Faculté d'Economie Appliquée & Faculté
de Droit
Centre d'Etudes des Techniques Financières et
d'Ingénierie - CETFI
Centre de Recherche en Matière Pénale Fernand
Boulan
Groupe Européen de Recherche sur la Délinquance
Financière et la Criminalité Organisée
Mémoire présenté pour l'obtention du
Master professionnel Economie-Droit, spécialité :
« Prévention & répression
de la délinquance financière
et de la criminalité
organisée »
La corruption privée : un risque majeur
pour les entreprises
Présenté et soutenu par :
Pierre Rocamora
Sous la direction de : Vonny MANOUK
Octobre 2007
Faculté d'Economie Appliquée & Faculté
de Droit
Centre d'Etudes des Techniques Financières et
d'Ingénierie - CETFI
Centre de Recherche en Matière Pénale Fernand
Boulan
Groupe Européen de Recherche sur la Délinquance
Financière et la Criminalité Organisée
Mémoire présenté pour l'obtention du
Master professionnel Economie-Droit, spécialité :
« Prévention & répression
de la délinquance financière
et de la criminalité
organisée »
La corruption privée : un risque majeur pour les
entreprises
Présenté et soutenu par :
Pierre ROCAMORA
Sous la direction de : Vonny MANOUK
Octobre 2007
AVANT PROPOS
« Le Groupe Européen de Recherche sur la
Délinquance Financière et la Criminalité
Organisée » (DELFICO) est un département du Centre
d'Etudes des Techniques Financières et d'Ingénierie (CETFI) de la
Faculté d'Economie Appliquée qui travaille en collaboration avec
le Centre de Recherche en Matière Pénale Fernand BOULAN de la
Faculté de Droit (Université d'Aix-Marseille) et l'Institut de
Police Scientifique de l'Ecole des Sciences Criminelles de l'Université
de Lausanne.
Sa mission est de fournir les supports d'analyse et
d'information destinés à lutter contre les organisations
criminelles transnationales, le blanchiment, l'escroquerie financière,
la corruption et, d'une manière plus générale,
l'utilisation détournée de techniques de gestion, juridiques,
économiques ou financières en vue de commettre un crime ou un
délit. Il vise également à définir les outils
permettant une analyse stratégique prospective dans ces domaines, afin
d'identifier et d'élaborer de nouvelles méthodes adaptées
à cette lutte. »
La faculté n'entend donner aucune approbation ni
improbation aux opinions émises dans ce mémoire. Ces opinions
doivent être considérées comme propre à son
auteur.
SOMMAIRE
Avant
Propos...........................................................................p4
Introduction............................................................................p8
Première partie : La nécessaire
lutte contre la corruption
privée.................................................................................p13
Section 1ère : L'omniprésence du
phénomène de corruption dans les entreprises
françaises................................................................p15
I : La corruption : un risque constant pour
l'entreprise........................................................................p15
A : Approche du
phénomène...........................................p15
B : Etat des lieux des entreprises
françaises..................................................................p18
II : Conséquences de la
corruption............................................p22
A: « Bienfaits de la
corruption ».......................................p22
B: Coûts et ampleur de la
corruption..........................................................................p24
Section 2ème : Un dispositif
législatif exhaustif de lutte contre la corruption
privée..................................................................................p30
I : Eléments constitutifs des délits de
corruption privée active et passive
A : Eléments spécifiques aux deux
délits.......................................................................................p31
B : Eléments communs aux deux
délits.......................................................................p34
II : Modalités de répression de la
corruption privée........................p40
A : Personnes
responsables.............................................p40
B : Particularités de la
répression......................................p43
Deuxième partie: Les moyens de lutte contre la
corruption
privée..................................................................................p46
Section 1ère : La nécessaire
implication de l'entreprise dans la lutte contre la
corruption.............................................................................p48
I : La mise en place de mesures spécifiques de
lutte........................p48
A: L'instauration de chartes
d'éthique................................p48
B : La commercialisation de l'éthique au profit de la
lutte contre la
corruption.................................................................p52
II : La participation des acteurs de l'entreprise dans la
lutte contre la
corruption........................................................................p55
A: Le procédé du
whistleblowing.....................................p55
B: La position de la Commission Nationale de l'Informatique et
des
Libertés....................................................................p58
Section 2ème: Difficultés et insuffisances dans
la lutte contre la corruption
privée..................................................................................p62
I : Les difficultés dans la
lutte.................................................p62
A : L'indissoluble lien rattachant la fraude et la
corruption.......p62
B: La mise en place d'outils de prévention des
risques.......................................................................................p66
II : Les carences dans la
lutte..................................................p71
A : La dérive vers l'incrimination d'abus de bien
sociaux.........p71
B : L'absence de pouvoir effectif des organes chargés
de lutter contre la corruption : le cas du Service Central de
Prévention de la
Corruption................................................................p75
Conclusion............................................................................p79
Bibliographie.........................................................................p83
Annexes................................................................................p87
INTRODUCTION
En juin 2002, le gouvernement rend public les condamnations
judiciaires prononcées sur la base d'infractions économiques et
financières. Résultat : « Depuis 1990, on constate
une assez grande stabilité du nombre de condamnations prononcées
dans ce domaine qui représentent moins de 1 % de la délinquance
sanctionnée par les tribunaux 1(*) ». A première vue, cette
délinquance en « col blanc »
bénéficierait donc d'un traitement de faveur de la part des
tribunaux, en comparaison aux infractions de droit commun, qui elles, sont
sévèrement réprimées et dans une proportion plus
grande. Une des justifications pouvant être avancées pour
relativiser ce faible chiffre est que ces infractions économiques, par
définition secrètes et opaques, sont le plus souvent
« camouflées » derrière des opérations
d'apparences légales, destinées à légitimer
l'entrée ou la sortie des flux financiers. Ces manipulations auront pour
conséquence d'entraîner de véritables difficultés
dans la détection de ces délits, et de fait, rares seront les
dossiers qui arriveront dans le bureau d'un juge d'instruction. Ainsi, faute
d'avoir pu détecter l'acte délictueux et d'en rapporter les
preuves, les auteurs jouiront la plupart du temps d'une totale impunité.
Mais cette différence de traitement dans la répression entre
infractions de droit commun et infractions économiques et
financières, semble importer peu aux yeux du grand public.
D'après pierre Lascoumes : « Il existe une
euphémisation sociale des transgressions de la criminalité
économique » qui « contraste avec la dramatisation
d'autres formes de délinquance2(*) ». Force est de constater alors que
l'opinion publique n'attache que trop peu d'importance à ces
délits financiers, pour en accorder plus à d'autres délits
de droit commun, qui eux, font la une des 20 heures. Pourtant, bien que ces
actes de criminalités économiques ne fassent pas de victimes
directes, l'expérience nous montre qu'ils peuvent être
véritablement néfastes pour la société dans son
ensemble.
Cette criminalité économique et
financière désigne de manière générale
« toute forme de criminalité non violente qui a pour
conséquence une perte financière»3(*). Cette forme particulière
de criminalité couvre ainsi une large gamme d'activités
illégales telles que l'abus de biens sociaux, le blanchiment d'argent,
la fraude fiscale ou encore la corruption. C'est cette dernière
infraction qui retiendra notre attention et il convient donc d'en
préciser les contours. D'après Christian de Brie, trois facteurs
ont favorisé l'enracinement des pratiques corruptrices dans nos
sociétés modernes : « Le triomphe de
l'économie néolibérale tout d'abord et son culte de
l'argent, seule mesure de la réussite professionnelle et sociale, du
succès des vainqueurs de la compétition économique, obtenu
par tous les moyens »... « Ensuite, la mondialisation
des marchés et l'internationalisation des affaires ont ouvert à
la criminalité financière des capacités de
développement illimitées sur une terra incognita, juridiquement
vierge de toute contrainte »... « Enfin, la
privatisation accélérée des services publics a
transformé le rôle de l'Etat et des collectivités
locales...Des boulevards de la corruption se sont ouverts, dans lesquels les
grandes entreprises fournisseurs multicartes de biens et services se sont
engouffrées4(*) ». Mais hormis ces causes, qu'en est-il de
la définition de la corruption ?
En latin, corrumptio signifie simplement
« altération », du verbe corrompere,
« rompre », « briser » ce qui
était uni et joint ensemble. Quelque chose se fait ou se défait
ensemble, entre le corrupteur et le corrompu. Plus précisément,
selon le Service Central de Prévention de la
Corruption : « La corruption ressemble à un prisme
aux multiples facettes, que l'on peut regarder sous divers angles. On peut
l'appréhender comme un phénomène social ou sous l'angle
des sciences politiques, de la théorie économique et
organisationnelle, ou du point de vue du droit pénal et du droit
civil5(*) ». La
multiplicité d'approches possibles de la corruption, entraîne
également une multiplicité de définitions, et
démontre dans une certaine mesure la complexité du
phénomène. Concept relativement difficile à
définir, la corruption englobe des pratiques très diverses et
n'est pas abordée de la même manière dans tous les textes
juridiques, ou perçue à l'identique selon les cultures.
D'après l'organisation non gouvernementale (ONG) Transparency
international6(*) (TI), la
corruption peut se définir de façon concise afin d'englober
toutes les formes de ce fléau. Ainsi, la corruption serait
« L'abus de pouvoir reçu en délégation à
des fins privées7(*) ». Pour Pierre Lascoumes8(*) chercheur au CNRS, le terme de
« corruption » est victime des ambiguïtés du
sens commun, et il est aujourd'hui utilisé « comme une notion
qui englobe toutes les formes d'abus de fonction ». Selon ce
chercheur, « la corruption devient alors synonyme de déviance,
sans que la norme par rapport à laquelle on évalue le
comportement soit clairement désignée ». L'on retiendra
également la définition donnée par l'article 2 de la
Convention civile sur la corruption du Conseil de l'Europe qui
énonce : « On entend par corruption le fait de
solliciter, d'offrir, de donner ou d'accepter, directement ou indirectement,
une commission illicite, ou un autre avantage indu qui affecte l'exercice
normal d'une fonction ou le comportement requis du bénéficiaire
de la commission illicite, ou de l'avantage indu ou de la promesse d'un tel
avantage indu ». Enfin, le professeur Michel Veron nous donne
une définition plus juridique, affirmant que : « La
corruption consiste à rémunérer une personne pour qu'elle
accomplisse ou n'accomplisse pas un acte qui relève de sa fonction.
Ainsi, il apparaît que l'infraction suppose une collusion entre deux
personnes. L'une, le corrupteur, offre ou accepte de rémunérer
l'autre personne, le corrompu qui, en échange, promet d'accomplir ou de
ne pas accomplir un acte de sa fonction9(*) ».
Les textes internationaux, aussi bien que notre
législation interne, opposent généralement deux types de
corruption : la corruption publique et la corruption privée. La
première forme implique nécessairement l'intervention d'une
personne exerçant une fonction publique, alors que le champ
d'application de la seconde, se situe exclusivement entre deux agents
privés. C'est cette corruption privée, qui nécessite
l'interaction de deux personnes privées qui fera l'objet du
développement de notre devoir. En cette matière, il est à
noter une avancée considérable due en partie à la
transposition de la décision cadre du 22 juillet 2003 dans notre droit
positif. L'entrée en vigueur de la loi du 4 juillet 2005 a ainsi
totalement remodelée l'infraction de corruption privée, dont les
dispositions se trouvent désormais dans le Code pénal10(*). Ainsi, l'article 445-1 qui
prévoit la corruption privée active énonce
que : « Est puni de cinq ans d'emprisonnement et de
75 000 euros d'amende le fait de proposer, à tout moment,
directement ou indirectement, des offres, des promesses, des dons, des
présents ou des avantages quelconques pour obtenir d'une personne qui,
sans être dépositaire de l'autorité publique ou
chargée d'une mission de service public, exerce, dans le cadre d'une
activité professionnelle ou sociale, une fonction de direction ou un
travail pour une personne physique ou morale, ou un organisme quelconque,
qu'elle accomplisse ou s'abstienne d'accomplir un acte de son activité
ou de sa fonction ou facilité par son activité ou sa fonction, en
violation de ses obligations légales, contractuelles ou
professionnelles. Est puni des mêmes peines le fait de céder
à une personne visée à l'alinéa
précédent qui sollicite, à tout moment, directement ou
indirectement, des offres, des promesses, des dons, des présents ou des
avantages quelconques pour accomplir ou s'abstenir d'accomplir un acte
visé audit alinéa, en violation de ses obligations
légales, contractuelles ou professionnelles ». L'article 445-2
qui prévoit lui la corruption privée passive déclare
qu' : « Est puni de cinq ans d'emprisonnement et de
75 000 euros d'amende le fait, par une personne qui, sans être
dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une
mission de service public, exerce, dans le cadre d'une activité
professionnelle ou sociale, une fonction de direction ou un travail pour une
personne physique ou morale, ou un organisme quelconque, de solliciter ou
d'agréer, à tout moment, directement ou indirectement, des
offres, des promesses, des dons, des présents ou des avantages
quelconques pour accomplir ou s'abstenir d'accomplir un acte de son
activité ou de sa fonction, ou facilité par son activité
ou sa fonction, en violation de ses obligations légales, contractuelles
ou professionnelles ». La loi du 4 juillet 2005 a donc
redéfini les contours de l'infraction de corruption privée,
permettant aux juridictions d'instruction, tout autant qu'à celles de
jugements, de mener au mieux leur lutte contre ce phénomène.
Toutefois, nonobstant cette avancée législative non
négligeable, le combat contre la corruption doit se poursuivre, voire
s'intensifier, tout en s'adaptant à ces pratiques en perpétuelles
évolutions. Même si certains s'interrogent sur la
légitimité d'une telle lutte, à la façon de Colin
Leys, qui se demandait il à presque quarante
ans : « Ou est le problème de la corruption ?
Ce à quoi il répondait, suivant un argument qui n'est pas sans
rappeler le discours du sociologue Robert Merton ou du philosophe politique
Machiavel, que la corruption a son rôle, voire son
utilité11(*) ». Force est de constater que cette
légitimité n'est plus à démontrer, et tous les
moyens doivent être mis en oeuvre pour éradiquer ce fléau.
Mais au-delà de ces polémiques superfétatoires, se posent
d'autres questions, dont une en particulier à laquelle nous nous
efforcerons de répondre.
Dans quelle mesure la corruption constitue un risque
majeur pour les entreprises et quels sont les moyens de lutte que
possèdent les firmes pour mener à bien leur action contre ce
phénomène ?
Pour ce faire, nous nous pencherons dans une première
partie sur la nécessité de mener cette lutte contre la corruption
privée. En raison de l'omniprésence de ce phénomène
dans les entités, et les répercussions néfastes qu'il
engendre, le législateur a été amené à
adopter une attitude ferme face à ces comportements. Cependant, comme
nous le verrons dans une deuxième partie, la lutte contre la corruption
s'entache de difficultés et de carences, qui bien malgré cette
volonté de lutte, ternissent et entravent l'appréhension et la
répression du délit.
PREMIERE PARTIE : LA NECESSAIRE LUTTE CONTRE LA
CORRUPTION PRIVEE
Dans cette partie, nous étudierons tout d'abord les
raisons qui rendent nécessaire la lutte contre la corruption dans les
entreprises. Phénomène omniprésent dans les firmes, la
corruption a des répercussions véritablement néfastes pour
les finances de l'entreprise. Conscient de ce danger permanent, le
législateur est intervenu pour poser de nouvelles règles en
matière de corruption privée, que nous aborderons dans un second
temps.
Première partie : La nécessaire lutte
contre la corruption privée
Section 1ère : L'omniprésence du
phénomène de corruption dans les entreprises
La nécessité d'adopter des attitudes de lutte
contre les pratiques corruptrices vient du fait que ces comportements sont
réellement présents dans les entreprises, et qu'ils
représentent donc un risque constant pour les firmes (I). D'autre part,
les conséquences néfastes de la corruption sur les ressources de
l'entreprise, font revêtir à cette lutte, toute sa
légitimité (II).
I : La corruption : un risque constant pour
l'entreprise
Afin de bien cerner le phénomène de corruption,
il convient avant toute chose de procéder à une approche de ces
pratiques (A). Nous pourrons ainsi nous apercevoir que l'économie,
s'accompagne et s'est toujours accompagnée de pratiques aux bornes de la
moralité, destinées à satisfaire l'insatiable envie de
profit de l'homme. Ensuite, nous procéderons à un état des
lieux des entreprises françaises (B), dans le but de démontrer
que la corruption représente bel et bien à l'heure actuelle un
risque constant pour les entreprises, et de fait la nécessité
d'adopter un comportement de lutte contre ce fléau.
A : Approche du phénomène
Le terme « économie », du grec
oikonomia qui signifie « administration de la maison », est
souvent défini par les ouvrages classiques comme « la science
de la rareté ». Plus précisément, selon Gilles
Dryancour12(*), directeur
des affaires gouvernementales pour l'Europe, l'Afrique et le Moyen-Orient
à la société john Deere, l'économie peut se
définir comme « la science qui étudie les
mécanismes d'allocation des ressources rares ». Ce dernier
nous donne également une définition de ce que l'on appelle «
l'économie de marché », qui n'est autre que
« le moyen par lequel les ressources rares deviennent
abondantes ». L'économie résulterait ainsi
inexorablement de l'existence de besoins illimités à satisfaire
aussi bien que possible, à l'aide de moyens limités. Afin
d'assurer un usage le plus efficient possible des rares moyens de production
que sont le travail et le capital, chacun devrait donc adopter à tout
moment un comportement rationnel. L' homo oeconomicus se situe
ainsi au centre de l'économie, et se doit d'être au service de
celle-ci. Cependant, certains auteurs dénoncent le paradigme de cette
science économique, déclarant qu'elle ne correspondrait pas
à la réalité. En effet, selon Rudy Aernoudt13(*), « le
problème de la rareté n'est pas ou plus au coeur de
l'économie ». Pour ce dernier, « Au centre de
l'économie on trouve l'homme et non pas un simple homo
oeconomicus au comportement optimisant. Ce n'est pas l'homme qui est
façonné ou remodelé par l'économie, c'est
l'économie qui est au service de l'homme ». Pour M. Aernoudt,
l'homme aura tendance à en vouloir toujours plus, « repoussant
toujours plus loin les limites, les méthodes employées pouvant
facilement outrepasser les bornes de la moralité ».
L'économie devient alors un moyen pour chacun de satisfaire son
intérêt privé, en méconnaissance des règles
à respecter. La frontière entre l'illégal et le
légal devient par conséquent extrêmement floue, et de
là commencent toutes les formes de dérives et de corruptions.
Revenons un instant sur les fondements de nos systèmes
monétaires. L'essor de cette économie monétaire est
essentiellement dû aux marchands banquiers du quinzième
siècle, qui réussirent à poser les bases de cet
avènement. Jusqu'alors en effet, ce qui empêchait le
développement économique était le fait que les instances
ecclésiastiques avaient promulgué, dès le concile de
Nicée, au quatrième siècle après JC, l'interdiction
du prêt à intérêt14(*). Une nuance fut cependant apportée par Saint
Thomas d'Acquin, qui observa qu'un taux d'intérêt
modéré était destiné à compenser les
inconvénients résultant du prêt ou des avantages
concédés ainsi qu'à dédommager le risque de perte
du capital. Ce dernier argument appelé « periculum
sortis » fut habilement repris par les marchands banquiers qui
faisaient figurer dans leur contrat une clause spécifiant que le
remboursement interviendrait dans une autre monnaie que celle du prêt. La
prohibition du prêt fut donc détournée, permettant de poser
les bases de notre économie financière en toute
légalité. L'origine de l'économie monétaire n'est
donc vraisemblablement pas aussi noble que ce que voudrait nous faire croire la
théorie économique. La ruse et l'habileté sont en
réalité à la base de cet essor, et notre
prospérité actuelle repose sur des bases qui ne sont pas
forcément très dignes.
Si l'on s'en tient à ce postulat, on comprend
dès lors comment l'économie, dont les fondements reposent sur la
ruse des hommes, continue à alimenter leur appât du gain. La
corruption constituant un moyen à disposition de l'homme, pour parvenir
à de telles fins.
Ce phénomène de corruption est décrit de
façon très claire par Alain Etchegoyen15(*), description qui rend bien
compte comment l'économie et l'argent, à travers la corruption,
sont utilisés par l'homme pour parvenir à assouvir son attrait
pour le gain. Pour M.Etchegoyen : « La corruption est une figure
de l'échange. L'un prend la place de l'autre pour un instant. L'instant
de la décision et l'instant du monnayage ». L'auteur
décrit ensuite le processus de corruption en utilisant la symbolique des
lettres, A le corrupteur et B le corrompu.
« B dispose d'un pouvoir quelconque, fut-il minime.
A, par principe, n'a pas ce pouvoir. Il tourne autour de
B. Il ne veut pas le pouvoir de B,
c'est-à-dire qu'il ne veut pas être B.
A veut rester A : principe
d'identité. Mais le pouvoir abstrait ne se réalise que dans des
moments qu'on nomme les décisions. A ne peut rien
contre les décisions de B. Certes, il peut disposer
d'un certain nombre de pouvoir dans l'espace social, mais, dans le cas
présent, il lui manque ce pouvoir-ci. Ses pouvoirs donnent à
A des moyens qu'il a su engranger. B peut se
servir de son pouvoir pour engranger à son tour. En conséquence,
dans ce cas précis, B voudrait avoir l'argent de
A et A voudrait prendre la décision de
B. Le vendeur devient acheteur et l'acheteur devient
vendeur ». Ce processus de corruption entraîne donc une
inversion des rôles, chacun veut jouer à contre emploi, c'est le
principe de contradiction. D'après M. Etchegoyen, « toute la
corruption repose logiquement sur cette confusion : faire coexister un
principe d'identité et un principe de contradiction ».
Poursuivant son raisonnement16(*), l'auteur nous démontre ensuite l'engrenage
vicieux de ce procédé de corruption, qui gangrène peu
à peu tout l'environnement dans lequel il se produit.
« Soit A et B.
A désire cette décision dont seul dispose
B. Mais A n'est pas seul.
A' et A'' sont là qui guettent aussi,
tous animés du même désir. Cela se nomme dans un
marché, la concurrence. L'enjeu c'est du travail, de l'emploi ou du
profit. Quelquefois de la notoriété... ». Par
conséquent, on peut dès lors imaginer qu'une entreprise qui ne se
soumettrait pas à cette pratique des « pots de
vin », se verrait ainsi évincée de l'attribution de
marchés, de commandes, de prestations...ce qui engendrerait des
conséquences néfastes pour les ressources de l'entreprise.
Après cette approche sommaire du
phénomène de la corruption, il s'agit ensuite de procéder
à un état des lieux des entreprises françaises, pour
constater l'étendue de ces pratiques illicites dans le monde du travail,
et de fait la nécessité de lutter contre celles-ci.
B : Etat des lieux des entreprises
françaises
Afin de savoir si la lutte contre la corruption au sein de
l'entreprise requiert une véritable légitimité, il
apparaît nécessaire de se demander si ce phénomène
existe effectivement dans les entités. Pour quantifier le niveau de
risque de corruption au sein de telle ou telle entité, des études
ont été menées par des organismes, nous éclairant
ainsi sur la mesure de ce phénomène. Tel est le cas de
l'étude réalisée par le département
« Fraud Investigations and Dispute Services » (FIDS)
d'Ernst & Young17(*).
Contrairement aux autres études qui se basent sur des données
communiquées par les cadres dirigeants, celle-ci s'appuie
essentiellement sur la perception des salariés vis-à-vis de la
fraude, les pots de vin et la corruption. Outre cette originalité,
l'évaluation a pour mérite de comparer les résultats de la
France au reste de l'Europe, nous donnant ainsi une vision élargie du
phénomène. A titre d'exemple, à la question « En
2006 s'est il produit un cas de fraude, de corruption ou de pots de vin dans ma
société ? » un quart des salariés
interrogés confirment l'existence de suspicion de fraude dans leur
société. Cette moyenne est légèrement plus
élevée que la moyenne Européenne. Les salariés
français estiment donc que leur entreprise est particulièrement
exposée au risque de corruption. Cette vision des salariés doit
être pris au sérieux, car ces salariés, qui
représentent la matière première de l'entreprise en terme
de production, sont peut être les plus aptes à déceler les
différentes fraudes se produisant dans leur structure.
Une autre étude méritant notre attention est
celle effectuée par EthiFrance et Transparence International
France18(*). Ethifrance
est une société anonyme qui a acquis le statut d'agence
indépendante d'analyses financières spécialisée
dans l'évaluation de la responsabilité sociale des entreprises
(RSE) pour les investisseurs. Cette société s'est associée
à la section française de Transparency International, dans le but
de réaliser un bilan sur les politiques et procédures
anticorruption de grandes entreprises françaises. Cette étude se
base sur l'exploitation d'un questionnaire adressé aux entreprises de
l'indice SBF 12019(*).
