WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

L'accès de la société civile à  la justice internationale économique

( Télécharger le fichier original )
par Farouk El-Hosseny
Université de Montréal - LLM 2010
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

IV) Quelles symétries entre multinationales et société civile ?

En traitant plus haut de la société civile et des multinationales comme sujets potentiels de droit international, nous avons relevé l'existence de symétries entre ces deux acteurs non étatiques. Tout d'abord, toutes deux se sont projetées sur la scène de l'ordre juridique international strictement horizontal ou interétatique, façonnée initialement par les États, pour les États. Il nous faut identifier dans cette partie des symétries additionnelles quant à leurs intérêts pour des préoccupations non

185 P. DUMBERRY, op. cit., note 45, p. 117.

186 Id., note 45, p. 116.

187 A. MANIRUZZAMAN, op. cit., note 140, p.88.

188 M. DELMAS-MARTY, op. cit., note 63, p. 27.

189 D. SCHNEIDERMAN, op. cit., note 34, p. 111 et p. 204; D. FRENCH, op. cit., note 35, p. 63.

marchandes, leur soutien aux instruments de soft law, leurs efforts de propager la règle de droit internationale, leur rôle à initier des procédures internationales économiques et enfin par rapport à l'opposition à leur participation. Une fois lesdites symétries identifiées, nous traiterons par la suite de l'asymétrie qui existe entre ces deux acteurs au niveau de leur accès à la justice internationale économique, et sur l'existence manifeste d'un double standard en dépit du rapport d'égalité notoire entre les deux acteurs en tant qu'acteurs non étatiques.

1) Intérêts pour des préoccupations non marchandes

Les multinationales et la société civile ont des intérêts communs pour des préoccupations non marchandes. Nous relèverons les exemples du développement durable et de la responsabilité sociale des entreprises multinationales (RSE). Les deux représentent des préoccupations non marchandes qui constitueraient un chemin commun où ces deux forces parallèles se croisent et se complètent.

Tel que soulevé plus haut, le développement durable est une préoccupation non marchande qui pourrait rassembler la société civile et les multinationales. La société civile exige que le développement durable soit intégré dans l'analyse du droit international économique. Cela impliquerait ultimement l'obligation de mise en oeuvre des mesures environnementales appropriées dans la conduite des activités de développement économique190. Cette dernière obligation a été analysée dans un différend devant la Cour permanente d'arbitrage.

L'affaire opposait la Belgique aux Pays-Bas191. Les deux pays étaient en désaccord à propos de l'impact environnemental de la réactivation et de la modernisation d'un chemin de fer construit dans le cadre d'un droit de passage datant de 1839 octroyé à la Belgique et ce, en vertu du traité de séparation des deux pays192. En prévoyant la modernisation du chemin de fer, la Belgique a soulevé que les exigences environnementales néerlandaises rendaient l'exécution du projet impossible financièrement. La Cour permanente d'arbitrage a réitéré dans sa décision l'appartenance des principes du droit environnemental au corpus du droit positif international. Étant donné que les règles du droit international sont applicables entre les parties, le projet de réactivation doit intégrer les mesures adéquates de protection environnementale. Cela signifie que les parties ont l'obligation de se soumettre au principe d'intégration et de développement durable193. Les coûts de réactivation, qui selon le traité devaient être assumés par la Belgique, incluent automatiquement et obligatoirement les mesures nécessaires à la protection de l'environnement194.

C'est cette approche d'intégration qui a été longtemps soulevée par la société civile devant les juridictions de l'OMC ou devant celles d'arbitrage des différends d'investissements que nous examinerons ci-dessous. Tel que nous l'avons abordé plus haut, la société civile a longtemps appelé au soutien de la doctrine à décloisonner le droit international économique en l'appliquant à la lumière des autres principes de droit international, notamment le droit international de l'environnement195. En effet, une complémentarité et une convergence entre droits marchands et droits non

191 Affaire du «Rhin de fer», Belgique c. Pays-Bas, CPA 24 mai 2005.

192 Id., note 190, p. 648.

193 Id., note 190, p. 648.

194 Id., note 191, p. 93.

195 C. CÔTÉ, op. cit., note 35, p. 419; H. ASCENSIO, op. cit., note 67, p.924.

marchands se retrouvent autour du concept de développement durable et du droit au développement196. D'une part, la démocratie et le développement sont reconnus comme étant des éléments cardinaux à l'épanouissement économique, permettant l'instauration d'un environnement propice à la croissance, la viabilité et la rentabilité des entreprises197. D'autre part, la démocratie et le développement sont des éléments constitutifs du processus du développement durable, qui vise entre autres à aborder les problématiques d'intérêts collectifs et intergénérationnels de l'humanité198.

