militantisme et paradoxes de l'action collective», Swiss Political Science Revue, Vol 11, N°1, (2005), p157-188

87 Daniel GAXIE, Ibid.

couts et des rétributions, car les efforts fournis les sacrifices, le don de soi, les risques généreraient des « sensations d'apaisement, de sérénité, de satisfaction morale ».88 Nous allons voir dans un premier temps qu'effectivement le militantisme des femmes à Istanbul peut être très couteux.

D'une part l'activisme en général est vu en Turquie par l'opinion publique comme du « terrorisme ». La société civile ayant émergée après le coup militaire de 1980, l'activisme a gardé pour l'opinion publique une connotation péjorative synonyme d'anarchie, et de remise en cause de l'ordre social. Ainsi militer, faire partie d'une association c'est aussi se confronter au regard pas toujours bienveillant, voire souvent négatif de la majorité, et souvent de sa propre famille. Ce qui peut dans le cas de jeunes filles (Eceme par exemple) être coûteux psychologiquement. Pendant les manifestations, il y a évidemment les insultes et autres harcèlement verbaux, ou certains dangers « minimes » comme les gaz lacrymaux. Les manifestations ayant lieu toujours à Taksim, à Istiklal Cadesi, dans cette longue rue commerçante et occidentalisée, cela représente donc un risque limité, en revanche les militants que ce soit pour les causes féministes, LGBt ou tout autre domaine, ne se risquent pas à manifester ailleurs que dans ce périmètre « sécurisé ». A partir de là, nous pouvons penser que l'activisme en Turquie est bel et bien risqué. Certaines militantes disent que la police les mette sur écoute, d'autres disent que tant qu'elles n'ont rien à voir avec les kurdes, on les laisse tranquilles. Quoi qu'il en soit la peur est bien présente. Il était souvent dit « tout le monde nous met des limites, la famille met des limites, l'Etat met des limites, la police met des limites, mais nous passons au dessus ». 89 Elles ne s'empêchaient donc pas de mener leurs actions, tout en restant prenant garde de rester dans une « certaine limite ». Hilal (d'Amargi) disait « je ressens tout le temps le danger autour, mais toujours se concentrer sur le danger te rends malade ». 90Nous pouvons ici brièvement évoquer l'histoire de Pinar Seleck, l'une des fondatrices d'Amargi, également rédactrice au magazine Amargi, chercheuse en sociologie, et activiste féministe, anti-militariste, pacifiste, pro kurde et internationalement connue. Il y a quelques années maintenant, elle a été accusée a tort d'être l'instigatrice d'un attentat à la bombe dans le bazar aux épices d'Istanbul. Elle passa deux ans et demi en prison et onze années devant les tribunaux. Acquittée trois fois, en 2006, en 2008, puis le 9 février 2011, elle vient d'être reconvoquée par la Cour d'assise en juin 2011. Cet exemple souligne le fait qu'il existe encore certaines lacunes en matière de Droit de l'Homme et de la Femme en Turquie, et notamment dans le droit d'expression, ainsi les libertés d'expressions sont limitées surtout lorsque l'on défend la cause kurde.

88 Daniel GAxie, Ibid.

89 Tirée des entretiens réalisés en anglais avec 5 militantes (trois à Lambda, deux à Amargi), âgées de 21 à 35ans, entretiens effectués à Istanbul en Turquie

90 Tirée des entretiens , Ibid.

D'autres coûts existent comme la difficulté de gérer toutes les sphères de la vie personnelle. Les militantes à Lambda et à Amargi sont toutes bénévoles, la plupart sont étudiantes, mais les autres travaillent. Comment gérer vie professionnelle, vie de famille, vie de couple, moments à soi et activisme tout à la fois ? Certaines évoquent la difficulté à lier vie professionnelle et activisme, par exemple, Hilal (35 ans) « Au début je travaillais de 9h à 18h, voire plus, et je travaillais sur la rive asiatique (à environ 1h/2h de route) (...) c'est très difficile d'être un(e) activiste en Turquie, ça prend beaucoup de temps, si tu veux faire quelque chose, tu dois chercher des fonds, ce qui prend du temps, et les conditions de travail sont dures, tu travailles 8, 10,12h par jour, donc tu ne peux pas faire n'importe quelle profession si tu es activiste, par exemple pour la classe ouvrière c'est beaucoup plus difficile ».91 Ce témoignage peut donner une bribe d'explication concernant le fait que la composition des militantes soit aussi peut brassée au niveau des classes sociales. Hilal a changé de travail et est devenue graphiste free lance pour se laisser la liberté et la possibilité d'être activiste. Anne, elle aussi a un fait un choix, elle a décidé de n'avoir aucune profession, et de consacrer tout son temps a l'activisme (et de ne travailler qu'en cas de force majeur). Carrière professionnelle et carrière militante sembleraient donc difficilement conciliables. Vie familiale? aucune n'a d'enfant. Vie conjugale? aucune n'est mariée. Pour les plus âgées (la trentaine), militer est donc devenu un choix de vie, avec lequel, en fonction duquel, et autour duquel elles organisent leur vie. L'activisme semble tellement apporter que le reste ne semble plus si important. Pour les étudiantes, la prise de temps que demande l'engagement militant semble aussi parfois difficile a concilier avec les études et la vie étudiante. Ozge (Lambda) parle « d'auto-exclusion du militantisme pendant un certain temps, pour avoir du temps pour soi, pour son job, et pour ses études ».92 Gizem témoigne de la fluctuation de son engagement « Maintenant que j'ai terminé mes études, je vais être plus disponible(...) mon engagement dans l'association change tout le temps(...) ça demande beaucoup de temps et ce n'est pas facile, c'est vraiment dur pour moi mentalement d'être responsable de quelque chose dans sa totalité, d'avoir certains délais a tenir...~. Effectivement l'investissement militant semble prendre beaucoup d'énergie et « d'espace mental », pas toujours facile à gérer en parallèle de sa vie de jeune adulte et de ses études. Mais grâce à la flexibilité des organisations, il semble facile pour ces jeunes militantes de s'éloigner quelque temps, de prendre ses distances, de « mettre des limites avec sa vie privée » (Eceme) et revenir ensuite au militantisme.

Si nous revenons a ce que disait Gaxie, les causes de l'engagement qui correspondrait
à la somme des coûts et des rétributions, et non pas les rétributions moins les coûts. Il
semble ici qu'effectivement, travailler dur, sacrifier de son temps personnel à la

91 Tirée des entretiens réalisés en anglais avec 5 militantes (trois à Lambda, deux à Amargi), âgées de 21 à 35ans, entretiens effectués à Istanbul en Turquie

92 Tirée des entretiens, Ibid.

réalisation d'un projet, participe grandement a l'amplification des gratifications lorsque que ce projet ou évènement est enfin réalisé. Ainsi Hilal dit « j'adore travailler si dur pour qu'Amargi survive )).

Des rétributions du militantisme féminin ouvertement exprimées et assumées

Quelles sont donc les rétributions de l'activisme féministe et LBT ? Même si les militantes femmes parlent peut être plus ouvertement de certaines rétributions, il n'est pas si aisée de toutes les percevoir, d'autant plus que certaines sont non conscientes chez les militantes. La rétribution (non monétaire et autre que la cause) la plus visible est l'intégration des militantes dans un réseau social partageant une identité collective commune par le biais des organisations Amargi et Lambda. Ainsi Hilal dit « nous sommes comme une famille (...) la plupart des gens s'aime a Amargi )), Gizem : « Amargi m'a fait connaître des gens formidables et vraiment géniaux )), Anne : « mes amis sont ici (...) ça créer des liens supers forts entre les gens qui fréquentent ce lieu )), Eceme ; « A Lambda j'ai trouvé beaucoup d'amis, de bons amis, et de petites amies )).93 Ainsi Amargi et Lambda sont des lieux de rencontres, de tissage de relations amoureuses ou amicales, et permettent aussi le développement du sentiment rassurant d'appartenir a une communauté, « une famille ~, d'être soutenu et compris quoiqu'il arrive. Pour certaines ces associations remplacent leur propres famille, en effet certaines LBT par exemple ont subit des rejets ou des exclusions de part leur famille n'acceptant par exemple leurs orientations sexuelles. Lambda fait donc office de refuge. Et se sentir à nouveau intégrer une communauté peut aider à panser les blessures vécues. Gaxie parle « d'espace d'intégration, de loisirs, de convivialité, de fraternité et de vie amoureuse )).94

Une autre rétribution qui apparaît assez facilement est l'augmentation de l'estime de soi des militantes. Bien que l'engagement dans ce type d'associations provoque pour la plupart un rejet de la famille, mais aussi souvent un rejet du milieu extérieur professionnel ou autre, car être militante féministe ou LBT c'est s'exposer aux insultes, ou a l'incompréhension, le fait de se retrouver dans ce que nous pouvons appeler « une communauté )) et de se sentir soutenues, aidées, et comprises augmente la confiance en elles des militantes. Hilal témoigne « en entrant a Amargi, j'ai commencé à faire confiance aux autres, et on m'a accordé de la confiance, j'ai réalisé que je m'étais libérée... ~. D'autres militantes témoignent du fait de se sentir de plus en plus fortes grâce au militantisme, Eceme dit « Lambda donne de la force et de l'espoir aux

93 Tirée des entretiens réalisés en anglais avec 5 militantes (trois à Lambda, deux à Amargi), âgées de 21 à 35ans, entretiens effectués à Istanbul en Turquie

94 Daniel GAXIE, «Rétributions du militantisme et paradoxes de l'action collective», Swiss Political Science Revue, Vol 11, N°1, (2005), p157-188

