2.1.2. Caractérisation des zones
végétales (Cambornac, 2002)
Depuis le niveau de la mer jusqu'au point culminant (El
Yunque - 915 m) on peut distinguer, en simplifiant, trois niveaux : une
zone littorale, de 0 à 5-15 m (caractérisée par des plages
de galets grossiers, des rochers littoraux, des îlets et des pieds de
falaises verticales), une zone basse, de 5-15 à 450 m (qui comprend des
falaises verticales, des pentes plus ou moins inclinées et des ravins
parfois profonds) et une zone d'altitude, de 450 à 915 m (où l'on
trouve des parois rocheuses plus ou moins abruptes, des crêtes et les
sommets des collines).
1) La zone littorale
Sur l'île même, la végétation est
principalement composée d'espèces adventices, quelques
indigènes et peu d'endémiques. Par contre, sur les îlets
épars aux abords des côtes, et surtout ceux difficiles
d'accès, la flore originelle s'est maintenue. Ces rochers
représentent de véritables témoins de ce qu'ont pu
être les parties basses de ces îles avant l'arrivée des
hommes, même si des adventices se sont aujourd'hui installées,
là aussi. Cette végétation originale est composée
de nombreuses espèces endémiques.
Globalement, la zone littorale, à l'exception de
certains îlets (Juanango et Verdugo surtout) a été
notablement modifiée dans sa composition floristique par
l'arrivée massive de plantes adventices.
2) La zone basse
La végétation est plus variée et
présente un mélange de nombreuses espèces adventices,
indigènes et endémiques. Elle comporte aussi des forêts
claires avec de nombreuses endémiques : des arbres (e.g. Myrceugenia
Fernándeziana ou Drimys confertifolia), des arbustes (e.g.
Sophora Fernándeziana) et une strate herbacée assez
pauvre. Enfin, il existe des pentes plus ou moins érodées,
anciennement boisées, où ne survivent que bien peu de plantes
indigènes et où se sont installées des adventices dont
certaines sont très envahissantes (e.g. Acaena argentea).
Cette zone est la plus modifiée depuis la
découverte de l'archipel et c'est aussi celle qui abritait deux
espèces endémiques aujourd'hui disparues (Santalum
Fernandezianum et Podophorus bromoides). C'est aussi à ce
niveau qu'un boisement exotique a été installé autour du
village, sur un espace totalement dénudé, pour répondre
aux besoins en bois de la population installée de façon
permanente. Les espèces introduites (eucalyptus, pin et cyprès)
commencent à coloniser les parties hautes en produisant de petits
bosquets pionniers qui déplacent la végétation
indigène.
3) La zone d'altitude
Dans la zone d'altitude, la végétation
originelle s'est un peu mieux conservée mais aujourd'hui elle est
soumise à la prolifération conquérante des 3
espèces introduites les plus agressives (Rubus ulmifolius,
Aristotelia chilensis, Ugni Molinae) et se trouve envahie
avec une rapidité
extrêmement préoccupante et dommageable à
l'originalité irremplaçable de ces milieux.
C'est là que l'on trouve les forêts primaires de
brume dont la majorité des espèces sont endémiques, qu'il
s'agisse du seul palmier de l'archipel (Juania australis), des arbres
(e.g. Myrceugenia Fernándeziana, Drimys confertifolia,
Rhaphythamnus venustus...), des arbustes (e.g. Dendroseris
berteroana, Robinsonia gracilis, Ugni selkirkii,
Lactoris Fernándeziana, Yunquea tenzii, ...), des
herbacées (Gunnera bracteata, Greigia berteroi,
Chusquea Fernándeziana, ...) et des très nombreux
ptéridophytes terrestres ou épiphytes (Dicksonia
berteroana, Megalastrum inaequalifolium, Thyrsopteris
elegans, Rumhora berteroana,...). Sur les crêtes, on trouve
des espèces forestières existantes aux autres niveaux mais sous
des formes tourmentées par les vents.
«Menaces et perspectives pour la préservation
de la biodiversité de l'archipel Juan Fernández (Chili)»
2.1.3. Caractérisation des espèces
végétales35
L'archipel Juan Fernández abrite 716 espèces de
plantes vasculaires, dont 60 ptéridophytes, 10 gymnospermes, 147
monocotylédones et 499 dicotylédones. Sont
représentées 139 familles et 441 genres. Il existe sur l'archipel
une famille endémique (Lactoridaceae représentée
par une seule espèce : Lactoris Fernándeziana)
probablement originaire de l'ancien continent austral qu'on appelle Gondwana ou
Pangée (El Mercurio, 2005). Il existe 11 genres
endémiques (Centaurodendron, Cuminia, Dendroseris, Juania, Lactoris,
Megalachne, Podophorus, Robinsonia, Selkirki, Thyrsopteris et
Yunquea), et 137 espèces endémiques. La flore vasculaire
indigène présente plus de 60% d'endémisme au niveau de
l'espèce. Parmi les espèces endémiques, 29 sont des
ptéridophytes, 15 sont des monocotylédones, et 93 des
dicotylédones.
