Université de Montréal L'accès
de la société civile à la justice internationale
économique Par : Farouk
EL-HOSSENY Faculté de droit
Mémoire présenté à la
Faculté des Études supérieures En vue de l'obtention du
grade de Maîtrise en droit (LL.M.) Option : droit des affaires
Décembre, 2009
Université de Montréal Faculté des
Études supérieures
Ce mémoire intitulé : L'accès
de la société civile à la justice internationale
économique Présenté par: Farouk
EL-HOSSENY
A été évalué par un jury
composé des personnes suivantes : M. Nabil
ANTAKI Président rapporteur
M. Emmanuel Sibidi DARANKOUM Directeur de recherche
Mme Marie-Claude RIGAUD Membre du jury
SOMMAIRE
La fin de la guerre froide amorça une nouvelle
ère de privatisation, de libéralisation et de
dérégulation sans précédent. L'internet et les
nombreuses autres avancées technologiques ont rapproché les
citoyens du monde à un degré impressionnant. Le monde au
XXIème siècle semble être plus interdépendant que
jamais. De nombreuses problématiques contemporaines dépassent
largement les contrôles et les frontières étatiques, des
problématiques reliées par exemple aux investissements
étrangers directs, aux droits de l'homme, à l'environnement,
à la responsabilité sociale des entreprises, etc. La
globalisation des marchés marque par ailleurs le recul de l'État
face aux acteurs non étatiques. La société civile et les
multinationales surgissent dès lors en tant que véritables
partenaires dans l'ordre juridique international. Cela est illustré
notamment par l'accès accordé aux multinationales/investisseurs
à la justice internationale économique. Ces derniers ont la
capacité de poursuivre un État qui violerait leurs droits
marchands découlant d'un TBI devant une juridiction arbitrale
internationale. Qu'en est-il par contre des droits non marchands violés
par les investisseurs ? Cette étude explore les motifs militant pour un
accès de la société civile à la justice
internationale économique. Le but d'un tel accès serait d'opposer
les droits non marchands, suscités par des problématiques
inhérentes à la globalisation des marchés, à la
fois à l'égard des États et à l'égard des
multinationales,
et auxquelles aucune réponse étatique
unilatérale ou interétatique ne peut remédier
adéquatement.
Mots-clés : société civile, droit non
marchand, justice internationale économique, amicus curiae, acteurs non
étatiques, ordre juridique international.
SUMMARY
The end of the cold war marked an unprecedented new era of
privatisation, liberalisation, and deregulation. Internet and the numerous
technological advancements have brought citizens of this world closer at an
astonishing degree. The world in the XXIst century seems more interdependent
than ever before. A number of contemporary problematic issues significantly
bypass State controls and borders. They are for instance related to foreign
direct investment, human rights, the environment, corporate social
responsibility, etc. Globalisation marks the State's retreat in favour of
non-state actors. In this light, civil society and multinationals appear as
significant partners in the international legal order. This is in part
reflected in the access given to multinationals/investors to international
trade law justice. They have the capacity to file claims against states in
front of international arbitration jurisdictions for violations of their trade
rights as provided under BITs. However, what about the non-trade rights that
may have been violated by investors? The present study explores the motives
that would justify civil society's access to international trade law justice.
The purpose of such access would be to stand for non-trade rights, raised by
problematic issues inherent to globalization, against States and
multinationals, and that cannot be remedied solely through unilateral nor
interstate efforts.
Keywords: civil society, non-trade rights, international trade
law justice, amicus curiae, non-state actors, international legal order.
Table des matières
Liste des sigles et abréviations 7
Introduction ...8
I) Qu'est-ce que la société civile ? 17
1) Définition de la « société civile
>> 17
2) La société civile à vocation de
développement 19
3) Quels acteurs de la société civile? 21
II) Pourquoi l'accès de la société civile
à la justice internationale économique ? 26
1) Le rôle de la société civile à
l'heure de la globalisation des marchés 27
2) Décloisonnement du droit international
économique 35
3) La société civile : défenderesse des
droits non marchands transnationaux 47
III) Obtenir l'accès à quel titre ? 52
1) Du rôle de « participants >> à un
« processus >> 53
2) Rapprochement au statut de « sujet >> de droit
international public 60
IV) Quelles symétries entre multinationales et
société civile ? 64
1) Intérêts pour des préoccupations non
marchandes 65
2) La soft law des acteurs non étatiques 71
3) L'intérêt mutuel pour la règle de droit
internationale 80
4) Initiation des différends au sein de l'OMC 83
5) L'opposition à leur participation 88
V) Asymétrie au niveau de l'accès à la
justice internationale économique. 94
1) L'accès direct des investisseurs 94
2) Vers le modèle du procès équitable 98
3) Fondement de l'accès à la procédure par
la société civile 107
VI) Quels effets suscités par l'intervention de la
société civile ? 117
1) Une transparence impérative et accrue 117
2) Une approche intégrée et progressiste 124
3) Réformes institutionnelles et zones grises quant au
droit d'accès 137
4) «Free Trade Agreements with a heart»
143
Conclusion 148
Bibliographie 158
LISTE DES SIGLES ET ABRÉVIATIONS
ALI - American Law Institute
ADPIC - Accord sur les droits de la propriété
intellectuelle
CEDH - Convention européenne des droits de l'homme
CIJ - Cour International de Justice
CCI- Chambre de commerce international
CICR- Comité international de la croix rouge
CIRDI- Centre international de règlement de
différends d'investissements
CPI - Cour pénale internationale
CNUCED - Conférence des Nations unies sur le commerce et
le développement CNUDCI - Commission des Nations unies pour le droit
international commercial DUDH - Déclaration universelle des droits de
l'homme
EDC - Export et développement Canada FMI - Fonds
monétaire international FoE - Friends of the Earth
FDI - Foreign Direct Investment
ISO - Organisation internationale de normalisation
IISD - International Institute for Sustainable Development
GAFI - Groupe d'action financière internationale
MAI - Multilateral Agreement on Investment
OCDE - Organisation de coopération et de
développement économique
OIT - Organisation internationale du travail
ONG - Organisation non gouvernementale
ONU - Organisation des Nations unies ORD - Organe de
règlement des différends
RSE - Responsabilité sociale des entreprises
multinationales
TBI - Traités bilatéraux d'investissement
UNIDROIT - Institut international pour l'unification du droit
privé
INTRODUCTION
Lors de la crise du tsunami en 2004, les États-Unis ont
fourni une aide de 657
millions de dollars. Grâce en grande partie à une
mobilisation << cyber-spatiale», les ONG ont amassé une
somme de 2 milliards de dollars1. Ces acteurs, dotés de
pouvoirs conséquents à l'instar de ce dernier
exemple, se regroupent dans la << grande famille »
hétérogène de la société civile. À la
fin de la première décennie du XXIème siècle, la
société civile est désormais un acteur central dans le
développement international, la lutte contre la pauvreté et les
opérations humanitaires.
La société civile ne s'est pas contentée
d'opérer sur le << terrain ». Pascal
Lamy, le directeur général de l'OMC, a
déclaré que la société civile exerce
une influence sur le programme de travail de l'OMC2. En effet,
tel que nous le verrons, la
société civile a pu véritablement percer
dans l'organisation en soulevant des problématiques de
développement durable, d'environnement, de santé, de droits de
l'homme et d'assistance aux pays les plus pauvres, c'est à dire des
préoccupations non marchandes. Il s'agit d'une percée dans une
organisation de commerce mondial, internationale et
interétatique.
Cette percée ne se limite pas à l'OMC. La
société civile intervient auprès des organes
législatifs, exécutifs et judiciaires de l'ordre juridique
international. Notre étude porte sur son intervention auprès des
organes/tribunaux de l'ALENA, de l'OMC et du Centre international pour le
règlement des différends relatifs aux
1 Don EBERLY, «The Rise of Global Civil Society:
Building Communities and Nations from the Bottom Up», New York, Encounter
Books, 2008, p.11.
2 Pascal LAMY, << La société civile exerce
une influence sur le programme de travail de l'OMC », Discours d'ouverture
du Forum public de l'OMC, 4 octobre 2007, en ligne :
http://www.wto.org/french/news_f/sppl_f/sppl73_f.htm;
p.2.
investissements de la Banque mondiale (le << CIRDI
>>)3. La société civile accèderait
à cette justice internationale économique afin de pouvoir
défendre des << droits non marchands >> susceptibles
d'être soulevés par l'application du droit international
économique4. Pour les soins de cette étude, la notion
de << droits non marchands >> inclut notamment les droits de
l'homme, le droit de l'environnement, les droits socioéconomiques, le
droit de la santé; soit tout droit non économique strictu
sensu - ou << marchand >> - tel que le droit de
l'investissement étranger, le droit de la propriété
intellectuelle, le droit de la concurrence, le droit du commerce international,
etc. Il importe également de noter que nous faisons
référence systématiquement aux notions de
<<préoccupations, questions, intérêts et aspects non
marchands >> lorsque nous traitons de dimensions plutôt politiques
que juridiques.
Cet accès de la société civile
constituerait une éventualité déduite d'une
réalité: les investisseurs ont effectivement accès
à ladite justice (sauf à l'OMC) pour défendre des droits
marchands. La société civile et les investisseurs (ou les
multinationales) sont des acteurs non étatiques, ayant tous deux
percé dans l'ordre juridique international afin de soulever leurs
visions et leurs intérêts, pourquoi dès lors un tel double
standard? Il importe donc de traiter de ladite percée de
façon préliminaire avant d'engager plus en avant notre
problématique.
3 La justice des organes/tribunaux de ces institutions
représente ce que nous entendons par la << justice internationale
économique >>.
4 Le recours à la notion de << droits non
marchands >> nous a été inspiré par les
échanges avec notre directeur de recherche, Mr. Darankoum, et par la
doctrine. En effet, divers auteurs référent aux notions suivantes
: << valeurs marchandes et non marchandes >> (Voir Mireille
DELMAS-MARTY, << Globalisation économique et universalisme des
droits de l'homme >>, Montréal, Les Éditions Thémis,
2003, p. 7-11); << principes non marchands, préoccupations, et
normes non marchandes >> (Voir Anne SUY, << La théorie des
biens publics mondiaux: une solution à la crise >>, Paris,
L'Harmattan, 2009, p.136-137); << non-
trade fields of law >> (Chad BROWN et Bernard
HOEKMAN, << WTO Dispute Settlement and the Missing Developing Country
Cases: Engaging the Private Sector >>, Journal of International Economic
Law Vol. 8 N. 4, Oxford University Press, 2005, p.879), << non-trade
issues >>, et << non-trade fields >> (Voir
Francesco SINDICO, << Soft Law and the Elusive Quest for Sustainable
Global Governance >>, Leiden, Leiden Journal of International Law, 2006,
p.842- 845).
La percée des acteurs non étatiques dans l'ordre
juridique international - ordre strictement interétatique - est
emblématique d'une nouvelle réalité bouleversante pour le
juriste classique, soit la perte par l'État de son monopole normatif. La
dynamique contemporaine transparaît en un << triangle normatif
» qui regroupe acteurs publics (les États), privés (les
multinationales) et civils (la société civile) où chacun a
un impact effectif sur le droit international5. La validité
de la vision classique, linéaire et verticale du droit international
où l'État est le seul et unique acteur est plus que jamais remise
en cause.
Nous pouvons entamer une modeste tentative ayant pour but de
retracer quelques éléments à l'origine de la perte par
l'État de son monopole normatif. Les racines de cette
réalité contemporaine ne peuvent être dissociées du
phénomène de la << globalisation des marchés ».
Ce phénomène serait marqué par deux grands mouvements
historiques de libéralisation. Le premier fut entamé à la
fin du XIXème siècle simultanément à la
révolution industrielle. Le deuxième fut déclenché
à la fin des années 1980 en concordance avec la fin de la guerre
froide6. Ce dernier mouvement entraîna la <<
déclaration de mort » de l'État providence. Le marché
ayant triomphé, des politiques et des mesures néolibérales
ont été répandues de façon
globalisée. Le << consensus de Washington »,
adopté par les États Unis et les institutions de Bretton Woods,
incita la mise en place d'une politique universelle de libéralisation,
de privatisation et de dérégulation7. Ainsi,
serions-nous
5 Mireille DELMAS-MARTY, << Les forces
imaginantes du droit : Le relatif et l'universel », Paris, les
Éditions du Seuil, 2004, p. 327.
6 Philippe NOREL, << État et
marché : Éléments pour l'histoire d'une synergie »,
dans Nicolas THIRION (dir.), Le marché et l'État à
l'heure de la mondialisation, Bruxelles, Larcier, 2007, p. 261.
7 Mireille DELMAS-MARTY, << Les forces
imaginantes du droit : La refondation des pouvoirs», Paris, les
Éditions du Seuil, 2007, p. 17.
paradoxalement parvenus à cette nouvelle
réalité en partie grâce à des politiques
systématiques étatiques ?
La globalisation des marchés nous apporte par ailleurs
des phénomènes d'interdépendances sans
précédents. L'État et ses institutions perdent le
contrôle sur de plus en plus de secteurs d'activités, l'exemple le
plus flagrant étant celui du secteur financier8. La crise
actuelle nous a certainement appris à quel point les marchés
financiers du monde sont interdépendants. Il aurait autrement
été possible de relever l'exemple du terrorisme, du
réchauffement climatique et de l'environnement, de la lutte contre la
corruption, de la lutte contre le SIDA, de la responsabilité sociale des
multinationales ou d'internet tout simplement. Tous ces exemples figurent parmi
les nombreuses problématiques contemporaines pour lesquelles des
solutions étatiques unilatérales ou même strictement
interétatiques seraient inadéquates. L'État ne peut pas
répondre tout seul aux problématiques de la globalisation des
marchés. Selon nous, l'apport des acteurs non étatiques, dont la
société civile, s'impose et de facto s'amplifie
progressivement.
Ayant brièvement décrit le contexte et la
réalité contemporaine, soit celui de la globalisation des
marchés et de la perte par l'État de son monopole normatif, nous
pouvons retourner à notre problématique. La société
civile récupère en effet de nouveaux attributs qui justifieraient
son accès à la justice internationale économique. Tel que
nous l'avons souligné, le but ultime d'un tel accès serait la
défense des droits non marchands. Nous exposons dans les paragraphes qui
suivent comment nous entendons soutenir cette idée.
La société civile constitue tout d'abord une
force normative puisqu'elle est créatrice de droit. Que ce soit dans le
domaine du droit humanitaire, du développement durable ou de l'arbitrage
commercial international, les experts hautement qualifiés de la
société civile contribuent au développement du droit
international. Il est vrai que le pouvoir normatif de la société
civile n'est pas formel. Par opposition aux normes étatiques, le
non-respect à ses normes n'est pas sanctionné juridiquement (par
une autre norme). Tel que soulevé par Santi Romano, la sanction pourrait
tout de même être une force agissant indirectement : << une
garantie effective qui n'engendre aucun droit subjectif établi par une
quelconque norme »9. D'une part, la société
civile trouve effectivement des procédés autres que normatifs
pour assurer la sanction aux violations de ses normes. D'autre part, la
légitimité de son pouvoir normatif émane en grande partie
de son savoir, de son expertise ou de sa spécialisation plutôt que
de son pouvoir coercitif (Partie I- Qu'est-ce que la société
civile ?).
Les organisations de la société civile sont par
ailleurs de véritables modulateurs entre préoccupations
marchandes et non marchandes. Les propos de Mireille Delmas-Marty
révèlent cet attribut: << (...) se voulant les
porte-paroles de la contestation et les dénonciateurs presque officiels
des effets pervers de la mondialisation économique (...)
»10. Grâce à son efficace pouvoir de mobilisation,
la société civile a pu forger un soutien transnational et
édifiant à sa cause. Il s'avère également que cette
défense et cette opposabilité des droits non marchands à
l'égard des institutions du droit international économique
contribuent au << décloisonnement »
9 Santi ROMANO, «L'ordre juridique», Paris, Dalloz,
1975, p.16.
10 M. DELMAS-MARTY, op. cit., note 7, p.
27.
de ce droit. Cela entraîne notamment
l'interprétation des droits économiques à la
lumière des droits fondamentaux lorsque ces derniers sont en cause. La
société civile soulève ainsi une approche
intégrée qui suscite harmonie plutôt que conflit entre
droits marchands et non marchands (Partie II- Pourquoi l'accès de la
société civile ?).
Il importe ensuite de traiter de la qualité que la
société civile présenterait lors d'un accès
éventuel à la justice internationale économique. En effet,
les éléments traités plus haut concernant d'une part le
contexte de la globalisation des marchés, et d'autre part la perte par
l'État de son monopole normatif figurent parmi d'autres
éléments qui marquent une transformation du droit international
public. Les acteurs non étatiques ont progressivement acquis des
qualités typiquement réservées aux États, qui sont
les véritables sujets de droit international public. L'exemple le plus
flagrant est la capacité octroyée aux investisseurs de poursuivre
des États, devant la justice internationale économique,
grâce à un droit accordé par la voie des traités
bilatéraux d'investissement (TBI) 11. À la
lumière de ces développements, la société civile
serait également en train d'acquérir des attributs de sujet de
droit international public. Cela lui permettrait - en tant qu'acteur non
étatique - d'accéder à la justice internationale
économique au même titre que les investisseurs (Partie III-
Obtenir l'accès à quel titre ?).
Nous avons soulevé plus haut l'existence d'un double
standard quant à l'accès à la justice internationale
économique. Afin de soutenir ce constat, les symétries entre la
société civile et les multinationales doivent être
dégagées. Ces symétries se retrouvent tout d'abord dans
leur intérêt mutuel pour des préoccupations non
11 Sauf à l'OMC, tel que mentionné plus
haut.
marchandes telles que le développement durable et la
responsabilité sociale des entreprises multinationales (RSE). Toutes
deux poursuivent également des efforts conséquents pour la
propagation de la règle de droit internationale. Tel que nous le
verrons, l'exemple de l'accession de la Chine à l'OMC est
emblématique de ces efforts. En effet, la règle de droit est
essentielle à la protection et l'opposabilité des droits tant
marchands que non marchands. Les deux acteurs sont par ailleurs souvent les
véritables instigateurs des différends économiques
internationaux. Enfin, l'opposition des pays en développement à
leur implication dans les différends à l'OMC évoque cette
symétrie. Ces derniers réclament notamment le maintien du
caractère strictement interétatique de ces
différends (Partie IV - Quelles symétries entre les
multinationales et la société civile ?).
Une fois ledit double standard mis en évidence, un
examen du cadre normatif permettant l'accès direct aux investisseurs
à la justice internationale économique s'impose. Un tel double
standard serait en effet incompatible avec les exigences du procès
équitable. Le droit de toute personne à un juge n'est
actuellement pas assuré au niveau de la justice internationale
économique. La société civile bénéficie par
ailleurs d'un accès comme amicus curiae. Cet accès
partiel, récemment octroyé, pourrait constituer les
prémices d'un accès à part entière. Il
s'avère pourtant que les conditions pour obtenir le statut d'ami de
la cour sont hautement exigeantes (Partie V - Quelles asymétries
entre les multinationales et la société civile ?).
Afin d'évaluer si l'accès de la
société civile à la justice internationale est ou non
bénéfique, un compte rendu des impacts engendrés par les
interventions d'amicus curiae s'avère nécessaire. Il
appert que la société civile est désormais
considérée
comme un acteur capable d'apporter une certaine transparence
et légitimité aux différends internationaux
économiques. Étant donné l'importance de
l'intérêt public souvent en cause dans ces différends, la
société civile est parvenue à susciter une plus ample
ouverture des juridictions du droit international économique. De plus,
ces juridictions ont adopté dans de nombreuses décisions une
approche intégrée et progressiste, consistant notamment en la
prise en compte des problématiques d'intérêt public et des
préoccupations non marchandes dans l'interprétation du droit
international économique. Il s'agit justement d'une
interprétation « décloisonnée » que la
société civile a systématiquement soulevée. Les
interventions d'amicus curiae de la société civile ont
suscité également des réformes institutionnelles qui ont
permis l'évolution du règlement d'arbitrage des différends
d'investissement. En 2006, le CIRDI a adopté des amendements qui
permettent notamment la publicité des audiences et les interventions
d'amicus curiae. Ces derniers amendements ont été repris
par des TBI récemment signés par le Canada. Les tribunaux
constitués en vertu de ces traités pourront ainsi conduire des
audiences publiques et accepter les interventions d'amicus curiae. Ces
TBI seraient également de véritables instruments progressistes,
en incluant de nombreuses dispositions qui traitent de préoccupations
non marchandes n'étant pas typiquement évoquées dans ce
type de traités. Le développement durable, la
responsabilité sociale des entreprises, la lutte contre la
pauvreté, le droit du travail et la lutte contre la corruption figurent
parmi ces préoccupations extensivement disposées par les nouveaux
traités (Partie VI - Quels effets suscités par l'intervention de
la société civile ?).
Somme toute, l'examen des éléments
mentionnés ci-dessus est une tentative de soulever des arguments au
soutien d'un véritable accès à la justice internationale
économique pour la société civile, et qui irait
au-delà de l'accès à titre d'amicus curiae. Cette
modeste étude est néanmoins atypique car elle ne traite point
d'un sujet de droit classique ou strictement positiviste. Nombre
d'éléments qui y sont traités bousculent tout simplement
les imposantes frontières du droit. Cette étude ne fait
qu'effleurer la montagne des composantes nébuleuses et impalpables qui
contribuent à l'évolution de l'ordre juridique
international...
I) Qu'est-ce que la société civile ?
Dans le cadre de cette étude, toutes réponses
uniques à cette question fortement complexe seraient trop simplistes
étant donné qu'elle suscite bons nombres de débats et de
controverses. La société civile serait un ensemble
hétérogène d'acteurs privés, non organisé,
chaotique et difficile à cadrer. En fournissant une définition,
il s'agit de délimiter justement ce que nous entendons par la «
société civile ». Il importe également d'examiner de
façon préliminaire le rôle de la société
civile à vocation de développement avant de pouvoir par la suite
relever l'exemple de quelques acteurs de la société civile ayant
un impact normatif. En effet, nous tournons notre attention vers ces derniers
acteurs, qui se sont établis comme une force incontournable dans la
création et la transformation du droit international.
1) Définition de la « société
civile »
La société civile comprend toute association,
mouvement ou coalition non étatique et non économique ainsi que
non commerciale, soit toute entité citoyenne. Leur raison d'être
gravite autour de thèmes non économiques strictu sensu -
concernant l'intérêt collectif ou général - et est
fondée sur la poursuite d'idéaux et d'objectifs sociopolitiques,
humanitaires, juridiques, environnementaux, scientifiques, etc. Notre
définition de la société civile correspond à un
certain degré à celle donnée par Jürgen Habermas :
« (...) ce qu'on appelle aujourd'hui
société civile n'inclut plus (...) l'économie
régulée par les marchés du travail, les marchés des
capitaux et des biens et constituée par le droit privé. Au
contraire, son coeur institutionnel est désormais formé par ces
groupements et
ces associations non étatiques et non
économiques à base bénévole qui rattachent les
structures communicationnelles de l'espace public à la composante
<< société » du monde vécu (...) Le coeur de la
société civile est donc constitué par un tissu associatif
qui institutionnalise dans le cadre d'espaces publics organisés les
discussions qui se proposent de résoudre les problèmes surgis
concernant les sujets d'intérêt général
»12.
Dans ce vaste univers nébuleux et
hétérogène, notre attention se penche surtout sur le
thème de la défense des droits non marchands, rôle
majoritairement assumé par les ONG, ainsi que sur le thème de la
contribution au développement du droit international, rôle
assumé en partie par des ONG telles que le Comité international
de la croix rouge (CICR) et des associations privées
professionnelles/académiques telles que l'International Law
association (ILA). Pour les soins de cette étude, la
nécessité d'élaborer d'avantage la définition de la
société civile ne s'impose pas. En effet, nous traitons de
l'accès de la société civile à la
justice internationale économique, soit l'accès
direct de toute entité qui n'est ni étatique, ni
économique et ayant pour but de défendre des droits non
marchands13. Or,
des critères de ratione materiae et de
ratione personae, devant être respectés par
les entités désirant intervenir à titre d'amicus
curiae afin de défendre des droits non
marchands, ont déjà été
extensivement élaborés par la jurisprudence du
droit international économique14. Nous pensons que cette
jurisprudence - évolutive par sa
nature même - inspirerait éventuellement des
critères permettant un accès à ces
12 Jürgen HABERMAS, << Droit et
démocratie : entre faits et normes », Paris, Gallimard, 1997,
p.394. L'usage de cette définition a été inspiré
par le mémoire de Mathieu AMOUROUX, << La société
civile globale : une << chimère insaisissable » à
l'épreuve de la reconaissance juridique », Montréal,
Université de Montréal, 2007.
13 L'entité n'est donc pas liée à
une multinationale, ou à un investisseur, ou à toute autre
entité économique/commerciale.
14 Il s'agit des critères de ratione
materiae, qui portent sur l'intérêt juridique des
intervenants, tels que la démonstration d'un intérêt
significatif par rapport au litige, du degré de contribution à la
résolution du litige, ainsi que des critères de ratione
personae, qui portent sur leurs qualités telles que l'exigence
d'impartialité, le degré d'indépendance, etc. Voir
Partie V -Asymétrie au niveau d'accès à la justice
internationale économique - Section 3 - Fondement de l'accès
à la procédure par la société civile.
entités qui irait au-delà de l'accès
à titre d'amicus curiae. Ainsi, sans égard à la
définition théorique de ladite entité (ou de la <<
société civile »), son accès est soumis, et
serait soumis, à des conditions juridiques qui permettent
ultimement de la définir et de la déterminer par ricochet.
2) La société civile à vocation de
développement
Il importe de noter à titre préliminaire que la
société civile a désormais un rôle édifiant
dans les initiatives de développement international, rôle
emblématique d'une transformation règlementaire. Les solutions
aux problématiques de développement étaient auparavant
établies dans le cadre d'un modèle vertical (<<
top-down ») ou, en d'autres termes, bureaucratique. Ce
modèle a démontré son inefficacité, l'adoption
d'une approche alternative s'imposait15. Selon un ex-haut
responsable du US-AID: «The twenty-first century will see more social
entrepreneurship, private philanthropy, public-private partnerships, and
grass-roots linkages16».
De ce fait, l'intervention de la société civile
apparaît de plus en plus comme un pilier essentiel dans le
développement international. Basée directement auprès de
communautés, la société civile assure une
représentativité parfois plus importante que celle des
institutions nationales. Étant plus proche des intérêts des
parties prenantes, elle est donc apte à répondre à
diverses problématiques de façon plus efficace17. Les
organes de développement international et l'ONU ont ainsi longtemps
appelé à la
15 Pour un exposé élaboré sur
l'évolution des modèles de développement, voir D.
EBERLY, op. cit., note 1, p.74 - Chapitre 4 : << From Aid
Bureaucracy to Civil Society Participation and Partnership ».
16 Id., note 1, p.VIII.
17 Stefanie EDLER-WOLLSTEIN et Beate KOHLER-KOCH,
«It's about participation, stupid. Is it? Civil society concepts in
comparative perspective», dans Bruno JOBERT et Beate KOHLER-KOCH (ed.),
Changing Images of Civil Society: From protest to governance, Londres,
Routledge, 2008, p.199.
participation active de la société civile, et
d'ailleurs des multinationales, dans le processus de
développement18.
Par ailleurs, cette transformation règlementaire
évoquée plus haut se traduit de la manière suivante : la
démocratie serait d'autant mieux servie que la participation citoyenne
s'accroît. À travers la formation d'associations et
d'organisations, les citoyens s'engagent progressivement dans le
développement et la croissance de leurs communautés. La
société civile bénéficie ainsi d'une connotation
positive; plus elle est engagée de manière active, plus la
démocratie semble être assurée. Ce bénéfice
démocratique se concrétise à travers une plus ample
ouverture au discours public qui entraînerait notamment la mise en place
de structures de communications permettant l'échange réciproque
d'idées et d'arguments19. L'ouverture à la
participation de la société civile accorderait ainsi aux citoyens
l'opportunité de susciter un impact sur les processus de prise de
décisions. Un tel impact serait d'autant plus ressenti grâce
à l'expertise de nombreux acteurs de la société civile. On
parle alors de l'apparition d'un modèle de démocratie
participative-délibérative20. Tel que nous
l'examinerons plus en avant dans notre recherche, les caractéristiques
de ce modèle se transposent aux niveaux de la gouvernance
économique mondiale. Grâce à la globalisation des
marchés, l'impact de la société civile dépasse
ainsi les frontières nationales et se profile sur la scène
internationale21.
18 Voir Partie III- Quelles symétries entre
société civile et multinationals?- Section 1 -
Intérêts pour les soucis non marchands.
19 Id., note 17, p.198.
20 M. DELMAS-MARTY, op. cit., note 7, p.
168.
21 Voir Partie II - Pourquoi l'accès de la
société civile ? - Section 1- La société civile
à l'heure de la globalisation des marchés.
3) Quels acteurs de la société civile?
Étant donné le caractère fondamentalement
hétérogène de la société civile, nombreux
sont ceux qui confondent ces acteurs en leur attribuant à tort les
mêmes caractéristiques. Cette grande famille de la <<
société civile » regroupe tant des mouvements anarchistes ou
altermondialistes, que des organisations de plaidoyer hautement
spécialisées et crédibles. L'idée dans cette
section est de distinguer ces acteurs afin d'identifier ceux visés par
cette étude. Les acteurs de la société civile auxquels
nous nous intéressons ont pu développer des expertises et des
spécialisations considérables dans de nombreux domaines du droit.
Certains ont une haute expertise juridique qui leur permet de susciter un
impact sur la création et la transformation du droit international.
Cet impact est clairement édifiant dans le domaine des
droits de l'homme et du droit humanitaire. Le CICR figure parmi ces organismes
hautement spécialisés et crédibles de la
société civile. Le CICR a eu un rôle cardinal, tant dans la
rédaction que dans l'acceptation de nombreux projets de traités
portant sur les droits de l'homme22. Le dernier exemple est la
convention d'Oslo pour l'interdiction de l'usage des armes à
sous-munitions signée le 3 décembre 200823. Les armes
à sous-munitions peuvent exploser longtemps après leur
utilisation, ce qui constitue un danger énorme pour la population civile
vivant dans des zones où les armes ont été
déployées. Les motifs existant derrière l'interdiction
sont similaires à ceux justifiant l'adoption de la
22 Voir - M. DELMAS-MARTY, op. cit., note 7,
p. 165 - pour un exposé détaillé des contributions du CICR
au droit international.
23 Voir Comité international de la croix
rouge, << Armes à sous-munitions : Un nouveau traité
pour mettre fin à des décennies de victimes civiles », 2008,
en ligne :
http://www.icrc.org/Web/fre/sitefre0.nsf/htmlall/p0838/$File/ICRC_001_0938.PDF!Open,
p.14; voir également, Cluster Munition Coalition, << The
Coalition », en ligne :
http://www.stopclustermunitions.org/thecoalition/,
une coalition transnationale de 200 ONG militant pour bannir les armes à
sous-munitions .
convention d'Ottawa de 1997 sur l'interdiction des mines
anti-personnel. Les efforts du CICR ont permis la définition et la
détermination des obligations des États signataires. La
notoriété de l'organisation et son pouvoir de mobilisation
conséquent ont été des facteurs décisifs
entraînant les nombreuses ratifications de la convention qui a
été adoptée par 107 États, engagés notamment
à ne pas recourir à ces armes.
L'ILA est un autre exemple d'acteur vers lequel nous tournons
notre attention. L'ILA compte 4000 juristes en droit international.
L'organisation offre son assistance et sa coopération afin de parvenir
à une déclaration de l'OMC relative aux droits de
l'homme24. Une telle offre, émanant d'une telle organisation
prestigieuse, constitue une véritable pression sur l'OMC et les autres
institutions de gouvernance économique mondiale. L'ILA propose des
solutions crédibles, scientifiques et non démagogiques auxquelles
l'OMC doit être attentive. Loin des stratégies de manifestations
et d'affrontements de nombreux acteurs de la société civile,
l'ILA s'impose grâce à son expertise. Les organisations telles que
l'ILA ont une expertise notoire dans le domaine des droits de l'homme, du droit
de l'environnement et du développement durable. Ces organisations
appellent à une complémentarité entre lesdits droits et le
droit international économique25. Si de nombreux États
ont décidé de ne pas écouter les manifestants qu'ils ont
qualifiés de « démagogues », il leur est beaucoup plus
difficile de ne pas être attentif à des organisations telles que
l'ILA.
La pression de ces organisations se manifeste également
par les interventions d'amicus curiae. L'apport de la
société civile à travers la procédure d'amicus
curiae
24 Ernst-Ulrich PETERSMANN, «Human Rights,
Constitutionalism and the World Trade Organization: Challenges for World Trade
Organization Jurisprudence and Civil Society», Leiden, Leiden Journal
of International Law, 2006, p. 663.
25 Voir Partie II - Pourquoi l'accès de la
société cvile ?- Section 2 - Décloisonnement du droit
international économique.
est désormais cardinal étant donné que
les différends économiques internationaux sont de plus en plus
complexes. La juridiction saisie est appelée à se prononcer sur
des problématiques qui dépassent largement la sphère
strictement économique. Des questions de droits de l'homme,
d'environnement et de développement durable sont de plus en plus
abordées. De là, les parties font face à l'intervention de
la société civile qui a pour mandat de défendre ces
préoccupations non strictement économiques. Ce mandat de
défense des préoccupations non strictement marchandes semble
être sui generis. La société civile intervenante
s'est en effet octroyée ellemême ce mandat.
Cette notion de mandat sui generis est
illustrée dans le domaine de l'arbitrage commercial international.
L'International Bar Association (IBA) est une organisation non
étatique qui regroupe des avocats des quatre coins de la planète.
Cette organisation illustre la capacité normative dont se sont
dotés de nombreux acteurs de la société civile. Les
membres de l'organisation participent activement à des sessions de
rédaction de normes de droit international dans divers forums et
assemblées. Ses normes les plus notoires sont cependant les IBA
Rules on the Taking of Evidence in International Commercial Arbitration
(ci-après les « Règles »)26.
Les Règles représentent une solution
établie par des praticiens et des avocats aux lacunes des lois et des
règlements sur l'arbitrage en matière de preuve. Les
règlements d'arbitrage de nombreuses institutions ne contiennent
effectivement que des dispositions sommaires en matière de preuve. Les
Règles reflètent des procédures utilisées dans de
nombreux systèmes juridiques, d'où leur utilité lorsque
des parties
26 IBA Rules on the Taking of Evidence in
International Commercial Arbitration (2010), en ligne:
http://www.int-bar.org/
proviennent de différentes traditions juridiques.
À titre d'exemple, elles traitent entre autres de la divulgation et de
la production de documents. Les règles de droit civil et de common
law considèrent en effet cette question de manière assez
différente. Les Règles sont acceptées de façon
générale par les arbitres de droit civil et de common
law, les parties et aussi bien que par leurs avocats car elles offrent un
compromis équilibré entre les deux approches27. Les
Règles s'avèrent être dès lors un instrument
clé permettant de compléter les règlements d'arbitrage.
Elles permettent une conduite économique et efficiente de l'examen de la
preuve ce qui facilite la conduite de l'arbitrage
international28.
L'American Law Institute (« ALI ») et
l'Institut international pour l'unification de droit privé («
UNIDROIT ») sont également d'autres exemples d'acteurs qui nous
intéressent. Ils ont adopté en 2004 les Principes d'ALI/UNIDROIT
de procédure civile transnationale, un ensemble de dispositions qui
régissent la procédure des litiges commerciaux transnationaux
(ci-après les « Principes »). ALI est une véritable
organisation privée et indépendante regroupant des juges, des
praticiens et des professeurs du droit. L'organisation a un mandat
autoproclamé de clarifier, moderniser et améliorer le droit.
Grâce à ses membres hautement qualifiés et
spécialisés, ALI a pu influencer le développement de
nombreux domaines traditionnels et émergents du droit. UNIDROIT est par
ailleurs une organisation intergouvernementale indépendante qui fut
crée en 1926 sous l'égide de la Société des Nations
(SDN) et compte 63 États membres. Son objectif est d'étudier la
modernisation, l'harmonisation et la coordination du droit privé entre
les États. Cette
27 Stephen BOND, «The 1999 IBA Rules on Evidence
in International Commercial Arbitration», dans Stephen BOND et al. (dir.),
Arbitral Procedure at The Dawn of The New Millenium, Bruxelles,
Bruylant, 2005, p. 103.
28 Id., note 27, p. 105.
organisation est un forum édifiant pour la
création de normes à travers la contribution de juristes
provenant de divers systèmes juridiques.
Les Principes énoncent entre autres les garanties d'un
procès équitable, comprennant notamment le droit à un
tribunal impartial et indépendant (art.1), le droit à un avocat
(art.4), le droit d'intervention des parties tierces intéressées
(art.12.2) ainsi que le droit à une décision dans un délai
raisonnable (art.7)29. Notons que ce sont d'ailleurs ces mêmes
exigences du procès équitable qui justifieraient en partie
l'accès de la société civile à la justice
internationale économique. Lesdites exigences du procès
équitable seront examinées plus en détail par la suite. Le
préambule des Principes soulève de plus des points
intéressants : les Principes seraient en fait des standards qui
pourraient constituer le fondement pour de futures règles de
procédure nationales en matière de litiges internationaux. Le
préambule énonce ainsi que les États pourraient les
transposer à travers un acte normatif tel qu'une loi ou un
traité. Les divers tribunaux arbitraux peuvent également accorder
leurs pratiques avec les Principes si les parties sont favorables à cet
effet.
