Mylène THISEAU
Master 2 Droit du patrimoine culturel
Université Paris XI - Faculté Jean
Monnet
La réutilisation des données
publiques
en droit des archives
Sous la direction de Marie-Françoise
LIMON-BONNET
Septembre 2009
I Sommaire
Introduction
......................................................................................................
3
I. Le statut des archives au regard du régime
de réutilisation des données publiques prévu par
l'ordonnance du 6 juin 2005 modifiant la loi « CADA » du 17
juillet 1978.. 7
A. Les principes généraux du
régime légal de la réutilisation appliqués aux
archives ............. 7
1. L'objet de la réutilisation : la notion de
données publiques contenues dans des documents administratifs
.........................................................................................
7
a) Les données publiques figurant dans les documents
administratifs ...................................... 7
b) Les dispositions spécifiques quant au contenu des
documents administratifs ............................ 10
2. Un encadrement légal « par
défaut » pour les archives
............................................ 11
a) Le principe de la « libre utilisation
encadrée » des données publiques
.................................. 11
b) Le rôle de la CADA en matière de
réutilisation ........................................................
13
B. L'application du régime dérogatoire
de l'ordonnance du 6 juin 2005 aux établissements et services d'archives
.....................................................................................
15
1. Les fondements juridiques présidant à la
reconnaissance d'une « exception culturelle » pour les
établissements et services d'archives
........................................................... 15
a) Les fondements du régime dérogatoire
appelé à tort « exception culturelle »
..................... 16
b) La consécration jurisprudentielle du régime
dérogatoire dans les établissements d'archives ............ 17
2. Les conséquences de l'article 11 instaurant une
dérogation aux règles légales de réutilisation ..
20
a) Le droit pour les établissements de fixer
eux-mêmes leur propre régime de réutilisation
................. 20
b) La possible remise en cause de l'existence du régime
dérogatoire pour les établissements culturels....... 22
II. La mise en oeuvre des règles de
réutilisation dans les établissements et services d'archives
..............................................................................................
24
A. La protection juridique de la réutilisation par
le mécanisme des « licences »
................... 24
1. La notion de licence : définition du terme
« licence » ...............................................
24
a) La nature de l'acte accordant une licence
............................................................... 24
b) La mise en oeuvre des licences
......................................................................... 28
2. Le contenu du document de licence
............................................................... 32
a) Droits et obligations du licencié
....................................................................... 32
b) Sanctions
.............................................................................................
35
B. La marchandisation des données
d'archives : la perception de redevances en contrepartie du droit de
réutilisation des documents administratifs
............................................. 38
1. La détermination du droit de redevance
............................................................ 38
a) Les indicateurs de calculs posés par les textes
législatifs et réglementaires pour la détermination des
montants
...............................................................................................
39
b) Les calculs reposant sur la politique commerciale des agences
de photographie ......................... 40
2. Les enjeux de la diffusion du patrimoine culturel
archivistique ................................... 41
a) Un choix marqué par la politique culturelle et
lié à la mission des établissements d'archives............
42
b) Une réutilisation inévitable ?
........................................................................... 45
Conclusion : l'avenir des services d'archives de France
.............................................. 48
Eléments de bibliographie
.................................................................................
50
[NB : les annexes figurant initialement dans ce
mémoire ont été retirées pour leur mise en ligne
mais sont en libre consultation auprès de la bibliothèque
universitaire de la faculté Jean Monnet, Université Paris
XI.]
II Introduction
« La diffusion du patrimoine culturel
numérisé représente un enjeu majeur pour notre
ministère et pour les établissements et organismes de toute
nature qui en dépendent. Elle constitue un élément central
de leur mission de transmission des savoirs et de démocratisation
culturelle. »
C'est par ces mots que le nouveau ministre de la Culture et de
la Communication, Frédéric Mitterrand, présente le 17
août 2009 aux chefs de services à compétence nationale les
conclusions du groupe de travail présidé par Bruno
Ory-Lavollée sur la diffusion et la réutilisation des
données publiques culturelles numériques. Le ton est
donné, une nouvelle ère a sonné : la
réutilisation des données publiques culturelles doit être
encouragée, mais encadrée.
Les réactions sont aujourd'hui nombreuses face à
ce que certains appellent la « marchandisation » du
patrimoine immatériel de l'Etat, ce patrimoine dont la conservation
constitue la raison d'être et la mission essentielle de certains
établissements comme les établissements d'archives, principaux
dépositaires de contenus culturels.
Parce qu'ils conservent la mémoire de la Nation, les
établissements et services d'archives sont principalement visés
par ces nouvelles mesures, et doivent faire face à des demandes
importantes de réutilisation de la part de généalogistes
ou de particuliers, quand ils ne sont pas sollicités par des
sociétés américaines qui ambitionnent de mettre en ligne
l'intégralité des documents conservés dans les
départements, notamment les données de l'Etat civil.
Mais que sont les archives ?
Employée de manière courante, la notion
d' « archives » peut désigner à la fois
les documents qui sont conservés, les services qui assurent la gestion
de ces derniers, et enfin les locaux dans lesquels sont entreposés ces
documents. Notre droit a choisi de désigner sous l'appellation
« archives » les documents destinés à
être conservés. En outre, le mot
« archives » est souvent employé de manière
restrictive pour désigner les documents conservés, et non les
documents destinés à être conservés, ce qui nous
amène à une première distinction entre archives
définitives et archives courantes, et à une distinction
subsidiaire entre services d'archives créés dans un but unique de
conservation et de valorisation et services d'archives internes aux
établissements. Nous centrerons cette étude sur les
établissements et services d'archives destinés à conserver
et à valoriser les archives dites
« définitives » de l'Etat, c'est-à-dire les
services relevant de l'actuelle direction des Archives de France1(*) : les services
départementaux et communaux, ainsi que les trois services à
compétence nationale que sont les Archives nationales, les Archives
nationales du monde du travail et les Archives nationales d'Outre-Mer.
La notion d'archives au pluriel est définie à
l'article L.211-1 du Code du patrimoine2(*) comme étant « l'ensemble des
documents, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et
leur support, produits ou reçus par toute personne physique ou morale et
par tout service ou organisme public ou privé dans l'exercice de leur
activité ». Cet article pose donc quatre critères
indifférents qui caractérisent les archives : la date, le
lieu de conservation, la forme et le support.
L'emploi du pluriel pour parler des archives implique que l'on
ne va pas considérer les documents de manière unitaire mais comme
un « fonds » d'archives, d'où l'emploi des termes
« ensemble des documents ». Le fonds est ainsi
constitué par toute personne qui produit ou reçoit des documents
dans le cadre de son activité.
La notion de document renvoie, quant à elle, à
tout support d'information, qu'il s'agisse de documents papiers,
photographiques, ou encore numériques. Le principe de
l'indifférence du support est très intéressant, notamment
dans le contexte de la dématérialisation des archives et de la
libre circulation des biens sur Internet.
En effet, c'est dans le cadre du vaste projet de
numérisation du patrimoine archivistique que les services ont peu
à peu mis en place des bases de données qui prennent le nom
d' « instruments de recherche », qui sont accessibles
en ligne et de manière gratuite en vertu du principe de libre
accès aux informations publiques, et qui permettent aux usagers du
service public d'accéder facilement aux copies numériques des
archives originales conservées matériellement dans les
établissements d'archives.
Or, jusqu'en 2005, aucune mesure juridique spécifique
n'avait vocation à encadrer l'utilisation que pouvait faire un
internaute du contenu de ces documents numériques, de sorte que certains
ont cru possible le fait de réutiliser la base de données
Mérimée à leur propre compte. La législation en
matière de bases de données permettait certes de limiter les
extractions des données, mais elle était inadaptée aux
données culturelles, dans la mesure où elle ne prenait en compte
que le caractère de l'apport économique (l'investissement)
réalisé par le producteur de la base.
Aussi, les états étant dans
l'impossibilité d'invoquer un quelconque droit d'auteur sur leurs bases
pour pouvoir à la fois conserver leur monopole d'exploitation et
éviter de s'inscrire dans un cadre concurrentiel, en raison notamment du
développement considérable des moyens de communication, il fut
décidé au niveau européen d'encadrer ces usages en leur
donnant un nouveau fondement : la réutilisation des informations
publiques.
Ce fondement a été inscrit dans la directive
2003/98/CE du Parlement européen et du Conseil du 17 novembre 2003,
transposée en droit français dans l'ordonnance 2005-650 du 6 juin
2005 « relative à la liberté d'accès aux
documents administratifs et à la réutilisation des informations
publiques ». Le contenu de cette ordonnance a été
inséré dans le chapitre II du Titre I de la loi n°78-753 du
17 juillet 1978 portant diverses mesures d'amélioration des relations
entre l'administration et le public, dite « loi
CADA »3(*), du nom
de la Commission d'accès aux documents administratifs qu'elle institue,
par le décret n°2005-1755 du 30 décembre 2005.
Ces dispositions présentent les modalités de
réutilisation des données publiques de manière
générale. Elles prévoient en outre que les
établissements scientifiques et culturels suivront un régime
dérogatoire particulier, ce qui leur permet de déroger aux
règles de droit commun instituées par le chapitre II.
Au regard de ce régime dérogatoire dans lequel
s'inscrivent les établissements culturels, quel régime les
établissements et les services d'archives peuvent-il mettre en place
pour encadrer la réutilisation des données publiques ?
Pour pouvoir proposer des solutions pratiques pour
réguler ou encourager la réutilisation (II.), les services
d'archives doivent d'abord justifier que leur statut leur permet d'entrer
effectivement dans cette catégorie des biens culturels et de pouvoir
ainsi présenter leurs propres règles (I.).
I Le statut des archives au regard du régime de
réutilisation des données publiques prévu par l'ordonnance
du 6 juin 2005 modifiant la loi « CADA » du 17 juillet
1978
La loi de 1978 pose un cadre général
destiné à limiter les abus en matière de
réutilisation des données publiques. Avant de s'intéresser
au champ d'application de ces dispositions, et de voir comment les archives
françaises4(*) se
positionnent juridiquement vis-à-vis de ce nouveau régime (B.),
il convient de s'intéresser à ce que recouvre cette notion de
réutilisation des données publiques tant dans le régime de
droit commun que dans le régime dérogatoire (A.).
A. Les principes
généraux du régime légal de la réutilisation
appliqués aux archives
Le régime proposé par la loi de 1978 est
défini d'une manière relativement large : il pose un
principe de liberté de réutilisation à destination des
usagers du service public, mais ne définit ni ce qu'il entend par
réutilisation ni le type de documents qui peuvent faire l'objet de
réutilisation.
1. L'objet de la réutilisation : la
notion de données publiques contenues dans des documents
administratifs
a) Les données publiques figurant dans les documents
administratifs
L'article 10 de la loi de 1978 dispose que « les
informations figurant dans des documents produits ou reçus par les
administrations mentionnées à l'article 1er, quel que
soit le support », peuvent faire l'objet de réutilisation, et
donc être soumis aux dispositions de cette même loi. Le
législateur n'a donc pas donné directement de définition
de l'objet de la réutilisation.
La notion de document administratif
L'article 1er de la loi est intégré
au chapitre relatif à la liberté d'accès aux documents
administratifs, et précise depuis 2005 en son 2e
alinéa que « sont considérés comme documents
administratifs, au sens des chapitres Ier, III et IV du
présent titre [...] les documents produits ou reçus, dans le
cadre de leur mission de service public, par l'Etat, les collectivités
territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les
personnes de droit privé chargées d'une telle
mission. » Le 3e alinéa a pour origine la
première version de la loi de 1978. Il donne une liste non exhaustive de
documents répondant à cette définition :
« les dossiers, les rapports, études, comptes rendus,
procès-verbaux, statistiques, directives, instructions, circulaires,
notes et réponses ministérielles, correspondances, avis,
prévisions et décisions ».
On remarquera que cet article n'entendait pas à
l'origine s'appliquer aux dispositions du chapitre II relatif à la
réutilisation. Faut-il y voir ici l'intention
délibérée du législateur de laisser le soin
à une autre loi de fixer une définition des documents
administratifs qui soit applicable en matière de
réutilisation ?
S'il n'existe pas de réponse claire à cette
question, on peut toutefois déduire de ces deux articles, que la
définition des documents administratifs n'a pas été
exposée pour le régime applicable à la
réutilisation. Le seul renvoi qui soit fait depuis l'article 10 à
l'article 1er est relatif aux types d'administrations
concernées par la réutilisation, de sorte que peuvent faire
l'objet de réutilisation : les informations figurant dans des
documents produits ou reçus par l'Etat, les collectivités
territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les
personnes de droit privé chargées d'une telle mission. Or cette
définition est bien celle énoncée à l'article
1er pour désigner les documents administratifs. On se demande
donc pourquoi le législateur n'a pas entendu étendre ses
dispositions et attribuer la qualification de « documents
administratifs » aux « documents produits ou reçus
par les administrations mentionnées à l'article
1er ».
Finalement, on constate que le seul apport de l'ordonnance de
2005 réside dans le terme d' « information figurant dans
un document ».
La directive de 2003 définit le document administratif
de manière extrêmement large comme étant
l' « ensemble des informations produites par des administrations
au sens large du terme ». Cela restreint ainsi le type de documents
concernés : ne seraient considérés comme document
administratif que les documents produits par les administrations, et non les
documents reçus. Cette définition à première vue
trop large serait en fait bien plus restrictive et bien plus adaptée
à la notion de document administratif que ne l'est notre
définition française.
En outre, l'alinéa 2 de l'article 10 de la loi de 1978
ajoute un critère supplémentaire à la qualification de
document administratif : celui du caractère public de l'information
contenue dans le document.
La notion d'information publique
Les informations figurant dans des documents
administratifs sont-elles forcément publiques ?
