UNIVERSITE DU BURUNDI
CHAIRE UNESCO EN EDUCATION A LA PAIX ET LA RESOLUTION
PACIFIQUE DES CONFLITS
DESS EN DROITS DE L'HOMME ET RESOLUTION PACIFIQUE DES
CONFLITS
LA RESOLUTION DES CONFLITS DE COMPETENCE ENTRE LES
ACTEURS DE LA JUSTICE DE PROXIMITE AU BURUNDI
Par Emmanuel KAGISYE
DIRECTEUR :
Pr. Julien NIMUBONA Travail de fin d'études (TFE)
présenté en
vue de l'obtention du DESS en Droits de l'homme et
résolution pacifique des conflits
Bujumbura, mars 2009
DEDICACE
A Anny Lorry
REMERCIEMENTS
Nos remerciements s'adressent à toute personne qui, de
près ou de loin a contribué à la réalisation de ce
travail.
Nous pensons particulièrement au professeur Julien
NIMUBONA, qui a spontanément accepté la direction de ce
travail.
Que Monsieur Egide IRAMBONA ainsi que toutes les personnes qui
ont accepté un entretien voient au travers de ce mémoire un
édifice auquel chacun aura apporté une pierre.
Enfin, que notre épouse et nos enfants trouvent ici
l'expression de notre profonde gratitude pour toute l'affection et la
compréhension dont ils nous entourent.
L'auteur
LISTE DES SIGLES ET ABREVIATIONS
Art. : article
C.N.B. : Conseil National des Bashingantahe
DESS : Diplôme d'Etudes Supérieures
Spécialisées ICG : International crisis group
OAG : Observatoire de l'Action Gouvernementale OPJ : Officier de
police judiciaire
Op.cit. : opere citato (déjà cité)
RCN : Réseau des citoyens network
V. : voir
T.R. : Tribunal de résidence
& : et
INTRODUCTION GENERALE
Le mot «Justice» présente de multiples
facettes avec une gamme très riche de significations. Ainsi, la justice
sociale tend à résoudre les inégalités entre les
groupes sociaux ; la justice individuelle permet de procurer à chacun ce
qui lui est dû ; etc.
Le mot «Justice» est également utilisé
pour désigner l'ensemble des institutions qui ont comme mission
légale de rendre la justice, c'est-à-dire de juger,
conformément à la loi, les différends opposant de simples
citoyens entre eux ou alors entre particuliers et l'Etat. C'est ainsi qu'on
parle de la « Justice burundaise », « Justice congolaise »,
etc., pour désigner l'ensemble des institutions judiciaires du pays.
Dans une société qui a rejeté tout
recours à la vengeance privée, les institutions traditionnelles
ou modernes sont le garant de la justice. Pour le citoyen, l'action en justice
est le moyen d'exiger de l'Etat que justice lui soit faite. La
possibilité de recourir à un juge, mieux encore le droit à
la justice, permet de protéger les plus défavorisés en
leur accordant un libre accès aux tribunaux.
C'est dans cette optique que la Déclaration Universelle
des Droits de l'Homme proclame, en son article 8, le droit de toute personne
à recourir devant les juridictions nationales compétentes contre
les violations de ses droits1. Ce droit à la justice est par
ailleurs consacré par la loi no1/010 du 18 mars 2005 portant
promulgation de la Constitution de la République du Burundi2.
L'article 38 de la dite Constitution stipule en effet que toute personne a
droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et à
être jugé dans un délai raisonnable.
Cette disposition montre bien que c'est un véritable
droit de créance que les citoyens ont sur l'Etat en matière
d'accès à la justice. Or, l'administration de la justice au
Burundi ne permet pas aujourd'hui une réelle satisfaction du citoyen
quant à son droit à la justice. Trois principales raisons
expliquent cette insatisfaction.
Tout d'abord, les juridictions sont éloignées du
citoyen tant sur le plan géographique que sur le plan psychologique. Or,
la proximité spatiale des juridictions est une condition essentielle
à l'accessibilité à la justice, mieux encore au
rapprochement de la justice des justiciables. Tant il est vrai qu'au Burundi,
chaque commune administrative possède un tribunal de résidence
(à l'exception de la commune Rusaka et de certaines communes urbaines de
Bujumbura qui dispose de 2 tribunaux de résidence) ; néanmoins
beaucoup de
1 V.
http://www.un.org/french/aboutun/dudh.htm.
2 V. BOB n°3 TER /2005, pp.1-35.
citoyens sont contraints de parcourir de longues distances
pour saisir le juge en première instance ou en 2ème
instance. Dans ces conditions, il suffit que l'on procède à un ou
deux renvois de l'affaire pour que le justiciable le délaisse parce que
découragé et épuisé par les longues distances.
L'éloignement psychologique, relève quant à lui de
l'ignorance du citoyen burundais de la loi et de sa méfiance à
l'égard du juge.
Ensuite, la lenteur de la justice est connue,
déplorée et condamnée par tous ; même par les juges.
Le fait est aggravé par la pauvreté, le sous-équipement,
l`insuffisance du personnel judiciaire, la corruption, l'absence de sens
civique des agents de l'Etat, etc. Le phénomène se remarque par
l'existence des délais anormalement longs entre la date de la saisine et
la date où la décision définitive est rendue, entre le
prononcé de la décision et la date à laquelle cette
décision est exécutée.
Enfin, le coût du procès éloigne dans une
certaine mesure le justiciable du juge. L'on a l'habitude d'affirmer que la
justice est gratuite, mais la réalité est toute autre et cette
réalité nous pousse à affirmer le contraire : « la
justice est chère ». Les différents frais tel que les frais
de consignation, les frais de déplacement du justiciable et de ses
témoins, etc., les servitudes que la procédure lui impose
produisent chez le citoyen un sentiment de frustration et dissuade à
s'engager dans les procédures judiciaires.
Ainsi, le justiciable se tourne souvent vers les autres
acteurs de la justice dans la revendication de ses droits. En effet, à
coté la justice formelle, de nombreux opérateurs « rendent
la justice » au Burundi. Il s'agit des notables (abashingantahe), des
élus collinaires, des administrateurs communaux, des chefs de zone, des
officiers de la police judiciaire, du Conseil de famille, des juristes et
animateurs d'associations de la société civile, etc., et qui sont
plus proches de la population locale.
Ces différents acteurs qui « disent le droit
» et « rendent la justice » sont issus des sphères
différentes (publique ou privé) et ne disposent pas des
mêmes pouvoirs d'intervention dans l'espace judiciaire.3 De
même, les pratiques de ces acteurs de la justice de proximité se
fondent généralement sur des logiques différentes. Il
s'agit soit de la coutume, des droits humains, de la hiérarchie
administrative, etc. La réalité n'est pas homogène, elle
n'est pas unique4.
3 RCN Justice & Démocratie, La justice de
proximité au Burundi : réalités et perspectives,
Bujumbura, décembre 2006, p.12 ;
http://www.rcn
ong.be/pdf/LajusticedeproximiteauBurundi.pdf.
4 Idem, p.8.
Impérativement, il doit y avoir des conflits de
compétence entre ces différents acteurs étant donné
que les enjeux sont multiples : enjeux de pouvoir, enjeux culturels, enjeux
sociaux voire politiques, etc.
Nous n'allons nullement préjuger des demandes et des
réponses de ces acteurs de la justice de proximité5,
toutefois, il s'avère important d'étudier comment fonctionnent
ces institutions « juxtaposées » afin d'apporter quelques
solutions aux conflits de compétence entre elles dans leur mission de
régler les litiges de proximité.
Après avoir tenté de définir la notion de
justice de proximité (chapitre 1er ), nous aurons à
identifier les différents acteurs de la justice de proximité au
Burundi(chapitre 2). Nous examinerons ensuite les différentes
typologies de conflits de
compétence (chapitre 3), pour enfin proposer certaines
solutions aux conflits de compétence entre les acteurs de la justice de
proximité(chapitre 4).
5 Les différents acteurs répondent de diverses
manières aux sollicitations des justiciables.
CHAPITRE Ier . GENERALITES SUR LA JUSTICE DE
PROXIMITE
La notion de « justice de proximité » est
relativement récente6 et s'inscrit au coeur de la
problématique de l'accès au droit7. Notre
société se caractérise par une « judiciarisation
» de plus en plus grande des rapports sociaux, qui s'exprime par une forte
demande de droit et justice.
Mais alors que « nul n'est sensé ignorer la loi
», l'inflation des textes à caractère législatif et
réglementaire, qui forment un maquis dont les juristes eux-mêmes
critiquent l'abondance, rend cet adage largement inopérant.
L'effectivité du droit n'est donc pas désormais plus
perçue au travers du prisme de la proclamation législative, mais
elle est jugée en fonction de son effectivité sociale. Celle-ci
s'incarne aux diverses institutions parmi lesquelles figure au premier plan la
justice de proximité8.
Après avoir tenté de cerner la notion de justice
de proximité (section 1ère), nous analyserons le
contexte « bi-normatif » (droit écrit et coutume) dans lequel
fonctionne la justice de proximité au Burundi (section 2), pour
régler des litiges de proximité présentant certaines
particularités (section 3).
Section 1ère. Notion de Justice de
proximité
§ 1er. Quelques éléments
pour définir la justice de proximité
La justice de proximité est constituée par
l'ensemble des dispositifs de régulation des conflits auxquels le
justiciable peut avoir recours dans son environnement le plus immédiat.
Pour une bonne administration de la justice, celle-ci doit absolument se
rapprocher du justiciable tant sur le plan géographique que sur le plan
moral. Ce rapprochement vise à ce que le citoyen sache que la justice
est facile à actionner et toujours prompte à enquêter,
à arbitrer, à juger ou à punir en cas de
besoin9.
6 Elle est apparue pour la 1ère fois en France
après la disparition des juges de paix en 1957.
7 V. Proximité, justice (de), Sympatic msn encarta,
http://fr.ca.encarta.msn.com/encyclopedia/article.html.
8 Ibidem
9 C. (De) LESPINAY, « Valeurs traditionnelles,
justice de proximité et institutions (Rwanda et Burundi) » in
LESPINAY C. (De), MWOROHA E. (dir.), Construire l'Etat de droit. Le Burundi
et la région des grands lacs, Paris, L'harmattan, 2000, p.196.
Dans la pratique, la question d'accessibilité à
la justice qui se pose au justiciable est tout d'abord géographique
parce que ce dernier souffre de parcourir de longues distances pour saisir le
juge. Elle est ensuite psychologique parce qu'enfin de compte, ce que
désire le justiciable, ce n'est pas tant d'avoir un juge, un tribunal
à deux mètres de chez lui, mais d'avoir un juge à qui il
peut s'adresser avec confiance, sans crainte de partialité, un juge
susceptible de l'aider compte tenu de ses bonnes connaissances en
matières juridiques et de l'environnement du litige
donné10.
En définitive, la justice de proximité se veut
être une réponse aux préoccupations du justiciable. Quelle
distance doit-il parcourir pour exposer son litige à un acteur
crédible de la justice ? Parmi la multitude d'autorités, laquelle
doit-il saisir ? A quel prix et dans combien de temps obtiendra-t-il justice ?
Bénéficie-t-il d'un traitement équitable (impartial) de
son affaire ? Le droit lui paraît-t-il bien appliqué ? Sans
être exhaustif telles sont les certaines questions auxquelles la justice
de proximité devrait trouver des réponses adéquates.
§2. La justice de proximité au Burundi1. Les
institutions et leur environnement
Le citoyen burundais est, dans sa vie quotidienne,
entouré par une multitude d'acteurs qui disent le droit ou rendent la
justice. Il s'agit en l'occurrence des bashingantahe, des membres des conseils
de colline, des chefs de zone ou de quartier, des administrateurs communaux,
des magistrats des tribunaux de résidence, des officiers de police
judiciaire, du conseil de famille, des associations de la société
civile, etc.
Ces acteurs de justice bien qu'intervenant tous en
matière de droit ou de justice ont des origines et des
compétences différentes. Certaines sont issues de la
sphère publique. Tel est le cas des administrateurs communaux, chefs de
zone, du juge, des officiers de police judiciaire, qui sont des fonctionnaires
de l'Etat.
D'autres sont d'origine coutumière, comme les
Bashingantahe investis par leurs pairs selon la coutume. D'autres encore sont
issues de la sphère privée comme les associations qui militent en
faveur des droits de l'homme. Par ailleurs, de même qu'ils sont issus
d'origines différentes, ces acteurs n'ont pas les mêmes pouvoirs
d'intervention dans l'espace judiciaire. Certains travaillent pour la promotion
des droits de l'homme, d'autres ont la mission de juger les situations
conflictuelles, d'autres encore assurent l'administration ou la
prévention de la délinquance...
10 RCN Justice & Démocratie, op.cit.,
p.11.
2. Le cadre juridique
Dans le prolongement des réformes
préconisées par l'Accord d'Arusha11, certains textes
législatifs et réglementaires ont été
promulgués et intéressent la justice de proximité.