Enfin, les IBA Rules on the Taking of Evidence in
International Commercial Arbitration ou les Principes d'ALI/UNIDROIT de
procédure civile transnationale ne sont que des normes de soft law
vu notamment leur caractère non contraignant. Leur validité
découle du fait qu'elles émanent d'organisations privées,
hautement spécialisées et qualifiées. Les normes de ces
organisations ne constituent qu'un droit prospectif dans la mesure où
elles n'ont pas été sanctionnées par l'État. La
facilité de leur transposition, d'un espace normatif à un autre
ou d'une juridiction à une autre
29 Les principes d'ALI/UNIDROIT de procédure
civile transnationale (2004), en ligne : http://www.unidroit.org/
favorise cependant un éventuel transfert du droit
prospectif vers le droit positif. Un tel transfert serait d'autant plus
facilité par l'utilisation et le recours systématique à
ces normes.
Que ce soit dans le domaine des droits de l'homme, du
développement durable ou de la procédure internationale, le
pouvoir normatif de la société civile est édifiant. En
délimitant les acteurs visés par cette étude, nous
relevons le haut degré d'expertise et de spécialisation de la
société civile. Tout au long des propos qui suivent, de plus
amples caractéristiques et fonctions de la société civile
seront dévoilées, constituant ultimement des motifs à
l'appui de l'accès de la société civile à la
justice internationale économique.
II) Pourquoi l'accès de la société
civile à la justice internationale économique ?
L'objectif de cette partie est de traiter des facteurs
sous-jacents à la notoriété de la société
civile découlant de l'importance de son rôle à l'heure de
la globalisation des marchés. En soulevant systématiquement la
prise en compte des droits non marchands, la société civile
contribue également au décloisonnement du droit international
économique. Il s'avère dès lors que la
société civile est une défenderesse de première
ligne des droits non marchands. Ces éléments constitueraient, de
fait, des motifs soutenant son accès à la justice internationale
économique.
1) Le rôle de la société civile
à l'heure de la globalisation des marchés
Le rôle de la participation de la société
civile possède un long passé. Nous relevons tout d'abord
l'exemple des États-Unis où les premières activités
d'ONG gravitaient autour de l'abolition de l'esclavage30. Dès
1838, des ONG américaines telles que << The Anti-Corn Law
League », qui plaidait pour l'abolition des tarifs britanniques sur
le maïs, militaient pour le libre échange. En Europe des
associations similaires sont apparues dès 1846 avec <<
l'Association de libre échange » en France et << the
Belgian Association for Commercial Liberty »31. Ce
très bref parcours historique nous permet de constater un
élément fort important pour les soins de cette étude :
auparavant, l'activité de la société civile était
uniquement à vocation territoriale ou nationale.
Notre ère est cependant caractérisée par
une intégration transnationale de marchés qui ne connaît
aucun précédent et qui est entérinée dans des
systèmes internationaux de gouvernance économique tels que
l'ALENA, l'OMC, ou même l'Union européenne32.
L'attention de la société civile suit donc ce transfert de
l'activité économique de la sphère nationale à la
sphère internationale. Ce transfert se concrétise par la
création de liens, par la coordination d'activités ainsi que par
la collaboration avec des organismes, des institutions et des gouvernements
émanant de diverses parties du monde33. La conduite des
plaidoyers de la société civile - au sein de la sphère
internationale - est d'autant plus facilitée par les nouveaux modes
technologiques de communication. Ceux-ci ont permis l'établissement d'un
nouveau
30 «The Pensylvania Society for Promoting the
Abolition of Slavery» (1775); «La Société des Amis des
Noirs» (France - 1788); voir Steve CHARNOVITZ, «Trade Law
and Global Governance», London, Cameron May, 2002, p. 404.
31 Id., note 30, p. 406.
32 Scott CUMMINGS, «The Internationalization of
Public Interest Law», Duke Law Journal (57 Duke L.J. 891), 2008, p.16.
33 Id., note 30, p. 406.
débat public qui dépasse tout
intérêt étatique ou d'institution nationale34.
De plus, grâce auxdites nouveautés technologiques, dont
l'internet, réseau intrinsèquement transnational, la
société civile contemporaine dispose d'un énorme pouvoir
de sensibilisation et de mobilisation.
À ce titre, la conduite des plaidoyers de la
société civile au sein de la sphère internationale
entraîne la sollicitation systématique d'organisations
internationales interétatiques telles que l'OMC. Soucieux du
caractère étatique de l'OMC, certains États, dont
notamment des pays en développement, s'opposent à la
participation directe de la société civile au sein de ladite
organisation. Ils soulèvent que les divers organismes de la
société civile devraient conduire leurs activités et leurs
plaidoyers directement auprès des États dans lesquels ils sont
basés. Nous aborderons cette problématique plus en détail
dans la suite de notre recherche. Nous pouvons tout de même constater que
ladite position de la part de certains États soulève deux points
essentiels.
D'une part, elle ne considère pas l'incapacité
évidente de l'État de répondre unilatéralement
à des problématiques transnationales qui échappent en
grande partie à sa souveraineté, telles que la protection de
l'environnement ou la responsabilité sociale des entreprises
multinationales35. Ces problématiques sont désormais
inhérentes à la globalisation des marchés,
requérant à ce titre des remèdes ou des solutions
globalisés. D'autre part, elle ne reconnaît pas le fait
que certains acteurs de
34 Jennifer A. ZERK, «Multinationals and
corporate social responsibility», Cambridge, Cambridge University press,
2007, p.21; Patricia ROSIAK, << Les transformations du droit
international économique : Les États et la société
civile face à la mondialisation économique », Paris,
L'Harmattan, 2003, p. 252; David SCHNEIDERMAN, «Constitutionalizing
Economic Globalization: Investment Rules and Democracy's Promise»,
Cambridge, Cambridge University Press, 2008, p. 200.
35 Philippe SANDS, «Turtles and Torturers: The
Transformation of International Law», Inaugural Public Lecture as
Professor of International Law, University of London, Juin 2000, p. 538;
Charles-Emmanuel CÔTÉ, << La participation des personnes
privées dans le règlement des différends internationaux
économiques : L'élargissement du droit de porter plainte à
l'OMC », Bruxelles, Bruylant, 2007, p. 394; P. ROSIAK, op. cit.,
note 34, p. 260; S. CHARNOVITZ, loc. cit., note 30, p. 524.
la société civile ont pu effectivement
s'établir en tant que défenseurs de première ligne de
nombreuses causes reliées auxdites problématiques. Nous pourrons
citer l'exemple de Greenpeace en ce qui concerne la protection de
l'environnement ou Oxfam en ce qui concerne la responsabilité
sociale des entreprises multinationales. Ce statut de défenseur
auto-déclaré est possible grâce à leurs moyens,
leurs réseaux, leur militantisme et leur expertise concernant les causes
défendues36.
Nonobstant l'opposition de certains États, les
organisations internationales sont déjà attentives aux plaidoyers
de la société civile. Ceux-ci sont exercés notamment
à travers l'envoi direct de délégations auprès de
ces organisations et la participation active à des forums tels que le
Forum public de l'OMC ou le Forum économique mondial de Davos. C'est le
cas également à l'ONU qui a depuis presque 20 ans un processus
d'accréditation pour les ONG, ce qui leur ouvre la participation aux
conférences, assemblées et sommets de
l'organisation37. La société civile est fort
présente à ces évènements et y est
représentée par des experts hautement qualifiés. Ces
experts offrent à la fois des critiques constructives et des
réformes pragmatiques au statu quo, exerçant ainsi une
redoutable dynamique de pression38.
Par ailleurs, en abordant lesdites problématiques
transnationales suscitées par la globalisation des marchés, la
société civile lutte afin de soulever les principes de justice
sociale dans le souci d'offrir un équilibre ou un contrepoids à
l'idéologie du marché libre39. Ladite lutte est
manifestée à travers de nombreux exemples tels que la
36 Ross BUCKLEY et Paul BLYSCHAK, «Guarding the
Open Door: Non-party Participation Before the International Centre for
Settlement of Investment Disputes», Banking and Financial Law Review, Juin
2007, p. 367; Id., note 30, p. 395.
37 Voir United Nations, « Reference
document on civil society participation », août 2001, en ligne :
http://www.un.org/ga/president/55/speech/civilsociety1.htm
38 P. ROSIAK, op. cit., note 34, p. 264.
39 S. CUMMINGS, op. cit., note 32, p.7.
question de la responsabilité sociale des entreprises
multinationales (RSE). Nous en examinerons dans les paragraphes qui suivent.
Les plaidoyers de la société civile appellent
à la sanction des violations commises par les multinationales à
la RSE40. Le droit international économique ne prévoit
pourtant aucune sanction à la violation de la RSE, qui regroupe en effet
un ensemble de valeurs non marchandes non encadrées par les
règles contraignantes du droit international économique.
Nonobstant le caractère non contraignant de la RSE, la
société civile lutte pour son applicabilité dans le souci
de veiller à la distribution équitable des
bénéfices économiques de la globalisation des
marchés, dans le but d'éviter que lesdits bénéfices
soient obtenus dans des conditions inacceptables. Elles se manifesteraient, par
exemple, par le travail des enfants dans des sweatshops, les
pollution heavens, les zones franches et autres. Ces
phénomènes seraient le résultat d'une négligence
préméditée des garanties et des standards
socio-environnementaux. L'ignorance ou la réduction des mesures
encadrant ces droits est qualifiée de dumping
social41. Ce concept décrit la stratégie de
certains gouvernements visant à accommoder à tout prix les
investissements étrangers. L'idée serait de créer un
climat d'investissement avec le moins de restrictions, de
règlementations et de contraintes possibles. L'exemple le plus commun
serait celui des zones franches où l'investisseur
bénéficie de crédits d'impôt, d'installations
équipées et d'un minimum de contraintes règlementaires.
Ces zones échappent au contrôle de la juridiction nationale, ce
qui signifie souvent l'existence d'un milieu de travail non syndiqué.
40 J. ZERK, op. cit., note 34, p.1.
41 Id., note 34, p.150.
Le domaine de l'investissement étranger direct
présente également une autre illustration de la lutte de la
société civile évoquée ci-dessus. Les plaidoyers de
la société civile auraient conduit à l'échec d'un
projet d'accord d'investissement multilatéral négocié sous
l'égide de l'OCDE42. Le message contre l'Accord
multilatéral sur l'investissement de l'OCDE soulevé par la
société civile était : <<No Rights without
Responsibilities »43. Les investissements
étrangers, de même que le règlement de différends
relatifs à ceux-ci, pourraient être effectivement
problématiques car des questions d'intérêt public semblent
être de plus en plus en cause44. Le projet de l'accord
prévoyait à ce titre un droit aux investisseurs, ressortissants
d'un État signataire, de poursuivre tout autre État partie
à l'accord dans le cas où ce dernier violerait ses obligations de
promotion et de protection des investissements étrangers. En revanche,
les obligations réciproques de l'investisseur étranger concernant
notamment des questions non marchandes telles que la protection de
l'environnement ou la RSE n'étaient pas énoncées dans le
projet45.
La critique de la société civile
dénonçait ainsi les lacunes quant à l'équilibre
entre << libéralisation », qui porte notamment sur
l'ouverture des secteurs clés tels que la santé et
l'énergie aux investissements étrangers, et <<
règlementation », qui consiste en partie en la reconnaissance de la
légitimité des mesures étatiques justement reliées
auxdits secteurs clés. Le projet du traité accordait des droits
aux investisseurs sans
42 Esther KENTIN, «Sustainable Development in
International Investment Dispute Settlement: The ICSID and NAFTA
Experience», dans Nico SHRIJVER et Friedl WEISS (dir.), International Law
and Sustainable Development, Leiden, Martinus Nijhoff, 2004, p. 315.
43 L'échec du traité est
attribué également à une réticence à
l'égard d'une libéralisation des flux d'investissements.
Réticence alimentée par la crise financière qui a
frappé l'Asie et la Russie à l'époque des
négociations. Voir Sol PICCIOTTO, «Rights,
Responsibilities and Regulation of International Business», Columbia
Journal of Transnational Law, dans Fiona BEVERIGDE (dir.), Globalization
and International Investment, Burlington, Ashgate, 2005, p. 184; Richard
CASANOVA-JIMENEZ, «Trade and Investment Disputes: Whose business is it
anyway ? », Montreal, Mc Gill Institute of Comparative Law, 2002, p.55.
44 Id., note 42. p. 314.
45 Patrick DUMBERRY, << L'entreprise, sujet de
droit international ? Retour sur la question à la lumière des
développements récents du droit international des investissements
», Paris, Revue générale de droit international,
2004, p. 114.
considérer adéquatement et suffisamment leurs
responsabilités socioenvironnementales découlant de leurs
activités46. Sous le régime proposé par le
projet, les États seraient tenus de garantir un standard de traitement
minimum et uniforme aux investisseurs, tandis qu'aucun standard
socio-environnemental ne devait être respecté par ces
derniers47.
Le régime proposé accordait donc des droits aux
investisseurs sans reconnaître la portée règlementaire
étatique48. L'échec du projet est d'ailleurs
attribué à l'abandon de la délégation
française des négociations, cette dernière désirant
obtenir des garanties adéquates quant à son pouvoir
règlementaire sur les aspects culturels49. Des États
revendiquaient en effet des garanties à leur pouvoir
règlementaire puisque sous le régime actuel - de protection des
investissements étrangers directs - les actions et les mesures
étatiques sont sous scrupule et sous supervision
constantes50. Une illustration de ce constat serait la saga de
Philip Morris et RJR Reynolds avec le gouvernement canadien. Dans le cadre de
ses efforts pour la protection et l'amélioration de la santé
publique, le gouvernement canadien avait proposé de nombreuses mesures
pour lutter contre la consommation du tabac. Les géantes multinationales
du tabac s'opposaient à tout projet législatif concernant un
emballage des paquets de cigarettes qui cacherait les logos des compagnies. Ces
dernières ont précisé que de telles mesures
entraîneraient une lourde poursuite en compensation
46 Duncan FRENCH, «The Role of The State and
International Organisations in Reconciling Sustainable Development and
Globalisation», dans Nico SHRIJVER et Friedl WEISS (dir.), International
Law and Sustainable Development, Leiden, Martinus Nijhoff, 2004, p. 55.
47 Stephen TULLY, «Corporations and International
Lawmaking», Boston/Leiden, Martinus Nijhoff, 2007, p. 105.
48 M. DELMAS-MARTY, op. cit., note 5, p.
203.
49 E. KENTIN, op. cit., note 42, p. 315.
50 Id., note 46, p. 62; Konrad
MOLTKE et Howard MANN, «Misappropriation of Institutions: Some Lessons
from the Enviornmental Dimension of the NAFTA Investor-State Dispute Settlement
Process», International Environmental Agreements: Politics, Law and
Economics, Kluwer Academic Publishers, La Haye, 2001, p. 109.
pour expropriation en vertu des dispositions du Chapitre XI de
l'ALENA. La polémique s'est terminée par l'abandon du projet de
loi canadien51.
Somme toute, les diverses problématiques
transnationales posées par la globalisation des marchés
appellerait à une action coordonnée à plusieurs niveaux :
internationale et nationale, gouvernementale et auto-règlementaire; bref
à une action multidimensionnelle52. Cette action
coordonnée constituerait un effort de conciliation nécessaire
pour faire face aux problématiques mentionnées. La
société civile surgit dès lors comme un acteur mondial
militant pour un équilibre au sein des régimes, des organisations
et des institutions de la globalisation des marchés53.
L'idée est de projeter à l'ordre international la
pondération d'intérêts supérieurs et non simplement
marchands, intérêts qui ne sont pas nécessairement
soulevés par les parties impliquées dans le commerce
mondial54. Cela semble également nécessaire
étant donné que le droit national ne protège que les
individus qui se rattachent à la collectivité et que ces
problématiques non marchandes dépassent la sphère et la
juridiction étatique. L'objectif serait de construire un
véritable droit transnational de protection des parties faibles
impliquées dans les relations économiques
internationales55.
Il importe de noter également que notre ère est
marquée par l'apparition d'un consommateur de plus en plus activiste et
militant, de plus en plus conscient de l'influence et des répercussions
de ses achats. <<L'homos economicus » est à son
51 D. SCHNEIDERMAN, op. cit., note 34, p.
122.
52 Id., note 34, p.36; P. ROSIAK,
op. cit., note 34, p. 294; S. PICCIOTTO, op. cit., note 43,
p. 184; D. FRENCH, op. cit., note 46, p. 58.
53 D. SCHNEIDERMAN, op. cit., note 34, p.
2.
54 Emmanuel DARANKOUM, << Mondialisation et
arbitrage collectif : les perspectives de la justice arbitrale internationale
», dans Nabil ANTAKI, et Emmanuel DARANKOUM (dir.), La justice en
marche : du recours collectif à l'arbitrage collectif ,
Montréal, Thémis, 2006, p. 158.
55 Id., note 54, p. 154.
apogée : << je consomme, donc je suis >>.
Ce consommateur renforce la position de la société civile en
constituant un partisan potentiel56. Des investisseurs soucieux de
la responsabilité sociale des entreprises s'ajoutent également
à ce renfort. Une notion émergente d'<< investissement
durable >> ou de << socially responsible investment
>> semble avoir de plus en plus de résonance57. Le
mépris des consommateurs et des investisseurs pourrait constituer un
scénario problématique pour les multinationales puisqu'elles
rencontreraient possiblement de la difficulté à vendre ses
produits et à obtenir du financement. Le marché accorde ainsi
<< l'arme de la défection >> au citoyen : le consommateur ou
investisseur insatisfait cesse d'acheter ou d'investir58. Cette arme
s'ajoute à l'arme politique conventionnelle dont dispose le citoyen
étatique, qui est celle de faire entendre sa position en votant lors des
élections. Alors que la première a une incidence transnationale,
la seconde ne peut que causer des répercussions nationales. La
globalisation des marchés ouvre à ces consommateurs et ces
investisseurs de nouvelles opportunités de poursuivre des idées
sociopolitiques, inexistantes auparavant dans la sphère
nationale59. Ces individus deviennent de véritables citoyens
du marché où la facture d'achat d'un produit ou les actions d'une
entreprise seraient les équivalents d'un vote lors d'une
élection60. Le pré-requis à ce
56 Muria KRUGER et David WEISSBRODT, <<
Current Developments : Norms on the Responsibilities of Transnational
Corporations and Other Business Enterprises with Regard to Human Rights
>>, American Journal of International Law, Fiona BEVERIGDE (dir.),
Globalization and International Investment, Burlington, Ashgate, 2005, p. 200;
Peter MUCHLINSKI,«Human Rights and Multinationals: Is There A Problem
?», International Affairs, dans Fiona BEVERIGDE (dir.), Globalization
and International Investment, Burlington, Ashgate, 2005, p. 228; Paul DE
WARRT, << Sustainable development through a socially responsible trade
and investment regime>>, dans Nico SHRIJVER et Friedl WEISS (dir.),
International Law and Sustainable Development, Leiden, Martinus Nijhoff, 2004,
p.273.
57 Le milliardaire et investisseur américain
Warren Buffet a vendu ses actions dans Petro China à cause de leurs
opérations au Soudan, et leurs relations étroites avec le
gouvernement soudanais, accusé de génocide au Darfour, Voir
Save Darfur, << Warren Buffet's China Divestment : Good or Greed ?
>>, 16 aout 2007, en ligne :
http://www.savedarfur.org/newsroom/clips/warren_buffetts_china_divestment_greed_or_good/
;
Voir également Sudan Divestment Task force,
«Petro China, CNPC, and Sudan: Perpetuating Genocide», avril 15
2007, en ligne:
http://www.sudandivestment.org/docs/petrochina_cnpc_sudan.pdf.
58 Marc JACQUEMAIN, << État et
marché à l'heure de la mondialisation. Babel comme perspective
sociologique >>, dans Nicolas THIRION (dir.), Le marché et
l'État à l'heure de la mondialisation, Bruxelles, Larcier,
2007, p.268.
59 D. SCHNEIDERMAN, op. cit., note 34, p.
187.
60 Id., note 34, p. 192.
droit est cependant l'existence d'un pouvoir d'achat, ce qui
exclut obligatoirement des centaines de millions, voir milliards, d'individus
de la planète vivant en pauvreté61. L'exclusion des
pays en développement de cette dynamique contemporaine apparaît
dès lors évidente. Nous traiterons d'avantage de leur position
plus loin dans notre recherche.
À travers la mobilisation de la société
civile, ces citoyens se sont impliqués et se sont appropriés des
domaines et des thèmes prévus par le droit international
économique, qui est devenu une véritable lex publica.
Une réforme au régime actuel devrait effectivement prévoir
et permettre l'accès direct des citoyens et de leurs
représentants, soit la société civile, de sorte qu'ils
puissent devenir les << auteurs de leur destin >>62.
2) Décloisonnement du droit international
économique
Dans le contexte de la globalisation des marchés
décrit dans les paragraphes précédents, la
société civile contribue également au
décloisonnement du droit international économique. Le
cloisonnement du droit signifie que les différentes sphères de
droit sont isolées l'une de l'autre, de sorte que chacune garde sa
cohérence sans vraiment communiquer avec les autres63.
Pourtant, les situations d'interdépendances se multiplient, rendant
l'isolement des ensembles juridiques
61 Id., note 34, p. 194.
62 Id., note 34, p. 9.
63 Mireille DELMAS-MARTY, << Les forces
imaginantes du droit : Le pluralisme ordonné >>, Paris, les
Éditions du Seuil, 2006, p. 27.
inconcevable64. Cela est vrai tant pour
l'interaction du niveau national par rapport au niveau international, que pour
un domaine de droit par rapport à un autre.
Ce phénomène selon lequel le cloisonnement des
différentes sphères de droit serait inconcevable est
qualifié par Mireille Delmas-Marty de « perméabilité
>> ou de « porosité du droit >>65. Il
s'agirait d'un phénomène inhérent à la conception
postmoderne du droit et qui incarnerait un éloignement de la conception
moderne identifiable à l'État. La contribution de la
société civile dans le décloisonnement du droit
international économique est justement qualifiée de la sorte:
« NGOs have had a role in the advancement of «post sovereign
state» international law>>66.
Ce décloisonnement est suscité en partie par les
interventions de la société civile à titre d'amicus
curiae. Leur avènement au règlement des différends
internationaux marquerait la fin d'une ère strictement
interétatique67. En utilisant cette procédure, la
société civile tente d'apporter à la lumière d'un
tribunal des faits et des arguments différents, reposant sur d'autres
ensembles ou domaines de droit que ceux tranchés conventionnellement par
le tribunal68. Nous aborderons la question de l'amicus curiae
plus en détail par la suite69.
À cet égard, Pascal Lamy - directeur
général de l'OMC - avait déclaré dans un discours
devant la Société européenne du droit international que
l'organe de règlement de différends de l'OMC (ORD)
interprète le droit de l'OMC à la lumière
64 Id., note 63, p. 4.
65 Id., note 63, p. 27.
66 Theodor MERON, «The Humanization of
International Law», Leiden, The Hague Academy of International Law, 2006,
p.391.
67 Hervé ASCENSIO, « L'amicus curiae
devant les juridictions internationales >>, Paris, Revue
générale de droit international, 2001, p.898.
68 H. ASCENSIO, op. cit., note 67, p.924.
69 Voir Partie V -Asymétrie au niveau
d'accès à la justice internationale économique - Section 3
- Fondement de l'accès à la procédure par la
société civile.
des autres normes du droit international70. Tel que
nous le verrons plus tard dans l'étude, de récentes
décisions dans le domaine d'arbitrage des différends
d'investissements internationaux suivraient également la position de
l'ORD. Les arbitres auraient adopté une << approche
intégrée » conforme donc aux préceptes du
développement durable, prenant en compte des facteurs non strictement
économiques lors de l'analyse des différends. La
société civile a longuement soulevé une telle approche
éclectique et progressiste dans le but de remédier aux conflits
suscités par ledit cloisonnement ou, en d'autres termes, par
l'application de droits strictement marchands sans la considération des
droits non marchands en cause. L'idée pour la société
civile est alors de soulever les normes non marchandes applicables au
différend en vue de pondérer entre les droits des multinationales
ou des investisseurs (par exemple quant à la protection contre
l'expropriation étatique) et leurs obligations (par exemple quant au
respect de l'environnement)71. L'objectif serait de remédier
à ces conflits par l'association des droits fondamentaux aux droits
économiques72. Les << droits fondamentaux »
sous-entendent également l'indivisibilité entre droits civils et
politiques (dits de << première génération »)
et droits socio-économiques (dits de << seconde
génération »)73.
Ces conflits, suscités par le cloisonnement du droit,
seraient le produit d'une dichotomie entre droit marchand et droit non
marchand. Vu d'un angle philosophique, la valeur marchande renvoie à
tout ce qui a un prix, donc ce qui est remplaçable par quelque chose
d'autre à titre d'équivalent, tandis que la valeur non
70 Pascal LAMY, << La place et le rôle du
droit de l'OMC dans l'ordre juridique international », Discours devant la
Société européenne du droit international, 19 mai 2006, en
ligne :
http://www.wto.org/french/news_f/sppl_f/sppl73_f.htm,
p. 18
71 M. DELMAS-MARTY, op. cit., note 5, p.
42.
72 M. DELMAS-MARTY, op. cit., note 63, p.
5.
73 Id., note 63, p. 14.
marchande renvoie à ce qui est supérieur
à tout prix, ce qui n'a pas d'équivalent74. En
réalité, les chevauchements entre ces deux ensembles de normes et
de préoccupations diluent les barrières parfois
établies75. Ces chevauchements sont illustrés par le
principe même du développement durable qui est un exemple notoire
de la complémentarité entre le << marchand » et le
<< non marchand ». Ce principe a été fortement
soulevé par la société civile. Il souligne
l'indissociabilité entre le développement économique (et
son importance pour le bien-être des sociétés) et la prise
en compte des préoccupations environnementales et sociales (et leur
importance pour la viabilité des générations futures).
Nous reviendrons à la question des chevauchements plus loin lorsque nous
traiterons de l'intérêt que portent la société
civile et les multinationales aux préoccupations non marchandes.
En effet, la notion juridique du développement durable
est apparue lors de la Conférence de Stockholm de 1972 (à
laquelle 300 ONG avaient participé)76. Elle a
été reprise et renforcée par la Conférence de Rio
de 1992 (à laquelle 1400 ONG avaient participé)77. Les
accords de l'OMC et de l'ALENA, adoptés peu après la
conférence de Rio, l'ont explicitement reconnu dans leurs
préambules78. La notion a été enfin
enchâssée lors du Sommet mondial pour le développement
durable à Johannesburg en 2002. La conférence de l'ILA
de New Delhi en 2002 a d'ailleurs
74 Pour de plus amples éclaircissements sur
l'analyse philosophique de la dichotomie entre valeur marchande et non
marchande, Voir Mireille DELMAS-MARTY, << Globalisation
économique et universalisme des droits de l'homme »,
Montréal, Les Éditions Thémis, 2003, p. 8.
75 D. FRENCH, op. cit., note 46, p. 54.
76 Richard STEENVORDE, «Regulatory
Transformations in International Economic Relations», Njmegen, WLP, 2008,
p.8.
77 Id, note 76, p.8.
78 Le premier paragraphe du préambule de
l'accord instituant l'OMC : << Reconnaissant que leurs rapports dans le
domaine commercial et économique devraient être orientés
vers le relèvement des niveaux de vie, la réalisation du plein
emploi et d'un niveau élevé et toujours croissant du revenu
réel et de la demande effective, et l'accroissement de la production et
du commerce de marchandises et de services, tout en permettant l'utilisation
optimale des ressources mondiales conformément à l'objectif de
développement durable, en vue à la fois de protéger et
préserver l'environnement et de renforcer les moyens d'y parvenir d'une
manière qui soit compatible avec leurs besoins et soucis respectifs
à différents niveaux de développement économique
(...)». Voir également E. KENTIN, op. cit., note
42, p. 314.
noté la reconnaissance accrue du statut du
développement durable en tant que principe de droit
international79. Le principe est analysé pour la
première fois dans la jurisprudence internationale dans l'affaire
Gabcikovo-Nagyramos80 devant la CIJ. Dans sa
décision, la CIJ a réitéré l'importance de
concilier le développement économique et la protection de
l'environnement81. Le développement durable et le principe du
pollueur-payeur qui en découle, ont été également
repris par la jurisprudence canadienne82. La Cour suprême a
réitéré que les activités d'une entreprise causant
la contamination du sol entraînent l'obligation d'assumer les dommages
qui en découlent et ce, même rétroactivement et
malgré une fusion de l'entreprise responsable de la
contamination83. L'organe d'appel dans «Shrimps»
s'en prévaut dans son interprétation de l'article XX du GATT pour
signaler l'importance de prendre en compte l'objectif de protection
environnementale incarné dans cet article84. L'ORD a en effet
confirmé à maintes reprises l'appartenance des règles de
l'OMC au plus grand ensemble du droit international et que ces normes
s'appliqueraient directement dans ses différends85. Ainsi, un
cloisonnement entre les différentes sphères de droit signifierait
à titre d'exemple la non-considération du droit international
environnemental dans l'application du droit international de
79 P. DE WARRT, op. cit., note 56, p.285.
80 Affaire du Projet
Gabèíkovo-Nagymaros, Hongrie c. Slovaquie, CIJ 25
septembre 1997.
81 E. KENTIN, op. cit., note 42, p. 309.
82 Le principe du pollueur-payeur est
consacré par le chapitre 20 d'Agenda 21 de l'ONU, << Gestion
écologiquement rationnelle des déchets dangereux, y compris la
prévention du trafic international illicite de déchets dangereux
>>, «Agenda 21», en ligne:
http://www.un.org/esa/sustdev/documents/agenda21/french/action20.htm
.
83 Dans cette décision, la Cour
suprême a renversé le jugement de la Cour d'appel de la
Colombie-Britannique, et a retenu l'analyse de la juge dissidente Rowles J.A.
La juge avait décidé que British Columbia Hydro -
entité créée suite à la fusion de B.C.
Electric et British Columbia Power Commission en 1965 - serait
toujours responsable pour des infractions environnementales commises avant la
fusion, et qu'elle serait considérée en tant que <<
responsible person >> en vertu du Waste Management Act.
La loi ordonne entre autres auxdites personnes de restaurer les
propriétés contaminées et ce, même
rétroactivement. Voir British Columbia Hydro and Power
Authority c. Colombie-Britannique (Environmental Appeal Board), 2003 BCCA 436,
p.109. et British Columbia Hydro and Power Authority c.
Colombie-Britannique (Environmental Appeal Board), 2005 CSC 1, [2005] 1 R.C.S.
3.
84 Rapport de l'organe d'appel,
États-Unis -- Prohibition à l'importation de certaines
crevettes et de certains produits à base de crevettes,
WT/DS58/AB/R, adopté le 6 novembre 1998, DSR 1998:VII, 2755; Paragraphe
12.
85 E. PETERSMANN, op. cit., note 24, p. 633
et 652.
l'investissement. Dans ce cas, des conflits entre la
globalisation économique et l'« universalisme éthique »
deviennent dès lors évidents86.
La polémique au sujet des conflits entre les
préoccupations marchandes et non marchandes évoquent un autre
débat juridique. Des auteurs ont effectivement soulevé que la
globalisation des marchés aurait renversé l'équilibre
entre valeurs marchandes et valeurs non marchandes. Cette dernière est
enchâssée et protégée par des instruments juridiques
propres aux droits de l'homme, aux lois de police et d'ordre public,
sous-entendant un caractère constitutionnel au sein de l'ordre juridique
national87. Les valeurs marchandes renvoient par opposition à
l'acte de commerce et aux lois régissant le droit privé. Or, le
droit international économique a permis l'extension de la valeur
marchande où s'étend le marché, soit à la
sphère internationale. Les droits (incarnat les valeurs marchandes)
deviennent désormais supra-nationaux et supra-constitutionnels car ils
sont encadrés au sein d'un régime qui engage et lie l'État
sous peine de sa responsabilité internationale; tandis que les droits
non marchands (incarnant les valeurs non marchandes) sont attachés
uniquement à l'ordre juridique national. Le fondement de leur exercice
ou de leur revendication serait soupçonné de protectionnisme
puisque cela constituerait une exception à l'application des
règles économiques internationales et
multilatérales88. La hiérarchie entre valeur non
marchande et valeur marchande serait ainsi renversée89.
86 M. DELMAS-MARTY, op. cit., note 74, p.
3.
87 Id., note 63, p. 9.
88 Id., note 63, p. 11.
89 Id., note 63, p. 10.
Ce renversement suscite des conflits qui ne pourraient pas
être résolus par la mise en place d'une nouvelle hiérarchie
juridique internationale qui accorderait - à titre d'exemple - une
prépondérance aux droits fondamentaux par rapport aux droits
économiques par la voie de traités ou d'accords
multilatéraux90. Cela semblerait peu probable en partie
à cause d'une réticence étatique, résultant
notamment des pressions des lobbies corporatifs et industriels91. Il
s'agit d'une situation fortement sensible qui risquerait d'engendrer des
tensions et des controverses. Les pays en développement craignent en
effet un « débat sur valeurs » qui viserait l'imposition de
standards « occidentaux » portant sur les droits de l'homme et
l'environnement par l'entremise du droit international92. Nous
revisiterons cette question plus en avant93.
Le décloisonnement du droit international
économique entraînerait en revanche l'avènement des droits
fondamentaux au sein du cadre multilatéral des droits
économiques, libérant ainsi ce premier ensemble de normes et les
mesures qui en découlent des soupçons protectionnistes. Le
décloisonnement du droit international économique
écarterait les préjugés reliés à l'action
unilatérale étatique, méprisée et jugée
inapte à répondre aux problématiques contemporaines de
plus en plus globalisées94. Nous pensons à ce
titre à la controverse causée par la fameuse affaire de
«Shrimps», qui a été suscitée par
l'adoption unilatérale des États-Unis d'un
90 Id., note 63, p.8; E.
PETERSMANN, op. cit., note 24, p. 642; Arjun SENGUPTA,
«Implementing the Right to Development», dans Nico SHRIJVER et Friedl
WEISS (dir.), International Law and Sustainable Development, Leiden,
Martinus Nijhoff, 2004, p. 344.
91 J. ZERK, op. cit., note 34, p.279; P.
ROSIAK, op. cit., note 34, p.171.
92 Id., note 24, p. 662.
93 Partie IV - Quelles symétries entre
multinationales et société civile? - Section 5 - L'opposition
à leur participation
94 Francis MAGRIS, « Logique de marchés et
pouvoirs publics dans la sphère mondiale : La Banque mondiale, le FMI,
et l'OMC », dans Nicolas THIRION (dir.), Le marché et
l'État à l'heure de la mondialisation, Bruxelles, Larcier,
2007, p.208.
règlement à portée extraterritoriale
visant la protection des tortues. Nous examinerons ce différend dans la
suite de notre raisonnement95.
Grâce à ce décloisonnement, la
société civile appellerait à un certain équilibre
fondé sur l'interprétation juxtaposée des
différentes normes découlant du même ordre juridique
international. Un ordre hétérogène et ramifié
certes, mais qui serait désormais harmonieux. La contradiction,
condamnée et dénoncée auparavant deviendrait dès
lors complémentarité grâce à la prise en compte des
droits fondamentaux. Cette complémentarité serait le fruit d'une
mobilisation de la part de la société civile pour un
équilibre entre «universalisme éthique»
et valeurs et droits marchands96.
Cette mobilisation est apparente au niveau de l'OMC où
les plaidoyers de la société civile ont porté entre autres
sur la réforme d'ADPIC et sur l'accession de la Chine à
l'OMC97. En dépit du fait que l'accès au cycle
d'Uruguay lui a été interdit, l'OMC reconnaît son
rôle98. L'article V(2) de l'accord de Marrakech édicte
que l'organisation devra consulter et coopérer avec la
société civile99. L'ouverture de l'OMC - par
l'accès public à pratiquement tous les documents de
l'organisation à travers l'internet - faciliterait d'autant plus cette
relation. En effet, depuis l'entrée en vigueur de l'accord de Marrakech
instituant l'OMC en 1995, les plaidoyers de la société civile ont
notamment souligné la nécessité d'un niveau plus
élaboré de transparence et de démocratisation de
l'organisation. Ses plaidoyers sont exercés à
95 Voir Partie V - Asymétrie au niveau
d'accès à la justice internationale économique - Section 3
- Fondement de l'accès à la procédure.
96 M. DELMAS-MARTY, op. cit., note 63, p.
13.
97 Id., note 63, p. 18.
98 S. CHARNOVITZ, op. cit., note 30, p.
497.
99 Id., note 30, p. 499; P. ROSIAK,
op. cit., note 34, p. 262.
l'occasion des nombreux forums et conférences
organisés par l'OMC et qui regroupent des États membres, des
organisations internationales ainsi que des multinationales. Le Forum public de
l'OMC en est un exemple concret. Il a permis l'ouverture des portes de
l'organisation à 1750 participants venus du monde entier en 2007
(comparé aux 450 participants venus lors du premier forum lancé
en 2001)100.