A priori, tel ne serait pas le cas, puisqu'il pourrait s'agir
d'un document reçu par une personne publique dans le cadre de l'exercice
de sa mission de service public, par exemple une facture de
téléphone transmise par un particulier à une
administration pour justifier de son domicile. Le montant de la facture du
particulier est une information figurant dans un document reçu par la
personne publique. Pour autant ce n'est pas une information publique. Ce qui
fera la différence ici, c'est bien le caractère communicable ou
non de l'information, le fait qu'il s'agisse d'une donnée personnelle
relative à l'administré lui-même, et sans rapport avec
l'exercice de la mission de service public. Si le document en lui-même
peut être considéré comme un document administratif au sens
de cette loi, puisque conservé par l'administration et perçu
à l'occasion de sa mission de service public, l'information qui s'y
trouve n'est pas pour autant une information publique.
Le caractère public mis à part, il reste une
question de vocabulaire quant au terme d' « information »
publique. En effet, il faut ici observer la diffusion d'un usage parmi les
professionnels, qui consiste à attribuer le vocable de
« donnée publique » à ce que le
législateur a entendu désigner comme « information
publique ».
Pourtant, le terme de « donnée
publique » est apparu pour la première fois dans une
circulaire du 14 février 1994 relative à la diffusion des
données publiques et est défini ainsi : « Par
« donnée », on pourrait entendre, au sens
étroit du terme, une information formatée pour être
traitée par un système informatique. Elle sera entendue ici au
sens large d'information collectée ou produite sur n'importe quel
support, pas seulement informatique. [...] Une distinction doit être
faite entre données brutes et données élaborées
:
- les données brutes élémentaires, sans
mise en forme originale, ne sont en principe la propriété de
personne ;
- en revanche, la valeur ajoutée par
l'administration est susceptible d'appropriation intellectuelle. Elle peut
alors en céder l'usage dans les conditions prévues par la
législation sur la propriété
intellectuelle. »
La notion de donnée publique a donc
évolué depuis 1994 pour laisser place à celle
d'information publique : les « données brutes »
correspondent à la définition actuelle des données, tandis
que les « données élaborées »
correspondent à une définition se rapprochant de celle des
informations. En effet, il est possible de considérer que la
donnée est un fait brut, un matériau de base qui sert à
l'élaboration d'une information, l'information étant plutôt
un ensemble de données retravaillées de manière logique
afin de transmettre un message ou de donner des éléments de
compréhension. Si l'on se fonde sur ces définitions,
l'information publique serait déjà le fruit d'une
réutilisation, et le législateur n'entendrait pas régir la
réutilisation des données brutes, mais seulement celle des
données élaborées, c'est-à-dire des informations
publiques. Ainsi, selon ces acceptions, la réutilisation des
données serait libre, tandis que la réutilisation des
informations serait encadrée par la loi ou par un système
juridique mis en place au sein de tout établissement, en raison de la
plus-value qu'elles portent.
Appliqué au domaine des archives, il paraît
difficile de considérer que données comme informations puissent
suivre un régime différent. Par exemple, une reproduction d'une
carte postale ancienne représentant un simple bâtiment pourrait
être considérée comme une donnée brute, tandis que
son association avec le cartouche qui l'accompagne et qui en indique le
photographe, la date, les dimensions ainsi que la cote, lui donnerait alors le
caractère d'information. Or il paraît aujourd'hui inconcevable
d'autoriser la diffusion d'une image sans indication complémentaire de
son origine ou de son objet. On peut donc difficilement appliquer cette
distinction en matière d'archives.
b) Les dispositions spécifiques quant au contenu des
documents administratifs
L'article 10 de la loi de 1978 pose des conditions
complémentaires pour la validité de la réutilisation,
touchant au type de contenu des informations publiques.
Communicabilité du document, données sensibles
et données personnelles
Dans la mesure où les documents susceptibles
d'être réutilisés doivent être obligatoirement
communicables à tous, les critères de réutilisation
intègrent ceux de communicabilité des documents prévus par
l'article L.213-1 du Code du patrimoine. Ainsi, un document dont la
communication a été accordée par autorisation ou par
dérogation prévue à l'article L.213-3 du même code,
ou encore un document considéré comme contenant des
données sensibles ne permettant pas sa communication, ne peut être
réutilisé, sauf si ce document a d'ores et déjà
fait l'objet d'une diffusion publique.
De plus, la directive énonce que les règles de
réutilisation doivent respecter celles concernant l'accès et la
réutilisation des données personnelles, c'est-à-dire les
dispositions de notre loi CNIL, qui dispose que la personne dont le nom ou dont
les données qui la concernent vont être réutilisées
doit donner son accord si l'utilisation envisagée diffère de
celle pour laquelle il avait donné ces informations. L'article 13 de la
loi de 1978 ajoute également la possibilité de réutiliser
les documents contenant des données personnelles dès lors que
l'administration a pu rendre ces données anonymes ou si une disposition
législative ou règlementaire le permet. Les coûts
d'anonymisation des documents pourront alors être pris en compte dans le
calcul de la redevance due par la personne qui sollicite la
réutilisation.
Droits de propriété intellectuelle
En vertu des dispositions de l'article 10 alinéa 2, ne
peuvent faire l'objet de réutilisation les informations contenues dans
des documents sur lesquels des tiers détiennent des droits de
propriété intellectuelle.
Certains documents d'archives sont en effet concernés
par le droit d'auteur : c'est le cas notamment des photographies, des
plans d'architecture ou encore des partitions ou des textes littéraires.
La propriété littéraire et artistique leur attribue le
qualificatif d'oeuvre de l'esprit, c'est pourquoi elle entend protéger
le fruit de l'apport intellectuel personnel de tout auteur d'une oeuvre dans le
délai de 70 ans après sa mort. Aussi, pour éviter que ne
soit détournée la rémunération des droits d'auteur,
le législateur préfère écarter d'emblée les
documents sur lesquels des tiers seraient encore susceptibles de percevoir des
droits.
2. Un encadrement légal « par
défaut » pour les archives
L'article 10 de la loi de 1978 autorise toute personne
à réutiliser des données dans les limites fixées
par la loi aux articles suivants, sous le contrôle de la CADA qui
traitera les litiges afférents à la réutilisation.
a) Le principe de la « libre utilisation
encadrée » des données publiques
Avant d'étudier ce principe de libre utilisation
soumise au respect des règles établies à la fois par les
dispositions de la loi de 1978 et par les administrations elles-mêmes, il
faut encore pouvoir définir précisément ce qu'on
désigne comme étant de la réutilisation.
Définition de la réutilisation
Ni la loi de 1978 ni les ordonnances de 2005 ou de 2009 n'ont
donné de définition claire de ce que recouvre la notion de
« réutilisation ». Néanmoins, quelques pistes
nous permettent de déterminer les conditions qui caractérisent la
réutilisation.
Ainsi, l'article 10 de la loi de 1978 vise l'utilisation faite
« à d'autres fins que celles de la mission de service public
pour les besoins de laquelle les documents ont été produits ou
reçus », tandis que la circulaire de 1994 établissait
que « la diffusion des données publiques doit s'entendre, au
sens large, comme la communication au public de données publiques, quel
qu'en soit le support, résultant de l'activité d'une personne
publique (administration, service, organisme ou établissement
public) ».
La réutilisation s'entendrait donc comme l'utilisation
faite sur tout support par un usager du service public des données dont
il a obtenu communication, et ce, dans un cadre public ou privé, mais
qui ne corresponde pas à l'exacte mission du service producteur ou
conservateur des données.
N'est donc pas considérée comme de la
réutilisation la demande d'une copie d'un acte de naturalisation pour
faire valoir un droit devant une administration, dès lors que cette
prestation de l'administration répond à sa mission de service
public. Et n'est pas non plus considéré comme un acte de
réutilisation l'échange d'information entre administrations dans
le cadre de leur mission de service public.
Par ailleurs, la CADA a précisé qu'il fallait
établir une distinction entre réutilisation et diffusion. En
effet, l'insertion, sans commentaire ni ajout, en accès libre et
gratuit, constitue une diffusion et non une réutilisation.5(*) Cette distinction serait
également fondée sur celle entre donnée brute et
donnée élaborée (que nous appelons aujourd'hui
information).
Aussi, la réaction des établissements d'archives
n'est pas de faire officiellement une distinction entre diffusion et
réutilisation, même si cette distinction apparaît clairement
dans leur volonté d'autoriser systématiquement la reprise par les
chercheurs de données dans le cadre de leur thèse par exemple
à des fins d'illustration de leurs propos, et de refuser la
« diffusion » commerciale par des groupements
privés.
Principe de la liberté de réutilisation
L'article 10 dans sa rédaction entre 1978 et
2005 disposait que : « [...] L'exercice du droit à la
communication institué par le présent titre exclut, pour ses
bénéficiaires ou pour les tiers, la possibilité de
reproduire, de diffuser ou d'utiliser à des fins commerciales les
documents communiqués ». Il s'agissait donc d'une interdiction
globale de réutiliser les données publiques obtenues par
communication. Mais les services pouvaient toutefois autoriser la diffusion des
données s'ils le désiraient, tout en sortant du champ
d'application de l'ordonnance 86-1243 du 1er décembre 1986
relative à la liberté des prix et de la concurrence, ce qui leur
permettait de conserver un monopole et donc un contrôle sur la
circulation des données.
Or, ce principe restrictif allait contre l'idée,
héritée de la logique du droit d'auteur, selon laquelle
lorsqu'une oeuvre tombe dans le domaine public, les droits patrimoniaux
s'éteignent, et la numérisation d'une oeuvre ne faisant
naître aucune nouvelle oeuvre et aucun droit d'auteur, il paraît
difficilement concevable que quiconque puisse continuer à percevoir des
droits sur cette oeuvre sur quelque fondement que ce soit.
Aujourd'hui, le premier alinéa du nouvel article 10,
par l'emploi du verbe « pouvoir », pose un principe de
liberté de réutilisation, contrairement à ce que
prévoyaient les dispositions de la circulaire de 1994. Le principe a
donc été inversé et passe de l'interdiction
générale avec possibilité de diffuser sur décision
des services, à la liberté générale avec
possibilité d'encadrer les usages faits par les demandeurs dans des
documents préalablement publiés et mis à la disposition de
tous.
Ces modalités de réutilisation ont
été précisées par l'ordonnance de 2005 et ont
vocation à s'appliquer à toutes les administrations, sauf celles
mentionnées à l'article 11, qui peuvent établir leurs
propres règles de réutilisation et les imposer aux
administrés.
b) Le rôle de la CADA en matière de
réutilisation
La CADA est une autorité administrative
indépendante qui exerce un rôle consultatif obligatoire dans tous
les litiges relatifs à la réutilisation des informations
publiques, préalablement à un recours contentieux devant le
tribunal administratif. De manière générale, l'article 20
du chapitre III de la loi de 1978 confère à la CADA une
compétence pour veiller à l'application des règles du
chapitre II. Les articles 18 et 22 viennent compléter cette
disposition en donnant compétence à la CADA pour infliger
à l'auteur d'une infraction aux prescriptions du chapitre II les
sanctions prévues par l'article 18.
Un rôle d'interprétation
La CADA exerce un rôle d'interprétation et de
conseil auprès des collectivités territoriales la plupart du
temps, sur le point de savoir si une information peut être
réutilisable ou non en vertu des dispositions du chapitre II. Elle
vérifie donc si les informations sont communicables ou si elles ont fait
l'objet d'une diffusion publique, si elles ont été
élaborées dans l'exercice d'une mission de service public
à caractère industriel et commercial, ou si elles sont
grevées de droits de propriété intellectuelle.
Un rôle de sanction
La CADA est compétente pour prononcer les sanctions
prévues à l'article 18 de la loi de 1978 en matière de
réutilisation frauduleuse. Ces sanctions s'appliquent donc aux
utilisateurs, personnes morales ou personnes publiques, qui ne respecteraient
pas les conditions de réutilisation fixées par les dispositions
du chapitre II ou par les dispositions règlementaires mises en place
directement par les administrations.
Mais peut-on imaginer qu'un établissement soit
sanctionné pour n'avoir pas mis en place de système d'encadrement
de la réutilisation ? Dans la pratique, le cas ne semble pas se
poser, dans la mesure où les administrations centrales, en collaboration
avec l'APIE, ont mis en place depuis peu des licences-types ainsi que des
répertoires des informations publiques réutilisables. La question
ne se pose donc que pour les administrations qui ont un statut particulier en
vertu des dispositions de l'article 11 de la loi de 1978 : les
établissements scientifiques et les établissements culturels.
Pour ce qui concerne les établissements culturels, le mouvement est en
cours. Le Ministère vient de demander aux services sous sa tutelle de
lui faire part de l'état d'avancement des modes de régulation ou
d'encouragement de la réutilisation, mais aucune sanction ne semble
prévue pour un établissement qui refuserait de se plier aux
exigences du Ministère, dans la mesure où cela reste
difficilement concevable d'un point de vue purement politique.
La seule sanction qui atteint actuellement les
établissements d'archives notamment, serait celle qui découle du
défaut d'encadrement de la réutilisation, ce qui équivaut
à l'ouverture totale des informations publiques à toute personne
qui souhaiterait diffuser des données sans pour autant avoir à le
déclarer, dès lors qu'aucune procédure n'est prévue
pour ce faire. La sanction serait donc un manque à gagner certain pour
les établissements, qui n'ont dès lors aucun intérêt
à refuser de prendre des mesures. Or, la CADA n'étant
compétente que pour appliquer les dispositions de la loi de 1978 et
l'article 10 prévoyant un principe de « libre
réutilisation encadrée », si aucun cadre n'est
prévu, elle ne pourra trouver de fondement juridique qui ferait cesser
la réutilisation, sauf à démontrer que l'objet de la
réutilisation n'est pas considéré comme une information
publique et ne peut donc être librement réutilisable6(*).
Enfin, la CADA, qui n'a compétence que pour
interpréter et faire appliquer les dispositions du chapitre II, devient
incompétente en matière de réutilisation des informations
publiques lorsqu'il s'agit de se prononcer sur la réutilisation des
informations publiques des établissements visés à
l'article 11.