Tout d'abord, la Constitution du 18 mars 2005 consacre les
articles 21 à 61 aux droits de la personne humaine. En outre, l'art 19
de ladite Constitution dispose que « Les droits et les devoirs
proclamés et garantis entre autres par la Déclaration universelle
des droits de l'homme, les pactes internationaux relatifs aux droits de
l'homme... font partie intégrante de la Constitution de la
République du Burundi ». Elle dispose également en son
article 205 que « la justice est rendue par les cours et tribunaux sur
tout le territoire de la République du Burundi au nom du peuple
burundais ».
Ainsi, le pouvoir judiciaire, en tant que gardien des droits
et libertés publiques, a le devoir de garantir leur respect
intégral. Ils ne doivent faire objet d'aucune restriction ou
dérogation sauf pour des causes d'intérêt
général12.
Ensuite, la loi no 1/0 8 du 17 mars 2005 portant
Code de l'organisation et de la compétence judiciaires a apporté
certaines innovations par rapport à celui du 14 janvier 1987 :
accroissement des compétences des tribunaux de résidence ;
disparition de l'obligation de recours aux « Bashingantahe » avant la
saisine du tribunal de résidence en matière civile ;
représentation du ministère public par les officiers de la police
judiciaire auprès des tribunaux de résidence, etc.
Enfin, une série de textes contiennent des dispositions
qui intéressent la justice de proximité. Ces textes sont
notamment la loi no 1/016 du 20 avril 2005 portant organisation de
l'administration communale (article 37), la loi no 1/009 du 4 juillet 2003
portant transfert des recettes des tribunaux de résidence aux communes,
le Décret-loi no 1/024 du 28 avril 1993 portant Code des
Personnes et de la Famille, la loi no 1/23 du 31 décembre
2004 portant création, organisation, missions, composition et
fonctionnement de la Police Nationale.
11 L'Accord d'Arusha pour la paix et la réconciliation
au Burundi a été signé le 28 août 2000 à la
suite des négociations entre les différents acteurs politiques du
pays sous l'égide de la médiation conduit par le Président
Nelson Mandela.
12 V. paragraphe 2 de l'art. 19 de la Constitution. Cette
disposition est critiquable dans la mesure où elle confond le
régime de dérogation et le régime de restriction.
Section 2. La coexistence du droit écrit et de la
coutume dans la justice de proximité
Au Burundi comme presque partout en Afrique, la
législation et l'organisation judiciaire modernes ont été
un apport de la colonisation. Elles ont été transposées
sur un ordre normatif traditionnel déjà existant de type
monarchique. Aujourd'hui, la coexistence de la justice moderne
c'est-à-dire de type occidental et la justice traditionnelle perturbe
l'efficacité, de l'une et de l'autre13. Faudrait-il
opérer un choix judicieux entre l'une des deux ?
Choisir le droit coutumier c'est-à-dire les modes
traditionnels de résolution des conflits aboutirait à enfermer la
société dans une tradition dépassée. Mais
également, choisir le droit écrit uniquement, occidental,
conduirait à imposer aux citoyens un système juridique moderne,
étranger, importé, qui manquerait d'un terrain d'accueil
favorable.
Nous nous proposons dans cette section de montrer la
possibilité d'une coexistence positive entre le droit écrit, la
coutume ou les pratiques traditionnelles.
§1. Le droit écrit
Malgré tant d'efforts pour l'harmonisation du
système juridique burundais, deux formes de règles de droit
restent d'application. Il s'agit du droit écrit d'inspiration
européenne et le droit traditionnel. Théoriquement, les conflits
entre ces deux catégories de règles ont été
résolus par l'imposition du principe de la suprématie du droit
écrit sur le droit coutumier.
En effet, le droit écrit s'est imposé avec la
colonisation. Les puissances coloniales en général, malgré
qu'elles eussent eu des politiques législatives différentes,
reconnaissaient l'application des règles autochtones seulement dans les
cas où elles n'étaient pas contraires aux lois, aux
règlements, à l'ordre public et aux bonnes moeurs, bref au droit
écrit14.
Ce principe a été confirmé par l'article
1er de l'ordonnance du 14 mai 1886, elle-même approuvée
par le décret du 12 novembre 188615. Il stipule que :
13 V. en ce sens E. LE ROY, Les africains et l'institution de
la justice, Paris, Dalloz, 2004, p.48 ; V. également RCN Justice et
Démocratie, op.cit.,p.97.
14 C. NTAMPAKA, Introduction aux systèmes Judiciaires
africains, Presses Universitaires de Namur, 2005, p. 101.
15 R., BELLON et DELFOSSE, P., Codes et lois du Burundi,
Bruxelles, Ferdinand Larcier, 1970, p.55.
« Quand la matière n'est pas prévue par
un décret, un arrêté ou une ordonnance déjà
promulguée, les contestations qui sont de la compétence des
tribunaux du Congo seront jugées d'après les coutumes locales,
les principes généraux du droit et l'équité.
»
Ainsi, la coutume apparaît comme une source de droit
subsidiaire qui ne s'applique qu'en l'absence du droit écrit.
Aujourd'hui, le droit écrit d'inspiration européenne a envahi
presque tous les domaines de la vie sociale. Seul le régime des
successions et des libéralités reste l'importante matière
régie par le droit coutumier.
Cependant, il arrive que les acteurs de la justice fassent
recours à la coutume lorsque la loi n'est suffisamment claire ou
complète. Dans ce cas, la coutume vient combler les lacunes de la loi.
C'est la coutume « praeter legen » ou « secundum legen
»16.
§ 2. La coutume
La coutume peut être définie comme un usage
implanté dans une collectivité sociale donnée et
considérée par cette dernière comme juridiquement
obligatoire. La coutume constitue ainsi un droit créé par les
moeurs.
Dans les sociétés primitives, sans
législation moderne, le droit s'établit et se consolide par
l'habitude que prennent les hommes à se conduire selon la même
règle chaque fois que les mêmes situations se
répètent. Cette habitude finit par s'ériger en une
règle coutumière. Ainsi donc, contrairement à la loi, la
coutume ne se forme pas par un acte unique du législateur. Elle se forme
progressivement et insensiblement par la répétition d'actes
semblables par la foule anonyme du groupe social. Adoptée au premier
moment par quelques uns, elle se généralise ensuite pour enfin se
faire accepter par tous ceux entre qui les mêmes situations se
reproduisent.
A l'état actuel du droit moderne, la coutume ne peut
primer sur le droit écrit. Elle occupe une place secondaire comme source
du droit ; son rôle étant de compléter le droit
écrit dans les matières que celui-ci ne réglemente pas ou
réglemente d'une manière incomplète. En
réalité, ce n'est pas cette place que mérite la coutume. A
y voir de près, la coutume provient des sources les plus
16 Cette affirmation n'est valable que pour les acteurs
intervenants dans le cadre du droit écrit. En effet, les Bashingantahe
et les élus collinaires utilisent principalement la coutume pour
régler les différends.
profondes des aspirations d'un peuple. C'est donc une place que
lui a imposé le droit écrit. Elle est invoquée à
titre supplétif ou complémentaire du droit
écrit17.
A ce titre, malgré la prévalence du droit
écrit dans le système juridique burundais, l'on retrouve quelques
îlots de matières qui restent sous l'empire du droit coutumier. Il
en est ainsi de la matière des successions et l'institution
d'ubushingantahe, de la dot, etc.
1. Avantage de la coutume
Le côté avantageux de la coutume est qu'elle
correspond aux besoins et aux sentiments réels du groupe social qui l'a
adoptée. Un usage ne peut devenir général, il ne peut
acquérir une certaine permanence, il ne peut revêtir un
caractère obligatoire que parce qu'il répond aux aspirations du
groupe social donné. Lorsque les besoins qui l'ont fait naître
changent, la coutume se modifie simultanément. La coutume est à
la fois réaliste et souple. De même, elle accessible à
beaucoup d'usagers.
2. Inconvénients de la coutume
La coutume présente souvent un caractère
incertain18. Pour connaître la loi écrite, il suffit de
consulter le code. Il n'en est pas ainsi de la coutume. Il peut y avoir doute
sur l'existence d'une coutume. Pour la prouver, il faut
généralement réunir un certain nombre de données
observables ou non, difficiles à déceler.
Par ailleurs, la coutume ne permet pas des transformations
rapides qui s'avèrent souvent nécessaires à certains
moments de l'histoire. Elle est essentiellement statique et favorable aux
évolutions lentes19.
Section 3. Les principaux litiges de proximité au
Burundi
Au Burundi, les questions foncières, le mariage et ses
variantes, la criminalité, ainsi que la sorcellerie et les pratiques
occultes sont les principaux litiges qui sont soumis aux acteurs de la
justice de proximité20. D'aucuns pourraient
17 Cette hiérarchie des sources du droit ne vaut que
dans la justice formelle. Comme déjà dit plus haut, les
Bashingantahe et les élus locaux règlent les différends
par l'application de la coutume.
18 Lors de nos entretiens, nous avons voulu savoir
l'état de la coutume successorale. Nous avons remarqué des
disparités entre les différentes régions du pays.
Même dans une même région, toutes les personnes
rencontrées ne connaissaient pas la coutume de la même
manière.
19 C'est ainsi par exemple que la coutume burundaise en
matière successorale bloque l'adoption de la loi sur les successions
tenant compte de l'égalité de l'homme et de la femme.
20 Il résulte de notre enquête que 90 % des litiges
portés devant les acteurs de la justice de proximité
relèvent des matières sus- mentionnées.
s'imaginer le point commun de ces matières pour
être les plus fréquemment traitées par les acteurs de la
justice de proximité. En réalité, à l'exception de
la criminalité, les autres sont des matières où le droit
coutumier a le plus résisté aux conquêtes du droit
écrit. Quant à la criminalité, elle est le résultat
des années de guerre qu'a connues le Burundi.
§ 1. Les conflits fonciers entre voisins
Au Burundi, la question des terres pose de sérieux
problèmes. La terre est un précieux trésor pour une
population aussi rurale que celle du Burundi. Plus de
90 % de la population tirent leur revenu presque exclusivement de
la terre. En outre, même les exportations du pays ne sont
qu'essentiellement agricoles21.
Les conflits fonciers entre voisins sont essentiellement
dûs aux problèmes de délimitation entre les
propriétés contiguës, de servitudes de passage, de
l'appropriation des marrais... Le fait que la plupart des
propriétés rurales ne sont pas enregistrées aggrave la
situation.
Des enquêtes réalisées ont montré
que 80 % des affaires pendantes devant les tribunaux sont des conflits
fonciers22. Impressionnant par leurs volumes dans les juridictions,
ils le sont également par leur impact négatif sur la paix sociale
et le développement économique.
Sur le plan social, les litiges fonciers enveniment les
relations sociales entre les parties au procès par les frustrations
qu'ils engendrent. Cette pollution des relations sociales n'épargne
guère les témoins qui eux aussi participent au procès. En
tout état de cause, les conflits fonciers atteignent aujourd'hui une
telle ampleur qu'il est souvent à l'origine de beaucoup d'assassinats et
règlements de compte sous formes de chasse aux sorciers23.
Sur le plan économique, « time is money » nous
dit un adage anglais. Le temps passé au tribunal est un temps
d'inactivité économique et pour les parties au procès
et pour les témoins. Les lenteurs que manifestent les tribunaux dans
le
21 Le Burundi exporte essentiellement le Café et le
thé.
22 V. les nombreux rapports qui ont été
publiés sur la question : RCN Justice et Démocratie, Etude
sur les problématiques foncières -Essai d'harmonisation,
Bujumbura, décembre 2004 ,99p. ; OAG, Etude sur les conflits sociaux
liés à la gestion des parcelles et des propriétés
foncières dans les localités de Kinyankonge, Nyabugete et
Kamenge, Bujumbura, avril 2005,52p. ; CARE Burundi, Etude du cadre
légal et institutionnel de gestion des terres et autres ressources
naturelles, Ngozi, décembre 2003,50p.
23 Plusieurs cas d'assassinat sont recensés où des
familles sont massacrées en prétendant qu'ils sont des sorciers.
Les cas les plus récents sont ceux des provinces Cibitoke et Ruyigi.
traitement des dossiers, les frais que nécessite la
procédure judiciaire,...sont des facteurs qui concourent à
l'appauvrissement des justiciables et des témoins.24
§ 2. Les problèmes des terres des
rapatriés et des déplacés
Le contexte politique depuis quelques années favorise
le retour de tous les réfugiés et déplacés dans
leurs terroirs. Par là même, le problème foncier qui
était déjà très sensible acquiert un accent
particulier. Les rapatriés trouvent leurs anciennes
propriétés occupées soit par leurs anciens voisins ou
alors par des gens qui affirment les avoir achetées. Un problème
de preuve se pose. L'on trouve par exemple que plusieurs occupants se sont
succédés sur la même propriété et à
des titres divers. Certains d'entre eux sont déjà morts, les
rapatriés se retrouvent sans titres de propriété parce que
les papiers ont été perdus ou brûlés pendant la
guerre, ou alors on trouve des occupants illégaux des terres des
réfugiés qui possèdent des papiers signés par des
autorités administratives,...25 S'agissant des terres des
déplacés, le principal problème est leur vente
illégale et les empiètements faits de mauvaise foi par leurs
voisins26. Aujourd'hui l'administration est confrontée
à une multiplication galopante de litiges fonciers et le système
judiciaire risque d'être débordé.
