V) Asymétrie au niveau de l'accès
à la justice internationale économique.
À ce stade, nous avons traité des motifs
à l'appui de l'accès de la société civile à
la justice internationale économique. Cette dernière y
accèderait comme sujet actif de droit international au même titre
que les multinationales ou les investisseurs. De plus, les symétries
entre ces deux acteurs non étatiques que nous venons d'identifier
militent pour leur accorder un statut égalitaire. Il s'agit maintenant
d'identifier le domaine où un double standard existe entre ces deux
forces, soit l'asymétrie au niveau de l'accès à la justice
internationale économique.
1) L'accès direct des investisseurs
Le Chapitre XI de l'ALENA et les TBI sont
considérés comme un << human rights treaty
>> ou comme un << bill of rights >> pour les
investisseurs315. Le Chapitre XI et les TBI accordent des droits et
des protections conséquents pour les investisseurs étrangers,
garantis par un mode de règlement de différend accessible
directement à l'investisseur lésé. Cela lui permet
d'intenter un recours devant une juridiction
315 Charles BROWER II, «NAFTA's Investment Chapter:
Initial Thoughts about Second-Generation Rights», Vanderbilt Journal of
Transnational Law, Fiona BEVERIGDE (dir.), Globalization and International
Investment, Burlington, Ashgate, 2005, p.384; D. SCHNEIDERMAN, op.
cit., note 34, p. 69.
arbitrale internationale sans être nécessairement
obligé de recourir aux tribunaux internes316.
Les investisseurs bénéficient en effet des
garanties du procès équitable dont la garantie contre le
déni de justice317. L'application de ce principe a connu un
élargissement récent dû notamment à
l'émergence de procédures prévues en vertu des TBI
permettant aux victimes d'agir directement contre les États afin
d'être dédommagées318. Grâce aux TBI,
l'investisseur étranger pourrait saisir une juridiction arbitrale
internationale, indépendante et impartiale qui se prononcerait sur le
déni de justice et sur la responsabilité de l'État selon
le droit international.
Le CIRDI est un exemple de ce type de juridiction.
Entrée en vigueur en 1966 dans le cadre du groupe de la Banque mondiale,
la Convention du CIRDI avait pour but de créer un forum de
règlement de différends regroupant investisseurs et États.
Le processus arbitral encadré par l'institution implique une
procédure contradictoire, une garantie des droits de la défense,
l'égalité entre les parties ainsi qu'une décision
fondée sur des considérations juridiques et non
politiques319. Les investisseurs peuvent donc dépendre sur
une juridiction qui respecte leur droit à un procès
équitable, ce qui n'est pas souvent le cas devant les juridictions des
pays d'accueil.
Les TBI visent par ailleurs la protection des investissements
étrangers à travers la juridicisation (legalization) des
relations commerciales internationales. Il
316 Une illustration intéressante de ces droits
intervient dans une affaire où un investisseur, ayant la double
nationalité égyptienne et italienne, abandonne la première
pour poursuivre l'Égypte en vertu du traité d'investissement en
vigueur entre ses deux pays. L'investisseur était convaincu
d'avoir plus de chance à obtenir une juste compensation devant un
tribunal arbitral international. En effet, sans motif, ni justification,
l'État égyptien lui avait tout simplement confisqué un
terrain qu'il avait acquis pour un projet de développement touristique.
Voir Waguih Elie George Siag et Clorinda Vecchi c. Égypte dans
Walid BEN HAMIDA, « La notion d'investisseur : les nouveaux défis
de l'accès des personnes physiques au CIRDI », dans Ibrahim
FADLALLAH et al. (dir.), Investissements internationaux et arbitrage,
Paris, La Gazette du Palais, Décembre 2007, p. 32.
317 J. PAULSSON, op. cit., note 162, p.2.
318 Id., note 162, p.3.
319 N. QUOC DINH, op. cit., note 221, p. 827.
s'agit d'un phénomène par lequel la
présence et la force obligatoire du droit s'accroissent et par lequel le
rôle du droit tend à se renforcer dans la conduite des relations
internationales320. Ladite juridicisation s'est
matérialisée et s'est concrétisée par la
juridictionnalisation du règlement des différends internationaux,
signifiant que leur règlement se fait par un mécanisme
ressemblant de plus en plus à une juridiction internationale, soit de
plus en plus similaire à un tribunal judiciaire. Grâce à
une volonté internationale de juridiciser les relations commerciales, il
y a eu un développement d'un mécanisme de règlement des
différends commerciaux internationaux de plus en plus
juridictionnalisé321. L'objectif est ainsi de garantir
l'accès à la justice, soit le droit à un recours et le
droit à un juge aux investisseurs étrangers selon les
préceptes de la règle de droit et du procès
équitable. C'est à cet effet et tel que discuté plus haut
que les multinationales et les investisseurs défendent et
réclament désormais la règle de droit322.