B. L'application du régime dérogatoire de
l'ordonnance du 6 juin 2005 aux établissements et services
d'archives
Le régime de la réutilisation des données
publiques est défini au chapitre II de la loi du 17 juillet 1978 dite
« loi CADA », telle que modifiée par l'ordonnance du
6 juin 2005 transposant en droit français la directive communautaire du
17 novembre 2003. Certaines dispositions de cette directive formulent
l'expression de la volonté française d'instaurer un régime
dérogatoire au principe de liberté de réutilisation au
bénéfice de certains établissements.
L'objet de ces développements sera de définir
les fondements juridiques ainsi que les règles principales
présidant à la reconnaissance du statut dérogatoire des
établissements d'archives.
1. Les fondements juridiques présidant à la
reconnaissance d'une « exception culturelle » pour les
établissements et services d'archives
L'ordonnance du 6 juin 2005 insérant l'article 10 aux
dispositions de la loi de 1978 pose pour principe que toute personne peut
utiliser les données publiques sans avoir à solliciter
l'autorisation de l'administration. La réutilisation est donc libre tant
que l'administration ne met pas en place de système juridique pour la
limiter. L'article 10 indique ensuite que les modalités de la
réutilisation sont prévues par les dispositions du chapitre II de
cette même loi, tandis que l'article suivant vient préciser que ce
régime légal ne s'applique pas à tous les
établissements.
a) Les fondements du régime dérogatoire
appelé à tort « exception culturelle »
Les origines communautaires du régime
dérogatoire
La directive communautaire du 17 novembre 2003 a
soulevé de nombreux débats, non pas dans son
interprétation, mais dans sa transposition, puisqu'il apparaissait
clairement qu'il serait proposé aux états membres deux
régimes : l'un étant le régime commun, s'appliquant
à tous les domaines du droit de la réutilisation, l'autre
étant réduit à un article faisant sortir du régime
commun certains types d'établissements listés.
L'article 1er 2. e) et f) de la directive dispose
ainsi que la directive ne s'applique pas « aux documents
détenus par des établissements d'enseignement et de recherche, et
notamment par des écoles, des universités, des archives, des
bibliothèques, des instituts de recherche [...] », ni
« aux documents détenus par des établissements
culturels, et notamment par des musées, des bibliothèques, des
archives, des orchestres, des opéras, des ballets et des
théâtres ».
Or, les Etats membres n'ont pas tous fait le choix de
transposer l'intégralité du texte. En France, au terme de
nombreux débats, il fut décidé la rédaction d'un
article7(*) disposant que
certaines administrations peuvent prévoir elles-mêmes les
modalités de réutilisation des informations et des documents
qu'elles produisent ou reçoivent, c'est le cas des
établissements et institutions d'enseignement et de recherche et des
établissements, organismes ou services culturels.
Les grandes « exceptions » prévues
par la directive ont donc été reprises dans leur principe, mais
de manière très générale, sans qu'il soit
donné de liste ou de définition renvoyant aux
établissements concernés par les a) et b) de l'article 11 de la
loi de 1978. Une telle restriction dans les termes utilisés est
difficilement compréhensible, dans la mesure où cette
« exception culturelle » dont parlent les auteurs et
commentateurs a pourtant été voulue par la France, afin d'obtenir
un renforcement de la protection du patrimoine culturel français en
permettant aux administrations de statuer elles-mêmes sur leur
régime.
La notion d' « exception
culturelle »
Avant d'aller plus loin dans les développements
concernant les fondements juridiques du régime français de
réutilisation, il nous faut apporter quelques précisions quant
à la notion d' « exception culturelle »
largement utilisée dans la pratique.
Dans le contexte de la réutilisation, c'est le fait
pour un établissement, un organisme ou un service culturel ayant pour
mission de conserver, de diffuser, de produire ou de transmettre des
informations publiques à caractère culturel, de faire exception
au principe posé par l'article 10 de la loi de 1978 et dans tout le
chapitre II de cette même loi, et de déroger à ce
régime général de réutilisation des informations
publiques.
La notion d' « exception culturelle »
n'est donc pas appropriée en droit pour désigner ce régime
dérogatoire, notamment au vu de la définition
d' « exception » en droit français8(*) ; mais elle connaît
beaucoup de succès en raison de l'importance du concept auquel elle
renvoie. En effet, souvent rattachée à cette
spécificité française de s'opposer à des
idées communautaires ou internationales en brandissant ses
héritages culturels, ses valeurs, qui font toute la richesse de la
France, l' « exception culturelle » est
considérée par certains comme étant « une
politique qui consiste à tenir la production culturelle à l'abri
des seules lois du marché et à affirmer le droit des États
d'établir des mécanismes d'aide pour que leur culture trouve sa
place sur la planète, même si ces mécanismes doivent
entraver la libre concurrence »9(*), la France défendant ainsi « la
possibilité de sortir la culture du champ des négociations
commerciales ».
b) La consécration jurisprudentielle du régime
dérogatoire dans les établissements d'archives
S'il est certain depuis 2005 que les établissements
culturels peuvent bénéficier du régime dérogatoire
en vertu des dispositions communautaires et françaises, il faut encore
savoir si les établissements d'archives entrent dans cette
« exception culturelle », puisqu'ils ne sont pas
directement visés par les textes français comme tels.
La réutilisation dans les SDAF
Dans un avis n°20082643 « Président du
Conseil Général de la Loire » du 31/07/2008, la CADA
s'est prononcée sur le point de savoir si un SDAF pouvait rentrer dans
le cadre de l'article 11. Elle a donc visé l'article 11 de la loi du 17
juillet 1978 modifiée par l'ordonnance du 6 juin 2005 ainsi que
l'article 1er 2. e) et f) de la directive européenne
2003/98/CE du 17 novembre 2003, dont elle a déduit que les
établissements, organismes ou services culturels comprennent les
archives. Et elle en a conclu que les réglementations en matière
de réutilisation sont fixées par l'administration
elle-même, si c'est un service d'archives créé dans un but
pédagogique, culturel ou de recherche ou exerçant à titre
principal une telle mission ; mais qu'elles relèvent du droit
commun et ne peuvent être fixées par l'administration
elle-même, si c'est un service dit d'archives créé pour les
besoins opérationnels d'une administration et qui conserve en
particulier des « archives courantes ».
Après avoir établi cette distinction, la CADA a
utilisé un faisceau d'indices afin d'apprécier le
caractère dérogatoire du SDAF, et a entendu le faire entrer dans
la catégorie des organismes créés « en vue de la
mise en valeur du patrimoine archivistique » qu'ils
détiennent, lequel comprend en particulier les « archives
définitives » définies par l'article 14 du
décret du 3 décembre 1979 relatif à la compétence
des services d'archives publics et à la coopération entre les
administrations pour la collecte, la conservation et la communication des
archives publiques10(*).
Il est donc clair que les SDAF, « de même que
les services d'archives des autres collectivités territoriales et de
leurs groupements » peuvent déterminer eux-mêmes leurs
propres règles en matière de réutilisation. Mais qu'en
est-il du reste du réseau des archives ?
La définition de la notion d'établissement
culturel
Nous nous concentrerons ici sur les établissements
d'archives relevant directement du ministère de la Culture et de la
Communication et de la DAF.
En mai dernier, les Archives nationales ont
développé un raisonnement largement inspiré de l'avis de
la CADA de juillet 2008. Ainsi, en vertu de l'article 2 de
l'arrêté du 24 décembre 2006 érigeant le service
Archives nationales en service à compétence nationale,
« les Archives nationales ont une mission de mise en valeur du
patrimoine archivistique qu'elles détiennent, et n'ont pas
été conçues pour les besoins opérationnels
spécifiques d'une administration, mais dans le but de rassembler et de
conserver des archives définitives. Les Archives nationales sont exclues
du champ d'application de la directive du 17 novembre 2003 et de celui du
chapitre II du Titre Ier de la loi du 17 juillet 1978. De plus,
comme il l'a été relevé dans la décision de la CADA
du 31/07/2008, la directive européenne vise directement les archives au
titre des établissements culturels ; et dans la mesure où il
a été reconnu que le SDAF rentre dans cette catégorie, il
en découle que les Archives nationales rentrent également dans
cette catégorie, qu'elles dérogent bien au régime de
réutilisation prévu au chapitre II de la loi de 1978, et qu'elles
peuvent dès lors définir elles-mêmes les règles
régissant la réutilisation des informations
publiques. »
Nous avons vu que les SDAF ainsi que les Archives nationales,
qu'il s'agisse des Archives nationales de Paris et Fontainebleau, de celles de
Roubaix ou de celles d'Aix-en-Provence, peuvent se voir appliquer un
régime spécifique de réutilisation, dès lors que
ces services contribuent à la mise en valeur du patrimoine archivistique
national.
Et si l'on applique cette distinction que pose la CADA entre
les établissements créés dans un but pédagogique,
culturel ou de recherche, ou exerçant à titre principal une telle
mission, et ceux créés pour les besoins opérationnels
d'une administration et qui conserve en particulier des « archives
courantes », on constate qu'il ressort de l'observation des missions
des grandes directions du ministère que la DAF ne conserve que des
archives courantes, et qu'elle est donc soumise au régime légal
de réutilisation, alors même qu'elle est un établissement
culturel. Cela nous amène donc à redéfinir la notion
d'établissement, d'organisme et de service culturel, et à
supposer ainsi que c'est bien le contenu des documents qui doit être
culturel, et non l'objet de la mission de l'établissement ou du service
de conservation ou de production de l'archive.
De fait, cette distinction a pour conséquence d'ouvrir
une première distinction entre les établissements qui conservent
des données culturelles, et ceux qui ne conservent que des
données relatives au fonctionnement interne, comme par exemple des
pièces de marchés publics, des contrats de travail ; et une
seconde distinction entre les documents produits et les documents reçus
par l'établissement d'archives. En effet, une ordonnance du 29 avril
2009 introduit la notion de document « produit ou
reçu » par une administration.
Or on imagine mal un établissement ayant pour mission
la conservation des archives produire de véritables documents culturels,
sauf à considérer que les expositions organisées par les
Archives départementales puissent entrer dans cette catégorie,
mais dans ce cas il s'agira de documents produits de manière ponctuelle.
On peut donc supposer que ce régime dérogatoire ne soit
destiné qu'aux établissements conservant du contenu culturel
produit par d'autres établissements (ou par eux-mêmes à
titre exceptionnel).
2. Les conséquences de l'article 11 instaurant
une dérogation aux règles légales de
réutilisation
a) Le droit pour les établissements de fixer
eux-mêmes leur propre régime de réutilisation
La dérogation au droit commun pour les
établissements ou les services conservant des archives
La CADA n'ayant qu'un rôle de conseil et n'ayant pas
vocation à prononcer des décisions ayant force exécutoire,
aucun acte ne permettait jusqu'alors d'établir que les archives
relevaient de l' « exception culturelle ».
Le ministère de la Culture et de la Communication a
confirmé dans une note du 9 juillet 2009 les dispositions de l'article
11 de la loi de 1978, et a clairement désigné les archives au
titre des établissements faisant exception aux règles du chapitre
II. Cette circulaire se présente sous la forme d'une note qui rappelle
le régime juridique de la réutilisation tel qu'il est
envisagé dans la loi de 1978, qui présente également les
enjeux de la réutilisation pour la culture et qui dresse la liste des
obligations à la charge des différentes directions du
ministère (rédaction et mise en ligne d'un répertoire des
données publiques, nomination d'un responsable chargé de ces
questions, obligation de mettre en place des licences). Le document contient
également un modèle de contrat de licence préparé
par l'APIE, ce modèle n'étant pour autant pas valable pour les
établissements faisant dérogation au droit commun de la
réutilisation.
Les établissements d'archives ainsi visés sont
donc confortés dans l'idée qu'ils sont libre de fixer
eux-mêmes leurs propres règles, néanmoins, aucun
modèle d'acte ni aucune procédure ne leur est proposée.
Les conséquences : les établissements et
services culturels peuvent créer et utiliser eux-mêmes leurs
propres règles en matière de réutilisation.
Il est possible de retirer deux conséquences de cette
non-applicabilité des règles du chapitre II de la loi de 1978.
La conséquence première de cette reconnaissance
d'un régime dérogatoire au droit commun est qu'aucune des
règles du chapitre II n'étant obligatoirement applicable, on
pourrait très bien considérer, par exemple, que l'échange
de documents entre deux établissements culturels relevant du
régime dérogatoire soit qualifié de réutilisation,
et faire ainsi payer toute réutilisation effectuée entre
établissements dans le cadre de la préparation d'expositions ou
d'ouvrages.
De même, aucune des prescriptions protectrices
énoncées par les articles 10 à 18 n'est rendue obligatoire
ou ne fait actuellement l'objet de préconisations spécifiques
émanant du ministère. Or, dans un souci d'harmonisation des
pratiques et de déontologie culturelle, il eût été
sans doute préférable de définir un régime
spécial pour les établissements dérogeant au droit commun,
notamment une base juridique similaire, à défaut de parvenir
à un régime unique.
Enfin, il n'est pas de possibilité pour un
établissement culturel qui en ferait la demande, de se voir
rattaché au régime légal : il ne s'agit donc pas d'un
choix d'entrer ou non dans le régime dérogatoire. Ces
établissements sont donc laissés à leur propre sort, et ne
pourront dès lors que s'inspirer des règles de la loi de 1978, ou
inventer leurs propres règles, à défaut de directives
émanant du ministère.
La seconde conséquence avait, quant à elle,
d'ores et déjà été énoncée par la
CADA dans son avis du 31 juillet 2008, et s'analyse en une liberté
totale pour les établissements d'archives, de préparer leur
propre système de régulation en matière de
réutilisation des données publiques.
Néanmoins, la CADA rappelait à l'époque
que tout service visé par l'article 11 se devait de respecter
« d'une part, des dispositions législatives et
réglementaires en vigueur, notamment la loi du 6 janvier 1978 en ce qui
concerne les données à caractère personnel et le code de
la propriété intellectuelle, et, d'autre part, des principes
généraux du droit (en particulier, le principe
d'égalité devant le service public) et des règles
dégagées par le juge, notamment en matière de fixation des
redevances de réutilisation. »
b) La possible remise en cause de l'existence du régime
dérogatoire pour les établissements culturels
En 2008, le groupe américain The Generations Network
Inc., qui détient la marque Ancestry permettant aux internautes
d'effectuer des recherches généalogiques et d'accéder
à des documents d'archives moyennant le paiement d'un abonnement, a
adressé une requête à la Commission européenne afin
d'obtenir la révision de la directive de 2003.
