III. Chapitre V : Discussion des résultats
1. Interprétation des
résultats
A la lumière de la présentation des
résultats obtenus auprès de la population cible de
l'étude, les infirmiers qui ont cumulé une expérience
professionnelle dans les services d'oncologie de moins de 5 ans constituent
plus du tiers. On enchaîne sur la discussion des principaux
résultats se basant sur les concepts tenus dans le cadre de
référence.
Approche pluridisciplinaire
A travers les réponses des infirmiers participants
à l'étude l'absence d'un esprit de travail d'équipe
ressort. Plus de deux tiers des infirmiers disent qu'ils ne font pas des
réunions et qu'ils ne sont pas sollicités au staff lors de la
visite. Le travail avec les patients en fin de vie requiert une approche
pluridisciplinaire, où les compétences des intervenants sont
reconnues et aucune discipline ne détient l'expertise pour offrir
l'ensemble des services (Autret et Gauthier-Pavloff, 2006; Damyier, 2000).
Cependant, les infirmiers, à l'unanimité, ont avancé une
charge de travail importante due à l'effectif réduit du
personnel. C'est ainsi que les infirmiers répartissent les tâches
individuellement, ceci freine le développement d'un travail
cohérent en équipe. Cette approche pluridisciplinaire donne des
perspectives pour les patients et aussi pour les soignants :
D'une part, elle permet la prise en charge globale (physique,
psychologique, socio-familiale, spirituelle) ; cohérence,
sécurité, apaisement, confiance ; écoute,
disponibilité ; préparation à la perte ; prévention
des deuils pathologiques ; et suivi de deuil. D'autre part, elle offre le
confort de fonctionnement et d'organisation; la notion de partage; la
valorisation de chacun; la responsabilisation, et l'initiative (Autret et
Gauthier-Pavloff, 2006).
Cadre réglementaire et
cadre religieux
Les infirmiers estiment que la réglementation, soit
législative ou professionnelle, est insuffisante en matière de
fin de vie concernant leur rôle auprès de ces patients. Ceci a
été relaté par l'analyse des textes réglementaire
au Maroc, aucun texte réglementaire en vigueur ne mentionne de
façon explicite le rôle de l'infirmier aux près des
personnes en fin de vie, y compris le derniers décret n°2.06.630 du
13 avril 2007 portant sur le statut particulier du corps des infirmiers du
ministère de la santé et le règlement intérieur des
hôpitaux 2004.
A l'unanimité les infirmiers se sont mis d'accord pour
utiliser le cadre religieux comme source de leur attitude envers les patients
en fin de vie et leurs proches. Ceci peut, en effet, donner dynamisme et sens
à la fin de vie pour développer les soins palliatifs au Maroc.
Watson suggère que les infirmiers peuvent améliorer la
qualité des soins aux personnes si elles s'ouvrent à des
dimensions spirituelles (Kerouac et coll ,2003). Ces attitudes et souci des
infirmiers, de faire appel aux principes religieux, en dehors de la
réglementation qui est insuffisante, émanent de leur vécu
quotidien. Dans le Hadith du Prophète prescrit: "Dieu a
créé la maladie et son remède et a créé pour
chaque maladie son remède. Soignez-vous donc." (Rapporté par
Abû Dâoûd, n° 3874).
Le cadre religieux donne aux infirmiers des assises pour une
bonne prise en charge des patients pour le respect de la dignité et les
droits de la personne.
Conception de soins
palliatifs
Les résultats révèlent que plus de quatre
cinquième des infirmiers n'utilisent pas une conception
infirmière lors de la dispensation des soins. Néanmoins, le
modèle de Virginia Henderson est le seul appliqué par le un
cinquième des infirmiers. Les autres conceptions et modèles en
soins infirmiers, promotion, effet souhaité,
« caring »... ne sont pas appliqués et ce par manque
de formation de base d'une unité d'enseignement/apprentissage des
conceptions infirmière au niveau des IFCS. Les infirmiers confirment que
la formation de base ne fournit pas les connaissances requises et moyens pour
une bonne prise en charge des patients en fin de vie. Ainsi la majorité
qui précise qu'au cours du cursus, ils n'ont pas eu d'unité
d'enseignement/apprentissage des conceptions infirmières.
L'application de la conception du caring à la fin de
vie exige une qualité de présence des infirmiers qui apporteront
aux patients un sentiment de sécurité et de
sérénité. Ceci parait difficile, vu la charge de travail
de l'infirmier qui s'occupe de plus de 20 lits au niveau du service et de son
indisponibilité.
