2.1.1. Espèces animales
Les espèces animales introduites sont d'autant plus
destructrices que la faune des îles ne comportait, à l'origine,
aucun mammifère terrestre. Tous les mammifères terrestres
présents sur l'archipel sont donc à considérer comme
envahisseurs biologiques. En sus des espèces introduites
involontairement (rats, souris), il faut distinguer les espèces
domestiques retournées à l'état sauvage (chèvres,
chats, lapins, coatis, chiens) et les espèces associées aux
activités humaines (chats, chiens, cheval, bovins, ovins).
Les premières espèces animales à avoir
été introduites sont les chèvres (introduites sur les
trois îles par Juan Fernández Sotomayor et laissées en
liberté), l'espèce constituait une source de viande pour les
marins de passage sur l'île. Très vorace et capable
d'accéder à presque toutes les parties des îles, la
chêvre a eu un impact important sur la végétation
(même si cet impact est difficile à évaluer étant
donné l'intervalle entre son introduction, il y a plus de 4
siècles, et les premiers inventaires botaniques qui datent de 1823). Les
effectifs de chèvres ont été fortement réduits
à la fin du siècle passé dans le cadre du projet de
coopération entre la CONAF et les Pays-Bas. Cependant, sur l'île
Alejandro Selkirk, l'espèce est encore bien
représentée.
Peu après, trois espèces de rongeurs
cosmopolites sont arrivées fortuitement accompagnant les navires de
passage. Deux espèces de rats (Rattus norvegicus et son
homologue Rattus rattus) et l'espèce de souris Mus musculus
figurent parmi les premiers mammifères à avoir
été introduits avec la chèvre à la
différence que ces pestes animales ont été
importées involontairement.
« L'impact de ces micromammifères sur la faune
sauvage, en particulier sur les oiseaux est bien connu. Mais leur
caractère de rongeur les amène principalement à consommer
des fruits et des graines limitant ainsi la régénération.
Ils constituent donc également une menace pour la flore
endémique. » (Fellmann, 2004)
« Ojeda (com. pers.) indique que les trois espèces
de rongeurs seraient présentes dans tous les sites avec un certain
degré d'activité humaine, même transitoire (e.g. camping,
pique-nique) et en outre, on les trouve à l'intérieur de la
forêt native (Meza 1988, 1989). » (Muñoz etal.,
2003)
En réponse à la prolifération des
rongeurs, des chats ont été introduits dans le but de
réduire les populations de rats et de souris. Avec le temps, certains
individus sont retournés à l'état sauvage et se sont
éloignés des zones d'habitat humain. S'ils ont effectivement une
fonction de régulation des rats, des souris et par la suite des lapins
(voir ci-après), ils sont aussi des prédateurs pour l'avifaune
locale et parfois aussi pour les jeunes otaries. Ainsi, les chats sont les
principaux prédateurs du Picaflor Rojo de Juan Fernández
(Sephanoides fernandensis), espèce
endémique en grand danger d'extinction.
« Alors que sur le continent, les chats se nourrissent
essentiellement de petits rongeurs, après leur introduction dans les
îles, les oiseaux ont constitué une fraction importante de leur
régime alimentaire. » (Muñoz et al., 2003) Ainsi,
les chats ont un effet délétère sur la faune
indigène des îles de l'archipel qui, rappelons-le, avait
évolué sans mammifères terrestres et donc sans
développer de défense contre des prédateurs. Avec les
coatis (voir ci-après), ils constituent une forte pression sur les
populations d'oiseaux.
Au fur et à mesure du temps, avec l'abandon des
îles, la plupart des espèces introduites sont retournées
à l'état sauvage jusqu'à se développer en tant
qu'espèce endémique pour certaines d'entre elles (la
chèvre de Juan Fernández par exemple a constitué une
variété spécifique).
Dans le courant du XVIIIe siècle, des chiens seront
introduits par les Espagnols pour éradiquer les chèvres.
Abandonnés sur l'île Robinson Crusoe, ils retourneront à
l'état sauvage. Avec les colonisations postérieures et surtout
à partir de 1877, des chiens seront amenés comme animaux de
compagnie. Ils représentent un danger potentiel pour les
mammifères marins car Ils causent parfois des dégâts aux
populations d'otaries.
Avec l'installation, d'abord des fortifications, mais surtout
de la dernière colonisation, d'autres animaux domestiques et
d'élevage seront introduits. C'est le cas du mulet, du cheval, de la
vache, du mouton, du cochon, du chien, du coati mais aussi du lapin.
Les vaches ont été introduites pour
l'élevage. Tout comme les moutons ou les cochons (aujourd'hui absents),
les vaches représentaient une activité productive pour les
éleveurs qui en tiraient profit. Elles étaient laissées en
liberté, piétinant et pâturant de larges espaces jusque
dans la forêt primaire (comme c'est toujours le cas aujourd'hui hors de
la forêt).