§ 3. Les conflits de succession
Succéder c'est acquérir les biens du
défunt. La succession est une importante matière en droit
burundais mais qui demeure exclusivement sous l'empire du droit coutumier.
Etant donné l'exiguïté des propriétés
foncières, leur partage successoral est très difficile et la
moindre erreur peut engendrer des procès interminables. C'est
précisément dans cette matière que se vérifie
l'adage kirundi qui dit : « Abasangiye ubusa bitana ibisambo » ; ce
qui signifie littéralement : « Ceux qui ont peu à se
partager s'accusent mutuellement de gourmandise ».
Comme dans d'autres régions où l'organisation
familiale est patriarcale, la coutume burundaise exclue les filles de la
succession de leurs auteurs au profit du privilège de la
masculinité. Seuls les enfants mâles peuvent prétendre
à une part successorale. Généralement, même dans les
cas où il n'y avait aucun mâle successible, les biens devaient
passer aux enfants de la ligne parallèle27.
24 Lors de nos entretiens, on nous affirmé qu'il y a des
familles qui vendent jusqu'à 3 vaches pour poursuivre un
procès.
25 V. à ce sujet spécialement ICG,
Réfugiés et déplacés au Burundi :
désamorcer la bombe foncière, Rapport Afrique N° 70,
Nairobi/Bruxelles, 28p.
26 RCN Justice & Démocratie, op.cit.,
p.84.
27 C. NTAMPAKA, op.cit., p.18.
La pratique est que la fille mariée reçoit une
parcelle appelée « Igiseke » ou « Igisimbo » qu'elle
peut exploiter tout au long de son existence mais qu'elle ne peut ni vendre ni
léguer. Ce qui suscite pas mal de contestations.
Tant il est vrai que le problème de succession des
filles se pose actuellement avec beaucoup d'acuité mais il n'est pas le
seul. De nombreux litiges fonciers pendant devant les tribunaux
résultent des disputes qui opposent des frères pour le partage de
la propriété familiale.
Par ailleurs, la question de l'héritage des enfants
naturels et celle de la succession de la veuve sont aussi controversées.
Dans la plupart des cas, le conseil de famille qui, selon le droit coutumier,
est l'autorité compétente en matière de succession se
trouve souvent dépassé.
En définitive, le problème successoral
nécessite une analyse délicate du moment qu'il touche deux
problèmes extrêmement sensibles dans la société
burundaise : la terre et la famille.
§ 4. Le mariage et ses variantes
Au Burundi, c'est la loi qui réglemente l'institution
du mariage. Au-delà des conditions de fond, les futurs mariés
doivent satisfaire à un certain nombre de conditions de forme
prévues par la loi.
D'une part, le mariage en tant qu'une union libre entre
l'homme et la femme est monogamique. Par conséquent, la polygamie est
prohibée28. D'autre part, même l'union entre un seul
homme et une seule femme ne suffit pas pour constituer un mariage aux yeux de
la loi. Moins encore le versement de la dot ou le consentement des deux
familles respectives. Il faut en plus que l'union ait été
célébrée devant l'officier de l'état civil
compétent territorialement dans les formes et délais
prévus par le Code des personnes et de la famille29.
Néanmoins, dans beaucoup de régions du Burundi,
la réalité est toute autre. Dans les provinces comme Muyinga,
Rutana, Bubanza et Cibitoke, l'on trouve beaucoup d'unions illégales. A
titre illustratif, dans la commune de Giteranyi en province de Muyinga, la
généralisation de la polygamie est telle que les hommes monogames
sont marginalisés30. Dans la province de Bubanza, et
particulièrement après la récolté du riz, les
hommes prennent volontiers de jeunes épouses.
28 Article 366 de la loi no1/06 du 4 avril 1981 portant reforme
du Code pénal burundais in BOB no 6/81, p. 274.
29 Articles 88-119 du Code des personnes et de la famille in BOB
no 6/93, p.228.
30 RCN Justice & Démocratie, op.cit, p.87.
D'aucuns pourraient s'imaginer les conflits familiaux qui
découlent de la polygamie ou de l'entretien d'une concubine. Qu'il
suffise de citer l'inégalité de traitement entre enfants issus
d'un même père mais de mères différentes, les
conflits de succession, dilapidation des biens du foyer légal au profit
de la concubine, querelles entre la femme légale et la concubine,
etc.
En outre, il existe dans certaines régions du pays une
pratique de rapt de jeunes filles. Il s'agit d'une pratique qu'adoptent les
jeunes garçons éconduits. Ils s'organisent en bande et
enlève une jeune fille que l'un d'entre eux aurait choisie. Une fois
à la maison du prétendant, la fille est violée. Dans la
plupart des cas, l'on constate que ni la victime, ni sa famille n'osent porter
plainte. Le viol de la fille étant considéré comme une
souillure qui l'empêche de trouver un autre mari, l'on se contentera
plutôt à négocier la régularisation de l'union par
le versement d'une dot et un dédommagement moral. Le viol
planifié en bande est ainsi converti en un mariage socialement
accepté. Il s'agit d'une légalisation de l'infraction.
Toutefois, il ne faut jamais perdre de vue que ni les unions
libres, ni le simple concubinage ne sont protégés par la loi. Il
en résulte qu'en cas de dislocation d'une telle union ni la femme ni
l'homme ne pourra prétendre à aucun dédommagement devant
le tribunal.
§ 5. La sorcellerie et les pratiques
occultes
La sorcellerie ou la magie, dirait-on, est une
spécialité africaine ou en tout cas c'est en Afrique où on
croit beaucoup aux forces surnaturelles et aux pratiques occultes.
Au Burundi, la sorcellerie et les pratiques occultes peuvent
être trouvées partout dans le pays. Dans beaucoup de
régions, on croit à l'existence effective d'un pouvoir surnaturel
qui confère à celui qui le possède une capacité de
nuisance incontrôlable et qui échappe à toute
démonstration ou à toute description. Nous relatons dans les
lignes qui suivent quelques cas qui font preuve de la diversité des
pratiques occultes et de leur généralisation à travers
tout le pays.
Selon un extrait du rapport de l'ONUB31, de
nombreuses personnes soupçonnées d'être des sorciers sont
lynchées par la population particulièrement dans les provinces de
Muyinga, Karuzi, Cankuzo, Ngozi, Kayanza et Kirundo. Les cas de lynchage
déjà nombreux ont augmenté en raison des perturbations
climatiques. Beaucoup de soi-disant faiseurs de pluie ont été
lynchés.
31 ONUB, Division des droits de l'homme, rapport trimestriel
juillet-septembre 2005, p.3.
Selon les informations diffusées à la radio
Insanganiro en date du 21 avril 2007 à 12 heures 25 minutes, 5 personnes
ont été retrouvées dans leurs maisons
décapitées parce que soupçonnées de sorcellerie.
Tout de même, ces personnes étaient des réfugiés
récemment rapatriés de la Tanzanie.
Quel que soit le lieu où la sorcellerie et l'occultisme
se pratiquent, le grand défi qu'ils soulèvent est leur
répression. D'une part, sur le plan pénal, le principe de la
légalité des peines et des infractions assure une impunité
totale aux sorciers. En effet, les actes de sorcellerie ne constituent pas une
infraction pénale aux yeux de la loi. Certaines autorités
administratives et judiciaires pourraient emprisonner les
présumés sorciers pour trouble à l'ordre public, d'autres
les emprisonneraient pour les protéger contre la vindicte populaire.
D'autre part, le problème que soulève la
répression de la sorcellerie est celui de la preuve de l'infraction
étant donné que la sorcellerie échappe à toute
démonstration. Il devient dès lors difficile de prouver la
culpabilité du présumé sorcier.
Il résulte de ce légalisme une
incompréhension totale entre les autorités administratives et
judiciaires d'une part et la population d'autre part. Aux yeux de la population
en général et des supposées victimes en particulier, ne
pas sanctionner de manière exemplaire les présumés
sorciers est une complicité des pouvoirs publics. La culpabilité
des sorciers est évidente selon la population : il s'agit de cette
réputation de sorcellerie et des pratiques divinatoires.
Ainsi, le lynchage des présumés sorciers est une
alternative à la justice. Faute d'obtenir la justice des tribunaux, la
population fait recourt à la justice privée. Les auteurs des
lynchages bénéficient souvent du soutien et de la protection de
la population et ainsi l'impunité perdure.
Toutefois, l'on constate actuellement que dans certaines
régions, les accusations de sorcellerie suivies de lynchage, cacheraient
souvent des conflits fonciers et des règlements de compte entre voisins
ou familles en conflits en milieu rural.
Bref, les litiges de proximité sont assez nombreux et
variés. Ils impliquent par conséquent, pour leur
résolution, l'intervention de différents acteurs de la justice de
proximité.
CHAPITRE II. LES ACTEURS DE LA JUSTICE DE PROXIMITE
AU BURUNDI
Au Burundi, il n'y a pas de texte juridique instituant la
justice de proximité en tant que telle. Dans le passé, la loi
n°1/004 du 14 janvier 1987 portant réforme du Code de
l'organisation et de la compétence judiciaires avait institué le
Conseil des notables bashingantahe comme une instance juridictionnelle
en matière civile. Actuellement, la loi n°1/08 du 17 mars 2005
portant Code de l'organisation et de la compétence judiciaires qui l'a
remplacée ne contient pas un article similaire. Le seul texte qui y fait
expressément allusion est la Loi communale en son article 37.
En pratique, plusieurs acteurs interviennent dans la justice
de proximité. Ces acteurs peuvent être classés dans deux
principales catégories : les acteurs étatiques et les acteurs non
étatiques.32
Section 1ère. Les acteurs étatiques
La catégorie des acteurs étatiques comprend les
juges des tribunaux de résidence, les autorités administratives
à la base et les officiers de la police judicaire.
§1. Les juges des tribunaux de
résidence
D'après la loi n°1/08 du 17 mars 2005 portant Code
de l'organisation et de la compétence judiciaires, les tribunaux de
résidence sont les institutions judiciaires les plus proches de la
population. A ce titre, ils figurent parmi les acteurs de la justice de
proximité les plus importants.
Les tribunaux de résidence possèdent une
compétence en matière civile et en matière pénale.
Toutefois, le Code d'organisation et de la compétence judiciaires du 17
mars 2005 a apporté une innovation. Il s'agit de la distinction entre
l'institution d'un juge unique et les juges siégeant en formation
collégiale. Cela étant, le siège en collège demeure
la règle et le siège à juge unique l'exception. Les cas
où un juge unique assisté d'un greffier peut siéger sont
limitativement énumérés par la loi.
32 Dans certaines provinces comme Cibitoke, Bubanza
et Bujumbura rural, les membres du mouvement FNL Palipehutu s'improvisent
parfois dans le règlement des différends. Nous n'allons pas
retenir cette catégorie d'acteurs qui travaillent dans
l'illégalité et la clandestinité. De même, les cas
des positons militaires et des chefs de poste qui interviennent dans le
règlement des différends ne seront pas retenus.
En matière civile, il s'agit des contestations ou
demandes dont le montant ne dépasse pas 300.000 francs burundais, des
matières gracieuses et des litiges découlant de
l'exécution des jugements qu'ils ont rendus.33 En
matière pénale, il s'agit des contraventions ou des infractions
au code de la route sauf si, compte tenu de la complexité des faits, le
président du tribunal, d'office ou à la demande de l'une des
parties au procès, décide de renvoyer l'affaire devant une
formation collégiale. Le président statue par ordonnance non
susceptible de recours.34
L'institution du juge unique n'est pas bien reçue par
le justiciable. L'on craint, en effet, qu'un jugement soit mal rendu par un
juge unique selon l'adage « un juge unique est un juge inique ». Il
pourrait avoir un parti pris et n'avoir personne pour le contredire.
A côté des innovations du Code de mars 2005, les
tribunaux de résidence sont compétents en matière civile
pour connaître :
a. des contestations entre personnes privées dont la
valeur du litige n'excède pas 1.000.000 de francs burundais ;
b. des actions relatives aux propriétés
foncières non enregistrées ;
c. des actions relatives à la liquidation des successions
sous réserve des dispositions du litera a ;
d. des questions relatives au droit des personnes et de la
famille dont la connaissance n'est pas attribuée à une autre
juridiction ;
e. des actions relatives à l'expulsion du locataire
défaillant et de tous ceux qui occupent les lieux sans titre ni
droit.
Toutefois, le tribunal n'est pas compétent si l'action en
déguerpissement est relative à un bail
commercial35.
En matière pénale, les tribunaux de
résidence connaissent des infractions punissables au maximum de 2 ans de
servitude pénale indépendamment du montant de l'amende. Ils
statuent par un seul et même jugement sur les intérêts
civils quel que soit le montant des dommages et intérêts à
allouer d'office ou après constitution de la partie
civile.36
33 Article 13 du Code de l'organisation et de la
compétence judiciaires in BOB no 3 quater/2005, p.21.