LGBTs ». Le fait d'être en « communauté », soutenues, et comprises, ne serait pas le seul élément permettant d'augmenter l'estime de soi de ces militantes, ile fait d'arriver peu a peu a affirmer son identité en tant que différent de la norme peut jouer aussi beaucoup. Ozge s'est affirmé en tant que Trans a Lambda, par exemple. Mais aussi l'enrichissement intellectuel, le fait d'avoir accès a autant de lectures, ainsi qu' à des discussions, des débats philosophiques, sociologiques, de rencontrer d'autres étudiants, ou personnes érudites, fait qu'il y a une sorte d'émulation intellectuelle, et que les militantes se sentent plus « riches )) qu'avant. Certaines ont ainsi le sentiment de commencer à comprendre le monde qui les entourent, ainsi Anne nous livre dans son entretien « Il y a beaucoup de gens qui réfléchissent là-dessus (à propos des normes de genre) que tu rencontre, et puis tout d'un coup tu es pris dans le truc, et puis c'est comme une pelote, tu tires dessus, et il y a tout un amas de trucs qui apparaissent et qui deviennent clair dans ta tête, c'est comme si tout devenait limpide ~. Et puis il y a l'apprentissage pratique a s'émanciper des normes sociales et a l'appliquer au quotidien, dans les workshops par exemple sur le corps ou la sexualité. Toutes les militantes témoignent de l'aide qu'ont apporté ces organisations dans leur émancipation personnelles. Le militantisme féminin permet aussi l'amélioration des savoirs-faires, ou de certaines compétences pratiques comme organiser des évènements, ou mettre en oeuvre des projets, passer des coups de téléphones, prendre la parole en public... Tout ceci contribue au sentiment d'amélioration de la confiance en soi. Le sentiment d'agir sur sa vie d'abord, et sur le monde ensuite, et de ne plus être simplement passive est aussi une gratification du militantisme. Ainsi Ozge dit « je me sens plus forte parce que j'ai le sentiment d'agir sur la politique et sur ma vie ». Anne explique « moi il y a trop de trucs qui me mettent en colère pour que je puisse juste me lever et aller travailler tous les matins ce n'est pas possible. Donc moi je peux pas faire autrement que de m'organiser pour que ça change 95», finalement pour elle « agir » serait comme une nécessité morale. Marion96 (militante à Mix-Cité Rennes) affirme « je me dis qu'au moins je me laisse pas faire, même si les mentalités ne changent pas, j'aurais fait tout ce que j'ai pu, ça aide a se regarder dans la glace ». Ici on voit bien que le fait d'avoir le sentiment d'agir aide a l'amélioration de l'estime de soi, et pour certaines cela devient une nécessité « morale », de prime abord mais peut être aussi parce que reliés a l'estime de soi. Pour finir voici le témoignage de Marion qui résume bien, toutes les rétributions que j'ai pu observer dans les mobilisations de femme à Istanbul : « Je pense que pour être militante sur la durée, il faut vraiment le faire pour soi en fait. Parce que si tu le fais pour les autres tu seras déçue d'investir autant d'énergie, ce serait essayer de vider la mer avec une petite cuiller... Si tu le fais d'abord pour toi... Enfin moi par exemple ça m'a appris plein de

95 Tirée des entretiens réalisés en anglais avec 5 militantes (trois à Lambda, deux à Amargi), âgées de 21 à 35ans, entretiens effectués à Istanbul en Turquie

96 Pré entretien réalisé avec Marion, militante rennaise à Mix Cité.

choses d'être militante. Déjà il y a eu beaucoup de lectures qui m'ont fait du bien. Au niveau plus pratique, je fais de la vidéo maintenant mais j'ai appris via le militantisme. Enfin des choses toutes bêtes, faire un compte rendu, faire un tract, faire une belle affiche, enfin tu vois ça m'a vachement apporté, et puis il y a les rencontres aussi et j'ai rencontré des gens formidables. Donc je suis contente de moi. Je suis contente de vivre ça. Après je ne le fais pas que pour moi... C'est hyper gratifiant, tu vois il ya pleins de choses qui m'énerve mais au moins je fais mon possible pour que ça change. Donc ouais ça fait du bien quoi97». Elle fait preuve d'une grande lucidité sur les motivations de son engagement sur le long terme et de ses rétributions. Selon Gaxie a les gratifications que génèrent l'engagement sont susceptibles d'être concurrencées par d'autres obligations ou satisfactions telle que la vie amoureuse, familiale, scolaires, professionnelle, ou encore les loisirs ». Donc si ces militantes s'investissent sur le long terme, (9 ans pour Hilal, 3 ans pour Gizem, 4 ans pour Eceme, Marion 4 ans, Ozge 1 an et demi) et alors que cet investissement comporte des coûts, et même si les coûts sont parfois eux même synonymes de gratification, force est de constaté que cet engagement apportent de nombreuses rétributions aux femmes qui en font partie. Et que ces rétributions en concurrence avec les autres sphères de la vie personnelle de ces militantes, sont responsables des fluctuations de l'investissement militant, et de leur besoins de se a déconnecter » du militantisme de temps à autres, mais pour au final y revenir. Et pour en revenir à ce que nous avons dit au début du paragraphe, il est notable que les militantes femmes n'ont pas du tout honte, d'exprimer ces gratifications (non monétaires), qu'elles en parlent même avec fierté, car pour la plupart, ces rétributions sont le signe même de leur évolution, et donc de leur émancipation. Au final, c'est ici que se joue la différence avec d'autres mobilisations sociales, dont les objectifs sont aux premiers abords d'ordre « politique », ou a humanitaire » ou autre, et donc pour lesquelles il est difficile d'avouer des rétributions autres que l'attachement a la cause. Pour les mobilisations féministes et LBT, la manière d'agir est autre, c'est d'abord « se changer soi pour changer le monde ~, l'émancipation personnelle est donc ici primordial, il fait parti des revendications, et des moyens d'action. « se changer soi » est intrinsèquement lié aux théories féministes, mais aussi LBT, et est surtout lié a un vécu d'oppression. Des hommes utilisent aussi cette stratégie d'action (Gandhi), elle n'est donc pas propre au féminin.

Synthèse

Nous avons vu dans cette partie que les militantes de Lambda et d'Amargi étaient toutes issues de la classe moyenne supérieure, ce qui a facilité leur entrée dans le militantisme, leur permettant d'avoir accès a un « capital symbolique intellectuel », de part leurs études et le milieu dans lequel elles ont évoluées et grandies. Le

97 Pré entretien réalisé avec Marion, Ibid.

militantisme féminisme et LGBT est donc difficilement accessible à tout le monde, et à toutes les classes. Nous avons vu ensuite que le militantisme féministe et LGBT en Turquie comporte de nombreux coûts, en tant qu'étant très mal vu par l'opinion publique, mais aussi très surveillé par l'Etat et la police. De plus les conditions de travail en Turquie sont difficiles, il est donc difficile d'allier profession et militantisme, et pourtant le fait d'avoir un travail apparaît comme une condition sine qua non de l'entrée dans le militantisme, car il permet aussi l'indépendance financière et donc la liberté du choix de vie. Si les militantes persistent dans ce type de militantisme c'est qu'il comporte de nombreuses rétributions autres que financières et morales, rétributions qu'elles assument parfaitement. En effet le militantisme féminin permet l'intégration dans un réseau social ayant des valeurs identitaires proches ou identiques de celles aspirées, il permet aussi l'augmentation de la confiance en soi des participantes de part le soutien affectif et émotionnel, mais aussi de part l'enrichissement intellectuel, l'acquisition de nombreux savoirs faire et donne le sentiment d'être active sur sa vie et non plus passive.

Conclusion

Nous avons cherché tout au long de ce travail à démontrer trois choses : la première est la nécessité d'impliquer le genre dans l'étude des mouvements sociaux, la deuxième est l'utilité encore de cet outil analytique dans l'étude du contexte politicoculturel, contexte étant primordial à saisir pour comprendre les raisons des revendications des mobilisations étudiées, et donc de la cause de leurs émergences, et de leur développement, et enfin nous avons voulu prouver que l'étude de genre était d'autant plus importante dans l'étude des mouvements qualifiés ici de « critiques du genre », c'est-à-dire des féministes radicales et des mouvements LGBT, afin de rendre compte au mieux de toute leur spécificité.

Nous avons donc d'abord étudié brièvement les failles des théories classiques des mouvements sociaux, c'est-à-dire leur langage « rationalisant, stratégique » suivant une logique masculine de la rationalité et ne permettant pas de rendre compte pleinement des mouvements féministes et LGBT. Nous avons ensuite établis un rapide « état des lieux ~ des théories novatrices combinant l'apport du genre dans l'étude des mouvements sociaux. En effet le genre permet de rendre compte, des structures d'opportunités en étudiant les champs culturels, politiques du contexte des mobilisations. Il permet aussi de faire ressortir les structures organisationnelles et les répertoires d'action des mobilisation de femmes et féministes qui suivent une logique différente que celle invoquée dans les théories classiques de l'étude des mouvement sociaux, en raison de l'appartenance sexuée de leurs participantes. Enfin nous avons vu avec les théories de Ferree et de Acker que le travail émotionnel d'une organisation pouvait être étudié à partir du genre, car les organisations suivraient en majorité une « éthique masculine de la rationalité » (selon le concept de Joan Acker), alors que les mobilisations féministes et LGBt ne suivent pas cette logique, et donc font un travail émotionnel différent.