Les plaidoyers de la société civile ont
été ainsi à l'origine d'un nombre important de
réformes légales et institutionnelles que les membres de l'OMC
ont dûment acceptées et ce, en dépit d'une stagnation
politique empêchant les membres de l'OMC de réagir aux appels de
l'ONU et de la société civile d'associer le droit de l'OMC aux
droits fondamentaux101. Certains auteurs affirment cependant que ce
n'est qu'une question de temps avant que l'ORD interprète les
règles de l'OMC à la lumière des obligations de droits de
l'homme d'États membres impliqués dans des différends
éventuels102. La conciliation entre ces deux ensembles de
normes représenterait un défi tant juridique que politique, mais
qui permettrait ultimement une mise en valeur de la légitimité
démocratique de l'OMC103.
Grâce effectivement à la collaboration et la
coopération de la société civile, l'OMC s'est
lancée dans plusieurs initiatives progressistes visant à
réagir à des questions d'intérêt public fortement
liées au commerce mondial104. La déclaration de l'OMC
pour l'accès aux médicaments de 2001, l'amendement de l'article
31(f) d'ADPIC ainsi que l'accord de 2003 sur une dérogation pour les
mesures
100 P. LAMY, op. cit., note 2, p.2.
101 E. PETERSMANN, op. cit., note 24, p. 667.
102 Selon Petersmann, la jurisprudence de l'ORD considère
le droit de l'OMC et son interprétation en tant que sous jacents au
système juridique international qui inclut, entre autres, les droits de
l'homme. Voir Id., note 24, p. 648.
103 Id., note 24, p. 634.
104 M. DELMAS-MARTY, op. cit., note 7, p. 166.
commerciales prises dans le cadre du processus de Kimberley
sur le commerce des diamants bruts sont à la fois de parfaits exemples
de ces initiatives progressistes et de la percée par la
société civile au sein de la stagnation politique étatique
à l'OMC105.
Nous allons à présent tourner notre attention
sur la réforme d'ADPIC. L'article X d'ADPIC consacre la reconnaissance
internationale des brevets pharmaceutiques. Tous les États signataires
sont liés et se sont soumis à ce droit. Leur souveraineté
de légiférer dans ce domaine est assujettie à la
compatibilité de leurs lois et de leurs mesures avec cet accord et
d'ailleurs, avec les autres accords de l'OMC106. Selon une
interprétation stricte ou strictement « marchande », l'accord
interdirait la production de médicaments génériques
brevetés même lors de la survenance d'épidémies ou
d'urgences nationales. À cet égard, l'ADPIC est
désigné par certains altermondialistes comme un régime de
droit « génocidaire », étant donné que la
production de médicaments génériques serait ainsi
prohibée en dépit de la nécessité et de
l'impératif de sauver la vie humaine107. Or, une
interprétation des dispositions d'ADPIC à la lumière de
l'article XX (b) du GATT de 1994 octroierait une légitimité aux
mesures visant la protection de la santé des personnes. L'article XX (b)
accorde une exception aux règles commerciales si les mesures d'exception
sont nécessaires à la protection de la santé et de la vie
des personnes. Une telle interprétation constitue à notre avis un
exemple d'interprétation « décloisonnée ». Les
normes marchandes du droit international portant sur la propriété
intellectuelle seraient interprétées à la lumière
des normes et des principes des droits de l'homme.
105 Id., note 2, p.3.
106 F. MAGRIS, op. cit., note 94, p.214.
107 Voir Susan GEORGES, « ATTAC : Remettre l'OMC
à sa place », Paris, Mille et une nuits, 2001.
Concrètement parlant, le panel de l'ORD utiliserait des
instruments de droits de l'homme ou de droit humanitaire afin de le guider dans
sa décision sur la violation d'un droit couvert par l'ADPIC. À
titre d'exemple, il pourrait s'y référer pour connaître
quelle serait la portée et les caractéristiques d'une «
épidémie » ou les obligations exactes des États quant
au respect du droit à la vie. Ainsi, le cadre normatif de la
propriété intellectuelle permettrait prima facie la
prise en compte d'un intérêt non marchand tel que la lutte contre
la propagation d'épidémies meurtrières comme le
SIDA108.
Les développements qui ont suivi les mesures
sud-africaines et brésiliennes de production de médicaments
génériques brevetés ont cependant indiqué le
contraire109. De grands groupes pharmaceutiques ont indiqué
leur profond mécontentement et ont manifesté leur intention
d'entamer des recours judiciaires nationaux et internationaux. Ces menaces ont
dû être abandonnées face aux mobilisations et aux campagnes
édifiantes de la société civile et des États
visés. La mise en place d'une réforme devenait incontournable et
nécessaire afin de clarifier les droits et les obligations en cause. Le
Conseil général de l'OMC a adopté à la
conférence de Hong Kong de 2005 une décision sur le Protocole
d'amendement d'ADPIC. Cette dernière complète la décision
du Conseil général en 2003 de déroger aux dispositions de
l'article 31 f) d'ADPIC sous réserve de certaines conditions.
La décision de Hong Kong permet aux États
capables de fabriquer des médicaments d'en exporter dans le cadre d'une
licence obligatoire vers des pays qui ne sont pas en mesure d'en fabriquer.
L'État membre aura le droit également de
108 P. DE WARRT, op. cit., note 56, p.290.
109 M. DELMAS-MARTY, op. cit., note 7, p. 167.
déterminer s'il existe ou non urgence nationale
justifiant les licences de médicaments
génériques110. Les << importations
parallèles » seraient également possibles, elles visent les
cas où un État membre importe un médicament vendu moins
cher dans un autre État par le titulaire du brevet et ce, sans
l'autorisation de ce dernier. Elles sont prévues dans les cas d'absence
de capacités adéquates de production pharmaceutique, ou de
contraintes de temps face à une épidémie ou de survenance
de cas d'urgences nationales exigeant des solutions rapides. Cette
dérogation est valable jusqu'à ce qu'ADPIC soit amendé, ce
qui n'est pas encore le cas. Les États membres avaient jusqu'au 31
décembre 2009 pour ratifier le Protocole d'amendement de l'ADPIC, le
Canada l'ayant pour sa part ratifié le 16 juin 2009.
Notons encore que l'adoption de ces initiatives n'aurait pas
été possible faute de discussions, délibérations,
coordinations et collaborations avec les multinationales concernées,
notamment les puissantes entreprises pharmaceutiques. Ce type de consultations
se déroule en partie sous l'égide du Pacte mondial de l'ONU,
où diverses parties prenantes interagissent pour former des consensus
internationaux111. Cité dans «Shrimps», le
principe 12 de la Déclaration de Rio est à ce même
effet112. Il énonce que les mesures environnementales
à portée extraterritoriale sont valables pourvu qu'il existe un
consensus international soutenant la mesure visée.
Somme toute, nous notons que l'objectif du
décloisonnement serait atteint par la projection des droits non
marchands à un ordre juridique international pluraliste et
110 P. DE WARRT, op. cit., note 56, p.290.
111 P. ROSIAK, op. cit., note 34, p.271; P. DE WARRT,
op. cit., note 56, p.290.
112 << (...) Toute action unilatérale visant
à résoudre les grands problèmes écologiques
au-delà de la juridiction du pays importateur devrait être
évitée. Les mesures de lutte contre les problèmes
écologiques transfrontières ou mondiaux devraient, autant que
possible, être fondées sur un consensus international ».
Voir Nations unies, Déclaration de Rio sur l'environnement
et
le développement, juin 1992, en ligne:
http://www.un.org/french/events/rio92/rio-fp.htm.
multilatéral dans le but de remédier aux enjeux
de la globalisation des marchés. Les initiatives mentionnées
démontrent également la flexibilité du système de
l'OMC de s'adapter face à des problématiques de droits de
l'homme113. Le rôle joué par la société
civile, dans ses efforts pour « décloisonner » le droit
international économique, est effectivement édifiant. Cela
démontre par ailleurs le degré de son engagement pour la
défense des droits non marchands, raisonnement que nous allons traiter
dans les paragraphes qui suivent.
3) La société civile :
défenderesse des droits non marchands transnationaux
La société civile surgit en tant que
véritable défenderesse des droits non marchands transnationaux.
Son militantisme pluridimensionnel confronte souvent des violations commises
soit par les États, soit par les multinationales. Cette confrontation
est manifestée à travers de nombreux exemples que nous exposons
cidessous.
L'International Labour Rights Forum (ILRF) a
lancé une campagne en 1997 contre le Mexique et certaines entreprises
américaines. La campagne dénonçait des tests de grossesse
imposés aux candidates désirant travailler dans des
maquillas114. Le gouvernement du Mexique a aussitôt
réagi en lançant une campagne de sensibilisation à propos
des lois mexicaines contre la discrimination, tandis que de nombreux groupes
américains ont été contraints de cesser cette pratique.
Les plaidoyers de l'ILRF ont enfin conduit à une plainte de la part du
bureau administratif
113 E. PETERSMANN, op. cit., note 24, p. 649.
114 S. CUMMINGS, op. cit., note 32, p. 18.
national américain contre le Mexique en vertu de
l'Accord nord-américain de coopération dans le domaine du travail
de l'ALENA115.
L'exemple de Nike et le dommage causé à
sa réputation corporative sont également de parfaits exemples de
cette confrontation. La publication et la distribution par la
société civile de la photo d'un enfant pakistanais en train de
fabriquer un ballon de football de Nike, l'affaire Kukdong au
Mexique et le litige de Kasky vs. Nike sont autant d'illustrations du
dommage que Nike a subi116. Les polémiques
tournaient souvent autour des pratiques de Nike et de ses fournisseurs
qui gèrent des usines où les conditions de travail étaient
douteuses. Le concept de sweatshop était devenu synonyme de
Nike. L'entreprise a vu ses produits boycottés et sa
réputation bafouée117. Dans un monde où le
consommateur est de plus en plus averti et où les relations publiques
d'une entreprise ont d'importants impacts sur son chiffre d'affaires et le
cours de son action, la réputation corporative a valeur
d'or118. La mobilisation menée contre Nike
révèle ainsi le rôle crucial et le poids de la
société civile.
Grâce à son énorme pouvoir de mobilisation
et de sensibilisation, la société civile est capable de susciter
des changements incidents sur la pratique des multinationales les plus
imposantes119. Elle réclame également une plus ample
opposabilité juridique des codes de conduite des entreprises, semblant
être de plus en
115 Id., note 32, p. 18.
116 J. ZERK, op. cit., note 34, p.266.
117 Cesar A. RODRIGUEZ-GARAVITO, «Nike's law: the
anti-sweatshop movement, transnational corporations, and the struggle over
international labour rights in the Americas», dans Boaventure de SOUSE
SANTOS et Cesar A. RODRIGUEZGARAVITO (dir.), Law and globalization from
below: towards a cosmopolitan legality, Cambridge, Cambridge university
press, 2005, p. 68; D. SCHNEIDERMAN, op. cit., note 34, p. 192.
118 P. ROSIAK, op. cit., note 34, p. 273; P. DE WARRT,
op. cit., note 56, p.291.
119 Id., note 117, p. 80.
plus en cause dans les différends impliquant la
problématique des sweatshops120. En 2005, l'ILRF a
poursuivi Wal-Mart devant les tribunaux californiens. Il s'agissait d'un
recours collectif au nom de plusieurs travailleurs des fournisseurs du
géant américain situés en Afrique, en Asie et en
Amérique centrale. Le fondement du recours était basé sur
des violations du code de conduite de Wal-Mart, également
applicable aux fournisseurs de la compagnie121. Cette
dernière poursuite est enfin fort révélatrice de cette
action transnationale coordonnée de la société civile qui
ne connaît ni nationalisme ni territorialité. La collaboration
à travers les réseaux internationaux a rendu l'ignorance et
l'indifférence à l'égard des abus corporatifs à
l'étranger difficiles à maintenir122. Il est par
ailleurs intéressant de noter que le fondement juridique de la poursuite
était un code de conduite et non un texte de loi. Nous reviendrons
à la question de l'opposabilité juridique des codes de conduite
plus loin123.
La polémique avec Bechtel représente
une autre illustration de cette confrontation de la société
civile évoquée plus haut. En 2000, d'importantes manifestations
et émeutes ont secoué Cochabamba, troisième ville de
Bolivie, en protestation contre une hausse de 35% du prix de l'eau potable.
Cette hausse est attribuée à la privatisation des installations
de distribution d'eau et de traitement d'égout de la ville. Une
concession avait été accordée à un consortium de
sociétés dirigé par Bechtel mais que le
gouvernement bolivien a été contraint de
révoquer124.
120 Illustré dans la fameuse affaire de Kukdong, le
sous-traitant de Nike opérant au Mexique. Voir D. SCHNEIDERMAN,
op. cit., note 34, p. 193.
121 S. CUMMINGS, op. cit., note 32, p. 24.
122 P. MUCHLINSKI, op. cit., note 56, p. 222.
123 Voir Partie IV - Quelles symétries entre
multinationales et société civile? - Section 2 - La soft law des
acteurs non étatiques.
124 EarthJustice, «Victories: Bechtel Drops Case in
Bolivia Water Case», 19 janvier 2006, en ligne:
http://www.earthjustice.org/our_work/victory/?issue=®ion=&office=27410256
Aguas del Tunari, filiale bolivienne
contrôlée par le consortium dirigé par Bechtel, a
donc poursuivi la Bolivie devant le CIRDI en vertu du traité
bilatéral d'investissement (TBI) Pays-Bas / Bolivie pour un montant de
50 millions de dollars américains à titre de compensation pour
expropriation. Suite à la poursuite, le géant américain a
été vivement critiqué dans les médias et dans les
campagnes internationales de la société civile. La critique se
fondait en une mobilisation provenant d'acteurs des cinq continents, regroupant
altermondialistes, académiciens, experts en développement durable
et autres125. En effet, de nombreux spécialistes tels que
Joseph Stiglitz ont dénoncé ce recours. Selon lui, ce
différend est un exemple flagrant parmi d'autres où : <<
Many instances of corporate evil-doing have rightly become infamous
(...)>>126.
L'affaire a ainsi une valeur symbolique puisqu'elle opposait
une des plus grandes entreprises américaines et un des pays
d'Amérique latine les plus pauvres. Un affrontement qui a pris cependant
place dans un contexte de globalisation économique et devant un tribunal
du CIRDI. La Banque mondiale et le CIRDI ont été également
affectés par la polémique suscitée par les campagnes de la
société civile. Étant donné la conduite de
l'audience à huis clos, le CIRDI a été critiqué
à cause de sa procédure d'arbitrage << secrète
>> en dépit de l'énorme intérêt public en
cause127. Le différend a pris une ampleur politique
considérable. Suite à l'échec de la demande bolivienne de
rejeter la compétence du tribunal, le CIRDI a été
également critiqué par
125 International Institute for Sustainable Development,
«Bolivian water dispute settled, Bechtel forgoes compensation»,
Investment Treaty News, 20 janvier 2006, en ligne:
www.iisd.org/pdf/2006/itn_jan20_2006.pdf
126 Joseph STIGLITZ, << Making globalisation work >>,
New York, Norton & co., 2006, p.187.
127 Id., note 124.
le président Evo Morales. Ce dernier a
dénoncé un favoritisme à l'égard des investisseurs
et entama des démarches pour retirer son État du traité du
CIRDI128.
Le tribunal d'arbitrage saisi s'est prononcé sur sa
juridiction en répondant également à une requête
d'amicus curiae129. Une ONG environnementale130
a demandé au tribunal la permission d'intervenir en tant que partie au
différend et, en cas de refus, en tant qu'amicus
curiae131. Cette requête audacieuse a été
présentée par la fameuse Earthjustice, qui est
intervenue dans plusieurs différends examinés dans cette
étude. Ce caractère audacieux se retrouve d'emblée dans
les demandes des intervenants qui exigèrent : de se prononcer à
la fois sur des aspects procéduraux incluant la juridiction du tribunal,
sur l'arbitrabilité et le mérite des demandes du plaignant,
d'assister à toutes les séances, de présenter des
plaidoiries orales et d'avoir un accès immédiat à toutes
les pièces communiquées au tribunal. De plus, ils exigeaient du
tribunal la divulgation au public de toutes les pièces incluant les
mémoires écrits des parties, de permettre au public d'assister
aux audiences et que le tribunal se rende sur les lieux de
Cochabamba132. Le tribunal n'avait cependant pas jugé utile
à ce stade de se prononcer sur la question de la présentation des
mémoires, et a rejeté les autres demandes puisque leur octroi
relevait du consentement des parties.
128 Susan FRANCK, «Empiricism and International Law:
Insights for Investment Treaty Dispute Resolution», Viginia Journal of
International Law (47 Va. J. Int'l L. 767), 2008, p. 7.
129 Décision rendue le 21 octobre 2005; Aguas del
Tunari, S.A. v. The Republic of Bolivia (ICSID Case no. ARB/02/3),
Decision on Respondent's Objections to Jurisdictions.
130 Tel que soulevé à maintes reprises dans
cette étude, la société civile qui y est décrite
est loin d'être homogène dans sa composition. Les entités
représentées par les ONG dans ce litige illustrent en effet cette
diversité vu leurs qualités, leurs nationalités, et leurs
expertises: La Coordinadora para la Defensa del Agua y Vida, La
Federación Departamental Cochabambina de Organizaciones Regantes,
SEMAPA Sur, Friends of the Earth-Netherlands, Oscar Olivera,
Omar Fernandez, Père Luis Sanchez, et Jorge Alvarado (Membre du
congrès bolivien).
131Aguas del Tunari, S.A. v. The Republic of
Bolivia (ICSID Case no. ARB/02/3), Decision on Respondent's Objections
to Jurisdictions,p. 3.
132 Id., note 131.
Bechtel et ses partenaires ont toutefois
abandonné leur poursuite en 2006 en signant un règlement hors
cour avec la Bolivie133. L'abandon est considéré par
la société civile comme un triomphe, fruit d'une mobilisation et
d'une pression conséquente à la fois politique et
judiciaire134. Le pouvoir et plaidoyer de la société
civile dans ce cas illustre en effet une fois de plus la dynamique de sa
pression, exercée par son intervention pluridimensionnelle et à
travers sa capacité de mobilisation édifiante contre les plus
grandes entreprises. À travers son intervention complémentaire
devant le CIRDI et face à l'impuissance de la Bolivie liée
contractuellement par le TBI sous peine d'engager sa responsabilité, la
société civile a surgit en tant que la « voix des sans voix
», aussi bien devant cette juridiction que devant Bechtel.
III) Obtenir l'accès à quel titre ?
Dans les passages précédents, nous avons
traité des caractéristiques et des fonctions de la
société civile. Il importe dès lors de traiter de sa
qualité comme un acteur non étatique au sein de l'ordre juridique
international. En effet, la société civile atteindrait
l'accès à la justice internationale économique à
titre de sujet post-moderne de droit international, soit au même titre
que les multinationales/investisseurs, ces derniers bénéficiant
déjà d'un accès direct par l'entremise des
mécanismes de règlements de différends prévus par
les TBI. Il ne s'agit pas de traiter ici des débats volumineux entourant
cette question de droit international public, l'objectif de cette partie
étant plutôt d'aborder le débat quant au statut des acteurs
non étatiques afin d'illustrer que : grâce à leurs poids et
leurs influences, la société civile et les
133 S. FRANCK, op. cit., note 128, p.10.
134 Id., note 124.
multinationales surgissent en tant que véritables
partenaires et interlocuteurs indispensables des États dans le
développement du droit international économique135.
Cette nouvelle réalité se traduit par le
début d'un éloignement du modèle << westphalien
>>, ou moderne, centré autour de l'État, pour se
rapprocher d'un modèle plus cosmopolite projetant d'autres acteurs et
entités sur la scène internationale136. Dans ce
modèle << post-moderne >>, les acteurs non étatiques
se rapprochent du statut de << participants >> à un <<
processus >> et les caractéristiques de sujets de droit
international s'appliquent à des acteurs non étatiques.
1) Du rôle de « participants » à
un « processus »
Les acteurs non étatiques sont qualifiés de
<< participants >> au droit international, et en
considérant celui-ci comme <<
processus>>137. En effet, selon Rosalyn Higgins, le
droit international serait un processus de prise de décisions dans
lequel les acteurs non étatiques sont souvent des participants
indépendants et où ils ont un rôle
conséquent138.
À ce titre, la reconnaissance des acteurs non
étatiques s'imposerait à défaut de quoi le droit
international serait bureaucratisé, obsolète et où le
fossé entre de jure et de facto serait
désormais irréconciliable: « International law has been
called upon to abandon sacrosanct rules rooted in the past and adapt itself to
newly emergent social conditions>>139. Nombreux sont ceux
qui remettent en question le statut actuel du droit
135 P. DUMBERRY, op. cit., note 45, p. 104.
136 F. MAGRIS, op. cit., note 94, p.282.
137 Rosalyn HIGGINS, <<Problems and Process: International
law and how we use it >>, Oxford, Oxford University Press, 1993, p.50; J.
ZERK, op. cit., note 34, p.74; P. MUCHLINSKI, op. cit., note
56, p. 231.
138 T. MERON, op. cit., note 66, p.355.
139 S. TULLY, op. cit., note 47, p. 6.
international comme étant essentiellement
focalisé sur l'État140. Selon cette vision classique,
les États sont les uniques sujets de droit international, tandis que les
individus, entreprises et autres entités privées sont
considérés comme objets de droit international141.
Divers développements ont cependant bouleversé
cette vision classique. À titre d'exemple, le droit des particuliers
d'intenter un recours contre un État pour des violations de droits de
l'homme devant la Cour européenne des droits de l'homme à
Strasbourg marque ce changement de dynamique142. Ces particuliers
deviennent dès lors des sujets actifs de droit international à
travers les recours directs et individuels qui leur sont offerts.
C'est à cet égard et dans ce contexte que de
nombreux auteurs considèrent que ce sont la société civile
et les multinationales qui gagnent présentement du terrain aux
dépens de l'État. Ce dernier serait en train de perdre sa
<< supériorité inhérente » en devenant un
acteur parmi d'autres sur la scène internationale143.
Certains auteurs iront jusqu'à déclarer que le nouvel ordre
juridique international économique projetterait les États
<< en second plan derrière le marché et ses forces
»144. Si l'on donnait une forme géométrique
à ces développements, on imaginerait un << triangle
normatif » qui regrouperait des acteurs publics, privés et civils
où chacun aurait un impact effectif
140 Marouf MANIRUZZAMAN, << International Development
Law as Applcable Law to Economic Development Agreements : A Prognostic View
», Wisconsin International Law Journal, dans Fiona BEVERIGDE (dir.),
Globalization and International Investment, Burlington, Ashgate, 2005,
p.80.
141 J. ZERK, op. cit., note 34, p.73.
142 M. DELMAS-MARTY, op. cit., note 63, p. 19.
143 Ladite «supériorité inhérente»
- telle que qualifiée par Duncan French - reposerait entre autres sur la
centralisation gouvernementale dans les domaines politiques,
socio-économiques, et militaires. Voir D. FRENCH, op. cit.,
note 46, p. 61.
144 P. ROSIAK, op. cit., note 34, p. 253.
sur le droit international145. La vision classique
du droit international aurait en revanche une forme strictement linéaire
ou verticale.
L'augmentation du nombre d'organisations internationales
constitue par ailleurs une porte d'entrée aux acteurs non
étatiques. Ils y participent activement et exercent une influence sur
les agendas de ces organisations. Leur présence et leur assistance lors
des négociations des traités et des accords internationaux
illustrent la magnitude de leur rôle146. Ce
phénomène est également illustré au niveau du Fonds
monétaire international (FMI) où une coopération et un
dialogue se sont forgés avec la société civile au sujet de
la restructuration de la dette des pays les plus pauvres, relation que la
puissante organisation ne conduit typiquement et uniquement qu'avec un
État147.
De plus, grâce à leur pouvoir normatif, les
acteurs non étatiques participent effectivement au
processus de création de droit international. Cette
participation est concrétisée par la préparation et
l'adoption de projets de textes et par le plaidoyer qu'elles exercent à
l'égard des États et des organisations internationales telles que
l'ONU ou l'OMC. Ce processus est accentué par l'utilisation des pouvoirs
conséquents des médias, des nouvelles technologies de
communication ainsi que des campagnes de relations publiques. Les acteurs non
étatiques envoient souvent des délégations afin de
présenter leurs perspectives et leurs agendas directement
auprès
145 M. DELMAS-MARTY, op. cit., note 5, p. 327.
146 À titre d'exemple, lors de la conférence de
Rome pour l'établissement de la CPI, certains membres de la
société civile étaient des participants aux
négociations, et quelques uns faisaient même partie de
délégations étatiques; Voir T. MERON, op.
cit., note 66, p.347.
147 L'organisation est également très
susceptible à l'égard de son image telle que vue par la
société civile, notamment et évidemment en ce qui a trait
aux questions de transparence. Voir Bulletin du FMI pour la
société civile, « Rapport d'une ONG : Le FMI
louangé pour sa transparence », février 2007, en ligne :
http://www.imf.org/External/NP/EXR/cs/fra/2007/index.htm#art2b;
Voir également P. ROSIAK, op. cit., note 34, p. 78.
des organisations internationales et des
États148. Ceci fut le cas en l'occurrence lors du cycle
d'Uruguay, durant lequel le lobby de l'industrie pharmaceutique a eu un
rôle reconnu et édifiant visant à l'inclusion de la
protection de la propriété intellectuelle dans les
négociations149. Il s'agit de l'exemple par excellence de
l'influence des multinationales dans la création de normes juridiques et
dans l'élaboration des traités et des accords
internationaux150:
« Les transnationales deviennent créatrices de
droit et récupèrent une capacité normative par
négociations, par consensus, par pression, par délégation
(...)»151.
L'influence des multinationales décrite ci-dessus est
généralement exercée par les grands groupes corporatifs
des pays développés152. Ce constat est illustré
par le rôle du lobby de l'industrie chimique américaine qui
accompagnait sa délégation nationale, offrant soutiens et
conseils, durant le cycle de Tokyo où l'Accord sur les barrières
techniques au commerce (BTC) et l'Accord sur les mesures sanitaires et
phytosanitaires (SPS) ont été
négociés153. Nous pouvons également noter le
rôle édifiant des groupes corporatifs américains, canadiens
et mexicains dans l'élaboration et la révision des règles
de l'ALENA avant leur entrée en vigueur154.
Le pouvoir normatif des acteurs non étatiques est
également illustré par la lex mercatoria, qui
représente un ensemble de normes constitué à travers une
utilisation universelle/internationale et systématique de contrats-types
ou de clauses
148 T. MERON, op. cit., note 66, p. 540.
149 Les États-Unis et l'Union européenne ont
été notamment assistés par le Financial Leaders
Group. Voir P. ROSIAK, op. cit., note 34, p. 264; S.
CHARNOVITZ, op. cit., note 30, p. 529; J. STIGLITZ, op. cit.,
note 126, p.105.
150 Id., note 34, p. 264; Id., note
30, p. 529; Id., note 114, p.105.
151 P. ROSIAK, op. cit., note 34, p. 274.
152 S. TULLY, op. cit., note 47, p. 155.
153 Id., note 47, p. 156.
154 Id., note 47, p. 157.
contractuelles standardisées. Elle incarne les usages
commerciaux ayant pour finalité de créer des principes juridiques
opposables. Ces normes sont nées véritablement de la
volonté des entreprises et des commerçants. Dès lors, la
lex mercatoria représente bel et bien un exemple de la
relativité du monopole normatif international de
l'État155.
Une autre illustration de ce pouvoir normatif des acteurs non
étatiques serait le principe de supply chain responsibility.
Selon ce principe, une entreprise est responsable au même titre que son
sous-traitant ou son fournisseur156. Si le soustraitant ou le
fournisseur conduit ses activités dans des conditions de travail qui
mettent en cause sa responsabilité, l'entreprise cliente serait
responsable au même titre que le fournisseur. Il a justement
été soulevé dans le cadre de la lutte contre les
sweatshop dans les années 1990. Il constitue un signal d'alarme
pour les multinationales puisque le grand public ne fait que peu de
distinctions entre ces dernières et ses sous-traitants. Ce principe a
été utilisé par des ONG telles qu'Amnesty
International et Oxfam depuis longtemps et il est de plus en plus
accepté. Il a été repris par l'OCDE et l'ONU dans les
normes couvrant les activités des multinationales que nous traitons dans
cette étude157. The Commission on Business and Society
de la Chambre de commerce international (CCI) a également
émis une politique portant sur le principe de supply chain
responsibility158. Elle contient des
155 M. DELMAS-MARTY, op. cit., note 5, p. 101;
Id., note 47, , p. 92.
156 S. CUMMINGS, op. cit., note 32, p. 12; J. ZERK,
op. cit., note 34, p.265.
157 Les normes de l'OCDE encouragent, et n'obligent pas,
les entreprises d'inciter ses partenaires, sous-traitants, fournisseurs,
à adopter une conduite corporative compatible avec les Directives. Par
contre, les Normes de l'ONU vont plus loin encore au point d'imposer à
une multinationale de cesser de faire affaire avec des tiers qui persistent
à ignorer les Normes. Voir Organisation de coopération
et de développement économique, << Les Principes directeurs
de l'OCDE à l'intention des entreprises multinationales », 31
octobre 2001, en ligne :
http://www.oecd.org/document/28/0,3343,fr26493488923975321111,00.html;
Partie II - Principes généraux, paragraphe 10; Commentaires
sur les Normes sur la responsabilité en matière de droits de
l'homme des sociétés transnationales et autres entreprises,
U.N. Doc. E/CN.4/Sub.2/2003/38/Rev.2 (2003), en ligne :
http://www1.umn.edu/humanrts/links/commentary-Aug2003.html;
Paragraphe 15 c).
158 Chambre de Commerce Internationale, << Policy
Statement : ICC guidance on supply chain responsibility », 23 octobre
2007, en ligne:
http://www.icc-wcf.biz/uploadedFiles/ICC/policy/business_in_society/Statements/141-
75%20int%20rev6%20FINAL.pdf .
recommandations afin de guider les entreprises dans la mise en
place de procédés leur permettant de se conformer aux exigences
de ce principe.
En ce qui concerne plus particulièrement la
société civile, son pouvoir normatif est spécifiquement
caractérisé par la proposition d'alternatives et des solutions
concrètes aux problématiques du statu quo qu'elle
dénonce. Ces propositions sont d'une importance cardinale puisqu'elles
ajoutent à sa cause et à sa crédibilité en mettant
en valeur son caractère de << participant
>>159, cela lui ayant par exemple permis d'exiger
l'abandon du projet de l'Accord multilatéral sur l'investissement de
l'OCDE que nous avons traité plus haut160. Une illustration
desdites alternatives et solutions se trouve dans un modèle de
traité d'investissement élaboré par l'Institut
international de développement durable161. Ce modèle
d'accord couvre des matières reliées à la protection
d'investissement, au développement, à l'environnement, aux droits
de l'homme et au droit du travail. Il entérine le principe
d'intégration selon lequel les activités économiques,
financières, sociales et environnementales sont interdépendantes
et requièrent une approche globale et
intégrée162.
Ainsi, les activités de la société civile
et des multinationales ont un rôle considérable dans le
développement du droit international économique à travers
la proposition de nouvelles normes et ce, de façon continue. Si elles
sont réellement
159 Alternative for the Americas est un parfait
exemple, Voir C. RODRIGUEZ-GARAVITO, op. cit., note 117, p.
83; Voir également Von MOLKE, «A Model International
Investment Agreement for the Promotion of Sustainable Development»,
International Institute for Sustainable Development, 2004, en
ligne:
www.iisd.org/pdf/2004/trade_model_inv.pdf.
160 E. KENTIN, op. cit., note 42, p. 314.
161 Le modèle d'accord impose une obligation aux
investisseurs de s'assurer que leurs investissements rencontrent l'exigence de
durabilité, et donc qu'ils soient non nuisibles à l'environnement
et aux communautés locales. Voir Id., note 149, p.
219.
162 Chapitre 8.2, << Intégration de
l'environnement et du développement aux niveaux de l'élaboration
des politiques, de la planification et de la gestion >>, «Agenda
21», en ligne:
http://www.un.org/esa/sustdev/documents/agenda21/french/action2.htm;
Voir également E. KENTIN, op. cit., note 42, p.
315.
adoptées et reflétées dans les pratiques
étatiques, ces normes pourraient un jour devenir des normes
coutumières obligatoires163. Ceci est illustré par les
normes contenues dans les instruments de soft law. En effet, elles
pourraient servir à interpréter des traités existants,
constituer une base pour d'éventuels traités ou accords et
à forger de nouvelles coutumes164. Nous pensons ici aux
principes non contraignants de la RSE qui ont vu le jour grâce à
la contribution des acteurs non étatiques et qui sont consacrés
entièrement dans des initiatives et des instruments de soft
law165. L'ONU et plusieurs de ses agences telles que CNUCED et
la Sous-commission des droits de l'homme sont déjà un forum pour
cette fermentation d'un droit international économique qui couvrirait la
RSE. Il reste à savoir s'il y aura cristallisation d'une pratique
étatique autour de ces principes ou s'ils seront
ignorés166.
Le rôle de participants est par ailleurs
illustré dans le domaine de règlement des différends
internationaux. Les acteurs non étatiques interviennent dans ces
différends à titre de plaignants, de véritables
initiateurs des procédures ou encore en tant qu'amicus curiae.
Cette dernière procédure est perçue par la
société civile comme une porte d'entrée à des
juridictions internationales. Elle pourrait ainsi avoir un impact sur
l'évolution de la jurisprudence et sur l'interprétation du droit.
Le statut d'amicus curiae lui permettrait d'atteindre ce statut de
<< participant >> - ou de partenaire dans le
développement du droit international économique - à
travers justement l'accès à ces juridictions167. Ce
statut d' << ami de la cour >> pourrait être
163 J. ZERK, op. cit., note 34, p.248.
164 M. KRUGER et D. WEISSBRODT, op. cit., note 56, p.
212.
165 J. ZERK, op. cit., note 34, p.245.
166 S. TULLY, op. cit., note 47, p. 133.
167 C. CÔTÉ, op. cit., note 35, p. 401.
considéré comme un remède à
l'incapacité juridique internationale de la société
civile. Nous aborderons la question de l'amicus curiae plus en
détail par la suite.
Enfin, la contribution des acteurs non étatiques dans
la création de normes de droit international est indirecte puisque leurs
normes doivent être ultimement sanctionnées par les
États168. Ces derniers sont et demeurent tout de même
les véritables créateurs du droit international169.
2) Rapprochement au statut de « sujet » de
droit international public
Au-delà de leur attribut de participant
à un processus, la société civile et les
multinationales se rapprocheraient du statut de sujet de droit international.
Elles pourraient dans plusieurs domaines entrer dans des relations juridiques
internationales avec des États. Cela leur permettrait de pouvoir opposer
et de réclamer des États des droits et des obligations
internationaux, un tel pouvoir reposerait sur les caractéristiques d'un
sujet de droit international. Dans son avis consultatif sur la
Réparation des dommages subis au service des Nations Unies, la
CIJ a décrit les caractéristiques d'un sujet de droit
international en déterminant si l'ONU était ou non un tel
sujet:
« Cela signifie que l'organisation est un sujet de droit
international, qu'elle a capacité d'être titulaire de droits et
devoirs internationaux et qu'elle a capacité de se prévaloir de
ses
droits par voie de réclamation internationale
»170.
168 Id., note 47, p. 5.
169 Id., note 47, p.4.
170 Avis consultatif sur la Réparation des dommages
subis au service des Nations Unies, 11 avril 1949, en ligne :
http://www.icjcij.org/docket/files/4/1835.pdf,
p. 179.
Tel que mentionné plus haut, le recours direct
prévu par la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH)
figure parmi les nombreux développements qui ont bouleversé la
vision classique du droit international. L'article 34 de la CEDH octroie
effectivement un droit d'accès à sa justice à tout
individu, groupe ou organisation non-gouvernementale. Ce mécanisme
permet à ces entités de poursuivre tout État signataire
pour toutes violations de la CEDH et d'obtenir réparation171.
À cet effet, le professeur Theodor Meron déclare ce qui suit :
<< To the extent that international law acts on individuals per se,
they become subjects of international law >>172. Jan
Paulsson souligne ainsi la désuétude de la vision classique
décrite plus haut, selon laquelle les États sont les seuls
à pouvoir être des sujets de droit international:
<< Against this background, once axiomatic
declarations to the effect that only states may be subjects of international
law fall on modern ears like an echo of an incomprehensible
ancient dogma>>173.
Le constat de Jan Paulsson est illustré dans le domaine
du droit international de l'investissement où des acteurs non
étatiques, notamment les multinationales ou les investisseurs, se
rapprochent du statut de sujet plutôt que d'objet de droit
international174. En vertu des TBI, ils bénéficient de
droits, d'obligations ainsi que de la capacité de poursuivre directement
l'État qui violerait ses obligations telles
171 Id., note 162, p.54.
172 T. MERON, op. cit., note 66, p. 276.
173 Jan PAULSSON, «Denial of justice in international
law», Cambridge, Cambridge University Press, 2005, p.55.
174 Outre le droit de l'investissement étranger direct,
certains auteurs citent également ADPIC pour soutenir cet argument.