En effet, le groupe estime que les sociétés de
généalogie subissent un véritable préjudice en
France du fait de l'interprétation qui a été faite de la
directive dans l'ordonnance de transposition de 2005, à savoir le choix
de restreindre l'applicabilité de la directive et de faire entrer les
données publiques conservées par les établissements
d'archives dans le champ du régime dérogatoire.
Le problème se pose essentiellement pour les registres
d'Etat civil et les registres paroissiaux, qui constituent la source
nécessaire à l'exercice de l'activité d'Ancestry. La
France estime en effet que les données relatives à la
généalogie, dont font partie ces registres, sont des
données culturelles et sont ainsi exclues du champ d'application des
textes relatifs à la réutilisation des données, de sorte
que les établissements d'archives sont fondés à choisir
d'autoriser ou non leur réutilisation commerciale par les cabinets de
généalogie. Or la directive dispose que « les documents
détenus par des établissements culturels, et notamment par [...]
des archives [...], sont exclus du champ d'application de la
directive ». Les autorités françaises « ne
semblent pas vouloir opérer de distinction entre la notion de seule
« détention » (qui induit une notion de garde) de
documents administratifs par des établissements dits culturels et la
notion de « protection » nécessaire de biens
culturels bénéficiant d'une protection au titre de la
propriété intellectuelle. » La société
rappelle que ces données sont conservées par les services
d'archives, qu'elles ne sont pas produites par eux mais par d'autres
administration, et notamment par des officiers de l'Etat civil, et qu'elles
n'ont dès lors aucun caractère culturel, sinon un
caractère purement administratif. Or les données administratives
sont librement réutilisables au sens de la directive, et les cabinets de
généalogie devraient être libres de pouvoir
réutiliser ces données, comme elles y sont autorisées dans
les autres états de l'Union Européenne.
En outre, la société considère que les
établissements d'archives ne devraient pas recevoir l'appellation
d'établissements culturels, dans la mesure où, même s'ils
sont d'un point de vue hiérarchique reliés au ministère de
la Culture et de la Communication, et si le personnel qui les gère est
nommé par ce ministère, il n'en reste pas moins qu'ils sont
financés par les collectivités territoriales, d'après
l'article L.212-8 du Code du patrimoine.
La société a donc demandé à la
Commission européenne de revoir les dispositions de la directive, et
propose que « les exceptions à l'application de la directive
ne soient fondées que sur le contenu », afin de faire rentrer
dans le champ de la réutilisation telle qu'elle est régie par la
directive de 2003 les données détenues par les
établissements culturels, et notamment les services d'archives, ce qui
équivaut à la suppression de l' « exception
culturelle ».
Mais dans une communication au Parlement européen, au
Conseil, au Comité économique et social européen et au
Comité des régions du 7 mai 2009, la Commission a
décidé de ne pas suivre les propositions de la
société américaine et de ne pas réviser la
directive de 2003 comme elle était censée le faire trois ans
après son entrée en vigueur, repoussant ainsi
l'échéance à 2012, afin d'avoir une meilleure
visibilité des résultats de la mise en oeuvre des politiques en
matière de réutilisation au niveau de l'ensemble des
états.
L'absence de réaction de la part de la Commission quant
aux arguments de fond soulevés par la société
américaine de généalogie risque d'être
problématique à terme pour les services d'archives qui auront mis
en oeuvre, d'ici 2012, des systèmes visant à réguler la
réutilisation des données publiques culturelles. Si la Commission
décide d'étendre le champ d'application de la directive à
ces données, il faudra alors revoir à la fois la politique de ces
établissements, mais également les procédures et les
documents accordant une licence de réutilisation. D'un point de vue
purement juridique, on ne peut donc que recommander de suivre
précisément les formalités prescrites par l'ordonnance de
2005 et son décret d'application de la même année pour le
régime général, tout en se réservant la
possibilité d'accéder ou non aux demandes de réutilisation
en provenance des cabinets de généalogie, pour des raisons
touchant non pas à la qualité du demandeur, mais à la
qualité de la demande et à celle des données
considérées, ainsi qu'à la nature de la mission
exercée par les établissements d'archives, par comparaison avec
celle proposée par les sociétés privées de
généalogie.
Une fois posé le principe d'applicabilité du
régime dérogatoire à la loi de 1978, les
établissements d'archives doivent en tirer les conséquences,
à savoir élaborer des systèmes politico juridiques qui
leur garantissent très rapidement une optimisation dans la gestion de
leur patrimoine matériel comme immatériel.
II La mise en oeuvre des règles de
réutilisation dans les établissements et services d'archives
Les établissements d'archives tentent de se
protéger par des mécanismes juridiques efficaces pour contrer le
phénomène de marchandisation des documents dont elles assurent la
conservation. Cette solution juridique a été
présentée dans la loi de 1978, bien que n'étant
théoriquement pas applicable : il s'agit de parvenir à
contracter des engagements avec les particuliers ou les grandes firmes sur les
utilisations qu'ils peuvent ou ne peuvent pas faire des données
auxquelles ils ont accès. Ces engagements se présentent sous la
forme d'écrits qui confèrent des licences aux usagers (A.), et
fondent ainsi le droit pour l'administration d'exiger le versement d'une
indemnité-rémunération en contrepartie de l'exercice de ce
droit à réutilisation (B.).
A. La protection juridique de la réutilisation
par le mécanisme des « licences »
Encadrer les utilisations faites par les particuliers ou les
entreprises des données publiques signifie en droit : poser des
règles. Et pour avoir une force contraignante certaine, ces
règles devaient pouvoir être énoncées aux
intéressés de manière claire, dans un acte officiel :
le législateur a donc entendu utiliser le terme de
« licence », bien que cette notion ne soit pas
réellement appropriée d'un point de vue juridique.
1. La notion de licence : définition du terme
« licence »
a) La nature de l'acte accordant une licence
A titre préliminaire, il faut ici préciser que
le terme de « licence », tel qu'employé à
l'article 16 de la loi de 1978, est utilisé à tort pour
désigner un contrat en droit français (en droit anglo-saxon c'est
effectivement un contrat).
La licence est un droit qui est conféré à
celui qui adhère aux conditions édictées par le contrat,
droit de faire usage de produits ou de services. C'est un droit de jouissance
à titre gratuit ou onéreux.
Il faut parler de contrat de licence pour désigner le
contrat par lequel le titulaire d'un droit de propriété
industrielle concède à un tiers, en tout ou en partie, la
jouissance de son droit d'exploitation, gratuitement ou à titre
onéreux, moyennant le paiement de redevances ou royalties11(*). Le contrat de licence est
donc un acte qui engage les deux parties. C'est un contrat qui doit être
fait en au moins autant d'exemplaires qu'il existe de parties, et qui doit
être signé par toutes les parties afin de sceller l'engagement de
chacune d'elles.
Pourquoi faut-il une licence ?
L'article 16 dispose que « lorsqu'elle est soumise
au paiement d'une redevance, la réutilisation d'informations publiques
donne lieu à la délivrance d'une licence. Cette licence fixe les
conditions de la réutilisation des informations
publiques. »
Pour les services d'archives, il s'agit donc de
détailler les obligations légales attachées à la
réutilisation et de contrôler ainsi tous les usages qui pourraient
être faits des données.
Pour les utilisateurs, la « licence »
est une garantie de pouvoir bénéficier d'un droit de
réutiliser des données sans pouvoir être poursuivi. Le
formalisme écrit est une protection supplémentaire par rapport
à l'engagement oral. L'utilisateur sait précisément dans
quel cadre utiliser les données et quelles mentions il doit faire
figurer dans la publication qui reproduit le document ou la simple
donnée contenue dans le document.
La forme juridique de la licence
Le modèle légal institué par la loi de
1978 instaure une obligation de délivrance d'une licence lorsque la
réutilisation est soumise au paiement d'une redevance. En pratique, ce
régime n'étant pas applicable, et l'article 11 ne
prévoyant aucune modalité particulière sinon la
possibilité pour les établissements, organismes ou services
culturels de fixer eux-mêmes les conditions de la réutilisation,
on peut tout à fait imaginer que le modèle de
« licence » prenne une toute autre forme dans le domaine
des archives.
Quels types d'actes peuvent être entrepris ? Dans
son avis du 31 juillet 2008, la CADA préconisait de s'inspirer des
règles du Chapitre II de la loi de 1978, et d'inscrire les règles
de réutilisation dans un « règlement
élaboré par l'administration ou [...] dans une licence que les
intéressés devront souscrire pour réutiliser les
informations publiques qui leur sont transmises ».
o Un contrat
Le contrat de licence est la forme désignée par
le régime légal de manière indirecte, puisque
l'alinéa 1er de l'article 16 pose comme principe que la
fixation d'une redevance suppose la rédaction d'une licence. Or, seule
la forme contractuelle rend obligatoire la mention du prix dans l'acte,
puisqu'il faut que les deux parties au contrat formulent leur accord quant au
prix pour que le contrat soit valable.
Si un établissement choisit de calquer son
régime sur le régime légal, il peut très bien
envisager de conclure une licence avec les utilisateurs, soit un contrat
administratif. Cependant, ce régime n'étant pas opposable aux
établissements d'archives, on peut imaginer qu'il existe d'autres cas
dans lesquels l'octroi d'une licence (à ne pas confondre ici avec la
notion de contrat de licence que nous venons de voir) puisse être
accordé en dehors des cas dans lesquels une redevance serait
exigée de l'usager du service public.
Enfin, il faut ici préciser que ce contrat peut
être créé de toutes pièces par les services qui y
seraient intéressés, mais qu'il peut également s'inspirer,
soit des modèles de « licences-types » de l'APIE,
soit des licences Creative Commons, qui sont des contrats-types basés
sur les principes du droit d'auteur qui ont vocation à permettre aux
administrations titulaires des droits sur les documents d'archives d'autoriser
le public internaute à effectuer certaines utilisations, qui peuvent
donc être remplis par les utilisateurs directement via le site Internet
de l'administration et qui sont adaptables en fonction de l'utilisation et de
l'effet recherché.
o Un acte unilatéral
Il arrive souvent que l'inscription dans une
bibliothèque soit soumise à la signature d'une charte des
lecteurs. La charte se définit comme « un document
établissant des droits et des devoirs »12(*). On parle alors de
« charte d'utilisation » pour désigner un engagement
unilatéral de la part des lecteurs ou des personnes susceptibles de
réutiliser les données mises à disposition.
La charte semble être parfaitement adaptée
à l'hypothèse d'une licence gratuite pour un usage purement
scientifique et pédagogique. D'un point de vue pratique, elle
répond mieux que le contrat de licence aux impératifs
d'économie de temps et de moyens, puisqu'elle ne suppose que la
signature de l'utilisateur sans nécessiter de double exemplaire ou de
signature de la personne compétente en matière de
réutilisation. Mais elle comporte un grave inconvénient : la
charte n'a qu'une valeur morale et semble être dépourvue de tout
effet juridique. Elle n'a qu'un but informel et préventif. En
conséquence, une charte de réutilisation pourrait tout à
fait être envisagée pour prévenir les utilisateurs des
modalités de réutilisation et des risques qu'ils encourent en
bravant l'interdit, mais n'ayant aucune vocation contraignante, elle serait
sans doute rapidement détournée par certains utilisateurs
malveillants et ne pourrait ainsi être véritablement
appliquée.
Au titre des actes unilatéraux, on peut
également trouver le règlement intérieur. Le
règlement est un document contractuel validé par le conseil
d'administration ou la municipalité. C'est un document normatif voire
coercitif dans la mesure où il prévoit des sanctions. A la
différence de la charte qui a vocation à unifier la philosophie
d'une profession ou les activités d'un secteur, le règlement est
un document interne, propre à chaque établissement, puisqu'il en
fixe un cadre, des règles de fonctionnement. Il nécessite en
revanche une publication au Journal Officiel, puisqu'il s'agit d'une
décision à caractère réglementaire.
En effet, dans la hiérarchie des normes, le
règlement vient tout en bas de l'échelle. Il est pris par une
administration en application d'une décision. La décision a une
valeur légale. Si elle est attaquée, l'administré
l'attaque sur le point de la légalité. Il ne va pas attaquer le
règlement lui-même, mais, par le mécanisme de l'exception
d'illégalité, le règlement sera nul si la décision
n'a pas de base légale. Pour avoir une base légale, la
décision que prendra par exemple la directrice des Archives nationales
(qui a autorité pour prendre des mesures par le biais des
décisions) dans laquelle elle publiera les tarifs de
réutilisation et les sanctions applicables à la
réutilisation, devra mentionner le fait que les Archives nationales se
trouvent dans l'exception prévue à l'article 10 de la loi de
1978, et que les établissements dérogeant au régime
légal peuvent prendre eux-mêmes les mesures qui s'imposent en cas
de violation aux règles de réutilisation qu'ils mettent en place.
Le règlement devra alors mentionner dans son article
« sanctions » qu'il est pris en application de la
décision.
Le règlement est donc le type d'acte qui pourrait
être proposé à la signature de tout lecteur d'une salle de
consultation de documents d'archives qui en ferait la demande. Ayant une valeur
juridique et fonctionnant de manière autonome, il est donc bien plus
intéressant que le système de charte, puisqu'il permet de
s'assurer de pouvoir appliquer des sanctions en cas de violation des
règles qu'il édicte et qui ont été acceptées
car signées par le lecteur.