Afin d'étudier l'émergence des mobilisations féministes et LGBT, il utile de comprendre le contexte turc, contexte fortement normé. Afin de tenter de saisir d'oü vient cette division hiérarchique culturelle des rapports de genre, nous avons exploré l'image de la femme dans l'imaginaire collectif, c'est-à-dire à partir des mythes nationalistes, de la religion majoritaire : l'Islam, et de l'idéologie kémaliste encore prégnante actuellement. Dans les mythes nationalistes, Nous avons vu d'abord que la Terre était personnifiée en femme, la « Bien - aimée » et en mère nourricière ayant enfanté les hommes de la communauté. Ces métaphores sexuelles presque érotiques ne sont pas sans répercutions sur les femmes, puisque l'objectivation de la femme la rend dans l'image collective passive sexuellement, fragile, objet « que l'on prend et viole », et mère nourricière. Images de la femme que l'on retrouve dans l'imaginaire collectif religieux, celui des interprétations islamiques. Ainsi le voile rend symboliquement la

femme inaccessible de tout regard étranger, et sa protection permet la sauvegarde de l'honneur, sans quoi l'ordre social de la communauté tout entière serait menacé. Nous avons abordé aussi brièvement le cas des féministes islamiques, qui portent le voile de manière politique, qui revendique une relecture de l'Islam alternative, c'est-à-dire permettant aux femmes d'être actrice dans la sphère publique, en revendiquent son identité musulmane (porter le voile a l'université par exemple), et tout en restant dévouée à son mari et ses enfants dans le privé. Ces féministes islamiques réagissent en réaction a l'Occident et aux femmes occidentales, qui montrent leurs sexualité dans la sphère publique, mais aussi a l'idéologie kémaliste qui a bridé l'identité populaire islamique en bannissant le voile, le fez, la musique traditionnelle, et en pratiquant un laïcisme forcé. L'idéologie kémaliste qui nous l'avons débute dans les années 20 en Turquie et reste prégnante jusque dans les années 80 et laisse des traces encore aujourd'hui a été le moteur du « State Feminism )) avec le développement des lois en faveur des femmes, et leur encouragement à être visible sur la scène publique, en fréquentant comme les hommes les universités, les professions jusque là (( masculines )) comme en médecine, en droit, ou en politique ...Mais malgré ce qui semble être un grand pas en avant pour les femmes turques, il semblerait que Kemal Atatürk, fondateur de la République de Turquie, ne se soit en fait servit de l'image de la femme (( émancipée )) pour montrer aux puissances occidentales à quel point la Turquie s'était modernisé. La femme turque étant l'instrument du projet politique kémaliste, n'était donc pas réellement émancipée, et n'était pas actrice de sa vie.

Ensuite, nous avons abordé l'émergence de la société civile liée a la libéralisation économique et politique de la Turquie dans les années 80, et en son sein l'émergence des mouvements de femmes et féministes. Faisant écho à la théorie de Gurr sur la (( frustration relative ~, en effet le mouvement des femmes naît d'un assouplissement du contexte, créant une brèche de liberté, permettant la prise de conscience d'une inégalité profonde des hommes et des femmes dans la société turque vis-à-vis de l'extérieure, et donc cette « tension )), entre assouplissement des conditions prise de conscience de ce qu'elles méritent, les femmes ont donc commencer a se mobiliser. Malgré ces mobilisations de femmes et féministes dans les années 80, nous avons abordé la situation actuelle de la femme en Turquie qui reste plus que préoccupante, avec ce qui fait office de (( fléau national )) : la violence domestique faîte aux femmes. Selon les rapports des Nations Unis pour l'équité de genre, il faut pour stopper la violence faîte aux femmes des mesures d' (( empowerment )), c'est-à-dire afin de rendre les femmes plus fortes, les mesures permettant l'augmentation de l'instruction des jeunes filles et des femmes mais aussi les mesures encourageant les institutions et la société a favoriser l'entrée des femmes sur le marché du travail et donc a devenir indépendante financièrement.

Dans une troisième et dernière section, nous avons étudié les mobilisations féministes
et LGBT à Istanbul. Après avoir rapidement présenté les deux organisations Amargi

(féministe) et Lambda (LGBT), nous avons abordé les différentes identités collectives des militantes, identité féministe radicale (a conscience de la hiérarchie des rapports de genre et souhaite s'émanciper de cette hiérarchie), les identités transgenres, qui remettent complètement en question les normes de genre en ne rentrant dans aucune catégorie, et les Queer, qui eux aussi renverse la norme et floute les notions de genre.

Nous avons ensuite abordé ensuite le mode organisationnel et les répertoires d'actions des organisations qui ne sont pas conventionnels, et qui suive une logique propre ayant a voir avec l'identité sexuée des participantes, mais aussi la volonté de ne pas se conformer à la logique masculine, logique étant finalement la seule valorisée dans nos sociétés. Bien que ces organisations « critiques du genre » suivent une logique qui peut apparaître comme identitairement genrée, ce qui peut sembler paradoxal avec la nature de leurs revendications, il faut souligner le fait que ces organisations soient aussi des espaces de résistances aux normes de genre en permettant aux militantes de s'affirmer en tant que femmes ou individus autres que selon la norme sociale du féminin, et ce en dépit de leur identités sexuée. Enfin nous avons pu observer que les militantes femmes (féministes et LGBT) assumaient fièrement les rétributions du militantisme (rétributions autre que monétaires), telles que l'intégration dans un réseau social, l'amélioration de la confiance en soi, le soutien émotionnel et affectif, et qui fait que ces militantes perdurent dans leur engagement.

L'outil analytique du genre est donc primordial dans l'étude des mouvements féministes et LGBT, ainsi que dans l'étude du contexte d'émergence de ces mouvements, et plus globalement dans l'étude des mouvements sociaux, et dans la recherche en science sociale en général.

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HERCUS Cheryl « Identity, Emotion, and Feminist Collective Action », Gender & Society, Vol 13, N°1, Part 2, (1999), p 34-55

KERGOAT Danièle, IMBERT Françoise, Le DOARE Hélène et SENOTIER Danièle, Les infirmières et leur Coordination, Ouvrage recensé par Colette Gendron, Recherches Féministes, Vol 6,n°2, (1993), p171-175

REVILLARD Anne et VERDALLE Laure, « Les Dynamiques du genre », ENS Cachan | Terrains & travaux. 2006/1 - n° 10 pages 3 à 17

TAYLOR Judith «Les tactiques féministes confrontées aux «tirs amis» dans les mouvements des femmes en Irlande», Politix, Volume 20 n°78/2007, p65-86

TAYLOR Verta, «Social movement continuity: The women's movement in abeyance», American Sociological Review, (1989)

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Livres sur les théories des mouvements sociaux :

FILLIEULE Olivier et PECHU Cécile, « Lutter ensemble : Les théories de l'Action collective »,Paris l'Harmattan (1994)

GAXIE Daniel, «Rétributions du militantisme et paradoxes de l'action collective», Swiss Political Science Revue, Vol 11, N°1, (2005), p157-188

NEVEU Erik, Sociologie des Nouveaux Mouvements sociaux, Collection Repères, La Découverte

Articles et Livres sur l'économie et la politique en Turquie :

GOLE Nilüfer, «Toward an Autonomization of Politics and Civil Society in Turkey» M. Heper and A. Evin (eds.), Politics in the Third Turkish Republic, (Boulder: Westview Press, 1994), p. 218

ONIS Ziya & KEYMAN Fuat « Turkish politics in a changing world: Global Dynamics Transformations », 2007, Bilgi Universitesi

VANER Semih, AKAGUL Deniz, et KALEAGASI Bahadir, La Turquie en mouvement, Editions Complexe, (1995)

Rapports en lignes et sources internet :

OVIPOT (Observatoire de la Vie Politique Turque), «La situation de la femme turque, enjeu encore et toujours des réformes les plus urgentes» (mai 2008) http://ovipot.hypotheses.org/

HUMAN RIGHTS WATCH, Rapport: «He loves you; he beats you»: http://www.hrw.org/en/reports/2011/05/04/he-loves-you-he-beats-you

UNITED NATIONS ENTITY for Gender Equality and the Empowerment of Women, Rapport: «It's time to empower Women and Girls» http://www.endvawnow.org/

Article « Rising rates of women's suicides ring alarm bells in Þanlýurfa» (paru en 2011) http://www.hurriyetdailynews.com

ANNEXES

Table des Matières des Annexes :

Annexe 1 : Entretien avec Hilal, 35 ans, militante à Amargi

Annexe 2 : Entretien avec Anne, 30 ans, militante à Lambda

Annexe 3 : Article du rapport de Human Rights Watch « He loves you, he beats you »

Annexe 1:

INTERVIEW of Hilal (35 ans, Amargi)

YOU

1. Can you present yourself briefly? (Age, study, job, parental job, religion, origin)?

No I don't have any religion. My name is Hilal. I am 35 years old. I am a feminist. And I make graphic design. It's my profession. I like speaking Spanish, I try to learn Spanish now. I have a lot Hobbies, I like walking around (rire). I don't know (about my origin) I don't think so. My grand grand father was lost in the 1st World War. So we came from Azerbaïdjan, there are any Kurdish village there. So I am not sure, maybe I have some Armenian blood... Actullay when I ask to my grandfather he said I don't know...so (rires). I am born in Istanbul. My father's job? He is an accounter. She was an accouter before, now she is housewife.

2. Do you feel feminist? What does it mean for you be a feminist?

For me feminism is to liberate myself. And to liberate myself it doesn't mean that I can do whatever I want, for me liberating myself is to recognize what I really want , how I construct myself inside, and what are my will, so recognizing this and start to practis this is very important. Because there are physically boundaries outside in women worlds. but also each one of us have our own blocks and boundaries in our minds. So It was a big choc and surprise for me in my life when I was 30 years old and I was recognize that, a lot of stuff that I would like to make, but I didn't have enough confidence, and I didn't believe. But when I start to be in solidarity with women, and I start to trust with someone, and to be trusted, I realized that I liberated myself, I started liberating myself. So I started to change my life bit by bit, this Feminism for me really. And I found it in a feminist organization.