L'article 1(3) accorde, explicitement et directement à des personnes
privées, le droit au traitement national en référant aux
<< ressortissants >> des États membres. La notion de
<< ressortissants >> inclurait les personnes physiques, en tant
qu'inventeurs ou créateurs, et les personnes morales en tant que
détenteurs de brevets par exemple. Voir P. ROSIAK, op.
cit., note 34, p. 203.
qu'énoncées par les traités en
question175. Une relation d'égalité s'est
établie entre les investisseurs et les États - les
véritables sujets de droit international - par l'entremise des
TBI176. L'égalité instaurée entre les
investisseurs et les États est emblématique de la concurrence qui
existe entre ces derniers pour attirer les facteurs de production et les
débouchés commerciaux, et ultimement du poids économique
conséquent des investisseurs177.
En effet, d'importants mouvements de concentration
d'entreprises, de fusions et d'alliances économiques entre des grands
groupes corporatifs constituent de véritables << pouvoirs
privés économiques >>. Ces derniers disposent d'un pouvoir
comparable à celui de la puissance publique, soit
l'État178. En toute évidence, ce poids leur octroie la
latitude, la capacité et le pouvoir de s'auto-règlementer
notamment vis-à-vis de leur responsabilité sociale, qui
découlerait éventuellement de leurs activités commerciales
et économiques179. Certaines multinationales sont aussi
puissantes et prospères que des États. Elles déclarent
également leur respect à des conventions et des traités
internationaux au même titre que les États: << Barclays
has endorsed the UN universal declaration of human rights
>>180. C'est essentiellement à travers cet
énorme poids économique que les multinationales parviennent
à exercer à l'égard des États un pouvoir de
pression et de plaidoyer conséquent181.
Le poids des multinationales ainsi que leur statut
émergent de sujet de droit international évoquent un appel
à la redirection des obligations de droits de l'homme
175 T. MERON, op. cit., note 66, p.325; A. MANIRUZZAMAN,
op. cit., note 140, p.79.
176 P. DUMBERRY, op. cit., note 45, p.109.
177 M. JACQUEMAIN, op. cit., note 58, p.272.
178 M. DELMAS-MARTY, op. cit., note 5, p. 107.
179 J. ZERK, op. cit., note 34, p.7.
180 C'est également le cas pour British Petroleum
et Rio Tinto; Voir Id., note 34, p. 34 et p.42; M.
KRUGER et D. WEISSBRODT, op. cit., note 56, p. 199.
181 S. TULLY, op. cit., note 47, p. 101.
de l'État vers les multinationales. La
problématique est la suivante : le Fonds monétaire international
et la Banque mondiale ont incité, de façon systématique
durant le début des années 1990, la privatisation de secteurs
clés tels que les services sanitaires ou de distribution d'eau potable
et d'électricité182. Ces secteurs sont primordiaux car
ils relevaient autrement de l'État et de sa responsabilité de
veiller au bien-être de ses citoyens. Suite à ces vagues de
privatisation, les multinationales seraient devenues les remplaçantes
des États. Nombreux sont ceux qui soulèvent qu'elles devraient,
à ce titre de « remplaçantes », être assujetties
aux obligations des droits de l'homme découlant du droit international.
Ces obligations étaient dirigées vers les États et
visaient à protéger initialement les individus des
défaillances et des abus étatiques183. Cet argument a
été soulevé par la société civile agissant
à titre d'amicus curiae dans le différend de BGT c.
Tanzanie. Les amici curiae ont soulevé notamment que
BGT, opératrice privée d'eau potable de la ville de Dar
Es Salam en Tanzanie, était liée par le droit de toute personne
d'accès à l'eau. Nous examinerons ce différend plus en
détail par la suite.
Le fait que les multinationales soient toujours
considérées comme des objets de droit international
soulève donc une préoccupation quant à leurs
responsabilités par rapport aux droits de l'homme et quant à
leurs obligations socioenvironnementales184. Cette
préoccupation est justement soulevée car l'opposabilité
desdits droits non marchands est quasiment inexistante face aux
multinationales. L'octroi du statut de sujet de droit international serait un
véhicule permettant ultimement la sanction internationale des abus des
multinationales.
182 J. ZERK, op. cit., note 34, p.13.
183 J. ZERK, op. cit., note 34, p.76; P. ROSIAK, op.
cit., note 34, p. 255.
184 P. MUCHLINSKI, op. cit., note 56, p. 221.
Enfin, les droits et les obligations des acteurs non
étatiques ne découlent pas directement et entièrement, du
moins pas encore, du droit international au même titre que les
États185. Ce rapprochement du statut de la
personnalité juridique doit être nuancé. Il découle
en effet d'un instrument juridique, d'un traité d'investissement ou
d'une mesure qui sont sanctionnés ultimement par
l'État186. La multitude de points de vue divergents quant au
statut des acteurs non étatiques en droit international public rend les
conclusions difficiles187. La société civile et les
multinationales surgissent tout de même en tant que partenaires dans le
développement du droit international économique vu ce «
tête-à-tête » avec les États188. Eu
égard à leur rôle décrit précédemment,
les acteurs non étatiques seraient aptes et capables d'accéder,
éventuellement et véritablement à la justice
internationale économique. Ce dernier constat ne permettrait pas de
masquer le fait que les États, surtout les membres de l'OCDE, demeurent
les acteurs principaux au sein de l'ordre juridique international où ils
y ont, de surcroît, un rôle cardinal et
édifiant189.
IV) Quelles symétries entre multinationales et
société civile ?
En traitant plus haut de la société civile et
des multinationales comme sujets potentiels de droit international, nous avons
relevé l'existence de symétries entre ces deux acteurs non
étatiques. Tout d'abord, toutes deux se sont projetées sur la
scène de l'ordre juridique international strictement horizontal ou
interétatique, façonnée initialement par les États,
pour les États. Il nous faut identifier dans cette partie des
symétries additionnelles quant à leurs intérêts pour
des préoccupations non
185 P. DUMBERRY, op. cit., note 45, p. 117.
186 Id., note 45, p. 116.
187 A. MANIRUZZAMAN, op. cit., note 140, p.88.
188 M. DELMAS-MARTY, op. cit., note 63, p. 27.
189 D. SCHNEIDERMAN, op. cit., note 34, p. 111 et p.
204; D. FRENCH, op. cit., note 35, p. 63.
marchandes, leur soutien aux instruments de soft law,
leurs efforts de propager la règle de droit internationale, leur
rôle à initier des procédures internationales
économiques et enfin par rapport à l'opposition à leur
participation. Une fois lesdites symétries identifiées, nous
traiterons par la suite de l'asymétrie qui existe entre ces deux acteurs
au niveau de leur accès à la justice internationale
économique, et sur l'existence manifeste d'un double standard en
dépit du rapport d'égalité notoire entre les deux acteurs
en tant qu'acteurs non étatiques.
1) Intérêts pour des préoccupations
non marchandes
Les multinationales et la société civile ont des
intérêts communs pour des préoccupations non marchandes.
Nous relèverons les exemples du développement durable et de la
responsabilité sociale des entreprises multinationales (RSE). Les deux
représentent des préoccupations non marchandes qui
constitueraient un chemin commun où ces deux forces parallèles se
croisent et se complètent.
Tel que soulevé plus haut, le développement
durable est une préoccupation non marchande qui pourrait rassembler la
société civile et les multinationales. La société
civile exige que le développement durable soit
intégré dans l'analyse du droit international
économique. Cela impliquerait ultimement l'obligation de mise en oeuvre
des mesures environnementales appropriées dans la conduite des
activités de développement économique190. Cette
dernière obligation a été analysée dans un
différend devant la Cour permanente d'arbitrage.
L'affaire opposait la Belgique aux Pays-Bas191. Les
deux pays étaient en désaccord à propos de l'impact
environnemental de la réactivation et de la modernisation d'un chemin de
fer construit dans le cadre d'un droit de passage datant de 1839 octroyé
à la Belgique et ce, en vertu du traité de séparation des
deux pays192. En prévoyant la modernisation du chemin de fer,
la Belgique a soulevé que les exigences environnementales
néerlandaises rendaient l'exécution du projet impossible
financièrement. La Cour permanente d'arbitrage a
réitéré dans sa décision l'appartenance des
principes du droit environnemental au corpus du droit positif international.
Étant donné que les règles du droit international sont
applicables entre les parties, le projet de réactivation doit
intégrer les mesures adéquates de protection environnementale.
Cela signifie que les parties ont l'obligation de se soumettre au principe
d'intégration et de développement durable193. Les
coûts de réactivation, qui selon le traité devaient
être assumés par la Belgique, incluent automatiquement et
obligatoirement les mesures nécessaires à la protection de
l'environnement194.
C'est cette approche d'intégration qui a
été longtemps soulevée par la société civile
devant les juridictions de l'OMC ou devant celles d'arbitrage des
différends d'investissements que nous examinerons ci-dessous. Tel que
nous l'avons abordé plus haut, la société civile a
longtemps appelé au soutien de la doctrine à décloisonner
le droit international économique en l'appliquant à la
lumière des autres principes de droit international, notamment le droit
international de l'environnement195. En effet, une
complémentarité et une convergence entre droits marchands et
droits non
191 Affaire du «Rhin de fer», Belgique c. Pays-Bas,
CPA 24 mai 2005.
192 Id., note 190, p. 648.
193 Id., note 190, p. 648.
194 Id., note 191, p. 93.
195 C. CÔTÉ, op. cit., note 35, p. 419; H.
ASCENSIO, op. cit., note 67, p.924.
marchands se retrouvent autour du concept de
développement durable et du droit au développement196.
D'une part, la démocratie et le développement sont reconnus comme
étant des éléments cardinaux à
l'épanouissement économique, permettant l'instauration d'un
environnement propice à la croissance, la viabilité et la
rentabilité des entreprises197. D'autre part, la
démocratie et le développement sont des éléments
constitutifs du processus du développement durable, qui vise entre
autres à aborder les problématiques d'intérêts
collectifs et intergénérationnels de
l'humanité198.
Par ailleurs, des multinationales se sont appropriées
le concept du développement durable199. Outre les
considérations de relations publiques et d'amélioration de
l'image corporative, le développement durable est désormais
considéré par de nombreuses multinationales comme un objectif
corporatif légitime puisqu'il octroie une certaine
sécurité et viabilité à long terme aux
marchés dans lesquelles elles opèrent et à leurs
activités économiques. On parle alors d' «
ecoefficiency »200. C'est dans cette perspective que
l'Agenda 21 de l'ONU201 énonce que les multinationales et
leurs organisations devraient être des participants à part
entière dans l'implémentation et l'évaluation du programme
et de l'initiative202. Grâce à leurs ressources et
leurs capacités, les multinationales sont également
appelées à avoir un rôle dans le développement des
bénéfices socio-environnementaux des communautés locales
auprès desquelles elles opèrent203. Les
investissements étrangers ont été
196 M. DELMAS-MARTY, op. cit., note 5, p. 147.
197 Id., note 5, p. 146.
198 Id., note 5, p. 42.
199 S. TULLY, op. cit., note 47, p. 63.
200 Id., note 47, p. 63.
201 Agenda 21 est un programme lancé par l'ONU lors de
la Conférence des Nations unies sur l'environnement et le
développement qui s'est tenue à Rio de Janeiro en 1992. Le
programme formule une série de recommandations à entreprendre par
les acteurs mondiaux afin de répondre aux problématiques
socio-environnementales à travers une approche de développement
durable. Voir le portail d'Agenda 21, en ligne :
http://www.un.org/esa/sustdev/agenda21.htm.
202 Id., note 47, p. 322.
203 J. ZERK, op. cit., note 34, p.45.
d'ailleurs reconnus en tant que force motrice essentielle dans
l'atteinte de l'épanouissement économique et du
développement durable des pays en développement204. La
CCI - un regroupement international corporatif par excellence - a
élaboré à ce titre un code de conduite sur le
développement durable qui existe depuis 1991. Les multinationales et les
organisations corporatistes sont ainsi fort présentes et actives lors
des divers sommets et conférences concernant ce thème, dont le
Sommet mondial pour le développement durable de Johannesburg de 2002.
Leur participation s'est concrétisée à travers la
circulation de documents et de publications sur leurs visions et sur leurs
efforts pour le développement durable, les interventions orales et les
présentations écrites, les participations lors des dialogues, des
débats, et des tables rondes205. La déclaration du
sommet a effectivement reconnu le besoin d'un processus intégrant leur
apport.
En ce qui concerne la RSE, la société civile en
général allant de ses acteurs modérés aux
altermondialistes est préoccupée par le manque de
responsabilité des multinationales dans la sphère
internationale206. Les mécanismes d'opposabilité des
droits de l'homme aux entreprises sont en effet quasiment
inexistants207. Le mouvement de la RSE reste fragile, surtout aux
vues des lacunes et du défaut de moyens des pays en développement
incapables de la renforcer208. Les acteurs mondiaux semblent
pourtant avoir une plus grande appréciation quant à
l'équilibre nécessaire entre les droits et les obligations des
multinationales209. Une telle nécessité
204 Chapitre 2.23, « Coopération internationale
visant à accélérer un développement durable dans
les pays en développement et politiques nationales connexes »,
«Agenda 21», en ligne:
http://www.un.org/esa/sustdev/documents/agenda21/french/action2.htm;
Voir également E. KENTIN, op. cit., note 42, p. 312.
205 Id., note 47, p. 65.
206 J. ZERK, op. cit., note 34, p.21.
207 M. DELMAS-MARTY, op. cit., note 63, p.17.
208 E. DARANKOUM, op. cit., note 54, p. 151.
209 P. MUCHLINSKI, op. cit., note 56, p. 228.
est d'autant plus justifiée par la privatisation et la
libéralisation croissantes qui contribuent à l'augmentation de
leurs activités210. Suite à des pressions au sein de
leurs pays, la Communauté européenne et les États-Unis
sembleraient être plus attentifs à cette
problématique211.
De nombreux acteurs de la société civile
voudraient donc renforcer l'opposabilité de ces responsabilités
et ces obligations au sein du même cadre qui accorde des droits aux
multinationales. Ils plaident donc pour que la RSE soit une
préoccupation qui pèse au niveau de l'ordre juridique
international. Ce plaidoyer est soutenu par la publication de recherches,
d'études et de rapports crédibles ainsi que par
l'élaboration de guides et de codes de conduite212. Ces
acteurs mènent également des audits en tant que moniteurs
indépendants et militent pour des boycotts d'entreprises auprès
des agences de crédits d'exportations213. Des ONG telles que
Friends of the Earth (FoE), qui a été fort
présente durant le Sommet mondial de développement durable de
Johannesburg de 2002, soulèvent même l'élaboration d'un
traité international portant sur la RSE214. La pression de la
société civile est un grand facteur de l'intérêt
croissant des pays développés, où la plupart des
multinationales sont basées, quant aux standards socio-environnementaux
de ces dernières à l'étranger215. Cette
pression est renforcée par l'apparition d'un consommateur de plus en
plus sensible aux questions relatives à la RSE et qui s'attend à
la conformité aux
210 D. SCHNEIDERMAN, op. cit., note 34, p. 112.
211 À titre d'exemple, des clauses de droits de l'homme
sont incluses dans les accords de Cotonou. Voir E. PETERSMANN, op.
cit., note 24, p. 640-642.
212 Voir Institut international de développement
durable, « Responsabilité sociale des entreprises : Guide de mise
en oeuvre pour les entreprises », 2007, en ligne :
http://www.iisd.org/publications/pub.aspx?id=884.
213 Un projet de loi aux Pays-Bas propose une telle exigence. En
Allemagne et en France, les crédits d'exportations sont uniquement
utilisés pour rappeler les principes des Directives. Voir J.
ZERK, op. cit., note 34, p.189-191.
214 Friends of the Earth, « Towards binding
Corporate Accountability », en ligne:
http://www.foei.org/en/campaigns/corporates/towards.html;
Id., note 34, p.95 et p.278.
215 Id., note 34, p.303.
standards similaires aux siennes, même s'ils sont plus
stricts que les standards locaux216. La société
civile semblerait avoir effectivement accompli ce que de
nombreux pays en développement n'ont pas pu atteindre,
soit affecter le comportement environnemental de plusieurs multinationales :
«(...) Namely by conducting public relations
campaigns to gain leverage over firms that rely on building brand reputations.
While globalization erodes the power of national governments to regulate firm
conduct as falling barriers to trade and investment allow firms to exploit
cross country differences in environmental
regulations»217.
Par ailleurs, vu de l'angle de la gestion d'affaires, de plus en
plus de
multinationales sont convaincues que la RSE pourrait contribuer
à la productivité et au rendement de
l'entreprise218. De grandes multinationales basées au Canada
telles
que SNC Lavalin et Alcan (aujourd'hui
appelée Rio Tinto Alcan) ont adopté cette
philosophie en accordant une grande importance à la RSE
dans la conduite de leurs activités219. Il s'avère
que la RSE est un concept que les multinationales se sont
appropriées. Ces dernières l'encadrent avec des
codes de conduite et s'engagent à son respect à travers des
initiatives telles que le Pacte mondial. Elles y référent
constamment, notamment sur leurs produits à travers l' <<
Eco/Social labelling », en l'utilisant pour renforcer leurs
réputations corporatives. Les normes environnementales ISO, dont l'ISO
14000, illustrent l'importance accordée par les multinationales à
des problématiques non marchandes telles que l'environnement.
216 Petra CHRISTMAN et Glen TAYLOR, «Environmental Self
Regulation in the Global Economy: The role of firm capabilities», dans S.
M. LUNDAN (dir.), «Multinationals, Environment and Global
Competition», London, ELSEVIER, 2004, p. 122.
217 Id., note 204, 124.
218 Business and Human Rights, «Why all
companies should address human rights», septembre 2006, en ligne:
http://www.ccainstitute.org/pdf/avery_business%26humanrights.pdf
, p. 5; J. ZERK, op. cit., note 34, p.17.
219SNC Lavalin, << Rapport
d'activité 2007 sur la durabilité », en ligne :
http://www.snclavalin.com/pdf/current/hse_f.pdf.
Elles représentent à ce titre une
véritable marque d'accréditation qui permet aux entreprises de
mieux se commercialiser et de « vendre >> ce titre.
Véritables outils de marketing, ce type d'investissements dans
la responsabilité sociale entraîne des bénéfices
à long terme pour l'entreprise, permettant d'éviter des
débâcles de relations publiques et des atteintes à sa
réputation corporative220. Celle-ci serait hautement
vulnérable aux attentes du consommateur, des investisseurs, de la
société civile et parfois même de l'État où
le siège social de l'entreprise est situé221.
Le domaine du développement durable et de la RSE nous
démontre enfin l'existence d'une symétrie, pour ne pas dire
complicité, entre multinationales et société civile. Ce
constat constitue un argument édifiant pour le rejet du
manichéisme qui oppose souvent les deux. Cette opposition devrait
être relativisée si l'on considère leur position de force
face à l'État, qui se retrouve parfois en arrière-plan en
ce qui concerne ces problématiques.
2) La soft law des acteurs non étatiques
Les acteurs non étatiques, soit la
société civile et les multinationales, créent et font un
usage systématique des normes de soft law. Tous deux
soutiennent des initiatives et des instruments internationaux non contraignants
- donc de soft law - qui sont consacrés à des
préoccupations non marchandes telles que la RSE. Il existe par contre un
contexte particulier qu'il faudrait traiter avant d'aborder le recours des
acteurs non étatiques à la soft law.
220 S. PICCIOTTO, op. cit., note 43, p. 184.
221 Il s'agit ici d'obligations imposées aux
multinationales à travers des « Long arm legislation
>>, qui couvre des questions telles que la corruption d'agents publics,
très peu d'États ont ce type de législation, Voir
Nguyen QUOC DINH, «Droit international public>>, Paris,
L.G.D.J., 2002, p. 690.
Le rapprochement des acteurs non étatiques du statut de
sujet de droit international, traité plus haut, évoque un
changement dans la philosophie règlementaire. Une conséquence
évidente qui implique que l'on ne pourrait plus s'attendre à un
droit international du type <<command & control>>.
L'autoréglementation est de plus en plus considérée comme
étant plus productive, efficace et efficiente222. Cette
réalité serait de plus renforcée par des changements au
niveau national, notamment à travers les vagues de privatisation et un
rejet de plus en plus évident de l'État providence223.
Les membres de l'OCDE, dont la Communauté européenne et le Canada
ont effectivement adopté des approches visant à l'optimisation de
l'efficacité règlementaire. Il s'agit du rejet du modèle
linéaire ou pyramidal de prise de décisions afin de le remplacer
par un modèle circulaire. Un tel modèle serait basé, entre
autres, sur une interaction et une participation pluridimensionnelle des
diverses parties prenantes224. Cela implique l'établissement
de procédures de consultations, de délibérations et de
coopération avec les entreprises et les membres de la
société civile concernés225. Ces approches sont
applicables tant au niveau national qu'au niveau international226.
Elles relèvent des caractéristiques de l'État
post-moderne227 qui seraient transposées à
l'échelle internationale afin de construire un espace public mondial
où de nouvelles formes de démocratie seraient
222 Id., note 34, p.37; S. TULLY, op. cit.,
note 47, p. 182.
223 P. SANDS, op. cit., note 35, p. 250.
224 M. DELMAS-MARTY, op. cit., note 7, p. 72.
225 S. TULLY, op. cit., note 47, p. 12-15.
226 Id., note 47, p. 15.
227 Selon Jacques Chevallier, l'État post-moderne est :
<< (...) un État dont les traits restent
précisément, et en tant que tel, marqués par
l'incertitude, la complexité,
l'in-détermination : et ces éléments doivent
être considérés comme des éléments
structurels, constitutifs de l'État contemporain (...) il vise à
mettre en évidence, par de-là l'extrême diversité
des configurations étatiques, certaines tendances lourdes
d'évolution, qui travaillent peu ou prou tous les États >>.
Ainsi, les États post-modernes sont des États dans lesquels la
souveraineté tend à faire place à une logique nouvelle
d'interdépendance et de coopération, effaçant la
séparation entre affaires intérieures et
étrangères, et reposant sur le rejet de la force et
privilégiant le droit, la négociation et la coopération
internationale. Voir Jacques CHEVALLIER, << L'État
post-moderne >>, Paris, L.G.D.J., 2008, p.17- 18.
entérinées. Une démocratie qui serait
représentative, participative et
délibérative228. Elle permettrait la participation et
l'apport des diverses parties prenantes. Une approche volontariste
d'autoréglementation découlerait de cette philosophie
règlementaire. Selon cette approche, le rôle et le poids des
acteurs non étatiques, perçus en tant que potentiels substituts
à l'État, prendraient une ampleur exponentielle229.
De plus en plus de multinationales règlementent ainsi
elles-mêmes leurs activités en s'imposant des standards
internationaux ou auto-règlementaires qui excèdent parfois la
portée de la règlementation locale. À cette fin, les
instruments de soft law sont privilégiés à la
place de la hard law, soit les lois et les
traités230. La pression des lobbies et des groupes
corporatifs dans les pays développés a un grand rôle
derrière le fait que ces pays préfèrent des initiatives
internationales et surtout non contraignantes, telles que le Pacte mondial,
plutôt que des traités. Ces initiatives facilitent, plutôt
qu'obligent, l'adoption de meilleurs standards dans la conduite des
opérations à l'étranger231.
Un exemple de ces instruments de soft law serait les
« Normes sur la responsabilité en matière de droits de
l'homme des sociétés transnationales et autres entreprises »
(ci-après les « Normes »). Elles ont été
adoptées en 2003, à la suite de la création en 1998 d'un
groupe de travail spécial par la Sous-commission des droits de l'homme
de l'ONU. L'objectif du groupe était d'entamer un projet traitant des
responsabilités des multinationales dans le cadre du respect des droits
fondamentaux.
228 Id., note 7, p. 168.
229 S. CHARNOVITZ, op. cit., note 30, p. 491; P. SANDS,
op. cit., note 35, p. 542.
230 J. ZERK, op. cit., note 34, p.70; P. ROSIAK, op.
cit., note 34, p. 171.
231 Id., note 34, p.303.
Leur autorité juridique découle des principes et
des règles du droit international (traités et coutume)
traditionnellement adressés aux États. Les Normes dirigent ainsi
ces principes dans un contexte corporatif232. Ce qui est
intéressant est qu'outre les droits essentiels tels que le droit
à la vie ou à la sécurité, les Normes couvrent
également des questions de droit telles que la santé et la
sécurité en milieu de travail ainsi que la protection de
l'environnement233. Les Normes ignorent ainsi toute dichotomie
parfois établie par la doctrine entre droits fondamentaux (dits de
<< première génération ») et droits
socio-économiques et environnementaux (dits de << seconde
génération »).
L'ONU offre également des commentaires visant à
éclaircir et approfondir les Normes. Ces commentaires ont
été rédigés grâce à la contribution de
la société civile dans le cadre d'un groupe de travail
organisé en 2003234. Les Normes de l'ONU ont également
une particularité édifiante. Selon le préambule, les
Normes contribuent à la création et au développement du
droit international. En adhérant aux principes de cette initiative
auto-règlementaire, les acteurs non étatiques participent
ultimement à un processus de création de droit international,
lui-même concrétisé à travers l'ébauche des
Normes235. Celles-ci reconnaissent également que les
obligations reliées aux droits de l'homme des entreprises seront
respectées avec une plus ample efficacité si elles sont
entérinées dans la politique et la pratique de
l'entreprise236. C'est ce que prévoit également
l'Agenda 21 qui promeut l'autoréglementation
232 M. KRUGER et D. WEISSBRODT, op. cit., note 56, p.
211.
233 Id., note 56, p. 210; Id., note
34, p.261.
234 Commentaires sur les Normes sur la
responsabilité en matière de droits de l'homme des
sociétés transnationales et autres entreprises, U.N. Doc.
E/CN.4/Sub.2/2003/38/Rev.2 (2003), en ligne :
http://www1.umn.edu/humanrts/links/commentaryAug2003.html;
M. KRUGER et D. WEISSBRODT, op. cit., note 56, p. 204.
235 Pour de plus amples détails, Voir S. TULLY,
op. cit., note 47, p. 131 - Chapitre 3 : «Corporate
Contributions to Customary International Law and « Soft »
International Law».
236 Id., note 226, Paragraphe 15.
corporative237. Il s'agit bel et bien d'une
illustration du virement dans la philosophie règlementaire traité
plus haut, de la latitude et de l'accommodement dont bénéficient
les multinationales pour règlementer les aspects non marchands
découlant de leurs activités.
Les Principes directeurs de l'OCDE pour les entreprises
multinationales (ciaprès les << Directives ») constituent un
autre exemple desdits instruments de soft law. Elles
représentent une illustration claire de l'approche
auto-règlementaire et volontaire de soft law sur des questions
telles que la RSE238. La non-conformité aux Directives peut
entraîner une plainte par tout intéressé, il s'agit bien de
<< nonconformité » et non de << violation », de
même qu'il s'agit d'une << plainte » et non d'un <<
recours » devant un organe juridictionnel. La question ou le sujet
relié à la plainte est alors discuté dans le cadre de
réunions et de dialogues organisés sous l'auspice de
l'OCDE239. Cette différence dans les véhicules
procéduraux est emblématique de la différence dans
l'approche règlementaire entre soft law et hard
law240. Un nombre important de multinationales se sont
engagées envers les Directives. Leur engagement est subordonné
à la condition que d'une part les Directives maintiennent leur
caractère volontaire, qu'elles soient d'autre part
révisées constamment et qu'elles évoluent enfin suite
à des consultations avec elles241. Les multinationales ont
d'ailleurs un statut privilégié au sein de l'OCDE où un
Business and Industry Advisory Committee bénéficie d'un
statut consultatif et où les
237 Id., note 47, p. 58.
238 Id., note 34, p.248.
239 Id., note 34, p.254.
240 Id., note 34, p.277.
241 S. TULLY, op. cit., note 47, p. 127.
interventions ainsi que les contributions des groupes
corporatistes sont monnaies courantes242.
Le Pacte mondial de l'ONU est également un parfait
exemple d'initiative internationale de soft law. Il édicte des
normes et des standards internationaux auxquels ses participants doivent
s'engager. Il constitue également un véritable modèle de
partenariat entre l'ONU, la société civile, les multinationales,
les institutions académiques, les syndicats ainsi que les associations
commerciales et industrielles. Ces acteurs s'y rassemblent dans le but de
protéger et de promouvoir les valeurs communes qu'ils
partagent243. Chaque année les membres soumettent des
exemples d'actions concrètes visant le respect d'un des principes de
l'initiative. La CCI est une des entités les plus prestigieuses à
soutenir cette initiative et les vertus de l'auto-réglementation qui y
sont encouragées244.
De plus, les multinationales adoptent des codes de conduite
pour règlementer leurs activités unilatéralement. Les
codes leur permettent d'assurer elles-mêmes la conformité à
des règles et des standards sélectivement choisis, ceux-ci allant
parfois jusqu'à excéder la portée de la
règlementation locale245. Les codes de conduite
complètent et complémentent les initiatives internationales
telles que le Pacte mondial, faiblement opposables ou contraignantes. Les codes
de conduite sont considérés comme un remède aux critiques
de la société civile. Ils pourraient offrir également une
sorte de protection proactive contre les poursuites judiciaires ou contre
242 Id., note 47, p. 318.
243 Id., note 34, p.100; P. ROSIAK, op. cit.,
note 34, p.271; P. DE WARRT, op. cit., note 56, p.290;
Id., note 47, p. 61.
244 Id., note 47, p. 62.
245 S. PICCIOTTO, op. cit., note 43, p. 185.
les campagnes publiques dénonçant leurs
activités246. Leur contenu porte majoritairement sur la
protection du consommateur, la lutte contre la corruption, l'environnement, les
standards de travail et énonce un engagement et un respect envers la
législation nationale ou locale247. Les codes de conduite
sont basés à titre d'exemple sur les normes industrielles de
l'Organisation internationale de normalisation (ISO)248, dont l'ISO
14000 - Environmental Standards for firms249. Une panoplie
d'autres organisations internationales élabore de telles normes dans de
nombreux domaines, dont ceux de la santé et de la
télécommunication250. Les incidences environnementales
sont internalisées et standardisées auprès d'autres
problématiques courantes de l'administration de l'entreprise. Elles sont
dès lors traitées dans un cadre d'optimisation, d'efficience et
de transparence corporative251.
En ce qui concerne la société civile, elle
considère que de plus en plus d'États, dont surtout certains pays
en développement, seraient inaptes à règlementer
efficacement des aspects socio-environnementaux252. La
société civile opère à ce titre à plusieurs
niveaux afin de militer pour le respect des dispositions contenues dans les
instruments de soft law qui couvrent des principes du
développement durable et de la RSE. Elle soutient et encourage ce type
d'initiatives et d'instruments de soft law en dépit de son
militantisme pour l'adoption d'un traité contraignant opposable aux
multinationales, ce qui semble être pour le moment
invraisemblable253. Cela est dû au
246 S. TULLY, op. cit., note 47,. 139.
247 Id., note 47, p. 141.
248 Son objectif historique est de faciliter la coordination et
l'unification internationales des normes industrielles. Depuis 1947, l'ISO a
publié plus de 16 000 Normes internationales.
249 Les standards établissent des normes de gestions
environnementales selon lesquels le certificat pourrait être obtenu par
une entreprise suite à l'inspection d'experts indépendants et
à l'assujettissement à un audit et un mécanisme de
contrôle. Voir P.CHRISTMAN et G. TAYLOR, op. cit., note
216, p. 119.
250 Id., note 47, p. 137.
251 Id., note 47, p. 140.
252 P.CHRISTMAN et G. TAYLOR, op. cit., note 216, p.
122.
253 Id., note 47, p. 143; J. ZERK, op. cit.,
note 34, p.279; P. ROSIAK, op. cit., note 34, p.171.
fait que de nombreux gouvernements des pays
développés et leurs entreprises considèrent que la RSE
serait uniquement une activité volontaire254. Les acteurs de
la société civile soutiennent tout de même les normes de
soft law et ce, en dépit du scepticisme qui les entoure car
elles ne seraient pas assez efficaces et contraignantes. Il importe de se
pencher brièvement sur cette dernière question avant de conclure
notre présentation sur le soutien des acteurs non étatiques aux
instruments de soft law.
Nous pensons que la validité d'une norme ne devrait pas
dépendre uniquement de ce seul critère d'effectivité. Il
existerait ainsi un risque de disqualifier indûment toute norme ou tout
système l'encadrant puisque le défaut d'effectivité d'une
norme ne signifie pas pour autant qu'elle ne serait pas valide. Bien au
contraire, les normes contenues à titre d'exemple dans les codes de
conduite pourraient notamment établir des expectatives légitimes,
une certaine opposabilité contractuelle et des engagements incidents sur
la réputation corporative255. Ce constat est illustré
dans l'affaire de Kukdong et Nike au Mexique où le
code de conduite de Kukdong constitua des engagements moraux et
contractuels qui ont lié l'entreprise. Les engagements stipulés
par l'entreprise dans son code de conduite, dont le droit à la
liberté d'association, ont servi en tant que fondement pour restaurer
les postes des employés licenciés pour avoir justement
revendiqué ce droit256. La société civile
soutiendrait effectivement qu'il y a une expectative légitime de la part
du consommateur à ce que les engagements contenus dans le code de
conduite soient
254 J. ZERK, op. cit., note 34, p.37.
255 Id., note 34, p.35; S. PICCIOTTO, op.
cit., note 43, p. 191.
256 Id., note 43, p. 191.
véridiques et respectés. La violation
systématique de ces engagements entraînerait le fait de quasiment
induire le consommateur en erreur257.
Plusieurs exemples d'instruments de soft law
internationaux font preuve d'un caractère contraignant. Ces
exemples se trouvent notamment dans la règlementation financière
et bancaire internationale258. Une importante partie de cette
règlementation dépend de ce genre d'instruments. Leur cadre
normatif préconise une approche basée sur le risque plutôt
que basée sur les règles (Risk based approach vs Rule based
approach). Une telle approche consacre la prévention des violations
aux règles de manière proactive, plutôt que de les
sanctionner ultérieurement de manière réactive. Un exemple
serait les recommandations du Groupe Worlsberg, les « Principes Worlsberg
», basées elles-mêmes sur les recommandations du
GAFI259. Le groupe rassemble les dix plus grandes institutions
bancaires du monde et une ONG, Transparency International, dans le but
de consolider et de répandre leur lutte contre le blanchiment d'argent
et le financement du terrorisme260. Le respect de ces
257 Les codes de conduite non respectés pourraient
constituer de la publicité fausse et trompeuse dans la mesure où
lesdits codes sont publiés et distribués par les entreprises et
qu'ils contiennent des réclamations non véridiques. Ce qui est
souvent le cas car ils améliorent considérablement l'image et la
réputation corporative. On pourrait imaginer un recours en droit
québécois fondé sur l'article 219 de la Loi sur la
protection du consommateur. Cet article interdit à un fabricant ou
un commerçant de faire à un consommateur une
représentation fausse et trompeuse.
258 Notons que ce type de règlementation est fort
répandu dans le secteur bancaire et financier. Il suffit d'ailleurs de
se tournait vers la question de la règlementation des fonds souverains,
question tourmentée par des polémiques et des débats
tumultueux, auxquels les États-Unis et le FMI veulent imposer un code de
conduite, Voir Steven WEISMAN, « Overseas Funds Resist Calls
for a Code of Conduct », New York Times, 9 février 2008, en
ligne :
http://www.nytimes.com/2008/02/09/business/09sovereign.html?scp=1&sq=weisman&st=nyt.
259 GAFI (Groupe d'Action Financière Internationale),
organisme affilié à l'OCDE, les recommandations sont un bon
exemple pour illustrer ce type d'initiatives internationales de soft
law et la portée de leur opposabilité. Organisme
intergouvernemental crée en 1989 à l'initiative du G7 au sommet
de l'Arche à Paris. La mission principale du GAFI est de formuler
quarante recommandations axées sur la prévention et la
répression du blanchiment d'argent ainsi que neufs recommandations
spéciales sur la lutte contre le financement du terrorisme. Celles-ci
posent les principes d'une coopération juridique et administrative entre
les États. L'organisme contrôle la mise en oeuvre par ses membres
des recommandations où deux types de mesures ont été mises
en place : une d'auto-évaluation et une d'évaluation mutuelle. Le
premier volet implique l'envoi d'information sur la mise en oeuvre des
recommandations au GAFI. Le deuxième implique un contrôle
réciproque par les membres entre eux. Notons que c'est cette même
procédure qui est utilisée dans le cadre des travaux du groupe de
travail des crédits à l'exportation et des garanties de
crédits (CGE) à l'OCDE, qui vise à mener la lutte contre
la corruption pour les agences de crédits d'exportations des
États membres. Ces procédures d'auto-évaluation et
d'évaluation mutuelle sont extrêmement efficaces grâce
à leur effet dissuasif et l'embarras qu'ils peuvent causer aux
États qui ne respectent pas les normes. Voir « Paradis
Fiscaux et opérations internationales: Mesures anti-évasion,
Lutte contre le blanchiment, Pays et zones à fiscalité
privilégiée », Paris, Éditions Francis Lefebvre,
2005, p.217-218; OCDE, « Lutte contre la corruption : Corruption
et crédits à l'exportation », en ligne :
http://www.oecd.org/topic/0,3373,fr_2649_34177
1 1 1 1 37447,00.html.