34 Article 9 du COCJ, précité, p.20.
35 Article 12 du COCJ, précité, p.20.
36 Article 4 du COCJ, précité, p.19.
§ 2. Les autorités administratives à
la base
1. Qui sont les autorités administratives à
la base?
Le terme d'autorité administrative peut prêter
à confusion et une autorité administrative doit être
différenciée d'une autorité politique. Dans la conduite
des affaires de l'Etat, il est très difficile d'établir les
frontières nettes entre la sphère politique et la sphère
administrative. Certains auteurs37 essayent de se
référer à la fonction de « gouverner » qui
serait dévolue aux autorités politiques par opposition à
celle d' « administrer » qui serait la tâche des
autorités administratives.
Ainsi, la fonction de gouverner consisterait à prendre
des décisions de principe et à orienter la politique
générale de l'Etat. Elle est exercée par les organes
supérieurs de l'Etat tel que le Président de la
République, les vice-présidents, le gouvernement, le parlement,
etc. La fonction d'administrer quant à elle, consisterait dans la mise
en oeuvre, dans l'exécution quotidienne des décisions de principe
prises par les autorités politiques et leur adaptation aux cas
particuliers.
Cela étant, nous allons parler des autorités
administratives au niveau communal comme acteurs de justice de
proximité. La loi n°1/010 du 18 mars portant promulgation de la
Constitution du Burundi nous définit la commune comme une entité
administrative décentralisée38. Elle est
administrée par le conseil communal et l'administrateur communal. La
commune est subdivisée en zones et en collines de recensement ou en
zones et en quartiers selon qu'elle est urbaine ou rurale. La zone est une
circonscription administrative déconcentrée de la commune,
intermédiaire entre celle-ci et la colline de recensement ou le
quartier39. Elle est administrée par un chef de zone. Quant
à la colline ou quartier, ils constituent les cellules de base de
l'administration territoriale. Ils sont administrés par un conseil de
colline et un chef de colline ou de quartier selon les cas.
A l'exception du chef de zone qui figure parmi le personnel de
la commune et qui est nommé par le conseil communal40, le
chef de colline ou de quartier et l'administrateur communal sont élus au
suffrage universel.
37 Z. NTAMBWIRIZA, Cours de Droit administratif, U.B.,
Fac. de Droit, 1ère licence, 1997- 1998, p.86.
38 Article 263 de la Constitution de la République du
Burundi, précité.
39 Article 4 de la Loi n° 1/016 du 20 avril 2005 portant
organisation de l'administration communale in BOB n°4 bis/2005,
pp.1-13.
40 Article 46 de la Loi communale, précitée.
2. Les compétences des autorités
administratives à la base
Nous allons passer en revue les compétences juridiques,
successivement de l'administrateur communal, du chef de zone et du chef de
colline.
A. L'administrateur communal
La commune est administrée par un conseil communal.
Celui-ci, au cours de sa première réunion, élit en son
sein le président du conseil communal et l'administrateur
communal41.
Représentant de l'Etat dans sa commune,
l'administrateur communal est chargé de l'application des lois et
règlements. Il exerce, dans les limites territoriales de son ressort, un
pouvoir général de police. A ce titre et en vue du maintien de
l'ordre et de la sécurité publics, il peut prendre toute mesure
de police qu'il juge nécessaire. C'est ainsi qu'il peut instaurer un
couvre-feu dans sa commune, contrôler l'exactitude des prix
institué par l'Etat et prendre des mesures de lutte contre la
délinquance42.
Toutefois, la loi n°1/06 du 20 avril 2005 portant
organisation de l'administration communale se démarque nettement du
décret-loi n°1/011 du 8 avril 1989 portant réorganisation de
l'administration communale quant au pouvoir de police de l'administrateur
communal. En effet, ce dernier en son article 20 stipulait que l'administrateur
communal pouvait emprisonner une personne pendant une période maximale
de 7 jours. Actuellement, la loi portant organisation de la loi communale
n'accorde pas de tels pouvoirs à l'administrateur communal. Il doit
dès lors se comporter en bon citoyen. Il pourra remettre les auteurs des
infractions dont il prend connaissance, de quelque manière que se soit
à un officier de police judiciaire ou à un officier du
ministère public chargé de l'enquête et de l'instruction
des dossiers pénaux.
Par contre, le Code de procédure civile semble
attribuer à l'administrateur communal un rôle d'huissier de
justice. En effet, l'article 40 de ce Code stipule que la notification des
actes judiciaires aux intéressés peut se faire par
l'administrateur ou le chef de zone. Par ailleurs, l'article 43 du même
Code enjoint l'administrateur à faire une notification à domicile
d'un exploit de justice au destinataire qui refuse de recevoir la copie.
L'administrateur est tenu de le faire le plus tôt. Sa négligence
lui vaudrait des dommages et intérêts au destinataire qui serait
lésé suite à sa négligence.
41 Article 11 de la Loi communale. L'article 28 de la même
loi prévoit que pour les prochaines élections, l'administrateur
sera élu au suffrage universel direct.
42 RCN-Justice &Démocratie, Guteza imbere
ubutungane ku nzego zegereye abanyagihugu, Bujumbura, p.4.
En définitive, l'administrateur communal n'a aucune
compétence judiciaire, ni sur le plan pénal ni sur le plan civil.
Il ne peut donc s'établir en juge mais doit plutôt orienter les
justiciables vers les tribunaux et les officiers de police judiciaire. Par
ailleurs, comme tout bon citoyen, il peut aider des personnes en conflits
à régler leurs différends par la conciliation.
B. Le chef de zone
Parmi les autorités administratives de base, les chefs
de zones ont cette particularité qu'ils sont nommés et non
élus. Le chef de zone figure parmi le personnel communal et il est le
représentant de l'administrateur communal dans sa circonscription. Ce
dernier lui délègue une partie de ses compétences dans
l'intérêt d'une bonne administration. C'est une autorité
administrative déconcentrée.
Comme l'administrateur communal ou le chef de colline ou de
quartier, le chef de zone ne dispose d'aucune compétence pour
connaître des dossiers pénaux ou civils. Il a la latitude de jouer
la médiation, l'arbitrage ou la médiation lorsqu'il est
sollicité par les parties au conflit. En outre, le code de
procédure civil lui confie, au même titre que l'administrateur
communal, le rôle de faire parvenir à certains justiciables de sa
circonscription, les citations judiciaires.
C. Le chef de colline ou de quartier
Selon l'article 35 de la Loi communale, la colline ou le
quartier sont administrés par un conseil de colline ou de quartier
composé de 5 membres élus au suffrage universel direct pour un
mandat de 5 ans. Le conseiller qui a obtenu le plus grand nombre de voix
devient chef de colline ou de quartier.
En tant qu'animateur de la paix sociale dans sa
circonscription, le chef de colline supervise la médiation, la
conciliation et l'arbitrage des personnes en litiges qui recourent librement
aux Bashingantahe ou à lui. Il ne peut ni instruire une affaire
pénale ou la juger, ni juger des litiges civils. Il n'a aucune
compétence judiciaire. Toutefois, comme tout autre citoyen
honnête, le chef de colline ou de quartier peut arrêter tout
délinquant attrapé en flagrant délit et le conduire
à l'O.P.J. ou à l'officier du ministère public le plus
proche.
§3. Les officiers de la police
judiciaire
ministère public43. Les officiers de police
judiciaire constatent les infractions qu'ils ont mission de rechercher. Ils
reçoivent les dénonciations, les plaintes et les rapports
relatifs à ces infractions et dressent un procès-verbal y
relatif.
Les officiers de police judiciaire peuvent procéder
à des saisies des objets sur lesquels pourrait porter la confiscation
prévue par la loi et de tous autres objets qui pourraient servir
à conviction ou à décharge44. Ils peuvent
également, lorsque l'infraction est punissable d'un an de servitude
pénale au moins au moins ou lorsqu'il existe des raisons
sérieuses de craindre la fuite de l'auteur présumé de
l'infraction, se saisir de sa personne après avoir interpellé
l'intéressé et de le conduire immédiatement devant
l'autorité judiciaire compétente.
Globalement, les officiers de police judiciaire ont une
compétence générale pour toutes les infractions
pénales. Leur compétence territoriale se confond avec celle de
parquet du même ressort. Ils peuvent accomplir tous les actes de la
police judiciaire tel que la convocation, la rétention, la saisie, la
conservation des preuves, la perquisition, la garde à vue, la
transaction des amendes, etc. Par ailleurs, ils peuvent, sur
délégation du ministère public, effectuer des
enquêtes ou représenter le ministère public devant les
tribunaux de résidence45.
Malgré cette nette distinction des compétences
de la police de sécurité intérieure d'une part et de la
police judiciaire d'autre part, le citoyen ne sait pas toujours exactement
à quel corps s'adresser lorsqu'il est victime d'une infraction. Par
ailleurs, il se remarque des conflits de compétence entre ces deux corps
de police. Il n'est pas rare d'entendre que la police de sécurité
intérieure, après avoir procédé à une
arrestation, déclare être entrain de mener une enquête,
tâche qui est dévolue normalement à la police
judiciaire.
Section 2 Les acteurs non étatiques
La catégorie des acteurs non étatiques comprend les
Bashingantahe, les associations de la société civile et
le conseil de famille.
43 Loi no 1/023, précitée, article 27.
44 Article 5 de la Loi n° 1/015 du 20 juillet 1999 portant
réforme du Code de procédure
pénale in BOB n°1/2000, pp.1-54.
45 Article 146 du Code de procédure pénale,
précité.
§1. Les Bashingantahe
1. Notion de « mushingantahe »
A. Etymologie du terme
Le terme « abashingantahe » est le pluriel de
« umushingantahe » qui vient luimême de l'association du verbe
« Gushinga » (planter, fixer solidement ou établir) et du
substantif « intahe » qui veut dire « baguette de la sagesse
». Dans le contexte d'umushingantahe, le substantif « intahe »
est utilisé dans un sens symbolique. Ce sens peut être
exprimé par le terme « ingingo » qui se traduit
littéralement « équité » ou « justice
». Dès lors, « umushingantahe » veut dire un homme de
justice et d'équité. C'est ici le sens traditionnel du terme. Un
autre concept qui véhicule le mot « umushingantahe » est celui
de « ubushingantahe » qui peut être entendu comme une valeur
incarnée par des hommes intègres et sages.
Selon Juvénal NGORWANUBUSA46, le
mushingantahe est cet homme complet, de préférence
âgé et chevronné en matières traditionnelles, qui
tient lieu de garde-fou de la société burundaise, tranchant
toutes les palabres sans état d'âme et faiblesse, plus en
conciliateur qu'en justicier.
B. Les conditions pour devenir mushingantahe
Tout le monde ne peut pas être mushingantahe. A
côté des conditions de fond, l'individu doit également
observer et respecter certaines formalités relatives notamment à
l'investiture. L'énumération exhaustive des conditions de fonds
serait difficile, mais il s'agissait principalement de :
- la maturité humaine (ugutandukana n'ubwana)
;
- le sens de la vérité (ukuba imvugakuri)
;
- l'intelligence lucide (ubwenge butazindwa) ;
- le sens de l'honneur et de la dignité (ukugira iteka
mu bandi) ;
- l'amour du travail et la capacité de subvenir à
ses besoins (ubwira mukwimara ubukene) ;
- le sens de la justice (ukuba intungane) ;
- le sens de la responsabilité sociale47.
S'agissant des conditions de forme, nul ne peut devenir
mushingantahe s'il n'est pas investi conformément à la
coutume. La procédure commence par une
46J. NGORWANUBUSA, cité par
RCN-Justice&Démocratie, op.cit., p.33.
47 A. NTABONA, « Les fondements anthropologiques de
l'institution d'ubushingantahe dans la tradition » in Les valeurs
traditionnelles et le développement, p.8.
formation soignée et une longue période
d'approbation avec différentes étapes. Tout cela a pour objectif
d'influencer la personne au niveau de son devenir. Dans la suite, la
candidature est reconnue par le conseil des bashingantahe qui choisit un
parrain pour le postulant. C'est le même conseil, mais au niveau de la
colline ou, qui délibère sur la candidature.
Lors de l'investiture, le leader moral du collège local
des bashingantahe déjà investis commence par présenter le
candidat à la population et rappelle les devoirs d'umushingantahe.
Après que la population présente se prononce sur
le candidat, celui-ci prête serment d'observer les devoirs d'un
mushingantahe et reçoit la baguette de la sagesse « intahe
». Il la frappe par terre pour invoquer la sagesse de ses
ancêtres qui ont été enterrés. Il devient
mushingantahe.
De tout ce qui précède, il ressort que le
mushingantahe est investi d'une responsabilité sociale suite à un
contrat passé entre lui et la société.