THE ASSOCIATION:

3. How long are you in Lambda? How did you come in this association, how did you begin to involve you in this organization?

It has been 9 years, when I started to come to Amargi. In some of the period I was far away because I was working in Asian sea, I mean I was working 9pm to 6am, or much more . So I couldn't be activist enough. But Then, I mentioned previously that I started to change my life, so I became a Free lancer, I quit my job, I made lot of changes in my life. Now I am more inside activism, and I am producing(...)

4. Could you present shortly the association? What are the main Ideas? How much members there are? What kind of action?

I can speak for now. Now we are maybe 80/90/100 members. But the activists are maybe 20. Amargi is just like me. Amargi was turning, changing, and improving. So it's a feminist organization, so it's women and some transgender persons include. And the general Ideas... Amargi is a woman cooperative against patriarchy; struggle against patriarchy, and against other systems which works with patriarchy like militarism, capitalism, fundamentalism, and

this kind of things. And Amargi is a kind of association that works in working groups with women or trans inside with their own wills and initiatives to produce some kind of work, or protest, or action, whatever it is. I feel myself to produce any kind of stuff. But also before, like my life, Amargi was also producing different kind of studies or actions before.

(Are there any kind of Hierarchy in this organization?)

We try not to make but of course there are. I mean it's an anti-hierarchical organization, it doesn't have any president or director or whatever it is. But since you work together in all kind of works, in the connection, communication between women they can be hierarchy but we have enough sincerity to try to change that at least.

5. What is your role in the association?

No I don't have any role. I mean I make design of Amargi, because it's my job of course, but I made a lot of other stuff also.

6. Do you think feminist/ LGBT activism is accessible to everybody? (... is that any woman could involve here in this organization?)

Mmmh. Good question. It's depending. I think it's not accessible enough. It's not acceptable enough, it's still marginal. It's still in the society. I mean women Rights started to be normalized. It has both advantages and disadvantages so I cannot decide if it's good to be accessible or not. But when women started to ask questions about patriarchy in their own world they can access in a way to a feminist organization.

7. In general are the Action of Amargi/Lambda ended in failure or success? How can you estimate it? And what is your feeling after an action? Are you happy?

I cannot decide if it's failure or success. Because sometimes we started something and we didn't finish, sometimes we couldn't.

8. Which reaction people have to your actions? There are positive and negative reactions. PUBLIC OPINION/ SOCIETY:

9. In your opinion what do people think of feminism in general and LGBT people (which stereotypes people have?)), and more specifically what do people think on your association, on your actions?

Well I don't know, I think for the last 9 years, Amargi has a name in its environment. I mean even my mom think that Amargi is good thing now. It's mean that Amargi made a name. I can't say what people think about Feminism in general but yes there are some Myths about feminism and feminists. And they remain in the stay, that feminism are lesbians, feminists are ugly, feminists are hating men especially, still in Turkey there are a period, newspaper, and intellectuals can make this kind of stereotype. Stupide (rires).

10. Have you ever been confronted with a danger as an activist? Or as feminist women/ LGBT people? (on the street, during an action?, family, work?)

Well for physical danger I made it (stage de self defense?) one of for 4 years. It's came really well for me. It's was good for me. I felt so strong. And when I walk in the street now, I feel more confident. But because I am an activist, I am a feminist.

It's not depending of if you are feminist or not (c'est pas écrit sur ta tête). I am feeling the danger around, but always focusing on the danger, it does'nt...It make you sick I mean (rires). I am not trying to focus this too much. But of course when we are making demonstration, we are obligated by the police. This kind of danger.. (paper gaz/ lacrimo), but I never have been taken in police station for last ten years. Of course it's depend. And I have been insulted in the street when I am a feminist or when I am not a feminist, it doesn't make any difference.

And With the Family.. Everybody's Family want the same thing, want that you get married, or authorities, this kind of stereotype stuff. It depends if you call youself feminist or not. I know a lot of women who doesn't call themselves feminist but they are really feminists. It's depend of the practicing your lives or the thing that you ...in your life.

COSTS/RETRIBUTION OF ACTIVISM:

11. Are you involved in other associations outside of Lambda? ( in other political parties? or for Hobby?)

Yes I am in autonom group, called Illet. I am in Illet in the same time. It's an LBT autonom, but in inself it's just autonom yes, that people come together, and we are not making identity politics, or lesbian, or trans, or bisexual..But last year after the pride week we have just occurred the women (..) and we sarted to produce something together.and it's not only on including, lesbian, tran, or bisexual. The main issue is about LBT rights, this queer and feminist perspective.

12. Do you think that you will stay in the association over the long term?

Well Amargi is my first organization. It's the only organization I have participated. I was 26 or something. I don't think I will go to another association like Mor Cati, or such feminist collective because every organization work about something which is very important. For me in the women movement, feminist organizations are making a lot of stuff. You can focus on the Cati or the publishing, or whatever. Everything has been done is so much important. I don't want to be this kind of identity. I learn all from Amargi and how not to be a member of Amargi? I don't have this kind of identity, for 3 years. For me Personal leaving are important, Personality and solidarity. So I don't think I will change amargi because I think I change Amargi. It's something like that.

13. Was your involving in the association always the same?

Well As I said, I am inside, And I am outside, But I am not seeing myself as a part of Amargi. Of course I am a part of Amargi, but also Amargi is a part of me. Every old member of Amargi is feeling this way. We use Amargi to make our wishes come to, to make our dreams. If I need to be away from amargi for just respire or come to myself, I stay away from Amargi. It's good for myself and at the same time it's good for Amargi.

14. Do your involving take a lot of time, place in your life? Do you manage to do everything with job/personal life/Family?

To be an activist in Turkey is very very difficult. It takes a lot of your time. It' doesn't give you a kind of money, so you have to work. Because the association doesn't take fond from the government. The state doesn't give you money. So it's double or triple hard if you want to do something. It's very difficult. If you have some projects you have to search for fond. And the working circunstances in Turkey is hard. So you work 8 hours, 10 hours, 12 hours.. So when you work like this it's very difficult to organize other stuff. And in amargi when we make meeting, we make meeting after 7 O' Clock. So they finished at 11 O'Clock, or midnight sometimes. You cannot make every profession, if you are an activist, or just if your parents are rich...It's something that middle class can do. But for the working class it's really I think difficult.

15. What is the atmosphere in the Lambda/Amargi? And how is your relationship with other members of the association? is that it's more friendly, familial...?

Yes with some of them I feel we are like a Family. With some of them I am not very close. But mostly I love people in Amargi. And I change my life with some of people in Amargi in being in contact. I mean it's not only me, but I also observe the other, how they change their life. It's very important for our motivation. I feel very deep feeling about Amargi. And I like working really so hard to survive Amargi. That's why it's so important for me. That's the point when you start to giving from yourself to such place to survive not to be close. Yes I am feeling like it's a part of me. No I come only once in a week because I am trying to make my other work out.

But in kadikoy or in other places I meet with my friends from Amargi also. So yes we are like a family for me.

POLITIC:

16. What about your political opinion?

Well to be a feminist is political enough for me. And my political opinion of course has a feminist perspective. Because with my feminist context I can answer a lot of questions. Because I don't think feminism is determinism of movement. Sometimes it's too much political for me. But of course because I am a feminist I am in solidarity with other discriminated groups, who have the same culture, the emigrants women workers, anti-militarism, anarchist women..

17. Do you will vote for the next election in June?

I think about voting.

18. Do you think that activism is a way to participate in the political life of Turkey?

There are all the same. There are too much patriarchy inside, there are too much masculinity a large part of what I have struggle for.

ENDLY/

19. Open question: How do you see your future as a feminist or LGBT activist? (Do you think that for example it's going to be positive, that minds are changed, or the contrary, there is still much work to do?)

For me there will not have happy point, that we will be finished and go, that there will be no patriarchy...For me freedom is important, and everybody's freedom is important. So liberating women is important for liberating man, and everybody, and I am just struggling for this. What is important for me, is how I get that in own roads, so I focus my present time also not focus of some kind of(..) for the future. So every day I am leaving, every night I am passing I try to be happy of it and also I liberate myself, and I (..) and I am not making activism to say someone to make something. I just am doing it for myself. So that is my life (rires).

Annexe 2:

INTERVIEW ANNE. 30 ans. LAMBDA

YOU

1. Can you present yourself briefly? (Age, study, job, parental job, religion, origin? )

Je m'appelle Anne, j'ai un peu plus de 30 ans, je suis française, j'ai fait des études d'histoires en France, je suis issue de la classe moyenne supérieure. Ma religion j'en ai pas, mon job j'en ai pas non plus, je ne travaille pas.

2. Do you feel feminist? What does it mean for you to be a feminist?

En fait ma façon de penser et de concevoir les choses c'est plus la tendance Queer, qui essaie justement d'aller vers la disparition des genres de flouter les genres..ect Du coup dans cet état d'esprit là, féministe c'est reconnaître qu'il ya une dualité de genre, donc moi je rejette cette approche à priori féministe, mais en même temps je suis bien consciente que dans la société dans laquelle on vit cette distinction elle existe, et que tant qu'elle existera je serais féministe c'est sûre. Je m'engagerai pour ça parce que bon ca va pas..Comme je m'engagerais pour les réfugiés, ou contre le racisme tant qu'il y en aura dans la société, après voilà je suis une fille, enfin j'ai été élevée comme une fille, reconnue socialement comme une fille, du coup il est sûr et certain que c'est aussi une oppression que je vis moi, qu'on me renvoie a la figure parce que je suis prise pour une fille par la société.

Est-ce que c'est difficile pour toi d'assumer cette identité de féministe, ou de queer ?