260 M. DELMAS-MARTY, op. cit., note 5, p. 329.
recommandations est la règle générale
dans le domaine bancaire. Les accords et contrats bancaires internationaux
contiennent d'une façon universelle des dispositions consacrées
à l'engagement envers les Principes Worlsberg ou les recommandations du
GAFI.
Que ce soit dans le domaine du blanchiment d'argent ou de la
RSE, les problématiques de la globalisation des marchés appellent
à des modèles normatifs qui vont au-delà d'un
modèle purement horizontal (auto-régulation) ou purement vertical
(gouvernemental). D'autres modèles mixtes sont requis, et qui seraient
crées notamment à travers une coopération
interétatique, une régulation par des autorités
privées compétentes ou par des organes judiciaires
supranationaux261. À ce titre, les multinationales et la
société civile interviennent en tant que régulateurs
symétriques, parfois sur un pied d'égalité avec les
États. L'interaction entre la société civile et les
multinationales, que ce soit au niveau national ou sous l'égide
d'institutions internationales, pourrait bien constituer les débuts d'un
développement de nouveaux régimes règlementaires
internationaux262. En bref, nous pouvons tout de même conclure
que ces deux acteurs mènent des chemins parallèles quant au
soutien et à la propagation des instruments de soft law. Ce qui
nous amène à traiter d'un autre thème où leurs
intérêts se croisent, soit la règle de droit
internationale.
3) L'intérêt mutuel pour la règle
de droit internationale
Ayant traité du rôle des acteurs non
étatiques dans la propagation des normes de soft law, notre
intérêt se tourne maintenant vers leur promotion commune de la
règle de droit internationale. En effet, les pays
développés, les organisations internationales telles que la
Banque mondiale, le FMI, et l'OMC, les investisseurs et les multinationales
ainsi que la société civile promeuvent et exigent la règle
de droit afin d'assurer le succès de la globalisation des
marchés263. Ces acteurs mondiaux exigent des réformes
dans des marchés potentiels visant entre autres à réduire
la corruption politique, à assurer le respect ou l'opposabilité
des droits privés et contractuels et une compensation suite à
toute expropriation264. L'équité, la
nondiscrimination, la liberté de mouvement et d'expression, le droit
à un procès juste et équitable ainsi que le droit contre
une détention arbitraire des individus sont des droits cardinaux
à tout individu, entreprise ou organisation265.
La règle de droit implique un minimum de transparence
décisionnelle et règlementaire, de stabilité, de
clarté, de prévisibilité, de rejet de l'arbitraire ou du
discrétionnaire et de publicité. Elle implique également
la disponibilité de recours ou de mécanismes de consultations et
de délibérations pour les parties prenantes affectées par
l'adoption d'une quelconque mesure266. La règle de droit est
ainsi un pilier fondamental dans la protection et l'épanouissement des
droits économiques267.
La promotion de la règle de droit internationale
était manifeste lors de la négociation pour l'accession de la
Chine à l'OMC. La pression des grands groupes américains a
été particulièrement incidente sur l'Accord de l'accession
de la Chine à l'OMC (ci-après l'« Accord »). Ces
derniers étaient désireux d'obtenir des garanties
adéquates en matière de protection de la propriété
intellectuelle et de la concurrence,
263 D. SCHNEIDERMAN, op. cit., note 34, p. 3.
264 S. CUMMINGS, op. cit., note 32, p. 26; M. KRUGER et
D. WEISSBRODT, op. cit., note 56, p. 200.
265 S. TULLY, op. cit., note 47, p. 107.
266 Id., note 47, p. 306.
267 Id., note 47, p. 23.
d'accès au marché chinois et de réformes
judiciaires268. Le gouvernement chinois a dû réagir
avec la mise en place d'importantes réformes internes. L'Accord
prévoit entre autres la mise en place d'un mécanisme de
révision judiciaire des décisions administratives qui affectent
les entreprises. Il prévoit également la mise en oeuvre d'une
Gazette officielle où les lois et les règlements reliés
aux accords de l'OMC seront publiés et disponibles. Ces réformes
sont le fruit de critiques et de pressions conséquentes pour une plus
ample démocratisation émanant à la fois d'entreprises, de
la société civile et d'États tiers269.
En effet, la règle de droit serait un
élément édifiant à la convergence ou à la
complémentarité entre droits fondamentaux et droits
économiques évoquée tout au long de cette étude.
À ce titre, Mireille Delmas Marty souligne que : « (...) les
accords du GATT de 1994 ont sans doute contribué à
ébaucher la construction d'un État de droit en Chine
»270. Il appert que la question du respect et de l'instauration
de la règle de droit était effectivement une question centrale
des négociations271. La délégation chinoise
à la Communauté européenne est du même avis : elle a
soutenu que l'accession de la Chine à l'OMC serait un facteur
décisif pour l'amélioration des droits de l'homme dans le
pays272.
L'exemple de l'accession de la Chine à l'OMC
démontre en effet l'existence d'une synchronisation entre droits
économiques et droits de l'homme. Une marge
268 Liu SUN, «Lessons from China's WTO Accession
Negotiations: A look at likely implementation problems ahead», dans Nico
SHRIJVER et Friedl WEISS (dir.), International Law and Sustainable Development,
Leiden, Martinus Nijhoff, 2004, p.189; E. PETERSMANN, op. cit., note
24, p. 642.
269 Id., note 268, p.189; Id., note
24, p. 642.
270 M. DELMAS-MARTY, op. cit., note 63, p. 170.
271 Id., note 268, p.185.
272 Wolfgang BENEDEK, «The WTO and human rights»
dans Wolfgang BENEDEK, Koen de FEYTER, et Fabrizio MARELLA (dir.), Economic
globalisation and human rights, Cambridge, Cambridge University press, 2007,
p.152; Voir également Id., note 268, p.211.
existe afin d'équilibrer les deux ensembles en
dépit du fait qu'ils se retrouvent parfois en conflit273. La
société civile milite encore pour cet équilibre en
recevant le soutien d'organes internationaux tels que le Haut commissaire des
droits de l'homme de l'ONU qui appelle à une : « human rights
approach to trade »274. À cet effet, il est
difficile de ne pas admettre l'existence d'une complicité entre les
multinationales et la société civile quant à la
propagation de la règle de droit. Les deux acteurs sont soucieux pour
des préoccupations non marchandes. Tous deux exercent une dynamique de
pression redoutable sur les États, même les plus puissants tels
que la Chine et ce, en dépit de la poursuite d'objectifs
différents que ce soit la protection des droits de l'homme ou la
promotion des affaires. Il importe ensuite d'examiner leur rôle quant
à l'initiation des différends au sein d'une des plus importantes
organisations interétatiques et internationales, soit l'OMC. Il s'agit
d'un autre constat qui évoque la symétrie qui existe entre ces
deux acteurs.
4) Initiation des différends au sein de
l'OMC
Le règlement de différends impliquant les
acteurs non étatiques et les États crée une jurisprudence
par laquelle le droit international évolue275. À ce
titre, la contribution des acteurs non étatiques est édifiante.
En réglant leurs différends, les États peuvent
également recourir à des conseils privés, les principaux
acteurs du commerce international étant d'ailleurs des opérateurs
privés. Des accords de l'OMC tels que GATS et ADPIC leur octroient
directement des droits. Toutefois, les États demeurent attachés
à une procédure de règlement des différends
à l'OMC strictement
273 Id., note 58, p. 225.
274 E. PETERSMANN, op. cit., note 24, p. 637.
275 S. TULLY, op. cit., note 47, p. 22.
interétatique et confidentielle276. Des
acteurs non étatiques sont cependant souvent à l'origine d'un
recours devant l'ORD tel que nous le verrons dans les paragraphes qui
suivent.
Les personnes représentant les intérêts du
secteur privé travaillent conjointement avec les responsables de
nombreux États pour développer un agenda de contentieux à
l'OMC en déterminant les questions à défendre et à
soulever :
<< It is frequently firms, industry associations,
private sector attorneys and consultants that do much of the pre-litigation and
behind the scenes work forming the crux of the arguments that are litigated by
US and EU government officials in Geneva >>277.
Ces personnes ont un rôle édifiant dans la
recherche économique, le montage de dossiers et le rassemblement de la
preuve278. L'État exerce tout de même un pouvoir de
discrétion concernant sa volonté de porter plainte ou non, ce qui
soulève néanmoins le risque que seuls les secteurs les plus
puissants pourront compter sur leurs gouvernements afin de protéger
leurs intérêts dans d'éventuels différends
économiques internationaux.
Toute personne peut cependant contraindre son gouvernement,
à travers l'accès à des instances judiciaires ou
quasi-judiciaires, d'agir au niveau international. Aux États-Unis, un
recours quasi judiciaire existe en vertu de l'article 301 du Trade Act of
1974. En vertu de ce recours, toute partie intéressée
pourrait demander au US
276 Serge GUINCHARD, et al., << Droit processuel. Droit
commun et droit comparé du procès équitable >>,
Paris, Dalloz, 2007, p.977.
277 C. BOWN et B. HOEKMAN, op. cit., note 4, p. 869;
Voir également P. ROSIAK, op. cit., note 34, p. 13.
278 S. TULLY, op. cit., note 47, p. 247.
Trade Representative d'entamer une enquête sur
la pratique d'un État étranger279. Les recours devant
les tribunaux fédéraux américains de droit commun
pourraient également constituer le début d'une procédure
américaine au niveau international. Cela a été le cas dans
la fameuse affaire de «Shrimps», qui sera traitée
plus en détails plus loin, où une ONG environnementale avait
entamé un recours devant un tribunal fédéral
américain. Dans le cadre de l'Union européenne, une
procédure similaire pourrait être entamée auprès de
la Commission européenne en vertu du Règlement sur les
obstacles au commerce280. Au Canada, l'organisme chargé
de traiter ce type de recours est le Tribunal canadien du commerce
extérieur, un organisme quasijudiciaire crée en vertu d'une loi
habilitante, la Loi sur le tribunal canadien du commerce
extérieur281.
Nous devons noter que ces trois instances internes traitent
des « questions typiques » du régime du commerce mondial
telles que les subventions, les mesures de dumping et
anti-dumping, les barrières techniques au commerce, etc. Ce qui
expliquerait l'intervention limitée de la société civile
auprès de ces organismes par rapport à celle des entreprises ou
des lobbies corporatifs282. Les militants de la
société civile seraient effectivement peu
intéressés par les différends visant l'application du
droit actuel ou par ceux qui n'impliquent pas l'établissement de
précédents. Cette idée est encore plus marquée pour
les organisations à vocation sectorielle ou thématique
(issue-based organizations) telles que Green Peace ou
Oxfam. Ces dernières sont préoccupées par des
questions telles que les incidences et les impacts
279 Section 301 of the Trade Act of 1974, US Department of
Commerce, en ligne:
http://www.osec.doc.gov/ogc/occic/301.html;
C. BOWN et B. HOEKMAN, op. cit., note 4, p. 870; C. CÔTÉ,
op. cit., note 35, p. 421.
280 Règlement du Conseil
N°3286/94; en ligne :
http://ec.europa.eu/trade/issues/respectrules/tbr/index_en.htm
281 Voir mandat du tribunal, en ligne :
http://www.citt-tcce.gc.ca/mandate/index_f.asp
; et Voir la Loi sur le Tribunal canadien du commerce
extérieur, L.R.C. 1985, c. 47.
282 Id., note 47, p. 245.
du commerce mondial sur l'environnement et les droits de
l'homme283. Par conséquent, le choix d'intervenir directement
pour invoquer ces questions dans les différends de l'OMC pourrait leur
être plus intéressant.
Les acteurs non étatiques impliqués dans
l'initiation de la procédure ont enfin un grand rôle à
jouer suite à l'adoption d'une décision internationale favorable
à leur égard. Un rôle qui se concrétise par leurs
campagnes de relations publiques à l'étranger ou de plaidoyer
auprès des acteurs politiques étatiques afin d'obtenir la
conformité à la décision en question284.
Attribué principalement aux entreprises, ce rôle
prépondérant touche à la polémique suivante :
l'État ne serait-il pas qu'un simple porte-parole des acteurs
économiques à l'ORD285? Il faudrait se poser la
question de savoir qui seraient les véritables parties dans un litige
tel que CE- Bananes286. Les pays africains contre ceux
d'Amérique latine ? Les États-Unis contre la Communauté
européenne ? Ou plutôt les puissants groupes agricoles
américains, tels que Chiquita, contre leurs concurrents
européens? Selon Charles-Emmanuel Côté, cette
réalité évoque un défaut de transparence affectant
certainement et péjorativement le règlement de différends
à l'OMC287. De plus, ces questions en entraînent
logiquement deux autres: pourquoi ne pas permettre à ces groupes
d'intervenir directement devant l'ORD à la place des
283 C. BOWN et B. HOEKMAN, op. cit., note 4, p. 882.
284 Id., note 4, p. 870.
285 M. DELMAS-MARTY, op. cit., note 5, p. 323.
286 Communautés européennes -- Régime
applicable à l'importation, à la vente et à la
distribution des bananes (Plaignants : Équateur, Guatemala,
Mexique, Honduras, États-Unis), WT/DS27.
287 Face aux avantages douaniers accordés par la
Communauté européenne à de nombreux pays des caraïbes
et d'Afrique, Chiquita a vu son chiffre d'affaires diminué, et
a exercé d'importantes pressions auprès du gouvernements
américain afin d'agir au niveau de l'OMC; Voir Site web de la
CNUCED, « Informations de marché dans les secteurs de produits de
base : Bananes - Sociétés », en ligne :
http://r0.unctad.org/infocomm/francais/banane/societes.htm,
Voir également C. CÔTÉ, op. cit., note 35,
p.396; P. ROSIAK, op. cit., note 34, p. 94.
États plaignants288 ? Nous nous demandons
alors : pourquoi ne pas permettre également à la
société civile d'intervenir dans ces différends
directement afin de défendre à ce niveau international «
l'intérêt collectif »?
Octroyer aux parties prenantes une capacité
procédurale devant les juridictions internationales est
caractéristique d'une modernisation du droit international,
traditionnellement focalisé sur l'État en tant que sujet et
acteur de première scène, ce qui reste véridique mais ne
décrit pas la situation de manière complète. Permettre un
tel accès sans une sanction étatique préalable dans un
souci de gouvernance, d'équité et de transparence aura
certainement un impact positif, un impact à pondérer avec la
situation actuelle où les États sont perçus de
façon notoire en tant que porte-paroles des acteurs économiques.
En effet, dans deux différends sous le Chapitre XI de l'ALENA, les
tribunaux ont dû déterminer si la mesure prise par l'État
défendeur visait la protection des intérêts d'un concurrent
clairement identifié par le plaignant. Selon le tribunal dans SD
Myers, les mesures environnementales canadiennes désavantageant
l'investisseur américain étaient principalement destinées
à protéger les intérêts de Chem-Security,
concurrent principal de SD Myers289. Dans
Methanex, l'entreprise canadienne a soulevé que la mesure
environnementale californienne en cause avantageait Archer Daniels
Midland, un concurrent de Methanex. Elle accuse ce dernier
d'avoir contribué à la campagne électorale du gouverneur
californien qui a sanctionné la mesure en cause290. Ce
rôle prépondérant des entreprises soulève ainsi de
nombreux points
288 Id., note 35, p.397.
289 D. SCHNEIDERMAN, op. cit., note 34, p. 87.
290 Id., note 34, p. 93.
d'interrogations et de fortes critiques qui dénoncent
un agenda de commerce mondial poussé uniquement par des
considérations strictement marchandes.
L'idée selon laquelle les multinationales et la
société civile seraient les véritables parties aux
différends internationaux économiques ne fait que renforcer la
symétrie qui existe entre les deux. Ces deux acteurs ne font que gagner
du terrain sur une scène initialement et strictement
interétatique. Par ailleurs, cette idée paraît troublante
pour de nombreux États, poussant même certains d'entre eux
à s'opposer à une quelconque participation de ces acteurs non
étatiques à l'OMC.
5) L'opposition à leur participation
Nombreux sont ceux qui considèrent les multinationales
comme agents de leurs pays d'origine, qui proviennent majoritairement des pays
développés. Suivant cette vision, les multinationales
représenteraient une menace à la souveraineté de
l'État dans lequel elles interviennent291. Elles
contribueraient à l'inégalité entre les pays et
constitueraient un apport à la position des pays
développés. Cet argument vaut également pour la
société civile. Cette dernière est intervenue pour la
première fois devant l'ORD à titre d'amicus curiae dans
l'affaire de «Shrimps» pour appuyer la position
américaine. C'est à ce titre que la plupart des membres de l'OMC,
notamment ceux des pays en développement292, ont
critiqué la jurisprudence du groupe spécial et de l'organe
d'appel qui a permis pour la première fois ce type d'interventions. Ils
considèrent la question de la permission des interventions d'amicus
curiae comme une question substantive et non procédurale, à
décider et à
291 J. ZERK, op. cit., note 34, p.10.
292 Notée lors de différentes rencontres et
conférences, Voir S. TULLY, op. cit., note 47, p.
255-257.
trancher donc par la voie d'un amendement du Mémorandum
à sanctionner uniquement par les États membres293.
Nous traiterons l'affaire de «Shrimps» plus en détail
par la suite. Étant donné la stagnation des négociations
du cycle de Doha et les désaccords entre les différents
États membres, les organes de l'OMC ont dû réagir face aux
pressions de la société civile. Cette dernière frappe sans
cesse à leurs portes, bien fermées auparavant, mais qui ont
dû désormais s'ouvrir progressivement294. Laisser
à l'ORD la tâche de se prononcer sur des questions aussi
problématiques risque d'engendrer des tensions et controverses au sein
de l'OMC295.
Les membres de l'OMC se sont ainsi mis d'accord pour
négocier une réforme de l'ORD (novembre 2001 -
Doha)296. Ce projet de réforme devenait impératif afin
d'adresser la controverse entourant la participation d'amicus curiae
au sein du processus de règlement de différend de l'organisation.
Plusieurs pays en développement soupçonnent et
n'apprécient nullement le rôle de la société civile,
en considérant sa participation comme un apport ou une contribution
à la force des pays développés. La raison de ce rejet
réside en ce que la plupart des acteurs de la société
civile proviennent des pays développés297.
Cet argument repose principalement sur l'expérience
dans «Shrimps»298 et dans le cadre d'autres
décisions devant l'ORD où les communications d'amicus
curiae soulevant des droits et des problématiques non marchandes
ont été utilisées
293 Henry GAO, «Amicus Curiae in WTO Dispute Settlement:
Theory and Practice», China Rights Forum, 2006, en ligne:
www.hrichina.org/public/PDFs/CRF.1.2006/CRF-2006-1
Amicus.pdf, p.55; C. CÔTÉ, op. cit.,
note 35, p. 410.
294 H. ASCENSIO, op. cit., note 67, p.900.
295 E. PETERSMANN, op. cit., note 24, p. 662.
296 R. PRATAP, «India and Dispute Settlement Reform
Negotiations: A Critical Appraisal», dans K. BYTTEBIER et K. VAN DER
BORGHT (ed.), «WTO Obligations and Opportunities: Challenges of
Implementations», London, Cameron May, 2007, p. 367.
297 N. QUOC DINH, op. cit., note 221, p.114.
298 États-Unis -- Prohibition à
l'importation de certaines crevettes et de certains produits à base de
crevettes (Plaignants : Inde, Malaisie, Pakistan, Thailande),
WT/DS58/AB/R, adopté le 6 novembre 1998, DSR 1998:VII, 2755.
pour complémenter et soutenir les arguments des
États-Unis et de la Communauté européenne299.
La question qui se pose donc est la distinction entre d'une part, l'assistance
des tribunaux dans des matières relevant de l'intérêt
public telles que l'environnement et les droits de l'homme et d'autre part
l'assistance des parties afin d'influencer la décision en leur
faveur300. Cette question évoque directement la
polémique du New Wave Protectionism où des mesures
légitimes, visant la protection de l'environnement à titre
d'exemple, seraient présumées et considérées comme
des mesures protectionnistes (ou d'expropriation dans le vocabulaire du droit
de l'investissement)301. Paradoxalement, ce sont les pays en
développement qui ont le plus besoin de ces mesures de protection. Elles
assureraient en effet un développement durable et équitable de
leurs économies et de leurs sociétés
fragiles302. Ce sont également les pays en
développement qui ont le plus besoin d'assistance de la part de la
société civile et du secteur privé afin d'effectivement
accéder et participer à l'ORD303.
Le débat dépasse la question de l'ORD.
Initialement, l'Inde et la Chine étaient contre le recours à
l'amicus curiae. Elles s'opposaient au principe même de la
participation des ONG dans la prise de décisions et dans
l'élaboration de politiques sur la scène internationale
économique304. Selon elles, ces organismes proviennent de
pays développés et adoptent des positions et des valeurs sur
l'environnement et les droits de l'homme qui ne reflètent
nécessairement pas celles des pays en
299 Voir Institut international pour le
développement durable, «Doha Briefing Series: Developments
Since the Fourth WTO Ministerial Conference», février 2003, en
ligne:
http://www.ictsd.org/pubs/dohabriefings/doha8-review-dispute.pdf.
300 Id., note 288
301 C. CÔTÉ, op. cit., note 35, p. 411.
302 James HARRISON, «The Human Rights Impact of the
WTO», Oregon, Oxford and Porland, 2007, p.121.
303 Voir C. BOWN et B. HOEKMAN, op. cit., note
4.
304 S. CHARNOVITZ, op. cit., note 30, p. 508.
développement305. Certaines ONG seraient
également des entités pseudo-politiques, think tanks,
lobbies et groupes protectionnistes qui se faufilent tous dans cette
large et hétérogène famille de la société
civile306. Dans un différend opposant la Pologne et la
Thaïlande, une organisation nommée la Consuming Industries
Trade Action Coalition désirait intervenir à titre
d'amicus curiae, ce qui a suscité une opposition virulente de
la Thaïlande. Cette dernière invoqua un conflit
d'intérêts flagrant car ladite organisation aurait utilisé
le même conseiller juridique que la Pologne307.
Outre cet argument, nombreux sont ceux qui partagent l'avis
que les multinationales et la société civile feraient mieux de
mener leurs activités de plaidoyer à l'égard de leurs
gouvernements à l'interne plutôt qu'à l'égard d'une
organisation internationale308. C'est dans cette optique que des
voix s'élèvent contre l'idée d'accorder un statut de
personnalité juridique à ces acteurs, ces voix craignant une
consolidation et un apport à la position des pays
développés309. Ils craignent leur manque
d'imputabilité et soulèvent également le danger que des
groupes d'intérêts, tels que des groupes protectionnistes,
puissent nuire au projet de parvenir à un régime de commerce
mondial équitable et équilibré310. Ceux qui
sont en faveur de l'intervention de la société civile au sein de
l'OMC sont en revanche d'avis que cela ne fera qu'augmenter la transparence et
le soutien à l'OMC.
305 S. CHARNOVITZ, op. cit., note 30, p. 482.
306 R. BUCKLEY et P. BLYSCHAK, op. cit., note 36, p.
371.
307 La Pologne aurait violé ses obligations de
confidentialité, des documents seraient passés à travers
le cabinet juridique la représentant, et qui représentait
également la CITAC. Thaïlande - Droits antidumping sur les
profilés en fer ou en aciers non alliés et les poutres en H en
provenance de Pologne, (Plaignant : Pologne), WT/DS122/AB/R,
adopté le 5 avril 2001; H. ASCENSIO, op. cit., note 67,
p.919.
308 Id., note 24, p. 483.
309 P. DUMBERRY, op. cit., note 45, p.107.
310 T. MERON, op. cit., note 66, p.321.
Par ailleurs, l'acceptation des interventions d'amicus
curiae non sollicitées pose un problème aux pays en
développement. Ces derniers n'auraient pas la capacité de
répondre à de telles interventions à cause des contraintes
de temps et de moyens financiers. Une autre préoccupation est d'assurer
que de telles interventions n'affecteront pas l'égalité entre les
parties. C'est à cet effet que l'Inde désire l'adoption d'une
réforme de l'ORD. Elle propose d'ajouter un paragraphe à ce sujet
à l'article 13 du Mémorandum. L'ajout serait l'équivalant
à l'article 37(2) du nouveau Règlement d'arbitrage du
CIRDI311. En vertu de cet article, le tribunal arbitral s'assure que
l'intervention non sollicitée ne perturbera pas l'instance et ne causera
pas une charge excessive ou un préjudice à l'une des parties.
Finalement, l'idée de permettre les interventions
d'amicus curiae est soulevée afin d'accroître la
transparence de l'OMC, un argument adopté par les États-Unis
puisque selon eux : <<The public has a legitimate interest in the
proceedings >>312. Cette proposition est
férocement rejetée par de nombreux pays en développement
qui insistent sur la nature interétatique du processus de
règlement de différends. L'intervention de ces personnes
privées est considérée comme une atteinte à leur
souveraineté. Ces pays sont également conscients de la <<
privatisation de l'État >> dans les pays
développés313. En ouvrant cette porte à
l'amicus curiae, ils craignent justement l'entrée de puissants
groupes corporatistes, d'agents étatiques pseudo
311 R. PRATAP, op. cit., note 296, p. 374.
312 Institut international pour le développement durable,
«Doha Briefing Series: Developments Since the Fourth WTO Ministerial
Conference», février 2003, en ligne:
http://www.ictsd.org/pubs/dohabriefings/doha8-review-dispute.pdf.
313 P. SANDS, op. cit., note 35, p. 535.
politiques déguisés en associations
industrielles, commerciales, syndicales, centres de recherches et think
tanks314.
Paradoxalement encore, ce sont les pays en
développement qui ont le plus besoin de transparence dans ces instances
internationales en général et dans les différends
d'investissements internationaux en particulier. Une transparence accrue aura
pour effet de se prémunir contre un « capitalisme prédateur
» qui contesterait - au nom de la protection et la promotion des
investissements étrangers - la légitimité des mesures
d'intérêt public nécessaire au développement de
leurs sociétés.
En bref, pour les soins de cette étude, l'opposition
des pays en développement illustre la catégorisation des
multinationales et de la société civile en tant qu'acteurs non
étatiques complices dans leur prolifération dans l'ordre
juridique international, façonné - tel que nous l'avons
soulevé - par les États, pour les États. Tout au long de
cette partie, nous avons pu identifier d'autres thèmes tels que
l'intérêt mutuel pour des préoccupations non marchandes et
la règle de droit internationale, le soutien et le recours aux normes de
soft law ainsi que le rôle dans l'initiation des
différends au sein de l'OMC qui mettent en lumière cette
complicité entre les deux acteurs et ce, en dépit de
l'arche-rivalité que nombreux sembleraient percevoir
hâtivement.
Notre objectif était d'illustrer la symétrie qui
existe entre les deux forces en tant qu'acteurs non étatiques afin de
mettre en perspective l'asymétrie évidente au niveau de
l'accès à la justice internationale économique,
traitée ci-dessous. Notons enfin que la position des pays en
développement à l'égard de la société civile
est loin d'être cohérente ou catégorique. Cette confusion
résulte du fait que des ONG ont
314 R. BUCKLEY et P. BLYSCHAK, op. cit., note 36, p.
371.
soutenu tantôt la position des pays en
développement dans de nombreuses causes et luttes telles que la
réforme d'ADPIC, tantôt la position de pays
développés tel que l'indique l'expérience de
«Shrimps».
V) Asymétrie au niveau de l'accès
à la justice internationale économique.
À ce stade, nous avons traité des motifs
à l'appui de l'accès de la société civile à
la justice internationale économique. Cette dernière y
accèderait comme sujet actif de droit international au même titre
que les multinationales ou les investisseurs. De plus, les symétries
entre ces deux acteurs non étatiques que nous venons d'identifier
militent pour leur accorder un statut égalitaire. Il s'agit maintenant
d'identifier le domaine où un double standard existe entre ces deux
forces, soit l'asymétrie au niveau de l'accès à la justice
internationale économique.
1) L'accès direct des investisseurs
Le Chapitre XI de l'ALENA et les TBI sont
considérés comme un << human rights treaty
>> ou comme un << bill of rights >> pour les
investisseurs315. Le Chapitre XI et les TBI accordent des droits et
des protections conséquents pour les investisseurs étrangers,
garantis par un mode de règlement de différend accessible
directement à l'investisseur lésé. Cela lui permet
d'intenter un recours devant une juridiction
315 Charles BROWER II, «NAFTA's Investment Chapter:
Initial Thoughts about Second-Generation Rights», Vanderbilt Journal of
Transnational Law, Fiona BEVERIGDE (dir.), Globalization and International
Investment, Burlington, Ashgate, 2005, p.384; D. SCHNEIDERMAN, op.
cit., note 34, p. 69.
arbitrale internationale sans être nécessairement
obligé de recourir aux tribunaux internes316.
Les investisseurs bénéficient en effet des
garanties du procès équitable dont la garantie contre le
déni de justice317. L'application de ce principe a connu un
élargissement récent dû notamment à
l'émergence de procédures prévues en vertu des TBI
permettant aux victimes d'agir directement contre les États afin
d'être dédommagées318. Grâce aux TBI,
l'investisseur étranger pourrait saisir une juridiction arbitrale
internationale, indépendante et impartiale qui se prononcerait sur le
déni de justice et sur la responsabilité de l'État selon
le droit international.
Le CIRDI est un exemple de ce type de juridiction.
Entrée en vigueur en 1966 dans le cadre du groupe de la Banque mondiale,
la Convention du CIRDI avait pour but de créer un forum de
règlement de différends regroupant investisseurs et États.
Le processus arbitral encadré par l'institution implique une
procédure contradictoire, une garantie des droits de la défense,
l'égalité entre les parties ainsi qu'une décision
fondée sur des considérations juridiques et non
politiques319. Les investisseurs peuvent donc dépendre sur
une juridiction qui respecte leur droit à un procès
équitable, ce qui n'est pas souvent le cas devant les juridictions des
pays d'accueil.
Les TBI visent par ailleurs la protection des investissements
étrangers à travers la juridicisation (legalization) des
relations commerciales internationales. Il
316 Une illustration intéressante de ces droits
intervient dans une affaire où un investisseur, ayant la double
nationalité égyptienne et italienne, abandonne la première
pour poursuivre l'Égypte en vertu du traité d'investissement en
vigueur entre ses deux pays. L'investisseur était convaincu
d'avoir plus de chance à obtenir une juste compensation devant un
tribunal arbitral international. En effet, sans motif, ni justification,
l'État égyptien lui avait tout simplement confisqué un
terrain qu'il avait acquis pour un projet de développement touristique.
Voir Waguih Elie George Siag et Clorinda Vecchi c. Égypte dans
Walid BEN HAMIDA, « La notion d'investisseur : les nouveaux défis
de l'accès des personnes physiques au CIRDI », dans Ibrahim
FADLALLAH et al. (dir.), Investissements internationaux et arbitrage,
Paris, La Gazette du Palais, Décembre 2007, p. 32.
317 J. PAULSSON, op. cit., note 162, p.2.
318 Id., note 162, p.3.
319 N. QUOC DINH, op. cit., note 221, p. 827.
s'agit d'un phénomène par lequel la
présence et la force obligatoire du droit s'accroissent et par lequel le
rôle du droit tend à se renforcer dans la conduite des relations
internationales320. Ladite juridicisation s'est
matérialisée et s'est concrétisée par la
juridictionnalisation du règlement des différends internationaux,
signifiant que leur règlement se fait par un mécanisme
ressemblant de plus en plus à une juridiction internationale, soit de
plus en plus similaire à un tribunal judiciaire. Grâce à
une volonté internationale de juridiciser les relations commerciales, il
y a eu un développement d'un mécanisme de règlement des
différends commerciaux internationaux de plus en plus
juridictionnalisé321. L'objectif est ainsi de garantir
l'accès à la justice, soit le droit à un recours et le
droit à un juge aux investisseurs étrangers selon les
préceptes de la règle de droit et du procès
équitable. C'est à cet effet et tel que discuté plus haut
que les multinationales et les investisseurs défendent et
réclament désormais la règle de droit322.
Ce constat est illustré dans le nouveau TBI entre
l'Australie et les États-Unis signé en 2004. Ce traité
contient les dispositions typiques concernant la protection et la promotion des
investissements directs entre les deux pays. En revanche, l'accord
diffère de ceux qui ont été signés récemment
par les États-Unis puisqu'il ne prévoit aucun mode de
règlement de différend pour son application. Le traité
n'octroierait aucun recours direct aux investisseurs devant des juridictions
arbitrales internationales. Selon le gouvernement australien, les raisons sont
les suivantes :
320 Charles-Emmanuel CÔTÉ, « La
participation des personnes privées dans le règlement des
différends internationaux économiques : Les cas de
l'élargissement du droit de porter plainte à l'OMC »,
Montréal, Thèses de doctorat de McGill, 2005, p.11; D.
SCHNEIDERMAN, op. cit., note 34, p. 206.
321 Id., note 309, p. 13.
322 D. SCHNEIDERMAN, op. cit., note 34, p. 222.
<< «The Parties' open economic
environments», their «shared legal traditions, and the confidence of
investors in the fairness and integrity of their respective legal
systems»323».
Le mécanisme de règlement des différends
prévu typiquement dans les TBI n'était pas nécessaire en
l'espèce puisque l'investisseur américain ou australien peut
s'attendre à un système de common law similaire au sien,
à un traitement juste et équitable par l'administration ainsi
qu'à un respect des exigences du procès équitable devant
les tribunaux de droit commun.
En effet, l'ALENA et le règlement de différend
arbitral prévu sont initialement des outils
d'imperméabilité des investissements contre les défis
judiciaires et administratifs du Mexique. L'ALENA impose également des
principes de la rule of law américaine et de libre
échange. Les signataires s'engagent à respecter la << norme
minimale de traitement », le << traitement juste et équitable
» et la << protection et sécurité intégrale
» qui sont des principes incarnant le constitutionnalisme libéral
américain324. Selon la vision américaine, le but est
d'instaurer un modèle de libéralisme économique adoptant
la règle de droit dans la règlementation des marchés et
qui permettra la promotion de la liberté économique. La
règle de droit accorderait aux investisseurs une série de
protections ou de garanties couvrant les diverses discriminations, les
expropriations sans indemnisation, le traitement juste et équitable
ainsi que la protection et sécurité entière pour leurs
323 Citant l'Australian Department of Foreign Affairs and
Trade dans Id., note 34, p. 220.
324 Emmanuel DARANKOUM, << L'arbitrage commercial
international », dans Guy LEFÈBVRE et Stéphane ROUSSEAU
(dir.), Introduction au droit des affaires, Montréal, Thémis,
2006, p.672; D. SCHNEIDERMAN, op. cit., note 34, p. 206.
investissements325. Ce modèle de
libéralisme économique assurerait une stabilité et une
prévisibilité accrues dans le domaine de l'investissement
étranger direct326.
Du fait de l'inexistence d'un régime
multilatéral universel d'investissement, les TBI constituent le
véritable régime du droit de l'investissement étranger
direct. Étant une composante du droit international, ces règles
sont considérées comme étant
supra-constitutionnelles327. Grâce à ce régime,
les entreprises deviennent de véritables sujets du droit international
de l'investissement328. Elles sont capables d'exécuter et de
sanctionner des violations aux obligations de droit international et de les
imposer aux États grâce à l'arbitrage329.
L'objectif d'attraction des investissements étrangers a
pour conséquence d'accorder de plus amples droits aux investisseurs. Cet
objectif a omis cependant la considération des droits des personnes
affectées par les violations commises par les investisseurs dans la
conduite de leurs activités330. Les justiciables
affectés n'ont aucun recours ni aucune garantie d'accès devant la
juridiction arbitrale. Cette dernière est désormais la
juridiction exclusive, responsable pour entendre les litiges découlant
de l'application du traité d'investissement en vertu duquel
l'investisseur a pu mener ses activités.
2) Vers le modèle du procès
équitable
L'asymétrie au niveau de l'accès à la
justice internationale économique serait un éloignement du
modèle du procès équitable qui protège les droits
fondamentaux
325 Id., note 324, p.673.
326 Id., note 34, p. 185.
327 Id., note 34, p. 3.
328 M. DELMAS-MARTY, op. cit., note 63, p. 19.
329 M. DELMAS-MARTY, op. cit., note 5, p. 187.
330 E. DARANKOUM, op. cit., note 54, 151.
99 de tous les justiciables. Les exigences du
procès équitable sont contenues notamment dans l'article 10 de la
Déclaration universelle des droits de l'homme (1946) qui a
inspiré les autres instruments juridiques
internationaux qui traitent du procès équitable331.
L'article énonce que :
« Toute personne a droit, en pleine
égalité, à ce que sa cause soit entendue
équitablement et publiquement par un tribunal indépendant et
impartial, qui décidera, soit de ses droits et obligations, soit du
bien-fondé de toute accusation en matière pénale
dirigée contre elle332. »
La Déclaration universelle des droits de l'homme n'a
pas de valeur normative à cause notamment de l'absence de contrôle
juridictionnel333. Elle demeure en revanche un instrument de
référence334. La source de l'article 14 du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques
(ci-après le « Pacte ») et l'article 6-1 de la Convention
européenne des droits de l'homme (CEDH) est en effet l'article 10 de
la DUDH. Elle a également inspiré d'autres instruments
internationaux tels que la
Convention américaine des droits de l'homme (1969) et
la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples
(1981)335.