Les angiospermes endémiques se trouvent dans toutes les
zones écologiques identifiées mais dans un état fragile.
« 75 % des espèces sont considérées éteintes,
menacées, rares ou occasionnelles. Les espèces Santalum
Fernandezianum et Podophorus bromoides sont
présumées éteintes. » (CONAF, 2004)
Les premières expéditions de Philippe Danton,
Michel Baffray et Emmanuel Breteau en 1998 et 1999 et les dernières
expéditions de Philippe Danton et Christophe Perrier mettront en
évidence l'existence d'espèces encore inconnues jusque-là,
tant allochtones qu'autochtones. Récemment, et ce malgré les
différents projets de sensibilisation, une étude
botanique36 réalisée dans le périmètre
du village de San Juan Bautista a mis en évidence l'introduction de 27
nouvelles espèces pour raison essentiellement ornementale (non comprises
dans le tableau ci-dessous).
Le nombre de taxons dans l'archipel peut être
analysé, en outre, dans les catégories de introduites,
indigènes et endémiques (voir figure 14).
Figure 14 : Nombre d'espèces endémiques,
indigènes et introduites sur l'archipel
Source : Vanhulst, 2009 d'après Danton et Perrier,
2006.
Depuis sa découverte en 1574, l'archipel Juan
Fernández a accumulé une grande quantité d'espèces
introduites, particulièrement dans les dicotylédones. Des 716
espèces au total, près de 70% (503) sont introduites. Le groupe
de taxons introduits le plus important est celui des dicotylédones
(76%).
Au-delà de cette évaluation quantitative, la flore
de l'archipel Juan Fernández est exceptionnelle à plus d'un titre
(Danton, 2004) :
? Parmi les espèces, plusieurs sont le résultat
de processus de paléo-endémisme et sont donc devenues de
véritables reliques de temps anciens (comme par exemple Lactoris
Fernándeziana ou Thyrsopteris elegans).
35 Voir annexe 07
36 Stage de Cécile Georget encadré par
l'association Robinsonia (juillet 2009)
<<Menaces et perspectives pour la
préservation de la biodiversité de l'archipel Juan
Fernández (Chili)»
· D'autres espèces sont le résultat de
processus de néo-endémisme (comme les genres Centaurodendron,
Juania, Lactoris, Megalachne, Podophorus, Robinsonia,Yunquea).
· Certaines architectures de plantes sont typiques des
milieux insulaires, en particulier le fait que de nombreuses espèces
soient ligneuses alors qu'elles sont herbacées sur les continents.
· L'île Robinson Crusoe accueille un biome unique au
monde: la `myrtisylve Fernándezienne' (P. Danton), forêt
native dont 100% des espèces sont endémiques.
· Le développement de la différenciation
sexuelle (plantes dioïques) chez les endémiques en réponse
aux problèmes de consanguinité dus aux conditions insulaires.
· Cette flore, vu l'âge récent de l'archipel,
est une source de compréhension des phénomènes complexes
d'évolution et de spéciation
· Les potentialités chimiques, pharmaceutiques et
génétiques sont peu explorées.
Ainsi, quel que soit le chiffre retenu pour qualifier
l'importance biologique de l'archipel, il apparaît clairement que
celui-ci présente des qualités inestimables. Mais l'environnement
particulier et calme de l'archipel qui crée les conditions de vie de ces
espèces a également créé les conditions de leur
fragilité (Danton, 2004). En effet, étant donné leur
situation d'isolement sans impératif d'évolution, les
espèces indigènes n'ont pas développé de
mécanismes pour lutter contre les animaux introduits et les plantes
envahissantes. Leurs incursions provoquent une situation de
déséquilibre dans laquelle structurellement, les espèces
autochtones ne peuvent pas lutter.
<< Par exemple, elles n'ont pas développé
de défense contre les herbivores (chèvres, vaches, chevaux), les
rongeurs (rats, souris) ou les lagomorphes (lapins). Elles n'ont pas la
plasticité architecturale nécessaire pour surmonter le
surplombement par d'autres plantes. [...] Elles n'ont pas non plus la
faculté d'occuper rapidement la totalité du terrain disponible
avec une reproduction végétative très compétitive,
comme c'est le cas de la Murtilla introduite (Ugni molinae).
Aucune des plantes endémiques des îles ne dispose d'une
stratégie de dissémination puissante comme celle du Trun
introduit (Acaena argentea) dont les semences s'agrègent
aux poils des animaux comme dans les cordons, les chaussettes et les pantalons
des passants. Les écosystèmes sont aussi très facilement
perturbés par le transit du bétail ou de l'homme. Il existe de
nombreux autres exemples de cette vulnérabilité
particulière de la nature insulaire. » (Danton, 2004)
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