Alors ca dépend où je suis, je n'ai pas dis mais je viens de Lambda. C'est l'association oi je m'engage le plus, ca empêche pas que je fréquente d'autres associations aussi mais, quand je suis arrivée a Istanbul l'année dernière c'est aussi l'endroit que j'ai visité en premier ou j'ai été accueillie en premier. Voilà les gens sont chouettes. Et puis mine de rien ya quand même une différence entre les féministes et les pédés, c'est un gros stéréotype ce que je vais te dire mais au niveau de la remise en cause des normes quelles quelles soient ; en général ya une opinion plus large chez les LGBT que chez les féministes qui peuvent parfois ce crisper sur des trucs hyper orthodoxe.

Pour répondre a ta question...A Lambda, c'est pas une association féministe dans le sens où ce n'est pas le but premier, mais c'est une association féministe comme elle anti-militariste. Dans le cadre de Lambda je n'ai pas du tout de difficulté a assumer mon identité féministe, mais dans un autre cadre, les gens ont beaucoup de préjugés, de mal-baisées, chiantes, donc c'est moins évident..ca c'est arrivé souvent dans d'autres groupes qui peuvent contester d'autres choses mais qui ne s'interrogent pas sur les normes de genre par exemple.

Ici a Istanbul les gens que je fréquente c'est des gens qui ne se permettraient jamais de faire des trucs comme ca. Mais parce qu'ici ya une urgence dans les luttes qui est là, c'est trois femmes qui se font buter chaque jours par leur mari, c'est des pédés qui se font casser la gueule dans la rue, du coup je pense que personne ne se permettrait de remettre en cause les luttes dans lesquelles sont les gens en fait. Ya un respect plus grand j'ai l'impression pour ça. Alors qu'en France j'ai plus l'impression que bon ca va quoi vous avez eu les années 70, c'est bon qu'est ce que tu veux quoi ? j'ai l'impression quoi je sais pas.

THE ASSOCIATION:

3. How long are you in Lambda? How did you come in this association, how did you begin to involve you in this organization?

1 an. Bon Lambda Istanbul ils sont hyper connus parce que ya pas énormément d'associations LGBT en Turquie. A Istanbul il y en a, à ma connaissance deux : Lambda Istanbul et Istanbul LGBTT, qui s'intéresse a toutes les problématiques mais en fait les gens de l'association c'est surtout des Trans, du coup même si eux ils s'interrogent sur les questions de genre, de fait la répartition, une asso pour les trans et une asso pour les autres. Moi je connaissais déjà Lambda Istanbul d'avant, de réputation, du coup quand je suis venue a Istanbul je suis venue là. Je suis passé quoi pour voir, comme je suis passé à Amargi comme je suis passé dans pleins d'associations, voire et rencontrer les gens. Ils organisaient la pride week quand je suis arrivée, et il y avait un groupe de meuf justement qui organisait une conférence, un atelier, et un workshop mais que pour les filles, et du coup je me suis mise dans l'équipe de préparation et donc du coup voilà, de fait je suis restée à Lambda après. Ici ca tourne que avec des bénévoles, du coup n'importe qui a la pêche qui en veut, bah il est bienvenu, il le fait et voilà.

(Qu'est ce qui t'as donné envie de participer a ce truc là par exemple ?)

Parce que moi c'est des problématiques, des thématiques, des luttes qui font parties de... ca fait un moment que je fais ca...Ici c'était facile, les gens sont hyper drôle, l'endroit il est chouette, ya pleins de possibilités de faire des choses et puis il y avait besoin des gens.et puis voilà.

4. Could you present shortly the association? What are the main Ideas? How much members there are? What kind of action?

Lambda c'était une asso, c'en était pas une avant, c'est devenue une asso, ya je pense 3 /4 ans, a la suite de descente de police qu'il y a eu ici, a la suite d'une interdiction qui a été faite. Parce que ca contrevenait à la morale publique, ou un truc comme ca. Avant ca fonctionnait, c'était un groupe de gens. Ca avait pas le statut légal d'une association et a partir de ce moment là, il y a eu la volonté d'avoir un statut légal avec des membres pour montrer un poids dans la société, des membres un peu connus..toute une campagne là-dessus, et puis maintenant on est toujours une asso, parce que c'est aussi a la Cour européenne des droits de l'homme, pour l'instant on attend on attend toujours de savoir si ca va passer ou pas, c'est très long surtout pour un pays qui n'est pas membre comme la Turquie. (Pour les subventions ?) Non pas pour les subventions pour savoir si ils vt juger... Finalement ici ca a été reconnue comme une association sous réserve de ne faut pas encourager un mauvais comportement », du coup on a fait recours contre cette décision, et ca c'est a la Cour euro maintenant, du coup on attend que eux ils émettent un jugement. Mais donc pour l'instant on est toujours une association du coup, mais c'est pas très important en fait, après ca a permis d'être subventionner pour certains trucs puisqu'on avait un statut légal, maintenant nous on a refuser a continuer d'être subventionner par ce biais là. Alors on a des membres qui paient plus ou moins des cotisations, en fait c'est pas comme ca qu'on travaille quoi. Et puis combien ya de membre ? qui paient yen a peut être 280, officiellement yen a peut être 50..enfin voilà ça ça veut rien dire pour nous. Après ca c'est plus les gens qui sont engager dans l'asso, qui y travaillent, ca ca va de 60/70

aux réunions, des fois on est 3 selon les gens y vont y viennent, selon si les gens ont le temps ou pas de s'investir c'est très fluctuant en fait puisque ca dépend de voilà...ca dépend quand c'est l'hivers ya moins de gens parce qu tout le monde est un peu plus down, quand c'est l'été

c'est chouette les gens viennent profiter de la terrasse, du coup il peut se passer des choses puisqu'il y a des discussions. Voilà c'est assez fluctuant.

Après l'asso, bah voilà c'est pour des LGBT , qu'est ce qu'on fait , bah voilà ya ce lieu qui est ouvert oi les gens peuvent venir, se poser, parler... ya une bibliothèque..On organise des discussions, des films, des soirées, des manifs quand il y a des choses. Après c'est plutôt sur les droits des LGBT , ca on le fait plus mais on le faisait avant, de relever a chaque fois qu'il y a un problème, ca peut aller jusqu'au meurtre de gens, des gens qui ont des problèmes dans la rue parce qu'ils sont reconnus ou accuser d'être LGBT , de recenser tout ca, d'envoyer ca a des instances européennes qui sont sensés eux aussi recenser tout ca. Recenser toutes les attaques en fait, parce après c'est reléguer a des instances supérieures de Lobbying, d'associations humanitaire..ect Après il ya tout le travail auprès des politiques, la par exemple, il ya la nouvelle constitution qui va être écrite. Avec ce catalogue de « tares « qu'on peut avoir, de races, de religions, de classes, de genres... Il y a avait justement ce qui avait été demandé de-qui a été rajouté dans les brouillons- l'orientation sexuelle et l'identité de genre, qui a été enlevé finalement du dernier brouillon, donc la il ya tout un travail en lien avec les autres associations à Istanbul et en Turquie, ya pleins de plateforme qui se font dont Lambda fait partie. Après nous on prend aussi position sur les problématiques féministes, antimilitariste...Après sur l'Homophobie on met en place aussi des réseaux, que ce soit en Turquie, ou selon les problématiques avec des pays avec lesquels on les partage. Ca peut être les pays arabes, ca peut être les pays de la Méditerranée... Après aussi très concrètement il y a aussi une Helpline qui fonctionne, les gens peuvent appeler, obtenir des conseils, obtenir si ils ont besoin de conseils ca peut être très pratique, ca peut être un médecin, un psy LGBT Friendly...Ya aussi une aide juridique, on a un avocat qui bosse ici, sur tout un tas de problématique, une des grosses problématique c'est le service militaire par exemple. Enfin voilà. (et ca c'est des bénévoles qui font ca ?) Ouais tout le monde est bénévole. (et vous êtes briefer la dessus ?) Alors la voilà moi je fais pas, parce que il y a la langue turque que je ne maîtrise pas parfaitement, si ya des gens désespérés au téléphone, ils ont pas envie de répéter 5 fois la même phrase, (rire) moi je fais pas ca, mais oui ya aussi des briefings, ceux qui travaillent a l'accueil, donc dans des bureaux, eux aussi sont briefer sur voilà : les idées de l'association c'est quoi, comment réagir si ya quelqu'un qui est voilà en situation de détresse, qui veut se suicider ou quoi. Après nous a l'intérieur de Lambda, on travaille en commission, donc ya la commission des actions, moi je travaille dans la commission des relations extérieurs, donc c'est tout ce qui se fait avec par exemple le lobbying a l'extérieur (mais on décidé d'arrêter parce que ça n'intéresse personne, notamment avec l'Union européenne, tout ces trucs là, on fait quand on a le temps, mais c'est pas forcément notre priorité), on fait aussi des projets avec les autres groupes de bases dans les autres pays. Il ya la commission académique, qui prennent en charge quand il y a des gens qui font des recherches, qui ont besoins de chiffres, de docs... Il y a la Commission des fêtes..Il y a la commission Médias aussi, donc quand un groupe veut faire sortir un texte, il l'envoie au groupe média qui s'en occupe..(...)

L'idée c'est que ce soit complètement horizontale, avec voilà l'idée qu'il n'ya ait pas de spécialiste et puis que bah on s'attèle toujours au même question, que ca fonctionne plus ou moins bien et que les gens sont pas forcément payés donc ya des responsabilités à prendre par rapport a un travail d'activisme et que voilà si tout d'un coup t'as besoin de fric, et que t'as besoin de travailler plus, et bah pendant un mois tu vas pas venir ici, et puis que la commission dans laquelle tu fais partie elle peut aussi en souffrir et puis que...