L'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils
et politiques (ciaprès le « Pacte ») stipule le droit à
un procès équitable et les garanties procédurales
disponibles à tout justiciable. Le Pacte permet des communications
individuelles
331 L'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils
et politiques (1966), l'article 6-1 de la Convention Européenne des
droits de l'homme (1950), et de nombreux TBI contiennent également des
exigences en matière de procès équitable.
332 Article 10, Déclaration universelle des droits de
l'homme (1948).
333 S. GUINCHARD, op. cit., note 276, p.88.
334 Id., note 276, p.89.
335 Id., note 276, p. 407.
contre les États signataires devant le Comité
des droits de l'homme de l'ONU336. Ce recours vise uniquement les
particuliers excluant ainsi les personnes morales. Il est ineffectif à
moins que l'État signataire n'ait adhéré à un
protocole facultatif. Tous les États ne sont donc pas liés par ce
mécanisme.
La CEDH est cependant génératrice de la
jurisprudence la plus abondante en matière de droits de l'homme. Son
article 34 établit que toute personne peut instituer un recours
directement contre un État signataire qui a violé les obligations
de la convention devant la Cour européenne des droits de l'homme de
Strasbourg. Le requérant peut être un particulier, une personne
morale, une ONG ou un simple regroupement de personnes. La CEDH garantit ainsi
un accès à la justice internationale à toute
personne, soit la garantie d'un droit à un recours et le droit
à un juge. La société civile peut à ce titre se
prévaloir d'un recours institué en vertu de l'article 34 de la
CEDH. Tel que nous le verrons plus loin, les juridictions du droit
international économique ne garantissent pas un tel droit à la
société civile.
Le procès équitable permet par ailleurs
d'assurer le respect des garanties d'une bonne justice et la protection des
garanties fondamentales337. En effet, la garantie d'un procès
équitable compte parmi les piliers de toute société
démocratique338. Les garanties d'une bonne justice sont
illustrées notamment par la publicité des audiences, par
l'indépendance et l'impartialité du tribunal ainsi que par
l'obligation de délai raisonnable pour juger339.
336 Id., note 276, p.90.
337 S. GUINCHARD, op. cit., note 276, p.408.
338 Julie MEUNIER, « Le procès équitable
devant la Cour européenne des droits de l'homme », dans
Hélène RUIZ FABRI (dir.), Procès équitable et
enchevêtrement des espaces normatifs, Paris, Société
de législation comparée, 2003, p.191.
339 Id., note 276, p.412.
La publicité de la procédure (débats et
prononcé de la décision) est un principe fondamental
consacré par l'article 6-1 de la CEDH protégeant les justiciables
contre une justice secrète échappant au contrôle du public
et contribuant à préserver la confiance dans les cours et les
tribunaux. La publicité de la procédure octroie une transparence
de l'administration de la justice qui contribue à l'atteinte de
l'objectif du déroulement d'un procès équitable.
Le standard du procès équitable peut se
transposer avec flexibilité d'un espace normatif à un
autre340. Tel qu'évoqué auparavant, les Principes ALI
/ UNIDROIT de procédure civile transnationale facilitent ce transfert.
Elles énoncent les garanties de droits fondamentaux de la
procédure, elles-mêmes inspirées d'un rapprochement des
systèmes juridiques. Leur objectif est d'élaborer : << une
procédure mondialisée pour une économie mondialisée
»341. Le Pacte, l'article 6-1 de la CEDH et les Principes
d'ALI/UNIDROIT permettent l'atteinte d'un modèle du procès
équitable universel. Les préceptes d'équité, de
loyauté, de liberté d'accès à la justice et de
liberté de la défense ont été transposés
dans les engagements internationaux et européens342. En
effet, l'influence notoire des instruments internationaux des droits de l'homme
ou de libertés et des droits fondamentaux domine l'ordre juridique. Le
domaine procédural est également affecté, on parle alors
de droits fondamentaux du procès cristallisés343.
L'accès à la justice est une question d'ordre public
international. Un véritable droit substantiel à un procès
équitable conforme aux exigences d'un État démocratique
et
340 Payam SHAHRJERDI et Vincent TOMKIEWICZ, V., << Le
procès équitable dans l'espace normatif de l'OMC », dans
Hélène RUIZ FABRI (dir.), Procès équitable et
enchevêtrement des espaces normatifs, Paris, Société
de législation comparée, 2003, p.269.
341 E. DARANKOUM, op. cit., note 54, p. 159.
342 S. GUINCHARD, op. cit., note 276, p.19.
343 E. DARANKOUM, op. cit., note 54, p. 162.
par la même aux garanties fondamentales d'une bonne
justice s'internationalise344. Nous pouvons dès lors examiner
le transfert de ces exigences aux juridictions du droit international
économique.
Ces exigences semblent être assurées prima
facie par le Mémorandum de règlement de différends de
l'OMC. Les règles de l'organisation consacrent en effet une garantie
juridictionnelle du droit à un recours, d'un droit à un appel, de
l'indépendance et de l'impartialité des membres, du
caractère raisonnable du délai pour rendre et exécuter les
décisions, de la publicité des décisions ainsi que de
l'exigence de la bonne foi dans l'engagement des
procédures345. Les États impliqués dans un
différend doivent en revanche consentir à la publicité de
l'audience, à savoir son ouverture au public, ce qui s'est
déjà passée à maintes reprises face à la
pression citoyenne et à celle de la société
civile346. La confidentialité des audiences à l'ORD
est notamment un élément qui démontre l'absence d'une
qualité juridictionnelle, confidentialité d'ailleurs remise en
question et délibérée dans le cadre de la réforme
de l'ORD prévue à Doha347.
Ladite réforme concerne également la question de
la soumission des mémoires d'amicus curiae à l'ORD. En
effet, l'équité ou l'éthique procédurale sont des
notions qui permettent de croire qu'une procédure équitable
suffit à garantir une décision juste. Or, le but à travers
la procédure d'amicus curiae est en partie de: « (...)
garantir, grâce à ses lumières, un procès
équitable (...) »348. Les soumissions
344 Id., note 276, p.19.
345 P. SHAHRJERDI et V. TOMKIEWICZ, op. cit., note 340,
p.271.
346 OMC Nouvelles 2005, « L'OMC ouvre pour la
première fois au public une procédure de groupe spécial
», 12 septembre 2005, en ligne :
http://www.wto.org/French/news_f/news05_f/openpanel_12sep_f.htm.
347 S. GUINCHARD, op. cit., note 276, p.958.
348 Raymond GUILLIEN et Jan VINCENT, « Lexique des termes
juridiques », Paris, Dalloz, 2003, p.39.
d'amicus curiae soulèvent au tribunal des
faits et des arguments en vue de l'aider à rendre une décision
plus juste et complète. Le droit commun du procès
légitimerait, même dans la sphère internationale
judiciaire, les interventions d'amicus curiae349.
L'amicus curiae est effectivement recevable devant
les tribunaux pénaux internationaux, la Cour européenne des
droits de l'homme de même que la Cour interaméricaine des droits
de l'homme350. La question est fortement débattue au niveau
de la CIJ où a priori cette procédure est ouverte
uniquement aux organisations internationales
intergouvernementales351. Au niveau de l'OMC, des mémoires
d'amicus curiae ont été communiqués au groupe
spécial et à l'organe d'appel dès le premier
différend qu'ils ont réglé. Suivant le
précédent du GATT, les deux instances ont rejeté ces
mémoires352. En effet, cette position se conformait à
la nature et à la vision exclusivement et strictement
interétatique du GATT héritées par l'OMC353.
La situation a évolué depuis puisqu'aujourd'hui
la jurisprudence de l'OMC impliquant les interventions d'amicus curiae
émanant de la société civile et d'entités
corporatives est importante. Ces interventions ont été
effectuées en dépit de l'absence de dispositions qui les
permettent explicitement. Tel que nous le verrons, annexer le mémoire
à celui d'un État partie au litige est l'unique voie garantissant
à un acteur non étatique d'être entendu par le groupe
spécial ou l'organe d'appel. Il s'agit d'une faculté soumise
à l'entière discrétion des membres. Le droit d'être
entendu de ces acteurs n'est ni reconnu ni garanti; seuls les États
parties bénéficient de ce droit.
349 M. DELMAS-MARTY, loc. cit., note 5, p. 161.
350 M. DELMAS-MARTY, op. cit., note 7, p. 166; Voir
également H. ASCENSIO, loc. cit., note 67, p.901-902.
351 Selon une interprétation de l'article 34, paragraphe
2, du Statut de la Cour, Voir Id., note 67, p.906.
352 H. GAO, op. cit., note 293, p.405.
353 P. SANDS, op. cit., note 35, p. 544.
En tant que juridiction interétatique, le
système de l'ORD est caractérisé par son
horizontalité où la souveraineté des États demeure
un principe cardinal; d'où l'opposition ardue à toute forme
d'intervention dans ce système par la société
civile354. L'idée est évidente également
à la CIJ où l'État demeure le principal acteur et partie
aux différends. Tel que nous l'avons vu, ceci n'est plus tout à
fait véridique pour l'OMC, où les États sont notamment
perçus comme les porte-paroles des acteurs économiques dans le
domaine de règlement des différends.
La situation diffère en revanche dans le cadre de
l'arbitrage des différends d'investissements. Les acteurs non
étatiques y sont des justiciables pour qui : « le juge «
naturel », de droit commun, est et reste le juge
interne»355. Ces personnes s'attendent à une justice
équivalente à celle qui se trouve en droit commun. Le CIRDI, en
tant que mécanisme international de règlement de litige entre
personnes privées et États, a pu faire preuve de sa
capacité à institutionnaliser les exigences du procès
équitable356. La nouvelle réforme de sa
procédure a permis notamment l'intervention de la société
civile dans le procès et la publicité des audiences. Il s'agit
d'un droit d'accès à la procédure qui consacre le droit
d'intervenir et non d'un droit d'accès à la justice, qui vise le
droit à un recours et à un juge. Or, le droit prévu par la
réforme vise uniquement l'intervention dans la procédure à
titre d'amicus curiae et non à titre de partie au litige. Nous
examinerons plus en détail ladite réforme plus loin.
354 S. GUINCHARD, op. cit., note 276, p.955.
355 Id., note 276, p.956.
356 S. GUINCHARD, op. cit., note 276, p.989.
Donc, ni l'accès à la justice ni l'accès
à la procédure ne sont garantis pour la société
civile à l'ORD. Nous verrons que cela vient de changer au niveau de
l'arbitrage des différends d'investissement. L'idée de
l'accès à la justice de la société civile est
cardinale étant donné que la complexité, les coûts
et les rapports de force ont un effet dissuasif pour les justiciables.
L'accès à la justice économique internationale par des
justiciables lésés n'est pas prévu. L'investisseur qui
violerait des droits fondamentaux par son activité ne serait a
priori pas sanctionné par la justice internationale
économique. Les multinationales ou les investisseurs sont les uniques
acteurs qui peuvent se prévaloir d'un accès à la justice
internationale économique. Ce monopole d'accès devrait être
brisé afin de permettre à tous les justiciables et toutes les
parties prenantes affectés par le différend d'investissement
d'être entendus. Tel que traité plus haut, le déni de
justice aux ressortissants étrangers, qui est une violation de droit
international, ne devrait pas conduire à un déni de justice aux
justiciables locaux ou nationaux affectés par le différend. Un
double standard est évidemment en cause.
En effet, à l'exception de l'espace européen,
les instruments et les réparations d'accès direct pour soulever
des violations de droits de l'homme demeurent largement inefficaces. A
l'inverse, l'accès direct des individus contre les États pour
soulever des violations de droit international devant des juridictions
internationales fleurit dans le domaine d'arbitrage d'investissements. L'action
de la société civile en défense et en
représentation d'intérêts collectifs pourrait
remédier à ce double standard ou à cette asymétrie
relative à l'accès à la justice. Certains groupes de la
société civile ont été effectivement reconnus comme
défenseurs de ces intérêts
collectifs - traditionnellement garantis et
protégés par l'État - au niveau
international357. En revanche, ceux-ci sont souvent
dilués et ignorés eu égard aux réticences
politiques, aux discrétions et sélectivités, aux manques
de ressources, aux soucis des représailles ou encore aux contraintes
contractuelles face à l'investisseur. L'intervention de la
société civile, mieux informée et avisée, pour la
défense des intérêts collectifs s'impose.
De plus, cela contribuerait à un rapprochement d'un
modèle de démocratie universelle ou internationale
participative-délibérative. En ce qui concerne la
société civile et les diverses parties prenantes, ce
modèle leur permettrait d'avoir un accès approprié
à l'information, de participer aux processus décisionnels ainsi
que d'avoir un accès effectif aux procédures administratives et
judiciaires358. L'accès à l'information, la
participation aux décisions et processus normatifs internationaux et
l'accès aux recours (administratifs et judiciaires) sont en effet les
trois axes de la gouvernance mondiale359.
Reconnaître le droit d'agir de la société
civile dans un souci de gouvernance et d'effectivité des droits
fondamentaux, c'est reconnaître l'émergence de nouveaux
intérêts et la complexité des relations économiques
internationales. Il s'agirait enfin de remédier à cette
asymétrie qui établit un double standard indu et injuste entre
les investisseurs et les autres justiciables.
357 C. CÔTÉ, op. cit., note 35, p. 303.
358 E. DARANKOUM, op. cit., note 54, p. 160.
359 Id., note 54, p. 161.
3) Fondement de l'accès à la
procédure par la société civile
Il s'agit dans cette section d'analyser le fondement
procédural repris par des décisions clés de l'organe
d'appel de l'OMC et des tribunaux arbitraux appliquant l'ALENA ou les TBI. Ces
décisions ont ouvert la porte (timidement certes) à la
possibilité pour la société civile d'accéder
à la justice internationale économique, une porte ouverte
timidement puisqu'elle vise uniquement le droit d'accès à la
procédure. Tel que nous l'avons évoqué plus haut, ce droit
consacre seulement le droit d'intervenir et non le droit d'accès
à la justice, qui vise le droit à un recours et à un juge,
chose qui n'est pas prévue par la jurisprudence examinée
ci-dessous.
Dans «Shrimps»360, trois ONG
environnementales désiraient intervenir dans le but d'éclairer le
groupe spécial sur les enjeux environnementaux en cause361.
Le groupe spécial avait décidé que les interventions non
sollicitées seraient rejetées puisqu'incompatibles avec les
règles et les procédures régissant le règlement des
différends (le Mémorandum). Toutefois, les parties ont
été invitées à présenter les mémoires
d'ONG en les annexant à leurs propres mémoires. Les
mémoires d'ONG feraient partie intégrante de leurs dossiers, les
parties étant donc les uniques responsables de leurs contenus.
L'organe d'appel a par contre infirmé cette
décision. Il est même allé encore plus loin en accordant le
droit au groupe spécial de considérer les interventions non
360 États-Unis -- Prohibition à
l'importation de certaines crevettes et de certains produits à base de
crevettes (Plaignants : Inde, Malaisie, Pakistan, Thailande),
WT/DS58/AB/R, adopté le 6 novembre 1998, DSR 1998:VII, 2755.
361 Le Center for Marine Conservation (CMC), le
Center for International Environmental Law (CIEL) et le Wolrd Wide
Fund for Nature (WWF) qui est l'ONG de référence pour la
protection des animaux à travers le monde. Voir H. GAO, op.
cit., note 293, p.52.
sollicitées à condition que celles-ci soient
pertinentes362. Selon l'organe d'appel, le pouvoir d'accepter les
interventions non sollicitées d'amicus curiae relève de
son pouvoir général de recueillir tout renseignement utile
conformément à l'article 13 du
Mémorandum363. La décision a également
édicté que le groupe spécial peut, à sa
discrétion, déroger aux procédures en vertu de l'article
12.1 du même accord.
Dans l'affaire CE- Asbestos364, cinq
entités privées ont communiqué des mémoires dans le
but d'intervenir dans la procédure. Deux mémoires, émanant
d'autres organismes, ont été directement annexés au
mémoire de l'Union européenne. Les arguments et les points
soulevés dans ces derniers ont été effectivement pris en
compte par le groupe spécial dans son analyse pour trancher ce
différend, grâce à l'inclusion de ces mémoires dans
les arguments des parties au litige. Ces dernières sont effectivement
les seules à bénéficier du droit d'être entendues
par le groupe spécial. Les trois autres ont été
rejetés; ils provenaient de Ban Asbestos Network,
l'Instituto Mexicano de Fibro-Industrias A.C, et ONE
("Only Nature Endures"), une ONG basée en
Inde365.
Arrivé en appel, et vu le nombre important d'ONG,
d'associations et d'organisations commerciales et industrielles qui songeaient
à intervenir, l'organe d'appel a établi une procédure
provisoire pour la communication des mémoires d'amicus
curiae366. Ce pouvoir d'établir des procédures
provisoires est prévu à
362 Jorge VINUALES, «Amicus Intervention in Investor-State
Arbitration», Dispute Resolution Journal, Novembre 2006-Janvier 2007,
p.74; R. BUCKLEY et P. BLYSCHAK, op. cit., note 36, p. 362; T.
MERON, loc. cit., note 66, p.320.
363 C. CÔTÉ, op. cit., note 35, p. 406.
364 Communautés européennes - mesures
affectant l'amiante et les produits en contenant (Plaignant : Canada),
WT/DS135/R, adopté le 12 mars 2001.
365 Rapport du groupe spécial,
Communautés européennes - mesures affectant
l'amiante et les produits en contenant (Plaignant : Canada),
WT/DS135/R, adopté le 18 septembre 2000; p. 447.
366 Rapport de l'organe d'appel,
Communautés européennes - mesures affectant
l'amiante et les produits en contenant
(Plaignant : Canada), WT/DS135/R, adopté le 12 mars 2001;
Paragraphe 51; R. BUCKLEY et P. BLYSCHAK, op. cit.,
note 36, p. 363.
l'article 16 (1) des Procédures de travail. Dans cette
décision, l'organe a insisté sur les caractéristiques des
entités désirant intervenir. Les critères étaient
les suivants : leurs sources de financement, la description de leurs relations
avec les parties, leurs intérêts dans l'affaire, leur degré
de contribution à la procédure et l'identification des points de
droit qu'ils voudraient traiter. L'organe d'appel a
réitéré son pouvoir de discrétion de les accepter
ou de les rejeter.
En effet, les critères et conditions de l'organe
étaient si exigeants que les dixsept communications
présentées ont été rejetées. Il est tout de
même intéressant de noter que ce différend a suscité
l'intérêt d'organisations et de personnes fort variées des
quatre coins de la planète, allant d'entreprises minières
d'amiante au Sénégal et en Inde à des professeurs et
centres de recherches américains et australiens367. Cette
diversité ou hétérogénéité des
amicus curiae ne semble pas contredire la jurisprudence de l'organe
d'appel. Il serait en effet disposé d'accepter les communications de
toutes « personnes » autres que les parties au litige368.
L'organe d'appel est au contraire uniquement intéressé à
accepter les communications d'amicus curiae dans le seul cas où
cela pourrait lui être bénéfique. Il est primordial que
l'intervention puisse contribuer à résoudre une question de fait
ou de droit, c'est à dire de pouvoir contribuer à la
résolution du litige369.
De nombreuses décisions au niveau de l'ORD sont venues
par la suite confirmer les précédents établis par les deux
décisions examinées ci-dessus. En résumé, le groupe
spécial tire ce pouvoir de l'article 13 du Mémorandum (selon
367 Id., note 353, Paragraphe 53-56
(Voir notes de bas de page dans la décision).
368 Id., note 353, Paragraphe 50. (Italiques
ajoutées).
369 R. BUCKLEY et P. BLYSCHAK, op. cit., note 36, p.
363.
l'interprétation de l'organe d'appel). En revanche,
l'organe d'appel exerce ce pouvoir de discrétion en vertu de l'article
17.9 du Mémorandum en concordance avec l'article 16 (1) des
Procédures de travail370. La définition de
l'amicus curiae n'est pas encore précise dans le sens où
sa personnalité reste nébuleuse (individus, multinationales,
lobbies corporatifs371, organisations intergouvernementales et non
gouvernementales, etc.)372. La jurisprudence de l'OMC a cependant
dégagé deux types de critères. Tout d'abord, des
critères de ratione materiae qui portent sur
l'intérêt juridique des intervenants tel que la
démonstration du degré de contribution à la
résolution du litige; ainsi que des critères de ratione
personae portant sur leurs qualités telles que l'exigence
d'impartialité373. En second lieu, seules les informations
factuelles et techniques communiquées seraient recevables au stade du
groupe spécial. En revanche, devant l'organe d'appel, seuls les
arguments et les questions juridiques seraient considérés, de
plus l'information et l'argumentation communiquées ne devraient pas
être déjà traitées par les parties au
litige374.
Dans Methanex Corporation, le tribunal a
adopté l'approche de l'ORD et de l'Iran-US Claims Tribunal
permettant les interventions d'amicus curiae375. Il
s'agit d'un différend tranché dans le cadre du Chapitre XI de
l'ALENA. Il opposait
370 Mitsuo MATSUSHITA, Thomas J. SHOENBAUM et Petros C.
MAVROIDIS, « The World Trade Organisation : Law, Practice and Policy
», Oxford, Oxford University Press, 2006, p.37; R. CASANOVA-JIMENEZ,
op. cit., note 43, p.37; Rapport de l'organe d'appel,
États-Unis - Imposition de droits compensateurs sur certains
produits en acier au carbone, plomb et bismuth laminés à chaud
originaires du Royaume-Uni, WT/DS138/AB/R; adopté le 10
mai 2000, Paragraphes 36-42.
371 l'American Iron and Steel Institute et la
Speciality Steel Industry of North America, ont présenté
des mémoires d'amicus curiae à l'Organe d'Appel dans
États-Unis - Imposition de droits compensateurs sur certains
produits en acier au carbone, plomb et bismuth laminés à chaud
originaires du Royaume-Un (Plaignants : Communauté
Européenne), WT/DS138/AB/R; adopté le 10 mai 2000.
372 Le panel a accepté les présentations
d'amicus curiae de deux pêcheurs australiens portant sur leurs
opinions personnelles des standards sanitaires australiens. Cette
décision illustre l'admissibilité de toute personne, autre que
les parties au différend, à intervenir en tant qu'amicus
curiae, Voir H. GAO, op. cit., note 293, p.55;
Id., note 36, p. 362.
373 H. ASCENSIO, loc. cit., note 67, p.912.
374 Communautés européennes - mesures
affectant l'amiante et les produits en
contenant, précité, note 353,
Paragraphe 52; Rapport de l'Organe d'appel, Communautés
européennes - Désignation commerciale des
sardines, (Plaignants : Pérou), WT/ DS231/AB/R,
adopté le 23 octobre 2002, Page 43, Paragraphe 169.
375 J. VINUALES, op. cit., note 362, p.356.
Methanex, une entreprise canadienne, et les
États-Unis. En décidant ainsi, le tribunal a d'abord
examiné la pratique des instances mentionnées ci-dessus et celle
de la CIJ. Le tribunal a trouvé que la CIJ est liée par ses
statuts pour limiter les différends et les interventions à ses
procédures aux États uniquement. Cela ne s'appliquait pas au
tribunal en cause, constitué dans le cadre du Chapitre XI de l'ALENA et
régi par les règles d'arbitrages de la Commission des Nations
Unies pour le droit commercial international (CNUDCI)376.
Dans ce différend, les requérants étaient
trois ONG ayant une expertise environnementale considérable. Il
s'agissait de l'Institut international pour le développement durable,
Communities for a Better Environment et Le Earth Island
Institute377. Leurs demandes d'intervention reposaient sur
l'importance de cette affaire vu les incidences environnementales et
d'intérêt public en cause. Ils ont demandé également
que l'interprétation du Chapitre XI de l'ALENA soit faite à la
lumière des principes du développement durable. Ils ont
souligné que leur intervention pourrait aider le tribunal dans cette
tâche378.
Les demandes procédurales des amicus curiae se
résumaient ainsi: pouvoir examiner les plaidoiries des parties et leurs
documentations, assister aux audiences, présenter des mémoires
écrits et pouvoir plaider oralement. En effet, eu égard à
la complexité de l'affaire, le tribunal cherchait à recueillir le
plus d'information possible et a donc accepté leurs communications
écrites379. Il a considéré que la question de
permission des mémoires d'amicus curiae était une
question procédurale régie par
376 Methanex Corporation c. United States of
America, Decision of the Tribunal on Petitions from Third Persons to
Intervene as «Amici Curiae», 15 janvier 2001, p.4.
377 Le dernier était impliqué dans le
différend de Shrimps traité plus haut.
378 Methanex Corporation c. United States of
America, note 376, p.4
379 R. BUCKLEY et P. BLYSCHAK, op. cit., note 36, p.
360.
l'article 15(1) des règles d'arbitrage de la CNUDCI. Le
tribunal a noté qu'il bénéficiait en vertu de cet article
d'un pouvoir discrétionnaire quant à la conduite de l'arbitrage,
et qu'il avait ainsi le pouvoir de permettre de telles interventions.
Concernant les questions d'accès aux audiences et des
plaidoiries orales, le tribunal a conclu que l'article 25(4) des règles
de la CNUDCI était applicable. L'article dispose que les audiences sont
tenues à huis clos. Il fallait donc avoir le consentement des deux
parties afin de déroger à cette règle, ce qui
n'était pas le cas en l'espèce380. Selon le même
raisonnement, le tribunal n'aurait pas le pouvoir d'accorder aux amicus
curiae le droit d'examiner les plaidoiries des parties et leurs
documentations, une conclusion qui a été retenue également
dans UPS c. Canada381.
Dans ce dernier différend, régi par le
règlement d'arbitrage de la CNUDCI, United Parcel Service of
America (UPS) songeait à obtenir des dommages du Canada.
Le préjudice justifiant les dommages découlerait de la
concurrence déloyale de la part de Poste Canada, ce qui constituerait
une violation des articles 1502 et 1503 de l'ALENA382. Selon
UPS, en ayant un avantage grâce à son monopole du
courrier à lettres, l'entreprise étatique canadienne violait la
concurrence avec les entreprises privées, dont UPS. Deux
entités canadiennes, Canadian Union of Postal Workers et the
Council of Canadians voulaient intervenir en tant que parties au
litige. Dans le cas où le tribunal refuserait, elles souhaitaient
intervenir à titre d'amicus curiae. La justification serait
leur intérêt direct dans l'instance car elles sont des parties
prenantes affectées par le jugement. Elles ont également
soulevé qu'elles pourraient
380 Methanex Corporation c. United States of
America, Decision of the Tribunal on Petitions from Third Persons to
Intervene as «Amici Curiae, précité note 376, p.19; J.
VINUALES, op. cit., note 362, p.74.
381 United Parcel Services c. Canada, 24 mai
2007.
382 Anthony VAN DUZER, «Enhancing the Procedural Legitimacy
of Investor-State Arbitration through Transparency and Amicus Curiae
Participation», Mc Gill Law Journal (52 McGill L.J. 681), 2007, p. 13.
offrir une perspective différente de celle des
parties383. De plus, elles désiraient contester la
compétence du tribunal.
Le tribunal a décidé en premier temps que les
interventions d'amicus curiae ne devraient jamais porter sur des
questions juridictionnelles, les amici curiae ne pouvant pas
empêcher les parties de régler leurs
différends384. Le tribunal possède l'expertise et
l'autorité de déterminer des questions procédurales telles
que sa compétence385. Il s'agit de l'application du principe
de kompetenz kompetenz, qui est d'ailleurs repris par l'article 21 du
règlement d'arbitrage de la CNUDCI. Le tribunal a ensuite
décidé qu'il n'avait pas le pouvoir d'ajouter une partie à
l'instance. Cela contreviendrait à la nature consensuelle de l'arbitrage
et à l'article 15 du règlement d'arbitrage de la CNUDCI. De plus,
aucune des parties en l'espèce n'avait consenti à conduire
l'arbitrage avec les intervenants386.
Dans l'affaire Vivendi c. la République
argentine, cinq ONG387 ont présenté une requête
<< for Transparency and Participation as Amicus Curiae >>
388. Elles ont cité les précédents de
Methanex et UPS en présentant leur requête.
Les intervenants ont soutenu qu'ils avaient le droit de participer
à ce différend en réclamant: << (...) the right
of every person to participate and make their voices heard in cases where
decisions may affect their rights >>389.
383 Id., note 369, p. 13.
384 R. BUCKLEY et P. BLYSCHAK, op. cit., note 36, p.
366.
385 J. VINUALES, op. cit., note 362, p.75.
386 Voir Article 15, Règlement d'arbitrage de la
CNUDCI; A. VAN DUZER op. cit., note 382, p. 13.
387 Asociación Civil por la Igualdad y la Justicia
(ACIJ), Centro de Estudios Legales y Sociales (CELS), Center for International
Environmental Law (CIEL), Consumidores Libres Cooperativa Ltda. De
Provisión de Servicios de Acción Comunitaria, et Unión de
Usuarios y Consumidores. Voir Aguas Argentinas, S.A., Suez, Sociedad
General de Aguas de Barcelona, S.A. and Vivendi Universal, S.A. v. The
Argentine Republic (ICSID Case no. ARB/03/19), Order in Response to a
Petition for Transparency and Participation as Amicus Curiae, p. 1.
388 La réponse à la requête a
été rendue par décision provisoire le 19 mai 2005 dans
Id., note 387.
389 Id., note 374, p. 2.
Les plaignants, soit le consortium dirigé par
Vivendi, demandèrent au tribunal de rejeter
l'intégralité de ces demandes. Ils demandèrent que le
tribunal ne se considère pas lié par les précédents
établis par d'autres tribunaux390. La République
argentine approuva toutefois leur intervention. Au vu du désaccord entre
les parties, le tribunal devait décider lui-même, sachant qu'aucun
tribunal fonctionnant sous les règles du CIRDI n'avait
déjà accordé le statut d'amicus curiae à
une tierce partie au litige391.
Concernant l'accès aux audiences et leur ouverture au
public, le tribunal a conclu que cela ne pourrait être fait qu'avec le
consentement et l'accord des deux parties conformément à
l'article 32(2) du règlement du CIRDI392. Cette disposition
stipulait que le droit d'assister aux audiences est uniquement
réservé aux parties au litige. Leur consentement était don
nécessaire pour déroger à cette règle, ce qui
était le cas dans Methanex et UPS et dans de nombreux
différends à l'OMC où cela a été possible
uniquement grâce au consentement des parties. Le tribunal a donc
rejeté cette première demande des intervenants.
En ce qui concerne la communication de mémoires
écrits, le tribunal a déterminé qu'il avait
l'autorité et la compétence de les accepter en vertu de l'article
44 de la Convention du CIRDI. En vertu de cet article, les questions
procédurales non prévues par le règlement seront
déterminées selon la discrétion du tribunal393.
Il considéra donc la question d'amicus curiae comme
étant une question procédurale à
390 D. SCHNEIDERMAN, loc. cit., note 34, p. 77;
Howard MANN, «The Final Decision in Methanex v. United States: Some New
Wine in Some New Bottles», International Institute for Sustainable
Development, Août 2005, en ligne:
http://www.iisd.org, p.9.
391 Id., note 374, p. 3.
392 Aguas Argentinas, S.A., Suez, Sociedad General de Aguas de
Barcelona, S.A. and Vivendi Universal, S.A. v. The Argentine Republic,
précité note 387, p. 2; J. VINUALES, op. cit., note 362,
p.76.
393A. VAN DUZER op. cit., note 382, p. 16.
trancher en vertu de son pouvoir
résiduel394. Tel que nous l'avons soulevé plus haut,
le tribunal dans Methanex était arrivé à une
conclusion similaire en se basant sur l'article 15(1) des règles de la
CNUDCI, l'équivalent de l'article 44 de la Convention du CIRDI.
Le tribunal a également élaboré des
conditions en vertu desquelles de telles communications seront permises en se
basant sur les précédents des autres juridictions qui se sont
prononcées sur cette même question. Ces conditions sont au nombre
de trois : (a) la pertinence quant à l'affaire en cause, (b) le
caractère convenable de l'intervention d'une tierce partie d'agir en
tant qu'amicus curiae dans ladite affaire et (c) la procédure
à travers laquelle l'intervention d'amicus curiae sera
effectuée et considérée395.
Les plaignants étaient contre une telle
interprétation. Selon eux, la permission d'amicus curiae est
une question substantive et non procédurale puisqu'ils seraient
entraînés dans un litige avec des entités autres que les
parties à l'arbitrage. En adoptant la position retenue dans
Methanex, le tribunal refusa une telle approche. Il a
réitéré fermement que l'amicus curiae n'est pas
une partie au litige, son rôle unique est d'assister le tribunal dans sa
décision396. Cette assistance consiste à transmettre
au tribunal des arguments, des perspectives et des éléments
d'expertises que les parties n'ont pas soulevés397. Le
tribunal a également décidé que le mémoire
présenté par les amici curiae pourra traiter des
questions factuelles et des questions de droit398.
394 Id., note 387, p. 3.
395 Id., note 387, p. 4; J. VINUALES, op.
cit., note 362, p.76.
396 Methanex Corporation c. United States of
America, Decision of the Tribunal on Petitions from Third Persons to
Intervene as «Amici Curiae, précité note 376, p.14.
397 Id., note 387, p. 4.
398 Id., note 387, p.10.
L'amicus curiae peut donc prendre des positions en
soulevant des arguments sur les points de fait ou de droit. Cela est d'ailleurs
explicitement prévu par l'article 37(2) du nouveau règlement
d'arbitrage du CIRDI.
Enfin, de nombreuses décisions ont insisté sur
le fait que les amici curiae pouvaient communiquer des mémoires
dans la limite de la discrétion et de l'acceptation de la juridiction
saisie. Il ne s'agit donc pas d'un droit. Seuls les États membres ou les
parties aux différends ont le droit d'être entendu399.
L'accès à la justice est uniquement garanti par la voie des
traités, qui l'octroient a priori uniquement à un
investisseur ou à un État.
Dans tous les cas étudiés, les intervenants ont
soutenu que leur participation serait édifiante à la transparence
de l'instance et donc à l'acceptation par le public des décisions
de ces tribunaux400. L'accès de la société
civile aux audiences serait désormais nécessaire afin de garantir
la transparence du processus401. Ce dernier argument a longtemps
été soulevé par la société civile en sa
propre faveur. Dans la partie qui suit, nous aborderons la question de la
transparence et de l'intérêt public en cause dans ces
décisions ainsi que les effets suscités par les interventions
d'amicus curiae.
399 M. MATSUSHITA et al., op. cit., note 370, p.37;
J. VINUALES, op. cit., note 362, p.74; Rapport de l'Organe d'appel,
ÉtatsUnis - Imposition de droits compensateurs sur certains
produits en acier au carbone, plomb et bismuth laminés à chaud
originaires du Royaume-Uni, WT/DS138/AB/R; adopté le 10
mai 2000, Paragraphes 42..
400 A. VAN DUZER op. cit., note 382, p. 13.
401 Id., note 382, p. 16.
VI) Quels effets suscités par l'intervention de
la société civile ?
L'accès à la procédure octroyé
à la société civile à titre d'amicus
curiae est permis dans le but de concilier des préoccupations de
transparence402. Les militants experts de la société
civile saisissent cette opportunité pour promouvoir un
développement progressiste du droit international économique
à travers sa jurisprudence, un progressisme qui sous-entend la prise en
compte de préoccupations socio-environnementales et de droits de l'homme
dans l'interprétation du droit403. Ledit progressisme ressort
dans de nombreuses décisions récentes et des TBI nouvellement
signés par le Canada qui prévoient notamment le droit
d'intervention à titre d'amicus curiae. Dans un souci
d'adaptation aux récurrentes interventions de la société
civile à titre d'amicus curiae, nous verrons également
que le CIRDI a adopté des réformes conséquentes en
amendant son règlement d'arbitrage.
1) Une transparence impérative et accrue
Tel qu'évoqué plus haut, diverses
problématiques qui soulèvent la nécessité d'une
plus ample transparence semblent être de plus en plus en cause dans les
différends internationaux économiques. En effet, les
traités d'investissements, bilatéraux ou multilatéraux
accordent des droits conséquents aux investisseurs découlant du
droit international comme le droit contre le déni de justice. Ces droits
imposeraient des limites supranationales à l'exercice de la
souveraineté étatique, de la législation nationale ainsi
que des décisions judiciaires de l'État404. Ils
pourraient
402 Voir C. CÔTÉ, op. cit., note
35, p. 416.
403 S. CHARNOVITZ, loc. cit., note 30, p. 509.
404 S. TULLY, loc. cit., note 47, p. 22.
constituer des défis potentiels au pouvoir
règlementaire étatique405. L'octroi de dommages par le
biais de l'arbitrage aux investisseurs suite à la violation desdits
droits constitue un risque énorme aux gouvernements désireux de
mettre en place des mesures règlementaires qui sont susceptibles
d'affecter ces investissements406. Ce pouvoir de levier des
investisseurs a suscité de fortes critiques et a engendré le
mépris du public et de la société civile407. La
légitimité au recours à l'arbitrage est mise en cause. Son
objectif fondateur visant à dépolitiser l'investissement
étranger direct est menacé par de nouvelles pressions politiques.
Les critiques dénoncent le triomphe de l'intérêt
particulier (des investisseurs) sur l'intérêt public
(protégé par les mesures règlementaires
étatiques).
Le droit international économique est désormais
critiqué pour octroyer aveuglement des droits aux investisseurs sans la
prise en compte des problématiques d'intérêt public, qui
semblent être de plus en plus en cause408. La critique est la
suivante : comment permettre à des tribunaux secrets d'écraser
des mesures d'intérêt public, environnementales par exemple, au
nom de la protection des intérêts privés? La
légitimité entière du processus arbitral est ainsi remise
en question409.