2. Les techniques et les procédures judiciaires
des Bashingantahe
Le fonctionnement de l'institution des bashingantahe sur le
plan judiciaire repose sur 3 techniques à savoir : la médiation,
la conciliation et l'arbitrage. Ces techniques sont actuellement
valorisées dans la résolution pacifique des conflits.
A. La médiation
La médiation est un processus, le plus souvent formel,
par lequel un tiers neutre tente, à travers l'organisation
d'échanges entre les parties, de permettre à cellesci de
confronter leurs points de vue et de rechercher avec son aide une solution au
conflit qui les oppose48. Cette pratique était et reste
encore utilisée au Burundi. En effet, en cas de litige entre 2
personnes, on envoie un mushingantahe auprès d'elles pour obtenir
entente et réparation. En cas d'échec, on renvoie l'affaire aux
notables.
48 J. P. BONAFE SCHMIDT, La médiation : une justice
douce, Paris, Syros-Alternatives, 1992, p.16.
B. La conciliation
C'est un mode de règlement des différends
grâce auquel les parties en présence s'entendent directement pour
mettre fin à leur litige, au besoin à l'aide d'un
tiers49.
Par de multiples et sages conseils « Guhanura
», les « bashingantahe » essayent d'amener les parties en
conflits à un règlement amiable. Dans cette technique, c'est le
pardon et la réconciliation qui sont privilégiés au lieu
de l'octroi des dommages et intérêts. Généralement,
lorsque les deux parties étaient conciliées, les «
bashingantahe » les invitaient à partager un pot de vin de
bananes.
C. L'arbitrage.
En cas d'échec de la médiation et de la
conciliation, on recourait à l'arbitrage. Celui-ci est une technique
bien différente des deux précédentes. Ici, les «
bashingantahe » sont considérés comme de véritables
juges et leurs décisions sont exécutoires à l'égard
des parties. Des peines sont appliquées sous diverses formes : amendes,
exclusion, etc. Dans tous les cas, il ne faut pas perdre de vue que l'esprit
qui présidait aux activités des « bashingantahe »
était la sauvegarde de la cohésion sociale.
S'agissant de la procédure, il faut dire qu'une fois
saisi, le conseil des bashingantahe se doit de statuer sur l'affaire et de
veiller à l'exécution du jugement rendu. La procédure est
accusatoire, contradictoire et publique.
3. La compétence actuelle des Bashingantahe dans
la résolution des conflits
La loi n°1/004 du 14 janvier 1987 portant réforme
du Code de l'organisation et de la compétence judiciaires mentionnait
des compétences non moins importantes des « bashingantahe ».
Selon l'article 209, le recours au conseil des « bashingantahe » au
niveau de la colline de recensement était obligatoire avant de saisir le
juge judiciaire. Les parties au conflit devaient en premier lieu porter leur
affaire devant les « bashingantahe » qui analysaient le litige. S'ils
ne parvenaient pas à le régler, ils devaient remettre aux deux
parties un procès- verbal de conciliation qui pouvaient cette fois aller
devant le tribunal de résidence.
Par contre, la loi n°1/08 du 17 mars 2005 portant Code de
l'organisation et de la compétence judiciaires réduit
considérablement le rôle de l'institution des « bashingantahe
». Selon cette loi, les parties à un conflits ne sont plus
obligés de porter leur affaire devant le conseil des «
bashingantahe » avant de saisir le tribunal de résidence tout
comme, une fois devant le juge, elles ne sont pas tenues de présenter le
procès verbal de conciliation. Toutefois, l'article 78 stipule qu'en
matière de propriétés foncières non
enregistrées situées en milieu rural, l'exécution des
jugements est assurée par les juges des tribunaux de résidence
assistés d'un greffier avec le concours des notables
bashingantahe.
La loi n°1/016 du 20 avril 2005 portant organisation de
l'administration communale fait, elle aussi, mention de l'institution des
bashingantahe. Elle stipule en son article 37 que « sous la
supervision du chef de colline ou de quartier, le conseil de colline ou de
quartier a pour mission d'assurer sur la colline ou au sein du quartier, avec
les bashingantahe de l'entité, l'arbitrage, la conciliation, la
médiation Ainsi que le règlement des conflits du voisinage
».
Il n'empêche que malgré l'absence d'un cadre
juridique bien défini, l'institution des « bashingantahe » est
un organe très actif dans le règlement des litiges de
proximité.
§2. Les associations de la société
civile
Les organisations de la société civile qui
interviennent dans le secteur de la justice ont comme rôle l'orientation
des justiciables, la sensibilisation, l'assistance judiciaire, la formation des
acteurs de la justice, la dénonciation des violations du droit, etc.
Nous nous limiterons ici aux principaux intervenants à
savoir les ONG à travers les cliniques juridiques, les ligues des droits
de l'homme, les médias et les confessions religieuses50.
1. Les Cliniques Juridiques
La crise qu'a connue le pays depuis 1993 a créé
de nombreux nouveaux problèmes. Les conflits locaux liés à
la conjoncture dépassent aussitôt les capacités du conseil
des notables. C'est ainsi que les Organisations Non Gouvernementales
internationales et d'autres associations sans but lucratif ont mis en place des
« Cliniques Juridiques » qui offrent des services gratuits
d'écoute, d'orientation et de médiation aux personnes
défavorisées.
50 Lors de notre enquête, nous avons
identifié d'autres associations locales qui oeuvrent dans le secteur de
la justice. Cependant, leur champ d'intervention se trouve limité par le
manque de moyens matériels et financiers.
Certaines ont des avocats-conseils. La plupart travaillent
avec des « para - juristes », choisis par la communauté locale
parmi les résidents. Ils sont périodiquement formés sur
les lois usuelles au Burundi : le Code Foncier, le Code de Procédure
Pénale, le Code des Personnes et de la Famille et le Code de
l'Organisation et de la Compétence Judiciaires.
Ces Organisations Non Gouvernementales et Associations
assurent un suivi et une assistance réguliers de ces para-juristes dans
leur rôle de médiateurs locaux. Bon nombre de parties en conflit
se tournent vers le mécanisme des « cliniques juridiques »
pour trouver des voies de sortie à leurs problèmes, surtout
fonciers et familiaux.51
Ces cliniques visent à promouvoir, au niveau local,
surtout en milieu rural, des mécanismes extrajudiciaires de
résolution des conflits qui soient accessibles aux démunis. Les
cas sont traités à l'amiable soit par les animateurs de ces
« Cliniques», soit par les « para-juristes » formés
et assistés par les associations et Organisations Non Gouvernementales
initiatrices du système.
Lorsque l'arrangement ne peut être atteint, le cas est
orienté devant les juridictions compétentes. Il a
été constaté que bon nombre de gens surtout les parties en
litiges confondent les Cliniques Juridiques à un organe judiciaire ou
une commission étatique dépêchée dans le pays
surtout pour résoudre les conflits de terre. Il serait souhaitable
dès le départ que les animateurs ou parajuristes clarifient leur
rôle et le cadre de travail pour que les justiciables ne soient pas
déroutés.
2. Les ligues des droits de l'homme
Au Burundi, différentes ligues des droits de l'Homme
existent. Mais l'une des associations de défense des droits de l'homme
les plus actives dans la résolution des conflits de proximité au
Burundi est la ligue ITEKA. Actuellement, les activités de la ligue ne
se limitent plus à exprimer ses objections sur la violation des droits
de l'homme. Mais elles englobent également des actions concrètes
de promotion et de protection des droits de l'homme et des libertés.
Parmi ces actions concrètes, la ligue ITEKA a entamé la
réalisation d'un projet d'écoute, de conseils et d'orientation
des victimes des violations des droits de l'homme.
Au cours de l'année 2006, les bureaux chargés
d'écoute et d'orientation des victimes des violations des droits de
l'homme ont reçu 5293 cas. Parmi ces cas,
51 Dans les provinces de Ngozi, Kirundo et Muyinga 56% des
personnes interrogées nous ont affirmé avoir été
consulté les avocats ou les juristes de l'ONG « Avocat sans
frontières » et de l' « Association des femmes juristes
».
plus de 1997 se rapportaient aux conflits fonciers, plus de
337 cas concernaient la torture et les mauvais traitements, 618 étaient
des plaintes relatives à la lenteur des jugements, 483 concernaient les
détentions arbitraires et plus de 324 étaient des victimes des
viols et violences sexuelles. D'autres cas étaient en rapport avec le
divorce et l'abandon des femmes52.
La ligue ITEKA n'est pas une instance judiciaire. Loin s'en
faut. Elle joue plutôt un rôle d'informateur, de médiateur
et en cas de besoin, elle oriente les parties au conflit vers le juge, les
corps de police, les responsables administratifs, les Bashingantahe ou
même vers le conseil de famille. Les bureaux d'écoute de la ligue
ITEKA sont présents dans presque toutes les provinces du Burundi.
3. Les médias
De nos jours, les médias sont devenus des acteurs
incontournables dans la promotion des droits de l'Homme au Burundi. Qu'elle
soit écrite ou audiovisuelle, la presse médiatique joue un
rôle très important comme acteur de justice de
proximité.
En effet, les médias jouent un rôle
considérable d'informateur juridique. Avec les émissions de
droit, les lumières juridiques se répandent. Des émissions
radiophoniques tel que « NTUNGANIRIZA », « ICIBARE CACU »
de la Radio ISANGANIRO, « IKIGANIRO C'UBUTUNGANE » de la Radio
Télévision Nationale, des bulletins d'information des
organisations de la société civile, sont des instruments
d'information juridique très efficaces53.
4. Les confessions religieuses
Aujourd'hui, les confessions religieuses se sont investies
dans la promotion des droits de l'homme. Plus particulièrement dans
l'Eglise Catholique Romaine, chaque diocèse est dotée d'une
commission « Justice et Paix ». Celle-ci a comme objectif principal
la sensibilisation et la promotion des droits de l'homme dans le diocèse
concerné.
Les commissions « Justice et Paix » sont actives
aussi dans la promotion de la résolution pacifique des conflits.
Elles ont cet atout d'avoir des structures qui sont très proches de
la population du moment que même au niveau de chaque
52 Ligue ITEKA, Rapport du projet « Ecoute, orientation et
médiation des victimes des violations des droits de l'homme »,
Bujumbura, le 7 janvier 2007.
53 Nous avons nous- même été consultant pour
l'émission ntunganiriza de la radio Isanganiro. A l'occasion de chaque
émission, des auditeurs posaient des questions ou exposaient leurs
problèmes pour demander conseils.
paroisse, il se trouve une commission paroissiale « Justice
et Paix ». Ces dernières sont donc à juste titre des acteurs
de justice de proximité.
Selon le rapport trimestriel54 de la commission
« Justice et Paix » du diocèse catholique de Bujumbura dans le
projet d'Identification des Terres à Problèmes (ITAP), beaucoup
de problèmes fonciers ont été résolus par des
médiateurs basés dans les paroisses. En effet, le projet couvre 5
paroisses et dans chacune de ces paroisses, des médiateurs ont
été formés pour aider les parties aux conflits fonciers
impliquant des rapatriés de les résoudre pacifiquement.
En guise d'illustration et toujours selon le même
rapport, dans la seule paroisse de Magara, commune Bugarama en province de
Bujumbura rural, 78 cas de conflits fonciers impliquant des rapatriés
ont déjà été écoutés et parmi eux, 33
ont été déjà résolus depuis le mois
d'octobre 2006 jusqu'à mars 2007. La population de cette paroisse
s'intéresse beaucoup à ces médiateurs parce qu'ainsi, elle
échappe aux longues procédures judiciaires et aux frais y
relatives.
§3. Le Conseil de Famille
Le Conseil de Famille est une institution créée
au sein de la famille pour veiller à la sauvegarde des
intérêts de chacun de ses membres dans les cas prévus par
la loi.
Il est composé des père et mère de
l'intéressé, de ses frères et soeurs majeurs, d'au moins
deux de ses parents choisis soit dans la lignée maternelle suivant
l'ordre de proximité, d'au moins deux personnes connues pour leur esprit
d'équité.55
Si le Code de l'Organisation et de la Compétence
Judiciaires ne fait nulle part allusion au Conseil de Famille parmi les
institutions judiciaires, le Code des Personnes et de la Famille lui
réserve par contre une place importante dans certaines matières,
plus particulièrement en ce qui concerne la procédure en divorce
ainsi que l'administration de la tutelle des mineurs ou de l'interdit.
54 Commission Diocésaine « Justice et Paix »
(CDJP) ; Bujumbura, Rapport trimestriel du projet ITAP (
janvier-février-mars).
55 L'institution du conseil de famille est prévue par
les articles 371 et suivants du Décret-loi
n° 1/024 du 28 avril 1993 portant réforme du Code des
Personnes et de la Famille in BOB no 6/93.
En matière de divorce, l'époux demandeur doit
provoquer une réunion de conciliation groupant les époux et leurs
Conseils de Familles respectifs avant d'introduire l'action en divorce. En ce
qui concerne la tutelle, le Conseil de Famille est investi d'une mission
générale de surveillance et de contrôle quant à
l'exercice et l'administration de la tutelle. Lorsque le tuteur se soustrait
à la surveillance et au contrôle du Conseil de Famille, celui-ci
est tenu de lui adresser, sans retard et par écrit, les remarques
nécessaires. Si le tuteur demeure fautif, le Conseil de Famille met fin
à ses fonctions et pourvoit à son remplacement.