Projet de soins et de
vie
La totalité des infirmiers estiment qu'il n'y a pas de
projet de soins et/ou de vie personnalisé au niveau des unités de
soins pour les patients en fin de vie. Malgré que dans le décret
n° 2-06-656 du 13 avril 2007 relatif à l'organisation
hospitalière dans l'article 8, oblige chaque centre hospitalier à
définir, pour une durée déterminée, les objectifs
généraux de l'établissement, dans le domaine
médical et de soins infirmiers, de la formation, de la gestion et du
système d'information. Cet écart peut être expliqué
par le fait que les infirmiers ne sont pas encore sensibilisés en
matière de projet et le manque de travail collégial au sein de
l'établissement. Certes, selon des auteurs (Autret et Gauthier-Pavloff,
2006; Damyier, 2000) la continuité des soins est corroborée
et favorisée par la définition d'un projet de soins et/ou de vie.
L'explication peut être faite soit par l'absence de plan de soins
personnalisés et/ou l'absence de l'évaluation de l'état du
patient d'une manière contenue exprimé respectivement par plus
de deux tiers des infirmiers participants.
La source de récolte des données des patients
par les infirmiers est multiple et varié. Ceci conduit à une
parfaite connaissance du patient pour la présentation du projet de soins
personnalisés en concertation avec lui. Ainsi le projet vise à
aider le patient et ses proches à se préparer à un
éventuel changement de priorité dans cette phase
vulnérable. Ce projet exige l'application de la réglementation en
vigueur, s'inspire de la religion en respectant la culture et l'avis du patient
et surtout l'application et le choix d'une conception infirmier parmi les
modèles les plus adaptés à la fin de vie à savoir
le caring.
Ce projet se basera sur les éléments
suivants :
1.4.1 Evaluation de la douleur
et soulagement de la souffrance du patient en fin de vie.
Presque la majorité des infirmiers avancent que les
protocoles de prise en charge de la douleur au niveau des unités de
soins de l'INO sont quasi inexistants. Selon les infirmiers, ceci est
lié à l'absence d'un projet de soins dans les unités de
soins, ainsi qu'a un manque de travail d'équipe, mais, surtout, et
à l'unanimité, à l'existence d'une unité
spécialisé de l'évaluation et le traitement de la douleur.
Tous les infirmiers affirment lorsqu'un patient se plaint de douleur, ils font
appel au médecin traitant, la moitie seulement tente de soutenir et de
rassurer le patient. Ils ne procèdent pas à l'évaluation
de la douleur, comme il a été soulevé par Nejmi (2001) la
méconnaissance des outils d'évaluation est l'une des
barrières principale de la sous estimation de la douleur en pratique
clinique, et par suite sa prise en compte. En parallèle les
médecins ont manifesté le besoin de formation des outils, dans
l'étude de validation de la version arabe du questionnaire
« BPI » (Nejmi, 2001).
Les infirmiers donnent plus d'importance aux soins techniques
prescrits. Ceci est reflété par le soulagement de la souffrance
par l'administration de médicaments. Cependant, la douleur et la
souffrance du patient sont accompagnées d'autres symptômes. Ces
derniers doivent être pris en considération par les infirmiers,
lors de la planification des soins, ils procèdent à
l'identification et l'évaluation des sources de souffrance du patient
ensuite ils planifient les actions nécessaires en concertation avec lui.
1.4.2 Satisfaction des besoins
des patients
Les différents besoins ne sont pas pris en
considération par plus de deux tiers des infirmiers, du fait qu'ils se
focalisent sur les soins prescrits, administration du traitement, au
dépend des autres soins qui sont généralement
laissés à la famille comme les soins d'hygiène et les
infirmiers ne cherchent pas à communiquer avec les patients.
L'étude faite par le comité de suivi des soins palliatif en
France estime que les patients en fin de vie privilégient le
contrôle des symptômes, la réponse aux besoins...
(Comité de suivie soins palliatif et accompagnement, 2004). Ceci
lèse la relation entre infirmiers/patients/proches. Les infirmiers
affirment aussi donner de l'importance à la dimension spirituelle. Ce
qui est en parallèle avec les propos de Watson qui précise qu'en
s'ouvrant à des dimensions spirituelles, les infirmiers peuvent
améliorer la qualité des soins aux personnes (Kerouac et coll
,2003). Mais la majorité des infirmiers ne prennent pas en charge la
phase d'agonie et ne donnent pas d'importance aux attentes et ne respectent
pas la volonté du défunt, ceci porte atteinte à tout ce
qui aura de sens chez les patients par suite aux besoins spirituel.