La réponse de Jan Paulsson est que les tribunaux ne
sont plus secrets grâce aux nouvelles réformes du CIRDI que nous
traiterons plus loin. Les décisions arbitrales ne visent qu'à
veiller au respect des engagements internationaux des États et donc au
respect de la règle de droit internationale. Le règlement des
différends
405 Id., note 47, p. 23.
406 On cite notamment l'exemple de l'abandon du projet de
régime d'assurance automobile provincial du Nouveau Brunswick par peur
de représailles des entreprises d'assurances américaines sous
l'égide du Chapitre XI de l'ALENA. Voir D. SCHNEIDERMAN,
loc. cit., note 34, p. 71.
407 E. KENTIN, loc. cit., note 42, p. 318.
408 K. MOLTKE et H. MANN, loc. cit., note 50, p. 106.
409 J. PAULSSON, op. cit., note 162, p.232.
entre États et investisseurs était assuré
auparavant par l'entremise de la protection diplomatique. La règle de
droit international appliquée par l'arbitrage commercial international
vise à éviter l'intervention de l'État de l'investisseur.
Le but étant de dissocier les investissements étrangers de la
domination des puissances impérialistes410. Cette vision est
illustrée par la doctrine de Calvo adoptée par de nombreux
États d'Amérique latine. Elle consiste à imposer à
l'investisseur étranger d'épuiser les recours internes
disponibles avant de recourir à la protection
diplomatique411: «By placing arbitration in the hands the
investor, and not the state, they have also depoliticized the
remedy»412 . Le modèle d'arbitrage contemporain
assure ainsi une justice privée impartiale et également
imperméable aux subjectivités et aux sensibilités qui
existaient devant les juridictions nationales413. La décision
du tribunal est finale et n'est pas sujette à un appel. Un recours en
annulation existe cependant en vertu de l'article 52 de la Convention du
CIRDI414. Le but de ce processus arbitral étant
également de garantir un mode de règlement de différend
efficace et rapide415.
Or, le règlement des différends
d'investissements est de nouveau politisé416. Le statu
quo décrit ci-dessus est menacé par la pression de la
société civile, cette dernière exigeant l'octroi du statut
d'amicus curiae dans les différends internationaux
économiques afin de soulever à l'attention du tribunal arbitral
des problématiques
410 Voir Mark LARGAN, «International Corporate
and Investment Banking: Practice and Law», Londres, Institute of Financial
Services, 2003, p.34; Ronald Charles WOLF, «Trade, Aid, and Arbitrate: The
Globalization of Western Law», Burlington, Ashgate, 2004, p.27; D.
SCHNEIDERMAN, loc. cit., note 34, p. 59.
411 P. DUMBERRY, loc. cit., note 45, p. 112.
412 J. PAULSSON, op. cit., note 162, p.28.
413 M. DELMAS-MARTY, op. cit., note 7, p. 25.
414 Recours ouvrable dans les cas de vice dans la constitution
du tribunal, son excès de pouVoir manifeste, corruption d'un de
ses membres, l'inobservation grave d'une règle fondamentale de
procédure, et le défaut de motifs. Voir Article 52,
Convention d'arbitrage du CIRDI.
415 Théodore CHRISTAKIS, « Quel remède
à l'éclatement de la jurisprudence CIRDI sur les investissements
en Argentine ? La décision du comité ad hoc dans
l'affaire CMS c. Argentine », Paris, Revue
générale de droit international, 2007, p. 879.
416 Noah RUBENS, «Opening the Investment Arbitration
Process: At What Cost, for What Benefit?», dans KLAUSEGGER et al. (dir.),
Austrian Arbitration Yearbook 2009 , Vienne, Manz C.H. Beck Stampfli,
2009, p.488.
d'intérêt public417. Tel que
mentionné plus haut, ces différends semblent affecter
effectivement de plus en plus l'intérêt public, ce qui
n'était pas le cas dans le cadre traditionnel de l'arbitrage commercial
international418.
L'idée que les tribunaux tranchant des
différends d'arbitrage d'investissements internationaux acceptent des
interventions d'amicus curiae soulève par ailleurs certaines
problématiques. Tout d'abord, la procédure d'arbitrage est
privée, constituant un des avantages principaux pour les parties de
recourir à ce mode de règlement de
différends419. Les parties impliquées
protègeraient ainsi de l'information de nature commerciale sensible ou
confidentielle. Les différends impliquant États et investisseurs
sont considérés comme des questions de droit privé compte
tenu de la relation commerciale entre les parties420.
Cependant, les limites entre droit privé et droit
public se sont brouillées à l'instar de la globalisation des
marchés. L'objectif initial de dépolitiser l'arbitrage est plus
que jamais remis en cause. Les différends sont politisés et
publicisés du fait de l'énorme intérêt public
souvent en cause421. Des intérêts collectifs,
traditionnellement garantis par l'État, se sont vus appropriés
par la société civile qui manifeste une volonté apparente
d'intervenir au sein des différends d'investissement à titre
d'amicus curiae422. Tel que vu plus haut, jamais
l'intérêt pour les droits non marchands transnationaux n'a plus
été diffusé et propagé que dans l'ère de la
globalisation des marchés. Des sentences arbitrales ont ainsi
suscité de vives critiques
417 J. VINUALES, op. cit., note 362, p.73.
418 R. BUCKLEY et P. BLYSCHAK, op. cit., note 36, p.
356.
419 A. VAN DUZER op. cit., note 382, p. 6; Graham D.
VINTER, «Project Finance: A legal guide», Londres, Sweet &
Maxwell, 2006, p.137.
420 J. VINUALES, op. cit., note 362, p.73.
421 M. DELMAS-MARTY, loc. cit., note 5, p. 324.
422 Id., note 5, p. 324.
de par leur omission de considérer les
problématiques d'intérêt public en cause423.
Selon ces critiques, ces omissions jumelées avec l'opacité du
processus entraîneraient inévitablement l'empiètement du
marchand sur le non marchand424. La critique quant au manque de
transparence est soulevée haut et fort lorsque des questions
d'intérêt public sont en cause425.
Les motifs derrière l'acceptation de l'amicus
curiae à l'ALENA émaneraient donc d'un souci de gouvernance.
La permission d'une telle procédure a été octroyée
compte tenu des préoccupations de transparence et de
l'intérêt public en cause et ce, malgré le fait que les
tribunaux arbitraux ne soient pas liés par les précédents
des autres juridictions426. En effet, dans l'affaire
Methanex, le tribunal a reconnu qu'interdire les interventions
d'amicus curiae en l'espèce aurait pour effet de léser
la légitimité publique du processus entier de règlement de
différend sous le Chapitre XI de l'ALENA427. Tel que
proposé par le Canada et les États-Unis, le tribunal a reconnu
que les tribunaux établis en vertu du Chapitre XI de l'ALENA pourraient
bénéficier d'une plus ample transparence compte tenu des
préoccupations d'intérêt public soulevés.
La situation est par ailleurs similaire à l'OMC.
Dans CE- Asbestos, l'organe d'appel avait établi une
procédure permettant les interventions d'amicus curiae. En
dépit du fait que cette procédure établie était
provisoire et applicable uniquement à ce différend, le
Secrétariat de l'OMC l'a publié sur son site internet. Il est
clair que le
423 E. KENTIN, loc. cit., note 42, p. 314.
424 C. BROWER, op. cit., note 315, p.370.
425 A. VAN DUZER op. cit., note 382, p.2.
426 Id., note 382, p. 12.
427 R. BUCKLEY et P. BLYSCHAK, loc. cit., note 36, p.
359.
Secrétariat était de l'avis que cela
avantagerait l'image et la légitimité de l'OMC428. Il
est important de noter que l'organe d'appel était évidemment
conscient des préoccupations de transparence reliées à ce
différend notamment à cause des questions de santé
publique sous-jacentes au litige429. Cette transparence et
démocratisation accrues sont illustrées par l'accès au
public à une réunion d'un panel du groupe spécial qui a
été permis pour la première fois en 2005. Toutes les
décisions tranchées par l'ORD sont publiées par
internet430. Les interventions de la société civile
sont devenues en effet impératives à la transparence de
l'instance431. Nous notons une évolution avec la
reconnaissance de la nécessité d'un degré plus
élevé de transparence et la permission des présentations
d'amicus curiae. Ce constat représente un véritable
virement de la position du tribunal dans Metalclad qui ordonna aux
parties de limiter au strict minimum les discussions publiques quant à
l'affaire432.
Ce constat a également été
confirmé par le tribunal arbitral dans l'affaire Vivendi. Le
différend opposait un consortium de sociétés et la
République argentine concernant des concessions de distributions et de
traitements d'eau potable pour l'agglomération de Buenos Aires. De
nombreux acteurs de la société civile désiraient
intervenir, leurs profils dégageaient une grande diversité par
rapport à leurs expertises, leurs champs d'activités et leurs
objectifs. Le dénominateur commun entre ces organisations était
cependant leur intérêt pour ce différend433. Le
tribunal a
428 J. VINUALES, op. cit., note 362, p.74.
429 R. BUCKLEY et P. BLYSCHAK, loc. cit., note 36, p.
363.
430 E. PETERSMANN, loc. cit., note 24, p. 667.
431 A. VAN DUZER op. cit., note 382, p. 15.
432 E. KENTIN, loc. cit., note 42, p. 322.
433 Aguas Argentinas, S.A., Suez, Sociedad General de Aguas
de Barcelona, S.A. and Vivendi Universal, S.A. v. The Argentine Republic
(ICSID Case no. ARB/03/19), Order in Response to a Petition by Five
Non-Governmental Organizations for Permission to Make an Amicus Curiae
Submission, p. 4.
reconnu effectivement, pour la première fois dans ce type
d'instances, qu'un intérêt public conséquent est en cause
du fait que :
«Those systems provide basic public services to millions
of people and as a result may raise a variety of complex public and
international law questions, including human
rights considerations.» 434
Dans sa deuxième décision, le tribunal a
réitéré la présence d'un intérêt
public majeur. Il devait se prononcer sur la responsabilité
internationale de l'Argentine, en considérant l'octroi de concessions et
la privatisation de services publics de base affectant des millions de
personnes, reconnaissant que des questions complexes de droit public et de
droit international, incluant de droits de l'homme, pouvaient être
effectivement traitées par le tribunal435. De plus, le
tribunal était d'avis que sa décision risquerait d'engendrer une
influence sur la manière dont les gouvernements et les investisseurs
étrangers traiteront les difficultés soulevées dans le
cadre de ce type de concessions de services publics. Les arbitres ont ainsi
permis la communication de mémoires d'amicus curiae.
Enfin, nous retenons que plus un différend aurait une
dimension publique, plus l'intervention de la société civile
à titre d'amicus curiae serait bénéfique puisque
cette dernière est capable d'ajouter à la
légitimité du processus de règlement de différends,
qui est accrue lorsque les amicus curiae bénéficient
d'un caractère représentatif considérable436.
Cet impératif de transparence a été soulevé et
poussé
434 Aguas Argentinas, S.A., Suez, Sociedad General de Aguas de
Barcelona, S.A. and Vivendi Universal, S.A. v. The Argentine Republic,
précité note 387, p. 5.
435 Aguas Argentinas, S.A., Suez, Sociedad General de Aguas de
Barcelona, S.A. and Vivendi Universal, S.A. v. The Argentine Republic,
précité note 433, p. 9.
436 J. VINUALES, op. cit., note 362, p.76.
par la société civile elle-même, et est en
effet considéré comme une « valeur fondamentale » du
régime du droit international économique437.
Un tel constat est confirmé par la doctrine qui
distingue désormais entre le domaine d'arbitrage des différends
d'investissements et celui des différends de commerce international.
Dans ce dernier, le manque de confidentialité pourrait nuire au
processus d'arbitrage commercial, tandis que dans le premier la transparence et
la connaissance du public du différend sont devenues des
nécessités incontournables438.
Ce dernier fait accroît les opportunités pour les
acteurs non étatiques en général et la
société civile en particulier d'intervenir et d'influencer sur la
scène internationale439. Une fois l'intervention possible,
des arguments juridiques sont et seront soulevés en vue de
pondérer les préoccupations d'intérêt public et
d'intérêt privé. Leur intervention vise également la
sensibilisation des investisseurs quant aux impératifs liés aux
préoccupations non marchandes découlant de leurs
activités440. L'ouverture des juridictions du droit
international économique est une véritable opportunité
pour la société civile d'accomplir ses
objectifs441.
2) Une approche intégrée et
progressiste
Les différends internationaux économiques
contemporains dépassent les problématiques strictement
économiques ou commerciales. Des questions de droits de l'homme, de
droit environnemental et de droits socio-économiques, donc de droits
437 A. VAN DUZER op. cit., note 382, p. 6.
438 Delyan DIMITROV et Laurence SHORE, «The Public Interest
In Private Dispute Resolutions», dans KLAUSEGGER et al. (dir.),
Austrian Arbitration Yearbook 2009 , Vienne, Manz C.H. Beck Stampfli,
2009, p.163.
439 S. CHARNOVITZ, loc. cit., note 30, p. 491.
440 R. CASANOVA-JIMENEZ, op. cit., note 43, p.89.
441 Id., note 43, p.92.
non marchands, sont manifestement en cause et ce, de plus en
plus442. Des critiques soulèvent ainsi l'aveuglement de la
jurisprudence du droit international économique quant à la prise
en compte de ces questions dans le cadre de leurs analyses
juridiques443.
Pourtant, le cadre normatif semble immuable à cette
prétention. À titre d'exemple, les préambules de l'ALENA
et de l'OMC reconnaissent explicitement le développement durable. Le
Chapitre XI de l'ALENA prévoit également des dispositions
d'exceptions concernant la validité et le droit de recourir aux mesures
restrictives, sociales et environnementales, incarnant l'intérêt
public (Articles 1101(4) et 1114 (1)). Ces articles constitueraient
l'équivalent de l'article XX(b) du GATT444. De plus, l'accord
rejette et décourage le dumping social. Tel qu'abordé
plus haut, il s'agit d'une stratégie étatique visant à
adoucir les mesures de protection de l'environnement, de la
sécurité et de la santé au travail dans le but
d'encourager les investissements étrangers445. Les parties
ont prévu également l'Accord nordaméricain de
coopération dans le domaine de l'environnement, qui établit le
développement durable en tant qu'un de ses principaux
objectifs446. L'Accord nordaméricain de coopération
dans le domaine du travail impose également aux parties l'obligation de
maintenir de hauts standards de travail447. Ces articles constituent
le fondement juridique pour l'adoption de mesures visant à
protéger les préoccupations et les droits non marchands. Ils
accordent à ces mesures légitimité et harmonie dans le
442 R. BUCKLEY et P. BLYSCHAK, loc. cit., note 36, p.
356.
443 K. MOLTKE et H. MANN, loc. cit., note 50, p. 111.
444 D. SCHNEIDERMAN, loc. cit., note 34, p. 90.
445 Article 1114 (2), l'Accord de libre échange
nord-américain, (1994).
446 Article 1(b) : « favoriser un développement
durable fondé sur la coopération et sur des politiques
environnementales et économiques cohérentes », l'Accord nord
américain de coopération dans le domaine de l'environnement,
(1994).
447 Article 2: « (...) each Party shall ensure that its
labour laws and regulations provide for high labour standards, consistent with
high quality and productivity workplaces, and shall continue to strive to
improve those standards in that light», l'Accord nord américain de
coopération dans le domaine du travail, (1994).
contexte de protection et d'encouragement de l'investissement
ou du commerce mondial448.
Par ailleurs, le droit de l'investissement étranger est
constitué par un système ramifié, non structuré, de
règles émanant de traités bilatéraux,
régionaux, multilatéraux, de codes de conduite et autres
instruments449. Il s'agit d'un cadre juridique combinant
règles formelles et semi-formelles (hard et soft
law)450. Celui-ci serait inadéquat et insuffisant vu que
les règles contraignantes de ce régime couvrent uniquement les
droits des investisseurs (hard law - traités et accords) et non
leurs obligations (soft law - codes de conduite et initiatives
internationales telles que le Pacte mondial)451.
Selon une perspective strictement positiviste, ces
traités ne sanctionnent pas conventionnellement des questions
d'intérêt public ou non marchandes452. En d'autres
termes, leurs dispositions n'obligent pas les parties à
respecter les exigences du développement durable à titre
d'exemple. En principe, les tribunaux appliquant les traités ne seraient
donc pas tenus de prendre en compte ces questions. L'analyse par les tribunaux
de la notion d'expropriation illustre cette problématique. Selon nous,
la question suivante s'impose : comment tracer la limite entre les mesures
légales, non discriminatoires, visant un intérêt public et
légitime, donc non assujetties à compensation pour expropriation,
et celles qui entraîneraient expropriation et
448 C. BROWER, op. cit., note 315, p.384.
449 Eva NIEUWENHUYS, «Global Development through
International Investment Law: Lessons learned from the MAI», dans Nico
SHRIJVER et Friedl WEISS (dir.), International Law and Sustainable Development,
Leiden, Martinus Nijhoff, 2004, p. 296.
450 S. PICCIOTTO, op. cit., note 43, p. 184; D.
SCHNEIDERMAN, loc. cit., note 34, p. 9.
451 E. NIEUWENHUYS, op. cit., note 449, p. 297.
452 E. KENTIN, loc. cit., note 42, p.330.
compensation453? Il faut par ailleurs se demander
si l'état du droit actuel édicterait que toute mesure de ce type
constituerait automatiquement une expropriation454. Nombreuses
décisions arbitrales ont été ainsi critiquées pour
avoir retenu une analyse strictement économique afin de
déterminer s'il y a eu ou non expropriation donnant ouverture à
compensation par l'État poursuivi.
Une illustration de la prise en compte d'une analyse
strictement économique se retrouve dans les arguments soulevés
par Methanex contre les États-Unis et la décision dans
Metalclad c. Mexico. En effet, Methanex considérait
que les mesures californiennes constituaient de l'expropriation violant
l'article 1110 de l'ALENA. L'argumentation de Methanex se basait sur
une analyse qui tenait compte uniquement de l'impact économique
causé par les mesures en cause455. Cette approche a
déjà été retenue dans un différend
antérieur, Metalclad c. Mexico couvert également par le
Chapitre XI de l'ALENA. Il ne s'agit donc pas d'une approche
étrangère à la jurisprudence du Chapitre XI de
l'ALENA456.
La filiale mexicaine de Metalclad s'est vue refuser
l'octroi d'un permis de construction municipal à plusieurs reprises. Le
refus était fortement lié à la gestion des déchets
toxiques industriels de la filiale. 20,000 tonnes de déchets chimiques
coulaient dans les réserves d'eau potable de la municipalité,
entraînant des manifestations importantes de la part de la
communauté locale457. Le tribunal n'a pas pris en compte ces
facteurs et n'a pas reconnu l'intérêt public en cause, ni le motif
de santé publique justifiant le refus d'octroi du permis. D'autant plus
qu'en présence de
453 Id., note 42, p. 327.
454 Id., note 42, p.329.
455 H. MANN, op. cit., note 390, p.6.
456 D. SCHNEIDERMAN, loc. cit., note 34, p. 83.
457 Id., note 42, p. 82.
ces faits, Metalclad ne pouvait pas se
prévaloir valablement de l'argument d'expropriation458. Au
contraire, les divers obstacles bureaucratiques et administratifs auxquels
Metalclad a fait face ainsi que ledit refus ont été
jugés en tant que violations au principe du traitement juste et
équitable de l'article 1105, s'agissant d'une expropriation selon
l'article 1110 de l'ALENA459. En effet, la décision accorde
aux investisseurs ce qu'ils invoquent typiquement dans ces litiges,
c'est-à-dire une portée et une interprétation assez large
de la notion d'expropriation460.
Le tribunal dans Methanex a en revanche opté
pour une approche progressiste afin d'analyser s'il y a eu ou non
expropriation, en adoptant une approche similaire à celle
proposée et soulevée par les amicus curiae
représentés par la société civile. En effet,
le tribunal a trouvé que les mesures règlementaires ne
constituaient pas une expropriation, non assujetties donc à une
compensation. L'analyse du tribunal a été guidée par
certains critères, soit : (a) les mesures entérinent un objectif
d'intérêt public, tel que la protection de l'environnement; (b)
elles doivent être non discriminatoires; (c) et adoptées selon un
processus légal, soit conformément au bénéfice des
garanties ou des protections requises par le droit (due process) et
non selon un processus arbitraire ou discrétionnaire461. La
mesure en question était basée sur une étude scientifique
effectuée par l'University of California et non sur des motifs
politiques tel que suggéré par
Methanex462.
458 Id., note 34, p. 84.
459 E. KENTIN, loc. cit., note 42, p.330.
460 S. TULLY, loc. cit., note 47, p. 322.
461 D. SCHNEIDERMAN, loc. cit., note 34, p. 95; H.
MANN, op. cit., note 390, p.7; Methanex Corporation c.
United States of America, Decision of the Tribunal on Petitions from
Third Persons to Intervene as «Amici Curiae, précité
note 376, p.14.
462 Id., note 34, p. 93.
Le tribunal dans Methanex a ainsi rejeté
l'approche de Metalclad en refusant de prendre en compte un facteur
économique unique. Il a choisi d'adopter une approche éclectique
afin de parvenir à sa décision. Le tribunal dans Metalclad
avait:
« (...) took an approach much more akin to a classic
police powers approach under international law. (...) In effect, the Methanex
Tribunal has applied a modern regulatory
approach to the police powers concept, an approach long
argued for by IISD and other civil society groups »463.
Cette approche éclectique serait véritablement
inspirée des préceptes du développement durable et du
principe d'intégration qui en découle. Selon ces principes, une
analyse globale des intérêts et des problématiques en cause
devrait avoir lieu afin de parvenir à une décision juste et
équilibrée464. Les tribunaux appliquant les
règles du Chapitre XI de l'ALENA seront certainement réticents
à imposer des limites et des restrictions absolues au pouvoir
règlementaire des États visant la protection des
préoccupations non marchandes465.
De nombreux auteurs soulèvent ainsi que la
jurisprudence du droit international économique au XXIème
siècle sera de plus en plus focalisée sur les droits
socio-économiques. Selon eux, cet exercice d'équilibre et de
conciliation sera de plus en plus en cause466. En dépit du
fait que la stare decisis n'existe pas dans ce type de juridictions,
ils sont d'avis que la décision dans Methanex a établi
un précédent467.
463 H. MANN, op. cit., note 390, p.6.
464 E. KENTIN, loc. cit., note 42, p.333.
465 C. BROWER, op. cit., note 315, p.398.
466 Id., note 315, p.399.
467 H. MANN, op. cit., note 390, p.9.
BGT c. Tanzanie468 est une autre
décision où le tribunal a décidé
conformément à ladite approche progressiste, soit en prenant
également en compte dans son analyse des facteurs autres
qu'économiques. Un consortium anglo-allemand s'est vu accordé une
concession pour la distribution de services d'eau potable et de traitement
d'égout aux résidents de Dar Es Salam. Cette concession
entraîne la privatisation de la fourniture de ces services de base. Il
importe de noter que cette concession a été octroyée selon
les exigences d'un prêt accordé à la Tanzanie en 2003 par
la Banque mondiale et autres institutions bancaires. Le prêt de 140
millions de dollars américains a pour but l'amélioration et
l'expansion du système de traitement d'eau et d'égout de Dar Es
Salam.
La Tanzanie a cependant révoqué la concession et
a entrepris d'autres mesures contre le consortium. La concession a
été révoquée notamment à cause du
défaut de la part de BGT de respecter ses engagements
contractuels. BGT a considéré que ces mesures
constituaient une expropriation et une violation du traitement juste et
équitable. L'entreprise a donc poursuivi la Tanzanie devant le CIRDI en
vertu du TBI Grande Bretagne - Tanzanie.
Cinq ONG spécialisées dans le domaine des droits
de l'homme, du développement durable et de l'environnement ont
présenté une demande d'intervenir à titre d'amicus
curiae. Le tribunal a accepté cette demande en exigeant la
présentation d'un mémoire conjoint de tous les amici
curiae. Cette décision a été rendue nonobstant
l'opposition de BGT en vertu du nouveau règlement d'arbitrage
du
CIRDI, que nous examinerons ci-dessous469. En
citant Methanex, cette décision a été
également appuyée par l'existence d'un intérêt
public considérable en cause, qui dépasse les questions
typiquement soulevées dans l'arbitrage commercial
international470.
Les amici curiae ont notamment soulevé
l'existence d'obligations de droits de l'homme et de développement
durable applicables à l'investisseur dans l'opération
d'infrastructures essentielles au bien-être de la population. Applicables
initialement à l'État, ces obligations lui sont
transposées dès le moment où l'investisseur devient
l'opérateur privé responsable de la fourniture de services de
base essentiels à la population. Cette affirmation a été
reprise dans la décision du tribunal qui a confirmé que
l'accès à l'eau potable est un droit de l'homme tel que reconnu
par l'ONU, et tel que consacré par les objectifs du
Millénaire471. Les amici curiae ont soutenu que
BGT n'a pas respecté cette responsabilité étant
donné le déclin dans l'accès à l'eau potable dans
plusieurs zones de Dar Es Salam. Donc, BGT a violé ses
obligations contractuelles. En les considérant « utiles », le
tribunal a pris en compte les soumissions des amici curiae quant
à la responsabilité et l'obligation des investisseurs
étrangers dans les secteurs hautement sensibles pour la
collectivité tels que la distribution d'eau potable472.
Toutefois, BGT avait soulevé de nombreuses
difficultés, d'empêchements administratifs et d'autres mesures qui
ont entravé la conduite de ses opérations. Le
469The Lawyers' Environmental Action Team,
Legal and Human Rights Center, Tanzania Gender Networking
Programme, Center for International Environmental Law, et
International Institute for Sustainable Development. Voir
Biwater Gauff (Tanzania) Ltd v. United Republic of Tanzania,
précité note 468, p.17.
470 Id., note 468, p. 101.
471 Id., note 468, p.107.
472 Id., note 468, p.112.
tribunal a affirmé qu'une diligence préalable
repose aux investisseurs avant de décider de se lancer dans leur
investissement. Il a signalé que les risques inhérents aux
affaires ne relèvent pas du champ d'application de la notion
d'expropriation473. Cet argument a été
également soulevé par les amici curiae dans leur
mémoire. Le tribunal a ainsi trouvé que les violations de la
Tanzanie n'ont pas causé les pertes subies par BGT, rejetant
ainsi ses demandes pour l'octroi de dommages à titre de compensation
pour expropriation.
Retournons à présent au niveau de l'OMC,
où les arguments de droit de la société civile,
confirmés par l'ORD, peuvent décidément avoir effet sur la
jurisprudence de l'OMC et sur l'interprétation de son
droit474. En effet, lorsque la société civile
intervient dans un différend, non seulement elle plaide ce que le droit
est, mais également ce que le droit devrait être. Plusieurs ONG
environnementales cherchent ainsi à ce que les accords de l'OMC soient
interprétés à la lumière des principes du
développement durable et d'autres principes de droit environnemental, ou
que les questions environnementales aient préséance sur les
questions économiques dans le cas de contradictions ou de
conflits475. La société civile vise clairement
à intervenir dans ces différends pour soulever des
préoccupations d'intérêt public, les associer à
l'interprétation du droit international économique et les inclure
dans le développement de ce droit à travers sa
jurisprudence476. Leur intervention aurait un impact sur le droit
international économique conformément à l'idée
soulevée par Charles-Emmanuel Côté :
473 Id., note 468, p.178.
474 R. CASANOVA-JIMENEZ, loc. cit., note 43, p.39.
475 Id., note 43, p.41.
476 C. CÔTÉ, op. cit., note 35, p. 416.
« Il est permis de penser toutefois qu'il contribuera
à l'élargissement des perspectives et au décloisonnement
du droit international économique, par la prise en considération
des
aspects non-commerciaux de son application et celle des autres
branches du droit international »477.
C'est ce que nous noterons dans «Shrimps»
et dans EC-Asbestos où l'organe d'appel a dû trouver
un équilibre entre des problématiques environnementales et de
santé publique, et des mesures restrictives au commerce entraînant
la violation de droits économiques478. Selon la doctrine, la
décision de l'organe d'appel dans «Shrimps» est sans
aucun doute édifiante479. La décision marque et
illustre un défi notoire auquel l'ordre juridique international fait
face, soit la transformation de cet ordre par l'avènement de nouveaux
acteurs non étatiques480. Ces derniers invoquaient
effectivement la nécessité d'intégrer le droit de
l'environnement au droit de l'OMC481.
L'ORD a cependant décidé que les mesures
étatiques unilatérales restrictives au commerce étaient
non recevables même en présence de motifs
environnementaux482. En se prévalant des principes de la
Déclaration de Rio et de l'Agenda 21, «Shrimps»
reconnaît la légitimité des mesures de protection de
l'environnement restrictives au commerce. Cette reconnaissance s'applique
477 Id., note 35, p. 419.
478 D. SCHNEIDERMAN, loc. cit., note 34, p. 66;
Id., note 35, p. 405.
479 États-Unis -- Prohibition à
l'importation de certaines crevettes et de certains produits à base de
crevettes, précité note 74.
480 L'auteur attribue également ce même effet
à l'affaire Pinochet puisque cette décision
défiait à son tour un des piliers de cet ordre juridique
international : l'immunité souveraine. Voir P. SANDS, op.
cit., note 35, p. 180.
481 H. ASCENSIO, loc. cit., note 67, p.925.
482 D. SCHNEIDERMAN, loc. cit., note 34, p. 65.
également aux mesures à portée
extra-juridictionnelle lorsque celles-ci sont fondées sur un consensus
international483.
Dans cette affaire, les États-Unis avaient interdit
l'importation de crevettes provenant de quatre États asiatiques :
l'Inde, la Malaisie, la Thaïlande et les Philippines. La méthode
utilisée dans ces États pour pêcher les crevettes
était, selon la position américaine, nuisible à
l'environnement. Cette méthode causait la mort accidentelle des tortues,
allant à l'encontre d'un règlement fédéral
américain484. Les Tiger Economies impliquées
contestaient cette interdiction qui, selon eux, serait une violation
incontestable des principes de libre échange de l'OMC. Le soupçon
au regard de ces mesures a été évidemment immédiat.
Les pays en développement en général craignent la mise en
place de telles mesures restrictives au commerce par des économies
puissantes, justifiées par le prétexte de la protection de
l'environnement. Bien évidemment, de telles mesures rentreraient dans le
cadre d'un New Wave Protectionism485, dangereux car des
préoccupations légitimes comme celles de l'environnement ou
reliées au droit du travail seraient utilisées comme outils
protectionnistes.
Le groupe spécial a décidé que les
mesures contestées étaient incompatibles avec l'alinéa XI
(1) du GATT de 1994, étant des restrictions quantitatives autres que
483 États-Unis -- Prohibition à
l'importation de certaines crevettes et de certains produits à base de
crevettes, précité note 74, Paragraphe 168; E.
KENTIN, loc. cit., note 42, p.331.
484 Turtle Conservation; Shrimp Trawling Requirements, 52.
Fed. Reg. 24244 (June 29, 1987) dans P. SANDS, op. cit., note 35,
p. 534.
485 Le New Wave Protectionism ou «
protectionnisme vert » est à nuancer avec le Grandfather
Protectionism. Ce dernier impliquaient notamment la mise en place de
barrières tarifaires et d'impositions discriminatoires aux produits
étrangers. L'objectif du GATT était d'éliminer de telles
mesures pour protéger et accroître le commerce mondial, tandis
qu'avec le New Wave Protectionism, les États membres de l'OMC
font face à de nouvelles formes et méthodes protectionnistes plus
subtiles basées à titre d'exemple sur la protection de
l'environnement ou les normes du travail. Voir Rubens RICUPERO,
«Trade and Environment : Strengthening Complementarities and Reducing
Conflicts», dans Gary P. SAMPSON et W. BRADNEE CHAMBERS (dir.), Trade,
Environment, and the Millenium, New York, United Nations University Press,
2002, p.32; P. ROSIAK, loc. cit., note 34, p. 112.
celles permises par l'accord. Par ailleurs, celles-ci ne
pouvaient être justifiées au regard des exceptions
générales de l'article XX du GATT de 1994 et de son paragraphe
(g) concernant la conservation des ressources naturelles
épuisables486. L'organe d'appel a cependant surpris de
nombreux commentateurs en décidant que ces mesures étaient
provisoirement justifiées selon l'article XX (g) du GATT de 1994. Les
États-Unis auraient un intérêt juridique dans la protection
des tortues, ressource naturelle commune et en danger
d'extinction487, infirmant ainsi la décision du groupe
spécial, mais en ajoutant que les mesures des États-Unis ne
satisfaisaient pas aux prescriptions générales
énoncées dans le texte introductif de l'article XX du GATT de
1994488.
Dans l'affaire CE- Asbestos489, le
différend est survenu suite à l'adoption d'un décret
français interdisant l'utilisation de l'amiante ou des produits en
contenant. L'organe d'appel a décidé que la France avait le droit
de protéger la santé publique en vertu de l'article XX(b) du
GATT, signalant toutefois que l'ORD ne serait peut être pas aussi
inflexible vis-à-vis les mesures d'intérêt public
restrictives au commerce490. La décision a donc reconnu le
droit de la France de protéger la santé publique en adoptant des
mesures restrictives au commerce de l'amiante.
Ce constat a indiqué clairement que l'organe d'appel
est soucieux d'interpréter les accords de l'OMC à la
lumière des autres traités et accords du droit
486 La décision du Groupe spécial concordait avec
la jurisprudence du GATT, notamment celle dans États-Unis-
Restrictions à l'importation de thon (Plainte du Mexique)
(1994), GATT Doc. DS29/R; Voir Id., note 35, p. 112.
487 États-Unis -- Prohibition à
l'importation de certaines crevettes et de certains produits à base de
crevettes, précité note 74, Paragraphe 187; P.
SANDS, loc. cit., note 35, p. 535.
488 D. SCHNEIDERMAN, loc. cit., note 34, p. 66.
489 Communautés européennes - mesures
affectant l'amiante et les produits en contenant (Plaignant : Canada),
WT/DS135/R, adopté le 12 mars 2001.
490 Id., note 34, p. 66.
international491. C'est ce que l'ILA, organisation
de la société civile dont nous avons traité, encourageait
dans le but d'accroître la transparence de l'OMC492. L'organe
d'appel a également soulevé le principe de précaution dans
son analyse de la compatibilité des mesures européennes contre le
boeuf américain dans CE-Hormones. Selon ce principe, en cas de
risque de dommages graves, l'absence de preuve scientifique déterminante
ne devrait pas justifier l'omission d'adopter des mesures visant à
protéger l'environnement ou la santé publique493. Il
s'agit d'un grand principe préétabli par la Déclaration de
Rio de 1992, au même titre que le développement durable. Il est
inclus dans les Directives de l'OCDE et les Normes de l'ONU traitées
plus haut494, il fait également partie des 10 principes
essentiels du Pacte mondial (Principe 7)495.
L'interprétation de la notion d'expropriation ou du
droit de l'OMC devrait ainsi considérer la règle de droit
internationale dans les deux sens. D'une part, la protection d'investissement
ou le commerce mondial et d'autre part, la validité de la
règlementation des aspects non marchands496. Une approche
inspirée du développement durable contribuerait en effet à
éclaircir cette problématique puisqu'elle entraînerait la
reconnaissance du pouvoir de l'État de gérer et de
règlementer ses ressources naturelles. Selon ce même cadre, un
haut degré de gouvernance est exigé visant à garantir des
procédures justes, équitables, conformes
491 P. LAMY, loc. cit., note 70, p. 18; E. KENTIN,
loc. cit., note 42, p. 324.
492 P. DE WARRT, loc. cit., note 56, p.286.
493 E. PETERSMANN, loc. cit., note 24, p. 656.
494 Organisation de coopération et de
développement économique, « Les Principes directeurs de
l'OCDE à l'intention des entreprises multinationales », 31 octobre
2001, en ligne :
http://www.oecd.org;
Partie V - Environnement; Commentaires sur les Normes sur la
responsabilité en matière de droits de l'homme des
sociétés transnationales et autres entreprises, U.N. Doc.
E/CN.4/Sub.2/2003/38/Rev.2 (2003), en ligne :
http://www1.umn.edu/humanrts/links/commentary-Aug2003.html;
Paragraphe 14 e).
495 « Principe 7 : Les entreprises sont invitées
à appliquer l'approche de précaution aux problèmes
touchant l'environnement », Voir site web du Pacte mondiale,:
http://www.pactemondial.org/environnement.html.
496 E. NIEUWENHUYS, op. cit., note 435, p. 297.
au droit à la propriété et de la
jouissance qui en découle497.C'est effectivement ce que
prévoit Agenda 21 qui vise ultimement l'intégration du
développement durable à des niveaux
pluridimensionnels498.
Ainsi, il est clair que depuis Metalclad, en
résumant, beaucoup de choses ont changé. La décision
n'était pas parvenue à équilibrer l'intérêt
particulier des investisseurs et l'intérêt public en
cause499. La société civile est désormais
devenue garante de l'équilibre entre intérêt particulier et
intérêt public. Face à sa pression, les tribunaux et les
membres de l'ALENA ont adopté de nombreuses pratiques visant la
promotion de la transparence du règlement de différends tel que
nous le verrons dans les paragraphes qui suivent500.