Par ailleurs, des multinationales se sont appropriées le concept du développement durable199. Outre les considérations de relations publiques et d'amélioration de l'image corporative, le développement durable est désormais considéré par de nombreuses multinationales comme un objectif corporatif légitime puisqu'il octroie une certaine sécurité et viabilité à long terme aux marchés dans lesquelles elles opèrent et à leurs activités économiques. On parle alors d' « ecoefficiency »200. C'est dans cette perspective que l'Agenda 21 de l'ONU201 énonce que les multinationales et leurs organisations devraient être des participants à part entière dans l'implémentation et l'évaluation du programme et de l'initiative202. Grâce à leurs ressources et leurs capacités, les multinationales sont également appelées à avoir un rôle dans le développement des bénéfices socio-environnementaux des communautés locales auprès desquelles elles opèrent203. Les investissements étrangers ont été

196 M. DELMAS-MARTY, op. cit., note 5, p. 147.

197 Id., note 5, p. 146.

198 Id., note 5, p. 42.

199 S. TULLY, op. cit., note 47, p. 63.

200 Id., note 47, p. 63.

201 Agenda 21 est un programme lancé par l'ONU lors de la Conférence des Nations unies sur l'environnement et le développement qui s'est tenue à Rio de Janeiro en 1992. Le programme formule une série de recommandations à entreprendre par les acteurs mondiaux afin de répondre aux problématiques socio-environnementales à travers une approche de développement durable. Voir le portail d'Agenda 21, en ligne : http://www.un.org/esa/sustdev/agenda21.htm.

202 Id., note 47, p. 322.

203 J. ZERK, op. cit., note 34, p.45.

d'ailleurs reconnus en tant que force motrice essentielle dans l'atteinte de l'épanouissement économique et du développement durable des pays en développement204. La CCI - un regroupement international corporatif par excellence - a élaboré à ce titre un code de conduite sur le développement durable qui existe depuis 1991. Les multinationales et les organisations corporatistes sont ainsi fort présentes et actives lors des divers sommets et conférences concernant ce thème, dont le Sommet mondial pour le développement durable de Johannesburg de 2002. Leur participation s'est concrétisée à travers la circulation de documents et de publications sur leurs visions et sur leurs efforts pour le développement durable, les interventions orales et les présentations écrites, les participations lors des dialogues, des débats, et des tables rondes205. La déclaration du sommet a effectivement reconnu le besoin d'un processus intégrant leur apport.

En ce qui concerne la RSE, la société civile en général allant de ses acteurs modérés aux altermondialistes est préoccupée par le manque de responsabilité des multinationales dans la sphère internationale206. Les mécanismes d'opposabilité des droits de l'homme aux entreprises sont en effet quasiment inexistants207. Le mouvement de la RSE reste fragile, surtout aux vues des lacunes et du défaut de moyens des pays en développement incapables de la renforcer208. Les acteurs mondiaux semblent pourtant avoir une plus grande appréciation quant à l'équilibre nécessaire entre les droits et les obligations des multinationales209. Une telle nécessité

204 Chapitre 2.23, « Coopération internationale visant à accélérer un développement durable dans les pays en développement et politiques nationales connexes », «Agenda 21», en ligne:

http://www.un.org/esa/sustdev/documents/agenda21/french/action2.htm; Voir également E. KENTIN, op. cit., note 42, p. 312.

205 Id., note 47, p. 65.

206 J. ZERK, op. cit., note 34, p.21.

207 M. DELMAS-MARTY, op. cit., note 63, p.17.

208 E. DARANKOUM, op. cit., note 54, p. 151.

209 P. MUCHLINSKI, op. cit., note 56, p. 228.

est d'autant plus justifiée par la privatisation et la libéralisation croissantes qui contribuent à l'augmentation de leurs activités210. Suite à des pressions au sein de leurs pays, la Communauté européenne et les États-Unis sembleraient être plus attentifs à cette problématique211.