Nous noterons cependant la faible implication de la plupart des
sociétés dans cette initiative, une vingtaine d'entres elles
seulement ayant renvoyé une réponse. Ces vingt réponses
ont donc fait l'objet d'une synthèse qui peut être
résumée comme suit :
· « 50 % des entreprises qui ont répondu
ont eu à gérer des problèmes de corruption ;
· 58 % des entreprises du panel citent la fonction achat
comme étant la plus particulièrement exposée ;
· 37,5 % des entreprises indiquent avoir fait l'objet de
tentatives d'extorsions dans certains pays - 29 % en Asie, 21 % en Afrique, 17
% en Amérique du Sud et Europe de l'Est ;
· 58 % des entreprises du panel indiquent avoir mis en
place un dispositif d'alerte ;
· 58 % du panel disent ne pas être
concernées par les centres off-shore ;
· 50 % des entreprises du panel considèrent que la
corruption est un risque susceptible d'avoir des conséquences
financières significatives ».
De par cette synthèse, on constate que les entreprises
sont confrontées à ce risque de corruption, active ou passive,
dans l'exercice de leur activité commerciale. Pour se prémunir de
ce risque omniprésent, ces firmes ont dans « 92 % »
des cas, formalisé une politique anti-corruption. Autre preuve de bonne
volonté des entreprises, 92 % d'entres elles sont signataires du Pacte
Mondial des Nations Unies. Point négatif en revanche, seulement 29 %
envisageaient de publier en 2006, une bonne pratique illustrant son
10ème principe.
D'autre part, une évaluation qui dépasse le seul
secteur de la corruption a été effectuée par la
société PricewaterhouseCoopers20(*). Cette étude conclut à une augmentation
de la fraude dans le monde. Plus précisément, il ressort de cette
enquête que près d'une entreprise française
interrogée sur deux21(*) déclare avoir subi des actes de
criminalité au cours des deux dernières années,
étant précisé que le terme fraude englobe des infractions
non habituellement recensées sous la rubrique
« corruption ». Au rang des fraudes les plus
fréquentes réside le détournement, la contrefaçon,
l'usage de faux et l'escroquerie...la corruption n'arrive, elle, qu'en
4ème position en comptabilisant 17 % de taux de
fréquence. Cette moyenne reste toutefois supérieure à la
moyenne européenne qui se situe aux alentours de 14 %. En outre, le
rapport souligne qu'aucun secteur n'est épargné par ces
différentes fraudes, mais que celles-ci sont plus répandues dans
les grandes entreprises, du fait du sentiment d'anonymat engendré par le
nombre élevé d'employés. De plus, l'enquête
soulève un point relativement inquiétant, à savoir le fait
que le risque de fraude semble sous-estimé par les
sociétés. En effet, 58 % des entreprises françaises
interrogées pensent qu'elles ne vont probablement pas subir de fraude
dans les cinq années à venir, alors que seulement 20 % estiment
que le risque de survenance est probable. Cet argumentaire qui consiste
à affirmer que son entreprise n'est pas exposée au risque de
corruption nous amène à nous interroger sur la réelle
volonté de ces sociétés à lutter contre ce
phénomène. En effet, pourquoi une entreprise lutterait contre la
corruption, alors même qu'elle ne s'estime pas exposée à ce
risque ? Pourtant, soutenir une argumentation de la sorte c'est se mettre
en marge de la réalité, car cela revient à nier les
risques quotidiens auxquels est soumis l'entreprise. La grande question alors
est de savoir pourquoi une société peut tenir de tel propos,
s'estimant « hors d'atteinte », alors qu'il en va tout
autrement.
Enfin, nous évoquerons l'étude
réalisée par les cabinets Control Risks et Simons &
Simons22(*).
D'après cette enquête, il apparaît que « 43 % des
sociétés interrogées affirment avoir été
victimes de corruption. Plus de trois quarts affirment avoir perdu des contrats
en raison de la corruption au cours des cinq dernières années et
un tiers des personnes interrogées estiment que la situation va
s'empirer23(*) ». Ces résultats s'appuient sur une
consultation réalisée auprès de 350 sociétés
issues de sept pays - Allemagne, Brésil, Etats-Unis, France, Chine,
Pays-Bas, Royaume-Uni. L'enquête ajoute que 10 % des entreprises
interrogées témoignent que le montant des pots de vin peut
représenter jusqu'à la moitié de la valeur du contrat.
Plus inquiétant pour le développement des pays pauvres, plus de
35 % des entreprises interrogées disent avoir été
découragées d'investir dans des pays pâtissant d'une
mauvaise réputation. Autre élément alarmant, seul 24 % des
entreprises françaises forment leurs cadres à la
prévention de la corruption. En outre, l'enquête précise
qu'une entreprise française sur trois a perdu un marché au cours
des douze derniers mois en raison du refus de versements d'une commission
illicite. Cette dernière donnée démontre bien une des
conséquences négatives de la corruption, à savoir une
perte économique, en l'espèce du fait de la non attribution d'un
marché en raison du refus de rentrer dans le cercle vicieux des
pratiques corruptrices.
A la vue de tous ces éléments, force est de
constater que le risque de corruption est véritablement présent
au sein des entreprises françaises. En effet, pratiquement toutes les
études citées font ressortir le fait que la plupart des
sociétés - environ 50 % - ont été
confrontées directement au phénomène de corruption. Les
salariés, qui tiennent une place de premier rang pour constater les
fraudes, déclarent également pour un quart d'entre eux des
suspicions de fraude dans leur entité. Il faut regretter cependant la
réticence de certains grands groupes à répondre à
ce genre d'initiative privée qui tendent à mesurer l'ampleur de
la corruption. Pour preuve, seul 20 entreprises sur 120 ont répondu au
questionnaire envoyé par EthiFrance et Transparency International
France. Cette faible participation peut faire penser que les entreprises non
communicantes, usent de méthodes à la limite de
l'illégalité, et qu'il convient par conséquent de les
taire. Ce n'est toutefois que supposition, et l'inexistence de données
concernant ces firmes silencieuses ne doit pas être
interprétée comme une présomption de culpabilité
à leur encontre. Hormis cela, ces différentes études
démontrent que le risque de corruption existe bien aussi bien dans les
entreprises étrangères que Françaises. Même sous
estimé par les principaux acteurs, ce phénomène reste une
menace constante pour les firmes. Chaque société peut être
confrontée à ce danger, ce qui à terme peut
s'avérer véritablement néfaste pour les ressources de
l'entité. De cette omniprésence de la corruption dans
l'environnement des entreprises doit émaner une conscience collective,
une réelle volonté de lutte contre ce phénomène. Et
cette volonté devient d'autant plus grande, lorsqu'on s'aperçoit
des conséquences extrêmement préjudiciables que cette
corruption engendre, non seulement sur l'entreprise, mais aussi sur les
sociétés et les hommes.
II : Conséquences de la corruption
Nonobstant le fait que la légitimité de la lutte
contre la corruption ne soit pas à remettre en cause, nombreux sont ceux
qui croient que ce phénomène peut aider à graisser les
rouages d'une économie lente et sur-régulée. Certaines
théories poussant le libéralisme à l'excès,
affirment en effet que la corruption est un mal nécessaire permettant
à l'économie de prospérer. Il convient donc
d'étudier dans un premier temps l'approche qui tend à affirmer
que ces pratiques corruptrices sont bénéfiques à notre
économie dans une certaine mesure (A). Ensuite, nous nous pencherons sur
l'ampleur et les coûts de la corruption, afin de bien appréhender
les effets néfastes de ce phénomène sur nos
sociétés modernes (B).
A : « Bienfaits » de la corruption.
Un certain courant de pensée s'accorde à dire
que la corruption, outre les effets néfastes qu'elle engendrerait,
serait un vecteur de richesse, de croissance et d'emploi. En effet, la
connotation négative de la corruption a fait que les hommes se sont
penchés essentiellement sur l'étude des coûts de ce
phénomène. En revanche, l'étude des bienfaits de la
corruption - si bienfaits il y a - n'est que très rarement
abordée dans les manuels. Or, il apparaît nécessaire pour
bien appréhender ce phénomène, de s'interroger sur les
éventuels bénéfices que l'on peut tirer de cet acte
illégal. L'on peut légitimement parler de bénéfice,
car la personne qui pratique cette corruption, tire un avantage à la
pratiquer. Mais l'étendue du problème ne réside pas
seulement dans les avantages qu'une personne trouve à pratiquer la
corruption. Il s'agit de savoir ici quel est l'impact macro-économique
de la corruption sur l'économie. La question de la morale doit donc
être laissée de côté pour cette analyse des bienfaits
de ce phénomène.
Rudy Aernoudt24(*) reprenant la fable des abeilles de
Mandeville25(*)
démontre à quel point cette histoire qui au départ n'est
qu'affabulation, a de plus en plus tendance à devenir
réalité. D'après Mandeville, il n'existe pas seulement un
rapport entre corruption et croissance économique. L'auteur soutient en
effet que si la corruption n'était plus possible, l'économie dans
son ensemble s'effondrerait. L'idée centrale de cette fable est que
« le monde des abeilles consiste en un essaim d'individus qui tous
recherchent leur propre avantage, sans reculer devant des pratiques douteuses.
Les abeilles vivaient dans l'opulence. De grands projets de construction
flattaient leur vanité et il était bien vu de fréquenter
les bars. On pourrait résumer l'état de cette
société en disant que chaque partie était pourrie mais que
l'ensemble était un paradis. Le Dieu suprême Jupiter...en eut
assez de ces pratiques douteuses et voulut faire le ménage - une
opération mains propres en quelque sorte. Le Dieu décida de
nettoyer la ruche de toute trace de corruption. La tromperie fit place à
l'honnêteté, la parcimonie et la sobriété furent
mises à l'honneur. Il n'y avait plus de place pour des sentiments tels
que la vanité. Personne ne s'évertuait plus en ce sens. La
quête de richesses ne faisait plus d'adeptes. Les bars furent
fermés, faute de clients, et le marché de la construction
s'effondra, faute de moyens financiers. L'artisanat dépérit
et les tisserands n'eurent plus de travail ». La
référence à une fable peut certes paraître fortuite
et illusoire. Mais le sens d'une fable n'est-il pas d'évoquer
métaphoriquement une réalité plus profonde ?
De plus, diverses analyses économiques soutiennent la
position défendue dans la fable, à savoir que la corruption
stimule la croissance. La corruption est alors comparée à l'huile
qu'il faut injecter dans les rouages d'un système défaillant,
afin de réguler, d'équilibrer le marché et toutes les
transactions. Dans son ouvrage intitulé « Political order in
Changing Societies », l'économiste libéral Samuel
Huntington26(*)
écrit qu'« en termes de croissance économique, ce qu'il
y a de pire qu'une société centralisée,
démocratique et corrompue, c'est une société
centralisée, démocratique et honnête ». Cette
vision extrême du phénomène de corruption,
énoncée par son auteur aux alentours des années 1970,
rejoint le courant de pensée qui tend à affirmer que la politique
du « laisser-faire » est de loin la plus
bénéfique pour l'économie.
Pour Hervé Magnouloux, la corruption peut effectivement
servir de lubrifiant à certaines économies sous
développées, et permettre ainsi de retrouver une certaine
souplesse. D'après cet auteur, « Les pots-de-vin jouent alors
des fonctions de « speed money », c'est-à-dire
qu'ils permettent d'accélérer des processus de décisions.
Les résultats économiques sont ainsi obtenus en
« accéléré » et avec des
possibilités d'ajustement aux intentions initiales des agents
meilleures27(*) ».
Ainsi, les tenants de la thèse des bienfaits de la
corruption font partie d'un courant ultra libéral, tendant à
affirmer les conséquences positives du « laisser
faire » sur les marchés. La seule loi respectable devient
alors la loi de la satisfaction personnelle, dans le but d'une satisfaction
générale. Mais la réalité est tout autre, et les
coûts réels qu'engendrent la corruption démontrent à
quel point l'économie est gangrenée par ce
phénomène.
B : Coûts et ampleur de la corruption
Phénomène par définition secret, force
est de constater qu'il est délicat de mesurer précisément
l'ampleur et les conséquences de la corruption. Du fait de ce
caractère secret, un postulat s'impose : les chiffres
avancés pour mesurer l'ampleur du phénomène sont
forcément en deçà de la réalité. Aucun
indice, aucune étude ne peut en effet prétendre à une
exhaustivité concernant le montant de la corruption. Cependant,
certaines évaluations en la matière peuvent nous éclairer
quelque peu sur ces pratiques, évaluations qui démontrent bien
l'omniprésence de ces pratiques, et de fait, la légitimité
et la nécessité de lutter contre ces actes.
D'après la Banque Mondiale28(*), plus d'un trillion de dollars
- mille milliards de dollars - se perd chaque année sous forme de pots
de vin. Daniel Kaufmann, directeur du programme gouvernance précise que
ce chiffre de un trillion de dollars englobe tous les paiements illicites dans
le monde, ceux des pays riches et ceux des pays en développement. Ce
chiffre de un trillion de dollars a été calculé sur la
base des données économiques 2001-2002, qui donnaient à
l'économie mondiale une taille d'environ trente trillions de dollars. De
façon plus précise, Jean de Maillard29(*) estime le « produit
criminel brut », autrement dit le chiffre d'affaires mondial de
l'ensemble des activités illicites des organisations criminelles,
à environ 800 milliards de dollars. Selon lui, « la
moitié de ce montant - 400 milliards - pourrait concerner le trafic de
drogue, 180 servent à rétribuer les trafiquants et professionnels
de la société légale et en laissent 120 aux mains des
organisations criminelles qui ont à les recycler ». Le montant
de la corruption serait donc estimé par ce magistrat à
près de 200 milliards de dollars. De son côté, le directeur
général du Fonds monétaire international (FMI),
déclarait en 1998 que le volume des opérations de blanchiment
représentait probablement entre 2% et 5% du PIB mondial. L'infraction
d'origine du délit de blanchiment pouvant être une infraction de
corruption, l'estimation du FMI englobe donc ces pratiques corruptrices. Mais
ces évaluations datant de quelques années, on peut
légitimement imaginer que ces chiffres ont à l'heure actuelle,
fortement augmenté.
Ces sommes colossales sont donc parties intégrante de
notre système monétaire, et représentent une
véritable menace pour les Etats de droit. Certaines études vont
même jusqu'à affirmer que notre système monétaire ne
peut se maintenir que grâce aux fruits de la corruption, à savoir
les narcodollars. Pour M. Sauloy et M. Le Bonniec, ces dollars qui proviennent
du commerce de la drogue et de produits connexes, seraient le régulateur
nécessaire du système monétaire. Selon ces auteurs
« Les trafiquants de drogue, les policiers corrompus et les banquiers
se livrant au blanchiment maintiennent en vie le système
monétaire30(*) ». La corruption apparaîtrait alors
comme un carburant nécessaire à notre économie, et son
éradication aurait alors des répercussions économiques non
négligeables.
D'autre part, il existe plusieurs entreprises, organisations,
qui, sur la base « d'indices » ou de sondages, tentent
d'évaluer les proportions et l'étendue de ce fléau. Tel
est le cas des maintenant très célèbre « indice
de perception de la corruption » ou de « l'indice de
corruption des pays exportateurs » réalisés par
l'organisation non gouvernementale (ONG) Transparency International. Depuis
1995, chaque année cette ONG publie son indice de perception de la
corruption31(*), pointant
du doigt les pays dans lesquels la corruption est la plus répandue, ou
les pays qui n'adoptent pas de mesures nécessaires à la lutte
contre ce fléau. Cet indice vise à fournir des informations
précises sur les perceptions de la corruption à l'échelle
nationale. En résumé, l'indice de perception de la corruption
(IPC) nous donne une vision globale à l'échelle internationale,
des tendances observées pour chaque pays. Selon l'IPC de 2005, au
premier rang des pays les plus « propres » réside
l'Islande, avec un taux de 9.7 sur une échelle de 10. En revanche, le
pays le moins propre serait le Tchad avec un taux de 1.7. Quant à la
France, malgré les efforts déployés pour lutter contre ce
mal, elle se situe à la 18ème place, avec une moyenne
de 7.5. L'IPC démontre ainsi que la France est encore exposée
à ce risque de corruption, et que ces pratiques illégales restent
relativement ancrées dans les moeurs de notre pays.
Pour combler certaines lacunes de cet IPC32(*), Transparency International a
élaboré un indice de propension à corrompre ou
« indice de corruption des pays exportateurs » (IPCE).
Apparu pour la première fois en 1999, puis en 2002, ce dernier
évaluateur classe les plus grands pays exportateurs - une vingtaine -
selon l'inclination de leurs compagnies à verser des pots-de-vin
lorsqu'elles opèrent à l'étranger. Il ressort de cette
étude qu'aucune entreprise n'est exempte de corruption active. Pour
preuve le classement alarmant de la France dans L'IPCE de 2002 : avec une
moyenne de 5,5 sur une échelle de 10, la France se situe au
douzième rang de l'indice, notre pays ne devançant en Europe que
l'Italie. Pour compléter ce dispositif, qui se résume à
des questions posées à certains professionnels des pays
concernés, TI a affiner ses recherches en se penchant sur la mesure de
la corruption par secteur. Ainsi, les secteurs les plus touchés par la
corruption en 2002 sont respectivement, la défense, l'armement, le BTP,
l'immobilier ou les télécommunications.
A côté de ces études classiques sont
apparues d'autres études destinées à parfaire l'approche
du phénomène. Au rang des ces études nous pouvons citer en
autre celle de la Banque Mondiale, réalisée entre fin 1998 et
2000 dans le cadre du World Business Environnement Survey, et portant
exclusivement sur la question du poids de la corruption pour les entreprises.
Il s'agissait d'une enquête auprès de 10 090 entreprises des
divers continents concernant la fréquence et le poids des paiements
irréguliers qu'elles sont amenées à faire. Il en ressort
que les petites entreprises payent à la corruption un tribut plus lourd
que les grandes. Conséquemment, le chiffre d'affaire de ces firmes se
voit ponctionné par ces paiements irréguliers, nuisant à
leur expansion économique.
Sur ce dernier point, à savoir les répercussions
de la corruption pour l'entreprise, des enquêtes ont également
été menées, pour bien cerner l'impact de ce
phénomène sur ces organisations. Reprenons la distinction
communément admise entre corruption publique et corruption
privée. Celle-ci repose essentiellement sur le fait qu'il existe, entre
ces deux genres de corruption, une différenciation entre les divers
intervenants. Dès lors, on parle de corruption publique lorsque
intervient un agent public. On parlera de corruption privée lorsque les
protagonistes sont deux personnes privées, ou plus
précisément n'exercent pas une fonction publique33(*). Cette distinction joue
également sur les conséquences de la corruption publique ou
privée qui, bien que très proches, diffèrent quelque peu.
Ainsi, en matière de corruption publique, les coûts avancés
sont que cette corruption « érode les principes qui
régissent l'Etat de droit, mine la légitimité des
gouvernements ainsi que l'efficacité et la crédibilité des
institutions publiques, rend la justice inopérante et
créée un climat d'insécurité susceptible de porter
atteinte à la stabilité politique de certains pays34(*) ».
Les conséquences de la corruption privée peuvent
de manière certaine influer indirectement sur l'Etat de droit et les
institutions publiques. Mais décrédibilisant l'image et la
réputation de l'entreprise, cette corruption toucherait davantage les
ressources propres de l'entreprise, ce qui à terme, pourrait
s'avérer véritablement nuisible pour elle-même, mais
également pour son environnement.
John Sullivan et Aleksandr Shkolnikov35(*) se sont penchés sur les
méfaits de la corruption, et il ressort de leurs travaux36(*) que ce phénomène
a un coût. En effet, les conséquences de la corruption pour
l'entreprise pourrait être synthétisées comme
suit :
- la corruption serait responsable de la mauvaise
répartition des ressources. Ces ressources qui seraient normalement
consacrées à la production de biens et de services servent
souvent à corrompre. Sont concernés les ressources tant directes
- les flux financiers - qu'indirectes, par exemple le fait d'octroyer une
licence d'exploitation ou de production à une entreprise moins
efficiente.
- la corruption diminuerait les investissements. Ces deux
auteurs déclarent que les investisseurs finissent toujours par
éviter les environnements où la corruption est endémique
parce qu'elle accroît la rançon des affaires et qu'elle sape la
primauté du droit.
- la corruption porterait également atteinte à
la concurrence et à l'efficience. L'exigence de pots de vin dans
l'attribution d'un contrat, d'une prestation, réduit le nombre
d'entreprises capables de pénétrer sur le marché,
créant ainsi un environnement qui repose sur une maximisation de la
rente. Cette maximisation de la rente déboucherait sur la fabrication de
produits de faible qualité, d'où une baisse de
l'efficacité, de la productivité et de la
compétitivité. Au bout du compte, le manque de concurrence nuit
au consommateur, qui reçoit des produits de moins bonne qualité,
tout en les payant plus cher.
- la corruption accroît le coût des affaires. Ces
auteurs affirment que le temps et l'argent consacrés à obtenir
les faveurs des corrompus et à la navigation au travers de
règlements complexes accroissent les coûts des transactions
commerciales. Jouant le rôle d'une taxe sur les affaires, les
conséquences se répercutent une fois encore sur le consommateur,
qui subit à la fois la hausse des prix, mais aussi la baisse de la
qualité des produits.
- la corruption diminue le taux de croissance. Du fait du
coût élevé des sommes corruptrices, les petites entreprises
sont plus touchées par ces pratiques. Evoluant dans un environnement
hautement concurrentiel, il sera difficile pour ces firmes en
développement de répercuter les coûts sur le consommateur.
Ces entreprises qui sont le moteur principal de l'économie, ont alors du
mal à survivre dans ce contexte vicié. L'emploi dans le secteur
privé est également touché, du fait que les petites
sociétés, ayant du mal à survivre, en ont encore plus pour
s'agrandir et créer des emplois.
Au regard de l'ampleur et des conséquences de la
corruption, il est apparu nécessaire d'adopter une attitude ferme et
radicale dans le but de lutter au mieux contre ces pratiques illicites.
Conscient de l'omniprésence du phénomène de corruption
dans les entreprises, et des conséquences néfastes qu'il
engendre, le législateur est intervenu afin de poser de nouvelles bases
juridiques en la matière. Ainsi, selon Christian Curtil :
« Le délit de corruption est entré dans le champ du
droit des affaires des entreprises commerciales : deux nouveaux
délits ont été ajoutés au Code pénal par une
loi du 4 juillet 2005 afin de permettre la répression de la corruption
active et passive dans le privé37(*) ». Il convient donc d'étudier ce
nouveau dispositif législatif spécifique à la corruption
privée, ce qui permettra d'apercevoir l'apport considérable de la
loi de 2005.
Section 2ème : Un dispositif
législatif exhaustif de lutte contre la corruption privée
A contrario de l'incrimination de corruption publique, apparue
très tôt en droit pénal français38(*), l'infraction de corruption
privée n'est, quant à elle, apparue que très tardivement.
En effet, il a fallu attendre la loi du 19 février 1919, qui venait
alors compléter les dispositions des articles 177 et 179 du Code
pénal de 1810, articles qui ne prévoyaient que la corruption
publique. Ladite loi de 1919 restant toutefois insuffisante, car seuls les
employés d'entreprises privées étaient visés.
Nonobstant deux modifications39(*), cette carence législative perdurera
jusqu'à la loi du 4 juillet 200540(*) dont l'article 2 est venu ajouter un chapitre V au
livre IV du Code pénal de 1992 intitulée « de la
corruption des personnes n'exerçant pas une fonction
publique ». Cette loi est le résultat de la transposition
de la décision cadre du 22 juillet 2003 émanant du conseil de
l'Union Européenne41(*). L'apport non négligeable de cette loi
mérite donc toute notre attention, et il s'agira d'étudier
celui-ci à travers les éléments constitutifs du
délit de corruption privée. Pour cela, nous envisagerons dans un
premier temps de nous pencher sur les éléments constitutifs de
cette infraction (I), avec d'une part les éléments
spécifiques aux deux délits, et d'autre part les
éléments communs. Ensuite, nous évoquerons les
modalités de répression, pour là encore, entrevoir les
changements bénéfiques que le législateur de 2005 a
entendu apporter à cette infraction (II).
I : Eléments constitutifs des délits de
corruption privée active et passive
L'infraction de corruption privée, à l'instar de
toutes les autres infractions, se doit pour être établie, de
regrouper différents éléments constitutifs. Du fait de la
différenciation du législateur entre corruption active et
passive, chaque protagoniste se voit appliquer un délit
spécifique. Le corrupteur sera poursuivi pour corruption privée
active et le corrompu pour corruption privée passive. Ainsi, les
infractions de corruption privée active et passive connaissent des
spécificités propres à chacune d'elles (A), mais ces
délits connaissent également des similarités dans leur
application (B). Il s'agira donc d'étudier ces particularités
inhérentes à l'infraction de corruption privée.