L'institution du conseil de famille est fort connue de la
population. Toutes les personnes interrogées reconnaissent que le
conseil de famille joue un grand rôle dans la résolution des
litiges de proximité particulièrement ceux impliquant la famille
restreinte.
Le conseil de famille présente également
l'avantage de ne pas entrer en conflit de compétence avec les autres
acteurs de la justice de proximité comme on va le voir dans le chapitre
suivant.
CHAPITRE III. LES CONFLITS DE COMPENTENCES ENTRE LES
ACTEURS DE JUSTICE DE PROXIMITE
Dans l'ensemble du pays et particulièrement en milieu
rural, les justiciables s'adressent successivement ou en même temps
à plusieurs acteurs de la justice de proximité.56 Dans
leur entendement, tout notable, toute personnalité officielle ou
importante « umutegetsi »ou « umukuru » est habilité
à rendre justice57.
De surcroît, ils ont tendance à saisir plusieurs
acteurs dans l'espoir d'obtenir une solution rapide58.
Dès lors, les parties au conflit sollicitent les
Bashingantahe, les élus collinaires, l'administrateur communal, le
tribunal de résidence ou recourent aux associations de la
société civile intervenant en matière de justice.
Cette situation désoriente les justiciables,
pérennise les litiges et fait naître des conflits de
compétence sur fond de lutte de pouvoir entre les différentes
autorités consultées59.
Ainsi l'identification des causes ou origines des conflits de
compétence s'avère nécessaire (section 1ère) avant
de présenter la typologie des conflits de compétence entre les
différents acteurs de la justice de proximité (section 2).
Section 1ère . Les origines des
conflits de compétence entre les acteurs de justice de
proximité
Les conflits de compétence entre les acteurs de justice
de proximité trouvent origine dans diverses causes. Le constat
général est que la population rurale vit dans l'ignorance de la
loi, qui elle-même suscite des problèmes d'interprétation
et juxtapose parfois des structures relevant de philosophies
différentes.
56 RCN Justice et Démocratie, op.cit., p.67.
57 Cela est d'autant plus vrai qu'au cours des entretiens,
certaines personnes restaient à croire que nous même, pouvions
régler leurs problèmes malgré les précisions
données sur notre identité et le but de notre entretien.
58 RCN Justice et Démocratie, compte rendu des
enquêtes sur la promotion de la justice auprès des
autorités de base, Ngozi, Kirundo et Muyinga du 5 au 22 avril 2004.
59 RCN Justice et Démocratie, idem, p.68.
§1. L'ignorance de la loi
La population burundaise est, dans sa grande majorité,
rurale et analphabète. Les chiffres récents indiquent que plus de
62% de la population est analphabète.60 Avec un tel niveau
d'alphabétisation, la population reste dans l'ignorance de la loi du
moment que les textes de loi sont promulgués en français. Ainsi,
la population rurale croit que toute autorité (umutegetsi), qu'elle soit
traditionnelle, administrative ou judiciaire, a des compétences
judiciaires.
En outre, il y a des acteurs de justice de proximité
qui, eux-mêmes, ne sont pas formés en matière juridique. Il
s'agit des administrateurs communaux, des bashingantahe et des élus
collinaires. En effet, il se révèle que le niveau intellectuel de
la plupart des administrateurs communaux est très faible. Parmi eux,
très peu ont le niveau licence et beaucoup ont le diplôme D4, A3
ou A2. Ainsi, ils ont du mal à appliquer une loi communale qu'ils ne
maîtrisent pas.
§2. La problématique de la mise en
application de l'article 37 de la Loicommunale
Cette disposition en apparence claire n'a pas néanmoins
manqué de poser sur terrain des difficultés d'application
aboutissant par endroits à un conflit ouvert entre les élus
collinaires et les Bashingantahe traditionnellement investis. C'est que
justement le problème se pose en termes de collaboration ou en d'autres
termes les types de relations qui doivent exister entre les deux
structures61.
Cette disposition, rappelons - le, dispose comme suit :
« Sous la supervision du chef de colline ou de quartier,
le conseil de colline ou de quartier a pour mission : ...
2° D'assurer, sur la colline ou au sein du quartier,
avec les Bashingantahe de l'entité, l'arbitrage, la médiation, la
conciliation ainsi que le règlement des conflits de voisinage
».
Tel qu'elle est libellée, cette disposition suscite
plusieurs interprétations de nature à paralyser le fonctionnement
régulier de la Justice à la base.
Ainsi par exemple une certaine opinion avance, partant du
groupe de mots «Sous la supervision du chef de colline ... », que
toutes les activités décrites par
60 Information publiée par le centre national
d'alphabétisation à l'occasion de la journée mondiale de
l'alphabétisation, V. hppt://
www.abp.info.bi htm.
61 OAG,Analyse critique du fonctionnement de la justice de
proximité au Burundi ,Bujumbura ,mars 2007, p.44,hppt://
www.oag.bi/IMG/pdf/Analyse-justicedeproximite-pdf.
cette disposition (arbitrage, médiation, conciliation)
doivent se faire en présence du chef de colline ou de quartier.
Bien plus, comme il est dit que le conseil de colline ou de
quartier accomplit ces activités « avec les Bashingantahe de
l'entité », certains pensent que, ni les élus locaux, ni les
Bashingantahe, ne peuvent siéger seuls, que les deux catégories
doivent être représentées.
D'autres donnent un rôle facultatif aux Bashingantahe au
motif que l'article 37 décrit les attributions du conseil de colline ou
de quartier et n'évoquerait les Bashingantahe que de façon
incidente au point 2 et en apposition.
Ils en concluent que les élus locaux sont les plus
concernés par ces missions et peuvent donc siéger seuls ; ce qui
n'est pas permis aux Bashingantahe.
Il y en a d'autres qui partent de ce que ces missions
concernent essentiellement les élus pour conclure que « l'esprit de
l'article 37,2° est d'obliger les élus collinaires saisis pour
l'arbitrage, la médiation, la conciliation ou le règlement d'un
litige de voisinage, de chercher ensemble avec les Bashingantahe la solution
à apporter au litige. Les défenseurs de cette hypothèse
renchérissent en prêchant que quand ils statuent sur les conflits
de voisinage, les élus collinaires ne peuvent pas, sans violer la Loi
communale, se passer de cette collaboration des Bashingantahe ; que par contre
du point de vue législatif, rien n'empêcherait les Bashingantahe
de statuer seuls sur les litiges portés à leur connaissance.
En tout état de cause, l'analyse profonde de l'article
37,2° de la Loi communale indique que toutes ces interprétations
sont erronées. En effet, cette disposition devrait s'interpréter
non pas dans le sens de la rigidité mais plutôt de la souplesse.
Il serait étonnant de croire que le législateur ait voulu
soumettre le règlement des conflits sur les collines ou dans les
quartiers à la présence obligatoire du chef de colline ou de
quartier.
Les situations conflictuelles qui se présentent
requièrent souvent l'urgence alors que le chef de colline ou de quartier
peut être par moment empêché encore que, vu l'étendue
de la colline et la multiplicité des cas litigieux, le chef ne peut pas
être physiquement présent partout. Il faut donc entendre la
supervision énoncée par la disposition en ce sens que le chef de
colline ou de quartier est le premier responsable dans son entité.
adviendrait pour les collines qui ne disposent d'aucun
Mushingantahe traditionnellement investi ?62
Les élus locaux peuvent donc siéger seuls tout
comme, en cas d'empêchement de ces derniers, rien n'empêcherait les
Bashingantahe de siéger seuls. Ceci n'accrédite pas bien entendu
l'hypothèse comme quoi l'obligation de collaborer ne concerne pas les
deux catégories sans distinction. L'article 37,2° s'impose aux
élus comme aux Bashingantahe. Là où les deux partenaires
existent, il est souhaitable qu'ils se mettent ensemble, dans l'esprit du
législateur auquel nous adhérons, pour assurer les missions
décrites dans la disposition.
Quant à dire que les Bashingantahe auraient un rôle
facultatif, nous pensons que cela n'est pas non plus l'intention du
législateur
Il faudra par ailleurs remarquer que le législateur n'a
pas précisé le nombre d'élus ou de Bashingantahe qui
doivent faire partie de ce collège. Par souci de souplesse du
système, il a laissé aux intéressés le soin de
s'organiser, évidemment sous la supervision du chef de colline ou de
quartier, étant entendu que chaque colline ou quartier a ses
spécificités particulières.
§3. La juxtaposition de deux
structures qui procèdent de deux philosophies
différentes
L'article 37,2° de la Loi communale attribue une
même mission (arbitrage, médiation, conciliation) à deux
structures qui manifestement procèdent de deux philosophies
différentes : d'une part, les élus locaux nantis d'une
légitimité populaire pour avoir été élus par
la population au suffrage universel direct, et d'autre part les Bashingantahe
traditionnellement investis, nantis de l'autorité morale traditionnelle
attachée à l'institution, qui croient avoir de leur
côté la maturité, l'expérience, la sagesse,
l'intelligence face aux élus locaux à majorité jeunes et
inexpérimentés.
Ainsi, d'un côté comme de l'autre, il y a de quoi
s'enorgueillir, ou se prévaloir comme autorité.
Cette situation est de nature à générer
un conflit de légitimité. L'adage en Kirundi rendrait mieux cette
situation : « inkuba zibiri ntizisangira igicu ». La
méfiance est grande entre les deux partenaires.
En effet, le conseil des bashingantahe est une institution qui
s'appuie sur la tradition et qui n'a qu'une légitimité
traditionnelle. Seuls les initiés conformément à la
coutume peuvent devenir bashingantahe.
S'appuyant sur la tradition, les bashingantahe refusent de
siéger avec les élus collinaires qui ne sont pas investis
bashingantahe. Ils les considèrent comme des non initiés et
craignent qu'ils ne révèlent le secret de
délibération de procès.
Plusieurs déclarations du Conseil National des
Bashingantahe reviennent sur ces conflits de compétences entre les
notables et les autorités administratives. En son article 44, la charte
des bashingantahe stipule qu'aucun administratif, quel que soit son rang, ne
peut siéger pour juger une affaire au niveau de la colline s'il n'est
investi mushingantahe.
Par ailleurs, une déclaration du Conseil National des
Bashingantahe du 8 février 2006 précise l'étendue des
prérogatives des élus locaux aux yeux des bashingantahe. Selon
cette déclaration, les élus collinaires ont été
élus pour administrer et coordonner les activités sociopolitiques
sur la colline. Ils font donc partie de l'appareil administratif. Or,
l'indépendance de la magistrature est reconnue par la Constitution
burundaise. C'est pourquoi les élus collinaires n'ont pas
été élus pour trancher les palabres dévolus aux
bashingantahe. Ils ne doivent donc jamais s'immiscer dans les affaires des
bashingantahe de rendre justice63.
D'un autre côté, les élus collinaires
contestent la légitimité des bashingantahe. Les premiers tirent
leur légitimité dans le suffrage universel tandis que les seconds
s'appuient sur un système traditionnel de cooptation initiatique. La
principale accusation portée contre les bashingantahe est que ceux-ci en
tranchant les palabres exige un versement de la bière (agatutu
k'abagabo). Certains élus collinaires refusent d'ailleurs qu'on les
appelle bashingantahe et préfèrent le vocable d'umugabo. Ils
considèrent que le temps des bashingantahe est révolu et que la
loi a supplanté la tradition.
Au cours des divers séminaires organisés par
RCN, Justice & Démocratie, la collaboration entre les bashingantahe
et les élus collinaires a suscité des débats houleux. Les
premiers qualifient les seconds d'enfants tandis que les derniers qualifient la
baguette (intahe) d'un simple bâtonnet64.
§4 Les contingences politiques
Au lendemain des récentes élections de l'an 2005,
il semble que les Bashingantahe ont perdu de terrain, selon une certaine
opinion, pour céder la place aux autres dit « Abagabo»
(au singulier on dit : « Umugabo »). Sous cet
63 Il faut avouer que ces déclarations du C.N.B. ne sont
pas de nature à favoriser la coopération entre les Bashingantahe
et les élus collinaires non investis.
64 RCN Justice et Démocratie, op.cit, p.70.
angle, les Bashingantahe procéderaient d'un ordre
ancien, vieux et corrompu qui a démérité à telle
enseigne qu'il n'est plus prestigieux, si pas honteux de s'appeler
Umushingantahe.
Ces considérations, qui, au départ
étaient énoncées à des fins de campagne
électorale, ont eu pour conséquence fatale de
décrédibiliser l'institution des Bashingantahe aux yeux d'une
bonne partie de la population qui ne voulait guère se confier aux
Bashingantahe, considérant que ces derniers n'ont plus de rôle
à jouer, n'étant pas élus par le peuple. Il convient
néanmoins de signaler que petit à petit, suite aux
séminaires dits ci- haut, les rangs commencent à se resserrer, la
confiance se rétablit entre la population et les Bashingantahe.
