2.1. Diversité végétale
2.1.1. Fondations de connaissances botaniques
Les îles sont reconnues comme étant des
écosystèmes de grande qualité biologique. Sur l'archipel
Juan Fernández, plus de 60% des espèces de plantes
indigènes sont endémiques. Sa faible superficie terrestre
(environ 100 km2) en fait un des lieux où les taux
d'endémisme végétal par unité de surface sont les
plus hauts au niveau planétaire. En effet, la densité
d'espèces et la densité des endémiques est plus
élevée que sur toute autre île océanique : on y
trouve respectivement 2,08 espèces/km2 et 0,98
endémiques/km2 (Bernardillo et Stuessy, 2001).
Les inventaires et les caractérisations botaniques de
l'archipel sont le résultat de presque 200 ans de collections et de
visites sporadiques d'une multitude de scientifiques. Si la première
expédition scientifique en 1743 est l'oeuvre de Jorge Juan et Antonia de
Ulloa sous l'autorité du vice-roi du Pérou, Villagarcia
(Orrellana et al., 1974), la flore des îles de Juan
Fernández commencera à attirer l'attention au début du
XIXe siècle et les premiers prélèvements et inventaires
renseignés sont l'oeuvre de Mary Graham qui accompagnait Lord Cochrane
(alors engagé comme commandant général de la Marine au
Chili).
Le premier botaniste qui a séjourné sur
l'île Robinson Crusoe est David Douglas. En 1824, avec le géologue
John Scouler, il collecta 70 espèces qui se trouvent dans les herbiers
de Kew en Angleterre. En 1830, Carlo G. Bertero (botaniste italien), restera
plusieurs mois sur l'île Robinson Crusoe et récoltera une grande
collection de plantes. A la même période, Hugh Cuming visitera
pour la première fois l'île Alejandro Selkirk.
A partir de 1830, le gouvernement chilien engagera Claudio Gay
(botaniste français) pour étudier l'histoire naturelle du pays.
Il écrira un ouvrage en 8 volumes sur la flore chilienne et un atlas. Il
transitera par l'archipel Juan Fernández en 1832 et relatera le grand
intérêt biologique de l'île pour la science et pour le
pays.34
Philibert Germain (entomologiste) prélève en
1854 une précieuse collection qui sera étudiée par R.A.
Philippi (botaniste allemand professeur d'histoire naturelle à
l'Université du Chili et directeur du musée national d'histoire
naturelle) en 1856 et qui met en évidence la détermination de 28
nouvelles espèces dont Podophorus bromoides
(Gramineae), qui n'a jamais été retrouvée
depuis (Matthei, Marticorena et Stuessy, 1993).
Suivent Edwyn C. Reed et José Guajardo en 1869, puis en
1872, qui rassemblent une importante collection conservée dans les
herbiers du Musée National d'Histoire Naturelle à Santiago du
Chili. Ils
34 Voir Partie 2 - Chapitre I - point 3. De la découverte
de l'île Robinson Crusoe à nos jours.
<<Menaces et perspectives pour la
préservation de la biodiversité de l'archipel Juan
Fernández (Chili)»
ont été les premiers à recueillir
l'Anthoxanthum odoratum ou pasto oloroso, une graminée
exogène actuellement présente dans une zone assez large des
îles Robinson Crusoe et Alejandro Selkirk.
En 1875, le navire anglais Challenger fait escale dans
l'île avec à son bord le naturaliste H. Moseley qui rassemblera
une grande collection. Ce matériel a permis à William B. Hemsley
(conservateur à Aberdeen et Kew) d'écrire le premier rapport
important sur la botanique de l'archipel Juan Fernández. << En
1891 et ultérieurement en 1892, Federico Johow (botaniste allemand
engagé au Chili pour participer à la construction du nouveau
système pédagogique), et Juan Söhrens vont séjourner
sur Robinson Crusoe. Johow fait une vaste analyse de la flore introduite,
citant plusieurs espèces (indigènes et introduites) pour la
première fois, notamment la murtilla (Ugni molinae),
espèce du Chili continental, qui, dans l'île Masatierra a
déplacé une surface considérable de la flore
indigène. » (Matthei, Marticorena et Stuessy, 1993) Federico Johow
publiera ses résultats en 1896 dans son oeuvre << Estudios
sobre la flora de las islas Juan Fernández ».