En outre, le règlement s'applique bien mieux à
un contexte d'accélération et de simplification des
procédures que le contrat de licence, dans la mesure où celui-ci
suppose la signature des deux parties. Or, le document de
« licence » a vocation à imposer un certain
comportement au lecteur en contrepartie du service qui lui est fourni. Dans la
plupart des cas, le service est d'ores et déjà fourni, mais
aucune disposition n'est actuellement mise en place dans les
établissements d'archives pour parer un éventuel risque de
détournement des données. Seule une mention sur certains sites
Internet informe actuellement l'usager qu'il devra solliciter l'autorisation de
l'administration préalablement à toute réutilisation. Les
administrations espèrent donc la mise en place d'un système
basé sur l'adhésion des usagers à une série de
règles établies par elles-mêmes. Les dispositions qui ont
vocation à encadrer la réutilisation seraient donc
imposées de manière unilatérale par l'administration, et
sont ainsi assimilables à un règlement intérieur.
Dans le prolongement de ce caractère
« unilatéral », on peut considérer que
l'administration n'a pas besoin d'agréer ou non l'attribution du droit
à réutilisation, s'il ne s'agit que d'une autorisation globale de
réutiliser les données dans un domaine
délimité précisément : par exemple, la
recherche à des fins scientifiques ou pédagogiques. L'accord de
l'administration n'est nécessaire que pour des données dites
sensibles.
Pour conclure, les administrations pourraient opter pour
différents types d'actes selon l'utilisation que les usagers
déclarent vouloir faire des données publiques : un
règlement pour certains usages n'étant pas soumis au paiement
d'une redevance et un contrat de licence pour des usages soumis au paiement
d'une redevance, et qui nécessiterait de ce fait l'accord des deux
parties sur le prix.
b) La mise en oeuvre des « licences »
Comme nous venons de le voir, il peut exister
différents types d'actes en fonction des utilisations envisagées
par les internautes ou par les lecteurs. C'est d'ailleurs la politique retenue
par la plupart des organismes de droit public, et notamment par les Archives
nationales, dont nous présenterons ici le système de
réutilisation tel qu'il a été préparé
pendant l'été 2009, avant sa mise en ligne en septembre. Il
n'existe aujourd'hui aucun autre précédent pour les
établissements d'archives relevant de l' « exception
culturelle », et il est actuellement envisagé que les Archives
nationales de l'Outre-Mer, les Archives nationales du monde du travail ainsi
que certaines Archives départementales, par l'intermédiaire de la
direction des Archives de France, reprennent le système mis en place aux
Archives nationales.
Les usages en vigueur avant la mise en oeuvre des
« licences »
Dans la plupart des établissements d'archives, quelques
mentions dans les règlements intérieurs des salles de lecture
ainsi que dans les notices des bases de données13(*) accessibles sur Internet
permettent d'informer les usagers du principe de l'accord de l'administration
préalablement à toute réutilisation.
Ainsi, aux Archives nationales, l'article 22 du
règlement des salles de consultation dispose que « toute
reproduction réalisée par le lecteur ou effectuée à
sa demande est strictement réservée à son usage
privé. Toute diffusion extérieure et toute exploitation
commerciale sont soumises à l'accord de la direction du Centre
historique des Archives nationales et au paiement des droits
afférents. » Une mention sur le site Internet complète
cette disposition en énonçant que « les reproductions
d'instruments de recherche ou de documents des Archives nationales, qu'elles
soient effectuées directement par les lecteurs, ou qu'elles soient
commandées aux Archives nationales, doit faire l'objet d'une
autorisation préalable et de l'acquittement d'une redevance. Pour
obtenir l'autorisation, il convient d'adresser une demande aux Archives
nationales. Le montant de la redevance vous sera alors
communiqué. » Un lien hypertexte sur le mot
« demande » renvoie l'internaute sur le document en ligne
intitulé « Droits d'usage public ».
L'avantage de ce système est qu'il instaure une
protection par la publicité suffisamment générale pour que
ses dispositions puissent être intégrées telles quelles
à tout nouveau système de réutilisation.
Concernant le document intitulé « Droit
d'usage public », on peut noter qu'il est mis à disposition
des lecteurs comme des internautes et qu'il reprend dans un document
unique : l'identification des données dont le lecteur souhaite
obtenir un droit à réutilisation ainsi que le descriptif des
usages envisagés, une grille tarifaire dont les montants sont
calculés « par image », les conditions
générales d'utilisation, qui se présentent surtout sous la
forme d'un descriptif des mentions à faire figurer lors de la
réutilisation.
Outre les questions relatives à la révision et
à la publication de la grille tarifaire, que nous développerons
dans le B., ce système provisoire doit être encore
amélioré pour permettre d'établir un cadre juridique plus
précis des règles de réutilisation. En outre, il faudra
prévoir différents modèles contractuels ou non
contractuels de licence selon la nature des utilisations.
De manière générale, la
réutilisation à des fins de recherche à caractère
scientifique ou pédagogique est largement encouragée par les
administrations des différents types d'établissements d'archives
dans des courriers qu'elles adressent individuellement aux particuliers venus
réaliser des recherches dans les salles de lecture. En revanche, les
Archives départementales, parce qu'elles conservent l'Etat civil de la
Nation, sont assaillies de demandes émanant de
généalogistes ou d'entreprises privées françaises
comme étrangères, qui sollicitent un droit de rendre accessibles
ces contenus sur Internet, via un accès payant. Les archivistes ne
savent aujourd'hui plus comment empêcher ces personnes de photographier
l'Etat civil de manière acharnée, n'ayant pas reçu de
directives de la part de la direction des Archives de France, qui n'en avait
d'ailleurs pas reçues du ministère de la Culture et de la
Communication jusqu'en juillet dernier. Les archivistes communaux et
départementaux envahissent les colloques et les formations sur la
réutilisation en quête de solutions, notamment de documents leur
permettant de décider légitimement et légalement si elles
autorisent ou non à la réutilisation suivant les utilisations qui
sont déclarées par les lecteurs.
La procédure en cours de validation aux Archives
nationales
Dans un premier temps, les Archives nationales ont
décidé d'établir une politique fondée sur
l'utilisation qui serait faite par les usagers des données publiques. En
effet, il est préférable de distinguer selon les utilisations
plutôt que selon les utilisateurs, puisque cela pourrait passer pour un
acte discriminatoire du fait d'une rupture d'égalité de
traitement entre les citoyens devant l'accès au service public.
Plusieurs catégories d'utilisations peuvent être
envisagées : réutilisation dans le cadre d'un usage interne,
réutilisation sans perspective de bénéfice commercial,
réutilisation dans la perspective d'un bénéfice
commercial, dans le cadre de la participation à une mission de service
public, ou encore réutilisation dans la perspective d'un
bénéfice commercial.
Les Archives nationales font le choix de distinguer entre
l'usage à des fins de recherche et d'enseignement, et l'usage à
des fins commerciales. Une distinction subsidiaire est opérée
entre les publications sur support papier ou numérique donnant lieu pour
l'auteur à rémunération de ses droits d'auteur sur
l'oeuvre, et les publications ne donnant pas lieu à
rémunération14(*). De cette distinction vont découler deux
régimes juridiques distincts.
Le lecteur comme l'internaute vont pouvoir accéder
à un formulaire de demande de réutilisation dont ils
renseigneront les éléments relatifs à l'identification des
données sollicitées ainsi qu'à l'identification des
utilisations envisagées.
La personne responsable de la réutilisation
déterminera alors si la réutilisation peut être
autorisée et, le cas échéant, si le demandeur doit signer
un contrat de réutilisation à titre gratuit ou à titre
onéreux. Le contrat à titre gratuit est proposé à
la fois aux lecteurs à l'occasion de leur inscription (les Archives
nationales entendent alors lui conférer un droit de réutilisation
très large, mais limité aux utilisations ci-après
définies), soit aux personnes qui présentent une demande de
manière ponctuelle, et qui ne sont pas forcément inscrits aux
Archives nationales. Cette gratuité est limitée à une
utilisation dans le strict cadre des recherches privées (pour la
réalisation d'un arbre généalogique mis en ligne sur un
site Internet par exemple), scientifiques (pour la publication d'une
thèse), ou encore pédagogiques (pour la préparation de
panneaux d'exposition).
A contrario, le contrat à titre onéreux est
proposé à toute personne qui souhaite faire un usage
« autre », c'est-à-dire dans un but commercial ou
donnant lieu à perception pour l'auteur ou l'exploitant du site Internet
d'une rémunération de type droits d'auteur ou recettes
publicitaires ou commerciales.
Cette procédure, basée sur la signature d'un
contrat entre l'administration et l'usager, n'est pas encore définitive,
dans la mesure où il reste une incertitude sur la nature de l'acte
accordant une licence gratuite, à savoir un contrat imposé aux
lecteurs lors de leur inscription en salle de consultation, et qui irait
à l'encontre du principe de liberté contractuelle ; ou bien
un règlement intérieur signé par les lecteurs.
Outre ces documents conférant une licence aux
intéressés, toute administration peut choisir de suivre les
grands concepts énoncés par la loi de 1978, à savoir la
mise en place d'un répertoire des données publiques qui recense
les principaux documents dans lesquels figurent les informations susceptibles
de réutilisation15(*), ou encore la nomination d'une personne responsable
à la fois de l'accès aux documents administratifs et aux
questions relatives à la réutilisation des données
publiques.
Ces deux éléments principaux peuvent être
présentés sur un portail des données publiques accessible
aux internautes, afin de confirmer la publication faite au Journal Officiel du
caractère impératif de ce nouveau régime de
réutilisation.
2. Le contenu du document de licence
Ainsi que nous avons pu le voir, si le régime
légal pose un principe de liberté
« encadrée » de réutilisation des
données publiques, il assortit ce principe d'obligations à la
charge du licencié. On retrouve ici l'intérêt de la
licence, quelle que soit sa forme : le licencié va être
aiguillé quant aux usages qu'il pourra faire des données et quant
aux mentions qu'il devra faire figurer dans le document publiant les
données.
Au cas où il ne respecte pas ses obligations, le
régime légal prévoit des sanctions spécifiques qui
viendront sanctionner la violation des termes du contrat. Mais ces sanctions
sont-elles transposables dans un système régi par des
règles dérogatoires ?
a) Droits et obligations du licencié
Le principal droit conféré au licencié
est le droit de réutiliser les données dans le cadre
défini par la licence. Le document de licence a vocation à
préciser les conditions de la réutilisation et à fixer des
limites relatives à la durée, au mode de réutilisation et
aux précautions à prendre.
Concernant la durée de la licence, ni les textes, ni la
doctrine ni la jurisprudence ne définissent dans quelle mesure il est
possible d'étendre ou de contenir la période de
réutilisation autorisée. Il s'agit donc d'un
élément laissé à la libre appréciation de
l'administration. De fait, s'agissant d'un contrat de licence, les parties sont
libres de fixer une limite de manière extrêmement libre, cette
limite pouvant être d'un an, de cinq ans, ou de manière
définitive. L'administration prévoit également dans le
contrat l'éventuelle possibilité de reconduction du droit
à réutilisation. Ce droit à réutilisation est ainsi
reconduit automatiquement dans certains établissements tels que la
Bibliothèque nationale de France, moyennant le paiement de la redevance
au 31 décembre pour une reconduction au 1er janvier par
exemple.
De même, aucune limite géographique n'est
imposée, et dans la mesure où il s'agit d'une cession de droits,
on pourrait imaginer une définition du territoire limité au
territoire national ou au territoire international.
Sans doute faut-il comprendre ce
désintérêt pour la définition de limites temporelles
et géographiques par le fait que la cession est convenue pour un usage
spécifiquement déterminé qui défini par
lui-même le cadre temporel et géographique.
Obligations découlant de la signature du document de
licence
La première obligation du licencié
découle des effets du document accordant la licence : sa signature
signifiant son accord quant au contenu des dispositions du contrat ou du
règlement, le licencié s'engage ainsi à respecter la
licence, les textes et documents auxquels renvoie la licence, ainsi que la
législation en vigueur, encore que celle-ci ne soit pas
développée pour les établissements d'archives. Les
licences établies par l'APIE et par Légifrance établissent
également une obligation pour le licencié de faire un usage des
données qui ne soit pas contraire aux lois et aux règlements, et
qui ne porte pas atteinte à l'ordre public et aux bonnes moeurs.
La seconde obligation qui découle des effets produits
par la signature de la licence est relative à l'utilisation qui doit
être faite par le licencié des données qui lui sont
confiées. Celui-ci ne peut en effet utiliser les données pour une
finalité autre que celle prévue dans la demande de
réutilisation qu'il a adressée à l'administration et qui
fonde le droit à réutilisation qui lui a été
accordé.
Obligations relatives aux données
L'article 12 de la loi de 1978 fixe quant à lui une
obligation générale relative aux données à
l'occasion de la réutilisation. Il s'agit d'une obligation
particulièrement protectrice de l'intégrité des
données, fondée sur leur valeur culturelle et patrimoniale, et
qui suppose de ne pas faire une utilisation qui pourrait être comprise
par le public comme contraire ou détournée par rapport à
l'objectif initial poursuivi par l'établissement d'archives conservant
le document, c'est-à-dire un objectif de valorisation du patrimoine
culturel de la Nation. L'article 12 est ainsi rédigé :
« Sauf accord de l'administration, la réutilisation des
informations publiques est soumise à la condition que ces
dernières ne soient pas altérées, que leur sens ne soit
pas dénaturé et que leurs sources et la date de leur
dernière mise à jour soient mentionnées. »
Cette obligation a été largement
développée par l'APIE et les Archives nationales :
« Toute rediffusion doit respecter l'intégrité des
données : elle doit n'en altérer ni le sens, ni la
portée, ni l'application. Le licencié veille notamment à
ce que la teneur et la portée des données ne soient pas
altérées par des retraitements (modification des données,
insertion de commentaires sans que ceux-ci puissent être clairement
distingués du contenu de l'administration, coupes altérant le
sens du texte ou des données). »
En outre, les établissements peuvent subordonner la
réutilisation à la condition de la mention de l'origine, du lieu
de conservation, de la référence, du titre ainsi que de l'auteur
du document dans lequel est inscrite la donnée. On retrouve ce type
d'obligation en droit d'auteur afin de préserver le droit à la
paternité de l'auteur sur son oeuvre, la seule différence
étant que l'établissement d'archives conserve des documents
émanant d'autres institutions, telles que les documents produits par les
services des présidents de la République. On peut donc
considérer que ces établissements fondent cette obligation de
mention du lieu de conservation sur leur mission de service public, qui
constitue la raison de leur existence.