A : Eléments spécifiques à chacun
des délits42(*)
1/ Concernant la qualité des personnes
· La qualité indifférente du corrupteur
Le délit de corruption privée active constitue
la qualification pénale de l'infraction commise par le corrupteur. Les
dispositions de l'article 445-1 du Code pénal n'imposant aucune
qualité particulière pour la personne du corrupteur, ce dernier
peut être aussi bien une personne physique, qu'une personne morale. La
possibilité pour une personne morale d'être poursuivie en tant que
corrupteur est une hypothèse nouvellement prévue par l'article
445-4 du même Code. La mise en oeuvre de cette responsabilité
s'effectuera dans les conditions prévues par l'article 121-243(*) du Code pénal. Le
législateur en n'exigeant pas de qualité particulière pour
la personne du corrupteur, élargit considérablement le champ
d'application du délit, de telle sorte que toute personne physique ou
morale peut voir sa responsabilité engagée du chef de corruption
privée.
· La qualité requise pour le corrompu
Contrairement à la personne corruptrice, pour laquelle
aucune qualité particulière n'est requise, le corrompu lui, doit
remplir certaines conditions. Selon l'article 445-1 du Code pénal, la
personne corrompue, personne physique ou morale, se définit comme celle
qui « sans être dépositaire d'un service public ou
chargée d'une mission de service public, exerce, dans le cadre d'une
activité professionnelle ou sociale, une fonction de direction ou un
travail pour une personne physique ou morale, ou un organisme
quelconque ». Il résulte de cette définition, que le
législateur a voulu ériger, pour qu'une personne soit responsable
de corruption privée passive, deux exigences cumulatives :
- une exigence négative, qui réside dans
l'absence de possession de la qualité d'agent public.
En effet, le corrompu ne doit ni exercer une fonction
publique, ni être dépositaire de l'autorité publique, ni
être chargé d'une mission de service public. Ces trois
critères étant alors exigés pour qualifier l'infraction de
corruption publique.
- une exigence positive, qui réside dans l'appartenance
de l'activité de l'agent dans le secteur privé. Dans le cadre de
la corruption passive, la personne corrompue est celle
qui « exerce, dans le cadre d'une activité
professionnelle ou sociale, une fonction de direction ou un travail pour une
personne physique ou morale, ou un organisme quelconque » selon les
dispositions des articles 445-1 et 2 du Code pénal. Concernant le cadre
de l'activité, la convention pénale du Conseil de l'Europe ne
prévoyait seulement que les actes de corruption active ou passive
n'étaient rattachables au secteur privé dès lors qu'ils se
situaient « dans le cadre d'une activité commerciale44(*) ». Cette disposition
excluait donc du champ d'application, toutes les activités à but
non lucratif. En revanche, l'article 2§1 de la décision cadre du 22
juillet 2003 outrepasse le critère « d'activité
commerciale », pour étendre le cadre à toutes
« activités professionnelles ». Le
législateur français, soucieux de se mettre en conformité
avec les exigences communautaires, a adopté une solution alternative qui
réside actuellement dans les articles 445-1 et 2 et qui vise une
« activité professionnelle ou sociale ». Cela permet
de prendre en considération aussi bien l'activité exercée
dans une entreprise privée, que celle exercée au sein d'une
association, mais également dans un syndicat. Les activités
exercées à but non lucratif entrent ainsi dans le domaine
d'application de l'infraction.
D'autre part, les articles 445-1 et 2 du Code pénal
exigent que le sujet passif de la corruption exerce « une fonction de
direction ou de travail ». Avant l'adoption de la loi de juillet
2005, il était nécessaire de prouver l'existence d'un lien de
subordination entre le sujet passif des manoeuvres corruptrices et son
employeur. Désormais cette restriction n'a plus lieu d'être, et le
lien de subordination devient donc indifférent. Notons sur ce point que
la décision cadre du 22 juillet 2003 imposait déjà
« l'incrimination de l'ensemble des faits de corruption commis dans
le secteur privé et pas seulement la corruption des
salariés ». On comprend dès lors pourquoi le
législateur français a étendu la qualité d'agent
corrompu à toute fonction de direction, salariée ou non
salariée et à tout travail indépendant.
2/ Caractéristiques légales de la corruption
active
L'article 445-1 du Code pénal n'associe au fait de
corrompre, que le fait de proposer ou le fait de céder à une
sollicitation, ou le fait d'octroyer un avantage indu. Ces moyens ont donc un
caractère essentiellement pécuniaire45(*), admis au sens large par la
jurisprudence. Concernant le fait de proposer, le simple fait d'adresser une
proposition de nature corruptrice suffit à consommer le délit de
corruption privée active. Peu importe si la proposition a
été agrée ou pas par l'agent qui en est le destinataire.
Peu importe également que le corrupteur se rétracte ou retire sa
proposition corruptrice. En ce qui concerne le fait de céder à
une sollicitation, cette dernière doit également être de
nature corruptrice. Par conséquent, sera qualifiée de
corruptrice, toute sollicitation dont la formulation s'accompagne, de la part
du corrompu, de l'attente d'une contrepartie, sous la forme de l'obtention d'un
avantage indu. Enfin, sur le fait d'octroyer un avantage indu, force est de
constater que le législateur n'a pas assimilé expressément
le fait de corrompre au fait de donner un avantage. L'article 445-1
énonce en effet que la corruption n'est définie que par le fait
de « proposer » ou le « fait de
céder ». Nonobstant ce défaut d'expression46(*), la jurisprudence est venue
réaffirmer à propos de la corruption publique active que
« le délit de corruption, consommé dès la
conclusion du pacte entre le corrupteur et le corrompu, se renouvelle à
chaque exécution dudit pacte47(*) ». Il faut donc en déduire que la
conclusion du pacte corrupteur et l'octroi d'un avantage indu sont deux faits
distincts qui doivent s'analyser en deux délits successifs.
3/ Caractéristiques légales de la corruption
passive
Selon les termes du législateur, le fait d'être
corrompu désigne le fait de solliciter, d'agréer ou de recevoir
un avantage indu. Il convient donc de se pencher sur ces trois critères
qui constituent l'infraction de corruption passive. En ce qui concerne le fait
d'adresser une sollicitation de nature corruptrice. Ce critère est
défini pareillement que pour la corruption privée active,
à savoir que la sollicitation est qualifiée de corruptrice
lorsque sa formulation s'accompagne, de la part du corrompu, de l'attente d'une
contrepartie ou se révèle liée à l'obtention d'une
contrepartie, sous la forme de l'obtention d'un avantage indu. Rappelons
à cet égard que la simple sollicitation de nature corruptrice
suffit à consommer le délit de corruption privée passive,
et qu'il importe peu que le corrompu rétracte sa demande. Concernant
ensuite le fait d'agréer une proposition de nature corruptrice.
Là encore, les contours de ce critère sont identiques au fait
d'agréer une proposition pour le corrupteur. Le fait que le corrompu qui
a agrée une telle demande, ne puisse ou renonce à accomplir
où à s'abstenir d'accomplir un acte de son activité est
donc indifférent. La non exécution du pacte de corruption par le
corrupteur est également de nul effet sur la qualification et les
poursuites susceptibles d'être engagées. Enfin, concernant la
réception d'un avantage indu, il faut noter que l'article 445-2
n'incrimine pas expressément le fait de recevoir un tel avantage. Il est
simplement fait référence à cet agrément qui peut
alors avoir pour objet non seulement des « offres » ou des
« promesses » mais également des
« dons » et des « présents ». De
plus, la simple réception de l'avantage indu suffit à consommer
le délit de corruption privée passive. Il suffit donc que le
corrompu ait reçu un avantage indu en exécution d'un pacte de
corruption.
Comme nous venons de le voir, il existe en matière de
corruption privée, des spécificités applicables en
fonction du rôle de la personne. La qualité de la personne
corruptrice importe peu, tandis que la personne corrompue doit répondre
à certains critères légaux. Mais en parallèle
à ces spécificités, existent des éléments
communs qui jouent tout aussi bien pour le corrupteur que pour le corrompu.
B : Eléments communs aux deux délits
1/ Les moyens de la corruption
Selon les articles 445-1 et 445-2 du Code pénal, il
résulte que les offres, promesses, dons, présents ou avantages
quelconques doivent avoir été proposé ou octroyé -
corruption active - sollicités ou agrées - corruption passive -
pour obtenir ou avoir obtenu l'accomplissement ou le non accomplissement d'un
acte relevant de la fonction de l'agent corrompu. Une jurisprudence constante
affirme que cet accomplissement ou non accomplissement de l'acte relevant de la
fonction de l'agent doit avoir été déterminé par la
contrepartie corruptrice. Il doit donc exister un nécessaire lien de
causalité entre l'acte de l'agent et la contrepartie corruptrice. Le
législateur a ainsi érigé en condition, l'existence de ce
lien de causalité, condition qui permet de qualifier le délit de
corruption privée. Cependant, en ce qui concerne les moyens mêmes
de la corruption, la loi n'est pas venu poser de conditions strictes sur ces
derniers, on parle alors du principe de l'indifférence des moyens de
corruption. Ce principe est toutefois à relativiser, car en fonction des
moyens employés, la qualification pénale sera différente.
Tel est le cas lorsque l'agent corrompu cède à des sollicitations
émanant d'un tiers à raison de la violence, de la menace de
violence ou de la contrainte. Dans cette configuration, l'agent sera
considéré comme victime et non comme corrompu, et la poursuite de
l'initiateur de l'acte s'effectuera sur le chef du délit d'extorsion ou
de chantage, et non pas sur celui de corruption privée active.
D'autre part, il est à noter que la nouvelle
rédaction des articles 445-1 et 445-2 fait expressément
référence à des avantages
« quelconques ». Par conséquent, la contrepartie
corruptrice sera constituée non seulement par l'obtention d'un
bénéfice, mais également par l'obtention d'une
économie. Le cadre juridique de la corruption privée et donc plus
largement défini, permettant de retenir cette qualification même
à défaut d'enrichissement. La notion d'enrichissement de l'agent
devient donc indifférente, ce qui laisse à l'organe poursuivant
une plus grande marge de manoeuvre. A titre d'exemple, peuvent constituer des
avantages quelconques, le don d'une somme d'argent en espèces, des
présents en nature48(*), l'offre de participation dans une
société49(*), la promesse d'améliorer la situation
professionnelle de l'intéressé50(*) ou d'augmenter son salaire51(*)...
De plus, en ce qui concerne des sommes issues de fonds
sociaux, la jurisprudence a depuis fort longtemps admis que l'utilisation de
tels fonds qui serviraient à corrompre autrui est constitutive du
délit d'abus de bien sociaux et non pas de celui de corruption
privée. Malgré le fait que cette problématique ne soit pas
encore intervenue devant les tribunaux en matière de corruption
privée, tout prête à croire que la solution
précitée sera envisagée en vertu des décisions
antérieures rendues sur cette question. D'autre part, la loi du 4
juillet 2005 qui énonce que les avantages perçus peuvent
être des avantages « quelconques », ouvre
également un large champ d'application au délit de corruption
privée. De ce fait, les moyens générateurs de la
corruption seront aussi bien des avantages patrimoniaux qu'extrapatrimoniaux.
Il est donc désormais possible de prendre en compte tout avantage
subjectif afin de soulever la qualification de corruption privée. Tout
échappatoire consistant à déclarer que la contrepartie
corruptrice réside dans un avantage subjectif, et donc ne tombe pas sous
la qualification de corruption privée devra être
écarté, et on imagine bien les répercussions positives
apportées par la nouvelle loi en terme de répression.
De plus, comme nous l'avons dit auparavant, en matière
de corruption privée, l'absence d'enrichissement personnel est
indifférente à la qualification pénale de ce délit.
Ainsi, il importe peut que l'agent corrompu soit ou non le destinataire
exclusif de la contrepartie corruptrice52(*). De nature patrimoniale ou extrapatrimoniale, cette
contrepartie corruptrice peut être indifféremment destinée
à la satisfaction de la personne corrompue ou à la satisfaction
tout entière ou partielle d'une tierce personne, qui fait alors figure
de receleur53(*).
2/ Pacte corrupteur et finalités de la
corruption
Le pacte corrupteur tend à obtenir que le corrompu
accomplisse ou n'accomplisse pas un acte de sa fonction en contrepartie des
versements effectués par le corrupteur. Pour se faire, le corrupteur
emploiera différents modes opératoires dans le but d'obtenir un
instant, le pouvoir de décision du corrompu. Concernant ce modus
operandi, le législateur exigeait dans un premier temps le
caractère occulte de la transaction. L'article L.152-6 du Code du
travail énonçait que les faits de corruption devaient avoir
été commis « à l'insu et sans l'autorisation de
son employeur ». Depuis la loi de juillet 2005 cette exigence a
disparu, la France entrant ainsi en conformité avec la décision
cadre du conseil de l'Union Européenne. De plus, les articles 445-1 et 2
du Code pénal assimilant le fait de corrompre et d'être corrompu
« directement ou indirectement », le mode de formulation de
la proposition ou de la sollicitation de nature corruptrice ainsi que le mode
de conclusion et d'exécution du pacte importent peu. Par
conséquent, que les protagonistes du pacte agissent directement ou par
l'intermédiaire d'un tiers, n'aura aucune incidence sur la qualification
pénale, et les auteurs se verront poursuivre pour corruption
privée. Le législateur a donc posé le principe de
l'indifférence des modes opératoires, laissant une fois encore
une marge de manoeuvre plus grande pour les organes poursuivants.
D'autre part, il est une question qui a longtemps fait
polémique au sein des institutions judiciaires, à savoir la
question de l'antériorité du pacte corrupteur. En effet, le Code
pénal exigeait pour la corruption dans le secteur public que
« la proposition, la sollicitation ou l'agrément d'une
contrepartie soit antérieur aux actes à accomplir ou à la
renonciation à agir54(*) ». Une jurisprudence constante estimait de
fait que les délits de corruption - publique ou privée -
n'étaient caractérisés que si la convention passée
par le corrupteur ou le corrompu avait précédé l'acte ou
l'abstention qu'elle avait pour objet de rémunérer. D'où
le caractère paradoxal de cette situation : la personne qui,
après avoir accompli ou s'être abstenu d'accomplir un acte de sa
fonction sollicitait ou agréait un avantage indu était
prétendue à une impunité certaine. En revanche, pas
d'impunité pour celui qui sollicitait ou agréait un avantage indu
pour accomplir ou s'abstenir d'accomplir un acte de sa fonction, même si
en définitive il y renonçait. Autre difficulté de la
situation : « la preuve de l'antériorité du pacte
corrupteur se révélait assez aisée lorsque les dons
avaient été remis par le corrupteur avant l'accomplissement de
l'acte promis par le corrompu. La preuve en devenait plus difficile lorsque le
pacte ne comportait qu'une promesse de don, promesse exécutée
seulement après l'accomplissement de l'acte de la fonction55(*) ». Ces solutions ne
pouvant plus perdurer, le législateur est intervenu afin de mettre un
terme à ces différends juridiques. Par la loi du 30 juin 2000, la
loi a introduit l'expression « À tout moment » au sein
des articles 432-11 et 433-1 du Code pénal, mettant ainsi fin
à la condition d'antériorité du pacte corrupteur. En
revanche, les parlementaires avaient omis d'ajouter cette expression à
l'ancien article L.152-6 du Code du travail, mais cette carence fut
paliée avec l'intervention de la loi du 4 juillet 2005.
Désormais, le pacte corrupteur en matière de corruption
privée peut intervenir « À tout moment », ce
qui permet une meilleure appréhension de ce délit56(*). Cependant, selon le magistrat
Jacques Gazeaux57(*) : « L'obligation de prouver
l'existence d'un tel pacte de corruption, antérieur ou non à
l'acte ou à l'abstention qu'il avait pour objet de
rémunérer est particulièrement difficile à
satisfaire et constituent un obstacle important à la lutte contre la
corruption, au sens strict du terme, dans le cadre des enquêtes
pénales. En effet, par définition, la corruption est une pratique
occulte et il apparaîtra souvent impossible de démontrer
l'existence d'une corruption passée par le corrupteur et le
corrompu ». Ainsi, malgré une volonté apparente du
législateur de lutter contre ce phénomène, on
aperçoit là toute la difficulté dans l'approche
répressive de la corruption, de par le caractère secret
inhérent à cette pratique.
Enfin, concernant la finalité du pacte corrupteur,
rappelons que le but de ce pacte est que l'agent corrompu accomplisse ou
s'abstienne d'accomplir un acte de sa fonction. Plus précisément,
la finalité de la corruption est que l'agent accomplisse ou s'abstienne
d'accomplir un acte de sa fonction, mais également un acte
facilité par sa fonction, tout en ayant agi en violation de ses
obligations légales, contractuelles ou professionnelles. Sur le fait que
l'agent accomplisse ou s'abstienne d'accomplir un acte de sa fonction. Le
législateur a incriminé de façon équivalente l'acte
ou l'omission de l'agent corrompu. Ainsi, que ce dernier fasse un acte positif,
ou s'abstienne d'agir, est réprimé de la même façon,
et cet acte tombe sous la qualification de corruption privée passive. La
Cour de cassation58(*)
allant même jusqu'à décider qu'il importait peu que le
corrompu n'ait pas accompli lui-même l'acte de son activité
dès lors qu'il entre dans ses attributions d'en proposer ou d'en
préparer la réalisation. De plus, à défaut de
distinction il apparaît clairement que l'acte qu'accomplit ou s'abstient
d'accomplir l'agent corrompu peut être aussi bien un acte
délictueux qu'un acte non délictueux. A titre d'exemple, nous
pouvons citer le cas d'un footballeur condamné pour corruption pour
avoir « lever le pied » et « facilité le
gain d'un match 59(*)». Celui d'un employé de banque, pour
avoir accordé un découvert, un crédit ou un
prêt60(*). Ou
encore, celui d'un salarié cadre ayant pour fonction la gestion de
syndicats de copropriété, de s'abstenir d'organiser la
concurrence entre les sociétés en faussant les règles de
la concurrence61(*).
Concernant ensuite l'accomplissement ou le non accomplissement
d'un acte facilité par la fonction de l'agent. Lorsque dans un tel cas,
l'acte est facilité par la fonction du corrompu, on parle alors de para
corruption. Ces actes de corruption ne différant guère des actes
de corruption, il peut tout aussi bien s'agir d'actes de nature positive ou
négative, mais également d'actes délictueux ou non
délictueux.
Le législateur a exigé également de la
personne corrompu, qu'il agisse en violation des obligations légales,
contractuelles ou professionnelles. Les articles 445-1 et 2 érigent
à cet effet la nécessité que l'agent privé ait agi
en violation de ses obligations légales, contractuelles ou
professionnelles. Cette exigence de violation d'une obligation par le corrompu
était déjà admise par la jurisprudence, qui affirmait que
le délit de corruption peut se voir constitué non seulement
lorsque les actes en questions se rapportent à la fonction de l'agent,
mais aussi lorsque les actes se rapportent à son devoir professionnel,
devoir qui lui impose ou lui commande de s'abstenir. Mais ce n'est
réellement que sous l'impulsion du législateur communautaire, par
le biais de la décision cadre du 22 juillet 2003 du Conseil de l'Union
Européenne, que cette exigence est entrée dans notre droit
positif. En conformité avec le droit Européen, la
législation française en est désormais d'autant plus
complète en ce qui concerne cette incrimination de corruption
privée.
Une fois l'étude des éléments
constitutifs achevée, il est logique que nous nous tournions vers les
modalités de la répression en matière de corruption
privée. Concernant ces modalités, nous pourrons nous apercevoir
qu'une fois encore, la loi du 4 juillet 2005 élargit le champ
d'application du délit, tout en facilitant la répression
pénale à l'égard de l'auteur de l'acte.
II : Modalités de répression de la
corruption privée
A : Personnes responsables
· Personnes physiques
Les personnes physiques, qu'elles possèdent la
qualité de corrupteur ou de corrompu, encourent une peine
d'emprisonnement de cinq ans et de 75 000 euros d'amende. La justification
avancée par le législateur concernant l'aggravation du quantum
des peines, passant ainsi de deux à cinq années d'emprisonnement,
a été l'élargissement de l'incrimination de la corruption
active aux dirigeants d'entreprises ainsi qu'aux professions libérales
et indépendantes. De plus, les enjeux financiers visés par les
interventions corruptrices peuvent être élevés, et
s'avérer proche des niveaux atteints en matière de corruption
publique. Par conséquent, les peines retenues ont été
alignées sur celles prévues en matière de trafic
d'influence, d'abus de biens sociaux ou encore d'escroquerie. Le dispositif
pénal de répression de la corruption privée se trouve donc
renforcé, ce qui peut à terme, dissuader le passage à
l'acte vers la corruption. En revanche, il est a déplorer que le
législateur dans sa réforme de 2005, ait omis de
privilégier certaines procédures dissuasives, qui sont
particulièrement indiquées en matière de corruption
extrêmement fructueuses. Selon Wilfried JEANDIDIER62(*), le délit de corruption
est affecté par différents défauts, qu'il
énumère et relève l'un après l'autre. Au titre des
ces défauts, l'auteur met en exergue l'abandon par le législateur
de « la redoutable technique de l'amende proportionnelle, à
taux mobile63(*)». Ce
« neuvième défaut » s'avère être
une carence en matière de répression, car ce
procédé dissuasif pourrait toucher le point sensible de tous
protagonistes de la corruption, à savoir l'argent. Mais malgré la
récente refonte de l'infraction de corruption entre agent privé,
le législateur n'a pas estimé souhaitable de réintroduire
cette disposition, pourtant si efficace en terme de répression.
En parallèle à ces peines principales, pourront
être prononcées par les juges des peines complémentaires.
Ces peines complémentaires sont aux nombres de quatre, il convient donc
de les énumérer :
- l'interdiction des droits civils, civiques et de famille, en
vertu de l'article 445-3, 1°, et selon les modalités de l'article
131-26 du Code pénal.
- l'interdiction, pour une durée de cinq ans au plus,
d'exercer une fonction publique ou d'exercer une activité
l'activité professionnelle ou sociale dans l'exercice ou à
l'occasion de laquelle l'infraction a été commise, selon les
dispositions de l'article 445-3, 2° du même Code.
- la confiscation de la chose qui a servi ou était
destiné à commettre l'infraction, ou de la chose qui en est le
produit, à l'exception des objets susceptibles de restitution.
- l'affichage ou la diffusion de la décision
prononcée par l'article 131-35 du Code pénal.
· Personnes morales
Les personnes morales peuvent également être
déclarées responsables des actes de corruption commis par leurs
salariés, dirigeants...Ainsi, le législateur a prévu toute
une palette de peines susceptibles d'être prononcées par les juges
à l'encontre de ces personnes morales. Notons d'emblée que
l'article 445-4 du Code pénal, n'édicte pas la peine de
dissolution de la personne morale, tout comme d'ailleurs l'article 433-25 du
même Code, à propos de la corruption publique active.
Malgré l'exclusion de cette peine de dissolution, les peines
prévues peuvent avoir des conséquences véritablement
catastrophiques aussi bien pour les ressources même de l'entreprise, que
pour son image :
- l'article 445-4 du Code pénal renvoie à
l'article 131-28 du même Code, qui énonce que le taux maximum de
la peine d'amende applicable aux personnes morales est égal au quintuple
de celui encourue par les personnes physiques, soit 375 000 euros
d'amende ;
- aux termes de l'article 445-4, 2° du Code pénal,
les personnes morales encourent l'interdiction d'exercer directement ou
indirectement une ou plusieurs activités professionnelles ou sociales
dans l'exercice ou à l'occasion de laquelle l'infraction a
été commise, pour une durée de cinq ans ;
- aux termes de l'article 445-4, 2° du Code pénal,
les personnes morales encourent la peine de placement sous surveillance
judiciaire pour une durée de cinq ans au plus.
Le même article énonce ensuite la
possibilité de prononcer une peine de fermeture, pour une durée
de cinq ans au plus, des établissements ou de un ou plusieurs des
établissements de l'entreprise ayant servi à commettre les faits
incriminés ;
- l'article 445-3, 2° du même Code déclare
également que la personne morale encourt par exemple une peine
d'interdiction de faire appel public à l'épargne, ou encore
l'interdiction d'émettre des chèques ou d'utiliser des cartes de
paiement ;
- aux termes de l'article 445-3 la personne morale pourra se
voir confisquer la chose qui a servi ou qui était destinée
à commettre l'infraction, ou de la chose qui en est le produit, à
l'exception des choses susceptibles de restitution ;
- enfin, une peine d'affichage ou de diffusion de la
décision prononcée pourra être décidée par
les juges, en vertu des dispositions de l'article 445-4, 4° du Code
pénal, dans les conditions prévues par l'article 131-35.
Enfin, à la différence des dispositions figurant
à l'ancien article L.152-6 du Code du travail, les dispositions des
articles 445-1 et 445-2 du Code pénal sont expressément
imputables aux personnes morales en vertu de l'article 445-4, et ce, dans les
conditions prévues par l'article 121-2 du Code pénal. Les
dispositions de ce dernier article s'harmonisent bien avec le sens que donne
l'article 1er de la décision cadre du 22 juillet 2003
à la notion de personne morale. En revanche, il n'est pas certain que
les conditions d'imputation de l'article 121-2 du Code pénal, soient
parfaitement compatibles avec l'article 5§2 de la décision cadre
précitée. L'hypothèse de responsabilité que dresse
l'article 5, n'est certes pas en contradiction avec la portée
communément accordée aux dispositions de l'article 121-2 du Code
pénal, mais impliquerait, pour exister en droit français, la
transposition aux personnes morales de la jurisprudence relative à la
responsabilité pénale des décideurs64(*).