§5. Les enjeux de pouvoir et
d'intérêt
Dans la plupart des cas, il arrive que des différents
acteurs entrent en conflit de lutte de pouvoir. Il en est ainsi des
différents administrateurs communaux qui veulent exercer une emprise sur
les juges des tribunaux de résidence et sur les officiers de la police
judiciaire.
De même, certains officiers de la police judiciaire
abusent sciemment de leur pouvoir pour satisfaire à leurs
intérêts personnels. C'est souvent le cas quand ils emprisonnent
une personne pour le paiement d'une dette civile. Ils espèrent une
récompense de la part du créancier.
Section 2. Typologie des conflits de compétence
entre les acteurs de la justice de proximité
Sur le terrain, plusieurs scénarios se présentent.
Nous évoquons ici les quatre principales catégories combinant les
différents acteurs de la justice de proximité.
§1. Les bashingantahe et les administratifs à
la base.
Nous avons déjà évoqué les
difficultés d'interprétation que suscite l'article 37,2 de la Loi
communale qui prévoit une collaboration entre les bashingantahe et les
élus collinaires dans le règlement des conflits de voisinage par
l'arbitrage, la médiation et la conciliation65. Dans la
pratique, cette collaboration s'avère être difficile à
mettre en oeuvre et les situations sont variables d'un milieu à
l'autre.
A certains endroits, les élus locaux qui se disent
détenir un mandat populaire sont les maîtres de terrain et
associent rarement ou pas les Bashingantahe mais préfèrent
s'appuyer sur les représentants des structures administratives
informelles, à savoir les sous-collines. Si par
extraordinaire les Bashingantahe sont associés, il ne leur est pas
permis d'utiliser leur baguette (intahe) qui est détesté dans ces
milieux.66
Dans d'autres milieux par contre, les Bashingantahe dominent
le terrain, associent les élus locaux dans le règlement des
conflits mais ces derniers ne participent pas à la séance de
délibération (umwiherero). Généralement ici, la
majorité d'élus locaux et surtout de chefs de colline ou de
quartier sont les Bashingantahe traditionnellement investis. On rapporte
même que le reste des élus locaux non investis commencent,
à le demander. Les premiers demandeurs ont été
investis.67
La troisième situation est celle où les deux
catégories s'associent pour trancher les litiges le plus naturellement
du monde. Mais ici aussi les élus locaux qui ne sont pas encore investis
Bashingantahe ne touchent pas l'intahe. Ils participent néanmoins
à la séance de délibération et même lorsque
le chef de colline ou de quartier est là, c'est lui le maître de
la séance. Cette dernière situation est conforme, à notre
avis, à l'esprit et la lettre de l'article 37,2° de la loi
communale. Elle commence à se généraliser suite aux
différents séminaires organisés par certaines
Organisations Non Gouvernementales locales notamment l'Observatoire de l'Action
Gouvernementale (OAG) et RCN-Justice et Démocratie, dans tout le pays
à l'endroit des élus locaux et des Bashingantahe.
§2. Les bashingantahe, les officiers de police
judiciaire, et les magistrats des tribunaux de résidence
Les conflits de compétences entre ces acteurs de
justice de proximité sont plus prononcés dans les affaires
pénales que dans les affaires civiles. A toute fin utile, nous rappelons
que la loi n°1/08 du 17 mars 2005 portant Code d'organisation et de
compétences judiciaires n'accorde aucune compétence aux
bashingantahe ni en matière civile ni en matière pénale.
Dans les faits, les bashingantahe se considèrent comme des gardiens
traditionnels de la cohésion sociale et de l'harmonie et à ce
titre se sentent interpellés pour faire cesser toute violence tant
idéologique que physique68. C'est ainsi qu'ils interviennent
souvent dans des situations constitutives d'infraction. Les cas les plus
fréquents sont les coups et blessures, le viol, le vol des
récoltes sur pieds.
66 C'est notamment le cas en commune Gihanga.
67 Le cas des communes Muramya, Gisozi et Mugamba.
68 P. NTAHOMBAYE, op cit., p.35.
En matière judiciaire, le fonctionnement de
l'institution des bashingantahe diffère de celui des instances
judiciaires modernes. Les bashingantahe usent de la conciliation, de
l'arbitrage et de la médiation alors que les autres privilégient
l'identification et la répression de l'infraction.
En cas de viol d'une jeune fille par exemple, les
bashingantahe privilégient un arrangement à l'amiable en
obligeant le jeune garçon à prendre en mariage sa victime
moyennant versement de la dot et dédommagement moral de la famille
humiliée. Le dédommagement consiste en fourniture de cruche de
vin de bananes. D'après les bashingantahe, cette façon de faire
se justifierait par le souci de préserver ou de rétablir le plus
rapidement possible les bonnes relations entre les deux familles selon l'adage
« Intahe irunga ntivuna ».
Dans tous les cas, en réglant des situations
constitutives d'infractions, les bashingantahe empiètent sur les
compétences légalement réservées aux officiers de
police judiciaire et aux juridictions respectivement en ce qui concerne les
enquêtes69 et le jugement de l'auteur de
l'infraction70.
Par ailleurs, la manière de procéder des
bashingantahe consacre l'impunité et risque de favoriser la
récidive. La multiplication des cas de violence sexuelle est due en
partie à ce qu'elles sont devenues un moyen d'obtenir la main de sa
victime71.
§3. Les autorités administratives et les
officiers de police judiciaire.
Il arrive que les autorités administratives et les
officiers de police judiciaire entrent en conflits quant à leurs
compétences. L'on se rappellera que le décretloi n° 1/011 du
8 avril 1989 portant réorganisation de l'administration communale
accordait à l'administrateur communal le pouvoir d'emprisonner une
personne pendant une période maximale de 7 jours.
Or, l'actuelle Loi communale n'accorde pas un tel pouvoir
à l'administrateur communal. Dans la pratique cependant, certains
administrateurs sont restés dans la logique du décret-loi
précité et croient détenir encore le droit et le pouvoir
d'emprisonner les gens. Ils s'appuient sur les articles 26 et 27 de la loi
n° 1/016 du 20 avril 2005 portant organisation de l'administration
communale.
69 Articles 3 à 21 du Code de procédure
pénale.
70 Articles 22 à 28 du Code de procédure
pénale.
71 Dans certaines régions du pays, il existe une
pratique de « guterura » qui signifie enlever une fille. Si ces cas
ne sont pas réprimés, d'autres garçons sont tentés
de faire de même pour avoir des filles qui avaient refusé le
mariage.
Dans sa substance, l'article 26 stipule que l'administrateur
communal exerce un pouvoir général de police. Quant à
l'article 27, il stipule que l'administrateur communal exerce un pouvoir
hiérarchique direct sur le détachement de police affecté
dans sa commune. A ce titre, certains administrateurs empiètent sur les
pouvoirs accordés aux officiers de la police judicaire. Ils peuvent
emprisonner ou prononcer des amandes contre les délinquants. Dans
d'autres cas, ils libèrent des prévenus à l'insu de
l'O.P.J. en charge du dossier. Selon les informations qui ont été
diffusées par ABP-INFO, une dame élue chef de colline a
été attrapée entrain de fabriquer la liqueur kanyanga et a
été traduite devant la police. Pourtant, l'administrateur
communal aurait intervenu et l'aurait libérée. Cela s'est
passé dans la commune Gisagara en Province CANKUZO72.
Néanmoins, sur le plan légal, l'administrateur
communal ne dispose d'aucune compétence judiciaire ni en matière
pénale ni en matière civile. Comme tout bon citoyen,
l'administrateur ne peut que dénoncer les auteurs des infractions dont
il a eu connaissance ou aider les litigants à régler
pacifiquement leurs conflits s'ils y consentent.
§4. La société civile, les
bashingantahe et les magistrats.
Dans certains endroits du pays, les Bashingantahe et les
magistrats reprochent aux associations de la société civile
d'empiéter sur leurs compétences respectives. Certaines
organisations de la société civile ont formé des bureaux
d'écoute juridique et de médiation ou des para-juristes qui
oeuvrent à l'intérieur du pays. C'est le cas notamment de la
ligue ITEKA, des cliniques juridiques mobile d'Avocats Sans
Frontières,de l'Association des Femmes Juristes et des commissions
Justice et Paix.
Les commissions Justice et Paix forment dans certaines
paroisses, des agents chargés de la résolution pacifique des
conflits. Ils aident les parties en litige à le résoudre
eux-mêmes et à éviter ainsi les longues procédures
administratives et les frais y relatives. Les bashingantahe reprochent alors
à ces agents des commissions Justice et Paix d'empiéter sur leurs
compétences en tranchant les palabres sans être investis. Il
s'agit là d'une confusion des choses car les commissions Justice et Paix
n'usent que de la conciliation ou de la médiation et ne juge pas.
Quant aux autres organisations, leurs activités
consistent à écouter et orienter les justiciables, mieux encore
à les aider à résoudre pacifiquement leurs conflits par la
médiation.
72 ABP-INFO n° 4153 du 18 juillet 2006.
Ce travail est critiqué par les bashingantahe qui les
accusent de s'immiscer dans leurs affaires de trancher les palabres. Egalement,
les magistrats se plaignent de l'action des bureaux d'écoute et des
para-juristes. Les justiciables, en effet, sont dans la plupart des cas
désorientés. Après un jugement rendu en sa
défaveur, un justiciable n'hésite pas à aller se confier
à un para-juriste ou à un bureau d'écoute en vue d'obtenir
une révision de la décision judiciaire. Non seulement la
société civile ne peut pas revoir une décision judiciaire,
mais aussi pendant le temps des consultations, le justiciable trouve qu'entre
temps les délais d'appel ont été
dépassés.
La société civile aura créé pour les
justiciables plus de problèmes qu'elle n'en résout. C'est
pourquoi des solutions devraient être trouvées pour
résoudre au plus vite les conflits de compétence entre les
acteurs de la justice de proximité.
CHAPITRE IV. PROPOSITIONS DE SOLUTIONS AUX CONFLITS DE
COMPETENCES ENTRE LES ACTEURS DE LA JUSTICE DE PROXIMITE
Les chapitres précédents ont été
consacrés à une analyse de l'identité et du fonctionnement
des acteurs de la justice de proximité. L'on aura constaté que
dans la pratique, il y a des chevauchements, des conflits de compétences
entre les différents acteurs de la justice de proximité.
Dans le présent chapitre, nous nous proposons de donner
quelques propositions de solutions aux conflits de compétences pour une
meilleure collaboration des acteurs de la justice de proximité au
service et au profit des justiciables.
Section 1. L'harmonisation de la législation
nationale en matière de justice
§ 1. La Constitution de la
République
Selon l'article 205 de la Constitution du 18 mars 2005,
« la justice est rendue par les cours et les tribunaux sur tout le
territoire de la République au nom du peuple burundais »
Une stricte interprétation de cet article laisserait
supposer qu'il n'y aurait pas de jugement rendu en dehors des cours et
tribunaux. Mais nous avons déjà vu qu'un grand nombre d'autres
acteurs publics et privés interviennent dans l'administration de la
justice et le règlement des litiges : autorités administratives,
bashingantahe, membres de la société civile. En
réalité, ils rendent justice (gutunganiriza) mais on
doit reconnaître qu'ils ne jugent pas (guca urubanza).
Ainsi, nous pensons qu'une une place devait
être réservée, dans la Loi suprême, à cette
justice de paix qui reste informelle73 .
§ 2. Le Code d'organisation et de
compétences judiciaires
La loi no 1/08 du 17 mars 2005 portant Code de l'organisation
et de la compétence judiciaires a modifié la loi n°1/004 du
14 janvier 1987 sur l'Organisation et la Compétence Judiciaires qui
prévoyait des dispositions importantes sur le conseil des notables.
73 Ailleurs, par exemple en Belgique, en France et en Suisse,la
justice de paix est bien réglementée et constitue un
véritable instrument de paix sociale.
En vertu de ces dispositions, toutes les affaires civiles de
la compétence des Tribunaux de Résidence commencent sur la
colline avant d'être déférées devant les
juridictions.
Dans l'optique de formaliser la justice de
proximité sur la coiine, le Code d'organisation et de compétences
judiciaires devait être revu dans le sens de reconnaître et de
délimiter les compétences de la justice coiinaire qui serait
désormais rendue conjointement par les bashingantahe et les élus
coiinaires.
§ 3. La Loi communale
L'article 37 de la loi no 1/16 du 20 avril 2005 portant
réglementation de l'administration communale dispose que
« Sous la supervision du chef de colline ou de quartier,
le conseil de colline ou de quartier a pour mission : ...
2° D'assurer, sur la colline ou au sein du quartier,
avec les Bashingantahe de l'entité, l'arbitrage, la médiation, la
conciliation ainsi que le règlement des conflits de voisinage
».
Cette disposition prête à
confusion.74 Ains , une loi interprétative ou
mesure d'application est plus que nécessaire pour clarifier la limite de
compétence des uns et des autres.