5. What is your role in the association?

Alors ca. (on vient d'en parler) et puis on est deux c'est nous qui gérons le fric de l'association, je suis dans la commission des relations extérieurs parce que c'est un groupe qui se réunit et qui parle en anglais, et puis du coup c'est ce travail là en détail, c'est répondre aux e-mail qui viennent en anglais, c'est quand il y a des assos qui viennent de telles autres villes que ce soit des assos LGBT ou féministe ou autre et qui veulent rencontrer les gens, les accueillir, le expliquer ce qu'on fait, et puis là on est en train de monter un groupe d'aide au réfugiés, avec aussi une helpline, avec en français en anglais, et en farcies pour les réfugiés qui viennent ici. L'helpline, c'est tous les jours entre telles heures et telles heures, il ya quelqu'un qui tient le téléphone et puis c'est son tour de tenir le téléphone.

6. Do you think feminist/ LGBT activism is accessible to everybody? (... is that any woman could involve here in this organization?)

N'importe qui réfléchit un minimum sur le monde dans lequel il est il peut s'engager. Mais t'as pas besoin d'être réfugié pour lutter pour les réfugiés, t'as pas besoin de faire partie d'une minorité discriminée pour faire de l'anti fa, ou de l'anti racisme. Après ca dépend des groupes, est ce que c'est facile d'entrer dans tel ou tel groupe ? après ça dépend de comment le groupe il fonctionne. (Tu as l'impression que c'est assez brassé comme personne a l'intérieur de cette asso ?) Ici, ouais il y a quand même beaucoup de gens qui passe, et puis c'est un lieu ouvert, et puis il y a les fêtes...Pendant les fêtes il y a vraiment beaucoup beaucoup de monde. Pendant la manif de la gay pride l'année dernière il y avait 20 000personnes, ce qui est quand même deux fois plus que l'année d'avant et ce qui est beaucoup quoi.

7. In general are the Action of Amargi/Lambda ended in failure or success? How can you estimate it? and what is your feeling after an action? Are you happy?

Ouais ca dépend. Moi je pense que ce sont des échecs. Enfin des échecs, que ce ne sont pas des succès dans la mesure où ca reste quand même minoritaire et confidentiel, c'est pas un mouvement de masse qui va faire changer la loi... les politiques s'y intéressent pas, a part le BDP qui fait des interpellations sur les questions de genre et de sexualité. Donc ouais c'est pas...Après par exemple il y a une asso de médecins, de psy je crois qui se réunis qui a par exemple contacter Lambda pour nous dire « donner un Workshop d'éducation sexuelle pour les LGBT par exemple ~, donc voilà il y a un intérêt des associations...et l'idée c'est quand même d'être visible. Et ça c'est un grand truc ici dans les slogans c'est de dire « arrête de te taire, on est homosexuel, on est trans , on est n'importe quoi...et on est là » et puis ce truc d'être visible et bah voilà a force de le dire de le dire, les gens finissent par se dire bah oui ils sont là. Après au niveau des lois c'est pas un succès c'est sûr. Mais est ce que c'est ca qui est important j'en sais rien. Pas sur justement. Je pense que les actions elles ont de l'impact, et qu'il y a un soutien, enfin voilà 100 000 ( ?) personnes à la gay pride c'est deux fois plus que l'an passé donc voilà ca c'est visibilité qui est intéressante moi je pense.

8. Which reaction people have to your actions?

C'est difficile surtout quand les ministres se permettent de tenir ouvertement officiellement des propos homophobes, qui sont ni désavoués par le gouvernement, et même certains qui le répètent, après tu vas au Tribunal quand il y a des meurtres pour des raisons homophobes tu te dis pourquoi, il ya aucune raison que ca change quand les personnes officielles, représentant de l'Etat condamnent pas ces trucs là kil les cautionnent. Enfin je sais pas le ministre de la famille est homophobe c'est quand même hallucinant. Enfin ya pas raison qua ca change ces lois là. Après ici c'est Istanbul, moi je ne connais pas vraiment la Turquie mais je connais Istanbul, c'est Istanbul, c'est Taksim, la population de l'asso c'est quand même

souvent des étudiants ou des gens qui travaillent a l'Université ou des artistes. Effectivement quand tu demandais si c'était accessible, effectivement il y a quand même une certaine population , mais j'ai l'impression comme partout, ca veut pas dire qu'il y a plus de LGBT dans ces milieux là, ca veut dire que c'est plus facile d'être visible que quand t'es dans un milieu plus traditionnel, plus conservateur.

(Du coup quand vous faites des actions c'est plus pour vous-même que vous les faites ?)

Bah pour la visibilité ...quand tu essaie de changer la Constitution c'est plus pour la communauté. Après voilà quand il y a eu l'assassinat du réfugié « nom » dans le poste de police là près de Taksim. Lambda y va, on a signé contre le nucléaire. On est ancré dans la société turque, ya une remise en cause d'un truc plus global et qui touche aussi bien les réfugiés, les kurdes, les pédés, les putes(...) un système qui oppresse pleins de personnes différentes quoi.

PUBLIC OPINION/ SOCIETY:

7. In your opinion what do people think of feminism in general and LGBT people (which stereotypes people have?)), and more specifically what do people think on your association, on your actions?

C'est difficile a dire...Les trans, quand on croise un trans on croit que c'est une travailleuse du sexe, la ministre de la famille pense que c'est des malades mentaux...elle n'est pas la seule. Des intellectuels croyant ou non d'ailleurs ; enfin ya de tout. Après globalement, le société est homophobe, Istanbul c'est une grande ville, c'est possible d'avoirs des lieux, d'être tranquille dans la rue, tu risques plus ou moins, en tout cas, beaucoup moins que dans d'autres endroits, les LGBT mais pas que il arrive qu'ils se fassent tuer par leur famille, parce que c'est un déshonneur, donc on vie quand même dans une société profondément homophobe en Turquie mais pas que.et sexiste

8. Have you ever been confronted with a danger as an activist? Or as feminist women/ LGBT people? (on the street, during an action?, family, work?)

Par les flics? (Oui ou par les gens) Non moi pas, enfin en tant qu'activiste moi pas. Il arrive que tu te fasses cassez la gueule pendant une manif, mais ca ce n'est pas propre a la Turquie. La police elle défend l'Etat donc si tu le remets en cause voilà. Et concernant les attaques de gens, non a Istanbul contrairement a l'Europe de l'Ouest par exemple, il n'y a pas de milice qui serait prête à intervenir. En tant qu'activiste ya pas de danger, ya pas de peur a avoir, après ca arrive régulièrement que des gens se fasse casser la gueule quand ils descendent dans la rue. (Et toi en tant que LGBT ?) Non moi pas du tout, mais je suis blanche, je fais européenne, donc les gens me prennent pour une touriste. Donc même si je me retrouvais chez les flics ils ne veulent pas avoir d'ennuis avec les gens d'Europe de l'Ouest. Ce n'est pas du tout la même histoire quand t'es turc. Pas du tout.

COSTS/RETRIBUTION OF ACTIVISM:

9. Are you involved in other associations outside of Lambda?( in other political parties? or for Hobby?)

Ouais alors moi j'ai toujours été dans des groups qui réfléchissaient aux questions de genre, des groupes qui squattaient, qui condamnaient la notion de propriété, des groupes politiques, mais pas des partis non.

11. Do you think that you will stay in the association over the long term? Bah aussi longtemps que je resterais à Istanbul je pense.

12. Was your involving in the association always the same?

Non bien sûr que non, parce que plus je peux parler turc, plus je peux faire des choses, donc voilà moi c'est lié a ça. Et puis, il ya des moments oi j'en ai marre d'être a Istanbul parce que c'est quand même une ville assez pénible. Et donc du coup j'ai envie de me tirer, après si voilà ma présence est souhaitée parce que je suis la seule du groupe, bon je fais avec. Après ca dépend aussi du temps que tu as...de beaucoup de choses.

13. Do your involving take a lot of time, place in your life? Do you manage to do everything with job/personal life/Family?

Pour moi ya rien qui est séparé en fait, moi ma vie c'est l'activisme. Mes amis sont là. Tout ce que je fais, ya rien qui n'est pas politique en fait. Donc n'importe qui quand on va se voir on va parler de ce qu'on va faire, de quand on va se voir...etc. donc moi je fais aucune différence. Donc pour moi ce n'est pas une partie de ma vie a côté d'un autre truc. C'est ma vie c'est ca. Et puis je n'ai pas de travail parce que je n'en ai pas, mais parce que je ne veux pas travailler. Et justement ça ce serait un truc qui ne serait pas ma vie, qui me mettrait dans une situation de faire un truc qui prend du temps alors qu'en fait j'ai d'autres choses a faire. Voilà

(Et t'as jamais travaillé ?) Si...j'ai besoin d'argent comme tout le monde, donc il m'arrive de travailler, mais j'essaie de faire des choses qui m'intéressent ou avec des gens qui m'intéressent. Et puis voilà après j'arrête. Et puis aussi pour finir là-dessus, moi j'aurais jamais comme job d'être activiste par exemple, parce que justement je ne veux pas, parce que justement ce qui m'intéressent c'est toutes ces questions autour du pouvoir, et quand tu es spécialiste c'est toi qui a le pouvoir et moi je ne veux pas. Je ne veux pas être dans une structure qui cautionne ce genre de fonctionnement. (Mais ça t'es venue comment ce choix de vie là ?)