Comme vu précédemment, les modalités de
répression qu'offre la nouvelle loi du 4 juillet 2005, permettent une
meilleure appréhension des auteurs d'actes de corruption. Ces nouvelles
dispositions tendent à parfaire l'ancien cadre juridique que
prévoyait l'article L. 152-6 du Code du travail, tout en actualisant
notre droit positif sur les nouveaux risques auxquels sont confrontés
les entreprises. Plus sévère sur les peines, la loi de 2005
s'avère plus dissuasive que les dispositions anciennement prévues
par le Droit social. Le législateur a donc posé un cadre
juridique exhaustif de lutte contre ce fléau. Hormis cela, il faut
préciser que la corruption privée connaît un certain
particularisme dans sa répression, et ce sont ces originalités
que nous aborderons ci après.
B : Particularité de la répression
Il apparaît important de relever que la
répression de la corruption privée connaît certaines
particularités, principalement en matière de poursuites et de
coopération internationale. Il convient donc de se pencher sur ces
particularismes qui peuvent influer de manière non négligeable
sur la répression du délit de corruption. Nous aborderons ainsi
le domaine des poursuites en matière de corruption privée, en
étudiant l'action publique et l'action civile. Ensuite, nous
étudierons les nouvelles dispositions en matière de
coopération internationale.
Concernant l'action publique, force est de constater
malheureusement que le délit de corruption privée est exclu de la
catégorie des infractions dites de délinquance et de
criminalités organisées. En effet, l'article 706-73 du Code de
procédure pénale (CPP)65(*), ne contient aucune référence aux
délits de corruption publique ou privée, les excluant de la sorte
des possibilités offertes par ces règles dérogatoires de
procédure. Certains parlementaires s'étaient pourtant
prononcés en faveur de l'intégration de la corruption dans les
règles de 706-73 dudit Code. Notons également que cette exclusion
entre également en contradiction avec l'article 9 de la convention des
Nations Unies contre la criminalité transnationale dont la France est
signataire depuis le 12 décembre 2000. Les règles
dérogatoires de procédure pénale édictées
par l'article 706-73 du CPP, et qui permettent aux magistrats instructeurs
d'avoir à leur disposition un arsenal juridique adaptée pour
lutter contre la criminalité organisée, ne peuvent donc pas
s'appliquer aux délits de corruption. L'on peut cependant espérer
que cette omission sera rapidement réparée, en voyant l'ajout
progressif d'infractions à la liste de l'article 706-7366(*). En effet, tout porte à
croire, au vue de la tendance actuelle à la sur
légifération, que les parlementaires incluront à raison le
délit de corruption dans la liste des infractions relevant de la
criminalité organisée.
D'autre part, une amélioration notable de la loi du 4
juillet 2005 tient au fait qu'il est désormais possible d'effectuer une
perquisition en mode préliminaire sans le consentement express de la
personne chez laquelle elle a lieu. L'article L. 152-6 du Code du travail
n'autorisait pas cette possibilité pour les enquêteurs, car les
peines prévues en matière de corruption de salariés
n'atteignaient pas le minimum légal pour procéder à cette
opération. Les nouveaux articles 445-1 et 2 du Code pénal, qui
relèvent les quantum de peines de deux à cinq ans accordent
désormais cette possibilité aux enquêteurs.
Concernant l'action civile, il faut souligner que la chambre
criminelle de la Cour de cassation a admis avec nuances les constitutions de
parties civiles relatives aux délits de corruption. La Cour a en effet
refusé d'admettre certaines constitutions de partie civile, en raison
par exemple de l'absence d'un préjudice direct, ou encore car
l'invocation de la partie concernée d'une atteinte portée
à sa réputation ne satisfaisait pas pour se constituer de la
sorte. Cependant, elle a admis que la corruption de sportifs professionnels
était de nature à causer directement un préjudice aux
fédérations sportives dont ils relèvent67(*). Par analogie, semble ne pas
poser de problèmes, la constitution de partie civile des ordres
professionnels tels notamment les conseils de l'ordre des médecins, des
avocats...
La jurisprudence joue donc un rôle
prépondérant à travers l'admission des constitutions de
parties civile. La possibilité de demander réparation en tant que
victime d'acte de corruption représente une menace de plus, pour
dissuader les auteurs de commettre de tels délits. Admettre largement
une telle possibilité revient à faire peser sur les corrupteurs
une responsabilité financière plus lourde à assumer, en
cas de découverte de leurs méfaits.
Concernant enfin la coopération internationale, il
existe en la matière un dispositif complet qui permet une meilleure
coordination entre les différents pays. Plus spécifiquement, en
ce qui concerne le mandat d'arrêt européen (MAE), il est à
noter que l'infraction de corruption entre dans le champ d'application de
l'article 695-23, alinéa 2 du Code de procédure pénale.
Ledit article dispose que « Un mandat d'arrêt européen
est exécuté sans contrôle de la double incrimination des
faits reprochés lorsque les agissements considérés sont,
aux termes de la loi de l'Etat membre d'émission, punis d'une peine
privative de liberté d'une durée égale ou
supérieure à trois ans d'emprisonnement ou d'une mesure de
sûreté privative de liberté d'une durée similaire et
entre dans une des catégories d'infractions »
spécifiée. Le délit de corruption est compris dans cette
catégorie, la procédure simplifiée du MAE s'applique donc
à ce délit. Cependant, cette solution vaut pour le délit
de corruption publique, mais rien n'est énoncé pour la corruption
privée. En l'absence de distinction faite entre corruption publique et
privée par l'article 695-23, alinéa 2, on peut admettre que le
délit de corruption privée se situe dans le domaine d'application
du MAE. D'autre part, une meilleure coopération internationale passe
avant tout par le respect et la bonne application des décisions de
justice des autres Etats membres. Le Code de procédure pénale
prévoit sur ce point une liste d'infraction pour lesquelles les
décisions de gel de biens ou d'éléments de preuve devront
être exécutées par l'Etat requis. La corruption figure dans
cette liste, ce qui donne des moyens considérables aux juges, pour mener
ses investigations, qui souvent prennent une tournure internationale.
DEUXIEME PARTIE : LES MOYENS DE LUTTE CONTRE LA
CORRUPTION PRIVEE
Dans cette seconde partie, nous tenterons de démontrer
que la lutte contre la corruption demande une nécessaire implication de
tous les acteurs de l'entreprise. Ce combat s'accompagne de la mise en place de
dispositifs spécifiques. Toutefois, cette lutte connaît des
faiblesses, faiblesses qui mettent à mal l'appréhension et la
répression du délit de corruption privée. Au rang de ces
faiblesses, il conviendra de souligner certaines difficultés
inhérentes aux pratiques corruptrices. Ensuite, nous nous pencherons sur
les carences en matière de lutte, carences qui peuvent aussi bien
être d'ordre juridique, qu'organisationnelle.
Deuxième partie : Les moyens de lutte contre la
corruption privée
Section 1ère : La nécessaire
implication de l'entreprise dans la lutte contre la corruption
L'entreprise exposée au risque constant de corruption
se doit de jouer un rôle majeur dans la lutte contre ce
phénomène. Le rôle de toute firme se traduit
essentiellement par l'établissement de règles internes de bonne
conduite, comprises dans un Code propre à l'entreprise (I). Mais plus
spécifiquement, il apparaît que cette lutte doit être
menée solidairement, avec tous les acteurs de la firme. Ainsi, les
salariés doivent eux aussi participer à ce combat, à
travers un procédé d'alerte éthique, dont les contours
sont définis par la société elle-même (II).
I : L'instauration de mesures spécifiques de
lutte
La lutte contre la corruption en entreprise passe par
l'élaboration de chartes d'éthiques, destinés à
guider le salarié dans sa prise de décision (A). Mais
l'introduction de telles chartes dans les entreprises peut également
traduire d'autres objectifs moins avouables des firmes, reléguant ainsi
l'éthique à l'état de produit commercial (B).
A : La création de chartes d'éthique
Dans un contexte de risque permanent, il est apparu
nécessaire pour les entreprises d'adopter un comportement de lutte face
à des pratiques délictueuses. Pour se prémunir des risques
encourus et des conséquences financières néfastes que
peuvent engendrer de telles pratiques, l'idée des entreprises a
été de se doter de règles internes, tendant à
définir la ligne directrice de la firme, les comportements à
adopter ainsi que les pratiques illicites susceptibles d'entraîner des
sanctions. Un nouvel outil a donc été donné aux
employés, pour leur permettre d'être éclairés sur
les choix à faire en cas de prise de décision. Cet outil prend la
forme d'un Code, selon les cas de « conduite, de
déontologie ou d'éthique » ou parfois même un
« guide de référence ». Tous ces Codes
comportent des engagements de l'entreprise vis-à-vis de ses clients, de
ses fournisseurs, des sous traitants, des entreprises associées, etc.
Ces politiques internes relatives à la conduite éthique de leurs
salariés peuvent être soit de simples exhortations
générales - souvent appelés principes éthiques de
l'entreprise - soit au contraire des consignes plus détaillées,
contenant des exigences de comportements spécifiques. L'instauration de
ces chartes d'éthique démontre la volonté de tous les
acteurs économiques de réintroduire certaines valeurs de base
dans les entreprises, dans le but de moraliser les relations entre agents
économiques et au final, redonner confiance aux investisseurs et aux
consommateurs. L'éthique est donc l'objet de toutes les attentions, sans
que cette notion soit véritablement entendue de tous. Ainsi, plusieurs
acceptions de l'éthique ont été avancées, qui
diffèrent selon les auteurs. D'après le Service Central de la
Corruption : « L'éthique recouvre l'ensemble des
principes moraux qui sont à la base du comportement de l'individu. C'est
la recherche personnelle d'une sagesse de l'action : c'est donc une prise
de position personnelle, un acte autonome de volonté68(*) ». Et reprenant le
philosophe Max Weber69(*),
le service de continuer : « Il existe une éthique de
conviction - fondée sur des principes intangibles, sur les valeurs
morales propres à l'individu : celle du savant - et une
éthique de responsabilité - qui tient compte des
conséquences possibles des décisions que l'on prend ou des actes
que l'on effectue, qui laisse donc la place au compromis et à la
négociation : c'est l'éthique de l'homme politique ou du
fonctionnaire ».
Patrice Meyer-Bisch va plus loin et parle du concept
« d'économie éthique ». Selon lui,
l'économie éthique a pour objet « la définition,
la promotion et la diffusion dans la vie économique de règles du
jeu, de principes et de normes éthiques universellement acceptables
susceptibles de favoriser à moyen terme la réconciliation de
l'économique, du social, de l'écologique et du culturel et
à plus long terme d'assurer leur codétermination dans le
processus de mondialisation en cours70(*) ». Pour cet auteur, l'éthique
économique poursuit donc un objectif : l'humanisation de la
mondialisation, pour redonner confiance aux investisseurs en
l'économie.
D'autre part, selon le professeur Lynn Paine, l'éthique
naît de la rencontre de la morale et de l'action. M. Paine
représente alors le concept de l'éthique sous la forme d'un
diagramme, dont l'intitulé français est
« l'éthique mix71(*) ».
Ce diagramme présente l'avantage d'être
totalement adapté au concept de l'éthique de l'organisation.
L'interprétation qu'il peut en être faite est alors la
suivante :
« L'axe horizontal est l'axe de la morale : un
« décideur » doit tenir compte des principes qu'il
doit appliquer - les lois, les réglementations, les règles
déontologiques - mais également les conséquences de
l'application de ces principes pour les personnes concernées. Vouloir
respecter les principes tout en respectant les personnes et souvent source de
dilemme. L'appréciation morale résulte de l'évaluation
pondérée de ces deux extrêmes.
L'axe vertical est l'axe de l'action : le décideur
doit en permanence se rappeler son objectif, la décision doit tendre
vers celui-ci, de manière optimale. En même temps, ce
décideur doit rester réaliste : savoir dans quelle mesure il
est responsable de sa décision et tenir compte des moyens dont il
dispose pour la prendre et la faire appliquer.
En pratique, nous pouvons retenir que nous nous situons dans
le domaine de l'éthique dès qu'une de nos décisions, ou de
nos actions, a un impact sur un individu72(*) ».
Cette notion d'éthique, déclinée sous
bien des formes, se trouve donc au centre des intérêts des
entreprises. Les chartes d'éthiques servent de repères pour les
salariés, qui trouvent en elles un référent solide. La
charte, en définissant les comportements admis et non admis, permettra
aux employés d'ajuster leur choix dans leur prise de décision, en
fonction, non seulement de leur for intérieur, mais également de
la norme éthique de l'entreprise. Outil essentiel dans la lutte contre
la fraude et la corruption, la charte devient donc un passeport de transparence
et de bonne gestion aux yeux du public. D'après les
Echos : « L'émergence de l'éthique et la
conscience accrue des risques de fraude a conduit ces dernières
années à la mise en place, dans la plupart des grandes
entreprises, de chartes d'éthique ou de Code conduite. Objectif :
mettre en place des valeurs communes, des principes de comportements pour
promouvoir une culture d'entreprise homogène et lutter contre les
fraudes73(*) ».
Pour Gérard Kuster74(*), interviewé par Caroline
Lechantre : « L'éthique est un enjeu croissant pour
l'entreprise en raison du risque qu'une défaillance dans ce domaine peut
faire peser sur l'image ». Pour M. Kuster, l'instauration de tel Code
interne aux sociétés, doit s'accompagner de la création
d'un comité chargé de veiller au respect des règles
énoncées mais également de la création de poste
spécifique de « déontologue ». L'entreprise
SUEZ a, selon M. Kuster : « Mis en place un réseau
de plus de 80 déontologues qui sont opérationnels » et
« Le conseil d'administration du groupe a instauré en son sein
un comité d'éthique qui examine tous les ans un bilan sur le
sujet ».
.Ainsi, le fait que les entreprises préconisent l'usage
de valeurs éthiques, énoncées notamment à
l'intérieur de leur Code, est une initiative tout à fait louable.
Toutefois, la question essentielle reste de savoir si cette volonté
apparente d'introduire des comportements éthiques dans les affaires, est
effectivement suivie d'effets. Selon une étude réalisée
par la société Novethic en partenariat avec le Service Central de
Prévention de la Corruption, les entreprises « Paraissent
à la traîne en matière de transparence sur leurs politiques
anti-corruption ». Cette enquête
démontre « Un niveau faible d'information du public sur
le thème de la corruption » et paradoxalement, « Les
entreprises fournissant le plus d'informations sont celles qui sont finalement
les plus mises en cause publiquement et juridiquement 75(*)». Par conséquent,
il est légitime de s'interroger sur le fait de savoir si cette lutte
menée par les entreprises porte effectivement ses fruits, et si la
volonté affichée dans ce combat est bien réelle.
L'éthique avancée par les acteurs financiers n'est-elle pas qu'un
parapluie que l'entreprise ouvrira pour se protéger des foudres de la
justice ? En ce sens, cette notion d'éthique ne
représenterait-elle pas tout simplement un produit marketing,
destiné à regagner la confiance des différents
partenaires de l'entreprise, mais sans réelle application
concrète ?
B : La commercialisation de l'éthique au moyen
de la lutte contre la corruption
L'instauration de chartes éthiques traduit la
volonté des entreprises de se prémunir contre tous les risques
pouvant survenir pendant l'exercice de leurs activités. Dès lors,
la violation d'une règle prévue par la charte éthique de
la société, aura comme conséquence pour l'auteur de
l'acte, de se voir appliquer une sanction de la part de sa
société. Cette sanction se traduisant le plus souvent par le
licenciement de la personne. Mais il apparaît qu'une autre
conséquence existe, mais cette fois, en faveur de la firme. En effet, se
prévalant de sa charte éthique, l'entreprise mettra en avant le
comportement fautif de son salarié, tout en se désolidarisant de
ce dernier, et invoquera un acte personnel de l'employé, qui ne pourra
en aucun cas impliquer la responsabilité de la société.
Pour Claude Mathon, « L'objectif premier de ces documents est de
permettre au public d'avoir, à nouveau confiance en ses entreprises. Si
cet objectif est toujours mis en avant, souvent, il en cache d'autre moins
avouable : contrôle, guerre commerciale, protection de certaines
catégories de personnel...Les Codes, puisqu'on les appelle
généralement ainsi, ont toujours des objectifs multiples et aussi
de très nombreuses appellations. Qu'il soit de conduite,
d'éthique ou de déontologie, on s'aperçoit qu'ils se
ressemblent et qu'ils ne cherchent, en fait, qu'à trouver une solution
au problème que pose la responsabilité personnelle de l'agent,
vis-à-vis de ses subordonnées, de ses collègues ou de ses
supérieurs, celle de sa hiérarchie par rapport à
l'entreprise, celle de l'entreprise avec ses clients, ses fournisseurs ou ses
actionnaires76(*) ». Force est de constater, selon ce
magistrat, que les chartes éthiques des entreprises, affichent un tout
autre but que celui proclamé haut et fort : s'exonérer de
toute responsabilité en cas de fraude ou corruption, afin de ne pas
ternir l'image de marque de la société et ne pas atténuer
la confiance des différents partenaires et des consommateurs.
Pour le Service Central de Prévention de la Corruption,
ces chartes d'éthiques : « Ont été mise en
place, à l'origine, pour des raisons qui n'avaient souvent que peu avoir
avec la morale, l'éthique ou la déontologie, mais beaucoup plus
avec les affaires. Ainsi, il est bon, aujourd'hui, d'afficher son
honnêteté, vis-à-vis des clients, mais aussi de ses
fournisseurs, de ses associés, voire de la puissance
publique »... « Le Code éthique a d'abord
été un instrument de guerre économique destiné
à :
- convaincre les partenaires d'une transaction de son
honnêteté foncière et de l'honnêteté des
propositions qu'on leur fait ;
- convaincre les clients que l'achat de ce produit est
synonyme de rémunération correcte des fournisseurs ;
- convaincre les actionnaires du bon emploi de leur argent par
une entreprise responsable, consciente de l'impact social et environnemental de
son activité ;
- convaincre les employés que la transparence
affichée des relations avec les clients, les fournisseurs, et les
actionnaires de leur entreprise se traduit aussi en interne, vis-à-vis
d'eux, par une politique de management soucieuse de leur respect, du
développement de leur compétence et de la nécessité
de leur offrir de bonnes conditions de travail et de
sécurité77(*) ».
Par conséquent, la volonté affichée des
entreprises de lutter contre la fraude, se double bien souvent d'autres
objectifs - objectifs au rang duquel se situe la recherche de l'optimisation du
profit - beaucoup moins avouable. Le SCPC affirme
même : « Il existe aussi une autre raison, plus
sournoise, et jamais évoquée qui a fait inclure dans ces codes -
aujourd'hui de plus en plus souvent annexés au Code du travail -
l'interdiction de corrompre ou de se laisser corrompre. Cette disposition
permet, en effet, aux dirigeants d'affirmer que toutes les infractions de
corruption qui pourraient être découvertes dans leur entreprise,
résultent des initiatives personnelles des agents et non d'une pratique
approuvée par la société. Les sanctions éventuelles
ne devront s'appliquer qu'aux individus et non à la
société elle-même ou à son président :
la responsabilité morale de l'entreprise, tout comme celle des
supérieurs hiérarchiques, sont ainsi remplacées par la
responsabilité individuelle de celui qui a été convaincu
d'être le corrupteur ou le corrompu, faute pour celui-ci d'apporter la
preuve du contraire, ce qui s'avère très souvent mission
impossible78(*) ». Cet organe spécialisé dans
la lutte contre la corruption met ainsi en exergue les subterfuges
avancés par les sociétés, pour légitimer leur
combat contre ce fléau. L'instauration de chartes d'éthique dans
les entreprises poursuit donc le plus souvent un double objectif :
afficher sa volonté de lutter contre la corruption, mais
également se dédouaner totalement d'acte illicite émanant
d'un salarié. Ces codes éthiques s'avèrent donc être
bien souvent des outils de management au service de l'entreprise, qui pourront
dans la plupart des cas, se retourner contre les employés.
De plus, certains exemples concrets démontrent
logiquement que, bien que dotés de chartes d'éthique, les
entreprises ne sont pas à l'abri de tous risques de corruption. En
effet, plusieurs firmes qui possèdent un Code pourtant bien
formalisé, sont touchées par des affaires de corruption. Tel est
le cas par exemple de la société PSA, actionnaire principal de
Faurecia. « Cet équipementier fait l'objet d'une enquête
de la justice allemande, ouverte en juillet 2006 concernant des salariés
soupçonnés d'avoir versé des dessous de table à des
dirigeants de constructeurs automobiles allemands en l'échange de
l'octroi de contrats. La justice allemande cherche notamment à savoir si
Faurecia avait versé des pots de vins d'un montant allant jusqu'à
800 000 euros par an à des employés de groupes allemands
parmi lesquels Volkswagen et sa filiale Audi »79(*).
L'éthique est donc au coeur des préoccupations
des différentes firmes. L'introduction de cette notion dans les
relations économiques montre la volonté qu'ont les entreprises
d'évoluer dans un contexte d'honnêteté et de transparence.
Mais de fait, l'éthique se retrouve à l'état de produit
commercial, qui permet à l'entreprise d'afficher sa bonne gouvernance.
Dans toutes transactions, l'entreprise va avancer son Code d'éthique,
pour gagner la confiance de ses partenaires. La boucle sera bouclée
lorsqu'une entreprise fera appel à une agence indépendante pour
contrôler ses dispositions éthiques. On imagine dès lors
les risques de dérive : corrompre l'agence pour se voir attribuer
une bonne notation. Le danger reste entier, faut il encore avoir la
volonté réelle de le combattre.
II : La participation des acteurs de l'entreprise
dans la lutte contre la corruption
La lutte contre le fléau de la corruption privée
passe essentiellement par les actions des services internes des entreprises,
sur initiative de la direction. L'optique étant de se préserver,
en édictant des règles de bonne volonté, de tous scandales
publics, qui engendreraient des conséquences économiques
nuisibles pour l'entreprise. Cependant, la valeur première d'une
entreprise, qui réside notamment dans le facteur humain, à
travers les salariés, doit intervenir afin de parfaire la lutte contre
la corruption. C'est le procédé du whistleblowing. Nous
étudierons donc dans cette partie, ce procédé d'alerte,
qui permet aux membres d'une organisation, de
« dénoncer » une fraude commise par un de leurs
collègues (A). Ensuite, nous nous pencherons sur la position de la CNIL,
position qui sans s'opposer à ce procédé, délimite
très étroitement le périmètre de ces dispositifs
(B).
A : Le procédé du whistleblowing80(*)
Suite aux scandales financiers survenus aux Etats-Unis,
scandales aux rangs desquels le plus retentissant d'entre eux fut l'affaire
ENRON, le législateur américain est intervenu afin de poser des
règles de transparence et de bonne gouvernance aux seins des
entreprises. L'affaire ENRON a été traumatisante à plus
d'un titre. Principalement pour les salariés, premières victimes
de ce scandale qui, lorsque le groupe a fait faillite, se sont retrouvés
sans aucune protection sociale. Mais ces affaires ont également
démontré à l'opinion publique, que certaines entreprises,
malgré l'affichage d'une gestion transparente, pouvaient être
l'objet de multiples dérives. Afin que ce type de scandale ne se
reproduise plus, les Etats-Unis ont adopté, le 31 juillet 2002, la loi
Sarbanes-Oxley Act. Cette loi prévoit l'établissement de conseils
de surveillance afin de mettre un terme à l'autorégulation par
les cabinets d'audit -il ne peuvent plus être juges et parties- la
certification sur l'honneur des comptes par le PDG et les directeurs
financiers, et la reconnaissance de falsification des informations par les
actionnaires comme criminelles.
Une des autres composantes de cette loi est l'obligation de
mise en place de système d'alerte éthique dans toutes les
sociétés cotées à Wall Street, au Nasquad ou au
AMEX et ayant un chiffre d'affaires annuel minimum de 75 millions de dollars.
L'alerte éthique ou whistleblowing peut se définir comme un
dispositif qui tend à inviter les salariés d'une entreprise
à dénoncer auprès des instances supérieures les
pratiques internes qu'ils jugent contraires à l'éthique ou au
règlement ou encore à la loi entrée en vigueur. Ce
procédé servirait donc à dénoncer une quelconque
fraude d'un salarié par un autre salarié, les faits de corruption
étant englobés dans ce type de dénonciation. Etant
donné que de grandes multinationales françaises sont
cotées à la bourse américaine, les obligations qu'imposent
la loi Sarbannes-Oxley s'applique directement à ces firmes, du fait de
l'extraterritorialité de la loi américaine. Cependant, aucune loi
n'est venue préciser les modalités d'application d'une telle
procédure en droit interne. Cela n'a toutefois pas empêché
certaines entreprises d'instaurer ce système d'alerte, et
désormais pratiquement toutes les grandes entreprises cotées
possèdent un tel dispositif dans leur Code éthique. Prenons
l'exemple de EDF81(*), qui
a installée sur son portail Internet, un dispositif de consultation et
d'interpellation éthique afin de déclencher le système.