En complément de ces dispositions protectrices de la
« titularité » des documents, le licencié
doit encore s'appliquer à respecter les principes régissant la
propriété intellectuelle ainsi que les données à
caractère personnel, notamment les droits d'auteur qui s'attachent
à certaines données, ainsi que la mention de certains noms de
personnes physiques. Ainsi, un chercheur qui souhaiterait réutiliser des
documents de sondage dans le cadre de sa thèse devrait s'assurer de la
suppression des informations d'ordre privé, telles que les
coordonnées de la personne. Ce sont là également les
principes de l'accès aux documents administratifs de manière
générale.
Dans la pratique, les établissements culturels
étant libres d'autoriser ou de refuser la réutilisation, il est
fort probable que ceux-ci refusent de manière quasi-systématique
les demandes qui s'accompagneraient d'un travail de biffage trop important eu
égard aux capacités techniques de l'établissement de
conservation. C'est d'ailleurs la possibilité qu'offre l'article 13
alinéa 2 quant à l'anonymisation des données.
Obligations relatives à la cession de la licence
Il faut distinguer la cession du droit de réutilisation
par l'administration au demandeur, de la cession de la licence par un
particulier à un tiers.
L'article 14 du régime légal interdit la cession
d'un droit d'exclusivité à toute personne qui présente une
demande de réutilisation, « sauf si un tel droit est
nécessaire à l'exercice d'une mission de service
public ».
On imagine en effet mal les motifs justifiant l'octroi d'un
tel privilège, dans la mesure où il relève de la mission
même des établissements d'archives de mettre à disposition
de tous, sans distinction du type d'utilisateurs, les archives de la Nation. Le
fait que l'utilisation soit envisagée dans un but pédagogique ou
commercial peut en revanche conduire l'administration à décider
d'accorder ou non un droit à réutilisation au profit de celui qui
en fait la demande. Mais en aucun cas il ne serait acceptable que le droit
d'utiliser une information contenue dans un document librement accessible soit
« bloqué » pour les usagers, au motif qu'il a
déjà été accordé à titre exclusif
à une personne, quelle que soit la légitimité de sa
demande.
En outre, on peut s'interroger sur les cas que le
législateur a entendu couvrir par l'exception à ce principe pour
nécessité du service public. Ces cas semblent assez peu
probables, sauf à considérer que le demandeur se soit vu confier
une délégation de service public pour l'exercice d'une prestation
relevant d'une mission de service public. Par exemple, un tel droit pourrait
être accordé si un établissement d'archives
décidait, après une mise en concurrence de plusieurs
prestataires, de confier la gestion de la diffusion d'une de ses bases d'images
à une société privée qui négocierait ensuite
directement avec les particuliers la concession d'un droit de
réutilisation.
Enfin, les dispositions du document conférant une
licence doivent spécifier s'il est accordé au licencié un
droit de céder à son tour la licence à des tiers. Pour des
raisons de sécurité juridique, il reste préférable
de ne pas prévoir de telles dispositions, et de n'accorder qu'un droit
personnel et non exclusif.
b) Sanctions
La violation des dispositions en vigueur en matière de
réutilisation va entraîner le prononcé de sanctions par
l'administration.
La violation des dispositions relatives à la
réutilisation
L'article 20 du chapitre III de la loi de 1978 confère
à la CADA une compétence pour veiller à l'application des
règles du chapitre II. Les articles 18 et 22 viennent compléter
cette disposition en donnant compétence à la CADA pour
infliger à l'auteur d'une infraction aux prescriptions du chapitre II
les sanctions prévues par l'article 18.
Or, les dispositions du chapitre II parmi lesquelles figure
l'article 18 prévoyant des sanctions spécifiques en
matière de réutilisation ne sont pas applicables aux
établissements relevant du régime dérogatoire.
La CADA est donc incompétente pour prononcer les
sanctions prévues dans un contrat relevant de dispositions
dérogatoires au régime de la loi de 1978. Seul le tribunal
administratif pourra demander la mise en application des sanctions
prévues aux dispositions du contrat, ou bien prononcer la peine
complémentaire ou alternative qu'il jugera adéquate en cas de non
paiement par le licencié ou en cas de demande de révocation du
contrat émanant du licencié.
Quand peut-on considérer qu'il y a dépassement
des droits accordés par la licence ?
Il peut y avoir violation des droits chaque fois qu'il sera
constaté un manquement du licencié aux obligations qu'il a
acceptées en signant le contrat de licence par exemple. Ainsi, le simple
défaut de mention de provenance du document dont a été
extraite l'information peut constituer une faute contractuelle du
licencié. Il est d'usage que pour ce type de manquements,
l'administration adresse un simple avertissement, notamment par voie de mise en
demeure à l'administré de réparer son manquement dans un
délai déterminé. Si le manquement persiste,
l'administration pourra être amenée à demander l'allocation
de dommages-intérêts, à moins qu'elle n'ait
spécifiquement prévu au contrat une pénalité
correspondant à ce type de manquement.
Par ailleurs, il y a également manquement du
licencié à ses obligations contractuelles lorsque celui-ci
réutilise les données dans un but qu'il n'avait pas initialement
annoncé à l'administration, qui ne figure donc pas au contrat et
pour lequel l'usager n'a pas de licence valable. C'est le cas par exemple d'une
personne qui a obtenu le droit de réutiliser l'image d'un sceau
conservé aux Archives nationales afin d'en réaliser une
reproduction qui prend la forme d'un support alimentaire, et qui
réutilise également l'image de ce sceau pour réaliser une
publicité.
La nature et la typologie des sanctions
Quelles sanctions les établissements d'archives
peuvent-ils prévoir et quelles sont celles susceptibles d'être
réellement appliquées ?
En l'absence de textes applicables, les administrations qui
rédigent les documents accordant une licence doivent prévoir des
règles spécifiques, soit inspirées de celles posées
dans le régime légal, auquel cas il ne leur sera cependant pas
possible de faire appel à la CADA, quand bien même les sanctions
seraient identiques à celles pouvant être prononcées par la
CADA pour des établissements ne relevant pas du régime
dérogatoire, soit inspirées des règles applicables en
matière de marchés publics, c'est-à-dire un système
basé sur l'application de pénalités calculées de
manière forfaitaire ou proportionnelle à la gravité du
manquement.
La plupart des juristes intéressés à la
réutilisation conseillent cependant de calquer le régime
dérogatoire sur le régime légal en matière de
sanctions, dans la mesure où les règles énoncées
par l'article 18 de la loi de 1978 sont relativement bien adaptées aux
cas de violations des licences. Cela permet ainsi, en cas de contentieux devant
le tribunal administratif compétent, de justifier de sanctions
proportionnées aux manquements constatés et d'éviter ainsi
toute remise en cause de la légalité des contrats et
règlements de licence.
Les sanctions-types prévues par le régime
légal se divisent en deux catégories : des sanctions
pécuniaires d'une part, et, d'autre part, des sanctions
complémentaires privatives de droits, telles que l'interdiction de
réutiliser des données pendant une durée
déterminée.
Les peines d'amendes sont calculées comme suit16(*) :
|
Montant de l'amende
|
Montant en cas de récidive
|
Utilisation à des fins non commerciales
|
Renvoi au montant de la contravention de 5e classe
prévue par l'article 131-13 du Code pénal, soit 1 500 euros
|
Montant de la contravention de 5e classe
doublé, soit 3 000 euros
|
Utilisation à des fins commerciales
|
Montant proportionné à la gravité du
manquement commis et aux avantages tirés du manquement, maximum
150 000 euros.
|
Si réitéré dans les 5
années : 300 000 euros maximum (pour les entreprises,
possibilité de rabaisser à 5 % du chiffre d'affaires hors
taxe)
|
Ces sanctions viennent donc frapper toute personne qui, soit
ne respecterait pas ses engagements contractuels, soit porterait une atteinte
grave aux données nécessitant la suspension immédiate du
droit à réutilisation et le prononcé de mesures
répressives.
En outre, on peut imaginer que le montant de la redevance ne
serait pas remboursé, même si le contrat venait à
être annulé, dans un souci de réparation du
préjudice subi par l'administration.
Après avoir défini les principales règles
régissant la réutilisation des données publiques,
tantôt en s'appuyant sur les textes légaux et sur les pratiques
des établissements relevant du régime légal, tantôt
en s'en affranchissant et en développant leurs propres règles,
les établissements d'archives vont devoir établir leur politique
tarifaire, afin de faire appliquer une redevance spécifique de
réutilisation.
B. La marchandisation des données
d'archives : la perception de redevances en contrepartie du droit de
réutiliser des documents administratifs
La question de la tarification se pose dans le cadre de la
mise en place du régime de réutilisation des données
publiques aux Archives nationales. L'application d'un tarif est liée
à la concession d'une licence de réutilisation de nature
commerciale, sortant du cadre de la licence gratuite accordée dans le
cadre des recherches. Toute personne qui souhaite obtenir un droit à
réutilisation va déposer une demande auprès du service de
la reprographie en identifiant les données contenues dans les documents,
ainsi que les usages qu'elle envisage de faire de ces données, ce qui
permettra au service administratif de calculer le montant de la redevance
correspondant aux usages envisagés et d'adresser un devis au demandeur.
Celui-ci pourra alors choisir de poursuivre sa demande de réutilisation
en adressant son paiement, et la licence pourra commencer à courir. Si
le demandeur considère que les tarifs qui lui sont proposés sont
trop élevés pour l'utilisation qu'il souhaitait faire des
données, il pourra décider de ne pas donner suite à sa
demande.
L'élaboration des grilles de tarification est à
mi-chemin entre la négociation politique et la négociation
commerciale sur fond de dispositions juridiques.
L'enjeu de la tarification est le suivant : faut-il
encourager ou contenir la réutilisation ? Des tarifs trop
élevés auront tendance à décourager les
particuliers, et, peut-être, certaines entreprises, tandis que des tarifs
trop faibles vont inciter particuliers et entreprises à solliciter un
droit à réutilisation. L'administration peut toujours choisir de
refuser la réutilisation en fournissant à
l'intéressé un motif juridiquement valable, non fondé sur
un critère discriminatoire (lié à l'identité de la
société par exemple), et conserver un certain contrôle sur
les utilisations faites des données qu'elle conserve.
1. La détermination du droit à redevance
Pour déterminer le montant de la redevance, les
administrations peuvent suivre les quelques
« pistes juridiques » proposées par les textes
législatifs et règlementaires, mais il faut bien garder à
l'esprit qu'aucune des dispositions légales actuellement en vigueur n'a
vocation à s'appliquer aux établissements sous régime
dérogatoire, c'est pourquoi il est toujours possible d'observer les
montants proposés par les services commerciaux des établissements
culturels.
a) Les indicateurs de calcul posés par les textes
législatifs et règlementaires pour la détermination des
montants
Quelques textes proposent des méthodes pour la
détermination des montants de redevance. C'est notamment le cas de
l'article 15 de la loi de 1978, qui, sans avoir force contraignante pour les
établissements d'archives, peut tout à fait servir de
« guide » dans l'élaboration de modes de calcul.
Aussi, il résulte de l'observation des pratiques des
différents établissements ainsi que des dispositions de l'article
15 de la loi de 1978 que les tarifs peuvent s'inspirer de ce qui se fait
actuellement pour la reproduction des documents et qu'ils doivent inclure en
plus les coûts de mise à disposition, notamment les coûts
d'anonymisation, mais également les coûts de collecte et de
production, ainsi que la rémunération raisonnable des
investissements de l'administration.
Le montant ne doit pas être discriminatoire entre
différentes catégories d'utilisateurs pour un même usage,
mais il peut (et doit) être différent pour différentes
catégories d'utilisations. Ainsi, il paraît pertinent de
dégager plusieurs catégories de montants selon l'utilisation et
selon le type de support destiné à accueillir les données
sollicitées. Ces catégories peuvent aller du support papier, soit
une réutilisation par voie de publication, au support numérique,
soit une réutilisation par le biais d'une mise en ligne, en passant par
le support alimentaire17(*).
La définition de ces catégories doit permettre
d'établir une grille tarifaire qui va accueillir ensuite les tarifs.
Cela permet notamment de mieux se rendre compte de la nécessité
de pratiquer des tarifs plus élevés, par exemple, sur des grands
formats ou sur des impressions couleurs qui ont pour l'administration un
coût plus élevé à la numérisation ou à
la reproduction suivant le mode de transfert des données.
Il faut également veiller à ce que l'assiette de
calcul soit objective, c'est-à-dire calculée par exemple sur le
pourcentage du chiffre d'affaires réalisé grâce aux
informations s'il s'agit d'une société commerciale. Le but de
l'administration n'est pas de réaliser de manière indirecte des
bénéfices commerciaux sur la commercialisation que fera la
société des informations, mais d'éviter que ces
informations, qui restent la propriété de l'Etat, ne soient
l'objet d'une utilisation commerciale outrancière qui créerait un
manque à gagner certain pour l'Etat et pour le service d'archives qui
continue à produire des coûts de gestion et de conservation pour
la protection des supports originaux.
Enfin, le régime légal impose en son article 17
l'obligation de communiquer à toute personne qui en fait la demande les
bases de calcul retenues pour la fixation du montant des redevances. Ces bases
doivent donc être parfaitement établies par l'administration et
respecter ainsi tous les principes de non discrimination et de
proportionnalité, qui, sans être obligatoires sur le fondement du
chapitre II de la loi de 1978, restent nécessaires et indispensables en
droit public afin de garantir la transparence dans les rapports de
l'administration avec les usagers du service public.
b) Les calculs reposant sur la politique commerciale des
agences de photographie
Cette partie aura vocation à présenter les
politiques commerciales pouvant être mises en place dans des
établissements aux contenus de même nature que ceux
conservés par les services d'archives. Elle s'appuiera donc sur les
expériences de la Bibliothèque nationale de France et de la
Réunion des musées nationaux.
