La corruption privée : un risque majeur pour les entreprises( Télécharger le fichier original )par Pierre ROCAMORA Université Paul Cezanne, Aix Marseille 3 - Master 2 délinquance économique et financière 2007 |
II : La participation des acteurs de l'entreprise dans la lutte contre la corruptionLa lutte contre le fléau de la corruption privée passe essentiellement par les actions des services internes des entreprises, sur initiative de la direction. L'optique étant de se préserver, en édictant des règles de bonne volonté, de tous scandales publics, qui engendreraient des conséquences économiques nuisibles pour l'entreprise. Cependant, la valeur première d'une entreprise, qui réside notamment dans le facteur humain, à travers les salariés, doit intervenir afin de parfaire la lutte contre la corruption. C'est le procédé du whistleblowing. Nous étudierons donc dans cette partie, ce procédé d'alerte, qui permet aux membres d'une organisation, de « dénoncer » une fraude commise par un de leurs collègues (A). Ensuite, nous nous pencherons sur la position de la CNIL, position qui sans s'opposer à ce procédé, délimite très étroitement le périmètre de ces dispositifs (B). A : Le procédé du whistleblowing80(*)Suite aux scandales financiers survenus aux Etats-Unis, scandales aux rangs desquels le plus retentissant d'entre eux fut l'affaire ENRON, le législateur américain est intervenu afin de poser des règles de transparence et de bonne gouvernance aux seins des entreprises. L'affaire ENRON a été traumatisante à plus d'un titre. Principalement pour les salariés, premières victimes de ce scandale qui, lorsque le groupe a fait faillite, se sont retrouvés sans aucune protection sociale. Mais ces affaires ont également démontré à l'opinion publique, que certaines entreprises, malgré l'affichage d'une gestion transparente, pouvaient être l'objet de multiples dérives. Afin que ce type de scandale ne se reproduise plus, les Etats-Unis ont adopté, le 31 juillet 2002, la loi Sarbanes-Oxley Act. Cette loi prévoit l'établissement de conseils de surveillance afin de mettre un terme à l'autorégulation par les cabinets d'audit -il ne peuvent plus être juges et parties- la certification sur l'honneur des comptes par le PDG et les directeurs financiers, et la reconnaissance de falsification des informations par les actionnaires comme criminelles. Une des autres composantes de cette loi est l'obligation de mise en place de système d'alerte éthique dans toutes les sociétés cotées à Wall Street, au Nasquad ou au AMEX et ayant un chiffre d'affaires annuel minimum de 75 millions de dollars. L'alerte éthique ou whistleblowing peut se définir comme un dispositif qui tend à inviter les salariés d'une entreprise à dénoncer auprès des instances supérieures les pratiques internes qu'ils jugent contraires à l'éthique ou au règlement ou encore à la loi entrée en vigueur. Ce procédé servirait donc à dénoncer une quelconque fraude d'un salarié par un autre salarié, les faits de corruption étant englobés dans ce type de dénonciation. Etant donné que de grandes multinationales françaises sont cotées à la bourse américaine, les obligations qu'imposent la loi Sarbannes-Oxley s'applique directement à ces firmes, du fait de l'extraterritorialité de la loi américaine. Cependant, aucune loi n'est venue préciser les modalités d'application d'une telle procédure en droit interne. Cela n'a toutefois pas empêché certaines entreprises d'instaurer ce système d'alerte, et désormais pratiquement toutes les grandes entreprises cotées possèdent un tel dispositif dans leur Code éthique. Prenons l'exemple de EDF81(*), qui a installée sur son portail Internet, un dispositif de consultation et d'interpellation éthique afin de déclencher le système. Une adresse spécifique a été crée, et sur simple e-mail, il est possible pour un salarié, d'alerter anonymement une personne spécialement mandatée à cet effet, de ses doutes sur un comportement non éthique d'un de ses collègues. Tel est également le cas de la société AXA, qui a travers son Code de déontologie, a mis en place un système d'alerte éthique. Précisant bien que l'instauration de ce système répond aux exigences de la loi Sarbannes-Oxley Act, en raison de la cotation de la