1.4.3 Accompagnement et soins
relations
Presque la moitié des infirmiers avancent qu'ils
n'organisent pas des séances éducatives au profit des patients et
aux proches, dont les principales activités concernent le traitement et
la lutte contre la douleur, respectivement soulevées par la
majorité des infirmiers participants à l'étude. En plus,
les infirmiers ne donnent pas d'importance à la connaissance du mode de
vie, ou de l'histoire du patient (plus de 50 % des participants). Ceci peut
empêcher l'élaboration d'une activité éducative
personnalisée dans un projet de soins, du fait que l'activité
éducative doit être personnalisée se basant sur des
données personnelles et tenant compte de unicité de la personne.
La relation est au coeur du soin, selon la majorité des
infirmiers, la nature de relation établie avec les patients est une
relation de soutien et de compréhension, ou une relation d'aide
thérapeutique. Certes, Richard (2001) avance qu'il n'existe pas un temps
pour la technique et un temps pour la relation humaine ; la place
prépondérante de la technique exige un surcroît d'attention
concernant la qualité de l'accompagnement en humanité. En plus
l'infirmier rentre en contact avec les patients depuis l'accueil qui doit
être conviviale car c'est lui qui déterminera parfois la nature de
la relation qui va être développé entre l'infirmier
/patient/ proches. Ainsi, selon Rioufol, (2002) l'infirmier essaie de pouvoir
préserver un accueil bienveillant basé sur l'orientation et
l'écoute, de créer une ambiance calme et sécurisante pour
faciliter l'adaptation des patients à leur nouvel environnement et tente
de réduire leur détresse et leur angoisse
L'infirmier ne montre pas de congruence ni
d'authenticité ni de communication avec les patients, du fait qu'il
ressent l'échec et ne trouve pas, parfois les réponses aux
questionnements du patient et des proches. De même l'absence d'empathie
envers les patients et leurs familles est à l'origine de
difficultés relationnelles pouvant dégénérer en
conflits.
1.4.4 Soutien aux
proches
Il ressort des résultats que les proches sont
associés dans la prise en charge du patient en fin de vie par les
infirmiers, ceci dans le but de leur déléguer certaines
tâches pour les responsabiliser. C'est une phase de préparation
à l'éventuel changement, ainsi selon Demyier (2006), l'aide et
conseil dispensés par l'infirmier, sont intégrés dans son
rôle quotidien auprès des proches. Ils doivent en fait comprendre
certain souci des proches mais surtout leur donner l'explication requise pour
les préparer au deuil. L'implication relationnelle vis-à-vis des
proches est un aspect central du travail infirmier. Elle constitue un processus
dynamique qui évolue en fonction de certaine donnée.
La prise en charge des patients nécessite un engagement
de tous les intervenants dans une approche de pluridisciplinarité. Les
infirmiers ont un rôle indéniable qui doit être
couronné et corroboré par un projet de soins au niveau de
l'institut national d'oncologie de Rabat pour la bonne prise en charge des
patients.
2. Description des forces et
limites
1. 2.1 Force de l'étude
Les forces de cette étude sont : (a) c'est la
1ère étude qui traite la prise en charge des patients en fin de
vie au niveau de l'INO; (b) Le taux de réponse des infirmiers est de 84
%, (c) les écrits sont récents
a) 2.2 Limites de l'étude
Les limités soulevés sont : (a) la
complexité de la PEC des patients en fin de vie fait que les
différentes dimensions ne sont pas abordées ; (b) la
difficulté d'opérationnaliser les concepts de
l'étude ; (c) L'absence d'outils de mesure validés et
adaptés disponibles dans le contexte de la fin de vie pour qu'on puisse
les utilisés à l'exception de celui de l'évaluation de la
douleur; (d) la subjectivité des répondants pouvant influencer
les résultats de l'étude ; (e) cette étude ne
permettant pas la généralisation des résultats sur
l'ensemble des infirmiers vu la particularité du contexte de
l'étude, (f) La disponibilité des écrits empiriques en
rapport avec la PEC des patients en fin de vie par les infirmiers.
3. Enoncé des
recommandations
Au terme des résultats de cette étude, il parait
important d'avancer des recommandations pour améliorer la qualité
des soins prodigués et développer la pratique infirmière
en clarifiant le rôle infirmier dans la prise en charge des patients en
fin de vie. Ces recommandations intéresseront plusieurs niveaux
d'intervention stratégiques et opérationnels.