Le botaniste qui a le plus contribué à former
les bases référentielles de la caractérisation
végétale a été Carl Skottsberg. Ce botaniste
suédois a réalisé une intense étude de la flore des
îles de l'archipel. << En 1908, puis de 1916 à 1917 et de
1953 à 1954, Skottsberg a collecté non seulement des plantes
vasculaires, mais aussi des algues, des champignons et des lichens. Son oeuvre
est le travail le plus complet qui a été réalisé
jusqu'à présent. Skottsberg a été le dernier
à trouver un exemplaire vivant de Santal, en 1908. On n'a jamais
retrouvé d'autre spécimen depuis et son extinction est
désormais considérée définitive. » (Matthei,
Marticorena et Stuessy, 1993) Il a distingué 7 communautés
végétales dans l'île Robinson Crusoe à la fois selon
l'altitude et selon la composition. Très vite, Carl Skottsberg a
manifesté une grande inquiétude devant la situation
préoccupante de la flore native.
A partir de 1980, vu l'intérêt de l'archipel Juan
Fernández pour l'étude de processus de l'évolution et de
la systématique, le département de botanique de
l'université de l'Ohio (USA) et l'université de Concepción
(Chili) ont effectué 6 expéditions avec pour objectifs d'examiner
les espèces natives (leur identité, et leur valeur chimique,
médicale et thérapeutique), de comprendre les processus
d'évolution des espèces endémiques et finalement de
réaliser un nouveau cadastre des plantes vasculaires (Stuessy et
al., 1998). Les résultats de ces observations rendront compte
des différentes zones végétales et des espèces
endémiques qu'elles hébergent mais aussi de la destruction
progressive de la flore des îles. Tod Stuessy utilisera les secteurs
définis par Skottsberg pour réaliser une étude sur
l'évolution botanique de l'île Robinson Crusoe. Ces travaux
mettront en évidence une importante coexistence d'espèces
introduites avec les espèces indigènes et la dangerosité
d'une multitude d'espèces exogènes dont plusieurs sont
très difficiles à contrôler et/ou à
éradiquer. Parmi celles-ci, la Zarzamora (Rubus
ulmifolius), le Maqui (Aristotelia chilensis), la
Murtilla (Ugni Molinae), le Trun (Acaena
argentea) et le Cardo blanco (Eryngium Bourgatii) sont
considérées comme les pires.
En 1997 et jusqu'en 1999, Philippe Danton (botaniste
attaché au Muséum National d'Histoire Naturelle de Paris)
effectuera un premier travail d'exploration, d'inventaire botanique et de
préservation des espèces végétales menacées
de l'archipel Juan Fernández. Une synthèse des premiers voyages a
été publiée en 1999. En 2001, il créera
l'association Robinsonia dont l'objectif est de compléter les
connaissances naturalistes scientifiques disponibles sur l'archipel Juan
Fernández. Pour ce faire, Philippe Danton continue son travail
d'inventaire et de conseil pour la gestion conservatoire sur place en
collaboration avec le Parque Nacional Archipiélago Juan
Fernández, la CONAF, le Muséum de Santiago et diverses
universités chiliennes. Désormais accompagné par
Christophe Perrier (assesseur du présent mémoire), Philippe
Danton prévoit l'édition d'une synthèse sur l'Histoire
Naturelle de l'archipel, mettant à jour, pour la flore, le remarquable
ouvrage de Carl Skottsberg publié entre 1920 et 1956.
Parallèlement, l'association Robinsonia << tente de
sauvegarder la flore des îles de l'archipel au travers de projets de
conservation in situ et ex situ des espèces les plus
menacées. » (Georget, 2009)
Plusieurs voyages scientifiques ont permis de retrouver des
espèces considérées disparues, engager des actions de
sauvegarde sur place et ex-situ, et découvrir quelques nouveautés
botaniques.
L'ensemble de ces travaux converge dans le même sens et
appuie l'intérêt non seulement botanique mais surtout
écologique des îles de l'archipel.
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