L'alignement des tarifs sur ceux pratiqués par les
agences de photographie privées
De grands établissements culturels comme la BnF et
l'agence de photographie de la RMN ont décidé de calculer les
montants de diffusion sur ceux pratiqués par les agences de photographie
privées telles que Getty Images, Scala ou encore Bridgeman.
La RMN est un cas particulier, puisqu'il s'agit d'un
établissement public à caractère industriel et commercial.
L'agence de photographie de la RMN se place dans un cadre concurrentiel par
rapport aux grandes agences privées, et n'entend pas se fonder sur le
droit de la réutilisation pour calculer ses tarifs : elle
considère en effet que les photographies des oeuvres
muséographiques qu'elle loue ou prête sont protégées
au titre du droit de la propriété intellectuelle de l'auteur de
la photographie.
La BnF, quant à elle, travaille à la mise en
place de nouveaux tarifs de réutilisation depuis presque six mois. Elle
a fait appel à des sociétés de
« consulting » qui ont travaillé à partir des
tarifs pratiqués par ces mêmes agences photographiques
privées.
Les modes de calculs élaborés à partir des
coûts de numérisation
Pourquoi chercher à amortir les coûts de
numérisation ? Parce qu'il s'agit en fait de compenser
financièrement le « service rendu ». La
réutilisation a effectivement un coût pour l'administration,
notamment en termes de numérisation et d'anonymisation des
données, pour lesquelles il serait évident que le demandeur paye
les frais. Ces coûts s'analysent en coûts de personnel, coûts
de matériel de numérisation et coûts de matériel de
stockage des données.
Mais au-delà de la première opération de
numérisation et d'anonymisation de la donnée pour laquelle un
premier utilisateur a payé, pourquoi répéter ces frais
auprès des usagers suivants, puisque le document est d'ores et
déjà disponible et qu'il n'en résulte pas de coût
supplémentaire pour l'administration ? Le directeur de l'Agence
pour le développement de l'administration électronique Jacques
SAURET a d'ailleurs déclaré lors du séminaire
« Diffusion des données publiques » le 19 novembre
2004 : « quand on est en dehors du champ des missions de service
public, les administrations doivent avoir une comptabilité analytique et
il n'est pas raisonnable que le contribuable paie ». Il faudrait donc
pouvoir répartir ce coût sur un nombre prévisible de
demandes de réutilisation de la donnée. Ainsi, cette
« redevance pour service rendu » serait plus
équitable entre les usagers du service public car répartie entre
eux.
Ce fût d'ailleurs le type de calculs
opérés par la BnF au cours des derniers mois. A côté
des outils de comparaison des prix pratiqués par différentes
agences de photographie, la BnF a établi des tableaux de calcul des
coûts de numérisation des documents, qu'il s'agisse d'images ou de
textes. Ces coûts sont évalués par les services commerciaux
conjointement avec le service de la reprographie à partir de devis de
prestataires externes proposant des tarifs de numérisation pour un
nombre global de documents. Il s'agira donc de compenser ces coûts en
attribuant, par exemple, un pourcentage du coût unitaire de
numérisation au montant de la redevance.
2. Les enjeux de la diffusion du patrimoine culturel
archivistique
La diffusion du patrimoine culturel archivistique est un choix
éminemment politique qui a des conséquences en termes de
retombées budgétaires. C'est pourquoi il va falloir
déterminer des politiques générales, d'une part sur le
point de savoir s'il faut prôner la réutilisation gratuite ou la
réutilisation payante des données culturelles, et d'autre part
sur le point de savoir s'il faut prévoir un système de
tarification faible ou élevé. Ce choix est du ressort, à
la fois des directeurs d'établissements d'archives qui perçoivent
les documents d'archives, mais aussi, en amont, des directeurs
d'établissements producteurs de données culturelles.
a) Un choix marqué par la politique culturelle et
lié à la mission des établissements d'archives
Le choix de pratiquer des prix hauts ou bas est lié
à l'implication politique des responsables administratifs dans la mise
en place des systèmes de régulation de la
réutilisation.
Dans une certaine mesure, on peut observer que la demande de
réutilisation répond à la théorie de
l'équilibre partiel entre l'offre et la demande, telle que
développée par Alfred Marshall, et selon laquelle les courbes
d'offre et de demande varient en fonction du prix, et donc de la
quantité des biens échangés sur les marchés
concurrentiels. En pratique, en matière de réutilisation, on peut
difficilement considérer que les établissements d'archives sont
sur un marché concurrentiel, du moins pour l'instant : il s'agit
plutôt d'un domaine dominé par des grands monopoles des
établissements de l'Etat, et l'Etat lutte justement pour conserver ce
monopole et écarter les grands cabinets de généalogie
ainsi que les agences de photographie.
D'autre part, la théorie de l'équilibre partiel
implique qu'il existe une quantité déterminée de produits,
cette quantité peut augmenter ou diminuer en fonction de l'offre et de
la demande : ainsi, si l'offre est supérieure à la demande,
il reste un résidu de produits qui n'ont pas été vendus au
prix demandé. Inversement, si la demande est supérieure à
l'offre, l'établissement va devoir augmenter sa capacité
productive.
En matière de réutilisation, la question est
plus complexe : il ne peut exister de quantité
déterminée ou déterminable de produits disponibles,
puisque ce qui va être vendu n'est pas un produit mais un droit de
réutiliser le produit. Or ce produit, le document d'archives, n'est pas
fourni tel quel en tant que produit. Seul son contenu est fourni et peut
être reproduit et reproductible, de sorte que le produit n'est pas
défini par le document administratif, qui est reproductible à
l'infini à partir du support initial ou d'un support
dérivé reproduisant lui-même le support initial, mais est
défini par le droit de réutilisation. Un droit peut-il être
un produit ? C'est en fait un service, dans le sens où le droit
à réutilisation est un service procuré par
l'administration d'archives aux usagers du service public qui ont un
accès libre aux documents d'archives, qui peuvent avoir un droit de
reproduction en payant une redevance spécifique, et qui ont dès
lors un droit de réutiliser pour leur propre compte ou dans un but
commercial, les données d'un document qui a été mis
à leur disposition dans le cadre de l'exercice d'une mission de service
public.
Dès lors vient à se poser la question de la
gratuité de ce droit à réutilisation. La gratuité
d'un tel droit relève de l'évidence pour le commun des usagers,
dans la mesure où elle est fondée sur le principe que les usagers
du service public se voient facturer chaque mois de manière indirecte au
travers des diverses charges qui leur sont prélevées et sont
redistribuées ensuite, et qu'il ne peut dès lors leur être
demandé de contribuer par deux fois aux coûts suscités par
l'accès à un tel service.
Mais la gratuité peut également avoir un
coût important, et nous passerons rapidement sur le débat de la
gratuité de l'accès à la culture, qui a été
traité à de maintes reprises par les juristes et
économistes, et qui n'est pas l'objet de ce mémoire, pour
comprendre les raisons qui président à la facturation d'une
redevance de réutilisation.
La reconnaissance d'un droit à réutilisation du
patrimoine de l'Etat crée tout d'abord un manque à gagner pour
l'administration qui n'exploite pas elle-même les données, et donc
ne tire pas de bénéfices de cette exploitation18(*). L'Etat impose donc le
paiement d'une redevance à l'usager au motif que l'administration
d'archives n'a pas de rentrées d'argent.
A côté de ce motif à caractère
économique, il faut envisager le fondement de la redevance pour service
rendu. En effet, doit-on considérer qu'existe un équivalent au
droit d'auteur de l'Etat sur les données publiques, qui prenne la forme
d'une redevance pour service rendu ? Comme nous avons pu le voir
précédemment, le coût marginal de la réutilisation
pour les établissements ne semble pas établi d'un point de vue
économique, sauf à tenter de répartir le coût de
numérisation initial entre les demandeurs d'une même
donnée ; mais l'Etat impose le paiement d'une redevance à
l'usager au motif que l'administration d'archives a des
« sorties » d'argent à l'occasion des demandes de
réutilisation qui lui sont présentées.
La combinaison de ces deux motifs nous permet donc de conclure
que c'est en raison d'une sortie d'argent non compensée par des
rentrées d'argent que l'administration doit faire payer l'usager.
Enfin, on pourrait envisager un troisième motif pour
justifier l'existence d'une redevance de réutilisation : tenter de
dissuader une réutilisation massive des données. Et cela va
certainement faire appel à des concepts philosophiques divers selon
lesquels un excès de liberté peut conduire à inciter les
citoyens à en abuser et à ne plus faire la part des choses entre
ce qui est bon pour l'intérêt général et ce qui ne
l'est pas. Mais le principe selon lequel trop de règles peuvent
également nuire à la société n'est pas
forcément applicable en matière de réutilisation,
puisqu'on peut imaginer qu'une procédure quelque peu complexe va
dissuader les utilisateurs de demander à réutiliser. Dans la
pratique, il est fort probable que cette dissuasion ne va sans doute être
efficace que pour les particuliers et les petites structures, les personnes qui
ont besoin de la donnée, notamment dans le cadre d'une exposition ou
pour tourner un film, auquel cas la présence des données va
constituer une valeur ajoutée à la production envisagée.
La dissuasion ne sera pas effective pour les entreprises de taille
supérieure, qui seront particulièrement coriaces et
déterminées à se procurer les données pour en faire
leur activité exclusive.
Une fois le parti pris de faire peser sur le contribuable qui
en fait la demande les coûts induits par la perspective de la
réutilisation, quelle politique faut-il adopter en terme de
tarification ? La question se pose en ces termes : faut-il inciter ou
contenir la réutilisation ? Cette question trouve son fondement
dans les jeux de pouvoir politique comme nous l'avons vu
précédemment, mais elle a également des
répercussions en termes de rentabilité économique.
En vertu du concept de l'équilibre de l'offre et de la
demande, si l'administration fixe un tarif de réutilisation relativement
bas, elle s'expose à ce que beaucoup d'usagers sollicitent un droit
à redevance. A contrario, si elle pratique des tarifs hauts, peu
d'usagers poursuivront la procédure de réutilisation
au-delà de la réception du devis. Mais cette politique n'aurait
d'intérêt que si cela pouvait dissuader les grosses entreprises
commerciales dont le but est de tirer profit du commerce des données
d'archives. Or l'effet premier qu'aurait une politique serait celui de la
dissuasion des particuliers ou des petites entreprises, et pas forcément
des grosses entreprises commerciales comme nous l'avons vu
précédemment.
D'un point de vue purement économique, et non politique
ou culturel, on peut d'ailleurs imaginer que si la demande est telle,
quantitativement, qu'elle va permettre de générer des recettes
plus importantes que si les tarifs étaient plus élevés,
alors il y aurait plus intérêt pour l'administration à
pratiquer des tarifs très intéressants pour les usagers, et donc
à encourager la réutilisation. Tout est ensuite question de
politique culturelle : faut-il (et peut-on) « vendre »
le patrimoine culturel archivistique de l'Etat comme on vendrait n'importe
quel bien sur le marché ?
b) Une réutilisation inévitable ?
Quels que soient les prix fixés initialement pour la
redevance de réutilisation des données publiques dans les
établissements d'archives, groupements privés comme
administrations vont aller peu à peu vers la réutilisation
généralisée du patrimoine culturel archivistique. Ce
mouvement ne saurait aller dans un autre sens, dans la mesure où les
moyens de communication qui existent actuellement permettent la mise en ligne
très simplement et très rapidement de milliers d'images et de
documents textes, sans qu'il soit d'ailleurs toujours possible d'identifier le
propriétaire du site hébergeant les données.
De plus, comme nous l'avons vu plus haut, il est toujours
préférable que la réutilisation soit encouragée
dans le domaine de la science et de l'éducation, afin de faire avancer
les recherches dans quelque domaine que ce soit.
Parallèlement à ce but d'intérêt
général, il faut également considérer que, à
une époque à laquelle la société de l'information
est omniprésente, il ne saurait être envisageable d'espérer
contenir éternellement les demandes de toutes les sociétés
privées, qu'il s'agisse de généalogistes bien
intentionnés ou de grosses sociétés américaines
dont le principal objectif est la mise en ligne de la totalité de
l'état civil. Sans doute faudrait-il penser à un partenariat
entre les établissements d'archives et les sociétés
privées souhaitant commercialiser les données. Mais cet
idéal souffrirait quelques problèmes : la gratuité de
l'accès. L'accès étant gratuit dans les
établissements d'archives depuis la Déclaration des droits de
l'homme et du citoyen de 1789, on imagine mal comment l'Etat pourrait envisager
d'en faire quelque chose de payant, totalement soumis à la gestion et au
contrôle de sociétés privées. Allons-nous vers une
privatisation des établissements d'archives ? Que deviendra le
rôle des administrations d'archives : un rôle unique de
conservation des documents originaux, dont la numérisation circulera
désormais librement sur la toile, afin d'éviter à chacun
de se déplacer jusque dans les salles de lecture pour consulter les
documents originaux et en solliciter une copie ?
Une poussée émanant des groupements
privés
Les premiers à avoir sollicité un droit à
réutilisation sont les groupements privés, et notamment les
généalogistes, dont l'activité principale consiste
à effectuer des recherches de généalogique pour le compte
des particuliers ou encore à mettre à disposition de ceux-ci les
éléments leur permettant de rechercher eux-mêmes les traces
de leurs ancêtres. Pour cela, les cabinets de généalogie
pratiquent des tarifs de consultation ou d'accès aux bases qu'ils
mettent à disposition sur leurs sites Internet, sans pour autant
reverser de redevance aux services publics d'archives qui ont une mission
semblable, bien que moins poussée. Les Archives départementales
sont donc largement sollicitées, notamment depuis les récentes
déclarations de hauts fonctionnaires incitant les
généalogistes à réutiliser les données de
l'Etat civil et depuis l'annonce qui leur a été faite de la
prochaine mise en place de règles visant à encadrer la
réutilisation. Certains cabinets dépêchent chaque jour dans
les salles de lecture leurs employés afin de photographier par
eux-mêmes les données de l'Etat civil, avant que cela ne soit
soumis à autorisation, au grand désarroi des archivistes
départementaux et communaux.