De nombreux acteurs de la société civile voudraient donc renforcer l'opposabilité de ces responsabilités et ces obligations au sein du même cadre qui accorde des droits aux multinationales. Ils plaident donc pour que la RSE soit une préoccupation qui pèse au niveau de l'ordre juridique international. Ce plaidoyer est soutenu par la publication de recherches, d'études et de rapports crédibles ainsi que par l'élaboration de guides et de codes de conduite212. Ces acteurs mènent également des audits en tant que moniteurs indépendants et militent pour des boycotts d'entreprises auprès des agences de crédits d'exportations213. Des ONG telles que Friends of the Earth (FoE), qui a été fort présente durant le Sommet mondial de développement durable de Johannesburg de 2002, soulèvent même l'élaboration d'un traité international portant sur la RSE214. La pression de la société civile est un grand facteur de l'intérêt croissant des pays développés, où la plupart des multinationales sont basées, quant aux standards socio-environnementaux de ces dernières à l'étranger215. Cette pression est renforcée par l'apparition d'un consommateur de plus en plus sensible aux questions relatives à la RSE et qui s'attend à la conformité aux

210 D. SCHNEIDERMAN, op. cit., note 34, p. 112.

211 À titre d'exemple, des clauses de droits de l'homme sont incluses dans les accords de Cotonou. Voir E. PETERSMANN, op. cit., note 24, p. 640-642.

212 Voir Institut international de développement durable, « Responsabilité sociale des entreprises : Guide de mise en oeuvre pour les entreprises », 2007, en ligne : http://www.iisd.org/publications/pub.aspx?id=884.

213 Un projet de loi aux Pays-Bas propose une telle exigence. En Allemagne et en France, les crédits d'exportations sont uniquement utilisés pour rappeler les principes des Directives. Voir J. ZERK, op. cit., note 34, p.189-191.

214 Friends of the Earth, « Towards binding Corporate Accountability », en ligne: http://www.foei.org/en/campaigns/corporates/towards.html; Id., note 34, p.95 et p.278.

215 Id., note 34, p.303.

standards similaires aux siennes, même s'ils sont plus stricts que les standards
locaux216. La société civile semblerait avoir effectivement accompli ce que de

nombreux pays en développement n'ont pas pu atteindre, soit affecter le comportement environnemental de plusieurs multinationales :

«(...) Namely by conducting public relations campaigns to gain leverage over firms that rely on building brand reputations. While globalization erodes the power of national governments to regulate firm conduct as falling barriers to trade and investment allow firms to exploit cross country differences in environmental regulations»217.

Par ailleurs, vu de l'angle de la gestion d'affaires, de plus en plus de

multinationales sont convaincues que la RSE pourrait contribuer à la productivité et
au rendement de l'entreprise218. De grandes multinationales basées au Canada telles

que SNC Lavalin et Alcan (aujourd'hui appelée Rio Tinto Alcan) ont adopté cette

philosophie en accordant une grande importance à la RSE dans la conduite de leurs
activités219. Il s'avère que la RSE est un concept que les multinationales se sont

appropriées. Ces dernières l'encadrent avec des codes de conduite et s'engagent à son respect à travers des initiatives telles que le Pacte mondial. Elles y référent constamment, notamment sur leurs produits à travers l' << Eco/Social labelling », en l'utilisant pour renforcer leurs réputations corporatives. Les normes environnementales ISO, dont l'ISO 14000, illustrent l'importance accordée par les multinationales à des problématiques non marchandes telles que l'environnement.

216 Petra CHRISTMAN et Glen TAYLOR, «Environmental Self Regulation in the Global Economy: The role of firm capabilities», dans S. M. LUNDAN (dir.), «Multinationals, Environment and Global Competition», London, ELSEVIER, 2004, p. 122.

217 Id., note 204, 124.

218 Business and Human Rights, «Why all companies should address human rights», septembre 2006, en ligne: http://www.ccainstitute.org/pdf/avery_business%26humanrights.pdf , p. 5; J. ZERK, op. cit., note 34, p.17.

219SNC Lavalin, << Rapport d'activité 2007 sur la durabilité », en ligne : http://www.snclavalin.com/pdf/current/hse_f.pdf.

Elles représentent à ce titre une véritable marque d'accréditation qui permet aux entreprises de mieux se commercialiser et de « vendre >> ce titre. Véritables outils de marketing, ce type d'investissements dans la responsabilité sociale entraîne des bénéfices à long terme pour l'entreprise, permettant d'éviter des débâcles de relations publiques et des atteintes à sa réputation corporative220. Celle-ci serait hautement vulnérable aux attentes du consommateur, des investisseurs, de la société civile et parfois même de l'État où le siège social de l'entreprise est situé221.

Le domaine du développement durable et de la RSE nous démontre enfin l'existence d'une symétrie, pour ne pas dire complicité, entre multinationales et société civile. Ce constat constitue un argument édifiant pour le rejet du manichéisme qui oppose souvent les deux. Cette opposition devrait être relativisée si l'on considère leur position de force face à l'État, qui se retrouve parfois en arrière-plan en ce qui concerne ces problématiques.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Le doute est le commencement de la sagesse"   Aristote