société au New York Stock Exchange, la société précise les modalités de dénonciation, les personnes susceptibles de les recevoir...La société TOTAL a elle aussi instauré en interne un procédé de déclenchement d'alerte. Là encore, le rapport sociétal et environnemental de l'entreprise décrit les conditions de mise en oeuvre de l'alerte, la personne réceptrice de la plainte...Dans tous ces exemples tirés des différentes chartes éthiques des entreprises, l'anonymat de la personne dénonciatrice est sauvegardé. Seule la société AXA précise clairement dans la section 6 du chapitre 6 de sa charte, que cet anonymat n'interviendrait de fait, que lorsque l'alerte portera sur « les domaines comptables, de contrôle interne ou d'audit ». Toutes les autres entreprises mettent en avant la possibilité de dénoncer anonymement ses doutes. On constate de ce point de vue, l'avance qu'avait l'entreprise AXA sur la future position de la CNIL vis-à-vis de ce système d'alerte. L'avis rendu par la CNIL, comme nous le verrons plus tard, a du avoir pour conséquence la nécessaire modification des dispositions relatives à ce dispositif, car l'anonymat selon la commission, ne doit être accepté que sous certaines conditions. Cependant, aucune donnée n'a été communiquée à ce jour. Enfin, il convient de s'interroger sur les garanties accordées aux dénonciateurs. A l'heure actuelle, aucune disposition législative, hormis celle par le Code du travail, ne prévoit la protection expresse de la personne dans ce cas précis. Selon le Service Central de Prévention de la Corruption « un tel processus d'alerte peut répondre au souci du respect de la loi ou de l'éthique professionnelle, mais il peut constituer aussi le support de l'arrière pensée de négocier, de discréditer, de nuire...La dénonciation potentiellement généralisée, comporte ainsi des limites et des risques certains82(*) ». Elément encourageant, la Security exchange committee (SEC), équivalent de notre autorité des marchés financiers (AMF), a qualifié de performant l'apport des whistleblowers. Mais il ressort également de ce bilan que « les intéressés perdent leur emploi à court ou à moyen terme83(*) ». Ainsi, la question du déclenchement d'alerte a soulevé nombres d'interrogations légitimes, notamment sur l'utilisation et les conséquences d'un tel dispositif au sein de l'entreprise. Paul Latimer s'interroge lui, sur l'acte du dénonciateur, en se demandant : « Are whistleblowers heroes or traitors84(*) ? ». Se pose ainsi la question du statut de la personne qui dénonce, son avenir au sein de l'entité et ses moyens de protection. Comment celui qui dénonce est perçu par ses différents partenaires ? Un héros pour l'entreprise ou un traître vis-à -vis de ses collègues ? D'après le journal « Le Monde85(*) », synthétisant une étude réalisée par le cabinet de conseil Ernest & Young, « la majorité des sondés redoutent des représailles s'ils signalent une malversation dans leur entreprise ». Consciente des contentieux que pouvaient soulever la procédure du Whistleblowing, la commission nationale de l'informatique et des libertés est venue encadrer l'utilisation de cette alerte. Se prononçant contre au départ, la CNIL a ensuite admis cette dénonciation, en l'encadrant de mesures respectant les droits et libertés des personnes.
* 80 Littéralement « souffler dans le sifflet ». * 81 Les exemples suivants sont directement tirés de l'étude effectuée par le Service Central de Prévention de la Corruption (SCPC) et la société Novethic intitulé : « Transparence des multinationales françaises en matière de lutte contre la corruption : le traitement de l'enjeu « corruption » dans le reporting développement durable des entreprises du CAC 40 en 2004 et 2005 », p 113 et suivantes. * 82 Rapport d'activité du Service Central de Prévention de la Corruption pour l'année 2003 ; p. 128. * 83 Ibid * 84 Paul Latimer : « Reporting suspicious of money laundering and Whistleblowing : The legal and other implications for intermediaries and their advisers », Journal of financial crime, Volume 10, n° 1. * 85 Claire Gatinois : « Les salariés français rechignent à dénoncer la corruption dans leur entreprise », Le Monde du 6/06/2007. |
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