Bah moi j'ai toujours été comme ca j'ai l'impression. C'est quoi, c'est tu finis tes études, tu trouves un job, c'est rigolo ca se passe bien, et après tu te rend compte que t'as un patron qui te fais chier, que t'as pas envie, qu'on te donne des ordres.. Toi t'as envie de prendre les décisions avec les gens, d'en discuter, d'avoir ton mot a dire qu'on écoute, que machin...et puis quand tu te retrouves dans une situation qui est pas comme ca tu te dis « mais moi je ne veux pas, ca va pas quoi » du coup tu ne fais pas ça tu ne travaille pas quoi. Voilà on est adulte, et on n'a pas envie que quelqu'un nous dise « fais ci », on veut bien le faire mais que si on trouve ça intéressant, et puis « me parle pas comme ca d'abord », voilà sauf que ça les patrons ils n'aiment pas trop entendre ce genre de choses, donc bon ca a raccourci ma vie professionnelle (rires).

14. What is the atmosphere in the Lambda and how is your relationship with other members of the association? is that it's more friendly, familial...?

Nan mais je sais pas pourquoi j'ai pas besoin de faire une comparaison avec les féministes mais.... Bon après il y a 10 milliards formes de faire du féminisme, 10 milliards formes d'être LGBT. Je vais faire un peu des généralisations mais bon de fait quand tu remets en cause l'identité de genre. La société entière est construite autour d'une binarité et quand tu remets en cause ça. Tu touche a un truc que...tu fais tellement péter les cadres que... Les gens ici sont déjantés quoi ! Ya une espèce de truc de de...de fête ! de pas sérieux..Pas de pas sérieux on fait n'importe quoi on s'en fout, mais de pas sérieux ou juste tu peux te permettre d'être un peu cingler ! et ouais ya un truc qui est hyper chouette avec ça. Et ça c'est possible dans un lieu oi tu te sens bien, dans un lieu où tu te sens as en danger. Et du coup ca créer une sorte de liens hyper forts entre les gens qui fréquentent le lieu et les gens qui font en sorte qu'ils existent aussi. Enfin voilà tu vois. Un truc qui est chouette là parce que tu te dis, voilà ici on peut faire ce qu'on veut quoi ! On peut être plus soi même, on peut repousser vachement les limites...bon moi c'est un truc que des fois ça me gonfle aussi, c'est qu'à chaque fois qu'on fais des trucs bon ca tourne toujours autour de sensualité, a chaque fois qu'on fait des fêtes tout le monde finit a poil...Bon on pourrait faire aussi des choses qui ne tournent pas autour de la sexualité. En même temps voilà, c'est aussi parce que c'est le seul lieu oi c'est possible de se mettre à poil dans une fête. Bon après ca peut être un rébarbatif (rires) mais bon je comprends quand même, cette liberté là, elle n'existe pas ailleurs. Après ca peut te sembler con ou tu ce que tu veux, mais on s'en fout, on n'a pas a juger. C'est juste que si t'as envie de faire un truc tu peux le faire. Et ça c'est chouette, et du coup on se marre en plus ; nan mais vraiment pour de vrais on se marre.

POLITIC:

15. What about your political opinion?

Ouais moi ca m'intéresse pas de me positionner. Après moi je me qualifie pas parce ça m'intéresse pas, je ne trouve pas ça intéressant de me mettre dans une case, et puis justement je ne fais pas partis d'un parti, plutôt des groupes de réflexion ou d'action. Mais de suivre une pensée comme ça ne m'intéresse pas. Après c'est sur que je suis complètement a gauche gauche gauche et dans les valeurs qui sont pour moi essentielles qui sont les valeurs d'être ensemble et puis de faire des choses ensembles. Après c'est voilà aujourd'hui on dit quoi pour « anti-capitaliste, anti-sexiste, écolo... »

16. Do you will vote for the next election in June? Non, je n'ai jamais vote de ma vie encore.

Mais juste pour revenir là-dessus, revendiquer des droits pour les LGBT a l'Etat ici, par exemple ce n'est pas du tout une lutte qui me concerne. C'est pour ca que j'ai jamais été dans des assos ou voilà parce que je n'attends rien de l'Etat en fait. Après je me rends bien compte que les lois...le fait qu'il y a un changement rapide des mentalités c'est quand même les lois qui protègent un maximum les gens aussi quoi. Mais même si je pense qu'il y a une efficacité aussi là dedans, ce n'est évidemment pas mon combat, parce que pour moi l'Etat il est a combattre plus qu'à séduire. D'oi moi je ne vais pas voter non plus, mais des gens qui pensent qu'il y a des choses à faire au niveau institutionnel se déplacent pour voter.

17. Do you think that activism is a way to participate in the political life of Turkey?

Bah en fait pour moi tout est politique. A un moment les gens avec qui tu couches c'est choix politique aussi quoi. Selon la manière dont tu parles a tes amis...selon si tu dis ca c'est privé ce

n'est pas mes oignons. Même la façon dont les gars et les filles communiquent entre eux, selon ce qu'ils se disent, de quoi ils parlent. Pour moi tout ca c'est politique on t'as appris a parler, a pleurer, ou pas pleurer à être dedans ou dehors a te battre... donc à partir de là pour moi l'activisme c'est du comportement quotidien, est ce que quand tu sors dans la rue en jupe et que quelqu'un t'embête est ce que tu commence a baisser les yeux, ou a l'insulter et bah ça aussi c'est politique. Est-ce que tu prends les choses en main, est ce que tu lui dis que c'est un connard et qu'il n'a pas le droit de faire ça. Ou est ce que tu subis et tu te tais. Après dans tout ton comportement ya une signification. Après l'activisme c'est aussi dire « moi je veux que les choses elles changent » et puis je veux créer des espaces ou je veux me sentir bien.. Après voilà moi la vie politique de la Turquie ça m'intéresse pas, moi ce qui m'intéresse c'est le quotidien, c'est là façon dont tu vies. Parce qu'après voilà, yen a plein qui font partis de groupes politiques anti-autorité, anti ceci, anti cela, mais en fait dans la vie c'est des gros connards, ils te laissent pas parler. Voilà moi ça m'intéresse pas ces grandes théories, et ces grands discours, ça peut être très intéressant intellectuellement parlant, de lire des textes et de réfléchir, mais en tout cas moi ma lutte elle est dans le quotidien, pas dans l'exceptionnel, l'élection...

ENDLY/

19. Open question: How do you see your future as a feminist or LGBT activist? (Do you think that for example it's going to be positive, that minds are changed, or the contrary, there is still much work to do?)

Non, je ne crois pas, en tout cas moi dans ma perspective je pense qu'il y aura toujours besoin de lutter. Voilà pour moi c'est inadmissible de pouvoir se faire butter dans la rue, parce que t'es née avec des organes génitaux féminins et que du coup, et qu'on peut de violer.. Ca il faut que ca cesse, et il faut que ca cesse vite. Ou même pour les mariages homosexuels, même dans les pays oi s'est autorisés, ce n'est pas du out mis au même niveau, la norme reste quand même le mariage homosexuel. Il y aura toujours, des pauvres, des gens qui se font exploités...peut être qu'un jour il y en aura plus, mais...du coup je pense que j'ai un bon avenir dans l'activisme (rires)

(Finalement pour toi heureusement que cette asso elle existe? Enfin dans ta vie l'activisme c'est primordial au final ? )

Après cette asso là... moi je trouve ça cool ici parce qu'on se marre plus que dans des trucs plus sérieux. Après quand tu parlais de la question de temps, c'est clair que moi je n'aurais pas le temps d'être dans cette asso et dans une autre, après voilà moi ya d'autres luttes dans lesquelles je peux participer, après m'engager dans d'autres assos comme je m'engage dans celle là, c'est clair que je n'aurais pas le temps. Ya tellement de facettes dans la remise en cause de notre société que de toute façon il y aurait d'autres assos si il n'y avait pas celle-ci quoi. Y a d'autres assos qui m'intéressent pas, des assos de LBT qui veulent les mêmes droits que tous le monde, (le mariage...) après de dire « je suis handicapé mais je veux être normal, je suis noire mais je veux être normal, je suis pédé mais je veux être normal ~ cette forme de ghettoïsation là ça m'intéresse pas. La société dans laquelle on vit elle est raciste, elle est sexiste, c'est essayer de faire sauter ces trucs là qui moi m'intéresse. Du coup voilà il y aurait beaucoup d'autres choses a faire sauter, si ce n'était pas dans cette asso là, ce serait dans une autre.

(est ce que tu as le sentiment que l'activisme quelque part d'apporte une forme d'émancipation personnelle ?)

Moi ya trop de trucs qui me mettent en colère pour que je puisse juste me lever et aller travailler tous les matins c'est pas possible. Donc moi je ne peux pas faire autrement que de m'organiser pour que ça change.