Une adresse spécifique a été crée, et sur simple
e-mail, il est possible pour un salarié, d'alerter anonymement une
personne spécialement mandatée à cet effet, de ses doutes
sur un comportement non éthique d'un de ses collègues. Tel est
également le cas de la société AXA, qui a travers son Code
de déontologie, a mis en place un système d'alerte
éthique. Précisant bien que l'instauration de ce système
répond aux exigences de la loi Sarbannes-Oxley Act, en raison de la
cotation de la société au New York Stock Exchange, la
société précise les modalités de
dénonciation, les personnes susceptibles de les recevoir...La
société TOTAL a elle aussi instauré en interne un
procédé de déclenchement d'alerte. Là encore, le
rapport sociétal et environnemental de l'entreprise décrit les
conditions de mise en oeuvre de l'alerte, la personne réceptrice de la
plainte...Dans tous ces exemples tirés des différentes chartes
éthiques des entreprises, l'anonymat de la personne dénonciatrice
est sauvegardé. Seule la société AXA précise
clairement dans la section 6 du chapitre 6 de sa charte, que cet anonymat
n'interviendrait de fait, que lorsque l'alerte portera sur « les
domaines comptables, de contrôle interne ou d'audit ».
Toutes les autres entreprises mettent en avant la possibilité de
dénoncer anonymement ses doutes. On constate de ce point de vue,
l'avance qu'avait l'entreprise AXA sur la future position de la CNIL
vis-à-vis de ce système d'alerte. L'avis rendu par la CNIL, comme
nous le verrons plus tard, a du avoir pour conséquence la
nécessaire modification des dispositions relatives à ce
dispositif, car l'anonymat selon la commission, ne doit être
accepté que sous certaines conditions. Cependant, aucune donnée
n'a été communiquée à ce jour.
Enfin, il convient de s'interroger sur les garanties
accordées aux dénonciateurs. A l'heure actuelle, aucune
disposition législative, hormis celle par le Code du travail, ne
prévoit la protection expresse de la personne dans ce cas précis.
Selon le Service Central de Prévention de la Corruption « un
tel processus d'alerte peut répondre au souci du respect de la loi ou de
l'éthique professionnelle, mais il peut constituer aussi le support de
l'arrière pensée de négocier, de discréditer, de
nuire...La dénonciation potentiellement
généralisée, comporte ainsi des limites et des risques
certains82(*) ».
Elément encourageant, la Security exchange committee (SEC),
équivalent de notre autorité des marchés financiers (AMF),
a qualifié de performant l'apport des whistleblowers. Mais il ressort
également de ce bilan que « les intéressés
perdent leur emploi à court ou à moyen terme83(*) ». Ainsi, la
question du déclenchement d'alerte a soulevé nombres
d'interrogations légitimes, notamment sur l'utilisation et les
conséquences d'un tel dispositif au sein de l'entreprise. Paul Latimer
s'interroge lui, sur l'acte du dénonciateur, en se demandant :
« Are whistleblowers heroes or traitors84(*) ? ». Se pose
ainsi la question du statut de la personne qui dénonce, son avenir au
sein de l'entité et ses moyens de protection. Comment celui qui
dénonce est perçu par ses différents partenaires ? Un
héros pour l'entreprise ou un traître vis-à -vis de ses
collègues ? D'après le journal « Le Monde85(*) »,
synthétisant une étude réalisée par le cabinet de
conseil Ernest & Young, « la majorité des sondés
redoutent des représailles s'ils signalent une malversation dans leur
entreprise ».
Consciente des contentieux que pouvaient soulever la
procédure du Whistleblowing, la commission nationale de l'informatique
et des libertés est venue encadrer l'utilisation de cette alerte. Se
prononçant contre au départ, la CNIL a ensuite admis cette
dénonciation, en l'encadrant de mesures respectant les droits et
libertés des personnes.
B : La position de la Commission Nationale de
l'Informatique et des Libertés (CNIL)
La loi du 6 janvier 1978 a, dans le but de garantir la vie
privée et les libertés, réglementé la tenue des
fichiers publics et privés, informatisés ou non, et
organisé un droit d'accès et de rectification au profit des
intéressés. Pour veiller au respect de cette loi, une Commission
Nationale de l'Informatique et des Libertés a été
crée. Cette CNIL est une autorité administrative
indépendante, avec un statut qui s'efforce d'assurer son
indépendance vis-à-vis de l'Etat, pour lui permettre d'assurer
pleinement ses fonctions de protection des droits et libertés des
personnes. La CNIL vient donc s'ériger en garante de certaines garanties
fondamentales, en donnant son avis ou en opposant son veto, sur telle ou telle
question qui fait débat. Cela a notamment été le cas pour
la question du whistleblowing.
Comme nous l'avons dit auparavant, ce système d'alerte
permet à un salarié d'une entreprise, de dénoncer un
collègue de travail, lorsqu'il suppose que ce dernier à commis
une quelconque fraude. La justification avancée pour l'instauration
d'une telle mesure, est bien entendu le fait que personne d'autre qu'un
salarié ne sait mieux ce qu'il se passe dans son entreprise, son
service, et de fait il convenait de donner aux professionnels de ces
organisations, la possibilité de dénoncer tout fait de
corruption, détournement, fraude quelconque...
Déjà en vigueur dans bon nombre de pays, ce
dispositif a eu du mal à s'imposer en France, il convient donc de
rappeler ce qui a été marquant dans l'instauration de ce
procédé d'alerte éthique. Dans un premier temps, la CNIL
s'est opposée au principe d'alerte éthique, le considérant
comme incompatible avec le respect des libertés individuelles et que la
dénonciation d'une personne portait atteinte à ces mêmes
libertés. Par deux décisions du 26 mai 200586(*), la commission a en effet
refusé d'autoriser des projets de lignes éthiques destinés
à permettre aux salariés de signaler des comportements
supposés fautifs imputables à leurs collègues en
considérant que ces dispositifs pourraient conduire à
« un système organisé de
délation professionnelle ». Ce refus concernait deux
entreprises franco-françaises, Mc Donalds et la CEAC (Compagnie
Européenne d'accumulateurs), filiale du groupe Exide Technologies, qui
avaient préalablement consulté la commission pour valider leur
projet. Elles se heurtèrent, comme nous venons de le dire, au refus de
la CNIL. D'après Philippe Cohen : « Les réserves
émises par la commission étaient en partie dues à des
considérations culturelles et historiques : pendant la seconde
guerre mondiale, les français ont écrit plus d'un million de
lettres de dénonciation. On comprend dès lors comment la question
du whistleblowing a rouvert une plaie encore mal cicatrisée87(*) ».
De plus, certaines décisions de justice sont venues
corroborer la position de la CNIL sur ce refus d'acceptation des
procédés d'alerte dans l'entreprise. Ainsi, le Tribunal de Grande
Instance de Libourne, dans sa décision du 14 septembre 2005, a
ordonné en référé « le retrait
de deux notes de services mettant en place dans une entreprise un
processus de ce type au motif principal des risques de dénonciation
calomnieuse et du caractère disproportionné par rapport aux
objectifs de la loi américaine ». Par ailleurs, le Tribunal
d'Instance de Lyon a débouté la société Lennox qui
a du supprimer son code de déontologie concernant l'alerte
éthique.
La position de la CNIL, suivie par certaines juridictions
nationales, démontrait bien la non cohésion partielle existante
entre la législation française et la loi Sarbannes-Oxley. Garante
du respect de certaines libertés fondamentales, on comprend
aisément que la commission ait voulu, dans un premier temps, opposer son
veto sur une mesure non encore parfaitement maîtrisée, et porteuse
de possibles multiples dérives. Mais cette réticence
légitime de la CNIL a eu le résultat suivant : créer
une situation floue et incertaine pour les entreprises avec comme
conséquence de retarder la mise en place de ce procédé
destiné à lutter contre la fraude et la corruption. Cette
situation incertaine ne pouvait donc plus perdurer, et c'est pour cela que
quelques mois plus tard, la CNIL est venu revoir sa position concernant ces
dispositifs. La commission a en effet adopté un document d'orientation
ouvrant la voie à la mise en oeuvre de dispositifs d'alerte
professionnelle conformes à la loi du 6 janvier 1978. La CNIL a donc
posé des conditions strictes permettant l'instauration de ces
procédés, en délimitant le périmètre de
ceux-ci de façon très étroite. Ainsi devront
être respectées les conditions suivantes :
- le dispositif d'alerte sera restreint au domaine comptable,
au domaine du contrôle des comptes, du contrôle bancaire et de la
lutte contre la corruption ;
- le principe de non anonymat sera appliqué ;
- l'entreprise aura l'obligation de mettre en place une
organisation spécifique pour recueillir et traiter les alertes ;
- la personne concernée devra être
informée le plus rapidement possible, et pourra user d'un droit de
rectification.
Cette attitude ouverte de la CNIL, consistant à
accorder ces dispositifs tout en les encadrant de règles strictes,
permet ainsi aux entreprises d'instaurer des mesures spécifiques visant
à se prémunir contre tous types de fraude ou de corruption.
Quoiqu'en retard de quelques années sur les Etats-Unis - par voie de
conséquence, en retard également sur la maîtrise et les
répercussions de ces alertes - la possibilité donnée par
la CNIL de mettre en place de tels procédés doit être
saluée à juste titre. En revanche, ce qui est à
blâmer est le fait qu'aucune législation précise n'existe
sur la question de ces alertes éthiques. Depuis l'approbation
récente de la commission sur ces alertes, certaines entreprises ont
développé un système propre en délimitant
elles-mêmes les pratiques pouvant être dénoncées.
Ainsi, chez Castorama, il est possible de dénoncer les fraudes et les
malversations. EDF ne retient que les manquements à la charte
éthique. Quant aux salariés de Shell France, ils peuvent
dénoncer les détournements de fonds, les conflits
d'intérêts, la corruption, les cadeaux d'affaires, etc. Il
apparaît donc que l'alerte éthique peut être
appliquée par les entreprises de manière très
hétérogène. Cela provient essentiellement de l'absence de
cadre législatif bien défini sur cette question, ce qui laisse
à la libre appréciation de l'entreprise, ce qui doit être
ou non dénoncé. Cette situation de fait crée donc une
inégalité de traitement des salariés devant ce
procédé d'alerte. Chacun d'entre eux pouvant être soumis
à des conditions différentes selon l'entreprise dans laquelle il
travaille. On peut alors se demander si dans une telle situation
d'inégalité de traitement entre salarié de firmes
différentes, il ne serait pas judicieux pour le législateur
d'intervenir pour délimiter un cadre juridique strict pour ces alertes.
Mais légiférer dans le but d'introduire ce dispositif en droit
interne est-il la bonne solution ? A cet égard, le Service Central
de Prévention de la Corruption a déjà fait part au Garde
des Sceaux de ses doutes concernant l'introduction du whistleblowing en droit
positif. En effet, selon ce service, de tels dispositifs
« s'ajouteraient aux obligations liant déjà des
professions privées soumises au secret professionnel : huissiers de
justice, commissaires aux comptes, agents immobiliers...Certains de ces
professionnels sont en effet soumis au régime de la déclaration
de soupçon en direction de la cellule du traitement du renseignement et
d'action contre les circuits financiers clandestins 88(*)». Et le SCPC de
continuer : « Il convient donc de s'interroger sur
l'opportunité de doubler les procédures existantes, tant à
la charge des responsables publics que des responsables privés, par un
dispositif français transposé du whistleblowing
américain ».
La suite des événements concernant ce
procédé d'alerte éthique reste donc encore à
déterminer, la situation actuelle en la matière étant
celle que nous venons de décrire. Le whistleblowing reste toutefois un
moyen efficace de lutte contre les fraudes en tout genre. Mais
présentant des risques considérables dans son utilisation, il
doit être encadré strictement par le législateur, qui se
doit de fixer un cadre juridique précis, respectueux des droits et
libertés des personnes.
Section 2ème : Difficultés et
insuffisances dans la lutte contre la corruption
Malgré une volonté apparente des entreprises de
lutter contre la corruption, il n'en demeure pas moins que ce
phénomène reste extrêmement délicat à
appréhender. Ainsi, il existe des difficultés (I), mais
également des insuffisances (II) dans la lutte contre ce fléau,
qu'il convient d'étudier.
I : Les difficultés dans la lutte contre la
corruption
Consciente du danger financier que peut engendrer la
corruption, les entreprises se sont dotées de dispositif de lutte contre
ce phénomène. Mais ces pratiques restent toutefois difficiles
à faire émerger, car elles sont par définition
secrètes, et qu'aucune des deux parties n'a d'intérêt
à les révéler. Un autre rempart à la
détection de la corruption se situe dans le fait que cette corruption
est indissociablement liée à une quelconque fraude. Ainsi, la
détection du délit de corruption sera d'autant plus
malaisée, car le délit sera masqué par une fraude,
destinée à donner un caractère légal à
l'opération. Il s'agit donc d'étudier comment la fraude se met au
service de la corruption et le lien indissoluble entre ces deux notions (A),
pour ensuite étudier la meilleure façon de remédier
à ces fraudes, à travers la mise en place d'outils de
prévention des risques (B).
A: L'indissoluble lien rattachant la fraude et la
corruption
L'agent corrupteur, pour mener à bien son action, doit
détenir les fonds nécessaires à la corruption d'autrui.
Pour se faire, et vu l'importance des sommes en jeu, le corrupteur est
amené à détourner de l'argent de sa société,
pour rémunérer les attentes du corrompu, et ainsi obtenir
l'avantage indu. Frauder devient donc une nécessité, un moyen
indispensable pour parvenir à faire « signer » le
pacte corrupteur. La difficulté devient alors plus grande, du fait que
l'acte de corruption est dissimulé sous une ou des opérations qui
crédibilisent la sortie de capitaux. D'après Les Echos89(*), bien que tabou et
sous-estimée, « La fraude en entreprise n'est pas un
épiphénomène ». Reprenant l'étude
effectuée par le cabinet PricewaterhouseCoopers90(*), le quotidien rappelle
qu' « En France, plus d'une entreprise sur deux serait victime
de criminalité économique du fait des salariés ou du
management ». Selon le quotidien, « la fraude peut se
nicher à peu près partout. La plupart d'entres elles reposent sur
des mécanismes si basiques que l'entreprise n'y songe même
pas ». La multiplicité des manifestations de ces fraudes rend
alors le travail de détection et de répression plus ardue,
assurant l'impunité la plus totale aux auteurs de ces actes. Il peut
s'agir par exemple du responsable des achats qui s'invente un fournisseur
imaginaire auprès de qui il commande des produits ou des services tout
aussi fictifs. Il peut également s'agir du comptable qui va
détourner les chèques de ses clients en créant une
société au nom quasi similaire à la sienne qui encaissera
les chèques. Les salariés gérant les stocks peuvent aussi
être amenés à dérober régulièrement
des petites quantités de marchandises.
Dès lors, on comprend toute la nécessité
de mettre en place des dispositifs de lutte contre la fraude, afin de mettre un
terme à l'enrichissement personnel indu de quelques-uns au
détriment des ressources de l'entreprise. Mais on comprend aussi
aisément comment cette fraude peut servir de base à toute forme
de corruption, en permettant à l'instigateur d'engendrer les fonds
nécessaires dans le but d'acheter la décision de l'autre partie.
Pour nous éclairer sur un phénomène assez mal perçu
et entendu, Alain Etchegoyen, fort de son expérience dans le secteur
privé, nous relate de quelle façon il a été
confronté dans sa vie professionnelle, à la corruption. L'auteur
cite notamment l'exemple dans lequel un chef d'entreprise tente de le corrompre
pour qu'il passe un contrat de formation avec la société de sa
maîtresse. « Il sait que je travaille depuis plusieurs
années à la Caisse nationale du Crédit agricole, dans le
service formation. Le marché qu'il propose est simple : il
apprécie beaucoup Cécile Olswensky qui dirige une petite
entreprise de formation en langues étrangères : si je lui
obtiens un contrat avec le crédit agricole, il me passe commande d'une
étude significative pour son entreprise. Nous verrons l'objet plus
tard91(*) ».
Dans cet exemple, le chef d'entreprise souhaite que la société de
sa maîtresse obtienne un contrat de formation avec le Crédit
agricole. Or, pour rémunérer cette prestation fictive, il doit
justifier d'une sortie d'argent de son entreprise afin d'avoir les moyens de
corrompre. Le corrompu lui, doit justifier d'une entrée de flux dans le
capital de sa firme. Le dirigeant propose donc de passer commande d'une
étude fictive, étude qui n'a en réalité d'autre
objectif, que la rémunération du contrat de formation. Nul besoin
est de préciser que l'auteur déclare avoir refusé ce pacte
illégal. Mais l'on se rend bien compte grâce à cet exemple,
de quelle façon la fraude peut servir de socle au
phénomène corrupteur.
Le Service Central de prévention de la corruption a
étudié ce lien indissoluble entre fraude et corruption.
D'après le SCPC, « La corruption se nourrit du produit des
fraudes. Corrupteurs et corrompus utilisent à leur profit les fausses
factures ; les manipulations comptables organisées à partir
des logiciels permissifs ainsi que les montages à partir de
sociétés écrans génèrent des flux
d'espèces qui permettent le financement de la corruption 92(*)». Pour ce service,
l'opération de corruption est « un montage actif,
méthodique et calculé ». En effet, il s'agit d'un
montage actif car l'opération est forcément
préméditée, préparée et résulte de
« l'échange de volonté qui rapprochera le corrupteur du
corrompu ». C'est ensuite un montage méthodique.
« Il consiste à organiser les opérations en fonction du
secteur économique concerné, des techniques les plus pertinentes,
de l'urgence, de l'importance des montants en jeu, ainsi que des
caractéristiques des contrôles réels ou
potentiels ». C'est enfin un montage calculé, car le choix du
montage repose sur la volonté du corrompu, et de cette volonté
dépend la façon appropriée de faire sortir le flux
financier de l'entreprise.
Il apparaît donc essentiel pour la survie de
l'entreprise de lutter contre ces types de détournements, dans le but
d'éviter toutes pertes financières dues à des
comportements malveillants. Le SCPC préconise donc l'analyse des risques
inhérents aux différents secteurs. « La
prévention des fraudes comme celle de la corruption exige le
développement d'une approche par processus93(*) ». On appelle
généralement « processus » la suite
d'exigences mises en place dans une gestion ou, plus précisément,
le cheminement suivi par l'opération dans la gestion commerciale.
Lorsqu'il y a non respect de ce processus, cela signifie, dans la
majorité des cas qu'il y a fraude.
Pour Noël Pons, conseiller au SCPC, il existe
différents types d'outils informatiques qui, détournés de
leur usage premier, peuvent faciliter la fraude en entreprise. En effet, pour
ce dernier, « La recherche systématique des réductions
de coût et de facilités d'utilisation a suscité la
création de logiciels « souples ». Les concepteurs,
qui privilégient la souplesse d'utilisation de leurs logiciels, ne
prévoient pas toujours les verrous informatiques qui sont
nécessaires pour justifier des obligations d'intégrité
relatives aux règles comptables. Ainsi, ces logiciels comptables ou de
gestion qui permettent, du fait de leur souplesse d'utilisation, d'obtenir en
sortie documentaire ce que l'on désire et non la réalité
des opérations, peuvent être qualifiés de
pourriciels 94(*)». Ce genre d'outil peut donc servir de base au
détournement de liquidités dans le but de corrompre autrui. La
fraude informatique comptable devient alors le support nécessaire de
toute pratique corruptrice. Un autre risque majeur de ces logiciels : la
facilité d'utilisation permet aux usagers de connaître leurs
failles et d'en abuser. Ainsi, pour M. Pons, la fraude devient « une
procédure intégrée dans la gestion de l'entreprise. Ces
outils sont alors mis au service d'une fraude
« professionnelle » devenant ainsi une procédure
informatisée difficilement détectable parmi les autres95(*) ». Pratiquée
régulièrement, cette fraude est donc véritablement
nuisible pour le maintien en bonne santé de l'entreprise.
Plus spécifiquement, Noël Pons et Valérie
Berche abordent le problème de la corruption privée et les
différentes formes de détournements, sous jacents
nécessaires à cette corruption. Ainsi, pour ces derniers :
« La corruption se matérialise le plus souvent par des
paiements effectués avant l'attribution des contrats -
« quiks savings ». Elle peut aussi survenir en
cours de contrat, si le corrompu menace d'interrompre la
prestation ». Quant aux fonds détournés pour corrompre,
ils « proviennent en général, de surfacturations
émises à l'encontre du client...C'est la raison pour laquelle,
dans les milieux avertis, un corrompu est souvent appelé
« Monsieur x pour cent » en fonction du montant de son
prélèvement ». Et les auteurs de continuer :
« En ce qui concerne les fonds reçus par le corrompu, on note
le plus souvent des espèces, des cadeaux - voyages, cadeaux VIP,
véhicules, garanties sur des prêts personnels - qui conduisent de
fait à une amélioration du train de vie global du
bénéficiaire96(*) ». De plus, il apparaît que les
secteurs d'activité dans lesquels le recours à la sous-traitance
est important se révèle être un secteur à risque.
Selon M. Pons et Mme Berche : « La pression exercée par
le client sur la cadrage financier de la prestation exigée des
sous-traitants est telle que ces derniers manquent de critères
discriminants pour se distinguer face au client. Les sous-traitants
étant eux-mêmes très fortement contraints de produire du
résultat peuvent alors décider de recourir au paiement de
commissions illégales ».
Il ressort donc que la fraude est souvent le point de
départ des pratiques corruptrices. La nécessité pour le
corrupteur de trouver les moyens d'acheter le corrompu, l'oblige à se
procurer des fonds, le plus souvent émanant de sa société.
De plus, destinée à donner une apparence légale à
l'opération, cette fraude rendra d'autant plus dure la détection
du délit. Il apparaît donc essentiel pour les entreprises de se
prémunir d'outils de prévention des risques.
B : La mise en place d'outils de prévention des
risques
Comme vu précédemment, la fraude constitue dans
la majorité des cas, le support nécessaire aux pratiques
corruptrices. Le corrupteur a besoin d'engranger des moyens pour corrompre, et
il trouvera ces moyens au sein de sa firme. Afin d'éviter de telles
manoeuvres d'enrichissement personnel au détriment du bien commun, il
est donc essentiel d'adopter un comportement ferme face à ces agissement
délictueux. Pour prévenir les risques de fraude et de corruption,
il convient donc d'analyser leurs sources, leurs formes et leurs destinations.
Cependant, le cadre de cette étude ne nous permet pas d'étudier
de façon exhaustive tous les outils de lutte contre la fraude. Nous nous
contenterons donc de pointer du doigt certaines procédures à
risques que l'entreprise est amenée à conclure, et les
contrôles qui doivent être mis en place pour y faire face.
Pour le Service Central de Prévention de la Corruption,
il existe deux types de fraudes : les fraudes au profit de l'organisation,
et les fraudes à l'encontre de l'organisation, ces deux
catégories s'accompagnant dans la plupart des cas, de l'utilisation d'un
faux. Selon ce service : « Les fraudes au profit de
l'entreprise sont souvent celles qui camouflent le mieux les cas de corruption.
En effet, elles augmentent l'actif du bilan des organisations concernées
ou permettent de ne pas faire apparaître un déficit. Elles portent
sur tout ce qui permet soit de majorer la facturation - alimentation du flux
corrupteur - soit de finaliser la fraude comptable. Par définition, la
fraude à des fins de corruption repose sur la création de faux.
Le constat de l'existence de faux ou du camouflage des opérations qui
auraient pu être frauduleuses autant au travers du contrôle interne
que des contrôles externes, est un indicateur pertinent de
risque97(*) ».
Augmentant l'actif de l'entreprise, cette fraude se traduit le plus souvent
sous la forme d'un paiement de commissions dans le but par exemple, d'obtenir
un marché. L'entreprise se trouve donc favorisée, et l'on peut
imaginer que les instigateurs de ces opérations fassent partie des
cadres dirigeants de la société. Ce top management a tout
intérêt d'user de fraude et de pratiques corruptrices car,
augmentant l'actif de leur société, ils augmentent
conséquemment leurs primes ou leurs prises de participation dans
l'entreprises...
D'un autre côté, il existe les fraudes à
l'encontre de l'organisation. Selon le SCPC ces fraudes touchent certaines
entreprises à fort chiffre d'affaires, car dans de telles
entités, le risque n'est considéré comme significatif
qu'au-delà de plusieurs millions d'euros et il ne sera
procédé à des investigations internes ou externes
approfondies qu'au-delà de ce seuil. Quoiqu'il en soit, ces
manipulations « ont pour finalité soit l'enrichissement
personnel d'un fraudeur dirigeant ou salarié de l'entreprise, soit la
corruption individuelle ou organisée98(*) ». Pour lutter contre ces fraudes, le
service préconise l'analyse par processus. « Ainsi, pour une
entreprise privée, l'analyse des processus suivant seront
analysés au regard du risque de fraude dans les fonctions
support :
- les achats et les ventes ;
- les ressources humaines ;
- le domaine financier et la trésorerie ;
- les inventaires ;
- le système d'information ».
Toutes ces opérations doivent être passées
au crible, afin de déceler les possibles anomalies, et débusquer
les manoeuvres frauduleuses. Si il en ressort un quelconque non-respect du
processus, il y a forcément fraude ou corruption.
Il existe donc deux types de fraudes en entreprise, celles au
détriment de la société et celles en faveur de la firme.
Une fois effectuée l'analyse des types de fraudes qui peuvent survenir
dans une entité, il convient de recherche les méthodes de
prévention des risques. D'après Noël Pons, il est
nécessaire que l'entreprise mette en place une méthodologie de
contrôle adaptée. Cet expert affirme en effet qu'« il
convient en premier lieu d'identifier si la procédure des offres
restreintes existe »... « si elle est en vigueur dans
l'entreprise, elle doit être rigoureusement encadrée. Pour ce
faire, il convient notamment d'exiger :
- l'élaboration et la tenue de listes de
soumissionnaires approuvées et de listes de soumissionnaires
spécifiques ;
- repérer et analyser les modes de sélection
répétitifs ;
- soumettre la liste des soumissionnaires approuvés
à un examen indépendant et permanent ;
- examiner avec attention et de façon
indépendante les soumissionnaires spécifiques ;
- identifier les modifications et les compléments de
prestations non prévus, qui peuvent cacher des surfacturations ;
- les prestations complémentaires
supervisées99(*) ».
M. Pons continue en déclarant qu'en matière de
procédure d'offres restreintes, « le risque majeur est celui
du conflit d'intérêt entre le responsable du dossier et le ou les
soumissionnaire(s), qui affecte l'élaboration objective de la liste. Les
points de contrôle sont alors les suivant :
- faire superviser les contrats par les juristes ;
- analyser les chiffres d'affaires des divers fournisseurs par
rapport au client, les analyses des marges respectives, les modalités de
règlement, la récurrence des traitements en urgence ainsi que les
avoirs et les contentieux ;
- tenter d'identifier s'il existe des indices de courtage
illicite d'informations dans ce domaine100(*) ».
En communicant toutes ces informations, cet expert du SCPC
nous éclaire sur les risques inhérents à toutes
transactions, et met en exergue les points sensibles susceptibles de
générer une fraude. L'entreprise peut ainsi mettre en place des
contrôles effectifs dans des domaines qui présentent un danger de
détournements, et surveiller de façon préventive le
déroulement de certaines opérations.
D'autre part, l'instauration de mesure de prévention au
sein de l'entreprise peut se révéler véritablement
bénéfique financièrement pour l'entité. Sur ce
point, l'enquête menée par la société
PricewaterhouseCoopers est catégorique : « L'étude
globale montre que lorsqu'une entreprise a mis en place plus de cinq
contrôles préventifs, elle aura 51 % de chances de détecter
des fraudes, en détectera neuf en moyenne pour un coût moyen de 2,
449 millions de dollars - 2, 078 millions d'euros
récupérés à hauteur de 52 % ».
L'enquête prouve donc que l'installation de dispositifs préventifs
permet à l'entreprise de se protéger efficacement contre les
fraudes et la corruption. PricewaterhouseCoopers complète ensuite son
enquête par une énumération des mesures de
prévention existantes dans les entreprises. A fin d'illustrer notre
propos, nous résumerons sous forme de tableau les résultats
obtenus par ladite étude.
Mesures de prévention existantes dans les entreprises
françaises
MESURES DE PREVENTIONS EXISTANTES DANS LES ENTREPRISES
FRANCAISES
|
·
POURCENTAGE D'ENTREPRISES AYANT MIS EN PLACE CE
DISPOSITIF
|
Audit interne
|
87 %
|
Procédures de sécurité
|
87 %
|
Audit externe
|
85 %
|
Code éthique
|
74 %
|
Contrôle de conformité
|
71 %
|
Dispositif de contrôle interne
|
70 %
|
Développement de techniques d'analyse anti-fraude
|
60 %
|
Test à l'embauche
|
56 %
|
Système de gestion des risques
|
50 %
|
Comité d'audit
|
48 %
|
Recherche d'informations publiques
|
40 %
|
Rotation du personnel
|
37 %
|
Formation de sensibilisation à la fraude
|
31 %
|
Recours à des consultants de prévention de
fraude
|
18 %
|
Source :
PricewaterhouseCoopers : « Enquête sur la fraude dans
les entreprises en France, en Europe et dans le Monde ». Edition
2005.
Il ressort de cette synthèse que la majorité des
entreprises a adopté des mesures préventives pour lutter contre
la fraude et « en moyenne, huit mesures ont été mises
en place » dans chaque société interrogée.
Cependant, ces dispositifs sont pour la plupart des dispositifs internes
à l'entreprise, et ne reposent pas sur un contrôle effectif d'une
entité extérieure et objective. Autre ombre au tableau :
l'utilisation de consultants de prévention de fraude demeure sous
employée. Seulement 18 % des entreprises ont recours à ces
spécialistes, qui pourtant peuvent apporter des conseils très
pratiques pour les sociétés. Enfin, nous noterons
également le faible recours à la formation de sensibilisation
à la fraude. Seul 31 % des entreprises dispensent des formations sur le
risque de fraude, force est d'en conclure que la majorité des
salariés reste mal informé sur les risques pouvant survenir dans
leur société.
Il existe donc des difficultés dans la lutte contre la
corruption, difficultés qui mettent à mal le combat contre ce
fléau. Comme vu précédemment, la corruption s'accompagne
bien souvent d'une fraude, destinée à masquer le but réel
de l'opération, tout en lui conférant une apparente
légalité et cette relation de cause à effet aura pour
conséquence de rendre la détection du délit beaucoup plus
dure. La fraude devient ainsi un moyen nécessaire au corrupteur, pour
lui permettre de rémunérer le service du corrompu. Ce lien
indissoluble nécessite alors une lutte permanente de l'entreprise, qui
se manifeste notamment par l'instauration de mesures préventives. Ces
difficultés propres à la corruption, se double également
de carences, qui viennent affaiblir la prévention et la
répression de la corruption.
II: Les carences dans la lutte contre la corruption
Malgré une volonté affichée de lutte
contre la corruption, ce combat reste toutefois difficile à mener. Cette
difficulté émane de l'instantanéité du délit
de corruption privée, qui fair courir le délai de prescription
dès la commission de l'acte (A). Mais une autre carence doit être
relever, à savoir l'absence totale de pouvoir d'investigations au
Service Central de Prévention de la Corruption (B).
A: La dérive vers l'incrimination de l'abus de bien
sociaux
A l'heure où un débat est entrain de s'instaurer
sur l'utilité réelle de la pénalisation du droit des
affaires, il convient de s'interroger sur les failles qui peuvent exister sur
ce droit économique. Nous nous pencherons ainsi sur les carences
juridiques du délit de corruption privée, afin de mieux cerner
les difficultés qui peuvent en découler, et conséquemment
la nécessité, non pas de le supprimer ou le modifier, mais au
contraire de le renforcer. En matière de corruption, une des failles se
situe au niveau de la prescription de l'action publique.
A l'instar de toutes les autres infractions, le délit
de corruption privée connaît un délai de prescription,
délai au terme duquel l'action publique ne pourra plus être
déclenchée. La complexité des règles de
prescription publique demanderait une analyse exhaustive qui ne peut être
effectuée dans le cadre de cette étude, nous nous contenterons
donc d'aborder ici les failles inhérentes à la prescription
publique en matière de corruption privée.
La prescription de l'action publique signifie qu'au terme d'un
certain délai, aucune poursuite judiciaire ne pourra être
entamée à l'égard de l'auteur de l'acte illicite. Le
législateur est venu préciser la durée durant laquelle
l'action publique peut se voir mise en route, et les règles du droit
positif en la matière peuvent se résumer comme suit :
- le délai de prescription d'un crime est de dix
ans ;
- le délai de prescription d'un délit est de
trois ans ;
- le délai de prescription d'une contravention est d'un
an101(*).
Nous nous situons dans la deuxième catégorie, la
corruption est un délit, entraînant ainsi un délai de
prescription de trois ans. Une fois ces bases légales établies,
il convient de s'interroger sur une question essentielle en matière de
prescription publique de la corruption, à savoir à quel moment
commence à courir ce délai de prescription. Il existe plusieurs
catégories d'infractions, et la corruption fait partie des infractions
instantanées. On appelle infraction instantanée l'infraction dont
le délai de prescription commence à courir dès
l'accomplissement de l'acte délictueux. En matière de corruption,
cela signifie que la prescription court à partir du jour de la
commission de l'infraction, c'est-à-dire le jour du pacte de corruption.
Plus précisément, l'infraction est consommée du seul fait
de la sollicitation ou de l'offre et indépendamment de la suite qui lui
sera donnée102(*). Par conséquent, on imagine les
conséquences négatives en terme de répression que cette
règle peut engendrer : il suffit qu'une durée de trois ans
s'écoule entre le pacte corrupteur et la découverte de cet acte
illégal, pour que l'auteur de l'acte ne puisse plus être
poursuivi, et jouisse ainsi d'une totale impunité pour ses pratiques
corruptrices. L'instantanéité de ce délit entraîne
donc une difficulté dans l'appréhension de la répression
vis-à-vis de l'auteur de l'acte illégal. En effet, d'une part, le
pacte de corruption, par définition secret, n'a aucun
intérêt à être révélé par l'un
des deux protagonistes. D'autre part, les manipulations destinées
à masquer l'opération délictueuse auront pour incidence de
mettre à mal les investigations, ou encore de retarder la
découverte du délit. Ainsi, dans la majorité des cas,
lorsque le juge d'instruction aura connaissance du pacte de corruption, le
délai de prescription sera écoulé, et le corrupteur, tout
comme le corrompu, ne pourront plus se voir inquiétés sur la base
de ce délit.
Pour ne pas laisser impuni des personnes ayant commis une
infraction pénale grave, le magistrat instructeur aura recours lorsque
cela sera possible, à un subterfuge juridique usité
communément dans ce cas : engager des poursuites sur la base du
délit d'abus de bien sociaux103(*)pour le corrupteur, et de recel d'abus de bien
sociaux pour le corrompu.
L'abus de bien sociaux est également une infraction
instantanée. En substance cela signifie que le délit d'abus de
bien sociaux se prescrit normalement par trois ans et le point de départ
de ce délai doit être fixé, comme pour tout délit
instantané, au jour ou ont été accomplis les actes
matériels délictueux. Et si ces actes se renouvellent, la
prescription ne court qu'à compter du dernier d'entre eux. Mais,
alignant le régime de la prescription de l'abus de bien sociaux sur
celui de l'abus de confiance104(*), la Cour de cassation décide que
« le point de départ de la prescription du délit d'abus
de bien sociaux ne court que du jour où il est apparu et a pu être
constaté dans des conditions permettant l'exercice de l'action
publique 105(*) ». Cette solution a été
largement critiquée aussi bien par les prévenus qui en
subissaient les conséquences, mais également par certains
commentateurs excessifs qui sont allés jusqu'à évoquer
« l'imprescriptibilité » de l'abus de bien
sociaux106(*).
Cependant, des arrêts postérieurs ont apporté des
ajustements de nature à apaiser les esprits, nuançant quelque peu
la jurisprudence antérieure. Quoi qu'il en soit, il existe un effet de
retardement du délai de prescription du délit d'abus de bien
sociaux, ce qui offre aux organes poursuivants des modalités de
répression plus souples à appliquer à l'auteur de l'acte.
Et lorsque le délai de prescription du délit de corruption est
écoulé, les magistrats instructeurs optent donc logiquement pour
l'engagement de poursuite sur la base du délit d'abus de bien sociaux
qui ouvre de plus larges possibilités de répression. C'est la
raison pour laquelle les auteurs d'actes de corruption sont
généralement poursuivis sur le chef d'abus de bien sociaux,
infraction qui pour l'opinion publique a moins un caractère infamant que
le délit de corruption. Conscient de ce problème, la
jurisprudence est toutefois venue apporter tempérer son
interprétation stricte de l'instantanéité du délit
de corruption. En effet, selon la formule traditionnelle de la Cour de
cassation : « Le délit de corruption est une
infraction instantanée, consommé dès la conclusion du
pacte entre le corrupteur et le corrompu et se renouvelle à chaque acte
d'exécution ». Ainsi, si des relations suivies s'instaurent,
marquées par une succession de services rendus et
rémunérés, la prescription ne commence à courir
qu'à compter du dernier de ces agissements. En revanche, « Ce
point de départ ne saurait être retardé au jour de la
découverte de l'infraction, et cette sévérité
explique en partie la dérive constatée vers l'incrimination plus
accueillante d'abus de bien sociaux107(*) ». Il apparaît donc clairement une
faille dans la répression de la corruption, obligeant les juges à
se tourner vers d'autres incriminations, dans le but de ne pas laisser impunis
de tels comportements délinquants.
Perspectives de changement
Dans le but de faire cesser ce basculement de qualification
pénale à l'encontre de l'auteur d'un acte de corruption, il est
nécessaire de réfléchir sur les améliorations
possibles pouvant être apportées à la répression de
ce délit. Le délai de prescription de l'action publique en
matière de corruption semble être au coeur du contentieux, et
certains professionnels se sont prononcés en faveur de mesures
destinées à modifier quelque peu ce délai. Par exemple, le
Service Central de Prévention de la Corruption semble prôner
l'allongement du délai de prescription en matière de corruption
de trois à six ans. Cette solution est justifiée selon ce service
du fait que : « L'inconvénient de créer un
nouveau délai spécial de prescription pour ce délit est
atténué par la nécessité de pouvoir le poursuivre
en raison de ce caractère occulte108(*) ». Le SCPC prône donc un allongement
du délai de prescription en matière de corruption, a l'instar des
crimes contre l'humanité ou des crimes de guerre qui connaissent un
délai de prescription spécifique. L'idée sur le fond est
louable car elle permettrait une meilleure répression des protagonistes.
La durée de six ans apparaît justifiée du fait que les
pratiques corruptrices s'avèrent extrêmement difficiles à
détecter, et sont le plus souvent
« camouflées » sous des opérations en
apparences légales. Mais il n'est pas certain que cette solution soit
envisageable du point de vue du droit positif, car elle interférerait
avec les dispositions de l'article 8 du Code de procédure pénal,
en créant un délai de prescription unique pour le délit de
corruption.
Une autre solution plus envisageable serait d'adopter pour la
prescription de la corruption, une jurisprudence analogue à celle de
l'abus de bien sociaux. Cela reviendrait pour les juges à inscrire dans
leurs décision la formule consacré pour l'abus de bien sociaux,
formule selon laquelle le délai du délit de prescription ne
commence à courir qu'à compter de la découverte de
l'infraction. Cette évolution n'est cependant pas d'actualité, la
jurisprudence ne s'étant toujours pas prononcée dans ce sens, le
délai de prescription accompagné de ces failles reste le
même.
Cette carence juridique qui a pour conséquence de faire
basculer la qualification pénale de corruption en abus de bien sociaux,
entraîne donc des répercussions néfastes en terme de
répression de la corruption. La volonté du législateur
reste pourtant intacte dans la lutte contre ce fléau, pour preuve la
création de structure spécialisée dans ce combat. Ainsi,
depuis 1993 il existe un service spécialisé, le Service Central
de Prévention de la Corruption qui tente de détecter les
principaux mécanismes de la corruption pouvant intervenir dans les
différents secteurs économiques. Mais là encore, force est
de constater une carence car cette institution n'est pas dotée de moyens
nécessaires pour mener à bien son action. C'est ce que nous
tenterons de démontrer dans la suite de notre étude.
B: L'absence de pouvoir effectif des organes chargés
de lutter contre la corruption : Le cas du Service Central de
Prévention de la Corruption.
Le Service Central de Prévention de la Corruption
(SCPC) est un service interministériel placé auprès du
garde des Sceaux, ministre de la Justice. Créé par la loi du 29
janvier 1993 109(*)
relative à la prévention de la corruption et à la
transparence de la vie économique, ce service est chargé de
plusieurs missions :
- centraliser les informations nécessaires à la
détection et à la prévention des faits de corruption,
trafic d'influence, concussion, prise illégale d'intérêts
et d'atteinte à la liberté et à l'égalité
des candidats dans les marchés publics ;
- prêter son concours, sur leur demande, aux
autorités judiciaires, saisies de faits de cette nature ;
- donner sur leur demande, à diverses autorités
administratives ainsi qu'aux maires, présidents de conseils
généraux ou régionaux des avis sur les mesures
susceptibles de prévenir de tels faits.
Depuis sa création, le SCPC a participé
activement à la recherche et à la détection des pratiques
corruptrices, mettant ainsi à jour bon nombre d'agissements jusqu'alors
méconnus. En résumé de ses investigations, ce service rend
tous les ans un rapport destiné au garde des sceaux, rapport qui met en
lumière les risques encourus en fonction des différents secteurs.
Le travail remarquable effectué par ce service a permis de nous
éclairer sur des domaines non encore explorés en terme de risque
de fraude, de corruption, ou de blanchiment. Ont ainsi été
abordés des domaines tels que le sport, la publicité, les sectes,
le secteur associatif, etc. Malgré le travail remarquable
effectué par le SCPC depuis sa création, certaines interrogations
restent toutefois en suspens, interrogations qui peuvent nous faire douter sur
la réelle volonté des pouvoirs publics de lutter contre ce
phénomène. En effet, nous pouvons nous questionner sur les moyens
mis à disposition de ce service pour mener à bien sa lutte.
Dès sa création en 1993, nombres de parlementaires se sont
opposés au SCPC. Arguant de l'inefficacité du service, ou de ses
méthodes assimilables à un « service de
renseignement », le SCPC a connu des débuts difficiles. Ces
parlementaires saisirent le Conseil constitutionnel, dans le but de
l'interroger sur la conformité de la loi de 1993, à la
Constitution. En réponse, le conseil est venu, dans sa décision
du 20 janvier 1993110(*), restreindre considérablement les pouvoirs du
SCPC, le rendant ainsi, selon les dires de certains, à l'état
« d'eunuque impuissant ». Initialement pourtant, le
législateur avait conféré au service un droit de
communication de tout document - le service avait le droit de se faire
communiquer par toute personne physique ou morale tout document, quel qu'en
soit le support, nécessaire à l'accomplissement de sa fonction -
et un droit de convocation de toute personne susceptible de lui fournir les
informations nécessaires à l'accomplissement de sa mission. Les
sages du Conseil ont annulé ces pouvoirs affirmant qu'ils étaient
de nature à « méconnaître le respect de la
liberté individuelle et à porter des atteintes excessives au
droit de propriété », et que « le
législateur n'avait pas défini ces mesures de manière
suffisamment claires et précises en les limitant à celles qui
relèvent d'enquêtes administratives ». Par
conséquent, l'octroi de pouvoirs d'investigation, dans le cadre
d'enquêtes judiciaires, au SCPC semble exclu. Ce service se trouve alors
dépourvu de tout moyen d'action, et tend à devenir plus une
cellule d'experts, qu'un organisme d'enquêtes participant activement
à la répression de la corruption.
De plus, le SCPC est composé de sept fonctionnaires,
détachés d'administrations diverses - justice, police,
gendarmerie, impôts, douane. Ce nombre restreint de personnel doit
toutefois être renforcé en vertu des promesses des gouvernements
successifs, mais les postes à pourvoir restent encore et toujours
vacants, faute de volonté des différentes administrations et des
restrictions budgétaires. On imagine la difficulté pour ce peu de
personnes d'appréhender à eux seuls dans toute son ampleur, un
phénomène aussi vaste que la corruption. Effectivement, si un
délit semble constitué, ce service transmet le dossier au
procureur de la république, mais cela ne se produit qu'environ cinq fois
par an111(*). Ainsi, le
SCPC reconnaît lui-même qu'il « demeure
sous-employé112(*) », particulièrement par
l'autorité judiciaire alors qu'il est placé directement
auprès du garde des sceaux.
Autre point négatif, la saisine du SCPC par les
particuliers n'est pas prévue par la loi. Les textes fondateurs du
service énumèrent limitativement les autorités
habilitées à lui demander un avis, et il en résulte que la
saisine par de simples citoyens, sans mandat électif ni attribution
administrative ou juridictionnelle, n'est pas prévue. Pourtant, selon le
service : « De nombreux courriers lui sont adressés
par des particuliers pour solliciter des consultations, des renseignements, ou
porter des faits à sa connaissance. Ils représentent aujourd'hui
près de la moitié des saisines113(*) ». Le législateur n'est toutefois
pas intervenu pour modifier la loi de création du service, et il n'est
donc pas permis au particulier de saisir directement le SCPC.
Selon Daniel Dommel, le SCPC est « Handicapé
par la limitation de sa marge d'initiative ainsi que par des contestations
techniques et des tensions politiques qui ont entouré ses
premières années d'activité 114(*)». Pour cet auteur, le
SCPC s'apparente à une « structure
légère », et il compare ce service à son
homologue Chinois : l'Independant Commission Against Corruption (ICAC)
d'Hong Kong. Daniel Dommel dépeint l'environnement instable dans lequel
est naît l'ICAC en Chine : « Il fallait verser un
bakchich à l'ambulancier pour qu'il vous emmène à
l'hopital, au pompier pour qu'il attaque les flammes... », en
concluant à la nécessité d'instaurer un tel organe. Une
triple mission d'investigation, de prévention et d'éducation a
alors été affectée à l'ICAC, et ce service et
indépendant de toute administration, y compris de la police. Pour
assurer sa mission, l'ICAC est doté d'importants moyens, en particulier
un personnel qui dépasse aujourd'hui les 1300 agents - plus d'un agent
pour 5000 habitants. Et M. Dommel de
conclure : « L'institution a manifestement réussi
à démanteler les systèmes de corruption établis
dans divers secteurs et à susciter le soutien de l'opinion. La
corruption est devenue une infraction à haut risque à Hong
Kong ».
En comparaison à cet exemple chinois, le SCPC
apparaît effectivement comme une « structure
légère », qui ne possède pas les moyens
appropriés pour mener à bien son action de lutte. Ce service
apparaît plutôt comme un paravent pour les gouvernements, un
affichage politique bien plus qu'une réelle volonté de lutter
contre la corruption. Cet observatoire de la corruption, qui pourrait
s'avérer être, s'il était doté de pouvoirs
suffisants, un réel instrument contre ces pratiques illégales,
n'en est réduit qu'à l'impuissance et à l'inaction. Il
semble donc nécessaire que le législateur modifie les textes
créateurs du service, afin de le doter de pouvoirs d'enquête et
d'investigation. Ces pouvoirs d'enquête devront cependant être
strictement encadrés et respectueux des droits et libertés, seule
justification avancée de la censure par le Conseil constitutionnel.
Ces quelques lignes nous permettent d'entre apercevoir toute
la complexité d'appréhension du phénomène de
corruption. Une volonté réelle de lutte contre ce fléau
s'est maintenant instaurée depuis quelques années, notamment par
des modifications législatives ou des créations de services
spécialisés. Mais ce combat est entravé par les
difficultés et les carences qui entourent ce délit, rendant
d'autant plus délicate l'application de la répression aux
auteurs. Restent donc beaucoup d'éléments à parfaire,
comme par exemple une refonte du délai de prescription, l'attribution de
moyens d'investigations pour le SCPC, etc. Il conviendra donc de rester
attentif au changement qui auront lieu - si changement il y a - dans les
prochaines années.
CONCLUSION
L'exposition quasi constante des entreprises au risque de
corruption a eu pour conséquence l'élévation d'une
conscience collective de lutte contre ce fléau. Le législateur,
par un dispositif exhaustif, est venu encadrer de manière stricte
l'infraction de corruption privée, rendant moins attractive ces
pratiques illicites. Les entreprises, victimes directes de ce
phénomène, ont également élaboré et mis en
place des outils de lutte contre la corruption. Cela se traduit
concrètement par l'instauration de Codes de déontologie,
destinés à afficher l'honnêteté de l'entreprise,
mais servant aussi de guide pour les salariés lors de leur prise de
décision. Cette volonté commune de lutter contre ces pratiques
corruptrices se concrétise à l'heure actuelle par l'apparition de
notions telles que « la responsabilité sociale
d'entreprise » (RSE). La RSE peut être définie comme un
concept dans lequel les entreprises intègrent les préoccupations
sociales, environnementales et économiques dans leurs activités
et dans leurs interactions avec leurs parties prenantes sur une base
volontaire. A coté de cette notion de RSE s'est également
créé ce que l'on nomme désormais la notion de
Développement Durable (DD), avec un objectif sensiblement identique.
L'idée est que l'entreprise qui recherche le profit, sera d'autant plus
performante si elle intègre des valeurs morales, éthiques et de
gestion humaine. Preuve de plus que l'entreprise s'investit dans la voie de la
transparence et de la bonne gestion, et met tout en place pour mettre l'homme
au centre de l'économie. Risque majeur pour l'entreprise, la corruption
est désormais prise très au sérieux par les
différents acteurs économiques, qui semblent vouloir
éviter les conséquences néfastes qu'il en résulte.
Aussi bien en terme de finance que d'image de marque, une firme touchée
par la corruption, voit sa réputation considérablement ternie. En
amont, cette lutte doit également se manifester par l'adoption et
l'instauration d'outils spécifiques, tels que la mise en place d'un
« déontologue », un « compliance
officer », dont le but serait de contrôler non seulement le
respect de la ligne éthique énoncée par l'entreprise, mais
aussi d'apporter une aide aux salariés en cas de prise de
décision. Notons que l'instauration de telles mesures de lutte peut
s'avérer véritablement bénéfique pour les
entreprises. Les investisseurs aussi bien que les consommateurs, observant les
efforts de la firme dans ce combat, lui redonneront sa confiance, et dirigeront
ainsi leur pouvoir d'achat sur ces entreprises. Ainsi, selon l'étude
réalisée en partenariat par Novethic et le SCPC, les
sociétés qui s'engagent dans cette lutte, voient dans la
majorité des cas, leur valorisation boursière
progresser115(*). Mais
l'étude d'en conclure : « Il est clair que le
thème de la corruption, sujet plus sensible et moins valorisant que
d'autres, n'est pas le thème prioritaire du reporting RSE des
entreprises116(*) ».
L'on peut donc légitimement s'interroger sur ce sursaut
de moralité des différentes firmes. N'est ce pas là un
simple affichage commercial, destiné à rassurer investisseurs et
consommateurs ? Rappelons que l'entreprise « est astreinte
à la responsabilité sous peine de mort, et que si elle doit
assumer les coûts du développement durable, ceux-ci ne sauraient
amputer les profits loyaux sous peine de rendre l'entreprise non
durable117(*) ».
Ainsi, gardons nous de toute conclusion hâtive sur les
bienfaits déclamés de tous ces dispositifs internes de lutte. Ils
sont peut être en réalité, un simple affichage de
loyauté, sans grands effets sur les réalités commerciales.
« La raison d'Etat », souvent avancée par nos
gouvernements pour justifier la commission d'actes aux bornes de la
moralité, « transposée à l'économie de
marché devient « raison d'entreprise ». La loi et la
justice trépassent118(*) ». Dans cette configuration, l'on peut se
demander si, sous prétexte de prôner l'introduction de principes
et de valeurs de bases dans les entreprises, celles-ci ne jouent pas la carte
de l'hypocrisie, tout en continuant d'agrémenter les circuits opaques de
la corruption.
Côté décideurs publics, force est de
constater que la volonté affichée d'éradiquer toute forme
de corruption, n'est pas toujours suivie d'actes concrets. En effet, les
multiples failles qui entourent le délit de corruption ne semblent pas
inquiéter outre mesure le législateur. Bien que la loi du 4
juillet 2005 ait apporté des solutions nouvelles et efficaces en
matière de répression de la corruption privée, il n'en
reste pas moins que des lacunes continuent de ternir ce délit. Ces
lacunes pourtant apparentes, ne font pas l'objet de modifications
législatives, alors qu'elles posent de réelles difficultés
dans l'application d'une quelconque répression aux auteurs d'actes de
corruption. En effet, pourquoi ne pas calquer le délai de prescription
de l'action publique de la corruption privée sur celui de l'abus de bien
sociaux ? Cette évolution souhaitable permettrait aux magistrats de
réprimer de façon correcte toute pratique corruptrice, sans
employer le subterfuge juridique de l'abus de bien sociaux. Toutefois, la
jurisprudence de la Cour de cassation, bien souvent imprégnée
d'orientations gouvernementales, n'a pas pris parti pour une telle
évolution.
De plus, l'on peut se questionner sur le fait de savoir
pourquoi un organe comme le Service Central de Répression de la
Corruption ne dispose toujours pas de pouvoir d'investigations pour mener
à bien sa mission. Effectuant un travail d'expertise remarquable, ce
service se voit pourtant réduit à l'état
« d'eunuque impuissant », car ne disposant d'aucun pouvoir
judiciaire concret. Nombreuses sont les remontrances des parlementaires
à l'égard des gouvernements successifs sur cette question, mais
là encore cela n'est pas près de changer. Cet outil pourtant
nécessaire à la lutte contre la corruption est destiné
à l'inaction, car aucune volonté politique réelle ne vient
lui conférer de véritables moyens d'action. Selon les termes
mêmes du SCPC : « L'outil n'est qu'un moyen. Encore
faut-il avoir la volonté de s'en servir, donc la conscience des ravages
causés par la corruption et la nécessité de la combattre,
même parfois au risque de son confort personnel119(*) ». Ainsi, doter ce
service de pouvoirs d'enquête et non de simples prérogatives
administratives, reviendrait à bouleverser les habitudes d'une certaine
élite, ce qui forcément ne serait pas du goût de tout le
monde, car nombres de leurs privilèges seraient remis en cause. D'autre
part, pour Rudy Aernoudt : « Pour appréhender au mieux la
corruption, il faut revenir à une économie qui place l'homme au
centre des préoccupations, à une économie à visage
humain. Ce plaidoyer pour l'anthropomorphisme de l'économie n'est pas
bien sûr sans conséquences sur le thème du contrôle.
Le contrôle des systèmes s'apparente toujours au jeu du chat et de
la souris entre les autorités et les corrompus, ces derniers se trouvant
aussi bien au sein des autorités qu'à l'extérieur. Les
membres corrompus de la société tentent, dans une sorte de
destruction créatrice schumpétérienne, de devancer
constamment les autorités en ayant recours aux techniques et aux
méthodes des corruption les plus neuves. On appelle ça de
l'innovation et de l'ingénierie120(*) ». Par conséquent, pour que
l'économie prodigue ses bienfaits, il est nécessaire de revenir
à des valeurs humaines de base, afin d'éviter de multiples
dérives, dues à l'attrait de l'homme pour le profit. La lutte
contre la corruption s'inscrit donc dans le temps, et à aucun moment les
hommes ne devront atténuer le combat contre ce fléau.
La nécessaire lutte contre la corruption implique donc
la volonté des différents acteurs, politiques et
économiques. Le législateur français, sous l'impulsion
internationale, est venu encadrer de façon stricte les comportements de
corruption privée. Les entreprises elles, se dotent peu à peu de
mesures internes destinées à parfaire cette lutte, et à se
prémunir des risques inhérents à toute pratique
commerciale. Reste à savoir si ces volontés collectives sont bien
réelles, et si l'éradication de la corruption, tant souhaitable
pour l'économie, est véritablement voulue par ces
protagonistes.
BIBLIOGRAPHIE :
Ouvrages :
· Daniel Dommel : « Face à la
corruption », éd. Karthala, 2003 ; 287p
· Alain Etchegoyen : « Le corrupteur et le
corrompu », éd. Julliard, 1995. 226p.
· Transparency International : « Rapport
mondial sur la corruption 2003 », éd. Karthala ;
423p.
· Transparency international : « Combattre
la corruption, enjeux et perspectives », éd. Karthala,
2002 ; 349p.
· Centre de recherches en Ethique Economique et des
affaires et Déontologie professionnelle : « La
corruption », Collection ETHIQUE ET DEONTOLOGIE,
dirigée par Jean Yves Naudet, 2005 ; 388p.
· Amartya Sen : « Ethique et
économie », éd.Puf, 2002 ; 364p.
· Joseph E. Stiglitz : « Quand le
capitalisme perd la tête » ; éd. Le livre de
poche ; 571p.
· Pierre Lascoumes :
« Corruption », éd. Presse de Sciences-Po,
1999 ; 163p.
· Michel Veron : « Droit pénal des
affaires », Armand Colin, Compact, 6ème
édition, 378p.
· Dalloz : « Lexique des termes
juridiques », éd.Dalloz, 12ème
édition, 560p.
· Rudy Aernoudt : « CORRUPTION A FOISON.
Regards sur un phénomène tentaculaire », éd.
Economie et Innovation, L'Harmattan, Innoval, 2003 ; 126p.
Articles de presse :
· Muriel Jasor : « Les entreprises
traquent les salariés fraudeurs », Les Echos, 13
juillet 2007.
· Le Monde : « Deux chefs
d'entreprises écroués pour des malversations lors du
désamiantage du Clemenceau », 13 juillet 2007.
· Pascal Junghans : « Désamiantage
du Clemenceau : quatre chefs d'entreprise mis en examen », La
Tribune, 13 juillet 2007.
· Claire Gatinois : « Les salariés
français rechignent à dénoncer la corruption dans leur
entreprise », Le Monde, 6 juin 2007.
· Rafaële Rivais : « Le parquet de
Bruxelles enquête sur une affaire de fausse factures, Le Monde, 5
juin 2007.
· Le Nouvel Observateur : « Le
journaliste Marc Francelet remis en liberté », 4 juin 2007.
· Les Echos, 1er mars 2007, n°
19868.
· Jacques Follorou : « De la prison ferme
pour deux « patrons voyous » coupables d'abus de bien
sociaux », Le Monde, 21 décembre 2006.
· Cécile Calla : « Corruption chez
Siemens : un ex-dirigeant en détention », Le
Monde, 14 décembre 2006.
· Christian Curtil : « Le
délit de corruption dans les entreprises », Les Echos,
19 juin 2006.
· Anne-Laurence Fitere : « La fraude
prospère en entreprise », Les Echos, 1er
avril 2004.
· Thomas Frank : « Enron aux mille et une
escroqueries », Le Monde Diplomatique, février 2002.
· Pierre Abramovici : « Les jeux
dispendieux de la corruption mondiale », Le Monde
Diplomatique, novembre 2000.
· Christian de Brie : « Dans
l'archipel planétaire de la criminalité
financière », Le Monde Diplomatique, avril 2000.
· Christian de Brie : « Les beaux
jours de la corruption à la française », Le
Monde Diplomatique, avril 1997.
Revues et ouvrages
spécialisés :
· Philippe Cohen : « Whistleblowing, la
raison l'emportera ». Echanges, juillet 2006, n° 234.
· Noël Pons et Valérie Berche :
« Pour une méthodologie d'audit adaptée au conflit
d'intérêts » ; Audit Interne n°
182 - décembre 2006.
· Noël Pons : « Quand les logiciels
« souples » facilitent la fraude ». Audit
Interne n° 174 - avril 2005.
· Robert Klitgaard : « Subvertir la
corruption » ; Finances et développement - juin
2000 - Volume 37, n° 2.
· « La lettre de Transparence
France ». Lettre d'information trimestrielle de Transparence
International (France), mars 2007, n° 32.
· « La lettre de Transparence
France ». Lettre d'information trimestrielle de Transparence
International (France), décembre 2006, n° 31.
· « La lettre de Transparence
France ». Lettre d'information trimestrielle de Transparence
International (France), septembre 2006, n° 30.
Rapports et enquêtes
· Rapport d'activité du Service Central de
Prévention de la Corruption pour l'année 2006 ; éd.
La documentation Française, juin 2007. 205p.
· Rapport d'activité du Service Central de
Prévention de la Corruption pour l'année 2005 ; éd.
La documentation Française.
· Rapport d'activité du Service Central de
Prévention de la Corruption pour l'année 2004 ; éd.
La documentation Française.
· Rapport d'activité du Service Central de
Prévention de la Corruption pour l'année 2003 ; éd.
La documentation Française.
· Rapport d'activité du Service Central de
Prévention de la Corruption pour l'année 2002 ; éd.
La documentation Française.
· Rapport d'activité du Service Central de
Prévention de la Corruption pour l'année 2001 ; éd.
La documentation Française.
· Rapport d'activité du Service Central de
Prévention de la Corruption pour l'année 2000 ; éd.
La documentation Française.
· Rapport d'activité du Service Central de
Prévention de la Corruption pour l'année 1998 -1999 ;
éd. La documentation Française.
· Rapport d'activité du Service Central de
Prévention de la Corruption pour l'année 1997 ; éd.
La documentation Française.
· Rapport d'activité du Service Central de
Prévention de la Corruption pour l'année 1996 ;éd.
La documentation Française.
· Enquête FIDS Ernest &Young :
« Dénoncer les abus liés à la fraude, aux pots
de vin et à la corruption. Multinationales : résultats pour
la France », 2007.
· Ethifinance et Transparency International
France : « Etude sur la prévention de la corruption
dans les grandes entreprises françaises », juin 2006.
·
PricewaterhouseCoopers : « Enquête sur la fraude dans
les entreprises en France, en Europe et dans le Monde ». Edition
2005.
· Novethic / Service Central de Prévention de la
Corruption : « Transparence des multinationales
françaises en matière de lutte contre la corruption. Le
traitement de l'enjeu « corruption » dans le reporting
développement durable des entreprises du CAC 40 en 2004 et
2005 ». Septembre 2006.
Codes et textes juridiques :
· Code pénal
· Alain Dekeuwer : « Défense et
illustration de l'incrimination d'abus de biens sociaux dans un système
de corruption », La Semaine Juridique Entreprise et Affaires
n° 9, 26 Février 1998.
· Wilfried Jeandidier : « Du délit de
corruption et des défauts qui l'affectent », La Semaine
Juridique Edition Générale n° 39, 25 Septembre 2002.
· Circulaire de présentation des nouvelles
infractions de corruption active et passive dans le secteur privé issues
de la loi n° 2005-750 du 4 juillet 2005 portant diverses dispositions
d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la justice. CRIM 2006 04
G3/14-02-2006. NOR : JUSDO630017C.
Sites Internet
·
www.legifrance.gouv.fr
· www.lesechos.fr
· www.latribune.fr
· www.lemonde.fr
·
www.lemondediplomatique.fr
· www.lexpansion.com
· www.diploweb.com
ANNEXES
Annexe 1 :
Le nouvel observateur, 4 juin 2007.
Le journaliste proche des milieux d'affaires, Marc Francelet,
mis en examen et écroué depuis le 29 mars pour des faits de
corruption, a été remis en liberté mercredi 30 mai par le
juge, a indiqué à l'AFP son avocat, Me Daniel Vaconsin. Marc
Francelet a été interrogé mardi pour la première
fois par le juge Jean-Christophe Hullin, qui a repris récemment ce
dossier après le départ de son collègue Philippe Courroye,
désormais procureur de Nanterre. Le juge a rendu une ordonnance de mise
en liberté estimant que la détention provisoire de M. Francelet
dans cette affaire ne se justifiait plus à ce stade de l'enquête.
Emprisonné à la maison d'arrêt de Fresnes (Val-de-Marne),
il devait sortir mercredi en fin d'après-midi. Sa mise en liberté
a été assortie par le juge d'un contrôle judiciaire
l'empêchant de rencontrer plusieurs personnes citées dans le
dossier.
"Corruption d'agent privé"
Marc Francelet avait été mis en examen par
le juge Courroye qui le soupçonne d'avoir été
rémunéré pour obtenir la publication dans la presse
française de plusieurs articles jugés "complaisants" sur des
personnes souhaitant soigner leur image, ce qu'il conteste formellement. Marc
Francelet est poursuivi pour "corruption d'agent privé", une nouvelle
incrimination applicable en droit français depuis 2005. Outre cette
qualification, le juge l'a également mis en examen pour une "escroquerie
aux Assedic" de l'ordre de 160.000 euros entre 2001 et 2004, selon une source
proche du dossier. Il conteste cette infraction, en précisant que le
dépôt de bilan de son employeur lui donnait le droit à une
prestation de l'assurance chômage.
Affaire "pétrole contre nourriture"
Il est également poursuivi pour "recel d'abus de
confiance, recel d'abus de bien sociaux et blanchiment". Selon une source
proche du dossier, ses comptes bancaires comportent des sommes dont l'origine
est inexpliquée. La procédure vise notamment un article de
l'hebdomadaire Le Point du 24 novembre 2005 qui présente
l'homme d'affaires franco-libanais Iskandar safa sousunjour plutôt
avantageux. Plusieurs journalistes ont été entendus dans cette
affaire, dont le directeur du Point Franz-Olivier Giesbert, le
journaliste auteur de l'article sur Iskandar Safa Jean-François
Jacquier, ainsi que l'ancien journaliste du Monde Hervé
Gattegno, également auteur d'un article sur Iskandar Safa. Par ailleurs,
Marc Francelet est également mis en examen dans l'affaire
"pétrole contre nourriture", dans laquelle il est
soupçonné d'avoir obtenu des largesses de la part du
régime de Saddam Hussein. (AFP)
Annexe 2 :
La Tribune, 13 juillet 2007
Désamiantage du Clemenceau : quatre chefs
d'entreprise mis en examen
Ils sont accusés de corruption et d'abus de
biens sociaux. Deux autres plaintes, dont une du ministère de la
Défense, sont en cours.
Quatre personnes, dont deux dirigeants de
sociétés impliquées dans le désamiantage du
Clemenceau, l'ancien porte-avions de la Marine nationale, ont été
mises en examen pour une affaire de corruption présumée dans ce
marché, selon des sources judiciaires. Jean-Pierre Giannino,
gérant de Technopure, a été mis en examen pour "corruption
active de personne privée, faux et usage de faux" et placé en
détention provisoire ce vendredi. Technopure est la
société qui effectuait la première tranche de
désamiantage du navire de la marine française entre 2004 et 2005,
dans le port de Toulon. Les enquêteurs soupçonnent Jean-Pierre
Giannino d'avoir payé pour obtenir le marché du Clemenceau, via
un réseau de fausses factures. Le détournement de fonds
s'élèverait à 300.000 euros. Marc Belvert, responsable
parisien de la SDIC (Ship Decomissioning Industries Corporation, filiale du
groupe Eckhart Marine), a lui aussi été mis en examen pour "recel
d'abus de biens sociaux, escroquerie et corruption passive de personne
privée". Il a également été placé en
détention provisoire. La SDIC est la société sous contrat
avec l'Etat pour le démantèlement du Clemenceau. Les
enquêteurs soupçonnent Jean-Pierre Giannino d'avoir payé
Marc Belvert afin d'obtenir le marché du Clemenceau. Deux autres hommes,
soupçonnés d'avoir participé à ce schéma de
corruption en surfacturant du matériel à Jean-Pierre Giannino,
ont également été mis en examen dans cette affaire, l'un
pour "abus de biens sociaux, faux et usage de faux" et l'autre pour "faux et
usage de faux". Ils ont été libérés et
placés sous contrôle judiciaire. L'affaire, instruite par juge le
Charles Duchaine, de la juridiction interrégionale
spécialisée (JIRS) en matière financière de
Marseille, a débuté en juin 2006 après une
dénonciation à Tracfin, service spécialisé de lutte
contre la délinquance financière du ministère de
l'Economie et des Finances.
Dans le dossier du désamiantage du Clemenceau,
plusieurs autres plaintes ont été déposées.
Jean-Claude Giannino a ainsi porté plainte contre X avec constitution de
partie civile pour "dénonciation calomnieuse" en avril 2007. Ce dossier
est instruit par la juge d'instruction marseillaise Carole Sayous.
En février 2006, Michèle Alliot-Marie, alors
ministre de la Défense, a déposé une plainte pour des
"soupçons d'irrégularités" contre la société
Technopure. En cause, la quantité d'amiante réellement
retirée du navire par l'entreprise d'octobre 2004 à mars 2005.
Le Clemenceau, désormais connu sous l'appellation de
"coque Q790", est amarré à Brest (Finistère) depuis mai
2006 dans l'attente d'être démantelé après un
périple de 18.000 km en direction de l'Inde.
Pascal Junghans
Annexe 3 :
Chartes éthiques et codes de conduite en
question
Une étude du cabinet Alpha pour la CGT - mars 2004
L'étude réalisée par le groupe Alpha en
collaboration avec la CGT participe de la volonté de la CGT de faire de
la « responsabilité sociale des entreprises » un
nouveau champ d'intervention sociale pour les salariés et plus
généralement pour les populations (consommateurs et/ou habitants
de proximité). Elle montre qu'aujourd'hui les chartes et codes
éthiques sont avant tout des outils au service du management des
entreprises (dans des logiques de protection et/ou de motivations des
salariés).
Cette étude est la première du genre
d'abord :
par l'étendue de son champ
d'investigation (les entreprises du CAC 40 et les grandes entreprises
françaises non cotées),
par son objectif qui est de faire le
bilan des chartes éthiques et codes de conduite mis en place par
celles-ci et de proposer des voies d'actions pour les salariés leurs
organisations syndicales mais aussi les associations et ONG,
enfin par sa diffusion qui,
mondialisation oblige, sera assurée auprès des organisations
syndicales des pays concernés par l'activité de ces firmes
d'origine française, aux fédérations syndicales
internationales ainsi qu'aux institutions internationales.
Le fait que cette étude unique aujourd'hui soit
réalisée en collaboration avec une confédération
syndicale marque tout à la fois la préoccupation du syndicalisme
sur ces questions et la volonté de celui-ci de « reprendre la
main » sur des terrains dont il a été (avec son tacite
consentement ou sans celui-ci) exclu.
Cette étude lourde s'inscrit dans une suite d'actions
de la CGT sur ce thème de la RSE dont la première fût la
réalisation d'une étude (toujours en collaboration avec le groupe
Alpha) sur la façon dont les entreprises s'étaient
acquittées en 2003 de leur obligation au titre de la loi NRE (Nouvelles
régulations économiques) de rendre compte des conséquences
sociales et environnementales de leurs activités. Le succès de
cette première étude réalisée en octobre 2003 -
largement médiatisée et parallèlement diffusée au
sein de nos organisations et par l'intermédiaire du TUAC (Commission
syndicale consultative auprès de l'OCDE) aux organisations syndicales
des 30 pays membres de l'OCDE- nous ont encouragé à poursuivre
ces travaux de réflexion et de propositions sur des thèmes peu
stabilisés et très souvent déroutants pour les
salariés.
Le scepticisme des salariés
Confrontés à la mise en place de
démarches éthiques au sein des entreprises traduites par
l'édition de chartes et autres codes de conduite, les premières
réactions des salariés sont en général empreintes
d'un fort scepticisme ; elles se traduisent parfois par un rejet ou au
moins par des réticences, parfois par de l'indifférence.
Pour la CGT tout ceci est parfaitement compréhensible
et souvent très salutaire !
Ainsi, comme le met en évidence de façon
éclatante l'étude Alpha/CGT : les chartes éthiques et codes de conduite sont dans la
quasi-totalité des cas des documents unilatéraux à la
définition desquels ni les salariés ni leurs représentants
ne sont associés. 80% des documents étudiés ne font
même pas référence aux différents acteurs sociaux et
en particulier les représentants du personnel ! 5 entreprises
seulement sur les 40 étudiées ont mentionné une
consultation du comité d'entreprise ou de l'instance de dialogue
européen !
Les engagements des entreprises ont
tout du Canada dry : la couleur, le goût, l'odeur d'engagements mais
ceci n'en sont de réels que dans de très rares exceptions. Ainsi,
70% des codes étudiés mentionnent des engagements qui ne peuvent
donner lieu à une mise en oeuvre spécifique et immédiate.
9 entreprises seulement (Accor, Arcelor, Axa, Carrefour, Dexia, Lafarge,
Rhodia, ST Microelectronics et Vivendi Universal) définissent des
objectifs concrets et mesurables. 35% seulement font référence
explicitement aux conventions fondamentales de l'OIT et 15% aux principes
directeurs de l'OCDE en direction des multinationales. Au surplus, ces codes
usent et abusent de novlangue managériale, renforçant encore le
malaise.
Les contrôles des engagements
sont inexistants ou réservés à des comités
éthiques internes (70% des cas étudiés) composés de
cadres dirigeants et souvent uniquement en charge de la rédaction d'un
simple rapport annuel... Une seule entreprise (Carrefour) est dotée d'un
contrôle externe pour sa Charte contre l'exploitation des enfants et le
travail forcé qu'elle impose à ses fournisseurs et sous traitants
(collaboration avec la FIDH) mais là encore les salariés n'y sont
pas associés.
Le périmètre
d'application des codes et chartes est en général réduit.
Il ne prend en compte que les personnels « stables » et
excluent les salariés improprement baptisés « de second
rang » c'est-à-dire ceux des fournisseurs et sous-traitants en
cascade.
Ce bilan sévère mais qui s'appuie sur une
étude exhaustive des pratiques des entreprises en la matière,
montre qu'aujourd'hui les chartes et codes éthiques sont avant tout des
outils au service du management des entreprises (dans des logiques de
protection et/ou de motivation des salariés). Pour la CGT, ceci doit
changer !
Normes sociales et contre-pouvoirs à l'ère de la
mondialisation
Le rejet ou l'indifférence légitime qu'inspirent
aujourd'hui ces documents ne relevant souvent que du marketing éthique
ou pire reportant sur les salariés des responsabilités qu'ils
n'ont pas les moyens d'assumer (prescription supplémentaire et
injonctions contradictoires) n'ont pas vocation à être
éternels.
Dans le cadre de la mondialisation, la création de
normes sociales à l'échelle internationale est un objectif pour
le syndicalisme. C'est donc d'abord les contenus qu'il faut pouvoir
débattre comme les moyens de contrôle à y associer.
Les pouvoirs publics (nationaux, européens et
internationaux) ont un rôle décisif à jouer pour
accompagner des dynamiques sociales fondées sur des négociations
entre acteurs sociaux.
Pour la CGT, il apparaît ainsi décisif :
De renforcer les droits
d'intervention des salariés et de leurs institutions
représentatives dans la gestion des entreprises et le contrôle de
leur activité. Ceci suppose de donner une place aux salariés au
sein des gouvernements d'entreprise (ce que ne prévoit pas le projet de
l'OCDE en cours de négociation sur ce point).
D'engager la négociation
d'Accords cadres (« Framework agreements ») entre
multinationales et fédérations syndicales internationales, afin
d'agir dans le sens de l'émergence d'un droit social international qui
fait aujourd'hui défaut. Il s'agit de durcir la « soft
law » qui caractérise les chartes et codes de conduite
aujourd'hui existants.
De renforcer les pouvoirs des
institutions internationales telle l'OIT
Des propositions immédiates pour les organisations
syndicales
Au-delà, la vocation de cette étude qui sera
très largement diffusée auprès notamment des organisations
de la CGT est de mettre en évidence des points pratiques et
immédiats à défendre lors de la mise en place des codes et
chartes d'entreprises.
Parmi ceux-ci :
Exiger la négociation de ces
codes et chartes avec les organisations syndicales, ceci sur l'ensemble du
périmètre de l'entreprise (pour les différents pays
d'implantation de l'entreprise et pour les sous-traitants et fournisseurs).
Définir des engagements
concrets et mesurables, notamment en systématisant les
références aux conventions de l'OIT.
Mettre en place des dispositifs de
contrôle indépendants de ces engagements sociaux et
environnementaux.
mardi 7 décembre 2004
* 1 INFOSTAT
JUSTICE : « La délinquance économique et
financière sanctionnée par la justice » ; Bulletin
d'information statistique de la direction de l'Administration
générale de l'Equipement. Juin 2002, n° 62.
* 2 Pierre Lascoumes :
« Les privilèges de la délinquance économique et
financière » ; Alternatives économiques n°
65 - Hors série - Le capitalisme ; 3ème trim.
2005.
* 3 Définition de la
criminalité économique et financière proposée lors
du onzième congrès des Nations Unies pour la prévention du
crime et la justice pénale des 18-25 avril 2005, Bangkok
(Thaïlande).
www.11uncongress.org
* 4 Christian de
Brie : « Les beaux jours de la corruption à la
française » ; Le Monde diplomatique, avril 1998,
p. 18 et 19.
* 5 Rapport d'activité
du Service Central de Prévention de la Corruption pour l'année
2001 ; éd. La documentation Française, p. 10.
* 6 Transparency
International est une ONG internationale indépendante et non partisane,
vouée à la lutte contre la corruption. Cette ONG promeut le
renforcement des « systèmes
d'intégrité » à l'échelle nationale et
internationale. Depuis sa création en 1993 par Peter Eigen, elle
participe à l'identification des mécanismes de la corruption, et
à la définition des moyens de lutte.
* 7 Transparency
international : « Combattre la corruption » ;
éd Karthala, p. 41.
* 8 Pierre Lascoumes :
« Corruption » ; Presse de Sciences-Po, 1999, p.
35.
* 9 Michel
Veron : « Droit pénal des
affaires » ; éd. Armand Colin, Compact, p. 64 et
s.
* 10 Avant la loi du 5
juillet 2005, la corruption de salarié était prévue par
l'article L. 152-6 du Code du travail. La loi de 2005 a transféré
ce délit dans le Code pénal.
* 11 Robert Klitgaard :
« Subvertir la corruption » ; Finances et
développement - juin 2000 - Volume 37, n° 2.
* 12 Gilles Dryancour :
« La corruption », Collection ETHIQUE et DEONTOLOGIE
dirigée par Jean-Yves Naudet. Centre de Recherche en Ethique
Economique et des Affaires et Déontologie Professionnelle,
librairie de l'université d'Aix en Provence, éd 2005, p. 206.
* 13 Rudy
Aernoudt : « CORRUPTION À FOISON, regards sur un
phénomène tentaculaire », éd. Economie et
Innovation, L'Harmattan, Innoval, p. 13.
* 14 L'idée de base
était que le temps est un bien commun et ne peut donc faire l'objet d'un
commerce. Cette pensée selon laquelle l'argent est infertile
été déjà soulevée par Aristote qui
proclamait : « Prête sans espoir de retour ».
* 15 Alain Etchegoyen :
« Le corrupteur et le corrompu », éd.
Julliard, 1995, p. 41.
* 16 Alain Etchegoyen :
« Le corrupteur et le corrompu », éd.
Julliard, 1995, p. 43
* 17 Enquête FIDS
Ernest &Young : « Dénoncer les abus liés
à la fraude, aux pots de vin et à la corruption.
Multinationales : perceptions pour la France », 2007.
* 18 Ethifinance et
Transparency International France : « Etude sur la
prévention de la corruption dans les grandes entreprises
françaises », juin 2006.
* 19 Lancé le 8
décembre 1993, l'indice SBF 120 est composé de 40 valeurs de
l'indice CAC 40 auxquelles s'ajoutent 80 valeurs du premier marché.
* 20
PricewaterhouseCoopers : « Enquête sur la fraude dans
les entreprises en France, en Europe et dans le Monde ». Edition
2005.
* 21 Selon le rapport,
près de 47 % des entreprises françaises ont été
victimes d'actes de criminalité économique au cours des deux
dernières années contre 43 % il y a deux ans.
* 22 Control Risks est une
société de conseil spécialisée dans la
prévention de la corruption. Simons & Simons est un cabinet
d'avocats international.
* 23 Lettre d'information
trimestrielle de Transparence-international (France), n° 31,
décembre 2006, p. 8. Disponible sur le site
www.transparence-france.org
* 24 Rudy
Aernoudt : « CORRUPTION À FOISON, Regards sur un
phénomène tentaculaire », Economie et
Innovation, L'Harmattan, Innoval, p. 60.
* 25 B.Mandeville est un
médecin et philosophe néerlandais. Sa célèbre fable
des abeilles et tirée de son ouvrage intitulé :
« The Fable of the Bess », Private vices, Public Benefits,
Hackett, 1984.
* 26 Rudy
Aernoudt : « CORRUPTION À FOISON, Regards sur un
phénomène tentaculaire », Economie et
Innovation, L'Harmattan ; p. 61.
* 27 Hervé
Magnouloux : « La corruption » ; Collection
ETHIQUE et DEONTOLOGIE dirigée par Jean-Yves Naudet Centre de
Recherche en Ethique Economique et des Affaires et Déontologie
Professionnelle, librairie de l'université d'Aix en Provence,
éd 2005, p. 56.
Hervé Magnouloux traite dans son récit de
l'optimisation des résultats d'une économie administrée
par la corruption. De fait le champ d'application se situe sur le terrain de la
corruption publique et non pas sur celui de la corruption privée.
Cependant, l'exemple nous apparaît transposable au secteur privée,
notamment dans le cas d'appel d'offre pour un marché, de
sous-traitance.
* 28
http://web.worldbank.org
* 29 Jean de Maillard :
« Un monde sans loi » ; éd. Stock ;
1998.
* 30 M. Sauloy et M. Le
Bonniec : « A qui profite la cocaïne » ;
Calmann-Lévy, 1992, cité par Rudy Aernoudt dans
« CORRUPTION À FOISON, regards sur un phénomène
tentaculaire » ; Economie et Innovation, L'Harmattan, p.
63.
* 31 L'IPC est un indice
composite, utilisant des enquêtes menées auprès d'hommes
d'affaires et les évaluations d'analystes-pays pour fournir un
aperçu annuel des perceptions de la corruption dans tel ou tel pays.
* 32 Les pays en
développement qui sont, dans l'ensemble et avec de notables exceptions,
moins bien classés que les pays industrialisés, ont
reproché à l'IPC de donner une image imparfaite à la
corruption, en limitant son analyse aux jugements portés sur le
comportement des corrompus, à l'exclusion de celui des corrupteurs,
lesquels sont en grande partie des sociétés ayant leur
siège dans les pays industrialisés.
* 33 Comme nous le verrons
plus tard dans l'étude de l'incrimination de la corruption
privée, pour que soit mise en oeuvre une action sur ce chef, la personne
corrompue ne devra ni être dépositaire de l'autorité
publique, ni être chargée d'une mission de service public, ni
exercer une fonction publique.
* 34 Transparency
International : « Combattre la corruption, Enjeux et
perspectives » ; éd. Karthala, p. 47.
* 35 John Sullivan est
directeur administratif du CIPE (Center for international private entreprise),
qui est une filiale de la chambre de commerce des Etats-Unis. Aleksandr
Shkolnikov est responsable de programme au CIPE.
* 36 John Sullivan et Aleksandr
Shkolnikov : « Combating Corruption : Private Sector Perspectives and
Solutions »
Economic Reform, septembre 2004, n ° 0409.
* 37 Christian Curtil :
« Le délit de corruption dans les
entreprises » ; Les Echos du 19/06/06, p. 14.
* 38 L'un des premiers
textes officiels dans lequel il est expressément fait
référence à la lutte contre la corruption est l'ordonnance
du 23 mars 1302 sur la réforme du royaume prise par Philippe le Bel. Il
y indique clairement à ses baillis, sénéchaux et
prévôts les règles à respecter pour que leur
décision ne puissent être entachées
d'irrégularités ou de favoritisme. Ordonnance disponible sur le
rapport d'activité du Service Central de Prévention de la
Corruption pour l'année 2001, p. 16.
* 39 La première
modification est due à une ordonnance du 8 février 1945, qui
consistait à compléter les termes de l'article 177 de 1810, afin
d'étendre l'incrimination de corruption privée aux actes
facilités par la fonction de l'agent, dans le but de faire cesser
l'impunité de la para-corruption privée.
La seconde sera opérée par la loi dite
« d'adaptation » n°92-1336 du 16 décembre 1992
relative à l'entrée en vigueur du nouveau Code pénal.
Cette loi aura pour effet, d'une part de dépénaliser le
délit, faisant porter le maximum de la peine d'emprisonnement de trois
à deux ans. D'autre part, de transférer le siège du
délit à l'article L.152-6 du Code du travail.
* 40 Loi n°2005-750 du
4 juillet 2005.
* 41 Décision cadre
2003/586/JAI du Conseil de l'Union Européenne qui abroge l'action
commune de l'Union Européenne du 22 décembre 1998 relative
à la corruption dans le secteur privé.
* 42 Partie
inspirée de : Marc Segonds : « Corruption active et
passive de personnes n'exerçant pas une fonction publique »,
JurisClasseur Pénal des Affaires, 15 septembre 2006.
* 43 L'article 121-2 du Code
pénal énonce que « Les personnes morales, à
l'exclusion de l'Etat, sont responsables pénalement, selon les
distinctions des articles 121-4 à 121-7, des infractions commises, pour
leur compte, par leurs organes ou représentants ».
* 44 Convention
pénale sur la corruption du Conseil de l'Europe ; Strasbourg 27
janvier 1999, Série des traités européens n° 173,
article 7 et 8.
* 45 Michel Veron :
« Droit pénal des affaires » ; Armand Colin,
Compact, 6ème édition, p. 67.
* 46 Défaut
également présent au sein de l'article 433-1 qui prévoit
la forme active de la corruption publique.
* 47 Arrêt de la
Chambre criminelle de la Cour de cassation, 8 octobre 2003, Juris data n
° 2003-020588.
* 48 Arrêt de la
Chambre criminelle de la Cour de cassation du 18 juillet 1985. Bulletin
criminel 1985, n°269.
* 49 Arrêt de la
Chambre criminelle de la Cour de Cassation du 14 janvier 1991. Juris-data
n° 1991-001573.
* 50 Arrêt de la
Chambre criminelle de la Cour de cassation du 8 décembre 1966. Bulletin
criminel 1966, n° 285.
* 51 Arrêt de la
Chambre criminelle de la Cour de cassation du 15 janvier 1986. Juris-data
1986-000146.
* 52 En ce sens, le
législateur interne a suivie la volonté du législateur
communautaire qui, en vertu des dispositions de l'article 2§1 de la
décision cadre du conseil de l'Union Européenne du 22 juillet
2003, avait expressément invité à retenir dans les liens
de la prévention tout « avantage indu de quelque nature que ce
soit », que cet avantage soit indifféremment destiné
à la satisfaction même de l'agent corrompu ou à celle d'un
« tiers ».
* 53 Arrêt de la
Chambre criminelle de la Cour de cassation du 9 février 2005. Juris-data
n° 2005-027764.
* 54 Circulaire de
présentation des nouvelles infractions de corruption active et passive
dans le secteur privé issues de la loi n° 2005-750 du 4 juillet
2005 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le
domaine de la justice. CRIM 2006 04 G3/14-02-2006. NOR : JUSDO63017C.
* 55 Michel
Veron : « Droit pénal des affaires »,
éd. Armand Colin, Compact, 6ème
édition, p. 66.
* 56 Toutefois, des
controverses concernant la suppression de la preuve de
l'antériorité du pacte corrupteur émanèrent de la
part des parlementaires lors du vote de la loi. Certains déclaraient en
effet l'ineffectivité de cette suppression, proclamant que nonobstant
celle-ci, l'ordre des éléments constitutifs du délit de
corruption demeurait le même. La sollicitation après
l'accomplissement de l'acte ne saurait être considérée
être faite pour accomplir un acte qui l'est déjà.
* 57 Jacques Gazeaux :
« La pratique judiciaire française en matière de lutte
contre la corruption ». Article remis par le juge Jacques Gazeaux aux
étudiants du Master II « Prévention et
répression de la délinquance économique et
financière et de la criminalité organisée » lors
de son cours intitulé « Répression des délits
financiers », du 29 novembre 2006 au Centre d'études des
techniques d'ingénierie et financière (CETFI).
* 58 Arrêt de la
Chambre criminelle de la Cour de cassation du 29 juin 2005. Jurisdata n°
2005-029608, Bulletin criminel 2005, n° 200.
* 59 Arrêt de la
Chambre criminelle de la Cour de cassation du 4 avril 1997. Jurisdata n°
1997-000569, Bulletin criminel 1997, n° 45.
* 60 Arrêt de la
Chambre criminelle de la Cour de cassation du 11 janvier 2001. N°
00-80.524.
* 61 Arrêt de la
Chambre criminelle de la Cour de cassation du 22 juin 1999. N°
98-85-258.
* 62 Wilfried
Jeandidier : « Du délit de corruption et des
défauts qui l'affectent », La Semaine Juridique
Edition Générale, n°39, 25 septembre 2002.
* 63 Ainsi dans l'ancien
système, pour la corruption de fonctionnaire, l'amende pouvait
être double de la valeur des promesses agrées ou des choses
reçues ou demandées, en vertu des dispositions de l' article 177
alinéa 1 de l'ancien Code pénal.
* 64 Cette transposition est
d'ailleurs évoquée en doctrine, notamment par M.Delmas-Marty dans
« Les conditions de fond de mise en jeu de la responsabilité
pénale » : Revue des sociétés 2004,
p. 301, spécialement p. 304.
* 65 L'article 706-73 du
Code de procédure pénale prévoit actuellement une liste de
17 infractions pour lesquelles le magistrat instructeur se voit offert la
possibilité d'appliquer des règles dérogatoires de
procédure.
* 66 Ne contenant au
départ qu'une liste de quinze infractions, le législateur est
venu compléter cette liste, et l'article 706-73 en compte
désormais dix sept.
* 67 Arrêt de la
Chambre criminelle de la Cour de cassation, 4 février 1997. bulletin
criminel 1997, n° 45.
* 68 Rapport du Service
Central de Prévention de la corruption pour l'année 2002 ;
éd. La Documentation française, p. 8.
* 69 Distinction
développée lors d'une conférence donnée en 1919
« Politik als Beruf » dont la traduction sous le titre
« Le métier et la vocation d'homme politique » est
publié dans « Le savant et le politique »,
Bibliothèque 10/18, Paris, p. 123 et suiv.
* 70 Patrice
Meyer-Bisch : « L'éthique économique :
une contrainte méthodologique et une condition d'effectivité des
droits humains ». Economie Ethique N° 5 ;
SHS-2003/WS/36. Publication de l'organisation des Nations Unies pour
l'éducation, la science et la culture.
* 71 Le professeur Lynn
Paine qui a crée ce diagramme, l'appelle « La boussole du
manager ».
* 72
http://www.ethiquedesorganisations.com/definition.php
* 73 Caroline Lechantre,
Les Echos du 1er mars 2007, n° 19868, p. 35.
* 74 Gérard Kuster
est directeur de l'éthique chez SUEZ.
* 75 Novethic / Service
Central de Prévention de la Corruption : « Transparence
des multinationales françaises en matière de lutte contre la
corruption. Le traitement de l'enjeu « corruption »
dans le reporting développement durables des entreprises du CAC 40 en
2004 et 2005 ». Septembre 2006.
* 76 Claude
Mathon : « Corruption et mensonge ». Claude
Mathon est magistrat, et anciennement directeur du Service Central de
Prévention de la Corruption.
a1692.g.akamai.net/f/1692/2042/0/investigation.blog.lemonde.fr/files/corruption_et_mensonge.pdf
-
* 77 Rapport
d'activité du Service Central de Prévention de la Corruption pour
l'année 2002 ; éd. La documentation Française, p.
10.
* 78 Ibid.
* 79 Novethic / Service
Central de Prévention de la Corruption : « Transparence
des multinationales françaises en matière de lutte contre la
corruption. Le traitement de l'enjeu « corruption »
dans le reporting développement durables des entreprises du CAC 40en
2004 et 2005 ». Septembre 2006.
* 80 Littéralement
« souffler dans le sifflet ».
* 81 Les exemples suivants
sont directement tirés de l'étude effectuée par le Service
Central de Prévention de la Corruption (SCPC) et la
société Novethic intitulé : « Transparence
des multinationales françaises en matière de lutte contre la
corruption : le traitement de l'enjeu « corruption »
dans le reporting développement durable des entreprises du CAC 40 en
2004 et 2005 », p 113 et suivantes.
* 82 Rapport
d'activité du Service Central de Prévention de la
Corruption pour l'année 2003 ; p. 128.
* 83 Ibid
* 84 Paul
Latimer : « Reporting suspicious of money laundering and
Whistleblowing : The legal and other implications for intermediaries and their
advisers », Journal of financial crime, Volume 10, n° 1.
* 85 Claire Gatinois :
« Les salariés français rechignent à
dénoncer la corruption dans leur entreprise », Le Monde
du 6/06/2007.
* 86 Décision n°
2005-110 pour la société Mc Donalds et décision
n°2005-111 pour la société Compagnie Européenne
d'Accumulateurs. Pour un résumé de ces décisions voir le
site de la CNIL, en particulier
http://www.cnil.fr/index.php?id=1832
* 87 Philippe Cohen :
« Whistleblowing, la raison l'emportera ». Echanges,
juillet 2006, n° 234, p. 44 et 45.
* 88 Rapport
d'activité du Service Central de Prévention de la Corruption pour
l'année 2003 ; p. 127.
* 89 Les Echos :
« La fraude prospère en entreprise » ;
1er avril 2004.
* 90
PricewaterhouseCoopers : « Enquête sur la fraude dans
les entreprises en France, en Europe et dans le Monde ». Edition
2005.
* 91 Alain Etchegoyen :
« Le corrupteur et le corrompu » ; éd. Julliard
1995, p. 60.
* 92 Rapport
d'activité du Service Central de Prévention de la Corruption pour
l'année 2006 ; éd. La documentation Française,
p. 113.
* 93 Ibid, p. 115.
* 94 Noël Pons :
« Quand les logiciels « souples » facilitent la
fraude ». Audit Interne n° 174 - avril 2005 ; p.
30.
* 95 Ibid, p. 31.
* 96 Noël Pons et
Valérie Berche : « Pour une méthodologie d'audit
adaptée au conflit d'intérêts » ; Audit
Interne n° 182 - décembre 2006, p. 7.
* 97 Rapport
d'activité du Service Central de Prévention de la
Corruption pour l'année 2006 : La documentation
française, p. 117.
* 98 Rapport
d'activité du Service Central de Prévention de la
Corruption pour l'année 2006 : La documentation
française, p. 118.
* 99 Noël Pons et
Valérie Berche : « Pour une méthodologie d'audit
adaptée au conflit d'intérêts » ; Audit
Interne n° 182 - décembre 2006, p.8.
* 100 Ibid.
* 101 Il existe cependant
des délais de prescription plus long. Tel est le cas notamment pour les
délits d'agression sexuelle aggravée sur mineur, de crime ou de
torture sur mineur qui se prescrivent sur une durée de vingt ans. La
prescription peut également s'étendre sur trente ans pour des
actes terroristes. L'imprescriptibilité est accordée aux crimes
contre l'humanité, crimes de guerre. Mais il existe aussi des
délais de prescription plus court, comme par exemple en matière
d'infractions de presse, infractions qui connaissent un délai de trois
mois.
* 102 Il convient de
signaler sur ce point, que les textes n'incriminent pas la tentative de
corruption car l'infraction, comme nous venons de le dire, est consommée
du seul fait de la sollicitation ou de l'offre et indépendamment de la
suite qui lui sera donnée.
* 103 Le législateur
incrimine le délit d'abus de bien sociaux en des termes identiques dans
les sociétés à responsabilité limité (SARL)
- article L. 241-3, 4° et 5° - et dans les sociétés
anonymes (SA) - article L. 242-6, 3° et 4°. Il ressort de ces textes
que ce délit suppose la réunion de quatre
éléments : un acte d'usage des biens, du crédit ou
des pouvoirs, un acte contraire à l'intérêt social, un acte
accompli dans un intérêt personnel, un acte accompli de mauvaise
foi.
* 104 L'abus de confiance
prévu par l'article 314-1 du Code pénal énonce que
« L'abus de confiance est le fait par une personne de
détourner au préjudice d'autrui, des fonds, des valeurs ou un
bien quelconque qui lui ont été remis et qu'elle a accepté
à charge de les rendre, de les représenter ou d'en faire un usage
déterminé ».
* 105 Voir à cet
égard la décision rendue par la Chambre criminelle de la Cour de
cassation du 27 juillet 1993. Il s'agissait en l'espèce d'une
dénonciation au parquet par des inspecteurs des impôts agissant
dans le cadre de poursuite pour fraude fiscale. La Cour a admis que la
prescription ne courait qu'à compter du jour de la découverte de
l'abus de bien sociaux, c'est-à-dire le jour de la dénonciation
par les services fiscaux.
* 106 Ces critiques
émanaient du fait que si un personne commettait un abus de bien sociaux
en janvier 2000, et que la découverte des faits délictueux
n'intervenait qu'en janvier 2010, alors des poursuites pénales pouvaient
être engagées à l'égard de l'auteur de l'acte
jusqu'en janvier 2013. En comparaison, lorsqu'un meurtre est commis et que
celui-ci est découvert, le délai de prescription commence
à courir immédiatement. De fait, il suffit par exemple que le
criminel s'expatrie pendant une durée de 10ans, pour qu'à la fin
de cette durée il ne puisse plus être poursuivi sur le chef de
meurtre. L'écoulement de ces dix années lui assure donc par la
suite une totale impunité, ce qui n'est pas le cas en matière
d'abus de bien sociaux, d'où l'évocation de
l'imprescriptibilité de ce délit.
* 107 Michel Veron :
« Droit pénal des affaires » ; Armand
Colin, Compact. 6ème édition, p. 68.
* 108 Rapport du Service
Central de Prévention de la Corruption pour l'année 1997 ;
éd. La documentation Française, p. 27.
* 109 Loi du 29 janvier
1993, n° 93-122.
* 110 Décision du
Conseil constitutionnel du 20 janvier 1993, n° 92-316.
* 111 En 2002, seuls trois
dossiers ont été transmis au parquet par le SCPC.
* 112 Rapport
d'activité du Service Central de Prévention de la Corruption pour
l'année 2001 ; éd. La documentation Française,
p. 105.
* 113 Ibid, p. 103.
* 114 Daniel Dommel :
« Face à la corruption » ; éd.
Karthala, p. 110 et 111.
* 115 Voir à cet
égard l'enquête du Service Central de Prévention de la
Corruption (SCPC) et de la société Novethic
intitulé : « Transparence des multinationales
françaises en matière de lutte contre la corruption : le
traitement de l'enjeu « corruption » dans le reporting
développement durable des entreprises du CAC 40 en 2004 et
2005 », spécialement p. 61 et suiv.
* 116 Ibid, p. 58.
* 117 Octave Gelinier
cité par Daniel Dommel dans « La lettre de
transparence » ; Lettre d'information de Transparence
International (France), novembre 2005, n° 27.
* 118 Alain
Etchegoyen : « Le corrupteur et le
corrompu » ; éd. Julliard, p. 81.
* 119 Rapport du Service
Central de Prévention de la Corruption pour l'année 1999 ;
éd. La documentation Française, p. 91.
* 120 Rudy Aernoudt :
« CORRUPTION A FOISON. Regards sur un phénomène
tentaculaire » ; éd. Economie et Innovation,
L'Harmattan, Innoval, p. 73.
|
|