Ce constat est illustré dans le nouveau TBI entre
l'Australie et les États-Unis signé en 2004. Ce traité
contient les dispositions typiques concernant la protection et la promotion des
investissements directs entre les deux pays. En revanche, l'accord
diffère de ceux qui ont été signés récemment
par les États-Unis puisqu'il ne prévoit aucun mode de
règlement de différend pour son application. Le traité
n'octroierait aucun recours direct aux investisseurs devant des juridictions
arbitrales internationales. Selon le gouvernement australien, les raisons sont
les suivantes :
320 Charles-Emmanuel CÔTÉ, « La
participation des personnes privées dans le règlement des
différends internationaux économiques : Les cas de
l'élargissement du droit de porter plainte à l'OMC »,
Montréal, Thèses de doctorat de McGill, 2005, p.11; D.
SCHNEIDERMAN, op. cit., note 34, p. 206.
321 Id., note 309, p. 13.
322 D. SCHNEIDERMAN, op. cit., note 34, p. 222.
<< «The Parties' open economic
environments», their «shared legal traditions, and the confidence of
investors in the fairness and integrity of their respective legal
systems»323».
Le mécanisme de règlement des différends
prévu typiquement dans les TBI n'était pas nécessaire en
l'espèce puisque l'investisseur américain ou australien peut
s'attendre à un système de common law similaire au sien,
à un traitement juste et équitable par l'administration ainsi
qu'à un respect des exigences du procès équitable devant
les tribunaux de droit commun.
En effet, l'ALENA et le règlement de différend
arbitral prévu sont initialement des outils
d'imperméabilité des investissements contre les défis
judiciaires et administratifs du Mexique. L'ALENA impose également des
principes de la rule of law américaine et de libre
échange. Les signataires s'engagent à respecter la << norme
minimale de traitement », le << traitement juste et équitable
» et la << protection et sécurité intégrale
» qui sont des principes incarnant le constitutionnalisme libéral
américain324. Selon la vision américaine, le but est
d'instaurer un modèle de libéralisme économique adoptant
la règle de droit dans la règlementation des marchés et
qui permettra la promotion de la liberté économique. La
règle de droit accorderait aux investisseurs une série de
protections ou de garanties couvrant les diverses discriminations, les
expropriations sans indemnisation, le traitement juste et équitable
ainsi que la protection et sécurité entière pour leurs
323 Citant l'Australian Department of Foreign Affairs and
Trade dans Id., note 34, p. 220.
324 Emmanuel DARANKOUM, << L'arbitrage commercial
international », dans Guy LEFÈBVRE et Stéphane ROUSSEAU
(dir.), Introduction au droit des affaires, Montréal, Thémis,
2006, p.672; D. SCHNEIDERMAN, op. cit., note 34, p. 206.
investissements325. Ce modèle de
libéralisme économique assurerait une stabilité et une
prévisibilité accrues dans le domaine de l'investissement
étranger direct326.
Du fait de l'inexistence d'un régime
multilatéral universel d'investissement, les TBI constituent le
véritable régime du droit de l'investissement étranger
direct. Étant une composante du droit international, ces règles
sont considérées comme étant
supra-constitutionnelles327. Grâce à ce régime,
les entreprises deviennent de véritables sujets du droit international
de l'investissement328. Elles sont capables d'exécuter et de
sanctionner des violations aux obligations de droit international et de les
imposer aux États grâce à l'arbitrage329.
L'objectif d'attraction des investissements étrangers a
pour conséquence d'accorder de plus amples droits aux investisseurs. Cet
objectif a omis cependant la considération des droits des personnes
affectées par les violations commises par les investisseurs dans la
conduite de leurs activités330. Les justiciables
affectés n'ont aucun recours ni aucune garantie d'accès devant la
juridiction arbitrale. Cette dernière est désormais la
juridiction exclusive, responsable pour entendre les litiges découlant
de l'application du traité d'investissement en vertu duquel
l'investisseur a pu mener ses activités.
|