Moi j'ai grandi dans une famille de classe moyenne supérieure et donc on m'a dit « tu auras un bon travail, tu gagneras de l'argent ~t'auras un mari... Une image conventionnelle de la société, et puis après en rencontrant des gens, tu te dis mais pourquoi moi j'ai plutôt envie de faire ça..Je n'ai pas besoin de frics, du coup t'as pas besoin d'argent t'as pas besoin de travailler. Et puis au fur et à mesure de te rends compte « ah bha ouais mais ça et ça c'est la même chose, c'est le même mécanisme » et puis plus tu prends le temps de réfléchir, de parler avec les gens, et plus tu affines tes trucs, plus tu as un truc clair dans la tête des mécanismes dont tu ne veux pas, et puis ce n'est pas juste un truc qui t'embête. J'ai l'impression de comprendre tout un mécanisme dans lequel on essaie de nous mettre. Et puis quand même moi j'ai été socialisée comme ça, c'est super dur de désapprendre tout un tas de trucs. Après tu te dis mais pourquoi j'aimerais être avec un mec qui me demande en mariage? C'est complètement débile, ca vient d'oi ce truc là? C'est complètement absurde (rires) Enfin oui ça pourrait se passer comme ça mais ça pourrait aussi se passer complètement autrement, enfin bref tu vois. Et puis bon sauf que ça tu mets un moment avant de t'en rendre compte tu vois. Et ça c'est un exemple, mais yen a des milliers de trucs qui sont complètement ancrés. Ca prend du temps et du cerveau, d'arriver a s'en rendre compte. Même de dire mais attend là je réagis complètement comme une fille. On t'a conditionné comme ça donc c'est normal quelque part..Mais juste de se rendre compte que ces des trucs qu'on t'a appris a faire et que c'est des réflexes qu'on a appris, et que tu les fais pour ça. Et d'avoir la conscience de se dire que ça pourrait être autrement, après tu choisis si tu veux que ca se passe autrement, et tu choisis ou pas ce que tu veux changer. Juste des trucs où tu te dis « ah bah là je ferme ma gueule parce que je suis une fille, si j'étais un mec je l'ouvrirais ». Ou même moi je me rend compte des trucs hallucinants que moi j'ai comme comportement et je me dis « mais ça c'est timbré quoi ~, et puis voilà c'est des trucs de conditionnement ça je pense, des peurs...Là je suis partie en vacances la semaine passée toute seule, et tout le monde me disait « nan c'est horrible, tu vas te faire violer, tu vas te faire tuer... prends un spray au poivre ou une lacrimo» et puis tout le monde me disait la même chose, alors je me disais merde ça serait con qu'il arrive un truc quoi, et puis c'est des turcs ils savent mieux. Et puis je suis partie quand même et enfin de compte tout s'est hyper bien passé, mais du coup dès que quelqu'un approchait tu commençais a flipper et a te dire « il faut que je me méfie ». Tu te rends compte qu'on t'as appris a vivre dans un monde oi quand tu n'es pas dans ta cuisine on t'as appris a avoir peur. Après on a aussi appris aux hommes que les femmes qui ne sont pas dans leur cuisine on peut en faire ce qu'on veut, donc voilà il faut aussi se méfier.

Donc voilà, l'émancipation, elle passe aussi par là, de se dire tout ça ces conneries, je n'ai pas envie d'avoir peur, de vivre dans un monde oi les filles elles sont sensés avoir peur du coup. Après c'est vrai que quand t'es activiste, ya des discussions, des groupes de paroles... qui font que tu as peut être plus accès à ce type de réflexion, et donc de libération, plus que si t'étais tout seul dans ton coin a lire ton journal et puis a pas en parler a personne. L'activisme c'est peut être plus condensé, mais je pense qu'il ya des milliers de facteurs qui peuvent d'amener a la réflexion tout le temps quoi.

(Et tout ce qui est construction dans genre..Etc. comment tu as été consciente de ca ? C'est toi qui a été vers des lectures par toi-même ?)

Je ne m'en rappelle pas comment ça s'est passé. Moi j'ai habité a Berlin, et a Berlin ya quand même beaucoup de groupes qui remettent en cause tout ca, bon c'était facile il y avait un peu tout une effervescence, des textes, un accès hyper facile aux choses, aux gens..don voilà après comment ca s'est passé aussi exactement..Je pense que c'est tout un tat de trucs. Tu te rends compte que les gens te renvoies à la figure le fait que tu sois une fille et qu'on te fait chier quoi et toi tu te dis « c'est bon quoi, je suis une fille et alors ? » et puis même dans tes comportements, t'es là pourquoi je réagis comme ca alors que j'en ai rien a foutre. Après voilà quand tu habites dans un squat, t'es obligée de faire tout toute seule, les frontières entre les activités de genre elles se floutent aussi. Ouais voilà c'est tout un tat de gens qui réfléchissent là-dessus, que tu rencontre, et puis tout d'un coup tu es pris dans le truc, et puis c'est comme une pelote, tu tire dessus, et ya tout un amas de trucs.

Annexe 3 :

Turkey: Women Left Unprotected From Violence

Gaps in Law, Police Response, Put Urgently Needed Help Out of Reach May 4, 2011

A Turkish woman shouts slogans on March 8, 2009 in Istanbul where more than 5,000 women gathered to mark International Women's Day. Purple symbolizes feminism in Turkey.

(c) 2009 Getty Images

Gauri van Gulik, women's rights advocate and researcher at Human Rights Watch

(Istanbul) - Turkey's flawed family violence protection system leaves women and girls across the country unprotected against domestic abuse, Human Rights Watch said in a report released today. Life-saving protections, including court-issued protection orders and emergency shelters, are not available for many abuse victims because of gaps in the law and enforcement failures.

The 58-page report, ~`He Loves You, He Beats You': Family Violence in Turkey and Access to Protection," documents brutal and long-lasting violence against women and girls by husbands, partners, and family members and the survivors' struggle to seek protection. Turkey has strong protection laws, setting out requirements for shelters for abused women and protection orders. However, gaps in the law and implementation failures by police, prosecutors, judges, and other officials make the protection system unpredictable at best, and at times downright dangerous.

"With strong laws in place, it is inexcusable that Turkish authorities are depriving family violence victims of basic protections," said Gauri van Gulik, women's rights advocate and researcher at Human Rights Watch and author of the report. "Turkey has gone through exemplary reform on women's human rights, but police, prosecutors, judges, and social workers need to make the system exemplary in practice, not just on paper."

Human Rights Watch interviewed women and girls as young as 14 and as old as 65 who described being raped; stabbed; kicked in the abdomen when pregnant; beaten with hammers, sticks, branches, and hoses to the point of broken bones and fractured skulls; locked up with dogs or other animals; starved; shot with a stun gun; injected with poison; pushed off a roof; and subjected to severe psychological violence. The violence occurred in all areas where researchers conducted interviews, and across income and education levels.

This report comes as the Council of Europe is about to adopt a regional convention on violence against women and domestic violence. Turkey played an important role in drafting the convention as the current Chair of the Committee of Ministers, and the convention is scheduled to be signed at a summit in Istanbul on May 11, 2011.

Some 42 percent of women over age 15 in Turkey and 47 percent of rural women have experienced physical or sexual violence at the hands of a husband or partner at some point in their lives, according to a 2009 survey conducted by a leading Turkish university.

The report is based on interviews with, and the case files of, 40 women in Van, Istanbul, Trabzon, Ankara, Izmir, and Diyarbakýr, and dozens of interviews with lawyers, women's organizations, social workers, government officials, and other experts.

"That first time, he hit me, he kicked the baby in my belly, and he threw me off the roof «said Selvi T., not her real name, forced to marry at age 12, whose husband has abused her for years.

Turkey entered the vanguard of countries offering civil mechanisms to protect against domestic violence with its 1998 adoption of Law 4320 on the Protection of the Family. This law, as amended in 2007, established a protection order system under which a person abused by a family member under the same roof, male or female, can apply directly or through a prosecutor for an order from a family court.

The orders can, among other things, require the offender to vacate the home, stay away from the victim and their children, surrender weapons, and refrain from violence, threats, damaging property, or contacting the victim. The system is designed to bring about quick action, within days at most, since people who apply for them are often in extremely dangerous situations.

The report documents serious shortcomings with Law 4320, though. The law excludes certain groups of women altogether, such as divorced and unmarried women. Police, prosecutors, and judges in many cases neglect their duties. Many women said that police officers mocked them and sent them home to their abusers, rather than helping them get protection orders, and that prosecutors and judges were slow to act on protection order requests or improperly demanded evidence not required by the law.

"The extreme brutality that family members inflict on women and girls is bad enough, but it is even worse to know that a woman who finds the courage to escape and ask for protection might be insulted and sent right back to her abuser," van Gulik said.

Shelters for women and children are another important element of Turkey's response to domestic abuse. The Law on Municipalities requires every municipality with 50,000 or more residents to provide a shelter, but the government has fallen far short of meeting this requirement. Moreover, women reported to Human Rights Watch that some existing shelters

have dismal conditions and inadequate security procedures. In fact, staff in some shelters has allowed abusers to enter and have urged women to reconcile with their batterers.

Selvi T.'s experience reflects many of these problems. Her husband has beaten and raped her repeatedly for years, inflicting grave injuries, yet police sent her home multiple times when she sought protection. When she finally fled to a shelter, police told her husband the location, and shelter staff let him in and encouraged her to reconcile with him.

On March 7, Fatma ahin, a Justice and Development Party Member of Parliament for Gaziantep, in southeastern Turkey, announced a proposal to revise the Law on the Protection of the Family, following consultations with women's groups. The proposed amendements are before parliament.

The amendments would widen the scope of protection to include women who are in a relationship but not married. They would direct the Interior Ministry to provide financial support to protection order recipients. The draft law would require improved measures to protect information about victims, including their addresses if they have moved. It provides for dedicated police and prosecutor units staffed by officers with training and expertise in family violence. It also would allow prosecutors to grant protection orders outside court hours, to be presented later for a judge's approval.

Turkey should close the gaps in its family protection law by explicitly providing that protection orders may be issued to unmarried and divorced women, including women in unregistered religious marriages, Human Rights Watch said.

The Justice and Interior Ministries should create dedicated units at police stations and family courts with specialized staff who can refer women to social services and deal with their protection claims, Human Rights Watch said. The Interior Ministry should also develop a complaint mechanism to identify police officers, prosecutors, and judges who do not uphold the law or who mistreat domestic violence survivors.

Overall monitoring of the protection order system is also needed, with more specific, publicly available data on the use of the system. More shelters are needed, and both the Interior and Justice Ministries should continue and improve training for police officers, and to train prosecutors and judge's about the practical requirements of Law 4320, and each official's role in the process.

"At a time when Turkey is about to host governments from all over Europe to make a binding commitment to end violence against women, Turkey's government should take an honest look at its own shortcomings," van Gulik said. "Turkey needs to make changes so that its family violence protection system will live up to the new treaty both in design and implementation."

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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery