Université Victor Segalen Bordeaux 2
Faculté des Sciences de l'Homme
Formation professionnelle et professionnels
formateurs :
Le cas des stages cliniques infirmiers
Travail d'Etude et de Recherche
Master 1
Mention Sciences de l'Education
Présenté par Gaïta LE
HELLOCO-MOY
Sous la direction de
M. le Professeur Alain MARCHIVE
Année 2010
Université Victor Segalen Bordeaux 2
Faculté des Sciences de l'Homme
Formation professionnelle et professionnels
formateurs :
Le cas des stages cliniques infirmiers
Travail d'Etude et de Recherche
Master 1
Mention Sciences de l'Education
Présenté par Gaïta LE
HELLOCO-MOY
Sous la direction de
M. le Professeur Alain MARCHIVE
Année 2010
A ceux qui sont mon passé, mon présent et mon
avenir ...
Je remercie,
M. le Pr. Alain Marchive pour ses encouragements et ses
conseils avisés,
tous mes correcteurs attentifs et critiques,
tous les professionnels qui ont donné un peu de leur
temps si précieux pour tous leurs patients,
ma famille pour sa patience et son soutien permanent.
INTRODUCTION GÉNÉRALE
9
1 - ENVIRONNEMENT DE LA RECHERCHE
10
2 - AVÈNEMENT DES SCIENCES
INFIRMIÈRES EN FRANCE
11
CHAPITRE 1 ASPECTS THÉORIQUES
13
1 - Eléments nouménaux
14
1.1 - INTRODUCTION
14
1.2 - LA DIFFICILE DIALECTIQUE ENTRE
THÉORIE ET PRATIQUE DANS L'ALTERNANCE
14
1.3 - DE LA VALIDATION AUX
COMPÉTENCES
17
1.4 - DU TUTEUR AU TUTORAT
18
1.5 - CONCLUSION
20
2 - Aspect historique
20
2.1 - INTRODUCTION
20
2.2 - 1884-1920 : NAISSANCE D'UNE
FORMATION
21
2.3 - 1922-1972 : UNE FORMATION QUI
S'AFFIRME
23
2.4 - 1972-2009 : ASSERTION DU SOIN
INFIRMIER
25
2.5 - CONCLUSION
29
3 - Aspect législatif et
sociologique du rôle infirmier lors des stages cliniques
30
3.1 - ASPECT LÉGISLATIF
30
3.2 - ASPECT SOCIOLOGIQUE
32
CHAPITRE 2
APPROCHE MÉTHODOLOGIQUE ET ÉPISTÉMOLOGIQUE
36
1 - Un projet
37
2 - Le difficile cheminement : vers un
paradigme interactionniste
38
3 - L'action à analyser : de
l'interactionnisme symbolique à l'utilisation de la microsociologie
39
4 - L'enquête
40
4.1 - L'ENTRETIEN EXPLORATOIRE (CF. ANNEXE
N°2)
40
4.2 - LES SCÈNES ETHNOGRAPHIQUES
(CF. ANNEXE N°3)
41
4.3 - LES ENTRETIENS AUPRÈS DES
INFIRMIERS (CF. ANNEXE N°4)
42
4.4 - LES CONVERSATIONS INFORMELLES
44
4.5 - LES QUESTIONNAIRES AUPRÈS DES
ÉTUDIANTS
44
5 - Traitement des données
45
CHAPITRE 3
RÉSULTATS ET ANALYSE DES DONNÉES
47
1 - Point de départ de la recherche
48
2 - Des expériences de situations de
formation
49
3 - Le point de vue des étudiants
55
3.2 - CADRE INSTITUTIONNEL
56
3.3-CADRE ORGANISATIONNEL
59
3.4 - CADRE INTERPERSONNEL
61
3.5 - CADRE BIOLOGIQUE
66
3.6 - LE CAS D'ERIC : PARADOXE DE
L'APPRENTISSAGE DE LA FORMATION PROFESSIONNELLE INFIRMIÈRE.
68
3.7 - CONCLUSION
72
4 - Panorama des professionnels face
à leur fonction de formation
73
4.1 - L'ÉTUDIANT INFIRMIER :
ETUDIANT MODÉLISÉ OU ÉTUDIANT MODÈLE ?
73
4.2 - LE TRAVAIL EN ÉQUIPE :
MYTHE OU RÉALITÉ ?
77
4.3 - RELATION PÉDAGOGIQUE
SOIGNANTS-ÉTUDIANTS
80
4.4 - LA DIDACTIQUE DES SOINS INFIRMIERS
FACE À LA CONTRAINTE DU MILIEU DE SOIN
84
4.5 - ENSEIGNER CE QUI NE S'APPREND PAS
87
4.6 - CONCLUSION
89
5 - Conclusion du chapitre 3 :
« la formation par corps »
89
CONCLUSION GÉNÉRALE
92
BIBLIOGRAPHIE
95
Introduction
générale
1 - Environnement de la
recherche
Mettre espace autour des tirets de tous les titres...
Alors que la société s'interroge, en France, sur
ce qui peut entrainer le désespoir tel celui des salariés de
France Telecom (France-Soir, 14 avril 2010), nous ne pouvons supposer qu'il
s'agit là d'une situation unique, réservée à cette
entreprise et simplement exacerbée par une médiatisation
excessive. Bien sûr, loin de nous l'idée de penser que tous les
salariés sont désespérés mais, en revanche, nous
pouvons imaginer que les difficultés rencontrées et maintenant
dévoilées par ces salariés ne sont pas l'apanage de cette
entreprise. La gestion actuelle des hôpitaux par une volonté de
rentabilité et de contrôle des coûts en est une preuve s'il
en fallait.
Le système de tarification par la T2A, ou tarification
à l'activité, oblige les hôpitaux à faire
coïncider activité et budget. L'activité prise en compte se
résume alors à l'activité médicale pure sans
aucunement se pencher sur le patient en lui-même or, les patients
âgés et pluri-pathologiques, par exemple, pèsent bien plus
lourd en termes de soins à diagnostic équivalent, que le patient
qui vient pour une seule et unique pathologie. Depuis son avènement,
l'hôpital est lieu de charité pour les plus pauvres et cette
origine ne lui permet pas d'être compétitif face aux cliniques
privées choisissant leurs patients car il a conservé la notion de
service public se refusant encore de sélectionner les patients en
fonction de leur potentiel de tarification.
Heures supplémentaires, congés
fractionnés, retour au travail sur des repos... le lot quotidien de
plaintes des personnels hospitaliers imprègne les couloirs et forge
ainsi une image d'un grand corps malade qui ne sait plus comment faire des
économies. L'hôpital n'est plus le lieu où l'on
dépense sans compter. Si l'on rajoute à cela les délais de
prises de rendez-vous des patients ou encore l'attente dans les couloirs des
urgences, on comprend qu'il est grand temps de rendre au milieu hospitalier ses
lettres de noblesse, tant par la qualité des soins qui y sont
prodigués que par l'ensemble des recherches qui y sont entreprises.
L'hôpital lieu de formation et de recherche : rien ne peut contester
cela ; c'est bien dans les CHU que sont formés les médecins
et les centres hospitaliers sont les lieux les plus prisés par les
étudiants infirmiers pour y effectuer leurs stages cliniques.
Aujourd'hui, l'infirmier1(*) rebute à entrer dans une institution qu'il voit
comme un enfermement auquel il ne pourra peut-être plus se
soustraire ; il voudrait pouvoir exercer dans l'hôpital qu'il aime
sans avoir à affronter la gestion des quotas de matériel ou de
médicaments.
Participant alors, malgré lui, à la
pénurie actuelle que vivent les hôpitaux en terme de personnel
paramédical, l'infirmier apprend le caractère économique
de sa fonction et se tourne vers le plus offrant en travaillant pour le secteur
privé ou associatif ou en choisissant le travail intérimaire afin
de pouvoir poser ses congés sans conteste possible.
Pour rajouter une difficulté, alors que l'on
perçoit déjà les changements profonds que peuvent
entrainer la situation actuelle, les étudiants infirmiers ne pourvoient
aux quotas définis par le gouvernement et c'est un écart de 20%
selon l'étude nationale de la DREES (MARQUIER, 2006) que l'on retrouve
entre les entrants en formation et les diplômés trois ans plus
tard. Cette pénurie de personnel infirmier diplômé est donc
une réalité dans le champ national de la santé et il nous
parait important d'établir le contexte dans lequel a donc pris forme la
réforme de la formation infirmière de 2009.
2 - Avènement des
sciences infirmières en France
C'est le 31 juillet 2009 que l'arrêté relatif au
diplôme d'Etat infirmier était voté applicable dès
la rentrée de septembre 2009. Cette réforme était attendue
par le corps infirmier tant pour la reconnaissance de la formation à un
niveau licence que pour l'apparition des Sciences Infirmières. Les
Sciences Infirmières, dans leur cursus complet jusqu'au doctorat en
Sciences Infirmières, sont actuellement l'apanage du Québec et la
profession infirmière, en France, souhaite depuis plusieurs
années suivre ce modèle autonome et complet de cursus. Nous ne
pouvons pas dire que les IFSI2(*) ne s'étaient pas préparés
à cette réforme, pourtant, nous notons qu'à ce stade, le
laps de temps disponible entre l'arrêté et l'application de
celui-ci s'est avéré être relativement court.
La formation infirmière a ceci de spécifique,
depuis toujours, d'être une formation professionnelle. Cette profession
diverse et variée se disperse dans la spécialisation des
différentes disciplines médicales et lieux d'exercice, de
l'infirmier technicien de réanimation à l'infirmier psychiatrique
en passant par le soin à domicile. Elle semble pourtant se recentrer
dans la volonté d'asseoir sa spécificité en
légitimant une nouvelle discipline : les Sciences
Infirmières.
Parce que les Sciences Infirmières n'existeront que par
la reconnaissance universitaire, leur enseignement et la réalisation de
travaux de recherche, il faut maintenant utiliser les possibilités
qu'offrent les autres disciplines scientifiques pour permettre
l'avènement réel de ces Sciences en faisant émerger tout
ce qui participe à la création de modèles conceptuels.
Les Sciences de l'Education, discipline reconnue, font parties
des Sciences Humaines sur lesquelles les Sciences Infirmières commencent
à s'appuyer pour forger leurs propres recherches. L'éducation
infirmière tient donc à la fois du champ des Sciences de
l'Education et du champ émergeant des Sciences Infirmières. La
recherche présente s'inscrit dans ce processus fédératif
puisqu'elle cherche à appréhender le rôle des infirmiers
auprès des étudiants dans les stages cliniques.
Dans un premier chapitre, nous avons souhaité tout
d'abord préciser le sens de certains termes qui nous semblaient
essentiels à employer tout en accédant à un certain
consensus sur l'utilisation qui en serait faite au sein de ce travail. Lors
d'un second temps nous avons remis en contexte la pratique de la formation au
sein des stages cliniques infirmiers pour, ensuite, replacer cette recherche
à la fois dans les obligations institutionnelles et le champ
scientifique dans lequel nous nous sommes inscrits. Dans le deuxième
chapitre, nous avons abordé l'ensemble des questions
épistémologiques et méthodologiques qui ont
été soulevées et auxquelles nous avons tenté de
répondre. Dans le troisième chapitre, enfin, nous avons
exposé les résultats et notre analyse comme point de
départ à une tentative de dépassement de la question de la
construction à travers des valeurs communes ou bien qui diffèrent
grâce à l'incorporation de l'essence d'une profession pour la
refaire sienne et ainsi pouvoir la modifier. La prise de conscience de cette
incorporation permettrait alors de dépasser
l'« habitus » incorporé, le modifier et en engendrer
un nouveau qui en engendrerait lui-même un autre puis encore un autre et
ce à l'infini pour s'adapter au contexte sans rupture diachronique.
Chapitre 1
Aspects théoriques1 - Eléments
nouménaux
1.1 - Introduction
Cette recherche se trouve à la croisée du champ
de la formation et du champ professionnel et il nous a semblé
indispensable de préciser certains concepts pour les intégrer
ensuite dans la présente recherche au sein de l'éducation
infirmière.
La doxa, au sens d'opinion commune, utilise des mots
sans que nous sachions pourquoi nous prenons ceux-là plutôt que
d'autres, comme si un consensus tacite existait sur le sens qu'ils prennent
selon le contexte dans lequel ils sont employés. Sans penser que ce sens
doive être dénié, il est pourtant indispensable de savoir
ce qui se cache derrière ces mots qui sont finalement bien plus que des
mots puisqu'ils représentent des concepts. Pour les stages cliniques
infirmiers, comme pour tout lieu d'apprentissage, les Sciences de l'Education
emploient des termes qu'elles se sont attachées à préciser
et à mieux cerner dans l'ensemble de leurs travaux. Avant d'aborder
notre recherche en elle-même, il nous a donc semblé important de
reprendre un certain nombre de concepts en les abordant en relation avec notre
recherche. Donner du sens ou plutôt redonner le sens précis
à ce que nous utilisons et toujours se demander pourquoi nous utilisons
ce mot plutôt qu'un autre, voici ce qu'il a semblé important de
réaliser pour effectuer une recherche qui ne peut utiliser les
écrits précédents, trop éloignés de l'objet
ou l'observant d'un angle trop différent. L'objet de la recherche
s'étant précisé rapidement pour se tourner vers la
formation des étudiants lors des stages, les Sciences de l'Education ont
été le domaine dans lequel nous avons le plus puisé.
1.2 - La difficile dialectique entre théorie et pratique
dans l'alternance
Thierry Joutard place la formation infirmière dans la
formation postscolaire (Joutard, 2008) et notre recherche souhaite plutôt
sortir de ce schéma pour, justement, faire la jonction entre formation
professionnelle et forme scolaire initiale pour permettre à celles-ci de
puiser l'une dans l'autre sans s'opposer. Pour effectuer cette jonction, il
faut malheureusement admettre qu'il existe bel et bien une distanciation entre
les deux et c'est bien toute la difficile dialectique retrouvée dans ce
travail. Les premières questions ont donc émergé de cette
dialectique, au départ pressentie au sein de notre propre
expérience professionnelle riche et variée : quelles
conséquences la réforme de 2009 allait-elle avoir sur les
apprentissages cliniques ? L'organisation des stages et la diminution du
nombre de ceux-ci allaient-ils avoir une influence sur la qualité de la
formation ?
Ces questions méritaient que nous nous
intéressions tout particulièrement au statut spécifique de
la formation infirmière qui se constitue par l'alternance. La formation
par alternance reste aujourd'hui encore ancrée au sein de deux
idées fortes (la lettre du CEDIP n°13, 2000) :
· Théorie et pratique sont deux
entités à la fois opposées et complémentaires ; la
pratique permet d'ancrer la théorie et « lui donne forme »
;
· Le centre de formation est le lieu
privilégié de transmission de la théorie et la situation
de travail, le lieu privilégié d'exercice de la pratique.
L'alternance est « le plus souvent organisée
selon une logique de partage des objectifs de formation où l'entreprise
se voit chargée de mettre en pratique, d'appliquer et de
compléter les savoirs proposés par le « centre ». C'est
alors, entre les savoirs théoriques et les savoirs pratiques, une
logique de découpage disciplinaire qui prévaut. »
(Geay, Sallaberry, 1999, 13) Nous nous retrouvons ainsi face à une
alternance plutôt conçue comme une association d'acquisitions
pratiques en situation de travail d'un côté et de théories
à l'institut de l'autre côté.
La formation infirmière n'échappe pas à
cette théorisation de l'alternance et même si elle revendique une
alternance intégrative en actant sur les liens forts existants entre
IFSI et terrains de stage, nous le verrons plus en détails
ultérieurement, il n'en reste pas moins une réelle dichotomie
ressentie par les étudiants entre lieux de formation et lieux de stages.
Nous pourrions donner beaucoup d'exemples pour illustrer ceci mais nous nous
contenterons d'en donner un, issu de notre pratique infirmière :
De retour d'un stage aux urgences en temps que stagiaire de
3e année, nous avons été confrontée
à la pose, dans l'extrême urgence vitale, de cathéter
veineux avec une désinfection du point de ponction sans nettoyage
préalable du bras, et donc en dehors des recommandations
d'hygiène de l'IFSI. Dans une attitude réflexive, nous avons donc
demandé à l'IFSI quelle était la meilleure attitude
à développer dans cette situation : fallait-il reposer le
cathéter, une fois l'urgence vitale passée, dans les
règles de l'art ou fallait-il laisser le cathéter en place pour
éviter le risque inhérent à une nouvelle brèche
cutanée ?
La réponse apportée a été :
de toute façon, toute pose de cathéter veineux doit être
faite dans les recommandations strictes d'hygiène.
Cet exemple permet de mieux préciser la
difficulté de l'alternance intégrative dans le domaine des soins
infirmiers car ces soins sont face à l'être humain et sa
complexité, très loin d'une science exacte où l'on
pourrait utiliser l'analogie totale afin de réagir à la
perfection en transposant une situation vers une autre.
En effet, il faut faire confiance en la « conscience
perceptive » (Bennet, 1984) des professionnels de santé et
accepter que ce qui peut être au départ une vague intuition puisse
relever d'une posture professionnelle à acquérir pour devenir un
infirmier expert. Cet aspect de la formation infirmière ne peut que
gêner formateurs et cliniciens puisqu'il ne se transmet pas par la
théorie mais plutôt par une attitude d'ouverture envers ses
propres sentiments et ressentiments face au malade.
Et si le mythos, récit fondateur de pratiques
sociales, selon l'étymologie grecque du terme mythe ne devait pas
s'opposer au logos, intelligence du discours ? Et si, pour la
formation infirmière, l'intégration de savoirs théoriques
et de savoirs d'action était une condition indispensable à
l'autonomie professionnelle ?
Notre société s'est construite par et
grâce à une forme scolaire prédominante (Vincent, 1994)
où l'enseignant face au groupe d'apprenants permet la transmission des
savoirs beaucoup plus rapidement que dans des relations duales. Pourtant, comme
se plait à le rappeler régulièrement Michel Serres,
« l'obsession pour la théorie nait chez ce petit peuple
toujours en guerre civile, inférieur à tous les empires qui
l'entourent, les Grecs, et leur permet, avec un effort minimum de renverser des
rapports de force qui semblaient leur être à jamais
défavorables. » (in Latour, 1995, 101) Nous pouvons
alors nous poser la question de cette prédominance de forme scolaire
actuelle : l'enseignement des savoirs se doit-il absolument d'être
effectué par la parole d'un enseignant à un groupe
d'élèves ou d'étudiants ? Nous aurions tendance
à penser que si le récit fondateur a existé et
perduré jusqu'à l'ère de l'imprimerie, il ne serait pas
judicieux de le jeter au placard suite à l'arrivée d'une nouvelle
forme de transmission. La transmission par l'oral et le mimétisme ont
donc fait leurs preuves durant des millénaires et l'apparition de
l'écrit nous a peut-être caché ce qui demeurait pourtant
devant nos yeux. Loin de nous l'idée de vouloir prouver ici que ce qui
relève de l'écrit et de la théorie n'a pas permis une
progression fulgurante de la transmission des savoirs, cependant cette forme
d'apprentissage unique n'est peut-être pas suffisante. Il apparaît
donc comme essentiel, pour rester ouvert à l'amélioration de
cette transmission des savoirs, de conjuguer et d'inventer sans cesse de
nouvelles combinaisons des formes d'apprentissage possibles.
Espérer effacer la dichotomie entre théorie et
pratique semble encore aujourd'hui un pari impossible, « sans la
distinction entre savoir théorique et savoir pratique, il semble que
quelque chose d'essentiel à la vie publique soit perdu. Pour certains,
semblables à leurs ancêtres les Gaulois, il semble que, sans ce
solide pilier, le ciel menacerait de leur tomber sur la tête. »
(Latour, id.) Faire avec cette distinction est alors un challenge encore plus
grand puisqu'elle souligne un peu plus cette contradiction entre théorie
et pratique. Pourtant, la théorie sans pratique serait un peu comme
être mère sans enfant et c'est bien de l'action que la
théorie émerge. Dans la même idéologie, une pratique
sans théorie serait une mère sans sentiment, elle agirait
automatiquement, sans se poser de questions et toujours sur le même
modèle calqué à l'infini. Immanquablement, elle
engendrerait ainsi des monstres et l'humanité ne pourrait que s'effrayer
de ce que cette pratique sans racine entrainerait pour l'action au
quotidien.
La connaissance théorique est bien au fondement de
toute pratique conceptualisée mais croire que cette théorie
pourra permettre de tout maîtriser serait certes rassurant, mais
empêcherait aussi cette théorie d'évoluer. « Il
ne sert à rien de rejeter son intuition de praticien, ni de laisser
croire qu'elle serait le mode infaillible de la connaissance du
vivant. » (Cifali, 2005, 281) C'est donc dans le mouvement de
va-et-vient entre théorie et praxis que la connaissance se construit, et
ce que l'on soit étudiant, praticien ou chercheur. Si nous sommes
maintenant persuadés de cela, il n'en est peut-être pas de
même des différents acteurs de la formation infirmière.
Repérer ce qui empêche ce mouvement de se faire sans entrave
devrait nous aider à mieux profiter du changement essentiel que procure
la réforme actuelle de cette formation. Ceci pourrait également
nous permettre d'entrevoir une voie entre formation et éducation, entre
savoir, savoir-faire et savoir-être, entre théorie et pratique.
1.3 - De la validation aux
compétences
Avant de se centrer sur certaines compétences
spécifiques apparaissant dans la réforme de la formation
infirmière de 2009, nous devons ici préciser la tendance de la
substitution actuelle des qualifications vers les compétences.
« En effet, les notions de qualification et de compétence sont
souvent utilisées pour parler globalement des qualités
détenues par un individu au sein de la relation salariale - la
deuxième notion (celle de compétence) semblant, ces vingt
dernières années, se substituer à la
première. » (Segal, 2005, 5) L'hôpital est soumis au
changement sociétal comme institution reconnue à part
entière et il n'est donc pas étonnant d'y voir également
se substituer les compétences aux qualifications.
Jusqu'à présent, les étudiants
étaient évalués par la validation d'épreuves
nécessaires à l'obtention de leur qualification. Ce
système est révolu, l'étudiant infirmier devra
dorénavant valider des compétences pour obtenir, une fois
celles-ci entièrement validées, le droit de se présenter
au diplôme d'Etat. Bien entendu, la question de la validation de ces
compétences reste proche de celle de l'évaluation des
étudiants en stage ou, plus encore, de celle de l'évaluation lors
du soin « idéal » que représentait la
MSP3(*). L'obligation de
partenariat entre terrain et centre de formation ainsi perdure mais n'y a-t-il
pas justement un enjeu de pouvoir dans ce mélange de
responsabilités vis-à-vis de l'étudiant ?
Pour l'étudiant, ces compétences à
acquérir relèvent du défi individuel. Difficilement
palpable, ce savoir-être doit être reconnu avant que
l'étudiant puisse exercer. Comment permettre l'acquisition de ce
savoir-être exigé mais inexplicable ? C'est là que
l'enjeu du rôle des professionnels nous semble le plus
élevé. La compétence ne relève effectivement pas
uniquement du savoir-faire mais « d'une capacité
stratégique, indispensable dans les situations complexes. La
compétence ne se réduit jamais à des connaissances
procédurales codifiées et apprises comme des règles,
même si elle s'en sert lorsque c'est pertinent. Juger de la pertinence de
la règle fait partie de la compétence » (Perrenoud,
1999, 16), et juger de l'usage de cette compétence en fait
également partie. Cette notion de compétence entraîne donc,
pour les formateurs comme pour les soignants, un certain nombre de
pré-requis posturaux pour lesquels la connaissance est utile et non
suffisante en elle-même, permettant à l'individu de
développer une certaine autonomie et d'élaborer une attitude
réflexive face à l'apprentissage.
1.4 - Du tuteur au
tutorat
Le tuteur est la tige qui soutient ou protège une
plante comme la personne chargée de veiller sur un mineur ou un
incapable majeur. Par extension probable de l'anglais tutor, le tuteur
est aujourd'hui aussi l'enseignant, l'étudiant, l'élève ou
le professionnel chargé de prendre soin d'un élève, d'un
étudiant ou d'un stagiaire. Dans cette vision du tuteur, on comprend
bien que l'infirmier, professionnel de la relation d'aide, considère sa
fonction auprès des étudiants comme une fonction tutorale.
Pourtant, l'autorité incontestable des professionnels
« en tant que personnes expérimentées (...), sorte de
modèle social pour les tutorés, capable de les guider de
façon intense dans leur formation ou leurs apprentissages »
(Baudrit, 2000), relève non pas du tuteur mais du mentor, sorte
de guide conseillant le novice jugé encore incapable d'autonomie. Or, le
tuteur ne doit pas être un supérieur hiérarchique dirigeant
et imposant mais bien celui qui permet l'expression libre et la prise
d'initiative. Nous pourrions affirmer qu'il suffit d'utiliser de jeunes
infirmiers pour favoriser cette proximité mais nous comprenons alors mal
la réalité des pratiques qui veut que les jeunes infirmiers ne
s'occupent pas des étudiants la 1ère année de
leur diplôme et il est encore plus difficilement concevable d'imaginer
enlever ce rôle aux infirmiers expérimentés.
Pourtant, dans cette relation duale d'accompagnement de
l'étudiant infirmier, la fonction tutorale semble bien avoir sa place ne
serait-ce que part les qualités importantes pour l'exercice du
tutorat : « il s'agit de l'empathie, la disponibilité, la
capacité de ne pas juger, l'aptitude à donner ou à
recevoir des feed-back, la disposition à mettre l'interlocuteur à
l'aise. » (Baudrit, id.) A ce stade, nous pouvons donc
imaginer que le tutorat se pratique dans l'éducation en soins infirmiers
mais qu'il ne doit pas toujours être la seule fonction utilisée
dans les stages cliniques, du fait de la proximité fluctuant selon les
statuts et expériences de chaque protagoniste.
Et si l'on considérait l'infirmier comme un tuteur
professionnel tel que dans les formations professionnelles par alternance en
entreprise ? Sur le plan législatif, un tuteur est « un
employé de l'entreprise chargé d'encadrer, de former,
d'accompagner une personne durant sa période de formation afin de
faciliter son intégration dans l'entreprise »4(*) alors que le tutorat
serait « l'action d'associer, pour une période donnée,
une personne confirmée du domaine de compétence et une personne
débutante du même domaine »5(*). Plus question alors de laisser
les jeunes infirmiers agir, il s'agit d'utiliser l'expertise des professionnels
confirmés. Se repose alors la question de la distance avec
l'étudiant et de la possibilité d'établir des liens
suffisants pour permettre à l' « effet tuteur »
de prendre sa pleine mesure.
1.5 - Conclusion
Les étudiants infirmiers sont à la fois soumis
aux changements communs à l'ensemble des étudiants dans les
questions relatives tant à leur formation professionnelle qu' aux
spécificités de leur formation qui repose, depuis toujours, sur
les stages cliniques et l'apport de connaissances au sein de ces stages. Cerner
l'objet de notre étude devait donc passer par l'utilisation des champs
théoriques de la sociologie de la formation et de la psychologie ou
encore de la psychologie sociale, pour aborder plus précisément
l'étude de la formation en soins infirmiers au sein des stages cliniques
sans être aveuglé par notre propre discipline. Les concepts
étant posés nous souhaitons qu'ils soient entendus ainsi dans la
suite de la lecture, et en-dehors de leur utilisation dans « le
modèle de sens commun » (Searle, 1985, 96) des agents puisque
nous ne pouvons entrer totalement dans leur
« Arrière-plan » (Searle, id.)
2 - Aspect historique
2.1 - Introduction
Mieux comprendre les représentations sociales que nous
avons du métier d'infirmier, mieux réaliser pourquoi ce
métier reste pour tous attaché à l'image d'un infirmier et
même plutôt d'une infirmière dont les qualités
premières devraient être « vocation, idéal,
enthousiasme, bonté, dévouement, oubli de soi, courage,
énergie, sang-froid, méthode, obéissance, discipline,
respect de la hiérarchie, politesse, tact, bonne humeur,
propreté, ordre, économie et initiative » (Kniebiehler,
1984), c'est avant tout chercher d'où viennent ces
représentations. De la même manière, les stages font parti
de l'image que nous avons de la formation des infirmiers et nul n'imagine qu'un
infirmier n'ayant pas côtoyé le quotidien des services de
santé puisse revendiquer le droit de soigner les gens.
Comment est née la formation infirmière ?
De quelle manière la formation pratique par les stages s'est-elle
articulée à la théorie ? Toutes les réponses
à ces questions devraient nous aider à mieux comprendre les choix
actuels de la réforme de la formation infirmière. L'histoire de
la formation est difficile à retracer dans le détail en France
et la difficulté d'accessibilité aux annexes des textes
législatifs rend la tâche vraiment ardue. Aussi, nous ne pouvons
que saluer et remercier le travail de compilation effectué aux seins des
IFSI sur lequel nous nous sommes appuyés. C'est donc à travers
l'histoire d'une école en particulier, qui nous a été
contée à la fois par des formateurs et à la fois par des
infirmiers issus de l'Institut de Bagatelle, que nous allons revivre le chemin
historique des stages de ceux que l'on nomme aujourd'hui étudiants en
Soins Infirmiers. Notre dessein est de mieux réaliser ce que chaque
étape et chaque changement a pu engendrer au sein des écoles
aujourd'hui nommées IFSI. Voici donc l'histoire de la formation vue
à travers l'IFSI de Bagatelle à Bordeaux.
2.2 - 1884-1920 :
naissance d'une formation
2.2.1 - Au départ : une vocation de soin
C'est en 1884 que Mme MOMMEJA, directrice de la maison de
santé protestante de Bagatelle à
Bordeaux, « organise des cours ouverts aux jeunes filles qui se
destinent aux soins et aux jeunes mères désireuses de puiser
quelques notions de science pour soigner leurs malades ou élever leurs
enfants. » (
www.mspb.com) Elle confie les cours
théoriques à un médecin qui en accomplira 22 de
décembre à mai pour des femmes de toutes classes sociales et sans
niveau scolaire particulier. Ces cours qui avaient préalablement
été annoncés dans les journaux connaîtront un
succès chargé d'espérance pour la directrice qui
s'établissait en conséquence dans une posture de qualité
des soins par la formation.
La société des secours aux blessés
militaires de la Croix Rouge, seul organisme alors habilité à
organiser les examens, délivrera 20 diplômes de garde-malade de
1887 à 1890 aux bénéficiaires de ces cours mais refusera
par la suite de décerner les brevets en regard de la concurrence alors
créée face à leurs propres écoles.
2.2.2 - Soins et qualité de formation : un pari
gagnant
En 1890, l'école prend le nom
d' « école libre et gratuite de gardes-malades de la
Maison de Santé » avec un programme d'études
établi. Celui-ci se réalise sur une durée de 2 ans
s'articulant autour de cours théoriques, de conférences
effectuées par des médecins et de cours pratiques
dispensés par la monitrice-répétitrice. Deux
catégories d'élèves se profilent subséquemment,
avec d'un côté les auditrices externes assistant aux cours sans
effectuer de stage clinique et de l'autre les
« dames-élèves » effectuant un stage clinique
obligatoire en deuxième année qui se distingue du service en
salle assuré par celles-ci au quotidien.
Pas à pas, la formation gagne en qualité,
ajoutant des enseignements au fur et à mesure des années, mais
sans jamais sacrifier l'exigence de l'enseignement dispensé au nombre de
reçu.
2.2.3 - Soins et pédagogie : le système
Nightingale
En 1902, Anna HAMILTON, docteur en médecine ayant
soutenu sa thèse sur « Les considérations sur les
infirmières des hôpitaux », prend la direction de
l'école et la renomment alors « Ecole Hospitalière et
cours libres et gratuits de gardes-malades ». Promouvant les
méthodes de Florence NIGHTINGALE présentées dans le
paragraphe suivant, elle adopte le programme du Conseil Supérieur de
l'Assistance Publique supprimant alors le diplôme décerné
aux auditrices externes. Les élèves effectuent 645 jours de
stages sur leurs 2 années d'études dont au moins 14 nuits
d'affilée. Les journées incluent 8h de service et les
élèves ont un jour de congé par mois et un mois de
congés par an. Un carnet comptabilisant les heures qu'elles effectuent
voit le jour pour permettre le suivi des acquisitions. Il est alors
évalué tous les mois par la directrice.
Cette école sera dédoublée à
l'hôpital Saint-André de Bordeaux grâce au soutien d'un
médecin convaincu par le système Nightingale. L'école de
pensées du système Nightingale doit alors être comprise
comme une institution formant des soignants compétents qui, à
leur tour, formeraient les étudiants (Blondeau, 1999). Nightingale
retient, pour son école d'infirmières, les principes suivants :
1) le nursing est un art pour lequel les femmes doivent être
spécialement formées; 2) l'organisation du service des malades
s'inscrit dans le cadre d'une hiérarchie féminine; 3)
l'hôpital, comme lieu de formation et de service des infirmières,
offre la résidence pour parfaire l'éducation morale des femmes.
L'école, conçue dans cette optique, doit dispenser une meilleure
formation aux infirmières et permettre à l'hôpital, auquel
elle est affiliée, une organisation plus rationnelle des soins
assurés par la participation des étudiantes au service des
malades (Daigle, 1991). Dans ce système, l'école et
l'hôpital sont administrés de manière indépendante
et poursuivent un objectif commun d'efficacité accrue (Reverby,
1988).
2.2.4 - Avant le portefeuille de compétence :
le carnet de stage
En 1910, le carnet de suivi devient le carnet de poche
représentant la qualification ou la capacité à exercer le
métier de garde-malade. Dans ce carnet les élèves dressent
ainsi la liste des principaux exercices pratiques à effectuer durant
leurs stages, passant ainsi d'un suivi des heures à un suivi des actes
de soins acquis. Après vérification des acquisitions dans la
pratique, la cheftaine le signe. Ce carnet représente alors la
qualification ou capacité à exercer le métier de
garde-malade.
En 1918, l'école sort grandie de l'épreuve de la
grande guerre par l'accomplissement d'un service exemplaire dans le soin aux
défenseurs du pays. Les héritiers de Florence Nightingale lui
permettent de s'octroyer le nom de leur illustre parente cette même
année et la reconnaissance du travail accompli sert encore une fois de
catalyseur à la volonté de sans cesse améliorer la
qualité des soins. Dans cette idéologie, l'école continue
de travailler à l'amélioration de la formation et met en place
ses propres réformes.
2.2.5 - Quand la praxis précède la
théorie
En 1920, le programme change et les élèves font
22 mois de stages consécutifs dans des secteurs divers et variés.
Le travail personnel y est alors considérable alors que les acquisitions
théoriques se font « naturellement » durant les
stages. C'est le savoir dans l'action qui prime, faisant la part belle aux
apprentissages des actes pratiques et obligeant les élèves
à travailler sur les cours théoriques en sus du service
effectué durant les stages.
Une 3e année de stages
rémunérés est effectuée à l'issue des 22
mois, permettant dès 1924 aux élèves de recevoir le titre
de « certificat d'aptitude pédagogique de l'Ecole Florence
Nightingale ». Nous sommes là encore dans les principes de
Nightingale selon lesquels les professionnels bien formés peuvent,
à leur tour, permettre aux étudiants de se former dans la
continuité de la transmission des savoirs au même sein du milieu
du travail. Les savoirs sont puisés dans l'action et transmis par
l'action pour l'essentiel des qualifications que les garde-malades se doivent
de posséder.
2.3 - 1922-1972 : une
formation qui s'affirme
2.3.1 - La polyvalence comme profession de foi
Alors qu'un 1er décret du 27 juin
19226(*) institue
un brevet de capacité professionnel qui permet de porter le titre
d'infirmière française et où l'on ne parle alors que
« d'un stage reconnu suffisant », Anna Hamilton participe
à la législation des écoles au sein du Conseil de
perfectionnement des Ecoles d'Infirmières créée par ce
même décret. Ce travail aboutira à
l'arrêté du 24 juin 19247(*) qui définit les programmes des
écoles d'infirmières de l'Etat français. Les 22 mois de
stages y sont repris avec un 1er stage probatoire d'un mois puis des
stages effectués dans les salles des hôpitaux :
o 5 mois en médecine adulte
o 5 mois en chirurgie adulte
o 2 mois en médecine des enfants
o 2 mois en chirurgie infantile
o 2 mois avec les contagieux
o 2 mois pour les soins aux femmes et aux
nouveau-nés
o 3 mois dans des spécialités diverses (yeux,
voies urinaires, larynx...)
L'idée du carnet de stage y est également
présente.
En 1923, avec le titre de " Diplôme de Gardes-malades
Hospitalières de l'Ecole Florence Nightingale ", les
élèves sont autorisées à se présenter au
Diplôme d'Etat.
2.3.2 - La théorie progresse
En 1951, des changements apparaissent dans la formation suite
à la publication de l'arrêté du 18 septembre
19518(*) : les
élèves effectuent alors 57 heures de stages par semaine pour 9
heures de cours en 3 fois 3 heures. La théorie gagne sur la formation
clinique en stage et le niveau scolaire requis qui s'ensuit grandit
parallèlement. A cette époque 50% des élèves sont
bachelières à l'école Nightingale et
« l'étude de cas » est introduite dans la formation
sous la forme d'un exposé de chaque élève, tour à
tour, sur la situation d'un malade dans un service. Les élèves
commencent à prendre une attitude plus analytique face aux soins
exercés et des compétences langagières sont
exigées.
2.3.3 - Pénurie et qualité
En 1960, la réputation de sévérité
de l'école de Bagatelle entraîne des difficultés de
recrutement des élèves et le travail d'une semaine y est
très intense :
o 45 heures de stage la 1ère année,
40 heures la 2ème année au minimum comme le veut le
programme,
o 9 heures de cours avec, en sus, le travail personnel,
o 1 semaine de veille, toutes les 6 à 8 semaines.
Pour pouvoir dégager du temps aux élèves
afin qu'elles puissent avoir plus de loisirs et de temps d'étude, il
faudrait former un nombre plus important d'infirmières. Alors que dans
les hôpitaux plus d'une infirmière sur deux n'est pas
diplômée, à la Maison de Santé de Bagatelle on
déplore la difficulté de mise en place d'une sélection
exigeante et sérieuse à l'entrée de l'école sans
pour autant sacrifier la qualification du personnel consubstantielle à
la qualité des soins administrés.
2.3.4 - Un métier techniciste
En 1961, le nouveau programme modifie encore la formation
adaptant celle-ci aux évolutions de la technicité et
plaçant la personne malade au centre de la formation. Dix ans plus tard,
en 1970, le CEEIEC9(*), qui
deviendra le CEFIEC10(*)
en 1994, élabore un préprogramme de formation que l'école
Nightingale intègrera, entrainant des modifications importantes de
l'emploi du temps :
o Les cours auront lieu le mardi après-midi et le
mercredi,
o 1 jour et ½ de congés par semaine est
institué,
o 1 semaine de nuit tous les 2 mois.
L'enseignement pratique à l'école diminue de 10
heures par semaine en 1 an alors que le travail de groupe et l'auto
enseignement sont introduits et développés conjointement à
la diminution du volume des cours magistraux. Une volonté
pédagogique apparaît dans l'apprentissage et la formation se
calque sur la société et son évolution, en allant vers des
connaissances techniques plus grandes tout en se tournant aussi vers la
possibilité de profiter davantage des ces évolutions grâce
à l'allongement du temps de loisirs.
2.4 - 1972-2009 :
assertion du soin infirmier
2.4.1 - Soins infirmiers et préservation de la
santé
1972 voit le dernier diplôme d'Ecole pour faire place au
diplôme d'Etat de la réforme de l'arrêté du 5
septembre 197211(*) où la formation passe de 22 à 28 mois,
centrée non plus sur la personne malade mais sur la promotion de la
santé. L'intégration de la prévention et de
l'éducation à la santé en est l'indicateur le plus parlant
au sein d'un changement de point de vue très important pour le
système de santé. La formation comporte alors 2152 heures de
stages dont 1568 heures à temps partiel et 584 heures à temps
plein. Pour mieux comprendre comment se décompose alors le temps de
stage par rapport au temps théorique nous présentons, in
texto, un schéma nous semblant plus à même
d'illustrer les découpages temporels :
1ère période
2e période stage
temps plein
16 semaines de 30h 16 semaines de 34h
4 semaines de 36h
3e période
4e période stage temps
plein
16 semaines de 36h 16 semaines de 36h
4 semaines de 36h
5e période
stage temps plein 6e
période
11 semaines de 36h 11 semaines de 40h
9 semaines de 36h
Légende :
Enseignement théorique
Stage pratique
A noter que la part du temps passé en stage augmente
tout au long des périodes pour atteindre 24h par semaine à partir
de la 4e période lors des périodes d'alternance
théorie-pratique. Les stages se passent ainsi entre les services de
médecine et chirurgie pour leur majorité mais ont aussi lieu pour
certains et en partie en maternité, auprès des enfants, des
personnes âgées et, pour un stage, en psychiatrie.
2.4.2 - Un encadrement compétent
En 1975, le décret du 30
janvier 197512(*)
porte publication de l'accord européen sur l'instruction et la formation
des infirmières précisant alors que la présence d'une
infirmière diplômée d'Etat est indispensable sur les
différents lieux de stage. Cette présence est tenue comme le
garant d'un apprentissage clinique en accord avec la formation.
2.4.3 - Un programme qui s'alourdit
1979 est une nouvelle année de réforme avec
l'arrêté du 12 avril 197913(*) sur le
programme d'enseignement et l'organisation des stages en vue de la
préparation du diplôme d'Etat infirmier. La formation passe alors
à 33 mois augmentant le temps de stage de 2152 heures à 2360
heures.
o Les stages « temps plein » passent au
nombre de 4 semaines chacun (ce qui marque la fin du stage de 11 semaines) et
la part belle se situe clairement au niveau des stages de médecine pour
500h a contrario de 50h pour la chirurgie, 80h pour la
pédiatrie et 80h pour la psychiatrie.
o La première année semble plus être une
année de découverte où les stages se répartissent
entre 40h en maternité, 60h auprès des enfants sains, 60h
auprès des personnes âgées et 80h en psychiatrie.
o Le temps de nuit est précisé ; il doit
être de 80h durant un stage « temps plein ». Et,
nouveauté du programme, 560 heures de stages sont laissées
à l'appréciation des écoles.
Les années 80s seront l'occasion de voir de plus en
plus de garçons au sein des promotions, marquant ainsi la
continuité de l'évolution de la profession parallèlement
à celle de la société qui de plus en plus met à
portée des métiers connotés sur un sexe ou un autre
à l'ensemble de la population.
2.4.4 - Un diplôme commun
En 1992, l'arrêté du 23 mars
197214(*) relatif
au programme des études entame le nombre d'heures de stages alors que la
formation totale passe de 33 mois à presque 38 mois pour inclure le
module psychiatrie nécessaire à la réunion des deux
diplômes infirmiers qui existaient auparavant. De 2360 heures, on passe
donc à 2275 heures de stages et ceux-ci ne sont plus effectués
que sur du temps plein avec approximativement 1 mois de cours pour 1 mois de
stage. L'équilibre des secteurs de stages privilégie entre la
médecine et la chirurgie en balance avec la psychiatrie et la
santé publique qui apparaît en 1ère et
3e année dans les lieux de stages et en complément de
l'aspect théorique du module de santé publique. Enfin, 2 stages,
un de 5 semaines et un de 6 semaines dont 2 semaines de nuit, voient le jour
avec l'appellation d'optionnel. Selon les écoles, ces stages peuvent se
faire soit à la demande des étudiants en démarchant les
lieux de stage soit de manière imposée par les écoles.
Le décret du 5 juin 199215(*) renomme les
centres de formation infirmiers en instituts de formation en soins infirmiers
et l'école Florence NIGHTINGALE de Bagatelle devient donc I.F.S.I.
Florence NIGHTINGALE.
2.4.5 - Transfert de compétences vers les
I.F.S.I.
En 2001, l'arrêté du 28 septembre
200116(*)
accroît la durée des stages pour la ramener à 2380
heures réparties en 1680 heures de stages prédéfinis et
700 heures laissées à l'appréciation de l'équipe
enseignante.
A ces 1680 heures correspondent :
o 8 semaines de médecine en 2 stages
o 8 semaines de chirurgie en 2 stages
o 8 semaines de santé mentale ou psychiatrie en 2
stages
o 8 semaines de santé publique en 2 stages
o 8 semaines de gériatrie ou géronto-psychiatrie
en 2 stages
o 4 semaines de pédiatrie ou pédopsychiatrie
o 4 semaines de réanimation, urgences, soins intensifs,
bloc opératoire
Avec toujours 2 semaines de nuit à effectuer au cours
de la 2ème ou la 3ème année.
Il reste ainsi 20 semaines dont les I.F.S.I. disposent pour
leurs étudiants. Dans ces 20 semaines se place le stage
préprofessionnel de 8 à 12 semaines situé en fin
d'étude et qui permet à l'étudiant d'affiner son projet
professionnel en accord avec l'I.F.S.I. et la structure d'accueil. Les stages
de santé publique peuvent être encadrés par du personnel
non-infirmier ce qui ouvre complètement le secteur extrahospitalier
à la condition d'un contrat d'engagement conclu entre l'équipe
pédagogique de l'I.F.S.I. et la structure d'accueil. Nous constatons
qu'à ce moment les stages peuvent durer plus longtemps, même si
dans la réalité l'alternance avec des stages de 4 semaines est
restée la règle jusqu'à la réforme actuelle.
2.4.6 - Cohabitation université-compétences
professionnelles
En 2009, conformément aux accords européens de
Bologne, la formation infirmière se positionne sur le système LMD
(Licence-Master-Doctorat), fonctionnant alors en semestre avec des UE
(Unités d'Enseignement) et un stage par semestre.
C'est l'arrêté du 31 juillet
200917(*)qui fixe
la répartition des stages sur 2100 heures comme suit :
o 5 semaines au premier semestre
o 10 semaines du 2e au 5e semestre
15 semaines au semestre 6 à répartir en deux
instances, la durée ne pouvant excéder 10 semaines dans un
même lieu de stage. Au terme de ces semestres, le diplôme d'Etat
sera délivré conjointement à une licence dont la
terminologie reste encore à déterminer.
2.5 - Conclusion
La formation en soins infirmiers est soumise au contexte dans
lequel elle se situe et l'on voit, à travers cet historique
orienté sur les stages, que la place de la femme peut, autant que les
progrès techniques et technologiques dans le domaine de la santé
dans la société, avoir une incidence dans le développement
du travail féminin, représenté ici par
l'infirmière. Cependant, il s'y joue également de nombreux autres
enjeux en termes d'alternance et d'apprentissage dans le champ de la formation
professionnelle.
Ainsi, c'est actuellement le contexte d'harmonisation des
pratiques européennes qui guide la présente réforme en
imposant une répartition des stages que certains jugeront insuffisante
alors que d'autres y verront l'occasion d'aborder le stage clinique
différemment.
Malgré l'impact de cette conjoncture l'éducation
infirmière s'est affirmée au fur et à mesure des
décennies et l'on comprend à travers ces lignes la volonté
de cette profession de s'affirmer dans le champ de la santé. Profession
féminine depuis F. NIGHTINGALE, elle se spécialise dans le
nursing aujourd'hui traduit par les Sciences Infirmières, sciences qui
prennent soin du patient au quotidien par l'application des prescriptions
médicales comme par le rôle propre de l'infirmier permettant la
prévention, le soutien, l'autonomisation ou la palliation des besoins
bio-psycho-sociologiques des patients.
3 - Aspect
législatif et sociologique du rôle infirmier lors des stages
cliniques
3.1 - Aspect
législatif
L'apparition des compétences du nouveau programme
suppose que le professionnel en place les possède déjà
afin de permettre à l'étudiant d'y accéder. Nous pourrions
y déceler une vérité de La Palice si le décret
précédent du 23 mars 1992, comportant vingt trois modules sur
trois ans et demi, n'incluait pas qu'un seul de ces modules, intitulé
« soins infirmiers », lui-même
décomposé en quatre sous-modules. Dans un de ces sous-modules
parlant de démarche éducative nous retrouvons quatre
intitulés dans un chapitre :
- Théorie de l'apprentissage ;
- Apprentissage du geste et vérification de son
acquisition ;
- Protocoles éducatifs ;
- Utilisation des différentes méthodes et des
différents moyens.
Nous-mêmes, venant de cette formation, n'avons retenu de
cet aspect de la formation que l'obligation qui nous était faite en
termes de législation et non l'apport d'une quelconque théorie
venant appuyer la transmission d'une pratique de formation. C'est
l'incorporation d'une pratique de transmission des savoirs qui prime alors sur
la théorisation de l'apprentissage, et seule l'imitation, la
réflexion personnelle et le travail théorique autodidacte peuvent
aujourd'hui permettre à chaque professionnel d'exercer son rôle
au sein des stages cliniques.
Concernant ce rôle, effectivement, le décret du
15 mars 1993 relate dans l'article 9 que : « l'infirmier
propose, organise ou participe à des actions :
- De formation initiale et continue du personnel infirmier,
des personnels qui l'assistent, et éventuellement d'autres personnels de
santé,
- D'encadrement des stagiaires en formation. »
Les éléments précédents ce
chapitre permettent alors de comprendre que les infirmiers ont
évolué d'une formation clinique « naturelle »
à ce qui est maintenant préfiguré dans la
compétence 10 du référentiel de formation de juillet 2009,
que l'étudiant doit acquérir par l'enseignement
théorique, s'accentuant de nouveau au cours de l'histoire de la
formation infirmière et suivant par la même l'évolution de
la formation professionnelle d'autres professions telles les professions de
l'enseignement.
Nous présentons, in texto, les objectifs
visés par cette compétence :
Compétence 10 (cf. annexe
n°1) :
Informer, former des professionnels et des personnes en
formation
1. Organiser l'accueil et l'information d'un stagiaire et d'un
nouvel arrivant professionnel dans le service, la structure ou le cabinet de
soins
2. Organiser et superviser les activités
d'apprentissage des étudiants
3. Evaluer les connaissances et les savoir-faire mis en oeuvre
par les stagiaires en lien avec les objectifs de stage
4. Superviser et évaluer les actions des
aides-soignants, des auxiliaires de puéricultures, et des aides
médico-psychologiques en tenant compte de leur niveau de
compétence et des contextes d'intervention dans le cadre de la
collaboration
5. Transférer son savoir-faire et ses connaissances aux
stagiaires et autres professionnels de santé par des conseils, des
démonstrations, des explications, et de l'analyse commentée de la
pratique
6. Animer des séances d'information et des
réflexions sur la santé, la prise en charge des personnes et
l'organisation des soins auprès d'acteurs de la santé
Cette nouvelle formation semble éprouver le besoin
d'accentuer son aspect éducatif et il nous semble difficilement
concevable que le législateur ait pu créer une compétence
novatrice dans un domaine qui semble effectivement verser au coeur de toute
l'histoire de la formation infirmière. Nous pensons donc que les
professionnels en place possèdent cette compétence mais la venue
de cette compétence va-t-elle entrainer des différences entre les
infirmiers en place et ceux qui seront issus de ce nouveau programme ?
Avant de se poser une telle question il nous paraît
primordial de mieux comprendre les fondements de la constitution d'un tel
référentiel de formation puisque l'évaluation de la
compétence sera réalisée, en partie, au sein même
des stages cliniques par les professionnels en poste qui, eux, n'ont pas eu ces
connaissances, tout au moins en terme de formation initiale. Lever le doute des
professionnels face à ces étudiants dont ils ne mesurent pas
encore mais redoutent la différence, tout en l'espérant aussi,
c'est le temps qui devrait le permettre mais c'est bien contre ce temps que
nous nous positionnons afin d'établir ce qui est aujourd'hui et ne sera
plus demain.
Comment les professionnels en poste transmettent-ils aux
étudiants ce que les instituts ne transmettent pas ? De quel ordre
sont ces savoirs ? Existe-t-il des points communs dans ce rôle ou
chacun des agents a-t-il créé sa propre manière de
transmettre ? Autant de questions se posent et si nous ne
prétendons pas y répondre totalement ici il nous semble cependant
qu'un travail sur l'ensemble de ces aspects est impérieux pour que cette
profession puisse aborder cette réforme en la prenant à son
compte.
3.2 - Aspect sociologique
3.2.1 - Approche anglophone
La profession infirmière est porteuse de valeurs
communes au sens de T. Parsons (in Dubar&Tripier, 1998, 87) et peut donc
être définie non comme une « occupation » mais
bien comme une « profession » à part entière,
au sens où l'entendait Parsons après avoir étudié
la relation entre médecin et patient. Elle possède en effet un
savoir pratique rationnel résultant d'un apprentissage scolaire et
s'opposant à un savoir traditionnel et des compétences techniques
spécifiques distinctes établissant une différence entre
ceux qui les possèdent et ceux qui ne les possèdent pas. Elle a
pour objectif d'élaborer et de renforcer des valeurs universelles et
elle recherche une attitude affectivement neutre. Cette approche
structuro-fonctionnaliste fonde donc la cohésion d'un système
stable où l'action individuelle est orientée en fonction des
normes et des valeurs véhiculées par ce système mais
montre ses limites dans l'explication des changements de ces normes et valeurs
au cours du temps.
L'approche interactionniste de Bucher et Strauss permet de
mieux rendre compte de ces mouvements dans le temps car ils considèrent
les professions comme constituées « d'amalgames lâches
de segments poursuivant des objectifs différents de manières
différentes et se tenant plus ou moins fragilement sous une
dénomination commune à une période spécifique de
l'histoire. » (Bucher et Strauss, 1961, 326) Pour eux, ces segments
ne sont pas fixes et « ce mouvement leur est imposé par les
changements dans les dispositifs conceptuels et techniques, dans les conditions
de travail institutionnelles et dans leurs relations avec les autres segments
et occupations. » (id., 332)
Ces deux approches se basent donc sur une cohésion
d'une structure qui ne peut être remise en cause que dans l'interaction
avec les autres « segments » (ib) pour l'approche
interactionniste. Mais alors comment se fondent les valeurs communes
décrites dans le structuro-fonctionnalisme ?
3.2.2 - Approche française
En France, la sociologie n'investit le champ professionnel que
tardivement avec Dubar notamment « situant son approche au confluent
des traditions durkheimiennes et wébériennes ». (Dubar,
1992, 505) Il tente ainsi de conjuguer « l'être
social » de Durkheim, fruit de l'éducation propre à
l'homme dans son effort de transmission, et l'individu adulte. Cette
transmission des savoirs conçue, pour Durkheim, comme « un
système d'idées, de sentiments, d'habitudes qui expriment en
nous, non pas notre personnalité, mais le groupe ou les groupes
différents dont nous faisons partie »(Durkheim, 1922, 92)
permet à la sociologie de s'établir en expliquant les rôles
exercés par l'éducation et la transmission dans nos choix, nous
situant dès lors comme un être social prêt à
être utilisé par une société à laquelle nous
appartenons. Alternative à la psychologie cette sociologie semble
cependant se figer lors de l'entrée à l'âge adulte et Dubar
utilise donc également Weber pour aller plus loin.
L'approche de Weber, elle, crée donc l'espace au
côté des analyses économistes
dans « une socialisation plus
« secondaire », notamment dans le champ du
travail. » (Dubar, 1992, 508) Elle nous fait
découvrir l'habitus comme phénomène
incontournable de domination où le dominant assied alors sa domination
par tout un système de justifications acceptées par les
dominés de par ses habitus incorporés depuis la
socialisation primaire au sein de chaque structure familiale. Cette
théorie complète bien l'approche de Durkheim et c'est grâce
à la notion de champ que Bourdieu réussira à
réconcilier ces deux approches entre le holisme de Durkheim et
l'individualisme de Weber.
Dans ce travail, nous ne pouvons donc contourner les notions
bourdieusiennes « d'habitus » et de
« champ » dès lors que cette recherche se trouve
à l'interface des champs de la profession et de la formation tout en
tentant de retrouver les habitus de transmission des infirmiers au
sein des stages cliniques. « Les conditionnements
associés à une classe particulière de conditions
d'existence produisent des habitus, systèmes de dispositions durables et
transposables » (Bourdieu, 1980, 88) et ce sont bien ces
habitus que nous allons chercher à trouver en terme de
« potentialités objectives » (id.) reconnues par les
professionnels dans ces étudiants préalablement triés par
un concours et chez qui la capacité à devenir infirmier a
été identifiée et avérée.
« En réalité, du fait que les
dispositions durablement inculquées par les possibilités et les
impossibilités, les libertés et les nécessités, les
facilités et les interdits qui sont inscrits dans les conditions
objectives (et que la science appréhende à travers des
régularités statistiques comme les probabilités
objectivement attachées à un groupe ou à une classe)
engendrent des dispositions objectivement compatibles avec ces conditions et en
quelque sorte pré-adaptées à leurs exigences »
(ibid., 90)
On peut alors penser que devenir infirmier ne se choisit pas
ou tout au moins pas autant que chacun pourrait le croire. A ce stade, cet
aspect durable de l'habitus nous posait beaucoup de difficulté
dans le champ de la formation où, justement, l'apprentissage permet
d'incorporer de nouveaux habitus qui permettront alors d'intégrer le
champ professionnel jusqu'à ce que nous trouvions un
complément à cette notion où
« L'habitus peut aussi être transformé
à travers la socioanalyse, la prise de conscience qui permet à
l'individu d'avoir prise sur ses dispositions. Mais la possibilité et
l'efficacité de cette sorte d'auto-analyse sont elles-mêmes
déterminées en partie par la structure originelle de l'habitus en
question, en partie par les conditions objectives sous lesquelles se produit
cette prise de conscience ». (Bourdieu, 1992, 239)
Apprendre c'est avant tout accepter de ne pas savoir et
l'allégorie du mythe de la caverne de Platon nous montre bien combien
apprendre peut être douloureux. La production de savoirs, la remise en
question des savoirs antérieurs et l'acceptation de la douleur
liée à l'apprentissage nous semblent pouvoir permettre cette
prise de conscience. Elle devrait, dans le champ de la formation comme dans
celui de l'enseignement, inciter les agents à modifier leurs actions au
long de leur carrière par l'interaction avec les apprenants car
« ceux qui dominent dans un champ donné sont en position de le
faire fonctionner à leur avantage, mais ils doivent toujours compter
avec la résistance, la contestation, les revendications, (...) ou non,
des dominés. » (id., 78)
Les infirmiers n'échapperaient donc pas à ces
rapports et peuvent être considérés comme dominants dans le
champ professionnel comme dans le champ de la formation. Cependant,
« dans un champ, les agents et les institutions luttent, suivant les
régularités et les règles constitutives de cet espace de
jeu » (ibid.). Il reste alors à déterminer les
règles de ce jeu où infirmiers experts et novices participent
ensemble à l'élaboration d'un rôle que ceux qu'ils forment
exerceront à leur tour. Nous présentons dans le chapitre suivant
la stratégie employée à cet effet.
Chapitre 2
Approche méthodologique et épistémologique
« Il est d'ailleurs bien plus difficile qu'on ne
croit de séparer la raison architectonique de la raison
polémique, car la critique rationnelle de l'expérience fait
vraiment corps avec l'organisation théorique de
l'expérience : Toutes les objections de la raison sont des
prétextes à expérience. »
Gaston Bachelard
La formation de l'esprit scientifique
Dans cette partie, nous allons aborder le statut
épistémologique de cette recherche puis présenter le choix
de la méthode retenue et en discuter les possibilités comme les
limites.
En partant du monde professionnel qui est le nôtre nous
prenons le risque que rien ne vienne désigner les « trous
de notre connaissance » (Winnicott, 1972). Nous ne souhaitons
pourtant pas ici nous départir totalement de notre expérience de
praticien car « la sympathie par laquelle on se transporte à
l'intérieur d'un objet pour coïncider avec ce qu'il a d'unique et
par conséquent d'inexprimable » (Bergson, 1975, 181) ne nous
semble pas en opposition avec le but de notre recherche et la
compréhension d'une partie de ce monde professionnel qui devrait en
résulter.
1 - Un projet
Ce travail de recherche prolonge le travail du mémoire
de licence effectué en 2009, le précise et l'approfondi. Un
regard autobiographique nous semble opportun à introduire ici pour mieux
aborder le statut de cette recherche car il semble bien que notre dogme de
praticien nous attache profondément à tout ce que nous avons vu
historiquement dans le chapitre précédent. La volonté de
prendre part à l'évolution d'une profession est probablement
à l'origine de notre retour au sein d'un cursus universitaire qui nous
apporte le cadre théorique nécessaire à
l'élaboration d'une recherche scientifique. La réforme des
études infirmières prend acte cette année et nous
souhaitions donc voir ce que cette réforme pouvait engendrer en nous
centrant sur l'aspect pédagogique du lien entre étudiants et
professionnels au sein des stages cliniques.
Nous pensions alors trouver un point de départ sur
lequel nous appuyer pour comparer et expliciter les changements qu'inaugurait
cette réforme et c'est donc vers ce but que nos recherches
théoriques se sont tournées. Nous avons alors pu constater que
tous les écrits trouvés concernant la formation infirmière
en France se posaient sur un présupposé général de
la théorie de la formation par l'alternance. Nous n'avons rien
trouvé concernant ce cas précis d'alternance si ce n'est des
articles de l'ordre d'une démarche intuitive retrouvés dans la
presse professionnelle. Le projet de recherche a alors pris forme, non dans le
changement, mais dans l'actualité d'une situation qui n'a pas encore
été décrite à travers le point de vue des Sciences
de l'Education. Quelle est la contribution de l'infirmier responsable de
l'étudiant en stage lors de l'apprentissage dans la formation
d'infirmier ?
C'est à ce stade que nous avons formulé nos
hypothèses : nous avons donc présupposé que ce rôle
dépendait de chaque professionnel et qu'il s'adaptait également
à chaque étudiant tout en étant aussi dépendant du
lieu et du contexte dans lequel s'effectuait le stage. Nous souhaitions alors
mieux préciser ce rôle à partir de ces
hypothèses.
2 - Le difficile
cheminement : vers un paradigme interactionniste
Avant de démarrer cette recherche, nous avons
désiré nous départir de nos préjugés car
comme nous l'affirmait Bachelard, « quand il se présente
à la culture scientifique, l'esprit n'est jamais jeune. Il est
même très vieux, car il a l'âge de ses
préjugés » (Bachelard, 2005, 16). Cependant, notre
statut de professionnel s'est avéré précieux voir parfois
indispensable pour pouvoir atteindre les infirmiers ; nous en reparlerons
plus tard. Il faut retenir de cela qu'il a fallu aller au-delà de la
rupture vers une construction au sein même d'un objet proche de nous.
Cette construction ne s'est pas réalisée linéairement ni
chronologiquement mais dans un va-et-vient perpétuel entre notre
recherche, les appuis théoriques et l'objet avec lequel nous
étions déjà familiarisée. Ceci ne s'est pas non
plus accompli sans heurt cependant il ne faut pas renier le plaisir ressenti,
et nous ne reviendrons pas sur ce terme. C'est en effet avec plaisir que la
recherche nous a conduite sur des chemins insoupçonnés jusqu'ici
dans notre connaissance d'un objet à la fois si proche et pourtant si
lointain. Loin d'être exhaustive, cette recherche s'est plutôt
tournée vers la diversité inhérente à ce que chacun
et chacune pouvait nous apporter d'unique et de particulier, sans vouloir pour
autant prétendre effectuer une cartographie de l'infirmier responsable
des étudiants.
C'est donc le terrain lui-même qui nous a imposé
notre statut alors qu'il s'est avéré totalement impossible
d'atteindre les professionnels de la santé lorsque nous nous
présentions en tant qu'étudiant-chercheur. Par cette contrainte
immuable nous avons donc recueilli une parole s'adressant à un pair et
il a fallu composer avec, rendant le travail différent de celui que nous
avions prévu dans le souhait de nous départir à tout prix
de notre expérience et de nos préjugés face à cette
recherche. « C'est à travers le sens qu'ils assignent aux objets,
aux gens, aux symboles qui les entourent que les acteurs fabriquent leur monde
social. » (Coulon, 1987, 11) et c'est la fabrication de ce monde social
que nous souhaitons mieux comprendre ici et maintenant en le reconstituant
à travers la parole des professionnels.
Nos intentions maintenant définies, et
expliquées nous pouvons mieux expliciter la méthode
employée.
3 - L'action à
analyser : de l'interactionnisme symbolique à l'utilisation de la
microsociologie
L'action de formation que nous souhaitons analyser au sein des
stages cliniques correspond à toutes les interactions formelles ou
informelles, explicites ou implicites qui peuvent exister au sein de ces stages
entre infirmiers et professionnels. Dans ce travail nous souhaitons rendre
compte des logiques mises en oeuvre par chacun des acteurs dans le sens de
Goffman : « je ne m'occupe pas de la structure de la vie sociale
mais de la structure de l'expérience individuelle de la vie
sociale. » (Goffman, 1991, 22) Rendre compte de la
réalité selon les schèmes mis en place par les acteurs
c'est tenter d'étudier les circonstances d'apparition de cette
réalité aussi. Dans la lignée des travaux de Goffman et en
parallèle avec ceux de Bourdieu, notamment dans Le sens
pratique, nous avons souhaité comprendre ce qui permettait à
un étudiant de devenir infirmier et reconnu en tant que tel par ses
pairs au sein des stages, dans son évolution durant ces périodes
et en fonction de ce qui semble être demandé par l'ensemble du
corps des infirmiers dans la structure observée.
Nous ne verrons ici qu'un instantané d'une
réalité circonscrite aux limites de l'échantillon et nous
ne prétendrons pas définir le réel uniquement par ce qu'en
dit l'acteur mais aussi à travers ces actions. Nous ne pourrons pas non
plus rendre compte de l'évolution de cette réalité et
c'est bien ce qui empêche le caractère décisif de
l'analyse, et ce bien qu'à l'instar de Goffman nous tenterons de
répondre à la question : « que se passe-t-il
ici ? » (id., 16) La question centrale posée par Goffman
est « dans quelles circonstances pensons-nous que les choses sont
réelles ? » (ibid., 10) Et, en utilisant les outils qu'il a
construits pour penser l'activité sociale, les rôles sociaux et le
degré de réalité que nous leur accordons, nous analyserons
les différents niveaux de réalité et nous proposerons
d'analyser non pas ce qu'est le réel mais dans quelles conditions sont
produites des impressions de réel ou de fiction. « Nous devrons
donc réserver le terme réel, effectif, littéral, pour
indiquer qu'une activité n'est pas plus transformée qu'il ne
paraît habituel ou normal de le faire » (op.cit, 56)
Nous suivrons Bourdieu dans l'idée que les pratiques ne
peuvent être comprises en dehors du contexte dans lesquelles elles
prennent vie et qu'elles participent d'ailleurs à construire en retour.
Les pratiques des professionnels ne peuvent être comprises en dehors de
celles des étudiants dans notre recherche puisqu'elles participent
ensemble à la création de ce contexte et,
« caractériser tout élément par les relations
qui l'unissent aux autres en un système, dont il tient son sens et sa
fonction » (Bourdieu, 1980, 11), nous a donc
semblé ici indispensable. Un mode de pensée relationnel, c'est ce
que nous allons nous efforcer de conserver durant l'analyse afin de
déterminer la logique des cadres des représentations, des
représentations des pratiques et des actions en elles-mêmes, sans
pour autant verser dans le rationnel à tout prix et, au contraire,
composer avec les incohérences que nous ne manquerons pas de rencontrer.
Ces incohérences, une fois intégrées dans les cadres,
devraient nous permettre de rendre compte de la combinaison des
habitus des acteurs pour donner un sens à leurs pratiques.
L'individu trouve en effet une lisibilité du monde grâce à
cette combinaison, justifiant ainsi ses pratiques alors rendues naturelles,
dans une logique de l'évidence que nous cherchons donc à
déconstruire pour mieux mettre à jour ces combinaisons.
4 - L'enquête
Après avoir circonscrit l'objet à travers une
étape exploratrice nous avons utilisé différentes
méthodes avec l'utilisation de scènes ethnographiques issues de
notre expérience, d'entretiens, de conversations informelles et de
questionnaires pour les étudiants.
4.1 - L'entretien
exploratoire (cf. Annexe n°2)
Utilisé pour mieux circonscrire l'objet de recherche
nous avons rencontré dans ce cadre les principaux acteurs de la mise en
place de la réforme de la formation infirmière vers le passage au
système Licence-Master-Doctorat (LMD), plus précisement en la
personne des directeurs de Soins Infirmiers du CHU concerné et des
directeurs d'IFSI.
Afin de ne pas rendre stérile la suite de la recherche,
nous avons délibérément choisi un entretien avec un unique
représentant au sein du CHU où se situe le cadre de notre
recherche. Parce qu'un entretien change définitivement le statut de
l'enquêté, nous avons décidé de ne pas multiplier
mais de tenter de dégager dans chaque entretien la compréhension
des choix effectués inhérents à la réforme de la
formation infirmière imprimée par la DHOS au sein même des
établissements concernés.
Nous redonnons la parole à l'acteur comme le souhaitait
Max Weber en 1920 : « La sociologie ne peut procéder que
des actions d'un, de quelques ou de nombreux individus séparés.
C'est pourquoi elle se doit d'adopter des méthodes strictement
individualistes. » (Weber, 1920) C'est au travers d'un
entretien non directif que nous avons laissé les enquêtés
s'exprimer librement sur un thème qu'ils ont développé
à leur guise : la mise en place de la réforme LMD au sein
des stages cliniques. Ce thème lancé, il devait nous permettre de
nous dévoiler l'existant à travers les changements mis en place
ou à venir.
4.2 - Les scènes
ethnographiques (cf. Annexe n°3)
« L'ethnographe tire sa connaissance, ou la majeure
partie de celle-ci, de l'observation directe des gens au sujet desquels il
écrit, ou de contacts avec eux, et non, comme l'historien, de sources
écrites. » (Radcliffe-Brown, 1952, 42) Pour mieux comprendre
nos propres représentations de la fonction des infirmiers, nous avons
ainsi extrait plusieurs scènes vécues de notre expérience
personnelle. Elles ne sont peut-être pas les plus pertinentes mais celles
qui sont restées imprimées dans notre mémoire et, à
ce titre, méritaient d'exister dans ce travail pour y porter un autre
regard à la lumière de notre recherche actuelle. Elles devraient
donc nous permettre de conforter nos hypothèses et de rendre le travail
d'entretien auprès des infirmiers plus accessible pour eux en leur
présentant un support pour permettre l'espace d'échange voulu.
D'après Claude Lévi-Strauss (1958, 4),
« l'ethnographie consiste dans l'observation et l'analyse de groupes
humains considérés dans leur particularité [...] et visant
à la restitution, aussi fidèle que possible, de la vie de chacun
d'eux [...] », c'est pourquoi il ne nous semble pas opportun de
considérer comme un désagrément de ne pas être
exhaustif ici, la particularité et la diversité étant
justement visées.
4.3 - Les entretiens
auprès des infirmiers (cf. Annexe n°4)
Nous avions pu constater, lors de notre
précédent travail de recherche, que ces professionnels
étaient difficilement accessibles, entre le poids de la
hiérarchie et la charge de leur travail. Dans cette recherche, le
contexte de grippe H1N1, la réforme en cours de la profession et un
contexte de pénurie toujours croissant au sein du CHU où nous
avons mené notre enquête, nous avons été
amenée à réfléchir au moyen d'obtenir le plus
d'information dans un minimum de temps et dans un contexte le plus attractif
possible. Nous nous sommes donc résolue à effectuer des
entretiens collectifs pour faciliter la parole dès le début des
entretiens et nous avons, dans ce but, également fait le choix
d'utiliser une partie des scènes ethnographiques (marquées
par les numéros de présentation type
« 0 » dans l'annexe n°3) comme support
à la parole. L'ouverture vers un point de vue plus général
ne devait s'effectuer qu'en toute fin d'entretien, une fois la confiance bien
mise en place. Après un test des supports employés, nous avons
choisi les scènes provoquant le plus de discussions en limitant le
nombre pour créer un entretien d'une vingtaine de minutes, temps
considéré comme le maximum possible à donner pour les
infirmiers ayant participé aux entretiens tests.
Choix de la population
Afin de réaliser une description la plus précise
possible de l'action des professionnels auprès des étudiants dans
les stages nous avons choisi délibérément des paires de
pairs relativement homogènes, ne cherchant pas la confrontation des
idées mais bien la diversité dans une approche d'équipe.
Avec pour seul critère le fait d'avoir une fonction auprès des
étudiants nous avons donc constitué un échantillon en
fonction de l'expérience professionnelle et du sexe. Cet
échantillon n'est pas du tout représentatif, la profession
étant essentiellement féminine et très jeune dans les
services accueillant les étudiants au sein du CHU de notre
échantillon, mais il nous semblait qu'il exprimait correctement la
diversité des infirmiers que les étudiants allaient rencontrer
sur leurs lieux de stage.
Nous avons donc rencontré quatre paires de
professionnels, une constituée d'infirmières avec moins de 5
à 7 ans d'expérience, une avec une expérience de 8
à 10 ans, une autre avec deux infirmiers ayant 20 et 30 ans
d'expérience et, pour finir, un groupe constitué de trois
infirmières de plus de 20 ans d'expérience. Moins ancrés
dans un modèle type, trop proches du statut d'étudiant pour cette
recherche et moins sollicités par les cadres pour exercer ce rôle,
nous avons volontairement omis les professionnels possédant un
diplôme depuis moins 2 ans. Sur le terrain, les professionnels ayant
accepté de nous répondre se sentaient tous concernés par
le sujet, et notamment par l'avenir de la formation infirmière, et ils
étaient tous des infirmiers réalisant cette action de formation
sans contrainte imposée et dans un but commun de recherche
perpétuelle de qualité des soins. Nous souhaitions
préciser cela ici car nous n'avons donc pas interrogé les
soignants, qui ne trouvaient pas d'intérêt à leur
rôle de formateur ou bien le trouvaient difficile, peu valorisant ou
rendant l'acte de soin plus compliqué, comme d'ailleurs certains
professionnels ont pu nous le notifier avant de décliner notre offre
d'entretien.
Choix de l'entretien collectif
Afin de faciliter une parole parfois timide sur un sujet
sensible de par son actualité, nous avons choisi de rencontrer les
professionnels par deux. Nous avons ainsi découvert la manière
dont la collaboration s'effectuait dans chaque équipe et cette approche
a permis aux professionnels de se conforter mutuellement dans leurs dires,
affirmant parfois ce qu'ils n'auraient pas dit seuls, avec une certaine
conviction en lieu et place de la retenue habituelle de ces professionnels
liés par le secret et le devoir de réserve.
Ces entretiens n'allaient donc pas être personnels mais
l'interaction duale entre les professionnels devait nous apporter un support
plus riche induit par l'interaction et, à ce stade de l'analyse, il nous
semblait plus important d'avoir une vue globale étant donnée la
pauvreté des écrits sur ce sujet en Sciences de l'Education.
Choix des situations, support de l'entretien
Pour conserver un entretien d'une durée de 20 minutes
environ, il a fallu choisir 4 situations parmi les 7 décrites. Le choix
a à la fois défini quelles situations seraient retenues et
l'ordre dans lesquelles elles seraient présentées. La
première fût donc choisie pour son côté banal et
passe-partout, une situation que tout professionnel aurait pu voir mais qui
pourtant demande des précisions pour mieux comprendre comment elle
s'organise. Point de départ de l'entretien pour permettre l'anodin comme
le plus profond.
Nous décidons d'éliminer de la sélection
les scènes concernant les étudiants de troisième
année, car nous supposons que ce qui peut être fait avec un
étudiant de troisième année sera forcément
réalisable avec un étudiant de première année, et
nous gardons en mémoire, durant les entretiens, l'idée de
préciser par moment ce qui serait différent si ces scènes
avaient été l'apanage d'un étudiant en fin de cursus.
La suite de l'ordre de présentation des scènes
se fera en fonction du ressenti vis-à-vis de l'étudiant avec, en
premier, une difficulté pédagogique, en second, un
problème déjà avéré et, pour finir, un
étudiant se présentant réceptif à l'apprentissage
élaboré pour lui.
4.4 - Les conversations
informelles
De nombreux professionnels n'ont pas pu se libérer
durant le temps qu'il nous fallait pour les entendre avec un collègue
mais ils ont cependant exprimé beaucoup d'idées sur le sujet et
nous avons noté au fur et à mesure de ces rencontres les
différentes opinions qu'ils nous ont offertes. Une conversation a
été particulièrement remarquable, tant part la dissonance
entre l'impossibilité de me répondre et le temps laissé
à cette conversation que par la capacité qu'a montré cette
infirmière à exercer plusieurs tâches en même temps,
puisque cette conversation a eu lieu pendant qu'elle rangeait les
médicaments et produits médicaux reçus dans l'ensemble des
armoires et placards de la salle de soins. La clarté des notes prises
à la sortie de cette rencontre nous a amenés à le
retranscrire ici pour mieux appréhender les apports qui ont pu en
découler. (cf. Annexe n°5)
4.5 - Les questionnaires
auprès des étudiants
Afin de confronter le ressenti des professionnels avec celui
des étudiants, nous avons réalisé un questionnaire
comportant uniquement deux questions ouvertes pour essayer d'ouvrir notre champ
de vision sur ce qui pourrait être essentiel à l'apprentissage au
sein des stages et que seuls ceux qui sont en situation d'apprenants peuvent
percevoir (cf. Annexe n°6).
Nous avons proposé ce questionnaire aux
étudiants de deuxième et troisième année d'un des
IFSI du CHU et, malgré un accueil tout à fait favorable, seuls 7
étudiants sur la centaine de contacts pris nous ont consacré un
temps de réponse (cf. Annexe n°7). Les autres ont exprimé un
manque de temps et une impossibilité de se poser pour
réfléchir à ce type de questions, alors qu'ils auraient
tout à fait répondu à un questionnaire avec des questions
fermées.
Le choix de la population n'est donc pas ici le critère
essentiel si ce n'est que nous n'avons pas demandé aux étudiants
démarrant leur formation de nous répondre, car nous souhaitions
qu'ils aient déjà plusieurs expériences à
confronter afin de nous répondre au mieux.
La quantité de questionnaires
récupérés limite de fait les résultats que nous en
tirerons mais, en tant que chercheur, nous nous devons de faire avec la
contingence au sens entendu de ce qui est et à la fois pourrait ne pas
être. Aussi nous nous sommes contentés ici de cette
quantité, décidant d'analyser avant de récolter d'avantage
de données lors d'une recherche ultérieure éventuelle. Le
nombre de réponses à ce questionnaire nous permet cependant de
mieux appréhender les difficultés auxquelles nous pourrons avoir
affaire et à faire si cette recherche devait se prolonger et se
préciser avec l'apport de données quantitatives.
5 - Traitement des
données
Ce travail de recherche ne s'est pas construit de
manière continue avec un temps donné pour chaque étape, de
l'engrangement théorique au recueil puis à l'analyse des
données. Intégrer la théorie s'est fait autant au moment
de l'angoisse de démarrage de la recherche qu'à la construction
des outils de l'analyse. Ainsi avons-nous utilisé chaque moment pour
faire un retour sur notre posture de recherche, et l'analyse s'est
également construite pas à pas, évoluant et s'affinant
à mesure que le travail sur le terrain progressait. Nous sommes partie
du terrain pour construire cette recherche, aussi la posture inductive
s'explique-t-elle naturellement. Mais, si les débuts de ce type de
démarche pouvaient laisser envisager qu' « un seul appel
à l'expérience peut suffire, et le résultat peut
être enregistré sous la forme d'une proposition
générale, qui est confiée à la mémoire ou au
papier et de laquelle on n'a plus ensuite qu'à syllogiser »
(Mill, 1866, 224) nous avons, nous, préféré garder ce
principe de va-et-vient entre le terrain et l'analyse :
« observer le monde, penser ce que l'on a vu, et retourner observer
le monde »(Becker, 2002, 234). Comme nous l'avons exposé
précédemment à la lumière de la microsociologie de
Goffman, la principale difficulté qu'il a fallu surmonter a
été la prise de posture épistémologique qu'il nous
a semblé opportun de conserver pour rendre compte de ce que nous avions
pu observer via notre recueil de données.
« La conclusion, dans une induction, est
tirée des faits apportés en preuve, et non de ce que ces faits
ont été reconnus suffisants ; j'infère que mon ami
marche auprès de moi, parce que je le vois, et non parce que je constate
que mes yeux sont ouverts et que la vue est un moyen de
connaissance » (Mill, 1866, 232). Difficile retour sur l'observation
en terme de conservation de l'objet que l'on regarde, il nous faut garder
à l'esprit que nous ne voyons que ce que nous nous sommes donnée
la peine de pouvoir observer, et nous devons accepter de faire le deuil de tout
ce que nous avons perdu en faisant le choix de voir une chose plutôt
qu'une autre.
Rentre compte de la réalité sera donc rendre
compte de ce qui fait que les faits semblent réels aux acteurs, à
un moment donné et dans des circonstances particulières, tout en
gardant à l'esprit que « La totalité des faits actuels
est l'infaillible résultat de tous les faits passés, et, plus
immédiatement, de tous les faits existant le moment d'avant. »
(Mill, 1866, 415) L'utilisation du concept de cadre de Goffman qui nous
explique que nous disposons de cadres qui nous permettent de définir les
situations et que ces cadres sont, le plus souvent, mobilisés sans en
avoir conscience, « même si aucun de nous ne saurait dire
pourquoi », (Goffman, 1991, 21) nous a permis de mieux rendre compte
de l'expérience de chacun. Ces cadres nous permettent de faire face
à la plupart des situations, des plus banales à ce qu'il y a
de bizarre dans la vie sociale et, comme Goffman, nous nous occupons
« de l'expérience individuelle de la vie sociale. »
(id, 22) Alors que cette approche nous permet de faire le lien avec les apports
bourdieusiens, nous reconnaissons, dans notre travail actuel, la limite de nos
données, une limite qui ne nous autorise pas à aller
conquérir les structures sociales mais qui nous permet néanmoins
de rendre compte de l'expérience de formation vécue par les
infirmiers de leur premier stage à leur maturité professionnelle.
C'est le but que nous avons cherché à atteindre dans ce travail
et nous présentons donc en suivant les résultats et analyses qui
nous ont été révélés au travers du point de
vue déterminé par l'ensemble de ces techniques et méthodes
utilisées.
Chapitre 3
Résultats et analyse des données
« A mesure que la philosophie progresse, elle
retire la vie et l'activité aux objets et les laissent inactifs et
morts. On trouve qu'au lieu de se mouvoir volontairement, ils sont mus
nécessairement ; qu'au lieu d'agir ils pâtissent ; et la
Nature apparait comme une grande machine dans laquelle une roue est mise en
mouvement par une autre ; celle-ci par une troisième ; et
jusqu'où se poursuit cette succession nécessaire, le philosophe
l'ignore. » in Essai sur les facultés actives de l'esprit
humain, REID Thomas.
1 - Point de départ
de la recherche
Pour démarrer notre travail, nous avons d'abord
réalisé deux entretiens exploratoires, l'un auprès d'une
directrice d'IFSI et l'autre auprès d'une directrice de soins d'un site
de CHU. Au travers de ces entretiens, nous voulions aborder deux visions
différentes de la réforme au niveau des stages pour mieux
réaliser les enjeux de cette réforme et également ce
qu'elle mettait à jour en leur sein.
Les entretiens ont été non-directifs pour
laisser libre cours au développement d'aspects qui ne nous
étaient pas encore dévoilés et, à l'exception de
quelques relances placées dans le cheminement des enquêtés,
les entretiens ont été des monologues avec pour seul thème
d'approche une narration de ce qui a été mis en place dans le
cadre de la réforme sur le plan des stages cliniques. Ces entretiens ont
été très productifs et je remercie bien leurs auteurs pour
tout ce qu'ils nous ont apporté, autant en termes de précision
sur la réalité de la mise en place de la réforme que pour
les questions et réponses qui ont découlé de l'analyse de
ces entretiens. C'est l'analyse thématique des entretiens exploratoires
qui apporte le plus la preuve d'une dissonance entre volonté de
partenariat et manque de confiance envers ses partenaires (cf. annexe
n°8).
Ainsi, la directrice d'IFSI interrogée défend
avec vigueur la qualité actuelle de la formation dispensée par
les infirmières auprès des étudiants dans les stages
cliniques, « l'infirmière de proximité était
déjà responsable (...) elle a la capacité et les
compétences » mais dénonce par ailleurs le manque
de rigueur de son évaluation :
« l'appréciation était relativement rarement
extrêmement explicite, en fait il y avait des écrits mais qui
n'étaient pas nommés, il n'y avait pas de publication ni
rien. »
Le partenariat entre centre de formation et terrain de stage
quant à lui oscille entre une volonté de faire mieux et un espoir
perçu comme un Graal inaccessible. Ce partenariat va ainsi de l'envie de
« valoriser déjà un partenariat qui
existait » à l'énonciation d'une maxime que l'on
entend un peu comme une comptine que l'on réciterait sans vraiment
croire à ce qu'elle dit : « il faut vraiment que
cette complémentarité se mette en place. (...) Qu'il faut que
là, sur le début de l'année 2010, on ait vraiment, un
étayage qui soit beaucoup plus important qu'on ait vraiment quelque
chose qui se consolide et puis, j'vous dis, il faut vraiment qu'on se fasse
confiance les uns les autres et c'est vrai que.. »
Il est également à noter qu'autant du
côté du terrain la directrice des soins semble espérer la
construction d'un travail commun et énonce cette idéologie,
notamment pour la validation des stages pour laquelle elle affirme que
« le service va valider les compétences (...) en
partenariat avec les IFSI » alors que pour la directrice de
l'IFSI « c'est l'enseignant de suivi pédagogique qui va
valider le stage. » Alors même que le partenariat devrait
ici se faire dans les meilleures conditions, la directrice des soins ayant eu
la fonction de formatrice durant sa carrière, on constate que les a
priori et les préjugés restent prégnants et que la
confiance requise en la fonction pédagogique de l'infirmière
n'existe pas encore au sein de l'institut de formation qui a le regret de ce
qui aurait pu être mais ne sera pas : « l'idéal
aurait été qu'on puisse aller, qu'on puisse les emmener dans les
stages ... de voir venir en stage travailler avec eux pour faire une
activité, une matinée, un truc comme
ça. »
Qu'est ce qui pourrait permettre aux instituts d'avoir
confiance dans les compétences qu'ils vont désormais valider au
sein de la nouvelle formation infirmière ? Les stages cliniques
sont-ils lieux de dissonance perpétuelle pour les étudiants ou,
au contraire, permettent-ils une meilleure attitude réflexive ?
Quel rôle les professionnels ont-ils réellement au sein des
stages ? Nos questions se précisent et s'affinent pour mieux aller
observer.
2 - Des expériences
de situations de formation
Nous avons rencontré plusieurs typologies de formateurs
professionnels au cours de notre expérience personnelle. En utilisant
des scènes ethnographiques issues de cette expérience, nous avons
souhaité avoir une base d'observation qui nous permettra par la suite
d'interroger les soignants sur ces pratiques. En s'en tenant à la seule
attitude des soignants, sans prendre en compte l'étudiant qui est en
face d'eux, nous avons déterminé une analogie forte avec les
rôles des éducateurs évoluant auprès des enfants, et
préférons les livrer ici dans la terminologie du quotidien de
tous pour mieux les appréhender. Voici donc les différents
acteurs infirmiers types que nous avons puisé dans notre
expérience de manière non exhaustive mais dans la recherche de la
diversité des catégories de professionnels, tant dans l'exercice
de leur rôle de formation auprès des étudiants que dans les
différentes attitudes qu'ils peuvent adopter selon les situations et les
personnes rencontrées.
Dans la première situation, nous voyons une
infirmière qui se positionne en tant que professionnelle garant d'un
étudiant qui, ici, a commis une faute professionnelle dont elle se sent
responsable comme pourrait l'être un parent. L'aspect hiérarchique
est ici incontestable et c'est par l'autorité que l'infirmière
assène l'obligation de soumission au secret professionnel comme posture
indispensable à la continuation de l'exercice de l'étudiante.
Nous retrouvons ici le comportement que pourrait avoir un père
sermonnant son enfant et, d'ailleurs, la réaction de l'étudiante
dans une attitude de soumission ne réagissant qu'à l'approche
d'un tiers extérieur nous révèle effectivement la
dissymétrie de statut qui existe ici entre l'infirmière et
l'étudiante. L'étudiante ne semble pas en mesure d'accepter ce
sermon et réitèrera sa « bêtise » par
la suite, ne semblant pas admettre la sagesse paternelle ou n'étant pas
encore assez mature pour s'émanciper de cette emprise paternelle. Nous
avons donc nommé ce type de posture :
L'attitude paternelle
Lorsque j'arrive sur la scène, l'infirmière
m'apostrophe de suite pour me prendre à témoin et solliciter mon
appui dans sa démarche :
-« tu imagines, elle a dit à un patient
qu'il a le cancer alors qu'on en est même pas
sûr ! »
-« ah oui, c'est vrai ? »
L'étudiante se tient les yeux baissés, un
rictus sur les lèvres la fait paraître tel un enfant que l'on est
entrain de gronder ;
-« Oui et en plus elle a même pas l'air de
réaliser. »
L'étudiante prend alors la parole.
-« bah si mais aussi le M. m'a demandé ce
qu'il avait alors je lui ai répondu, je ne savais pas qu'il ne fallait
pas, c'est tout. »
L'infirmière écarquille les yeux, rougit et
ouvre la bouche :
-« Nan mais c'est pas vrai mais qu'est ce qu'ils
t'ont appris à l'école ? T'as jamais entendu parler du
secret professionnel ? »
-« bah si mais là ça le concerne
quand même... »
-« Mais tu n'as pas le droit d'annoncer le
diagnostic... dis-lui toi ! » Elle se tourne alors vers moi avec
un regard implorant et je reprends alors l'explication.
-« Oui, c'est vrai, même si le patient est
concerné, en tant qu'infirmière tu n'es aucunement en droit
d'annoncer un diagnostic, c'est du ressort du
médecin. »
A cet instant l'étudiante fond en larme et le
dialogue s'arrêtera ainsi.
Cette étudiante arrêtera la formation dans
les semaines qui suivront la fin du stage où elle accumulera les actions
d'irrespect du secret professionnel notamment en parlant des patients avec les
autres patients ou en exprimant des informations aux familles.
Après l'image paternelle, nous venons naturellement
à l'attitude maternelle où l'explication supplée à
l'autorité, en tout cas dans le sens commun que nous donnons au
modèle parental. L'infirmière est là dans un rôle de
formateur en présence d'un étudiant qui découvre
totalement un soin. Dans cette situation, elle enseigne à la fois l'acte
et les connaissances indispensables à la réalisation de cet acte
qui sont ici les règles d'hygiène et d'asepsie. Son attitude
rappelle celle que nous avons-nous-même connue lors de la rencontre avec
notre première confection de gâteau réalisée
après avoir observé et compris les règles de cette
exécution. La mère donne sa confiance d'emblée et
éduque en vue d'une autonomie future :
L'attitude maternelle envers le petit enfant
d'école primaire
Je suis dans la salle de soin à préparer mon
chariot quand une collègue y entre avec un étudiant
présent depuis quelques jours dans le service. C'est son 2e
stage et c'est la 1ère fois qu'il assiste à un
pansement. L'infirmière entre dans la salle tout en continuant de
parler :
« Tu vois, il y a pleins de choses
différentes à savoir pour réaliser correctement un
pansement mais ne t'inquiète pas, chaque chose en son temps, on va voir
ça étape par étape et, pour commencer, je vais t'apprendre
à manipuler les pinces et à effectuer des
tampons. »
Elle sort alors un plateau pansement, le
déstérilise et lui montre comment prendre des pinces dans un
plateau tout en gardant le plateau stérile et montre à
l'étudiant comment effectuer un tampon avec les pinces. Elle lui demande
ensuite d'essayer et après lui avoir donné quelques conseils, le
laisse s'exercer pendant qu'elle nettoie son chariot de pansement. Elle revient
ensuite, lui exprime satisfaction sur ce qu'il fait et se met alors en peine de
lui expliquer les règles d'hygiènes et d'asepsie requises lors de
la réalisation d'un pansement. Puis elle lui propose de la suivre lors
d'un second pansement pour mieux observer ces règles et mieux comprendre
les gestes qu'elle va effectuer.
Par la suite, j'ai pu vérifier par moi-même
l'intégration de ces règles lors la mise en situation
professionnelle de l'étudiant que j'évaluais avec un cadre
formateur et où l'étudiant respecta ces règles tout en
faisant preuve de dextérité dans la manipulation des
pinces.
Dans la situation suivante, nous conservons l'image maternelle
mais la transposons à une attitude qu'une mère aurait face
à un enfant plus grand. L'infirmière met en avant un enseignement
antérieur et c'est dans une relation d'entière confiance qu'elle
accompagne l'étudiant dans un 1er temps pour, ensuite, le
laisser utiliser seul cette connaissance. Elle a donc dû enseigner pour
pouvoir être dans ce lien de tutorat qui permet à
l'étudiant d'acquérir la maîtrise des difficultés
telle que l'assumerait un professionnel diplômé. C'est
l'autonomisation de l'adolescent à qui on se doit de faire confiance
même si l'on garde les filets autour de lui au cas où il ferait un
faux pas :
L'attitude maternelle envers l'adolescent
Je suis en passe de réaliser les prises de sang
d'entrée aux détenus lorsqu'une collègue me demande si je
peux laisser faire l'étudiant pour lui permettre de mieux s'aguerrir
dans un soin qui lui pose souci quand les patients n'ont pas un bon capital
veineux.
Après acceptation de ma part, je reste pour
écrire mes transmissions tandis que l'étudiant organise son
matériel puis appelle le premierr patient. Celui-ci est
toxicomane et annonce d'emblée qu'il est presque impossible de
réussir à lui extraire du sang.
L'infirmière prend alors la parole et explique
à l'étudiant plusieurs choses :
« Dans ce cas-là, il ne faut pas que tu
te fies à tes yeux mais il faut que tu fasses confiance à tes
doigts pour bien sentir la veine ; vas-y mets le garrot et dis-moi ce que
tu sens. »
L'étudiant s'exécute.
-« Alors, tu sens quelque
chose ? »
-« bah.... Je sens bien quelque chose sur le
poignet mais ce n'est pas un endroit où on peut
piquer ! »
-« Tu sais, il ne faut pas se contenter de ce
qui est habituel ici ! »
-« Alors, tu crois que je peux piquer ici
? »
-« Si ton intuition te dit que c'est là
que ce sera le plus facile alors, oui, pique-là mais n'oublie-pas
tout ce que je t'ai appris ; tu prends une petite aiguille, tu tunnelises
ta veine et surtout tu ne bouges plus une fois que tu es dans la
veine ! »
-« Ok, j'y vais ! »
L'étudiant tente alors la prise de sang avec une
visible maitrise des procédures d'hygiène et de
sécurité (lavage de mains, port de gant, désinfection du
bras en un seul passage...) et réussit celle-ci après une
recherche de quelques secondes jusqu'à ce que le sang monte dans le
cathéter utilisé. Une fois le soin terminé et le patient
sorti, il s'adresse à l'infirmière :
-« ça y est, j'ai enfin compris, je te
remercie, je ne croyais vraiment jamais pouvoir réussir une prise de
sang aussi difficile avant ! »
-« C'est bien, maintenant je crois que tu es
prêt à affronter les autres patients tout
seul. »
-« D'accord ! »
Elle sort alors en me faisant un clin d'oeil en sortant,
laissant l'étudiant se débrouiller seul. Celui-ci fera preuve de
professionnalisme et ne demandera aucune aide pour réaliser l'ensemble
des 12 prises de sang prévues ce jour là.
Dans la situation suivante, l'image de la grande soeur voulant
se substituer à l'image maternelle en montrant qu'elle sait et qui plus
est sait bien, mais sans forcément le tact et le doigté qu'une
mère aurait pour expliquer cette somme de connaissances à
acquérir avant de pouvoir devenir « grand ».
L'étudiant pense donc savoir quelque chose et l'infirmière
crée la condition pour qu'il apprenne ce qu'il ne sait pas, cependant,
à la première erreur, elle ne le laisse pas entrer en relation
avec le savoir et lui donne plutôt un tutoriel d'action à
reproduire sans attitude réflexive. L'étudiant pourra donc
reproduire ce tutoriel durant ce stage mais il reste à voir s'il
intègrera tout ce qu'il représente et si ces
préconisations seront suivies par la suite. Il y a ici une
dissymétrie face au savoir mais même si ce savoir est juste, il
semble que l'infirmière ne parvient pas à devenir
éducative dans ce soin noyant l'étudiant sous une somme de
connaissances, certes indispensables, mais qui devraient lui être
données plus progressivement pour lui permettre de les intégrer
dans la limitation du nombre de boîtes et de patients par
exemple :
L'attitude fraternelle vers plus petit que soi
J'arrive sur la scène alors que la phase de
préparation des traitements a déjà commencé. Je
viens, moi aussi, préparer mes traitements selon l'organisation
habituelle de la journée.
L'étudiant est à sa première boite de
traitement sur 17 boîtes à réaliser des traitements de
chaque patient pour 24h.
Il fait cela seul et l'infirmière responsable est
à côté. Une fois sa première boîte finie,
celle-ci la vérifie. Elle exprime rapidement la découverte
d'erreurs et fait stopper l'étudiant. Elle lui dit :
-« je croyais que tu savais faire mais
là, il y a trop d'erreur et on va donc reprendre ça
ensemble. »
-« Bah, je sais pas pourquoi vous dites
ça, je l'ai déjà fait avant dans d'autres stages et il n'y
avait pas de souci. »
-« Alors tu as sûrement un problème
avec nos prescriptions ! »
-« Non ! »
-« Bon, regarde ! Là c'est du
paracétamol qui est prescrit et toi tu as mis du
PRIMPERAN®. »
-« Ah bah oui mais il faut dire que le rangement
de la pharmacie n'est pas terrible. »
-« Donc il y a bien un
problème. »
-« Heuuu »
-« A chaque fois que tu change de lieu, il faut
que tu sois encore plus vigilant pour éviter les erreurs aussi il faut
absolument que tu vérifies toujours ce qu'il y a d'écrit sur les
blisters comme la date de péremption et le dosage prescrit par rapport
à celui qui se trouve dans la pharmacie. C'est comme avec tous les
produits, il faut que tu te fasses une check-list comme les pilotes de
lignes : tu vérifies la prescription et sa conformité avec
les recommandations du VIDAL, tu prépares les traitements en
vérifiant le nom, le dosage, le mode d'administration et la date de
péremption. Tu trouves peut-être que c'est beaucoup mais c'est
à force de faire que tu arriveras à aller vite tout en
évitant les erreurs. »
-« oui, oui »
-« Vas-y, maintenant,
continue ! »
Nous allons, à présent, vers la professionnelle
de l'éducation qui, dans une pratique des plus courantes, donne les
consignes pour effectuer un exercice, le corrige, et s'assure, par la suite
qu'il est intégré en le vérifiant face à d'autres
conditions. L'infirmière est bien dans une démarche
éducative d'apprentissage qui laisse la possibilité à
l'étudiante d'éprouver son savoir tout en permettant
l'acquisition d'un nouveau savoir à chaque patient qu'elle
présente, exercice finalement difficile pour une étudiante qui
doit accepter de ne pas savoir pour pouvoir apprendre :
L'attitude de l'enseignant institutionnalisé
C'est la première fois que cette étudiante
effectue les transmissions orales dans le service et l'infirmière lui
donne les consignes avant qu'elle ne s'adresse à moi.
-« Donc, en fait, là, l'infirmière
ne connait pas du tout les patients, alors il va falloir que tu lui donne comme
une vidéo de ce que tu sais sur les patients depuis leur entrée
dans le service jusqu'à aujourd'hui. En gros, tu résumes dans les
grandes lignes en parlant de tout ce qui est important pour arriver à ce
matin et les problèmes du jour. C'est comme une présentation d'un
patient en MSP (mise en situation professionnelle) mais t'as 2 minutes pour le
faire. Vas-y, c'est à toi. »
L'étudiante commencera par faire un exposé
long, très long, trop long qui sera repris par l'infirmière pour
lui montrer comment elle aurait dû synthétiser. Ensuite,
l'exposé du jour sera repris également car comportant des
manques. Par la suite, l'infirmière ne devra reprendre
l'étudiante que de loin en loin et n'apportera que quelques ajouts
relevant plus des spécificités du service que des
capacités de synthèse et d'analyse de la situation
médicale des patients. Enfin, l'étudiante sera
félicitée et encouragée à poursuivre dans ce sens
pour les jours suivants.
« L'enseignante» a beau être une
professionnelle de l'éducation, le premier jour est un jour à
part où maîtresses comme élèves attendent beaucoup
l'un de l'autre. Dans la situation qui suit, il semble que la
cérémonie de la rentrée ait été
tronquée, mettant « l'enseignante » dans une
situation éprouvante et in fine déteignant sur
l'étudiante. L'infirmière doit en effet à la fois
évaluer les acquisitions et à la fois enseigner le plus possible
de nouveaux actes à l'actif de l'étudiante. Le fait de demander
directement à l'étudiante ce qu'elle sait ou ne sait pas est
abrupte et peut biaiser la relation en mettant l'étudiante en port
à faux mais, sans autre moyen, il semble difficile que le contact
s'établisse autrement. C'est donc dans la peur que l'étudiante
effectue un nouvel acte, apprenant ainsi également, mais de
manière informelle, la gestion du stress. La difficulté
liée à l'impossibilité d'effectuer un accueil suffisant
à sept heures ajoute à l'effet tronqué que donne cette
situation si nous l'apposons à une rentrée des classes
institutionnelle d'école.
La rentrée des classes
C'est le premier jour de cette étudiante en
début de deuxième année et cela fait à peine une
heure qu'elle est dans le service. L'infirmière qui la prend en charge
ce matin-là, lui demande si elle sait préparer des perfusettes de
traitement intraveineux. Devant la réponse négative, elle lui
propose donc de lui montrer une fois en lui expliquant ce qu'elle doit faire
puis elle essayera ensuite :
« Alors, comme pour tout soin, l'hygiène
est essentielle et ici il s'agira de garder le produit stérile
jusqu'à l'injection au patient. Pour cela, l'essentiel à retenir
est de ne toucher à rien ! Regarde ! »
L'infirmière montre alors les gestes de sa pratique
courante en précisant à chaque geste les raisons qui la poussent
à manipuler précisément ainsi en raison des risques
liés à l'aspect stérile de la préparation :
rester loin des points d'injection, poser les mains le plus loin possible des
produits, ouvrir les produits sans toucher l'intérieur, éviter
à l'air de rentrer dans le système clos de transfert du produit
reconstitué par l'utilisation de la double membrane de la chambre
implantable de la solution de perfusion... Après quelques minutes, elle
demande à l'étudiante d'essayer.
Celle-ci tremble, commence à essayer de reproduire
les gestes vus, mais commet des erreurs. Elles sont reprises par
l'infirmière, corrigées, expliquées et, après deux
essais, l'étudiante a réussi la reconstitution du produit sans
erreur rédhibitoire et semble soulagée, émettant un grand
soupir à l'assentiment de l'infirmière.
L'éducation par les pairs n'est pas oubliée,
lorsque la seule différence se situe sur une pratique gestuelle à
transférer un peu comme un élève montre à un autre
ce qu'il doit faire dans le self car il vient juste d'arriver et ne connait que
la cantine où il n'avait pas à se servir jusqu'ici. Dans
l'exemple qui suit, l'étudiante semble avoir acquis la maîtrise
des gestes d'hygiènes requis en troisième année et
l'infirmière se place plutôt dans une attitude de tutorat telle
qu'elle pourrait l'adopter avec un nouveau membre de l'équipe pour lui
apporter une expertise sur un soin acquis dans la plupart des situations mais
demandant des spécificités dans ce cas précis :
La camarade bienveillante
Dans ce service, la spécialité est la
chirurgie du dos et la toilette est donc faite en collaboration avec
l'infirmière afin de mobiliser les patients sans risque pour leur futur
tout en réalisant un soin d'hygiène complet en ôtant les
corsets souvent présents.
Je suis auprès du patient voisin lorsque
l'étudiante, une fois la toilette de devant réalisée,
demande de l'aide à l'infirmière qui la regarde pour faire le
reste du corps.
-« Voilà, j'ai fini tout le devant, tu
peux m'aider à le tourner, je ne l'ai jamais fait
encore. »
-« Alors, avant de le faire, je vais t'expliquer
comment nous allons procéder car il faut absolument que l'on soit
coordonnées et que tout soit fait comme il faut : Le principe
général est de garder la colonne toujours droite, nous allons le
tourner du côté gauche d'un seul bloc. Moi je vais m'occuper de la
tête et toi tu vas tourner le reste du corps en même
temps. »
-« Mais comment je vais savoir quand est-ce
qu'il faut que je le tourne ? »
-« Je compterai jusqu'à
trois ! »
-« ok »
-« Bon, on y va, tu es
prête ? »
-« Oui, c'est bon ! »
La manoeuvre s'est effectuée alors sans encombre et
l'étudiante reproduira elle-même ces gestes durant le stage avec
une aide-soignante.
Nous comprenons bien à présent que les attitudes
des professionnels peuvent différer de l'un à l'autre à
moins que cela ne soit d'un moment à l'autre ou alors d'un
étudiant à l'autre. Nous savons dorénavant qu'il y a donc
différentes postures face à l'expérience de la formation
et nous souhaitons à présent essayer de comprendre ce que ces
attitudes signifient. Pour cela nous nous tournons vers les acteurs
concernés : les étudiants et les professionnels.
3 - Le point de vue des
étudiants
Au coeur du système de formation, les étudiants
racontent leur vécu de stagiaire. A travers leur regard nous avons
essayé de mieux appréhender les contraintes qui imposent des
manières d'agir aux infirmiers quand ils exercent leur rôle de
formation auprès de ces stagiaires. Tout se passe comme s'il existait
trois niveaux de contraintes fortes avec une donnée
supplémentaire biologique et singulière que nous traiterons
à part. Dans le tableau qui suit, nous avons souhaité
repérer la récurrence des thèmes évoqués et
décrire de manière synthétique les regroupements que nous
avons effectués lors du passage aux niveaux supérieurs, que nous
nommons niveaux mais que nous ne souhaitons pas hiérarchiser et que nous
pourrions aussi bien appeler cadre en référence au sens de
Goffman (1991). Il nous a semblé plus explicite de présenter ce
tableau d'analyse thématique in texto pour donner une approche
globale avant d'aller dans le détail plutôt que de se perdre dans
des explications alors que notre intention est d'être plus clair. Dans le
texte explicatif qui suit nous développons donc ces cadres et ce qu'ils
représentent ici à travers les propos recueillis des
étudiants. (cf. Annexe n°7)
Tableau d'analyse thématique
NIVEAUX
|
étudiants
thèmes
|
Cassandra
|
Anne-lise
|
Arnaud
|
Glawdys
|
Eric
|
Rose
|
Laurie
|
ORGANISATIONNEL
|
référent
|
besoin
|
2 c'est mieux
|
pas 1 seul
|
|
|
|
2 au mieux
|
équipe
|
besoin
|
besoin
|
besoin
|
|
besoin
|
|
besoin
|
evaluation1/2
|
besoin
|
|
|
|
|
|
besoin et même plus
|
INSTITUTIONNEL
|
Motivations
professionnelles.
|
besoin
|
|
besoin
|
besoin
|
besoin
|
besoin
|
besoin
|
FC
|
besoin
|
|
|
besoin
|
besoin
|
|
|
INTERPERSONNEL
|
indifférence
|
|
néfaste
|
néfaste
|
néfaste
|
néfaste
|
néfaste
|
|
pédagogie
|
|
besoin
|
|
|
besoin
|
besoin
|
besoin
|
charge de w
|
|
|
indifférente
|
|
indifférente
|
|
néfaste
|
responsabilisation
|
|
besoin
|
besoin
|
besoin
|
besoin
|
besoin
|
besoin
|
communication
|
besoin
|
besoin
|
besoin
|
besoin
|
besoin
|
besoin
|
besoin
|
accueil
|
besoin
|
besoin
|
besoin
|
|
|
|
besoin
|
BIOLOGIQUE
|
planning
|
|
|
adapté
|
|
|
|
|
3.2 - Cadre
institutionnel
Parce que nous nous trouvons à la croisée du
champ de la formation et de celui du monde du travail, il existe des
contraintes institutionnelles incontournables pour les professionnels. Ainsi,
le décret de compétences actuel des infirmiers en date de juillet
2004 leur impose un rôle légiféré :
[Selon le secteur d'activité où il exerce, y
compris dans le cadre des réseaux de soins, et en fonction des besoins
de santé identifiés, l'infirmier ou l'infirmière propose
des actions, les organise ou y participe dans les domaines suivants :
1. Formation initiale et formation continue du personnel
infirmier, des personnels qui l'assistent et éventuellement d'autres
personnels de santé ;
2. Encadrement des stagiaires en formation ;
3. Formation, éducation, prévention et
dépistage, notamment dans le domaine des soins de santé primaires
et communautaires ; ]18(*)
Dans ce cadre les étudiants relèvent des
différences de motivation et d'envie d'exercer ces actions. Ainsi,
Cassandra nous exprime la difficulté que lui renvoient
« des professionnels de santé qui ne souhaitent pas
encadrer » plus insidieusement retrouvée dans des propos
comme ceux d'Arnaud où il décrie ces stages
« où on nous ne considère pas comme de futurs
professionnels. La façon de nous parler, la façon de nous faire
des remarques, le peu d'intérêt porté lorsque nous disons
quelque chose. » Ainsi, certains professionnels se retrouvent
contraints dans un rôle dévolu par une législation mais
dans lequel ils ne se sentent pas à leur aise et où ils vont
jusqu'à imaginer que « leur » service pourrait
choisir les étudiants voire leur interdire complètement
l'accès, comme en témoigne les propos d'Eric à qui une
infirmière lui a dit qu'il « n'avait rien à faire
dans un tel service » avant de lui assener le lendemain un
« tiens t'es revenu, toi. » D'autres
professionnels ne semblent même pas s'inscrire dans cette obligation
allant jusqu'à considérer l'étudiant comme des bras
supplémentaires, « pour d'autres j'étais
plutôt une aide » nous écrit ainsi Laurie.
Comment déterminer une fonction lorsqu'une obligation
légale n'est parfois pas suivie ? Comment permettre à des
étudiants comme Glawdys de pouvoir affirmer avec soulagement que
« l'infirmière est restée très
objective » malgré ses erreurs liées à sa
situation d'apprentissage ?
Ces professionnels ont marqué négativement les
étudiants par leur approche et nous sommes en droit de nous demander si
leur formation pédagogique voir didactique est suffisante pour exercer
alors un tel rôle auprès de futurs professionnels. Cependant,
d'autres sont perçus inversement de manière positive aussi nous
ne pouvons incriminer ici que d'éventuelles lacunes théoriques.
Alors que ces différences semblent participer également à
la construction réflexive des étudiants puisqu'ils sont capables
de déterminer ce qui semble aidant de ce qui ne l'est pas ; les
réactions diffèrent, certes, mais n'est-ce pas cette
différence qui permet à l'étudiant de se construire une
image du futur professionnel qu'il souhaite être ? De même, la
perception d'un étudiant est également reliée à
l'image que donne tel ou tel service, ce dont Arnaud se fait le reflet
lorsqu'il prétend que « ce sont toujours dans les
mêmes stages où nous sommes mal encadrés »
et même s'il modère lui-même ses propos en les qualifiant
d'« une simple constatation. » L'effet d'image
joue très certainement également un rôle qui n'autorise pas
les étudiants à s'inscrire dans un stage sans les
préjugés que nous pourrions comparer à ceux que pourrait
avoir un enseignant de CM2 sur un enfant décrit comme mauvais
élève par tous ses prédécesseurs. Nous nous
retrouvons donc ici face à un effet Pygmalion inversé ou
négatif, le regard de l'étudiant créant la crainte du
stage devenant alors « LE » stage maudit. Cet effet
Pygmalion négatif est retrouvé dès les entretiens
exploratoires auprès de la Directrice de l'IFSI interrogée qui,
au début de l'entretien me glisse un « puisqu'on est
obligé de faire appel à ce genre de stage
hein ? », finissant par dévoiler complètement
son ressenti sur certains lieux qu'elle n'utilise qu'à regret et au
décours de soucis d'organisation : « Il nous
manque plus que 2 stages mais ça va être dans des lieux obscurs
qu'on va les trouver... des lieux obscurs. Donc ça c'est un vrai
problème. Ça c'est un vrai, vrai problème
... » La véritable question serait alors dans ce que les
étudiants puisent au sein de ces stages ressentis négativement
et, finalement, ne serait-ce justement pas cet effet négatif qui apporte
le plus ?
De la même manière, les étudiants pointent
la dichotomie théorie-pratique où la théorie, à
l'instar du travail intellectuel par rapport au travail manuel, serait
l'apanage des IFSI reconnaissant finalement à ces derniers la
connaissance de la vérité applicable par tous, en tous lieux et
en toutes circonstances. Ainsi, Glawdys nous rapporte le cas d'une
infirmière qui « répondait que c'était parce
que j'étais là qu'elle faisait comme ça mais que
d'habitude elle faisait différemment... » Allant plus
loin, une autre étudiante nous raconte la difficulté
éprouvée face aux « professionnels de santé
qui ne se remettent pas en question sur leur pratique
professionnelle » comme ci cette pratique lui était
acquise suffisamment pour l'intégrer et l'utiliser au sein d'une analyse
lui permettant d'affirmer que ces professionnels n'ont pas de bonnes pratiques
et devraient peut-être se mettre à jour sur les théories en
cours.
Le décret de juillet 2004 détermine pourtant que
[pour garantir la qualité des soins qu'il dispense et la
sécurité du patient, l'infirmier ou l'infirmière a le
devoir d'actualiser et de perfectionner ses connaissances
professionnelles]19(*) et le fait d'effectuer les actes différemment
en présence de l'étudiant montre bien une parfaite connaissance.
Ce que relèvent les étudiants serait donc plus de l'ordre d'une
distance importante entre ce que les IFSI leur enseignent et ce qu'ils peuvent
observer dans la réalité. A l'heure d'une actualité
brûlante sur les erreurs professionnelles il est difficile d'imaginer que
les praticiens en place ne soient pas conscients de leurs actes mais ceci nous
montre cependant la difficulté des liens actuels entre IFSI et
professionnels, soulignés par les propos de la Directrice de
l'IFSI : « pour pouvoir construire, je dirais, un
partenariat beaucoup plus important par rapport à ce qui existait
auparavant (...) qui était un partenariat ... un partenariat gris comme
moi j'appelle cela. » De manière identique, la Directrice
des Soins Infirmiers, qui plus est, affirme que « le but
à atteindre, c'est qu'je peux vraiment, je le souhaite pour les uns et
les autres : c'est arriver à avoir un partenariat le plus large
possible avec les instituts de formation, ça c'est très
clair. »
Contrairement à ce qu'affirment les étudiants,
il semble donc qu'une remise en question institutionnelle soit en marche avec
une réelle volonté d'amélioration de cette situation dont
les étudiants pâtissent aujourd'hui.
3.3-Cadre
organisationnel
Pour des questions de cohérence, le CHU concerné
par notre étude met en place des pratiques d'encadrement uniformes au
sein de ses terrains de stage. Les services sont donc, pour la plupart,
organisés avec un ou plusieurs référents de stage et
effectuent le plus souvent des évaluations à mi-stage. Le
principe du travail d'équipe dans les services est également un
principe d'organisation commun à l'ensemble des services visités
de par la structure même du travail infirmier, qui fonctionne dans une
continuité des soins dans l'alternance des horaires et par la passation
du travail au sein des transmissions. Chaque professionnel est donc tributaire
du travail effectué en amont et a une incidence sur le travail qui sera
effectué en aval et il ne peut subséquemment pas se
départir de la coopération indispensable avec l'ensemble des
professionnels de santé qu'il côtoie.
En termes de référence, les étudiants
pointent les difficultés qu'ils ont pu rencontrer lors des
références unitaires comme Eric qui nous raconte une rencontre
difficile :
« A mon arrivée, je fus pris en charge
par ma référente. Celle-ci me demanda de me présenter
rapidement et de résumer mon cursus professionnel. Elle me dit alors que
ce stage allait certainement être particulièrement difficile pour
moi car un homme de mon âge, avec tous ses préjugés, et de
surcroît non issu du milieu médical, n'avait rien à faire
dans un tel service. Lui demandant ce qu'elle entendait par-là je fus
confronté à son silence, silence que je rencontrerais souvent par
la suite, puisque je n'ai jamais réussi à établir de
réel dialogue avec elle. »
Cependant, ils expriment, pour quatre d'entre eux, le
bénéfice qu'ils ont tiré d'une pluralité de
référence plutôt qu'une référence unique,
ainsi que l'exprime Arnaud :
« J'ai trouvé très agréable
d'être encadré par un professionnel en début de stage, qui
voit notre niveau puis ensuite changer de professionnel pendant quelques temps
en milieu de stage et être de nouveau encadré par le premier
professionnel en fin de stage, qui peut alors voir notre
progression. »
Il semble donc être reconnu par les étudiants que
le système de référence est un système facilitant,
« ce qui a été facilitant ce sont les
référents : un infirmier(e) qui s'occupe de nous durant tout le
stage, on se trouve sur le même roulement, du coup il peut voir notre
évolution » nous dit Cassandra ou « de
façon générale, je préfère un encadrement
avec au moins un référent, l'idéal est deux, à mon
avis » affirme Laurie. Tout se passe donc comme si la
référence pouvait être vécue à la fois comme
un chemin de croix pour des difficultés relationnelles mais qu'elle
permettait également un ancrage fort qui aide l'étudiant à
se situer face à son évolution au sein du stage. Le
référent serait alors un professionnel particulier, aidant
l'étudiant dans sa quête vers le professionnalisme apparemment
plus performant dans ce rôle quand il n'est pas solitaire, en tout cas du
point de vue des étudiants, car plus centré sur les
compétences à acquérir quand il n'est pas seul
plutôt que sur la relation à l'étudiant.
L'évaluation est requise pour certains étudiants
comme permettant «un soutien ou un
réajustement » et jugée comme un handicap si elle
n'est pas réalisée, à l'instar de Laurie qui se plaint
d'avoir été « très peu
évaluée » lors du stage qui lui a posé le
plus de difficultés. Il semblerait que cet état de fait ne soit
pas requis par tous et que certains, moins sensibles à l'attente des
professionnels, peuvent se réaliser parfaitement au sein des stages
malgré l'absence de référents, comme en témoigne
l'adaptation d'Eric face à une « structure [qui] faisait
appel à des IDE intérimaires » et que
« c'est avec l'un d'eux (...) que j'ai vécu cette
situation [positive].»
Lors des conversations avec les professionnels, il
s'avère que cette évaluation fait une entière
unanimité mais n'est pas toujours réalisée faute du temps
requis jugé nécessaire et que cette déficience
relève donc davantage d'un problème réel d'organisation
plutôt que d'un niveau organisationnel. Ceci nous emmène au
dernier niveau qui nous semble pertinent ici :
3.4 - Cadre interpersonnel
Alors que la charge de travail ne semble pas être un
obstacle à la prise en charge des étudiants, comme le
relève Arnaud : « ce sont dans les services où
il y a beaucoup d'étudiants et où la charge de travail est
importante où l'encadrement que j'ai reçu a été le
mieux! » , Eric surenchérit même cet état de
fait en décrivant le contexte de la situation vécue qu'il a le
plus appréciée : « un matin nous ne nous
retrouvions plus que, l'IDE intérimaire dont c'était la
troisième journée de présence, une AS, un agent de surface
et moi-même. » Il semblerait donc que la charge de travail
qui pèse sur les professionnels ne joue pas sur la qualité de
leur mission de formation à l'exception de ce qui est relevé par
Laurie quand elle nous dit que « La cadre de santé
était très prise aussi donc pas trop
disponible. » Cette aporie montre que la latitude des
professionnels s'exerce au sein d'une organisation elle-même
intégrée dans une institution qui place le rôle de
formation à un grade différent de l'obligation de soins imposante
et immuable. Il apparait alors que tout un cadre au sens de Goffman
permettrait à l'étudiant de s'intégrer au sein d'un
stage.
Ce cadre présente plusieurs étapes au sein des
stages :
· L'accueil
· La communication
· La pédagogie
3.4.1 - L'accueil
« Ce qui a été facilitant ce sont
(...) l'accueil : des explications sur le statut du stage, les pathologies
prévalentes, les connaissances pré-requises » nous
dit Cassandra, appuyée par Eric quand il exprime que
« l'encadrement des étudiants est quelque chose qui ne
s'improvise pas avec un simple livret d'accueil que l'on fait semblant de lire
parce que dedans il n'est écrit que des choses évidentes et sans
intérêt. » Cette porte d'entrée dans le
monde professionnel est donc un moment qui semble essentiel aux
étudiants et qui, s'il paraît presque naturel lorsque nous
invitons quelqu'un chez soi, peut être plus difficile à
réaliser dans le quotidien des services face à des
étudiants semblables à Anne-Lise qui nous avoue que
« tous mes débuts de stages sont très durs. J'ai
toujours peur de mal tomber. Ce qu'on cherche avant tout c'est d'être
inclus dans l'équipe. » Puisque justement ce statut
d'étudiant rend éphémère leur passage dans un
service, il s'avère que certains professionnels n'effectuent
peut-être pas toujours l'effort d'inviter ces infirmiers en devenir
à entrer dans « leur maison », ce qui pourtant peut
se faire simplement comme dans la situation que nous décrit
Laurie :
« Le premier jour, elle m'a donc accueillie,
elle m'a présenté le service à l'aide d'un livret
d'accueil individuel sur lequel je pouvais écrire mes acquis et les
soins à acquérir en fonction de mes objectifs personnels. Ensuite
elle m'a fait un rappel théorique dans un bureau, elle m'a montré
le fonctionnement du service avec l'outil de travail qui était
l'ordinateur et m'a expliqué l'organisation en fonction des
horaires.
A la fin de cette première journée je savais
où j'allais. »
Cependant, cette première porte ouverte ne suffit pas
forcément pour que l'étudiant se sente dans un environnement
qu'il ressent comme satisfaisant pour lui permettre d'apprendre, de se former
et de progresser au sein d'un stage.
3.4.2 - La communication
Infirmier étant un métier de communication, il
ne semble pas étonnant du tout que les étudiants en Soins
Infirmiers parlent tous autour de cette-communication utilisant par la
même ce qu'ils considèrent comme son mode privilégié
au sein de la profession à laquelle ils aspirent : le langage.
Lorsque nous connaissons la difficulté que représente la
concordance des Arrière-Plans de chacun au sens de Searle (1985) afin de
réussir à se comprendre dans l'utilisation de mots, nous pouvons
facilement imaginer que cette communication langagière peut
représenter un obstacle même au sein d'une communauté qui
pratique la relation au quotidien.
Ce qui est le plus difficile pour les étudiants parait
donc être en toute logique l'absence de communication que nous avons
nommée ici « indifférence », comme nous
l'annonce « tout de go » Anne-Lise :
« J'ai très mal vécu ce stage par rapport à
une infirmière (ma référente) qui ne m'adressait
pratiquement pas la parole ». Ce manque de parole est repris par
Eric lorsqu'il nous écrit : « je fus confronté
à son silence, silence que je rencontrerais souvent par la suite,
puisque je n'ai jamais réussi à établir de réel
dialogue avec elle ». Ainsi, tout porte à croire que
l'importance du relationnel est ici déjà intégrée
et que c'est à travers cette valeur professionnelle que les
étudiants expriment leur ressenti, ne comprenant pas qu'il n'y ait
« aucune explication malgré mes
questionnements » une situation aussi vécue par Rose qui
a « très mal vécu lors d'un stage dans un
hôpital quand une infirmière (...) ne voulait pas répondre
à (ses) mes questions ».
Pour ces étudiants, le silence témoigne d'un
manque de considération et Arnaud exprime très bien la
portée de ce problème, avec ce point de vue :
« Je pense qu'il est important de considérer
l'étudiant infirmier (...) La façon de nous parler, la
façon de nous faire des remarques, le peu d'intérêt
porté lorsque nous disons quelque chose ». Il y a une
recherche réelle de compréhension qui ne semble pas toujours
être apportée par les professionnels comme en témoigne
l'infirmière rencontrée par Glawdys :
« Elle a préparé son
matériel sans m'expliquer le « pourquoi du
comment. » On est arrivé dans la chambre, elle a
préparé son matériel toujours sans explication. J'essayais
de ne rater aucune étape pour bien comprendre le soin.
Je l'ai observée, manipulant le
matériel(...)... et à mes questions (...), elle répondait
que c'était parce que j'étais là qu'elle faisait comme
ça mais que d'habitude elle faisait différemment...
(c'était logique !)
Nous sommes ressorties de la chambre, j'avais rien compris
aux étapes du soin car il n'y avait eu aucune logique, aucune
explication malgré mes questionnements...
(...) elle n'expliquait rien, ne faisait aucun lien pour
nous éclairer... »
De manière sans doute incitée par le poids des
responsabilités inhérentes au métier d'infirmier, il
parait se créer parfois un fossé entre les étudiants qui
souhaitent comprendre pour minimiser leurs angoisses et les professionnels qui
utilisent peut-être d'autres moyens que le langage pour transmettre leurs
savoirs. Certains messages passent néanmoins puisque Cassandra pense que
certains professionnels « ne souhaitent pas
encadrer » alors qu'« aucun ne le dit
directement ». Tout se passe ici comme si les paroles
échangées participaient à une certaine
considération pour l'étudiant, en lui signifiant une
intégration au sein de l'équipe, comme l'illustre Anne-Lise en
parlant des référents qu'elle a appréciés :
« Elles n'ont pas hésité (...), à m'inclure
dans les conversations, à me présenter ».
Allant plus loin en terme de défaillance de la part des
professionnels, Eric souhaite « l'apprentissage des techniques du
dialogue interprofessionnel » au sein de la formation
infirmière alors que l'on retrouve des unités d'enseignements,
in texto, dans le référentiel de formation en relation
avec la compétence 6 qui est : « Communiquer et conduire une
relation dans un contexte de soins » en place et lieu de trois
unités d'enseignement (UE) : UE 4.2.S2, S3 et S5 concernant
les soins relationnels. De la même manière, dans chacun des
semestres, une unité d'intégration concoure
à l'acquisition d'une ou plusieurs compétences. Ainsi sont
combinés et mobilisés les ressources, savoirs et savoir-faire,
acquis dans les UE du semestre en cours puis, progressivement, des semestres
précédents avec, au semestre trois : UE 5.3.S3 communication et
conduite de projet.
Il semblerait donc que la formation ne soit pas mise en
défaut, mais alors qu'est ce qui empêche professionnels et
étudiants de communiquer « vrai » ?
3.4.3 - La pédagogie
Dans la lignée de Pestalozzi, pédagogue
souhaitant progressivité et éclosion des enseignements dans le
respect des élèves, nous parlerons ici de la pédagogie
comme de la nécessité d'enseigner une culture infirmière
autrement que par le dressage et l'endoctrinement sans pour autant
délaisser ceux qui sont rétifs à cet enseignement. Passer
d'une poïesis, création par le langage, à
une praxis, action en vue d'un résultat, sans
violence, par le dépassement, ne se fait que dans l'action, ici celle
des professionnels inventant sans cesse de nouveaux dispositifs pour
éduquer tout en laissant un espace de liberté suffisant aux
étudiants. Dépasser par la pratique les apories théoriques
tel est le but de l'ensemble de la communauté éducative qui a
ainsi donné un sens commun positif à l'adjectif
« pédagogue ».C'est à partir de ce sens
commun que nous avons élaboré la rubrique
« pédagogie » dans laquelle nous avons classé
ce qui semblait relever des dispositifs mis en place par les professionnels ou
même l'absence de ceux-ci relevée par les étudiants.
Imbriquée dans l'ensemble des autres inférences
du cadre exploré, la pédagogie relève à la fois de
la manière dont l'étudiant est abordé, Anne-lise affirmera
ainsi : « j'étais quelqu'un et non pas quelque
chose », et à la fois de la construction même de
l'apprentissage ressenti positivement ou négativement comme en
témoigne Laurie qui se plaint qu'elle « n'avais (t) pas de
suivi » alors que ce qui lui va est une évaluation
continue durant l'ensemble d'un stage.
Ainsi, nous ne pouvons que regretter que l'absence de moyens
face à des étudiants réfractaires puisse conduire à
des paroles violentes envers Rose telles « une infirmière
m'a dit que je n'étais pas faite pour ce métier »,
et la question de la formation initiale se pose lorsqu'une infirmière
demande à Eric
D'« être capable, dés le lendemain,
d'expliquer dans le détail les pathologies auxquelles se rattachaient
leurs troubles, de lui présenter, pour chacun d'eux, une démarche
de soins selon l'approche freudienne et selon l'approche multifactorielle de
ceux-ci, ces démarches devant se conclure par la justification, voire
une proposition de modification, de la grille d'évaluation des troubles
mise en place, soit d'une réévaluation des résultats de la
thérapie cognitivo-comportementale mise en place, leurs dossiers
étant à ma disposition pour cela. »
Cette demande est bien évidemment totalement
irréalisable dans le temps imparti pour un étudiant comme pour un
professionnel n'exerçant pas dans ce service précis. Il n'existe
pas actuellement d'enseignement de la pédagogie dans la formation
infirmière initiale et, si la visée éducative de la
pratique quotidienne des étudiants ne laisse aucun doute, les
étudiants semblent déplorer cette absence. Réservée
actuellement aux cadres se destinant à la fonction de formateur, il
semble que l'apprentissage des techniques pédagogiques pourrait
être également utile aux professionnels formant les
étudiants sur les lieux de stage. Sans dénier les qualités
pédagogiques de la plupart des professionnels, nous pensons
néanmoins que la violence des propos rapportés par les
étudiants pourrait se raréfier s'il existait une meilleure
compréhension du processus d'apprentissage, du lien pédagogique
nécessaire entre apprenant et formateur et de la didactique des
professionnels.
3.4.4 - Responsabilisation
Le cadre du stage étant posé sur le plan des
interactions des acteurs, il faut tout de même rajouter une rubrique qui
n'est pas toujours présente dans le cadre général mais qui
prend une importance croissante au fur et à mesure de l'avancée
dans la formation : la responsabilisation. Elle semble vécue comme
une promotion vers la professionnalisation de la part des étudiants, et
la prise en charge des patients de manière autonome est l'apogée
du stage réussi, comme l'écrit Laurie qui annonce
fièrement que l'infirmière lui « laissait
gérer toute la prise en charge, également du point de vue
administratif. » C'est bien l'autonomie tant recherchée
qui est en jeu lorsque Rose pointe sa satisfaction lorsque l'infirmière
lui « a montré qu'elle avait confiance. »
Qu'est ce qui permet à cette relation de confiance de
s'opérer ?
D'un côté les étudiants confirment
l'importance des techniques employées pour permettre l'instauration de
cette confiance réciproque comme en témoigne Arnaud :
« Mme V. (cadre de santé) laisse les étudiants se
prendre en charge. (...) Je pense que cette méthode permet tout
simplement à l'étudiant de se sentir plus impliqué dans
son stage, c'est lui qui doit se prendre en charge et ensuite aller vers les
professionnelles », d'un autre côté la relation
directe avec les professionnels semble prépondérante pour la mise
en place de la confiance nécessaire à l'adaptation au service
selon l'affirmation d'Anne-lise que « ce genre de comportement
aide à s'adapter au service, à apprendre plus vite les soins
à effectuer, à s'inclure dans l'équipe soignante. J'ai
pris confiance en moi dès le début de mon stage et par
conséquent j'ai effectué un super stage avec une invitation
à revenir quand je serai diplômée!!! »
Eric résume parfaitement ce processus de
responsabilisation comme « rapide mais (...) progressive
(f) » où l'étudiant doit à la fois
s'adapter rapidement sans pour autant « mettre la charrue avant les
boeufs » sous peine de perdre la confiance des professionnels qui, si
elle se donne d'emblée, demande du temps pour se reconstruire dans ce
cas, temps qui n'est pas l'apanage des stages infirmiers actuels.
3.4.5 - La charge de travail
Sur le plan des individus, un dernier point est
évoqué par les étudiants de manière totalement
antonymique à l'idée répandue au sein du CHU : la
charge de travail n'altère en rien la prise en charge des
étudiants. (cf. infra,
p59)
Dans les conversations informelles, il semble que les
professionnels rejoignent ces avis dans l'aspect de
« l'habitude » d'accueil des étudiants exprimant une
réelle disparité de prise en charge des étudiants selon
les quantités d'étudiants passés dans les services. Quand
les étudiants sont accueillis en grand nombre, il semblerait en effet
que la formation se fasse de manière plus
« naturelle » et donc moins coûteuse pour les
professionnels, qui se plient alors plus facilement à ce rôle
faisant parti de leur quotidien.
En revanche, toujours informellement, les infirmiers tirent
une sonnette d'alarme, profitant de la réforme pour exprimer des
inquiétudes face à une augmentation constante de leur charge de
travail ainsi que de la détérioration de leurs conditions de
travail notamment sur un des sites du CHU où l'obligation du travail de
nuit s'instaure service après service. Ces évènements, de
leur point de vue, risquent d'entrainer des nuisances en termes de formation,
le soin étant prioritaire sur l'action de formation.
Nous ne constatons donc pas d'incidence de la charge de
travail sur la qualité de l'action de formation mais il nous a
semblé néanmoins nécessaire de rapporter ici
l'inquiétude exprimée des professionnels.
3.5 - Cadre biologique
Pour appuyer s'il en était besoin, les
appréhensions des professionnels, un étudiant a
dévoilé une difficulté d'ordre physiologique, identifiant
une corrélation entre la fatigue physique et le déficit
d'attention : « La fatigue accumulée au
départ, (...), joue énormément sur
l'attention. » Arnaud pose alors la question de
l'intérêt de faire suivre le planning des étudiants
à celui des professionnels qui les forment invoquant le statut
particulier des étudiants puisqu'ils sont, effectivement, en situation
d'apprentissage et non en situation de travail.
En évoquant ces propos auprès des
professionnels, les réponses ont été vives et critiques
envers cet étudiant, invoquant des « il n'a pas fini de se
plaindre » ou des « de toute façon
maintenant c'est comme ça, ils ne veulent plus faire de
concession » dans un ensemble unanimement réprobateur.
Cependant, en conversant un peu plus longuement, la difficulté
principale évoquée par les professionnels sur leur exercice est
la fatigue. Cette fatigue est volontiers attachée à une
pénibilité du travail, un grand nombre de responsabilités,
une attention constante demandée, une disponibilité de tous les
instants... mais la difficulté des horaires n'est que rarement
évoquée. Ceci est étonnant au sens de remarquable quand on
sait que le travail sur deux horaires complémentaires entraine
assurément ce que pointe Arnaud quand il nous dit
qu' « il n'est pas normal entre 20 et 25 ans de faire une
sieste l'après midi pour récupérer » car
« nous nous levons (...) à des heures différentes
tout le temps. » Il semble s'exercer ici un déni total de
la fatigue pourtant ressentie par tous et ne pouvant résulter, en terme
biologique, d'aucun autre facteur qu'une dette de sommeil effective.
Pour tenter de comprendre ce déni il faut
peut-être analyser le cadre requis pour effectuer ce travail, saisir
pourquoi cette fatigue physique se doit de ne pas être placée au
centre des problèmes, laissant penser qu'il n'est pas convenable d'en
parler. En abordant le sujet avec les professionnels, ils ont d'ailleurs
été, pour la plupart, étonnés d'apprendre qu'ils
n'étaient pas seuls à pratiquer la sieste et que cette pratique
se retrouvait couramment dans leur communauté, comme si ce sujet
était presque tabou en-dehors de la fatigue autorisée suite
à des sorties entre amis ou en famille.
Le fait même qu'un seul des étudiants
interrogé nous ait parlé de cette fatigue physique semble abonder
dans le sens de ce tabou que chaque futur infirmier doit intégrer dans
son habitus professionnel alors même que, justement, la jeunesse de ces
étudiants devrait faciliter la récupération de ces
horaires à contre-sens de l'enseignement du respect des rythmes
biologiques effectués par les infirmiers auprès des patients.
3.6 - Le cas d'Eric :
paradoxe de l'apprentissage de la formation professionnelle
infirmière.
Eric est un étudiant en reconversion professionnelle
qui a réfléchi à cette reconversion et souhaite ardemment
se tourner vers le métier de soignant. Issu du monde professionnel
enseignant, Eric nous a livré des réponses
particulièrement pertinentes pour notre recherche. Nous exposant en
premier lieu la situation d'encadrement qu'il a particulièrement
appréciée nous avons d'abord été
étonnée de la construction de cette réponse. Connaissant
les demandes théoriques lors de la présentation orale des
patients durant les évaluations pratiques au sein des stages de part
notre appartenance à la profession infirmière, la similitude de
ce qu'Eric a écrit avec ce type de travail est frappante. Il
présente ainsi la situation en commençant par présenter la
structure, le personnel et les typologies de pathologies prégnantes de
chacun des services. La conformité avec le modèle de ce que les
étudiants nomment « démarches de soins » est
tellement remarquable que nous nous sommes demandée s'il n'avait pas
repris des présentations déjà écrites durant les
stages dont il a extrait les situations. Par ce préambule, cet
étudiant montre bien qu'il accepte parfaitement de se conformer à
ce qui lui est demandé pourvu que cela soit explicite et objectivable.
L'écriture de cet étudiant montre la facilité d'expression
qu'il doit avoir dans ce registre et nous ne pouvons que regretter de ne pas
l'avoir rencontré en personne pour apprécier ses idées de
vive-voix. Voici les deux présentations qu'il a réalisées
ainsi :
« Conformément aux consignes
données par mon IFSI, ce stage devait être exclusivement
consacré aux soins relevant du rôle propre IDE et plus
particulièrement aux soins de nursing.
Cet EHPAD accueillait une trentaine de
résidents, dont la moitié avait perdu toute autonomie, et mettait
à leur disposition :
· 1 cadre de service (chapotant aussi une autre
structure similaire).
· 1 IDE matin (6h30-13h45) et après-midi
(13h45-21h00).
· 3 AS le matin ; 2 AS
l'après-midi.
· 1 AMP l'après-midi (12h30-19h30) 5 jours par
semaine.
· 1 garde malade la nuit (21h00-6h30).
· 1 médecin généraliste
référant de la structure.
· 1 agent de surface et un cuisinier travaillant en
coupure.
Les bâtiments y étaient de structure
modulaire avec un hall central desservant une salle à manger, et la
cuisine qui y était rattachée, deux salons attenants aussi
à la salle à manger et ouvrants sur un parc arboré de 1500
M², trois ailes abritant les chambres des pensionnaires, l'infirmerie et
les bureaux administratifs. »
« Ce stage, donc, se déroulait dans une
unité de soins dédiée aux enfants et adolescents en
difficulté psychologique. Cette unité avait pour but
l'évaluation de ces dits troubles et la mise en place d'une
thérapie selon des principes cognitivo-comportementalistes.
Aussi accueillait-elle, indifféremment,
divers types de comportements pathologiques, et notamment au moment de mon
stage :
· Des comportements boulimiques stricts (2 patients
[1? et 1?]).
· Des comportements anorexiques (5 patients [1? et
4?]).
· Des comportements anorexiques avec
hyperactivité chez un ASPERGER (1 patient).
· Des comportements suicidants associés
à des conduites hystériques (1 patiente).
· Des troubles schizoïdes dans un tableau
d'état limite (1 patiente).
· Des Troubles Hyperactifs et
Déficit de l'Attention (2 patients en accueil de jour).
Cette population était âgée
de 8 à 17 ans. De plus, hors les patients accueillis à la
journée, ces hospitalisations relevaient toutes du moyen séjour.
Enfin, si l'une d'elle relevait d'une décision de justice pour couper
la personne accueillie de son milieu familial et ainsi la protéger aussi
bien d'elle-même que de sa famille, les autres relevaient d'un double
accord parental (père+mère).
Je me retrouvais donc en charge de :
· Monsieur B., 10 ans, accueilli depuis 4 mois,
présentant un THDA, bénéficiant dans la structure de cours
de français et de mathématiques dispensés par des
enseignants bénévoles et d'une TCC basée sur un
système d'économie de jetons vis-à-vis de son
THDA.
· Monsieur P., 15 ans ½, accueilli depuis 2
mois, présentant des comportements anorexiques (IMC=16),
bénéficiant lui aussi de cours dans la structure, ainsi que des
interventions bihebdomadaires d'une pédopsychiatre rattachée
à l'unité, pour exploration d'une possible homosexualité
refoulée pouvant être à l'origine des troubles.
· Mademoiselle T., 17 ans, orpheline de mère
depuis 5 ans, placée en institution sur décision de justice
depuis 5 mois suite à une tentative de suicide, accueillie dans
l'unité depuis 2 mois ½ pour comportements de types
hystériques avec activités sexuelles auto mutilantes.
Bénéficiant, elle aussi, de cours au sein de l'unité, il
avait été mis en place, pour elle, un contrat de soins
très strict comprenant notamment un entretient quotidien avec un
psychothérapeute, non-accès a sa salle de bain sans surveillance,
non-accès à son téléphone portable et enfin d'une
communication téléphonique hebdomadaire, sous surveillance, avec
son père (celui-ci relevait d'une enquête judiciaire pour
"détournement de mineur par ascendant dépositaire de
l'autorité parentale").
· Monsieur D., 13 ans ½, accueilli depuis 3
semaines pour une anorexie associée à de l'hyperactivité
motrice (IMC=14,5) dans un tableau d'ASPERGER diagnostiqué à
l'âge de 5 ans. Monsieur D. bénéficiait, à son
gréé, de l'intervention des enseignants bénévoles,
d'une alimentation par sonde naso-gastrique, et d'une prescription en si
besoins de contention pour mettre un terme à son hyperactivité
motrice lorsque toutes les tentatives de le raisonner
échouaient »
Illustrant bien ce que cet étudiant nous a offert, la
situation particulièrement bien vécue est présentée
plus sommairement que l'autre et nous pouvons noter qu'il écrit trois
pages pour ce qu'il a apprécié contre cinq pour ce qu'il a mal
vécu. Pourquoi cette disparité d'équilibre dans la
longueur des textes ? Cet étudiant possède une réelle
attitude réflective et est capable de comprendre pourquoi il n'a pas en
charge la patiente qu'il décrit dans la première
situation, et se pose une multitude de questions dans la deuxième
situation, avec une profonde remise en question de lui :
« A partir de là, je décidais de
calquer mon attitude sur celle du service, faisant ce que j'avais à
faire comme si j'étais seul dans le service, me faisant des
réflexions à voie haute, celles-ci pouvant tout aussi bien
être des compliments que des critiques, affichant une bonne humeur de
façade que rien ne pouvait ébranler, et vis-à-vis de ma
référente je restais silencieux, attentif et ne demandais plus
aucune approbation ou critique de mon travail. (...)
Nombres des comportements et des réflexions de
cette IDE n'ont fait qu'accentuer mon mal être, je m'interroge
aujourd'hui encore sur l'origine de ceux-ci. (...) Par ailleurs, le mal
être que j'ai ressenti au décours de ce stage a aussi, pour
partie, découlé de la confrontation de mes représentations
propres à la réalité du terrain (...) et pour partie de la
difficulté à mettre en corrélation les connaissances
théoriques qui nous sont données en IFSI et le ou les patients
rencontrés »
Eric, dans une conclusion de ces situations, nous affirme
qu'il « reste persuadé qu'une des plus grandes lacunes de
la formation IDE concerne l'apprentissage des techniques du dialogue
interprofessionnel, dialogue qui à cause de cela est à( son) mon
sens, finalement, assez souvent une juxtaposition de
monologues » : que penser de cela ? En nous
positionnant dans une pensée proche de Bourdieu, nous ne souhaitons pas
nous limiter, face à cette affirmation, au simple jeu de relation
d'individu à individu car la vérité de l'interaction ne
réside jamais toute entière dans l'interaction mais plutôt
au sein des raisons qui peuvent pousser l'agent à communiquer ainsi.
Eric ressent « des juxtapositions de monologues »
mais en est-il réellement ainsi et cette non-communication avec lui
ne lui apporte-t-elle pas plus que si « tout » lui avait
été exprimé ?
En effet, tous ces aspects ne sont que la face cachée
d'un iceberg. Ces situations révèlent surtout un paradoxe
terrible. Il semble en effet que la conformité dans le cadre
institué par les professionnels ne permette pas à la
réflexivité de l'étudiant de s'épanouir autant que
lorsqu'il est confronté à la difficulté et à un
cadre déroutant dont il ne connait pas les règles. Cet
étudiant a les qualités requises pour être un excellent
professionnel en termes d'adaptation et de remise en cause mais,
paradoxalement, il apparait que la situation mal vécue soit beaucoup
plus porteuse d'apprentissage pour lui. Finalement, dans la première
situation l'étudiant apprend l'entraide dans une équipe alors que
dans la deuxième il semble acquérir une attitude professionnelle
de réflexivité avec un cheminement dans son parcours de futur
professionnel et surtout une capacité d'adaptation aux
difficultés relationnelles et une connaissance de ses propres limites.
L'injonction paradoxale de l'apprentissage se révèle ici :
si tout se passe comme ce que l'étudiant sait, il n'apprend rien alors
que si l'on bouscule ce qu'il croyait savoir alors l'enseignement peut se
faire.
Nous ne pouvons, pour autant, dire à travers
l'écrit d'Eric que l'infirmière incriminée dans la
situation mal vécue ait créé cette situation
volontairement afin de favoriser la mise en rapport de l'étudiant au
savoir requis pourtant, tout semble se passer ici comme si cette situation
était beaucoup plus porteuse que l'autre, y compris dans la mobilisation
des ressources, puisqu'il fait appel à d'autres professionnels et semble
travailler durement au travail impossible donné par
l'infirmière :
« Je devrai être capable, dés le
lendemain, d'expliquer dans le détail les pathologies auxquelles se
rattachaient leurs troubles, de lui présenter, pour chacun d'eux, une
démarche de soins selon l'approche freudienne et selon l'approche
multifactorielle de ceux-ci, ces démarches devant se conclure par la
justification, voire une proposition de modification, de la grille
d'évaluation des troubles mise en place, soit d'une
réévaluation des résultats de la thérapie
cognitivo-comportementale mise en place, leurs dossiers étant à
ma disposition pour cela. »
Il semble vraiment qu'Eric, comme beaucoup d'étudiants,
reste entravé par une forme scolaire classique où l'apprentissage
doit se faire de manière progressive, en évoluant sur des
objectifs avec une pédagogie traditionnelle : expliquant, montrant
et faisant faire avant d'évaluer l'acquisition. Pourtant, on le voit
bien ici, même si cette forme n'est pas respectée,
l'étudiant apprend. Il apprend même parfois plus que si le
professionnel avait tout expliqué puisque Eric doit faire appel à
toutes les ressources qu'il a en lui pour dépasser sa difficulté
au sein de ce stage duquel, finalement, il sort avec beaucoup de nouveaux
acquis :
« Ce stage si mal vécu m'a finalement
ouvert les yeux sur la complexité de la vie professionnelle du soignant.
Il m'a aussi appris la nécessité d'une remise en cause quasi
quotidienne de soi même afin de ne pas s'enfermer dans des conduites et
des attitudes aliénantes. Aliénantes, aussi bien pour soi que
pour l'équipe, et se terminant alors par une dégradation telle
des conditions de travail que celui-ci devient alors irréalisable et
qu'invariablement c'est, outre celle de la personne accueillie, toute la vie du
soignant qui en pâtit. »
Ainsi nous touchons du doigt à ce que les
professionnels se doivent d'enseigner aux étudiants et que la
théorie ne peut leur permettre d'atteindre : le cadre de
l'expérience. Eric nous décrit les limites du « dire
sur le faire » et ce que la confrontation avec le soin ajoute aux
apports de l'IFSI, indispensables à la compréhension de ces
expériences :
« Je découvrais alors tout aussi bien des
corps totalement déformés par les comportements alimentaires
excessifs, que le reniement tout aussi total de ces déformations. Ces
déformations et ce reniement qu'imposait la maladie, je n'avais pu les
concevoir, au travers des cours de psychiatrie, que de manière
abstraite, froide, semblablement à la façon dont on peut
percevoir les horreurs des camps nazis lors de cours d'histoire, ou
d'émission télévisée sur ce sujet ou cette
période noire. Mais là, j'y étais confronté de
visu, dans une proximité telle que la réalité ne peut pas
être théorisée ou relativisée, le réel ne
peut parfois pas être retranscrit par des images, fussent-elles criantes
de vérité. De plus, les personnes que je voyais défiler
devant moi, dans une sorte de rituel bien orchestré, ne faisaient,
à leur corps défendant d'ailleurs, et de par leur jeune
âge, que renforcer mon mal être. De fait, dans mon imaginaire, la
personne jeune ne pouvait qu'être en santé, et sa présence
en des lieux de soins ne pouvait être que momentanée, pour un mal
transitoire ou suite à un accident de la vie, mais ne relevant que de
quelques jours à quelques semaines de soins. Là, il était
plus qu'évident que le suivi de ces jeunes gens serait long avant que
leur psyché leur permette l'accès à des comportements
alimentaires sains, et plus de temps encore pour que disparaissent les
stigmates de leurs comportements actuels. »
Ces propos relatent mieux que nous ne le ferions
nous-mêmes la confrontation d'avec les terrains de stage et le
vécu des étudiants face à une expérience que rien
ne pourra jamais les préparer à affronter. Les stages sont donc,
en eux-mêmes, des milieux d'apprentissage déjà construits
et il appartient alors aux professionnels de les utiliser comme tels pour
permettre la relation entre les étudiants et tout ce que les infirmiers
souhaitent qu'ils apprennent durant leur stage. A la lumière de ces deux
situations, il semble beaucoup plus difficile d'enseigner les aspects
relationnels que les aspects techniques et, aux travers des actions des
professionnels, nous devrions mieux percevoir quel est l'ensemble des
méthodes qu'utilisent les professionnels pour parvenir à
transmettre leur métier.
3.7 - Conclusion
A travers le regard des étudiants, nous
redécouvrons une partie des concepts de Brousseau construits dans
« la théorie des situations didactiques » entre 1970
et 1990. Nous constatons donc que, même si la situation didactique n'est
pas effective, l'étudiant apprend dans une confrontation avec le milieu
de soins. L'étudiant étant dans un contrat avec son institut de
formation, il apprend même si le professionnel n'enseigne pas et il
apprend d'ailleurs tout ce qui ne s'enseigne pas. C'est donc autant le milieu
dans lequel l'étudiant évoluera que les enseignements des
professionnels qui lui permettront d'acquérir les connaissances
nécessaires à un futur exercice. Ces situations nous montrent
cependant que la création de ce milieu a-didactique propice à
l'apprentissage, s'il est difficile à mettre en oeuvre, empêche
l'étudiant d'accéder aux savoirs s'il est tel qu'il empêche
le contrat de s'établir. Ainsi, il semble que l'apprentissage est donc
ici à la fois soumis à la demande institutionnelle du CHU
conjuguée à celle de l'IFSI et matérialisée par les
protocoles de services de prise en charge des étudiants (accueil,
référence, évaluation de mi-stage...), et à la fois
à l'engagement du professionnel formateur face à celui de
l'étudiant. Toutes ces conditions apparaissent en lien avec l'ensemble
des savoirs acquis durant les stages et si elles ne sont pas réunies,
entrainent des carences auxquelles les autres stages devront pallier. Tout ceci
permet également de comprendre pourquoi un étudiant peut
être perçu comme « mauvais » dans un stage et
« bon » dans un autre et pourquoi des stages sont
détestés par certains et adulés par d'autres.
4 - Panorama des
professionnels face à leur fonction de formation
Les professionnels se doivent
« d'encadrer » les étudiants, selon le terme
usité par eux-mêmes en gérant leurs propres contraintes de
travail. Il en résulte différents types d'adaptations ainsi que
certaines similitudes. Nous allons vous présenter ici le feedback qu'ils
nous ont exprimé par rapport aux observations qui leur ont
été présentées.
Pour réaliser ce panorama et rendre intelligible ce qui
a été dit, nous avons défini plusieurs cadres
différents. Quatre d'entre-eux se sont dégagés de
l'ensemble des entretiens :
· La relation aux étudiants
· Le rapport au reste de l'équipe soignante
· L'action du soignant
· Le rapport aux soins
A l'intérieur de chacun de ces cadres, nous allons vous
exposer les valeurs communes comme les différences entre les
professionnels qui se sont exprimés en sachant dès à
présent que les groupes constitués se sont tous
révélés homogènes dans ce qu'ils nous ont
livré et que les différences ne s'expriment donc que d'un groupe
à l'autre et non au sein d'un même groupe. Tout se passe donc ici
comme si nous avions choisi nous-mêmes les paires de professionnels
rencontrées de par leurs similitudes de point de vue professionnel alors
que les critères de choix ne portaient que sur le sexe et la
durée de l'expérience depuis le diplôme d'Etat. Le
paragraphe concernant le travail d'équipe devrait nous apporter une
certaine compréhension de ce phénomène.
4.1 - L'étudiant
infirmier : Etudiant modélisé ou étudiant
modèle ?
Lorsque nous parlons d'étudiants, de manière
commune nous imaginons facilement une personne jeune et, d'une certaine
façon, une matière facilement malléable et donc modelable.
Or, si l'on en croit l'étude de la DRESS de 2006, plus de la
moitié des étudiants entrant en IFSI avaient plus de 20 ans en
2004 et près du quart d'entre eux plus de 25 ans.
C'est peut-être pour cette raison que seuls deux des
quatre groupes interrogés ont pointé du doigt la
difficulté ressentie due à la jeunesse en relation avec ce qui
est demandé lors des stages. Ainsi, le deuxième collectif
d'infirmière amenuise l'erreur d'une étudiante en lui trouvant
l'excuse de cette jeunesse : « on la remet dans le contexte
de la formation, c'est des jeunes aussi ... »
(I), « ouais, ils ont 19-20 ans, y'a quelqu'un qui demande
ce qu'il a, bah voilà, dans la panique.. » (S)
alors que le trio du quatrième entretien raconte l'obstacle que
consiste cet âge immature lors d'un premier stage :
« C'est sûr que c'est un peu difficile un
premier stage, de se retrouver dans un service de.. pour un jeune avec des
personnes âgées, faire des toilettes, tout ça, c'est vrai
que c'est un peu.. » (F, E4, 220-222),
« En plus c'était vraiment le premier stage, c'est un
garçon très jeune, un peu timide, qui arrivait là en plus
confronté à des personnes âgées, faire des toilettes
à des dames âgées, enfin bon, il n'était pas
vraiment à son aise ce garçon. Il était même
plutôt mal à l'aise. » (C, E4, 207-210)
En allant un peu plus loin sur ce que nous avons dit
auparavant, nous pouvons également imaginer qu'Eric est un cas
particulier car n'est ni jeune ni modelable et ce cas peut, ainsi, expliquer en
partie le ressentiment face à une légitimité dans le stage
exprimée par l'infirmière référente :
« Elle me dit alors que ce stage allait certainement être
particulièrement difficile pour moi car un homme de mon âge, avec
tous ses préjugés, et de surcroît non issu du milieu
médical, n'avait rien à faire dans un tel service ».
Si l'étudiant en soins infirmiers n'est pas modelable selon le
modèle que peut constituer le professionnel qui l'encadre, pouvons-nous
tout de même retrouver la volonté d'une modélisation de la
part des professionnels ?
La réponse est ici partagée puisque, pour
certains, les qualités requises pour l'exercice du métier
d'étudiant en soins infirmiers doivent être présentes
dès le début comme expliqué lors du premier
entretien : « bah justement si on n'a déjà pas
une attitude professionnelle en 1ère année (...)
c'est plus à eux d'aller aussi faire la démarche,
d'aller chercher » (A). Ainsi, ces professionnels attendent
une réaction modèle aux demandes qui sont faites ne laissant que
peu d'espace à l'étudiant non conforme aux attentes :
« je lui donne des pistes, si il veut pas les prendre, je fais.
Je perds pas mon temps » (I) nous dit-on dans le deuxième
entretien. Dans ce même registre, une qualité semble être
indispensable à l'exercice de ce métier : la capacité
de remise en question de soi. Cette qualité est, elle aussi,
souhaitée comme préexistante par les mêmes professionnels
qui reprochent tour à tour à un étudiant de ne pas
avoir cette qualité :
« L'étudiant c'était jamais de sa
faute » (B, E1, 52)
« Quand j'entends ça, quelqu'un qui n'est
pas capable de se remettre en question » (A, E1, 58-59)
« C'est là qu'ils se remettent en
question, c'est pas à moi de réfléchir sur le pourquoi du
comment » (I, E2, 56-57)
« C'est la faute de tout sauf de lui
quoi » (S, E2, 65-66)
A l'inverse, d'autres professionnels, lors du troisième
entretien, même s'ils formulent un embarras face à certains
étudiants : « je ne dis pas qu'il y a un profil type
mais peut-être que cette personne, il y a quand même en terme
comportemental, même si c'est un 1er stage, des petites choses
que... » (R) , nous montrent également leur
capacité à faire la différence entre l'étudiant en
tant qu'individu et l'étudiant en tant que futur professionnel :
« Un élève c'est une personnalité, y'a des
gens qui acceptent tout et d'autres qui acceptent pas du tout et puis y'en a
entre les deux quand même, lui il est entre le deux quand même,
ça va, c'est pas un rebelle non plus » (R) .De la
même manière, en ce qui concerne la remise en question, ces
professionnels tendent à montrer que, même si la remise en
question ne se fait pas d'emblée, elle peut être acquise par
l'accompagnement lors des stages : « l'élève
il a une capacité, il se remet peu en cause puisqu'il dit qu'avant
ça va très bien, que finalement c'est pas de sa faute parce que
c'est mal rangé, bon ça c'est une défense qui, à
mon avis, ne sera pas de taille... » (R)
Encore moins dans l'attente d'un étudiant
modèle, le trio d'infirmières interrogé a
systématiquement remis en cause les professionnels observés
montrant à la fois leur propre qualité de remise en question
comme qualité essentielle et à la fois le droit qu'ont les
étudiants de ne pas la posséder initialement.
Face à ces différentes postures, tout
naturellement, les deux premiers groupes interrogés ne donnent pas leur
confiance immédiatement celle-ci devant se gagner notamment face
à un étudiant qui remet lui-même en cause le service et le
fonctionnement des soins dans ce service. Une des infirmières, lors du
premier entretien nous livre ainsi ses doutes face à la réaction
de l'étudiant qui commet des erreurs lors de la réalisation des
boîtes à médicaments : « moi c'est le
type d'étudiant auquel je n'ai pas confiance (...) même les actes
de base je vais être obligée de les réévaluer avec
lui » (B). Dans une continuité d'esprit une
infirmière du deuxième groupe contourne une partie de ses doutes
face à la capacité des étudiants en nous disant
qu'à chaque début de prise en charge de sa part :
« je lui remontre à ma façon comme cela elle ne
pourra pas dire, je savais pas, je machin... » (I) Cette
même infirmière a une réaction similaire vis-à-vis
de l'étudiant qui remet l'environnement en cause plutôt que
lui-même : « c'est quelqu'un en qui j'ai pas confiance
et ... y'a du travail ! » (I)
Sur un autre point de vue, les infirmiers voient plutôt
cette attitude comme une technique de défense face à l'aveu de
leur ignorance et de l'étendue des savoirs à
acquérir : « C'est vrai que beaucoup
d'élèves dans les formations, quand on leur fait des reproches,
sont sur la défensive » (R). Ces infirmiers laissent
alors l'espace possible à l'apprentissage de cette qualité,
montrant eux-mêmes par cette réaction qu'ils la possèdent.
Ils permettent ainsi à l'étudiant de s'identifier à
travers cette qualité reconnue comme indispensable pour avancer, et ce,
même si cette reconnaissance oblige un travail sur soi qui peut
être difficile. L'imitation du modèle comme mode d'apprentissage,
c'est probablement ce qui permet au dernier groupe interrogé d'aussi
facilement chercher l'erreur du côté des professionnels
plutôt que du côté des étudiants qu'ils
considèrent comme ayant droit justement à cette erreur puisqu'en
formation, a contrario des professionnels censés être
aguerris et experts. Ainsi, s'il y a mauvaise annonce d'un diagnostic, elles
nous disent : « Nan, mais en fait, là, en y
réfléchissant, on se dit qu'elle était toute seule et
qu'on lui a pas fait de transmission en lui disant voilà, ce patient a
ça, il n'est pas au courant heuu, il faut attendre que le médecin
passe pour le préparer, lui annoncé... »
(F) et « bon en ça, l'infirmière est
peut-être en tord, elle aurait mieux fait en parler avant, pour moi en
parler à l'étudiante, lui informer de ce qu'elle doit
dire » (C). Et s'il y a erreur dans la préparation des
médicaments :
« De toute façon, à la
préparation des boîtes, il ya toujours le risque d'erreur
puisqu'il y a toujours un contrôle derrière quand on le donne,
donc à la limite, bon faut pas le faire mais c'est pas catastrophique
non plus c'est vrai que le.. pour ça ! Surtout qu'il y avait 17
boîtes, voilà, moi c'est surtout ça, c'est beaucoup, c'est
beaucoup, c'est pas le but d'un étudiant... » (V, E4,
72-76)
Nous pouvons donc nous permettre de dire que les deux derniers
groupes interrogés semblent plus sûrs de leurs propres actes, ce
qui leur permet de demander sereinement à l'étudiant :
« aller montre-moi ce que tu fais » (R) puisqu'ils
savent détecter les moments vecteurs d'action les plus opportuns pour
éviter que le soin ne dérape.
Ainsi les étudiants infirmiers ne sont pas des
étudiants modèles, ils ont des qualités et des
défauts comme tout un chacun qui peuvent leur permettre d'accéder
avec plus ou moins de facilité à leur statut de professionnel.
Mais passer du modèle de formation au modèle professionnel semble
prendre du temps et certains infirmiers souhaiteraient que les étudiants
qui s'offrent à eux soient par avance déjà sur un
modèle faisant consensus, notamment en termes de qualité de
remise en question de soi, pour que leur travail de formation soit
facilité. Il est difficile de déterminer ici quelles sont les
caractéristiques qui permettent de définir qui sont ces types de
professionnels mais la question du concours d'entrée dans les IFSI se
pose, même auprès de ceux qui servent eux-mêmes de
modèle comme le montre la question posée par un des infirmiers du
troisième groupe : « Bon après, on peut se
poser des questions sur le recrutement, les critères d'entrée
dans les écoles (...) les critères, ils sont jamais
comportementaux donc c'est difficile... » (R)
4.2 - Le travail en
équipe : mythe ou réalité ?
Si nous partons du principe que l'équipe
infirmière est effectivement une équipe dans le sens d'un groupe
de personnes unies par une tâche commune, il apparait ici que ce que nous
observons c'est l'action de construction du futur professionnel à
travers les actions d'enseignement des professionnels. Ceci reste dans le cadre
du travail infirmier puisque cela fait partie intégrante de ses
fonctions. Le mode d'interrogation utilisé pour le recueil de
données a donc ajouté la dimension du collectif et c'est
probablement par ce biais que nous nous sommes retrouvée
confrontée à des attitudes d'équipe face à un
problème plutôt qu'une juxtaposition de points de vue. En plus des
hochements de tête et des assentiments par onomatopées
relevés tout au long de tous les entretiens, lors du deuxième
entretien, une infirmière nous dit de manière totalement
explicite : « voilà, on est d'accord (...) c'est pour cela
que l'on travaille dans la même équipe !! »
(S) Nous avons ici compris que l'accord de paroles venait d'un travail en
équipe plutôt que d'un choix de travail en fonction de
l'équipe, même si des liens se créent effectivement au sein
de ces équipes. Nous avons effectivement ressenti des cohésions
au sein de chaque groupe qui dépassent la probabilité d'avoir
systématiquement regroupé ensemble des professionnels ayant des
liens d'amitié au sein de chaque équipe rencontrée. Comme
le notifient les infirmières du premier entretien, lors de la prise en
charge des étudiants par l'infirmière référente,
« il y a aussi une aide extérieure par un encadrement
ponctuel sur un soin » (A), « cela permet de voir
ce que nous on n'aura pas forcément vu et qu'elle pourra nous dire
même ce qu'on n'aura pas vu » (B).
Dans un élan de groupe, l'ensemble des infirmiers
interrogés pointe l'importance d'évaluer le niveau des
étudiants lorsqu'ils arrivent car, comme le dit un des infirmiers du
troisième groupe : « c'est vrai que le cursus
maintenant, avec les stages en psy etc. etc. qu'elle n'ait pas beaucoup de
technique... » (R). Ainsi les professionnels nous annoncent
unanimement qu' « on lui demande aussi quel a été
son parcours de stage » (A), « où est-ce
qu'elle en est, c'qu'elle sait faire c'qu'elle peut faire machin
lalala » (V) ou encore « d'abord tu demandes,
oui » (C). Le deuxième groupe nous affirme en plus que
« c'est aussi en fonction de ce que l'étudiant nous
renvoie de son assurance et des stages précédents qu'il a faits
(...), c'est la base de la conduite du stage aussi, c'est ce qui va nous
permettre de savoir déjà quelles sont les craintes, quels sont
les points forts, les points faibles » (S). Il semble donc que
l'attitude des professionnels se fera ici en fonction du niveau auquel
prétend être l'étudiant ce qui pose le questionnement de
l'adéquation entre ce qu'il prétendra et le ressenti des
professionnels. Autant, en termes de technicité, il apparait simple de
réaliser des outils permettant de définir ce niveau, autant, sur
le plan relationnel et pour les attitudes professionnelles, il semble
clairement que les questions restent en suspens à l'heure actuelle, ce
qui engendre d'ailleurs certaines difficultés. La prise en compte du
niveau auquel est l'étudiant, une information ainsi reprise par le
premier groupe interrogé : « ce qui va primer
[dans l'évaluation] c'est si il y a une évolution dans
le stage » (A), montre l'importance de la connaissance du niveau
duquel part l'étudiant. Cependant, ce groupe ayant évoqué
cet aspect de l'évaluation conclut tout de même par la
constatation que « la progression ne sera quand même pas la
même qu'un autre étudiant de 3e année donc on ne peut donc
pas mettre la même note non plus ni
l'appréciation » (A). De cet aspect
d'évaluation, le troisième groupe reprend l'évolution
liée à la réforme en renforçant l'importance que
prennent les professionnels dans l'évaluation, avec la disparition des
mises en situation professionnelles évaluées. Ces MSP sont,
aujourd'hui encore, la plupart du temps typiquement effectuées par un
formateur et le cadre infirmier du service, et nous pouvons dire que les
professionnels qui s'expriment sur ce sujet apprécient le changement qui
devrait en découler :
« M : Et, le côté positif de
la réforme, qui est majeur, c'est que maintenant ce sont des
professionnels qui vont évaluer la pratique professionnelle, ce ne sont
plus.. c'est plus un jury, ce ne sont plus les écoles. Ce sont les
professionnels ! Et ça c'est une très bonne chose puisqu' on
arrivait à un système un peu comme le permis de conduire :
Le permis de conduire n'a rien à voir avec la manière de conduire
sur la route derrière, c'est une ineptie ! Tous les professionnels
de l'automobile le disent, c'est une ineptie un permis de conduire comme
cela !
Nous à notre époque c'était un petit
peu ça, on avait des jurys qui venaient d'endroits divers et
variés, qui s'attachaient chacun avec leurs
« dadas » techniques qui n'avaient rien à voir avec
la réalité du service, il fallait faire un soin dans le cadre du
DE (Diplôme d'Etat), au jour d'aujourd'hui ça va être dans
le service où il passe la pratique qu'ils vont être
évalués par leurs pairs, dans le service, et là on va
avoir.. c'est une évaluation professionnelle, ça c'est essentiel.
(...)
R : C'est vrai que par expérience on a quand
même vu, de nombreuses fois, des enseignants, surtout dans notre service,
où on est quand même, bon en réanimation, je ne sais pas
combien cela représente ceux qui ont travaillé en
réanimation par rapport à un service de chirurgie ou de
médecine, donc on a des pratiques et des démarches de soins qui
sont complètement différentes, un concept d'organisation qui est
complètement différent aussi et on a vu des enseignants ne pas
s'adapter à la spécificité du service quoi, en demandant
même à l'élève une démarche, enfin une
procédure.. je ne trouve pas le mot.... de respecter une
procédure d'école qui n'est pas adaptée à notre
service !
M : J'vais même vous citer un exemple
tiré de mon expérience personnelle, bon c'est vieux mais
ça a existé ! Moi j'ai fait, on avait la possibilité,
j'ai fait... ma grosse dernière année d'étude au service
des grands brûlés, stage temps plein, plusieurs stages et tout, je
devais aller travailler là-bas et... bon, le contexte de l'époque
a fait que j'ai pas pu aller travailler là-bas.. Et donc j'ai eu ma
dernière évaluation avant le DE (diplôme d'Etat) en salle
de pansements des brûlés c'est-à-dire à 37°C
dans la salle, les baignoires les ci les là, détersion des plaies
etc. etc. et on m'avait envoyé une... une formatrice je sais plus,
d'Agen, je sais plus trop d'où elle était, enfin bref, elle
arrive là-dedans, enfin elle a dû voir dix minutes du soin, pouf
elle est tombée dans les pommes et elle s'est réveillée
trois quarts d'heure après. Bon, évidemment, le médecin
chef, bon le patron actuel mais il était chef de clinique à
l'époque, bon on avait fait du bien lourd, du bien gras, il était
mort de rire : il m'a dit, « aujourd'hui je te fais tomber
l'oreille ».
Brouhaha et rires
Bon, malgré cela, j'ai eu ma dernière note
là-dessus, elle m'avait dit : « bon, pour ce que j'ai vu,
c'était bien », ça c'est sûr, c'était
bien... bon c'est un exemple
R : Mais en plus, pour l'image que peuvent donner les
formateurs aux élèves, je trouve, pour eux, qu'il y a une perte
de crédibilité des fois des enseignants quand ils viennent sur
le... les élèves se rendent compte quand même des lacunes
de leur enseignant et je trouve qu'après... forcément ces
élèves vont le rapporter à leurs collègues et il y
a une perte de crédit et cela peut être dangereux je crois, enfin,
je ne savais pas que cela allait être à ce point-là mais
c'est très bien que ce soient les gens du service qui... parce que...
moi il m'est arrivé, je ne sais pas si tu te rappelles, lors de la mise
en place... la première année d'existence du PRODAFALGAN®,
il fallait mettre les gants, c'est une recommandation, parc'qu'il y avait des
allergies cutanées et, j'ai fait une évaluation, cela faisait 6
mois que cela existait quand même, une évaluation avec une
élève, bon c'est une histoire vécue, bon, il doit y avoir
4-5 ans, plus que cela peut-être et donc, l'élève
prépare du DAFALGAN® et met donc des gants et se fait reprocher par
l'enseignante d'avoir fait un excès de zèle en matière
d'asepsie en mettant les gants, non stériles évidemment. Elle lui
dit : « hé bé non, c'est obligatoire pour la
préparation, c'est une recommandation du laboratoire etc.
etc. » et perte de crédit de l'enseignant là quand
même pour lequel l'élève cela fait 6 mois qu'il
prépare du PERFALGAN® avec des gants quoi, et là
...pfiouuuu. Bon, c'est énorme comme exemple mais cela montre quand
même le peu de réalité quotidienne de l'enseignant et je
pense que ... voilà. » (M+R, E3, 249-304)
Cependant, lorsque nous reprenons la difficulté
retrouvée dans ce qu'il faut évaluer, dextérité,
évaluation ou un mélange des deux, nous devons ici modérer
l'enthousiasme de ces deux infirmiers en notant qu'aucune formation à
l'évaluation n'est dispensée durant le cursus infirmier et que
les disparités risquent d'être nombreuses et importantes non
seulement d'un professionnel à un autre mais d'avantage encore d'un
service à un autre. Ceci fait partie du futur mais il est
intéressant de noter que cet état des choses est
déjà relevé et fait l'objet de réflexions de la
part des professionnels en place. L'argumentation de ces infirmiers est tout
à fait légitime mais il appartient maintenant aux praticiens de
démontrer leurs capacités à évaluer de
manière consensuelle sur l'ensemble des stages effectués par
l'ensemble des étudiants en Soins Infirmiers de France.
La seule différence notable entre les groupes, ici, est
l'observation de l'absence d'accueil retrouvée et mise en lumière
par le troisième groupe : « c'est bizarre qu'on ne
présente pas le service, qu'au bout d'une heure on passe sur un soin
spécifique technique » (R) ; « les
présentations de service, c'est une petite lacune dans les formations.
On y est confronté assez souvent sur le sujet » (M).
C'est un effort d'analyse que font alors les professionnels pour tenter de
détecter les causes d'erreurs des étudiants ou tout au moins la
recherche d'une mise en confiance des étudiants, reliant le fait que ces
deux groupes donnent la confiance d'emblée et tentent donc toujours de
faire en sorte qu'elle s'épanouisse. Ainsi, le dernier groupe manifeste
que «c'est un peu rapide et je comprends que l'étudiante se
sente, non pas agressée mais... trop vite sollicitée dans le soin
finalement parce qu'il faut toujours un temps
d'observation, d'écoute et puis voir un petit peu comment cela se passe,
repérer les lieux » (V), et ce en faisant un parallèle
avec leur propre expérience, relatant que « nous, quand on
arrive dans un endroit qu'on connait pas, la première chose qu'on veut
faire c'est voir comment c'est, prendre conscience de son
environnement » (V).
Le travail d'équipe s'effectue donc ici
entièrement sur la base d'une complémentarité
apportée par certains professionnels. L'équipe infirmière
est donc bien une réalité pour les acteurs, existant à
travers la continuité des soins, les transmissions et
l'intégration de chaque nouveau professionnel au sein de cette
équipe cohésive. Sans nier l'individu, cette équipe vise
cependant un but commun sans que l'on sache pour autant quand a
démarré ce collectif si fort qu'il pourrait presque être
comparé aux mythes fondateurs tellement il semble difficile aux
professionnels de penser le soin en milieu hospitalier en dehors du groupe et
de la cohérence au sein de ce groupe ; l'empêchant même
parfois de discerner qui de l'équipe ou du travail est apparu avant
l'autre.
4.3 - Relation
pédagogique soignants-étudiants
Comme le signalait un infirmier dans une
précédente citation, un étudiant « c'est une
personnalité » (R) et nous pouvons étendre sa
réflexion aux soignants, ce qui conduit alors à une multitudes de
combinaisons possibles, cohérentes, détonantes ou surprenantes
lors de la rencontre de ces deux individus durant l'expérience de
formation. Partagé entre le cadre du soin et le cadre de la formation,
selon son expertise, le soignant se placera plus ou moins dans l'un ou dans
l'autre. Ce placement permettra ainsi aux étudiants d'intégrer le
cadre requis afin d'assimiler l'ensemble des règles immanentes à
tout le restant de leur carrière.
Le point commun à l'ensemble des professionnels
interrogés, au sein de cette relation, est la manière de
procéder, la technique plébiscitée par tous comme
pédagogie de référence étant l'ostentation
où le professionnel montre puis fait et enfin fait faire en expliquant
les erreurs éventuelles à ne pas produire. Tellement
consensuelle, cette méthode en appelle même à la prise de
parole pour l'ensemble du groupe comme en témoigne les dires des
infirmières des deux premiers groupes qui se laissent aller à
employer le « on » pour parler au nom du groupe :
« on ferait pareil, oui, on montre après on fait faire, on
corrige et on part quoi, oui » (I). Le deuxième groupe
note également la disparité des possibilités de chaque
étudiant : « C'est un peu ce qu'on fait, on fait
refaire jusqu'à temps que l'étudiant y arrive, donc
généralement, cela peut prendre plusieurs fois voir plusieurs
jours et c'est vrai qu'il faut montrer » (B). La même
infirmière reprend ses propos en étayant :
« D'abord on montre et après quand ils se sentent et qu'on
a l'impression aussi qu'ils ont compris ...tout en sachant qu'on ne les laisse
pas non plus, on est tout le temps à
côté » (B). Nous ressentons ici le besoin de
préciser que le moment où l'étudiant est livré
à lui-même ne se fait pas sans de nombreuses vérifications
et avec des garde-fous toujours en place. Pour le troisième groupe,
l'importance de s'exercer avant pour être plus en confiance confirme cet
accompagnement de l'étudiant vers la confiance en soi : «
oui la démarche me parait logique... En plus l'étudiant s'est
exercé avant et pas devant le patient et a plus d'assurance au moment de
la réalisation du soin, un exercice en blanc sous la directive de
l'infirmière... nan, c'est vraiment une bonne
démarche » (R). Quant au quatrième et dernier
groupe, il reprend à la fois cette démarche pédagogique
comme référence et à la fois explique pourquoi elle fait
consensus : « elle s'y prend bien, elle lui montre le
B.A.BA, un truc tout simple par rapport au plateau et tout ça pour
après faire, je trouve que dans sa façon de faire, il y a une
démarche qui ne la met pas du tout en échec, au contraire. Donc
ça le (la ?) met plus progressivement dans le
soin » (C).
En sus, le dernier groupe apporte un élément
nouveau en mettant l'accent sur l'importance des mots à utiliser lors de
l'enseignement d'un acte de soin et ce, même s'il est technique et semble
donc pouvoir être objectivé :
« Moi, ce qui m'interroge c'est que dans ce
soin, l'infirmière dit qu'il ne faut toucher à rien et je pense
que cela doit faire très peur, non ? (rires) Il faut toucher à
tout mais avec des précautions à prendre sinon elle va la bloquer
l'infirmière là non ? Elle va être paniquée non ?
Si on dit de ne toucher à rien alors on se dit alors qu'est c'qu'on peut
faire ... » (F, E4, 4-7)
On se rend bien compte ici de l'impact potentiel d'un mot mal
utilisé, qui peut se traduire en une difficulté que certains
étudiants auront pour assimiler l'ensemble des règles du cadre
professionnel infirmier ; y compris les règles d'utilisation des
mots que l'on pourrait assimiler au « jargon »
professionnel. De nombreux mots sont porteurs d'un sens commun au champ
professionnel infirmier et, pour les comprendre, il faut déjà
appartenir à ce champ, d'où la difficulté ressentie par
les étudiants commettant bévues et contre-sens. A titre d'exemple
précis, reprenons le terme d'« encadrement »
employé par tous pour représenter l'action de formation du
professionnel envers l'étudiant. Lors du premier contact avec un stage,
on imagine aisément que l'étudiant pensera se retrouver en
position hiérarchique face à un « cadre »
représenté par l'infirmier référent qui lui donnera
la liste de ce qu'il pourra et ne pourra pas faire. Nous pouvons, dès
à présent, montrer que ce mot
d'« encadrement » n'est pas suffisant pour décrire
l'expérience de formation au sein des stages et que le titre de
formation professionnelle est, en partie du moins, plus approprié.
Pourtant, lorsque les soignants décrivent leur fonction de formation,
ils parlent d' « encadrement » des
élèves alors qu'ils pensent apprentissage auprès des
étudiants, persuadés que ces termes et notions sont synonymes
alors qu'elles ne le sont pas.
Parmi les infirmiers interrogés, la
responsabilité du soin apparait au travers d'évènements
à prendre en compte vis-à-vis des étudiants puisqu'ils
apprennent « en situation » et exercent leur
activité directement auprès des malades. Les deux premiers
groupes semblent plutôt être dans la crainte de l'erreur
effectuée par l'étudiant comme dit dans le second
entretien : « le jour où il y aura vraiment une
bêtise » (I). Ils considèrent être responsables de
cette erreur pouvant aller jusqu'à l'arrêt d'un stage voir des
études si l'étudiant est vu comme dangereux comme en
témoigne les propos d'une infirmière lors du premier
entretien : « Elle a fait des bêtises qui auraient pu
coûter la vie des patients donc, voilà, on a été
obligé d'arrêter » (B). Pour les autres groupes, cette
responsabilité apparait comme davantage partagée, laissant la
crainte de côté, ils montrent à l'étudiant ses
futurs responsabilités : « même si dans le
service c'est mal rangé ou il y a eu une erreur, c'est quand même
sa responsabilité de vérifier les
médicaments » (R). Ils assument également l'erreur
qui peut être commise à tout instant par un
étudiant dont ils partagent la responsabilité :
« je pense que les deux sont plus ou moins responsables,
l'élève et l'infirmière en fait, l'infirmière parce
qu'elle lui a pas dit et l'élève c'qu'elle a dit »
(C) ; mais ils développent toujours l'évolution possible au
sein des stages en relatant le fait qu'« il fera jamais les
choses seul de toute façon sauf si cela a été
validé et confirmé par l'infirmière après y'a toute
confiance. Je pense que ça c'est important, cela évite des
bêtises et des situations désagréables des deux
côtés » (V). Il semble donc que la confiance
donnée d'emblée aux étudiants permette une crainte moindre
envers ce qu'ils pourront commettre et un stress moins important pour les
professionnels face à la résultante des actes
réalisés par les étudiants. Les professionnels ne laissant
pas la confiance exister d'emblée ne parviennent pas à chercher
les moyens de dépasser un obstacle rencontré en cours de stage,
comme le manifeste une infirmière du premier entretien face aux
arguments qu'oppose l'étudiant face à son erreur lors de la
préparation des médicaments : « Nan, au bout
de plusieurs altercations comme ça (...) j'aurais
arrêté » (B). L'intérêt de l'équipe
reprend alors tout son sens puisque cette infirmière nous explique que
« si besoin quand l'étudiant pose problème on passe
la main si cela ne va pas » (B). Une infirmière du
deuxième entretien, elle, nous développe une autre
réaction face à cette opposition : « Mais si
tu sais pas pourquoi tu le fais, comment tu le fais et ce que tu
vérifies et tout ça, je le fais à la place des gens
moi » (I), plutôt que de laisser l'équipe prendre
le relais, elle laisse son rôle de formateur de côté et se
retourne vers celui de soignant, considérant ainsi que cet
étudiant n'a pas sa place dans le stage si son attitude ne change
pas.
Nous le remarquons bien ici, l'action de formation est
liée à la relation entre étudiant et infirmier et,
au-delà de cette interaction, elle se place même dans le cadre de
l'expérience de formation. Cette expérience existe dans le cadre
de la formation infirmière et cette formation se passe, en partie, au
sein des stages cliniques aussi, comme nous pouvons le constater dans notre
échantillon, l'importance de la relation soignant-étudiant ne
doit pas être négligée pour la réussite de cette
action de formation. Même si certains professionnels semblent plus
à même de parer aux comportements les plus exceptionnels, il ne
faut pas négliger pour autant le soutien qu'offre une équipe
quand un individu pose problème à un autre dans un abîme
d'incompréhension.
4.4 - La didactique des
soins infirmiers face à la contrainte du milieu de soin
Former aux soins infirmiers alors que l'on doit avant tout
rester soignant pour les patients représente une gymnastique incessante
pour les infirmiers. Passer du rôle du soignant à celui de
formateur, du cadre du soin à celui de la formation, c'est le challenge
quotidien des professionnels qui enseignent leur métier en même
temps qu'ils l'exercent. Si l'on rajoute à cela les nombreuses
responsabilités qui leur incombent et les demandes incessantes
émanant des autres acteurs de soin comme des patients et de leur
famille, on comprend mieux la difficulté éprouvée par
certains professionnels quand il s'agit de jongler avec toutes ces contraintes
sur le temps qui leur est imparti pour réaliser l'ensemble de ces
actions.
Avant toute chose et pour tous les professionnels
interrogés, le soin réalisé avec l'étudiant se doit
d'être toujours éducatif et l'exemple de l'étudiant
préparant l'ensemble des boîtes du service a frappé tout le
monde. Le premier groupe nous donne une première piste en affirmant
qu'il vaut mieux « qu'il prépare pour SON patient et qu'il
comprenne déjà ce qu'il met comme médicament dans la boite
pour ce patient là » (A) mettant le doigt sur
l'incongruité de la préparation de boîtes pour des patients
qu'il ne gère pas. Le dernier groupe reprend ce non-sens didactique nous
affirmant : « je ne vois pas l'intérêt
parc'qu'il va faire du travail à la chaine sans forcément savoir
tout ce qu'il prépare parce que 17 boîtes c'est beaucoup trop je
pense, on peut imaginer qu'il a peut-être deux patients qu'il a en
charge, pourquoi pas préparer les deux boîtes des patients qu'il a
en charge ? » (V) Ce thème est repris par une
infirmière du même groupe qui nous précise ainsi qu'il faut
qu'« en fait, (que) la préparation des
boîtes soit pour lui un enseignement aussi, parce que là,
préparer des boîtes cela n'a aucun intérêt, je veux
dire si il connait pas la pathologie des patients et tout ça cela n'a
aucun intérêt » (F). Et toujours dans la
volonté d'analyse des situations présentées, ce même
groupe se risque même à affirmer que « c'est pas
formateur sauf pour être en situation pour se tromper »
(V).
Ainsi, le soin ne serait pas toujours formateur et la
didactique du professionnel serait donc essentielle à la
compréhension du geste afin de le replacer dans une dynamique globale de
la prise en charge d'un patient. « Comme j'dis, savoir faire une
calci (calciparine®), c'est pas le geste de la sous-cutané
qui est difficile c'est savoir pourquoi on le fait » (S). Le
professionnel doit-il expliquer cela ou doit-il laisser l'étudiant
chercher ce « pourquoi du comment » ? Les avis ici
semblent plus partagés avec la même scission entre les groupes,
les deux premiers laissant le soin aux étudiants de s'autonomiser dans
la recherche alors que les deux derniers groupes s'appliquent à mettre
en place des situations les plus claires possibles pour l'étudiant afin
qu'il comprenne au mieux le sens de ses actions. Ainsi, le troisième
groupe, conscient de l'enjeu temporel durant les stages, nous explique les
raisons d'enseigner plutôt que de laisser l'étudiant aller vers
l'erreur sans apporter techniques et méthodes pour l'aider dans ses
expériences de soin : « C'est toujours impressionnant
d'avoir une liste détaillée comme ça mais c'est en faisant
ou en donnant, en tout cas quand on est élève, le maximum de
formation... comment dire ? Qu'on aura le minimum [d'erreurs] après
dans les pratiques courantes » (R).
Il apparait donc ici que, même si le soin doit
être éducatif pour tous, les conditions de mise en rapport au
savoir qu'il requiert pour être exercé professionnellement peuvent
varier d'un infirmier à un autre et cette variation peut avoir des
incidences importantes sur l'apprentissage réel de l'étudiant. Si
nous prenons l'exemple du soin relationnel, nous voyons que les
infirmières des deux premiers groupes ressentent cette difficulté
didactique sans vraiment parvenir à un consensus sur la méthode
qu'elles emploient passant d'un apprentissage par imitation :
« qu'elle soit présente pour déjà voir un
peu... je sais pas être un peu proche du relationnel et puis que le
patient voit que non qu'il y a erreur... » (A) à une
pédagogie essai-erreur : « Moi je crois que je laisse
faire et que je réajuste avant que cela dérive aussi hein on
essaie de vite réajuster quand il y a un comportement qui n'est pas
adapté et qui va... » (B) alors que le second groupe
imagine plutôt l'importance des savoirs pré-requis en restant tout
de même au conditionnel : « Je l'aurais
peut-être pas apostrophée sur ce ton là parce que c'est une
première année par contre je l'aurais bien
reprise » (I).
Dans les deux groupes suivants, il n'y a pas de méthode
toute faite, prête à servir ni de recherche de celle-ci, mais
plutôt une recherche d'explication sur ce qui a pu conduire
l'élève à faire une erreur en tentant de comprendre
simultanément si cette erreur pouvait être commise par un
professionnel dans le même contexte. Ainsi un infirmier du
troisième groupe note que « c'est assez rare
déjà qu'un élève réponde, déjà
que c'est pas facile quand on... alors de là à aller
l'exprimer » (R), démontrant la difficulté des
actes relationnels. Ce point de vue est repris en totalité par le
quatrième groupe qui met fortement l'accent sur cet aspect :
« bah moi j'ai envie de dire que j'ai l'impression que c'est plus
facile quand on explique un soin technique que quand on est dans le relationnel
parce que c'est plus du concret et que le relationnel serait finalement plus
difficile à acquérir et à
appréhender » (V).
Il semble également que la difficulté
liée aux contraintes des soins soit plus prégnante pour les deux
premiers groupes, qui nous ont rapporté une difficulté ressentie
face à la charge de travail, qui peut ainsi engendrer des
possibilités de mise en condition fluctuantes : « Il
y aura peut-être des jours où on aura plus le temps aussi de le
prendre à part l'étudiant, de lui expliquer... et d'autres
où on aura moins le temps » (B). Ces contraintes sont
cependant vécues comme une injonction paradoxale puisque cette
même infirmière nous dit un peu plus loin :
« Enfin bon, on essaye toujours de garder du temps pour les
étudiants... » et sa collègue approuve ces paroles
en finissant sa phrase avec un « mais y'a des jours où
c'est pas possible ... » (A), laissant ainsi place à des
rires qui illustrent cette contradiction entre la volonté de prendre du
temps et le sentiment de ne pas pouvoir le faire. Dans le second groupe, une
infirmière prend la parole pour parler au nom de toutes et expose
similairement ce paradoxe : « après cela
dépend aussi du boulot que tu as mais je pense que, nous, on n'aurait
pas le temps de prendre [du temps pour tout
réexpliquer] » (I). Pourquoi les autres groupes n'ont-ils
pas abordé cet aspect ? Rien ne nous permet de penser qu'ils aient
moins de travail ni une meilleure organisation de service, et pourtant, cette
difficulté est ressentie et les conditions qui empêchent les
infirmières de séparer soins et formation sans avoir le sentiment
d'une charge de travail en sus nous échappent en partie et, en dehors de
l'expertise qui permet une meilleure hiérarchisation des
priorités tout au long de la journée, nous ne pouvons, dans les
limites de notre échantillon, avancer d'autres hypothèses. Il
faudrait, sur ce point comme sur d'autres, approfondir cette question
l'autonomisation à la mesure des
possibilités de chaque étudiant en fonction de son niveau de
formation... début de réponse ?
.
Une autre difficulté, d'ordre plus structurel, est
relatée par les professionnels opposant des erreurs liées
à des habitudes d'équipe et à la peine que peuvent
éprouver les étudiants à comprendre ces habitudes. Ceci se
passe comme si l'équipe représentait alors un cadre dont les
règles doivent être connues pour comprendre, accepter et ne pas
s'offusquer du fait que ce qui se réalise dans ce service précis
puisse différer d'un autre service. De par la connaissance de ce cadre,
les professionnels analysent des causes probables aux erreurs de cadre des
étudiants : « I : en même temps, j'imagine
qu'au niveau des transmissions c'était pas ... S : pas
clair.. » voire éprouvent eux-mêmes les limites de
ces cadres qui ne coïncident pas forcément avec les leurs :
« C'est avec un produit qui est déjà facturé
et facturable, et donc, point de vue économique je trouve ça un
petit peu limite » (M). Cependant, la prise de conscience des
limites de ce cadre permet d'accepter qu'un étudiant puisse en sortir
sans pour autant porter le poids de son désengagement, comme nous
le raconte une infirmière du quatrième entretien :
« C'est pour ça qu'il faut faire
attention et qu'il ne faut pas faire culpabiliser le personnel par rapport
à ça parc'que forcément quand un patient nous pose des
questions, qu'on a connaissance du diagnostic, que quelque fois le patient ne
sait pas ou ne veut pas savoir, on est aussi pris à parti et c'est pas
forcément facile à vivre donc c'est un peu lourd de faire
culpabiliser une élève alors que même nous, en tant que
soignants, on est pas toujours très clairs par rapport à
ça en plus... c'est lourd ! » (V, E4, 150-155)
Même si aucune méthode infaillible ne
résulte de ces données pour transmettre les soins infirmiers, il
apparait que ces savoirs n'échappent pas aux obstacles inhérents
à l'ensemble des formations. Ces acteurs se heurtent donc aux
mêmes problèmes que tous les professionnels de la formation,
résolvant leurs difficultés au quotidien, dans des actions
réflectives plus ou moins adaptées selon les points de vue de
chacun.
4.5 - Enseigner ce qui ne
s'apprend pas
B : le savoir-être on va dire sur le
terrain
A : Mouais...
B : ... parce que cela il ne l'apprend pas le
savoir-être, il apprend le savoir...
A : ouais mais le savoir-faire aussi quand on ne l'a
pas vu en TD
G : savoir-être et savoir-faire ?
B : voilà, parce que normalement le savoir
c'est à l'école puisqu'il y a l'école donc ils travaillent
dessus, disons, qu'on se complète d'ailleurs sur certaines pathologies
ça va être différent
A : moi je vois que nous on n'a pas eu beaucoup de TD
à l'école... le savoir-être on a fait des cours, on a
eu des valeurs à l'école mais après il faut mettre en
pratique : l'empathie, le machin ... c'est un mot qui reste abstrait quand
on ne pratique pas (E1, 167-177)
I : je trouve que c'est la réflexion, les
liens quoi, le pourquoi du comment je fais les choses et y'a rien d'anodin, y'a
pas un examen anodin, y'a pas un médicament anodin et qu'on a des
objectifs, voilà, comprendre les objectifs... avoir une réflexion
vraiment objective sur le parcours du patient au sein de l'hôpital,
pourquoi il est hospitalisé, qu'est ce qu'on veut quoi !
S : pourquoi tels et tels médicaments sont
prescrits parce qu'ils sont prescrits par les internes et c'est nous qui les
administrons.
I : parce que la technique c'est bien, être une
bonne technicienne c'est bien mais moi, personnellement, poser une perfusion
tout le monde, enfin le commun des mortels est capable de la poser maintenant
pourquoi ? Pourquoi on le fait, tu vois c'est différent. Moi je
pars de ce principe là, une calciparine® c'est facile à
faire enfin la sous-cutané c'est facile à faire...
S : voilà, on le montre et puis les gens ils
finissent toujours par y arriver...
I : mais le pourquoi du comment, c'est arriver
à tout comprendre
S : pour une prise en charge globale...
I : et quand tu comprends tout et bah du coup avec
les collègues aides-soignantes, tu peux, la collaboration en
binôme sans vraiment être coller l'un contre l'autre, je crois que
c'est important, la collaboration. (E2, 148-165)
R : La réalité professionnelle !
Et puis la confrontation au quotidien qui n'est pas dispensée,
l'organisation, voilà, je me rappelle très, très bien de
mes premières difficultés en tant que professionnel, après
je me suis attaché à cela avec les élèves
c'est-à-dire que la gestion d'un groupe de patients, c'est-à-dire
à l'époque c'était quatorze, maintenant c'est beaucoup
moins mais ça on l'apprend pas, on n'apprend pas à gérer
un service, on apprend des soins techniques, on apprend une analyse d'une
démarche de soins sur un patient qu'on continue à un, deux,
trois, quatre (patients) mais la réalité de la prise en
charge globale d'un service ça on l'apprend pas. La gestion logistique
d'un service avec les commandes de matériel tout ça, les
élèves, c'est vrai, ne l'apprennent pas du tout et donc, en fait,
on doit être, le plus souvent et même encore, même si moi
c'est particulier la réanimation, cette notion de prise en charge
globale du service et des patients, c'est vrai que les élèves...
on le découvre après dans la vie active quoi.
M : Les écoles doivent apporter et c'est
encore plus vrai aujourd'hui, c'est un des éléments majeurs de la
réforme des études, les Instituts de Formation doivent apporter
un enseignement théorique et un début de pratique[...] Nous
à notre époque c'était un petit peu ça, on avait
des jurys qui venaient d'endroits divers et variés, qui s'attachaient
chacun avec leurs « dadas » techniques qui n'avaient rien
à voir avec la réalité du service, il fallait faire un
soin dans le cadre du DE (Diplôme d'Etat), au jour d'aujourd'hui
ça va être dans le service où il passe la pratique qu'ils
vont être évalués par leurs pairs, dans le service, et
là on va avoir... c'est une évaluation professionnelle, ça
c'est essentiel. Donc, dans les instituts : les bases, les tampons, ce sur
quoi on a parlé en pharmacologie etc. des bases, sérieuses, sur
lesquelles il pourra s'appuyer et après la pratique dans les services
ça va être eux qui. (E3, 235-249 et 256-263)
F : la mise en situation
V : oui, voilà
F : Nan parce que l'école c'est la
théorie et les stages c'est la pratique.
C : c'est mettre en situation
V : à tous les niveaux, parce qu'on ne peut
pas se passer de ces apports techniques, enfin je ne crois pas. Si ?
Brouhaha
F : Nan parce que notre métier c'est quand
même de la pratique, y'a de la théorie pour... voilà, mais
y'a beaucoup de pratique aussi !
V : ah moins qu'on nous enlève tout le
côté relationnel et qu'on nous laisse juste le côté
technique...
Brouhaha
C'est pas possible, faire un pansement, il n'y a pas que
le pansement, il y a aussi toute l'organisation, tout ce qu'il y a à
gérer dans un service...
C : et ne serait-ce que savoir comment se comporter
avec un patient... (E4, 191-205)
Nous nous sommes laissée le temps de nous
imprégner de ces extraits d'entretien, les relisant encore et encore,
nous attardant dans l'antre d'une conversation que nous n'avions guère
éprouvée avant, laissant ces mots faire échos en nous
malgré nos expériences et notre milieu. Nous avons relu, sommes
retournée à ces lignes puis sommes revenue à l`analyse.
Nous souhaitions ce temps de relecture pour effacer enfin ce qu'il nous restait
de préjugé sur l'opposition théorie et pratique (cf. Supra
p
13). La lecture de ces extraits nous semble, en
effet, suffire en elle-même et il nous apparait presque dommageable
d'avoir à les analyser davantage. Alors nous serons brève et
concise s'il est possible sur ce sujet. La théorie n'a pas l'apanage du
savoir qui transparait de ces extraits et la pratique ne peut se
réaliser sans théorie sous peine de devenir un acte perdant tout
son sens. Seul un enseignement dans la réconciliation de cette
opposition peut apporter tout ce qui parait aux infirmiers comme
nécessaire et suffisant à l'exercice de leur profession et
nous embrassons ici ce bon sens, extorquant enfin les démons qui nous
faisaient frémir depuis que les champs des mondes professionnels et de
la formation s'affrontent.
4.6 - conclusion
Les propos des infirmiers interrogés nous
dévoilent donc différents types de professionnels allant d'un
écueil à un autre : de l'étudiant
« vierge » à l'étudiant modèle, d'un
professionnel formateur avant tout à un soignant non formateur, d'un
enseignement directif à un enseignement entièrement
caché... Il serait intéressant, pour approfondir cette recherche,
d'utiliser des données quantitatives pour mieux comprendre vers quel
style tendent le plus ces professionnels. De la même manière, le
rôle de l'équipe dans la formation des étudiants nous
semble un point à explorer plus en avant pour l'approfondissement de la
compréhension des spécificités de ces formateurs.
5 -
« la formation par corps »
Il apparaît donc, d'après ces résultats,
que les professionnels évoluent entre un cadre formel qui leur impose
une conduite d'«encadrement » auprès des
étudiants, et un cadre informel, au sein duquel ils possèdent un
espace de liberté suffisant pour inscrire une approche essentiellement
personnelle à cet acte de formation. Pour ne pas reprendre
l'éternelle question de l'origine de l'oeuf et de la poule nous
préférons considérer que chaque acteur de cette situation
de formation se trouve impliqué dans les rapports de force au sein du
champ infirmier. Alors que nous ne pouvons détacher notre recherche du
contexte actuel où l'hôpital entre en compétition avec les
établissements privés en termes de recrutement de personnel
autant qu'en termes d'attractivité auprès des usagers, nous
prenons en compte le contexte mais aussi le lieu particulier où exercent
les professionnels et arrivons ainsi à mieux réaliser
l'émergence apparente d'un nouveau paradigme inscrit au sein
même du nouveau référentiel de formation : la
réflexivité.
Cette réflexivité, inscrite en chacun de nous au
sein même des schèmes d'apprentissage, semble être à
la fois « un allant de soi » en tant que qualité
pré-requise demandée et réifiée par les jeunes
professionnels, et à la fois une qualité indispensable pour
l'exercice d'un métier en perpétuelle évolution. Les
« habitus » au sens bourdieusien du terme permettent alors
de composer avec cet allant de soi tout en se tournant vers l'extérieur
pour continuer ainsi de transformer sans cesse les perceptions et les actions
qui en découlent. La « formation par corps »
s'avère être le fil conducteur de tous les modèles de
professionnels infirmiers rencontrés. Tout se passe donc comme si
l'acquisition des connaissances au sein même du corps permettait
l'utilisation de ces connaissances au moment opportun sans que l'agent ait
besoin de mobiliser une « théorie sur la
théorie. » Pour reprendre un exemple plus parlant afin
d'être plus explicite, nous parlerons de l'apprentissage des sports
où l'explication ne suffit jamais, l'imitation ne donne qu'un sentiment
d'incapacité et, finalement, ce n'est que lorsque le sportif a
trouvé « son » geste qu'il comprend enfin le sens de
la théorie initiale et peut critiquer positivement les modèles
principaux qu'il a pu imiter ou écarter. Pour permettre à cette
« formation par corps » d'atteindre son but, nous avons pu
voir que toutes les stratégies éducatives étaient
employées, de l'image paternelle à l'image maternelle en passant
par le copinage ou l'autorité magistrale. Sans pouvoir dégager
des récurrences de réussite de ces différentes
stratégies, il semble cependant que la conciliation de plusieurs d'entre
elles pourrait permettre de laisser l'espace nécessaire et suffisant
à la construction personnelle de l'étudiant, l'obligeant alors
à prendre conscience de ce qu'il réalise en lien avec les
réalisations des modèles professionnels rencontrés. Si
l'on considère donc que l'accueil sert de cérémonie pour
entrer dans le cadre de formation ainsi repéré par tous et que
les enjeux de ce cadre sont les mêmes pour tous, à savoir :
former des futurs professionnels autonomes, responsables et réflexifs,
nous pouvons alors entrapercevoir les entraves possibles à l'atteinte
des buts de ce cadre. Nous ne pouvons affirmer qu'un accueil selon des
règles préétablies entraine la réussite d'un stage
selon les critères de chaque acteur (institut de formation,
professionnel et étudiant) mais nous pouvons cependant supposer qu'il y
contribue. De la même manière, l'affrontement entre la
théorie et la pratique avec en toile de fond la
supériorité concédée à l'aspect intellectuel
des enseignants oblige l'étudiant à dépasser les limites
du cadre scolaire qu'il connaissait jusqu'alors. Comment, en effet, permettre
à un étudiant de comprendre qu'il n'existe aucune autre
théorie possible que celle décrite lors de l'enseignement de la
pose d'un cathéter veineux mais qu'il aura à faire avec sa
conscience et sa responsabilité face à l'urgence ou l'adaptation
de ce soin selon les conditions particulières chaque jour
rencontrées, si ce n'est par l'utilisation de cette connaissance dans
l'action après une intégration « par corps »
de celle-ci pour mieux la faire ensuite sienne.
Conclusion
générale
Nous espérons, dans ce travail, avoir apporté
une pierre au grand édifice de la formation et permis la
continuité du lien entre enseignant et formateur. Si la distinction
entre savoirs théoriques et savoirs pratiques reste un paradigme fort au
sein des formations infirmières (CEFIEC, 2004, 57), nous souhaitons que
l'idée d'enseignement de savoirs au sein des stages cliniques fasse son
chemin, tout autant que la transmission de pratiques au sein des instituts de
formation est reconnue. Une fois cette situation d'enseignement
dégagée, il faut alors composer avec toute la complexité
qu'elle intègre et génère. Nous avons ainsi
constaté que les attitudes des professionnels influençaient les
comportements des étudiants sans pour autant négliger la
réciproque, et nous avons pu également constater que de
nombreuses contraintes s'exerçaient sur les professionnels formateurs.
Prendre conscience de ces influences semble l'attitude la plus
bénéfique pour exercer ce difficile rôle de formation, que
cela soit pour être bien dans cette fonction comme pour le
bien-être de l'étudiant en formation. Le levier d'action le plus
probant pourrait sembler être la formation des infirmiers en y
intégrant pédagogie, transmission et didactique des soins
infirmiers, mais peut-être est-ce trop simplifier la réponse
à un problème complexe. De part les apports
révélés ici, une réponse unique ne nous satisfait
pas et ne nous semble pas pouvoir convenir à tous les professionnels
exerçant ce rôle. Pour autant, nous ne voulons pas laisser croire
que l'aspect de la formation n'est pas important, même si elle
n'apparaît malheureusement pas comme suffisante au regard des
différences retrouvées au sein des professionnels. La
compréhension de ce qui se joue au sein de l'action de formation dans
les stages cliniques ne peut être détachée de ce qui
l'entoure et aucune formation ne semble pouvoir y faire face. Cependant, nous
avons pu repérer des éléments clefs qui aident les
professionnels dans leur enseignement, comme leur attitude réflective,
le travail en équipe et la « formation par corps. »
Nous ne pouvons dire si ces éléments suffisent mais nous faisons
ici le pari que leur absence risque fort de porter entrave à un bon
apprentissage des étudiants qui se retrouveraient face à ces
manques.
Il faut donc à la fois comprendre la complexité
des professionnels et des étudiants dans leur histoire de vie et ce qui
les a conduits là où ils sont aujourd'hui, et à la fois
regarder l'instant présent. Cet instant est relié, de fait, au
contexte mais, à la fois, ses acteurs le modifient
intrinsèquement de par leur présence. L'attitude adoptée
à un instant précis conditionnera ainsi la réponse, comme
la présentation initiale peut conditionner l'attitude, et tout ceci
n'existera qu'à un moment donné et dans une situation
donnée. Dégager les différentes attitudes donne donc une
meilleure compréhension de la complexité et de ce qui peut
conduire à ces attitudes. La difficulté réside ainsi plus
dans la détermination de qui influence qui ou qu'est-ce qui influence
à ce moment donné puisque, nous l'avons identifié, les
influences sont multiples et variées dans une situation donnée.
Membres à part entière des situations considérées,
les professionnels sont pris dans leur quotidien et, pourtant, inventent au
quotidien les moyens de transmettre leurs savoirs aux étudiants.
Contrairement aux idées reçues retrouvées chez les
étudiants, les professionnels semblent bien perpétuellement dans
la réflexivité allant même jusqu'à produire des
pratiques non enseignées. Ainsi, ils s'appuient sur les enseignements
des instituts de formation pour mettre en place la « formation par
corps » et permettre aux futurs professionnels de développer
une « conscience perceptive » (Bennet, 1984), coeur du
métier de l'infirmier. Loin de la distinction théorie-pratique,
ils intègrent ainsi les connaissances enseignées en cours pour
les donner à utiliser par les étudiants dans l'ensemble des actes
de soin afin de, justement, offrir tout son sens à ces soins, dans la
pluralité de ses dimensions. Par cette action de formation à
travers le soin, nous réalisons l'importance voire la
primordialité de l'enseignement au sein des stages cliniques in
situ pour la réalisation d'une formation probante et
nécessaire à l'atteinte du niveau de professionnalisme requis.
Cette recherche nous apporte donc un certain nombre
d'éclairages mais surtout beaucoup de questionnements consubstantiels
qui définissent les limites de ce travail. En quoi le travail
d'équipe influence-t-il la formation des étudiants au sein des
services ? Quelles sont les attitudes majoritaires dans la
communauté infirmière ? Les attitudes sont-elles
liées à l'expertise des professionnels qu'il faudrait alors
déterminer ? Y-a-t'il corrélation entre volonté
« d'encadrer » et attitude adoptée ? Nous
voyons ainsi l'étendue du travail qu'il reste à fournir dans ce
domaine particulier pour mieux le saisir et pouvoir, peut-être, le relier
plus largement aux recherches sur les situations d'enseignement hors du champ
scolaire mais au sein du champ de la formation professionnelle.
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Liens internet
· www.mspb.com
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www.cedip.equipement.gouv.fr
* 1 Lire partout infirmier ou
infirmière
* 2 lire partout Institut de
Formation en Soins Infirmiers
* 3 Mise en Situation
Professionnelle évaluée à un temps T du stage en
collaboration avec un cadre formateur et un professionnel de terrain infirmier
ou cadre infirmier.
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1992-ISSN 0335-3931), p11.
* 5 Id.
* 6 JO du 1er juillet
1922
* 7 JO du 14 septembre 1924
* 8 JO du 26 septembre 1951
* 9 Comité d'Entente des
Écoles d'Infirmières et des Écoles de Cadres
* 10 Comité d'Entente
des Formations Infirmières et Cadres
* 11 JO du 7 septembre 1972
* 12 JO du 7 février
1975
* 13 JO du 14 avril 1979
* 14 JO du 25 mars 1992
* 15 JO du 12 juin 1992
* 16 JO du 4 octobre 2001
* 17 JO du 7 août 2009
* 18 Article R4311-15 du
décret de juillet 2011
* 19 article R 4312-10 du
décret de juillet 2004
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