Le déroulement public de l'instance, la publication des
documents relatifs au litige, l'accès aux plaidoiries et la permission
des présentations d'amicus curiae sont des
développements progressistes. Ces décisions illustrent les
efforts de la société civile pour établir la prise en
compte, la considération et l'analyse de préoccupations
d'intérêt public dans l'application du droit international
économique501.
3) Réformes institutionnelles et zones grises
quant au droit d'accès
Les préoccupations de transparence, la pression de la
société civile ainsi que la conciliation des
préoccupations non marchandes sont des défis majeurs pour le
CIRDI502. La réforme de ses règles d'arbitrage,
adoptée le 10 avril 2006, est justement une tentative d'adaptation
à cette évolution de l'arbitrage commercial
497 E. KENTIN, loc. cit., note 42, p.327.
498 S. TULLY, loc. cit., note 47, p. 58.
499 Id., note 42, p.338.
500 A. VAN DUZER op. cit., note 382, p.17.
501 C. COTÉ, loc. cit., note 35, p. 405.
502 R. BUCKLEY et P. BLYSCHAK, loc. cit., note 36, p.
355.
international503. De plus, de même que dans
le cadre des organes de règlement de différends à l'OMC et
à l'ALENA, cette réforme a également eu pour but de
défendre la légitimité et la transparence du processus.
Elle évoque par ailleurs la réaction de l'institution aux
pressions à la fois politiques et judiciaires de la
société civile. Il s'agit d'une véritable contribution de
la part de cette dernière au développement des règles de
l'arbitrage des différends d'investissements.
Aucun amendement n'a cependant été
effectué à l'ALENA en dépit de la permission des
interventions d'amicus curiae dans de nombreuses décisions
arbitrales. Ces développements procéduraux ont été
entérinés dans des déclarations504
émanant des trois membres dans la Commission de libre échange de
l'ALENA - NAFTA Free Trade Commission Statement on Transparency du 7
octobre 2003505. Selon un auteur, cette déclaration constitue
une réforme notoire du processus arbitral506. D'autres sont
cependant convaincus qu'un degré d'incertitude subsiste en dépit
de l'irréversibilité probable de la transparence accrue,
exigée et reconnue dans ce type de différends507.
Une crainte d'incohérence et
d'imprévisibilité est effectivement soulevée par ce type
de décisions arbitrales. Les précédents d'autres tribunaux
et les déclarations ne constituent aucunement une obligation opposable
à des tribunaux constitués dans le futur508. Il est
clair qu'aucune règle de stare decisis n'existe en arbitrage
de
503 Id., note 36, p. 354.
504 Les déclarations de la commission sont des notes
interprétatives sur la transparence qui stipulent entre autres que :
rien dans l'accord de l'ALENA n'impose aux parties une obligation de
confidentialité dans le cadre du Chapitre XI, rien n'interdit les
parties de divulguer au public des documents soumis ou publiés par un
tribunal du « Chapitre XI », Voir A. VAN DUZER op. cit.,
note 382, p. 7.
505 Id., note 382, p. 2.
506 J. PAULSSON, op. cit., note 162, p.251.
507 Id., note 382, p. 7 et p. 15.
508 T. CHRISTAKIS, op. cit., note 415, p. 879.
différends économiques internationaux. De
simples déclarations - telles qu'émise par la Commission de libre
échange de l'ALENA - affirmant l'autorité des tribunaux arbitraux
de pouvoir accepter les mémoires d'amicus curiae ne peuvent
constituer des sources de droits ou des garanties procédurales.
Il s'agit d'une situation similaire à celle de l'OMC,
dans le sens où au sein des deux systèmes, les États
membres ne dégagent pas de volonté suffisante en faveur de la
modification du texte des accords afin d'encadrer cette
évolution509. La situation est toutefois à nuancer. Le
Canada et les États-Unis se sont montrés très favorables
à l'intervention de la société civile, tandis que la
majorité des pays en développement à l'OMC se sont
farouchement opposés à cette évolution.
Ainsi, tel que vu plus haut dans l'analyse jurisprudentielle,
le droit par la société civile d'être entendu demeure pour
l'instant entièrement soumis à la discrétion des membres
de l'ORD ou des États parties. Ces derniers consentent cependant
mutuellement à une telle soumission ou annexent le mémoire de
l'amicus curiae aux leurs. Les organes de règlement de
différends de l'OMC ne dégagent pas en effet une volonté
notoire d'accepter et de considérer les mémoires d'amicus
curiae (à moins que ceux-ci soient inclus dans l'argumentation des
parties)510. Ces derniers sont souvent rejetés pour des
motifs procéduraux, ou de répétition d'arguments ou de
faits déjà énoncés par les parties ou à
cause de leur futilité.
Il existe un schisme véritable entre la théorie
d'une part, selon laquelle le groupe spécial ou l'organe d'appel
constatent leur pouvoir d'accepter et de considérer
509 A. VAN DUZER op. cit., note 382, p. 10.
510 C. CÔTÉ, loc. cit., note 35, p. 418; H.
GAO, loc. cit., note 293, p.55.
les communications d'amicus curiae et la pratique
d'autre part. Ce constat démontre que ces instances sont encore loin de
vouloir véritablement exercer ce pouvoir et d'en tenir compte dans leurs
décisions511. La jurisprudence de l'ORD dégage
également un degré fort élevé d'exigences et de
conditions difficiles à atteindre pour la société civile.
Accéder à la procédure de l'ORD n'est pas une mince
affaire.
En dépit du fait que l'acceptation des communications
d'amicus curiae soit devenue réalité, des
procédures fixes et non provisoires devraient être établies
pour régir ces communications. D'autant plus qu'il s'agit d'une
procédure de common law, et que les États ayant une
tradition juridique différente ne la connaissent forcément
pas512. Dès lors, la constatation de ces changements par la
jurisprudence uniquement ne suffit plus. L'absence de réformes
institutionnelles pour les reconnaître pourrait être
problématique. Ainsi, la société civile fait face à
des zones grises quant à son accès aux juridictions de l'OMC et
de l'ALENA.
Les réformes du CIRDI apportent en revanche de
nouvelles innovations au système. Elles portent sur les mesures
provisoires, sur la révision des procédures et sur les conditions
de divulgation de conflits d'intérêts qui sont désormais
plus strictes pour les arbitres513. Les amendements les plus
intéressants, concernant cette étude,
511 Des décisions encore plus récentes marquent
ce schisme. Dans EC- Sardines où un particulier et le
Maroc, un membre de l'OMC, avaient présenté des communications
d'amicus curiae : Rapport de l'Organe d'appel,
Communautés européennes - Désignation commerciale
des sardines, (Plaignants : Pérou), WT/ DS231/AB/R,
adopté le 23 octobre 2002, Page 43, Paragraphe 161. La même
question s'est posée dans Thaïlande - Droits antidumping sur
les profilés en fer ou en aciers non alliés et les poutres en H
en provenance de Pologne, (Plaignant : Pologne), WT/DS122/AB/R,
adopté le 5 avril 2001. Également dans où une ONG
canadienne-amérindienne et deux ONG américaines environnementales
désiraient intervenir : Rapport de l'Organe d'appel,
États-Unis - Détermination finale en matière de
droits compensateurs concernant certains bois d'oeuvre résineux en
provenance du Canada, (Plaignants : Canada), WT/ DS257/AB/R,
adopté le 17 février 2004, Paragraphe 9. Bref, un
phénomène confirmé finalement par la décision la
plus récente impliquant un débat sur l'intervention d'amicus
curiae. Voir Mexique - Mesures fiscales concernant les boissons sans alcool
et autres boissons, (Plaignant : États-Unis), WT/DS30824
/AB /R, adopté le 6 mars 2006; Voir également «The
WTO Appelate Body's Activities in 2007», Journal of International Economic
Law, Oxford University Press (11 J. Int'l Econ.L.193), 2008, p. 15;
Brésil -- Mesures visant l'importation de pneumatiques
rechapés, (Plaignant : Communautés
européennes) WT/DS332/AB/R, 3 décembre 2007 (Rapport Organe
d'appel), p.6.
512 S. CHARNOVITZ, loc. cit., note 30, p. 531.
513 R. BUCKLEY et P. BLYSCHAK, loc. cit., note 36, p.
354.
portent cependant sur le pouvoir du tribunal de permettre au
public et aux tiers l'accès à l'instance. Ce pouvoir ne peut
être exercé qu'à la condition qu'aucune des parties au
litige n'objecte. La publicité devient la règle et la
confidentialité l'exception, même si celle-ci doit être
retenue si elle est demandée par l'une des parties.
L'autre amendement significatif est la possibilité pour
les tiers de présenter des mémoires écrits en tant
qu'amicus curiae 514. Cette dernière
possibilité est assujettie à trois conditions
énoncées à l'article 37(2) du règlement d'arbitrage
amendé de la convention du CIRDI. La première est l'assistance du
tribunal à trancher une question de fait ou de droit, en apportant un
point de vue distinct de ceux des parties. L'intervention doit être
limitée au litige et elle ne doit donc pas porter à titre
d'exemple sur la compétence du tribunal. En dernier lieu, l'intervenant
doit démontrer un intérêt significatif pour le
différend515.
Ces conditions soulèvent de nombreuses questions. Il
n'est pas véritablement clair de savoir qui pourrait intervenir :
individus ou multinationales ou société civile? Est-ce que le
tribunal favoriserait l'intervention d'un << type >> ou d'un
<< genre >> de tiers plutôt qu'un autre? Toute personne ou
entité pourrait a priori faire une telle présentation
relative au différend. On pourrait cependant s'attendre à ce que
ces conditions soient complétées par les critères
énoncés par la jurisprudence de l'ALENA et de l'OMC, fait qui
s'est déjà déroulé auparavant. Nous avons pu noter
dans notre étude que les juridictions appliquant le droit international
économique se référent aux pratiques des unes des autres.
L'essentiel pour le tribunal serait donc
514 D. SCHNEIDERMAN, loc. cit., note 34, p.76; A. VAN
DUZER op. cit., note 382, p. 11.
515 Article 37 (2), Règlement de procédure relatif
aux instances d'arbitrage, CIRDI, en ligne :
http://icsid.worldbank.org/ICSID/ICSID/DocumentsMain.jsp
d'examiner les caractéristiques de cette personne ou
entité, plutôt que de se prononcer sur sa personnalité
juridique. L'indépendance financière et la neutralité
vis-à-vis des parties, le niveau de professionnalisme et d'expertise,
leur transparence ainsi que leur intérêt par rapport au
différend seront bien évidemment des critères
décisifs pour permettre l'intervention des tiers516. Ce
dernier élément d'intérêt reste soumis à la
discrétion interprétative du tribunal. Si la condition d' «
intérêt significatif >> nécessiterait l'existence
d'un intérêt pécuniaire, les ONG, qui sont
généralement des organismes à but non lucratif, seraient
fortement désavantagées517.
Enfin, en dépit de l'adoption de ces amendements, il
est clair que les tribunaux arbitraux du CIRDI retiendraient toujours un
contrôle considérable sur la permission ou le refus d'une
intervention d'amicus curiae, contrôle qui serait exercé
afin de s'assurer que les interventions accomplissent leur objectif
prépondérant d'assistance au tribunal dans la résolution
du différend518. Le but est de s'assurer que les
interventions n'auront pas pour effet d'entraver le déroulement de la
procédure, sous des motifs déguisés ou d'ajouter un
fardeau inacceptable aux parties519. L'idée est de ne pas
permettre non plus des présentations d'amicus curiae dans
l'unique but d'apaiser les préoccupations publiques520. Cette
approche suivrait les jurisprudences et précédents des
juridictions de l'ALENA et de l'OMC que nous avons traités plus haut.
516 R. BUCKLEY et P. BLYSCHAK, loc. cit., note 36, p.
371.
517 Id., note 36, p. 368.
518 Id., note 36, p. 355.
519 A. VAN DUZER op. cit., note 382, p. 16.
520En dépit du fait que les conditions sont
cumulatives, « l'assistance au tribunal >> est la première
condition énoncée. Voir Article 37 (2) (a),
Règlement de procédure relatif aux instances d'arbitrage,
CIRDI.
Ces amendements illustrent en revanche la reconnaissance du
besoin de transparence en tant que garant de la légitimité du
processus arbitral, légitimité fortement en cause vu le
déni d'un droit d'accès à la justice aux parties prenantes
aux litiges. Tel que nous avons pu examiner tout au long de cette étude,
la société civile désireuse d'intervenir à titre
d'amicus curiae représente souvent la voix des justiciables
affectés par la sentence arbitrale. Ce besoin de transparence est devenu
désormais un impératif. Il évoque une évolution
notoire du modèle d'arbitrage commercial international initialement
prévu par la Banque mondiale lors de la création du
CIRDI521. Lesdits amendements au règlement se sont par
ailleurs déclenchés selon les préceptes de libertés
et de garanties de droits fondamentaux tels que le droit d'être entendu
ainsi que le droit à un procès équitable. Ces changements
procéduraux effervescents seraient-ils le début d'un
véritable accès de la société civile à la
justice économique internationale qui irait au-delà de
l'intervention à titre d'amicus curiae? La réponse
à cette question dépasse le cadre de cette étude.
Toutefois, nous examinons dans les paragraphes qui suivent de nouveaux TBI
signés par le Canada qui renforceraient une telle possibilité.
4) «Free Trade Agreements with a heart»
Le Canada a signé récemment une série de
traités bilatéraux d'investissements contenant des dispositions
encourageantes. Les nouveaux accords entre le Canada, le Pérou et la
Colombie incluent des dispositions sur l'environnement, les conditions de
travail, mais également un volet sur la transparence et la lutte contre
la corruption.
521 A. VAN DUZER op. cit., note 382, p. 11.
Les traités sont également accompagnés
d'accords de coopération dans le domaine du travail et de
l'environnement.
L'ambassadrice canadienne à Lima a
déclaré que ces nouveaux traités bilatéraux
signés par le Canada ne sont pas des traités typiques. Ils sont
différents de tous les autres car ils sont des : « FTAs with a
heart >>522. Le gouvernement canadien a
déployé de véritables efforts afin de présenter ces
nouveaux accords comme des instruments progressistes, responsables et non
strictement marchands, tandis que les gouvernements du Pérou et de la
Colombie les publicisent avec fierté. Les dispositions sur
l'environnement et les droits du travail seraient en effet des preuves que ces
États n'auraient pas engagé leurs peuples dans une transaction
à sens unique; à savoir celle qui bénéficierait
uniquement à l'investisseur canadien. Pour les soins de cette
étude, nous procèderons à l'analyse du TBI signé
avec la Colombie le 21 novembre 2008523 qui est fort similaire
à celui signé avec le Pérou le 29 mai 2008.
Le préambule énonce que la promotion du
développement durable, du respect et de la protection des lois
environnementales, des droits fondamentaux et des droits du travail sont des
objectifs cardinaux du traité. La réduction de la pauvreté
et la reconnaissance de la liberté de manoeuvre étatique, dans la
régulation du bien-être public, sont également
enchâssées. Le chapitre sur l'investissement contient les clauses
typiques sur le traitement national, la nation la plus favorisée, la
norme minimale de traitement (Art. 803-805) et l'expropriation (Art. 811).
522 Voir site web du Ministère des affaires
étrangères et du commerce internationale, « Sommaire : libre
échange avec la Colombie et le Pérou >>, en ligne :
http://www.international.gc.ca/commerce/multimedia/vid1.aspx
.
523 Accord de libre échange entre le Canada et la Colombie
(2008), en ligne :
http://www.international.gc.ca/trade-agreementsaccords-commerciaux/assets/pdfs/Fr%2008%20Colombia%20FTA%20-%20%20Investment.pdf
Les dispositions du chapitre sur l'investissement consacrent
également des règles portant sur des préoccupations non
marchandes. D'abord, le traitement national et celui de la nation la plus
favorisée peuvent être dérogés conformément
aux cas prévus par ADPIC et ses dérogations. Tel qu'exposé
plus haut, le traité confirme les dérogations aux règles
d'ADPIC dans les cas d'urgence nationale ou de graves épidémies
(Art. 809-4). Les parties pourront également exproprier ou nationaliser
des investissements à des fins d'intérêt public. À
cette fin, le traité renvoie la définition et
l'interprétation de la notion d'intérêt public au droit
international (Art. 811-1(a)). Le dumping social, soit
l'assouplissement des mesures et des standards relatifs à la
santé, à la sécurité et à l'environnement
dans le but d'accommoder les investisseurs étrangers est prohibé
(Art. 815). Des consultations entre les parties peuvent être tenues dans
le cas de violation de cette disposition. Les parties sont par ailleurs
invitées à encourager les entreprises à adopter
volontairement des normes de responsabilité sociale des entreprises et
à leur rappeler de l'importance de ces normes (Art. 816). Enfin, notons
que ces dernières dispositions ne peuvent constituer le fondement d'une
plainte devant le tribunal arbitral (Art. 819 (a)).
Le traité prévoit par ailleurs un accès
à la procédure pour les « parties non contestantes » et
donc ultimement pour la société civile (Art. 831). Le pouvoir du
tribunal arbitral d'accepter les mémoires d'amicus curiae est
confirmé. Les intervenants doivent avoir un intérêt
significatif pour le litige, la procédure ne doit pas être
perturbée et un fardeau trop lourd ou un préjudice ne doit pas
être causé aux parties. Cette dernière condition est en
effet prévue par l'article 37(2) du nouveau règlement d'arbitrage
du CIRDI. Le principe de la publicité des audiences est
également retenu par le traité, même si le
tribunal peut ordonner le huis clos ou établir toute procédure
spéciale dans le but de protéger des informations confidentielles
et ce, à la demande d'une partie contestante (Art. 830-2).
Notons tout de même que des voix pessimistes se sont
soulevées des deux côtés. Les accords ont pour but
principal de promouvoir l'exploitation minière et
pétrolière, des activités qui sont fort polluantes. Les
investissements visent des secteurs et zones hautement sensibles en
matière d'environnement, de droits du travail et de droits des
communautés indigènes, qui sont souvent ignorées ou
négligées. Cette préoccupation est à jumeler au
fait que le gouvernement colombien actuel fait face à de fortes
critiques pour de flagrantes violations des droits de l'homme524. Le
pays est en guerre civile depuis plus de quarante ans. Des rapports
d'exécutions systématiques par l'armée et les
paramilitaires de droite proches du pouvoir ne cessent d'alarmer la
communauté internationale525. Des cas récents de
déplacements forcés de communautés aux fins d'accommoder
des projets miniers ont été également
dénoncés526. Les défis pour les investisseurs
canadiens peuvent être dangereux faute d'adopter une conduite exemplaire,
une considération sincère des droits fondamentaux des
communautés locales, et un respect des préceptes du
développement durable.
Enfin, on est loin d'un traité qui oppose effectivement
et véritablement les droits fondamentaux ou non marchands en tant
qu'obligations juridiques
524 Projet accompagnement solidarité Colombie,
« Honte ou dignité - Projet de loi C-23 sur l'ALE Canada -
Colombie- Lettre à Michael Ignatieff », 25 mai 2009, en ligne :
http://www.pasc.ca/spip.php?article489.
525 Constanza VIEIRA, «COLOMBIA: UN Confirms `Systematic'
Killings of Civilians by Soldiers», 19 juin 2009, en ligne:
http://www.ipsnews.net/news.asp?idnews=47300
.
526 Centre Europe Tiers Monde, «Human rights
violations committed by transnational corporations in Colombia», decembre
2007, en ligne:
http://www.cetim.ch/en/interventions_details.php?iid=288
.
contraignantes aux investisseurs. Les dispositions
socio-environnementales du traité sont uniquement soumises à un
processus de consultation. La responsabilité sociale des entreprises
demeure auto-règlementaire et volontaire. Elle maintient ainsi son
caractère de soft law, tel qu'édicté par les
Directives de l'OCDE ou les Normes de l'ONU traitées plus haut.
On est loin également d'un traité garantissant
un véritable accès à la justice à la
société civile ou aux particuliers, c'est-à-dire une
garantie de droit à un recours et de droit à un juge. Les
collectivités ou les justiciables qui seraient lésés par
des activités d'investisseurs, conduites sous l'égide du
traité, n'auraient qu'à canaliser leurs plaintes à travers
leurs bureaucraties gouvernementales ou à travers les recours internes
prévus par les accords sur la coopération dans le domaine du
travail et de l'environnement527. La voie des observations
d'amicus curiae auprès du tribunal arbitral est cependant
garantie. En revanche, l'investisseur bénéficie d'un recours
direct dans le cas d'une éventuelle violation du traité. Le
double standard perdure. Mais, il faut dire qu'il s'agit d'un début
prometteur, à jumeler avec les autres développements que nous
avons examinés tout au long de cette étude.
527 Article 3-1 : « Chacune des Parties s'assure de
donner accès à des mécanismes d'exécution
judiciaires, quasi judiciaires ou administratifs visant à sanctionner ou
à corriger les infractions à son droit de l'environnement.
», Accord sur l'environnement entre le Canada et la Colombie (2008), en
ligne :
http://www.international.gc.ca/trade-agreements-accordscommerciaux/assets/pdfs/FR%20Colombia%20Environment%20Agreement%20_formatted_.pdf;
Article 4 : « Chacune des Parties garantit que toute
personne ayant dans une affaire un intérêt reconnu par sa
législation puisse, de façon opportune, saisir un tribunal
habilité à faire exécuter son droit du travail, à
donner effet aux droits en matière du travail de cette personne et
à prononcer des mesures correctives. », Accord de
coopération dans le domaine du travail entre le Canada et la Colombie
(2008), en ligne :
http://www.rhdcc.gc.ca/fra/travail/accords_collective/accct/Canada-Colombie_acdt.pdf
.
CONCLUSION
Le mot justice est la traduction de justitia
en latin et Diké en grec. Or, ces deux mots n'auraient pas
exactement les mêmes significations. La subtilité entre les deux
significations nous révèle deux conceptions de ce que la
justice serait. Diké est l'expression proclamée
suite à un partage égal satisfaisant à tous.
Diké fut personnifiée en déesse, la fille de
Zeus, déesse de l'harmonie et de la paix civile528. Par
contre, justitia « ne sortirait pas des tribunaux », la
soeur romaine de Diké rendait à chacun son dû sans
aucune considération pour la satisfaction générale. Ces
deux personnifications sont emblématiques de deux conceptions
différentes de la justice, une conception éthique et
morale par opposition à une qui est positiviste, rationaliste et
strictement juridique529.
La société civile accèderait à une
justice internationale économique qui aspire à être
éthique et morale. Une justice qui exprimerait plus que la
simple conformité avec les lois, une qui engendrerait harmonie et
paix530. Une qui serait attentive à la voix de toutes les
personnes affectées, qui poserait sur la balance les
différents enjeux en cause afin d'arriver à une décision
juste. La société civile soulèverait à la
justice internationale économique les violations aux droits non
marchands découlant de l'exercice de droits strictement marchands.
Or, le droit d'être entendu par cette justice est
accordé à un acteur unique, représentant les pouvoirs du
marché. La justice est ainsi uniquement attentive aux violations de
droits marchands tandis que d'autres droits, non strictement marchands,
528 Guy CROS et P.C. SOLBERG, « Droit et la doctrine de la
justice », Paris, Librairie Felix Alcan, 1936, p.81.
529 Id., note 528, p.82.
530 Id., note 528, p.80.
sont de plus en plus en cause. Ce double standard est
emblématique d'une globalisation des marchés à sens
unique. Nous croyons d'ailleurs que ce phénomène, autrement
qualifié de mondialisation, pourrait mener l'humanité soit vers
une paix mondiale531, soit vers une nouvelle forme de tyrannie ou de
dictature...La dictature du marché...
Cette modeste étude a ainsi examiné
l'éventualité de l'accès par la société
civile à la justice internationale économique. Étant
donné son caractère fondamentalement
hétérogène et ramifié, nous avons tenté de
délimiter ce que nous entendons par la société civile, le
but étant d'identifier le type de ces acteurs qui accèderaient
à la justice internationale économique. Nous avons pu relever une
niche d'acteurs ayant un pouvoir normatif considérable, soit des
organisations de la société civile qui contribuent à la
création du droit international. Ces acteurs ne sont pas à
confondre avec les mouvements anarchiques ou altermondialistes. Ils ont
effectivement une expertise et une notoriété incontournable quant
à de nombreuses problématiques de la globalisation des
marchés. Leurs normes ne sont pas formelles car aucune sanction
juridique à leur violation n'est prévue. Elles sont cependant
reprises comme source essentielle pour le législateur étatique et
pour les organisations internationales.
La société civile ne bénéficie pas
de la même légitimité que les États afin de
représenter les collectivités. Elle n'est tout simplement pas
élue. La problématique était donc d'identifier les motifs
au soutien de son accès éventuel à la justice
internationale économique. À l'heure de la globalisation des
marchés que nous
531 Voir M. DELMAS-MARTY, loc. cit., note 74,
p. 4.
vivons, la société civile surgit en tant que
puissance de premier rang dans la défense transnationale des droits non
marchands. Elle opère directement sur le terrain. Elle est souvent
même plus proche des communautés locales que les institutions
étatiques. Elle a l'expertise et le savoir hautement complexe des enjeux
reliés aux droits de l'homme, à l'environnement, et au
développement durable en cause. Et surtout, la société
civile a les capacités et les moyens d'exercer des pressions
conséquentes sur les multinationales, les États, les
institutions, et les juridictions impliquées dans la gouvernance
économique mondiale. Il appert également que, grâce
à l'opposabilité des droits marchands par la
société civile, le droit international économique est
interprété éclectiquement. Cela entraîne son «
décloisonnement », soit son interprétation à la
lumière des droits fondamentaux en cause. Le résultat est
prometteur : les conflits entre les deux ensembles de normes sont du moins
réduits. Ces développements permettraient un rapprochement
à une globalisation éthique, et l'éloignement
d'une globalisation à sens unique.
La justice internationale économique est en principe
réservée aux États. Elle applique en effet le droit
international public dont les uniques sujets sont les États et les
organisations internationales. En principe, ces sujets sont les uniques acteurs
capables d'être titulaires de droits et de devoirs internationaux. Or, ce
principe est plus que jamais remis en cause. Les TBI sont venus octroyer des
droits et des obligations internationales aux investisseurs, ces derniers
étant des objets de droit international public classique puisqu'ils sont
des acteurs non étatiques. La percée de la société
civile et des multinationales au sein de l'ordre juridique internationale ne
cesse cependant de s'amplifier. Cette percée se matérialise par
une participation, une
collaboration, une coordination, une consultation, en somme,
une présence sans précédent au sein des organisations
internationales. A titre d'exemple, à la veille de la conférence
de Copenhague sur le réchauffement climatique, 950 ONG
bénéficient du statut d'observateur à la Convention cadre
des Nations Unies sur les changements climatiques (« CCNUCC »). Cette
intervention sans précédent des acteurs non étatiques
serait emblématique d'un droit international public en pleine
effervescence. Certains acteurs de la société civile seraient
ainsi un jour des sujets à part entière de droit international
public. Elle accèderait à la justice internationale
économique en se prévalant de cette qualité nouvellement
octroyée.
Outre leur caractéristique commune d'acteurs non
étatiques, les symétries entre la société civile et
les multinationales les placent sur un pied d'égalité. Il appert
ainsi qu'un double standard existe car l'accès à la justice est
garanti à un acteur uniquement et non pas aux deux. D'une part, les deux
acteurs ont dérobé l'État de son monopole normatif,
l'exemple le plus flagrant étant la question du développement
durable et de la responsabilité sociale des entreprises. D'autre part,
tous deux ont retrouvé un intérêt commun pour ces questions
non marchandes. Tous deux légifèrent dans ce domaine par
l'entremise d'instruments privés, de codes de conduite ou à
travers d'initiatives internationales, soit des instruments de soft
law. Tel qu'exposé plus haut, à la différence des
normes étatiques, aucune norme ne prévoit de sanctions aux
violations de ces instruments. Ces violations sont en revanche
pénalisées à travers la sanction des consommateurs et des
investisseurs de plus en plus avertis et de plus en plus exigeants en
matière de responsabilité socio-environnementale.
À l'instar de ce recul de l'État, les deux
acteurs exercent une pression imposante sur de nombreux États pour le
respect de la règle de droit. Nous avons évoqué l'exemple
de l'accession de la Chine à l'OMC. Nous pouvons raisonnablement nous
attendre à des pressions similaires sur la Russie, la Libye, l'Iran,
l'Algérie ou encore le Soudan qui ne sont pas encore des membres de
l'OMC, mais qui y accèderaient peut-être un jour. Par ailleurs,
les multinationales seraient les véritables initiateurs des
différends à l'OMC. Mireille Delmas-Marty décrit la
situation de la sorte : « (...) à mesure que l'on découvre
à quel point les litiges de droit international public traités
à l'OMC, et considérés comme interétatiques,
concernent en réalité et de fort près les
intérêts économiques privés »532.
Nous avions vu que cette réalité s'applique également
à la société civile. Elle a soulevé à
maintes reprises des questions environnementales et de santé publique
auprès des États comme fondement à des recours devant
l'OMC.
Face à cette dynamique d'intervention des acteurs non
étatiques, les pays en développement soulèvent leur
opposition à la percée générale de ces acteurs.
L'accord de l'OMC ne leur avait prévu qu'un rôle strictement
consultatif. Selon ces pays, l'organisation devrait demeurer
interétatique où les États, les véritables sujets
de droit international, sont les uniques acteurs de premier plan. La
participation de la société civile et des multinationales est en
effet perçue par les pays en développement comme un apport
à la position des pays développés, d'où la grande
partie de ces acteurs proviennent. Il faudrait tout de même examiner si
la position de ces pays aurait changé vu les récentes
mobilisations de la part de la société civile. Cette
532 M. DELMAS-MARTY, loc. cit., note 7, p. 25.
dernière s'est fortement engagée auprès
des pays en développement, entre autres, en matière de
réforme d'ADPIC concernant l'accès aux médicaments
génériques et quant à la question du réchauffement
climatique.
Concernant la question de l'asymétrie entre les deux
acteurs, les investisseurs bénéficient d'un accès direct
à la justice internationale économique pour plusieurs raisons,
l'objectif de dépolitiser le règlement des différends
relatifs aux investissements étant une de ces raisons principales.
L'État de l'investisseur lésé intervenait par l'entremise
de la protection diplomatique, tandis que l'État d'accueil voyait sa
souveraineté menacée face à de telles interventions. Une
longue histoire de tensions dans les relations internationales, surtout les
relations dites « Nord-Sud », s'était développée
à cause de ces différends. Grâce à l'arbitrage,
l'investisseur étranger est cependant protégé par un
accès à une justice internationale, impartiale, et qui respecte
les exigences du procès équitable.
Or, d'une part, dans le contexte de la globalisation des
marchés ces différends se retrouvent de nouveau politisés
dû à la pression de la société civile. En effet, les
investissements étrangers touchent de plus en plus à des domaines
qui suscitent un énorme intérêt public. D'autre part, ce
sont justement ces mêmes exigences du procès équitable qui
ne sont plus respectées. Des instruments de référence,
telle que la Déclaration universelle des droits de l'homme, ainsi que
des instruments contraignants, telle que la Convention européenne des
droits de l'homme, réitèrent le droit de toute personne
d'être entendue lorsque ses droits sont affectés. Pourtant,
l'accès de la société civile a vu des progressions.
Grâce à une plus grande acceptation de la procédure
d'amicus curiae, de nombreuses juridictions ont entendu
les plaidoyers de la société civile. On est tout
de même loin d'une satisfaction véritable du droit
d'être entendu. Les raisons énoncées ci-dessus
indiquent clairement que le double standard n'est plus justifié.
Le compte rendu des effets, déjà suscités
par l'accès restreint de la société civile, ne fait par
ailleurs que renforcer l'octroi d'un accès à part entière.
Les juridictions du droit international économique ont longuement
été accusées d'être << secrètes
>>. En ce qui concerne l'OMC, certains auteurs suggèrent
d'ailleurs que la confidentialité des procédures à l'ORD
serait un obstacle à l'atteinte d'une véritable
juridictionnalisation533. Grâce à l'ouverture à
la société civile, ces juridictions bénéficient
d'une plus ample transparence et leur légitimité est mieux
assurée. La question suivante et embarrassante résume la mise en
cause de cette légitimité : comment permettre à des
tribunaux << secrets >> de (i) renverser des mesures publiques,
ultimement votées par la voie démocratique, en faveur d'un
investisseur privé, et (ii) de juger sans
écouter/considérer les voix de toutes les parties prenantes
affectées par le litige?
En soulevant directement à l'attention du tribunal le
préjudice subi par les parties prenantes, la société
civile a cependant pu engendrer la prise en compte de considérations
juridiques non soulevées par les parties. Ce constat a été
relevé dans de nombreuses décisions, où les juridictions
saisies ont analysé les impacts de droits de l'homme, de
développement durable et de santé publique soulevés par la
société civile. En effet, la relation strictement contractuelle
et privé entre l'État et l'investisseur empêche le premier
de défendre adéquatement les problématiques non
533 C. CÔTÉ, op. cit., note 35, p. 84.
marchandes en cause, étant donné que le lien
entre les deux est strictement monétaire et économique.
L'État qui soulèverait ces problématiques serait
automatiquement soupçonné de vouloir échapper à ses
engagements contractuels, en se prévalant de prétextes
liés aux préoccupations non marchandes.
Ces effets bénéfiques déjà
suscités par l'intervention de la société civile ne sont
pas des hypothèses. Au contraire, ils ont été repris et
encadrés dans le nouveau règlement du CIRDI et dans les nouveaux
TBI signés par le Canada. Ces derniers traités accordent une
importance considérable aux préoccupations non marchandes,
importance méconnue jusqu'alors dans le domaine de l'investissement
étranger direct bien que longtemps soulevée et exigée par
la société civile. Nous pouvons raisonnablement déduire
que le Canada a été attentif à ces réclamations et
plaidoyers.
En bref, à la veille de la Conférence de
Copenhague sur le réchauffement climatique, nous croyons
également qu'il existe une sincère volonté de la part de
la communauté internationale de mieux veiller au respect de
l'environnement et des aspects non marchands. Vingt ans auparavant, la fin de
la guerre froide marqua une nouvelle ère de néolibéralisme
et de développement strictement économique. Vingt ans plus tard,
nous sommes convaincus qu'un grand mouvement s'intensifie pour une nouvelle
ère de libéralisme responsable, et de développement
économique durable.
Un accès de la société civile à la
justice internationale économique - qui irait au-delà de
l'intervention à titre d'amicus curiae - dans le but de
défendre des droits non marchands est selon nous une
éventualité réaliste. Les modalités et les
conditions d'un tel accès restent à déterminer bien
évidemment. Des modèles et des critères
peuvent être transposés de l'espace
européen où un tel accès fleurit534. Une chose
est claire : la société civile ne cessera pas d'intervenir
à titre d'amicus curiae auprès des juridictions
internationales économiques. Au contraire, nous croyons que ces
interventions ne feront qu'augmenter, jusqu'à ce que leur droit
d'être entendu soit véritablement reconnu.
Enfin, le véritable apport de cette étude est la
présentation d'une idée ambitieuse, voir provocatrice, d'un
accès de la société civile à la justice
internationale économique qui irait au-delà de l'intervention
à titre d'amicus curiae, déjà elle-même
fort controversée, dans le but de défendre des droits non
marchands. Une société civile qui (i) se dote d'un pouvoir
normatif édifiant; (ii) se projette en tant que défenderesse de
première ligne des préoccupations et des droits non marchands;
(iii) s'investit pour « décloisonner » le droit international
économique en soulevant l'applicabilité des droits fondamentaux;
(iii) et qui se présente en tant que partenaire essentiel dans un ordre
juridique international, où elle récupère de plus en plus
des attributs de sujet de droit international.
En considérant entre autres les TBI récemment
signés par le Canada, l'étude s'est également axée
vers une vision canadienne qui, nous le croyons et l'espérons, vise
sincèrement une globalisation des marchés équitable
et un développement économique durable. La
poursuite de ces deux derniers objectifs constitue le motif principal inspirant
cette étude. Ceci dit, le mûrissement de notre idée et
l'approche de notre étude ont été largement
influencées par un milieu académique assez
534 Voir l'article 34 de la Convention
européenne des droits de l'homme. L'article établit que toute
personne peut instituer un recours directement contre un État
signataire qui a violé les obligations de la convention devant la Cour
européenne des droits de l'homme à Strasbourg.
exceptionnel. L'Université de Montréal, en tant
qu'institution québécoise, est un forum unique pour
l'échange de pensées scientifiques entre des courants nord
américains ou anglo-saxons et continentaux ou francophones, et
même au-delà, englobant des contributions des quatre coins de la
planète. Le résultat est qu'un vaste spectre de positions
académiques, allant du néolibéral à
l'altermondialiste, y est fidèlement exposé. Cela nous a permis
d'analyser avec un certain recul le rôle des divers acteurs de la
gouvernance économique mondiale (États, organisations
internationales, et acteurs non étatiques), et donc sans les
idéaliser ou les démoniser. En somme, la richesse même de
ce milieu, par son ouverture, son multiculturalisme, et sa sophistication
scientifique présente un véritable climat propice à la
culture d'une infinité d'idées et d'efforts académiques,
dont cette modeste étude...
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