D'autre part, une grande entreprise fait beaucoup parler
d'elle depuis quelques mois dans le milieu de l'édition de
manière générale, et dans le milieu archivistique en
particulier. Il s'agit de Google Books, qui insiste pour mettre en ligne les
inventaires, notamment ceux des Archives nationales. L'affaire est la
suivante : en 2005, un recours collectif a été formé
par des auteurs et éditeurs américains à l'encontre de
Google pour violation des droits d'auteur. Ce recours s'est soldé en
octobre 2008 par la signature d'un accord amiable. La validation de cet accord
par le juge devait avoir lieu en juin dernier, mais a été
repoussée au mois d'octobre 2009 : il s'agit pour ces
sociétés d'auteurs d'obtenir 125 millions de dollars contre leur
autorisation tacite (« opt-out ») de laisser leurs oeuvres
accessibles en ligne sur le site Internet, libre aux titulaires de droits qui
le souhaitent, de manifester explicitement leur sortie du règlement et
de s'enregistrer avant septembre 2009 pour toucher une indemnité
forfaitaire de 60 dollars par ouvrage. Cet accord traverse les
frontières parce qu'il a vocation à s'appliquer par le jeu des
conventions internationales : il s'applique donc aux oeuvres
françaises qui sont accessibles sur la toile depuis les ordinateurs
présents sur le sol américain. L'enjeu est le suivant : en
l'absence de refus explicite des établissements d'archives
d'adhérer au règlement, les inventaires numérisés
des archives réalisés par le personnel dans le cadre de la
mission de conservation et de valorisation des fonds resteront en ligne, mais
seuls des extraits seront affichés. Pour ceux qui confirmeront
explicitement leur adhésion au règlement, Google propose de
commercialiser les versions numériques des ouvrages qui deviennent alors
des e-books, et de reverser aux titulaires des droits 63% des recettes.
La position de la DAF sur la question semble être
d'inciter les administrations sous sa tutelle à rester sous le
régime du règlement sans pour autant se manifester.
En tout état de cause, à moins que les
administrations françaises d'archives ne se dotent rapidement de cadres
juridiques opposables à tous les organismes qui sollicitent une
réutilisation commerciale, il semble impossible de parvenir à
interdire la diffusion des contenus culturels autrement que sur le fondement
des droits patrimoniaux d'auteur, ce qui ne sera pas simple s'agissant des
oeuvres collectives réalisées dans le cadre de l'exécution
de la mission de service public.
Un mouvement émanant des administrations
Parallèlement à cette «
poussée » des intérêts privés, on constate
à la fois un découragement de certaines administrations face au
phénomène de réutilisation et un désir d'autres
administrations de favoriser la réutilisation commerciale en
patrimonialisant la donnée d'archives.
Au titre des administrations qui encouragent la
réutilisation et souhaitent en tirer profit, on compte les Archives
départementales, qui n'ont reçu jusqu'alors aucune recommandation
générale de la part de la DAF. Certaines d'entre elles, comme les
Archives départementales de la Haute-Garonne, font le choix de vendre
des CD et des DVD de l'Etat civil français, chaque support contenant des
archives ordonnées par commune. Toute personne peut donc librement
accéder à la totalité des informations et la
réutiliser à sa guise, sans qu'aucune information relative
à l'usage qu'elle souhaite en faire ne lui soit demandée.
Autre exemple d'organe parapublic : l'APIE,
créée spécifiquement en 2007 pour promouvoir la
réutilisation et « favoriser la valorisation des actifs
immatériels de l'Etat et de ses établissements
publics ». Cette valorisation passe ainsi par l'optimisation de la
gestion du patrimoine immatériel de l'Etat, d'une part pour les
personnes publiques qui souhaitent créer des cadres pour la
réutilisation des données publiques, et d'autre part pour les
usagers du service public qui auront accès à partir de fin 2010
à un portail unique d'accès aux informations publiques
réutilisables.
Conclusion : l'avenir des services d'archives en
France
Comme nous avons pu le voir, qu'ils relèvent
directement de l'Etat ou des collectivités territoriales, les services
d'archives français ont aujourd'hui été reconnus comme
relevant de l' « exception culturelle », et pouvant
ainsi élaborer leurs propres règles de réutilisation en
vertu des dispositions de l'article 11 de la loi du 17 juillet 1978, tel qu'il
a été transposé par l'ordonnance du 6 juin 2005.
Ce statut dérogatoire a été remis en
question à de nombreuses reprises, mais la Commission européenne
ne semble pas encore encline à revenir sur les dispositions de la
directive du 17 novembre 2003, et laisse le ministère français de
la Culture et de la Communication décider du point de savoir ce que
recouvre la notion d'information publique contenue dans un document produit ou
reçu par un établissement culturel, et notamment par un service
d'archives. De fait, la France se distingue donc une fois de plus de ses
voisins européens, en ce qu'elle considère que des documents
conservés par un service d'archives peuvent avoir une valeur culturelle,
non pas du point de vue de leur contenu, mais du point de vue de la valeur de
mémoire qu'elles ont généré au fil du temps. Il
faut s'attendre à ce que la Commission se prononce, peut être en
2012, en faveur d'un élargissement du champ de la directive de 2003, et
impose aux services d'archives français de faire une différence
en fonction du contenu des documents dont elles assurent la conservation et la
valorisation. Dans cette optique, on ne peut donc que conseiller à ces
établissements d'anticiper le mouvement en élaborant des
systèmes d'encadrement de la réutilisation proches du
régime de droit commun.
Depuis peu, les établissements d'archives sont
invités par le ministère de la Culture et de la Communication
à lui faire part de leurs avancées dans le domaine de la
réutilisation, à savoir l'éventuelle mise en place de
« licences » ou de mentions sur les sites Internet ainsi
que dans les salles de consultation informant les usagers de leurs droits et
obligations à l'occasion de l'usage qu'ils peuvent être
amenés à faire des données qu'ils consultent. A l'heure
actuelle, aucun service d'archives ne semble avoir publié de
système complet : tous semblent attendre des recommandations et des
impulsions d'origine étatique, tandis que le Ministère
lui-même est en attente de propositions émanant des services sous
sa tutelle, ou encore de l'APIE, qui est actuellement en pleine
préparation du portail unique d'accès aux informations
publiques.
On peut d'ailleurs se demander quel sera l'avenir des
données publiques d'archives et des systèmes actuels de
régulation (plus que de simple encadrement) de la réutilisation
dans le cadre de la mise en ligne de ce portail, qui permettra aux internautes
de solliciter à la fois la réutilisation de statistiques
établies par le ministère de l'Education nationale, mais aussi
celle de codes juridiques disponibles sur le site de Légifrance, et
enfin de l'Etat civil du Poitou-Charentes. Face à la grande
diversité des données publiques disponibles, l'APIE ne pourra
proposer sur son portail qu'un seul type de formulaire, ou bien, sans
rechercher l'harmonisation du régime de réutilisation au niveau
du territoire, renvoyer aux sites spécifiques de chacun des
ministères. En tout état de cause, on peut s'interroger sur le
devenir des services d'archives, voués à assurer à la fois
la conservation matérielle des documents et l'accueil des publics dans
ses salles de consultation, au titre de l'exercice de sa mission de service
public, en espérant toutefois que l'ouverture à la concurrence
des établissements privés de généalogie ne
réduise la demande en matière de consultation sur place.
Eléments de bibliographie
Ouvrages
Abrégé d'archivistique. Principes et
pratiques du métier d'archivistique, Paris, Association des
archivistes français, 2004, 275 p.
La pratique archivistique française, Paris,
Archives nationales, 1993
BASTIEN Hervé, Droit des archives, Direction
des Archives de France, Documentation Française, 1996, 192 p.
CADA, La réutilisation des informations publiques.
Dans quelles conditions les informations obtenues peuvent-elles être
réutilisées ?, in Documents administratifs.
Droit d'accès et réutilisation, Paris, La Documentation
Française, juin 2008, pp. 156-160
CHAPUS René, Droit administratif général,
tome 1, Domat, 15e édition, Montchrestien, 2001
MORAND-DEVILLER Jacqueline, Cours de droit administratif
des biens, éditions Montchrestien, 2003, 881 p.
NOUGARET Christine, GALLAND Bruno, Les instruments de
recherche dans les archives, Paris, Direction des Archives de France,
1999
Dictionnaires
CORNU Gérard (dir.), Vocabulaire juridique,
6e édition, PUF, 2004
GUILLIEN Raymond, VINCENT Jean, GUINCHARD Serge, MONTAGNIER
Gabriel, Lexique des termes juridiques, 16e édition,
DALLOZ, 2007
Articles
BARTHE Emmanuel, Réutilisation des données
publiques : transposition de la directive du 17 novembre 2003, 2
janvier 2006, consultable sur
www.precisement.org/blog/reutilisation-des-donnees.html
BARTHE Emmanuel, Le principe de disponibilité des
données publiques : mythe ou réalité ?, 2
janvier 2006, consultable sur
www.precisement.org/blog/le-principe-de-disponibilite.des.html
CLAIR Sylvie, Réutilisation des données
publiques : comment ne pas vendre son âme ?, in La
lettre des archivistes, novembre-décembre 2008
CLAIR Sylvie, HECKMANN Thierry, Etat civil : doit-on
craindre les marchands du Temple ?, in La lettre des
archivistes, novembre-décembre 2008
FOCHROT Didier, Les données publiques, les
documents administratifs et les autres, 16 novembre 2003, consultable sur
www.les-infostrateges.com/article/0311107/les-donnees-publiques
LALLET Alexandre, THIELLAY Jean-Philippe, La Commission
d'accès aux documents administratifs a trente ans, AJDA 2008
p.1415
Rapports
Rapport d'activités du CARAN, 2007
Rapport d'activités de la CADA, 2007, pp. 26-29
Partager notre patrimoine culturel. Propositions pour une
charte de la diffusion et de la réutilisation des données
publiques culturelles numériques. Conclusions du groupe de travail sur
le patrimoine culturel numérisé remises à Monsieur le
Ministre de la Culture et de la Communication, dit « Rapport
ORY-LAVOLLEE », Ministère de la Culture et de la
Communication, juillet 2009
Sites Internet
CADA :
www.cada.fr
Groupement français de l'industrie de
l'information :
www.gfii.asso.fr
Légifrance :
www.legifrance.gouv.fr
Réseau des archives en France :
http://www.archivesdefrance.culture.gouv.fr
* 1 La DAF est une des dix
directions du ministère de la Culture et de la Communication. Elle va
disparaître avec la mise en place des trois nouvelles directions, et se
retrouvera intégrée à la direction générale
des patrimoines pour prendre le nom de Service interministériel des
Archives de France.
* 2 Loi 79-18 du 3 janvier
1979 sur les archives modifiée par la loi du 15 juillet 2008
* 3 Pour plus de
commodités, lorsqu'il sera fait référence aux dispositions
de la loi de 1978, il s'agira des dispositions modifiées de cette loi,
telles qu'elles ont été précisées par l'ordonnance
du 6 juin 2005 et celle du 29 avril 2009 harmonisant les dispositions du Code
du patrimoine avec celles de la loi de 1978.
* 4 Entendre ici les
établissements et les services d'archives.
* 5 Avis CADA n°20082716
du 31 juillet 2008 « Maire de Chelles »
* 6 Avis CADA n°20091074
du 2 avril 2009 « Maire de Saint-Rémy-sur-Durolle »
sur l'affaire « COUTOT-ROEHRIG »
* 7 Article 11 de la loi de
1978 modifié par les ordonnances des 6 juin 2005 et 29 avril 2009 :
« Par dérogation au présent chapitre, les conditions
dans lesquelles les informations peuvent être réutilisées
sont fixées, le cas échéant, par les administrations
mentionnées aux a et b du présent article lorsqu'elles figurent
dans des documents produits ou reçus par : a) des
établissements et institutions d'enseignement et de recherche ; b)
des établissements, organismes ou services culturels. »
* 8 En droit français,
une exception est un moyen par lequel le défendeur dénonce
l'irrecevabilité de la demande et remet en cause une partie de la
procédure afin d'en obtenir la suspension temporaire.
* 9 Interview de Catherine
TASCA, ministre de la Culture et de la Communication, pour le Figaro Magazine
le 15 janvier 2001
* 10 Les archives publiques
sont définies à l'article L.211-4 du Code du patrimoine comme
étant « les documents qui procèdent de
l'activité, dans le cadre de leur mission de service public, de l'Etat,
des collectivités territoriales, des établissements publics et
des autres personnes morales de droit public ou des personnes de droit
privé chargées d'une telle mission ». Ce sont
également « les minutes et répertoires des officiers
publics ou ministériels ».
* 11 Définition du
Lexique juridique DALLOZ
* 12 Définition du
dictionnaire juridique CORNU
* 13 Ces bases de
données sont appelées couramment « instruments de
recherche », puisqu'elles recensent les catégories de
documents conservés par les établissements d'archives et
permettent ainsi une recherche et un accès facilités.
* 14 Il s'agit d'un accord
passé entre la maison d'édition et l'auteur pour certaines
éditions à caractère scientifique. L'auteur souhaitant
seulement publier le fruit de ses recherches, et n'ayant pas pour ambition de
réaliser un profit, cède l'intégralité de ses
droits patrimoniaux à l'éditeur, et ne perçoit donc plus
aucune rémunération.
* 15 Article 17 de la loi de
1978
* 16 Ces montants sont les
montants maximum prévus par les textes législatifs en vigueur.
* 17 A titre illustratif, on
peut mentionner la demande faite aux Archives nationales en juin 2009
d'utiliser les moules de sceaux pour réaliser des sceaux en chocolat.
* 18 Cela relève de
la mission des établissements d'archives, qui sont essentiellement,
comme exposé en introduction, des collectivités territoriales ou
bien des services à compétence nationale relevant de directions
du ministère de la Culture et de la Communication, et n'ont donc pas
vocation à faire de profits à partir de leur activité.
|