<< La présence de bovins et
d'équidés depuis la création des établissements
humains permanents en 1877, a entraîné la dégradation des
prairies, la détérioration des marges de la zone
forestière, le compactage des sols et la génération de
foyers actifs d'érosion. [...] Les prairies, rares et
dégradées, que possède actuellement le parc national
archipel Juan Fernández sont utilisées par un groupe de 53
propriétaires d'animaux pour le pâturage de son bétail.
Toutefois, cette activité est totalement contraire aux politiques de
gestion des parcs nationaux » (CONAF, 2004).
Aujourd'hui, avec l'intensification des échanges entre
l'île et le continent, les vaches ne sont plus élevées ni
comme source de nourriture ni comme source de lait. La majorité des
viandes et des produits laitiers sont importés depuis le continent.
Cependant, et ce malgré la médiocrité de l'état
sanitaire du bétail (les zones d'alimentation étant
insuffisantes), celui-ci représente un placement financier à
conserver pour les propriétaires. Ainsi, les éleveurs constituent
un groupe qui ne partage pas les mêmes intérêts de
conservation que la CONAF. Pour enrayer le problème de surpâturage
et de dégradation des espèces végétales natives,
à la fin du XXe s., le projet de conservation et de restauration en
collaboration avec les Pays-Bas prévoyait la suppression ou en tout cas
une forte diminution de la population de vaches. Les propriétaires de
bétail ont paralysé ce pan du projet en refusant nettement toute
forme de compromis. Une alternative a alors été proposée
et des barrières ont été placées aux limites du
parc afin de cantonner les vaches hors de la zone protégée.
<< La mise en place des barrières fonctionne (quand celles-ci sont
encore debout) mais en même temps, les vaches sont cantonnées dans
des endroits précis et accentuent leur impact sur ces zones, donc
aggravent l'érosion. Bien sûr, dans le contexte social, il faut
choisir entre l'isolement et le surpâturage dans ces zones.
»41 Quoi qu'il en soit, on touche ici à la
problématique de la cohabitation entre habitants et parc naturel dans un
contexte socioculturel qui crée des divergences de valeurs selon les
intérêts. Etant donné que la gestion est avant tout
technique et que les premiers balbutiements d'intégration de la
population ont été réalisés dans le cadre du projet
de coopération entre la CONAF et les Pays-Bas (de 1998 à 2003) et
de façon relativement ponctuelle, l'inadéquation entre les
intérêts individuels d'une partie des habitants et les objectifs
du parc se fait cruellement sentir.42
Parmi les autres herbivores introduits, le cheval (dont le
nombre d'individus grandit) mais surtout le lapin posent de gros
problèmes. Le lapin provoque de grands dommages aux
écosystèmes insulaires. Il a probablement été
introduit sur l'île Robinson Crusoe vers 1940. En l'absence de
prédateur, le lapin a proliféré constituant une menace
majeure pour la flore et les sols. << En 1985, la densité de
population de lapins sur l'île Robinson Crusoe était
estimée à 25 lapins/ha, portant ainsi la population à
environ 70.000 individus (CONAF, 1985). En 2002, une nouvelle évaluation
de la densité a été faite lors du projet hollandais
portant la population à près de 55 000 individus (Saiz, 2002) et
ce alors qu'un plan d'éradication de l'espèce était
lancé depuis près de 3 ans. [...] La densité moyenne de
lapins est de l'ordre de 20 à 30 ind. /ha. Or, celui-ci est
considéré comme nuisible à partir de 20 ind. /ha (Ojeda,
Gonzales, Araya, 2003). Le lapin est donc un réel problème et, si
quelques sites sont particulièrement concernés, c'est bien
l'île dans son ensemble qui est touchée. » (Fellmann,
2004)
L'effet le plus direct du lapin est celui exercé sur le
sol, déclenchant ou favorisant le processus d'érosion par la
construction de terriers et la consommation de végétation
herbacée (les lapins consomment les jeunes plants d'arbres et d'arbustes
empêchant leur régénération et rongent les
écorces, asséchant complètement les arbres et
arbustes).
41 Christophe Perrier (commentaire personnel).
42 Voir Partie 2 - Chapitre IV - point 2.4. Ambivalence du statut
de protection de l'archipel
«Menaces et perspectives pour la préservation
de la biodiversité de l'archipel Juan Fernández
(Chili)»
« Le Coati (Nasua nasua) a été
introduit comme animal de compagnie. Cette espèce est un grand danger
pour les animaux, en particulier pour les pétrels, oiseaux nichant dans
le sol. Il représente également une menace pour la flore
(écorçage des troncs) et participe à la dispersion des
principales pestes végétales de l'île (zoochorie), en
consommant en particulier le maqui. » (Fellmann, 2004)
En plus des principales espèces citées, d'autres
espèces animales (grenouille, pigeon, araignées, mais aussi la
guêpe, etc.) ont eu et ont encore un impact sur les milieux et les
espèces.
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