Niveau
stratégique
(a) l'environnement est propice à inviter les instances
responsables pour une mise à jour du règlement intérieur
des hôpitaux et son adaptation aux mouvements internationaux ; (b)
La gratuité des soins aux patients en fin de vie doit être
garantie par le système; ce qui va donner à tous les citoyens le
droit d'accès aux soins palliatifs ; (c) le changement de la
réglementation en vigueur concernant le traitement de la douleur par
« les opioïdes » pour faciliter l'accès
à ces médicaments; (d) l'instauration d'une stratégie
nationale des soins palliatifs et d'accompagnement des patients en fin de vie;
(e) renforcement de l'intervention des associations au niveau de
l'établissement hospitalier, en renforçant les partenariats
existants; (f) lors de la révision du programme du cursus de formation
des infirmiers polyvalents, il parait judicieux d'introduire une unité
d'enseignement/apprentissage qui s'intéresse aux soins palliatifs, en
plus des différentes conceptions infirmières; (g) révision
du volume horaire des stages et notamment la programmation d'un stage au niveau
des services d'oncologie et augmentation du volume horaire prévu aux
services de réanimation et soins intensifs; (h) lors de la formation de
base, initier les étudiants à la mise en oeuvre des projets
individualisés au cours de la période des stages. En poursuivant
cette approche, l'étudiant développera l'esprit critique et
façonnera facilement des outils de travail de planification et
d'organisation des soins requis.
Niveau
opérationnel
(a) l'amélioration des performances des professionnels
passe par l'amélioration des connaissances, ainsi les infirmiers seront
contraints de poursuivre des formations continues, vu le dynamisme qui
caractérise le domaine de la santé. (b) Dans le constat de cette
étude, les infirmiers doivent suivre des séances de formation
continue concernant plusieurs aspects liés à la fin de vie
à savoir les techniques d'évaluation de la douleur et de la
souffrance, les conceptions infirmières, l'accueil, les étapes
d'un projet, principe éthique en fin de vie, etc. (c) La mise en place
des outils de prise en charge des patients en fin de vie est une condition sine
qua non pour améliorer la qualité de soins et par suite l'image
de marque de l'infirmier. Cependant, l'implication et la participation du
patient et les proches reste un élément incontournable pour
réussir cette prise en charge. (d) L'étude a
révélé l'intérêt de mettre en oeuvre un
projet de soins ou de vie pour les patients en fin de vie. Ce projet
participerait à une augmentation de la satisfaction et de la
qualité des soins et par la suite une amélioration de l'image de
marque de l'établissement dans l'ère de l'humanisation où
on cherche à répondre aux attentes des patients en fin de vie et
à respecter la dignité humaine.
Le projet de soins infirmiers doit être
élaboré par l'équipe infirmier. Cette dernière
établit un plan des effectifs des infirmiers. Ils doivent travailler
aussi en concertation avec le projet médical, projet
managérial.
Le projet adoptera une philosophie de soins du
« caring » et/ou de Virginia Henderson : ceci dans le
respect de la dignité du patient en fin de vie, de manière
à lui préserver son identité et son intimité, en
gardant la continuité du service offert jusqu'au bout. Il s'agit de (a)
la désignation des infirmiers référents des soins
palliatifs au niveau de l'INO, (b) l'accueil bienveillant du patient et ses
proches en instaurant au niveau de l'établissement des personnes
s'occupant de l'orientation et donnant des informations utiles pour
l'hospitalisation où la sortie, et la standardisation du circuit du
patient au niveau de l'INO, (c) la discussion avec les patients de leur attente
et développement d'une relation authentique qui soit informelle,
informative ou thérapeutique, et aussi un accompagnement digne d'un
être humain jusqu'au bout de sa vie, (d) la planification de soins en
concertation avec le patient des différentes activités, (e)
l'évaluation de l'état du patient et de la douleur, (f) la
détermination des sources de souffrance du patient et le soulagement
doit être prioritaire, (g) le suivi et évaluation des actions
d'une manière permanente et ceci à la détermination des
besoins et symptômes éventuels en fin de vie; et l'administration
du traitement prescrit, (h) Information éducation et communication du
patient et de son entourage sur son état du patient, et la discussion
avec eux le lieu de soins préféré et un éventuel
transfère à domicile, (i) la prise en charge de la phase
terminale et de l'agonie par le respect des attentes de l'agonisant.
Tout cela ne peut être réussi sans un engagement
des infirmiers par leur participation effective dans l'établissement des
protocoles au niveau de chaque unité de soins concernant le traitement
de la douleur et autre activité, ce qui va permettre de standardiser la
prise en charge au niveau de l'INO. Toutefois, des formations continues
concernant les protocoles, les outils d'évaluation de la douleur sont
nécessaire.
Cependant les infirmiers sont invités à la
participation avec le staff médical aux visites et aux réunions
mensuelles de travail et à la formation et à l'encadrement des
stagiaires au niveau de l'INO. L'équipe doit encourager les initiatives
de recherche dans le domaine de la fin de vie, et définir le rôle
des associations des malades et famille au niveau de l'établissement.
C'est dans cette perspective que le projet de soins
constituera un Challenge entre les différents services de l'INO dans le
but d'améliorer la prise en charge des patients en fin de vie.
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