§ 4 La loi portant transfert des ressources des T.R.
aux commun es
Cette loi consacre la dépendance financière des
juridictions de base aux communes.
Cette dépendance a été consacrée
pour la première fois par le décret-loi n°1/17 du 17 juin
1988 composé seulement de quatre articles dont le premier était
libellé comme suit : « Les recettes perçues par les
dispensaires et centres de santé publics ainsi que les recettes
perçues par les tribunaux inférieurs sont
transférés en totalité au profit des communes.
»
Cette disposition a été reprise par la loi no 1/009
du 4 juillet 2003 qui a abrogé cette première.
Cette disposition consacre une dépendance
financière du Tribunal de résidence à l'administration
communale. Il s'ensuit une ingérence des autorités communales
dans le fonctionnement de la justice.
Ainsi, il faudrait réviser la loi
n°1/009 du 4 juillet 2003 consacrant le transfert des recettes des
Tribunaux de résidence à la commune, pour prévoir une
certaine marge d'autonomie financière et renforcer leur
indépendance vis-à-vis des autorités
communales.
Section 2. Le respect de la délimitation
légale des compétences des différents acteurs
Les acteurs intervenant dans la justice de proximité ne
respectent pas, pour une raison ou pour une autre75, leurs
compétences légales, réglementaires ou statutaires.
A cet égard il ne serait inutile de rappeler quelques
dispositions constitutionnelles ou légales qui délimitent les
compétences des différents acteurs de la justice de
proximité.
L'article 205 de la Constitution de la République du
Burundi dispose que « La justice est rendue par les cours et tribunaux
sur tout le territoire de la République au nom du peuple burundais
». Cette disposition constitutionnelle réserve le pouvoir de
juger exclusivement à la justice formelle c'est-à-dire les
tribunaux de résidence aux niveaux des communes.
Cependant, elle n'exclut pas de facto les autres acteurs qui
interviennent dans le règlement des litiges de proximité, mais
qui ne doivent prétendre rendre des jugements à l'instar des
tribunaux de résidence.
Ainsi, en marge des Tribunaux de résidence,
l'administrateur communal a un rôle à jouer dans la protection de
l'ordre et de la sécurité publics. Dans ce cadre précis,
il a un pouvoir général de police et exerce un pouvoir
hiérarchique direct sur le détachement de la police
affectéedans sa commune.
A l'échelon de la colline et du quartier, ce sont les
membres du conseil de colline ou de quartier qui ont pour mission, en
collaboration avec les Bashingantahe de l'entité, d'assurer l'arbitrage,
la médiation, la conciliation ainsi que le règlement des conflits
de voisinage. Cependant, ces autorités ne sont pas habilitées
à statuer sur les infractions commises dans leur localité. Outre
qu'elles sont dépourvues d'une quelconque compétence
légale en la matière, elles ne disposent pas d'une force de
coercition pour appliquer des sanctions pénales comme l'amende,
l'emprisonnement,etc.
75 Voir supra les causes de conflits de
compétence, p.30.
En matière pénale, c'est la police qui joue un
grand rôle. La Police de Sécurité Intérieure est
mieux indiquée pour la prévention de la criminalité. Elle
agit aussi sur demande de l'autorité judiciaire pour prêter main
forte à l'exécution des jugements civils et pénaux. En
revanche, la Police Judiciaire intervient en matière de
répression des infractions pour faire des constats, des enquêtes,
la garde à vue. L'OPJ est autorisé dans certaines conditions
à représenter le Ministère public devant le Tribunal de
résidence.
Quant aux associations de la société civile,
elles tirent leurs compétences de leurs propres statuts qui
définissent l'objet social et la capacité juridique de chacune en
particulier. Si une association peut se proposer d'éclairer les
justiciables sur les règles de compétences et de
procédure, aucune association ne peut se fixer comme objectif de se
substituer aux juridictions.
Cependant, rien n'interdit aux associations de se constituer
statutairement arbitres et d'agir comme tels, dans le respect des dispositions
pertinentes du Code de procédure civile.
Section 3. La prévention des litiges de
proximité
La meilleure prévention aux conflits de
compétences entre les acteurs de la justice de proximité serait
la résolution en amont des litiges qui sont souvent soumis à ces
acteurs. Sans pouvoir être exhaustifs, nous allons passer en revue les
principaux litiges et proposer quelques solutions.
§1. Des solutions aux problèmes
fonciers
La question des conflits fonciers est au coeur de la
société burundaise. La terre s'avère être la
principale richesse économique de la population burundaise. A
côté de sa valeur économique, la terre possède une
valeur sociale très importante.
Les conflits fonciers se présentent sous diverses
manières.
1. Le problème des terres des
réfugiés et des déplacés.
C'est un problème d'une extrême complexité
qui oppose des protagonistes qui ne sont pas responsables de la situation. L'un
a abandonné sa terre pour protéger sa vie, l'autre, attiré
par ces terres disponibles, a pris sa place. Comment les départager ?
Après avoir observé quels intérêts des uns et des
autres étaient légitimes, nous sommes d'avis que seule
l'application du droit permettrait de
sortir de l'impasse. Au demeurant, et au-delà des
considérations idéologiques, c'est en réalité la
seule solution possible compte tenu des circonstances.
Nous recommandons donc le respect des droits
acquis dans le respect de la légalité, sans toutefois perdre de
vue l'objectif fondamental qui est le retour à la paix et la
réconciliation. C'est pourquoi la recherche d'une solution à
l'amiable doit être une préoccupation
constante76.
En tout état de cause, pour une meilleure
préparation à la réinstallation des réfugiés
qui pourraient éventuellement se retrouver dans la catégorie des
sansterres une fois rentrés d'exil, le Gouvernement burundais devrait
sans tarder commencer l'aménagement des terres disponibles
récemment recensées.77
Notons que, du point de vue des droits fonciers, les
réfugiés de date récente ne rencontrent pas de
problèmes qui exigent des solutions particulières.
2. La gestion des terres domaniales.
La gestion des terres domaniales soulève des passions.
La population se plaint de la cupidité des nantis et de leur cynisme. Si
tout le monde s'accorde sur la nécessité de mettre fin à
ces abus, lorsqu'il s'agit de proposer des solutions concrètes, des
hésitations subsistent.
Pour notre part, nous basant sur le caractère exceptionnel
des cessions et des concessions qui ne doivent et ne peuvent résoudre le
problème de la pénurie des terres au niveau individuel, nous
recommandons d'associer les Bashingantahe et les élus
coiinaires aussi bien au niveau communal qu'au niveau national lors de
l'attribution des terres domaniales. La compétence devrait
revenir à une autorité nationale. Par ailleurs, les terres
irrégulièrement attribuées devraient être
récupérées par le biais de la Commission terres et autres
biens.
Le cas spécial des marais est également fort
controversé. Les populations contestent les droits de l'Etat et des
communes. Les particuliers eux-mêmes se divisent en deux camps pour
élever des prétentions sur le même marais : le camp de ceux
qui l'ont aménagé et celui des propriétaires des
contreforts qui surplombent les marais. Mais si l'on va au fond des choses en
distinguant les
76Beaucoup de propositions vont dans ce sens. Le
Président de la Commission Terres et autres biens s'exprimait
lui-même, dans une interview accordée à la radio Isanganiro
en date du 12/10/2006, en ces termes « ce sont des conflits qui passent
par une négociation impliquant les parties concernées. Nous les
laissons s'entendre. Nous intervenons quand les choses ne vont pas ».
77 Le Gouvernement a fait un inventaire des terres domaniales aux
mois mars à octobre 2001.
grands marais et les petits marais d'une part, les bas-fonds et
les marais d'autre part, la situation se décante.
En se basant sur cette distinction, il y a lieu de
reconnaître les droits de l'Etat sur les grands marais en sa
qualité de garant de l'intérêt général et de
consacrer les droits des particuliers sur les petits marais. A ce propos,
il conviendrait de délimiter les bas-fonds et les marais,
les premiers appartenant au propriétaire des contreforts, les derniers,
à ceux qui les ont aménagés.
3. Le problème des Batwa sans terres.
Traditionnellement, les Batwa vivaient de la poterie. Mais le
déclin de celle-ci les accule à une reconversion difficile
à l'agriculture ou aux autres métiers. Il en résulte alors
des conflits de voisinage foncier et souvent des infractions, les Batwa se
livrant à des vols pour avoir à manger.
Les pouvoirs publics devraient les aider en
initiant les actions suivantes : la conception et l'exécution d'une
politique volontariste d'insertion au niveau national, la distribution
prioritaire des parcelles aux Batwa sans terre sous forme de concessions
destinées à être consolidées si
l'intéressé manifeste un attachement suffisant à sa
nouvelle terre, l'encadrement des Batwa en matière
d'artisanat...
4. Les paysannats.
D'après ce système, toutes les terres
appartiennent à l'Etat et leurs exploitants ne sont que des
détenteurs précaires à vie. Ce système n'engendre
pas seulement des problèmes avec l'Etat. Il a également des
répercussions sur les conflits de proximité. Les cas les plus
fréquents ont été rencontrés dans la commune
Gihanga où une multitude de litiges portent sur les ventes des terres
dont les exploitants n'étaient pas propriétaires.
A priori, rien ne justifie le maintien de ce système.
D'où le bien-fondé des revendications des exploitants qui
réclament le changement de leur statut. Il faudrait
consolider leur droit en propriété mais dans le même temps
sensibiliser la population sur les prérogatives de l'Etat en sa
qualité de gestionnaire attitré du patrimoine foncier
national.
§ 2. Les Conflits traditionnels de
voisinage
Ils portent surtout sur les servitudes de passage, la
délimitation des propriétés, la destruction des plantes
par le bétail, la fiabilité des modes de preuve, la prescription
trentenaire ainsi que la propriété du sol et la
propriété du dessus.
La fiabilité des modes de preuve traditionnels pose le
problème des témoignages, mode de preuve traditionnel.
Il est donc recommandé d'aménager des moyens de
preuves plus sûrs mais qui soient accessibles pour tous comme le bornage
systématique des propriétés avec des arbres
pérennes.
La prescription trentenaire permet de mettre fin à
l'incertitude des moyens de preuve traditionnels. Le concept semble bien connu
des juges des Tribunaux de Résidence et l'on ne peut que s'en
féliciter. Les servitudes de passage sont bien connues en droit
coutumier et les juges rappellent à l'ordre les récalcitrants, ce
qui est conforme à la loi.
Concernant la propriété du sol et la
propriété du dessus, d'après la tradition, les deux «
propriétés » n'ont pas nécessairement le même
titulaire. Les Tribunaux de Résidence semblent adhérer à
cette façon de voir. Pourtant, le Code Foncier est catégorique,
la propriété du sol emporte la propriété du dessus.
Il faut donc se conformer à la loi.
§3. Les conventions entre particuliers
Les principales conventions qui occasionnent des contestations
sont la vente et la donation. Les problèmes en rapport avec la vente
concernent la vente de la chose d'autrui, l'accord préalable du conjoint
ou de la famille du vendeur, le droit de préemption et la vente d'une
chose indivise.
Ces problèmes sont liés à l'incertitude
planant sur les droits fonciers, concernant aussi bien la délimitation
de la propriété que les titulaires. Ils sont également
liés au caractère familial de la propriété qui ne
fait plus l'unanimité.
Les tribunaux décident que la vente de la chose
d'autrui est nulle, se conformant ainsi au droit moderne et à la
coutume. Mais ils innovent par rapport au droit écrit en contraignant le
vendeur, dans la mesure du possible, à transmettre à l'acheteur
une parcelle équivalente. C'est une solution originale et
équitable.
La vente d'une chose indivise est à rapprocher du
premier cas lorsque la partie vendue ne tombe pas dans le lot du vendeur. Les
mêmes solutions peuvent être préconisées.
L'accord préalable du conjoint prévu par la loi
est une condition de validité du contrat. Par contre, l'accord
préalable de la famille ne fait plus l'unanimité.
Nous suggérons d'opérer la distinction traditionnelle
entre la propriété famiiale et la propriété
personnelle acquise par ses propres moyens et d'exiger l'accord pour la
première. Le caractère familial constitue, en
effet, un garde-fou vu les risques d'aliénations
irréfléchies qui pénalisent le ménage. La
même distinction peut être faite pour le droit de
préemption.
Les donations, quant à elles, soulèvent le
problème de leur révocation et celui des donations en faveur des
filles. Dans l'un et l'autre cas, la jurisprudence des Tribunaux de
Résidence est irréprochable. Elle confirme le principe de
l'irrévocabilité des donations et valide des donations en faveur
des filles même lorsqu'elles ont pour objet une propriété
foncière, battant ainsi en brèche les pratiques discriminatoires
à l'encontre des filles en ce domaine. Cette
irrévocabilité ne doit cependant pas être absolue, elle
doit être nuancée au regard des droits des héritiers
directs ou des créanciers qui pourraient être lésés
par des donations excessives.
§4. Des solutions aux questions
successorales
L'ouverture de la succession est à l'origine d'un
nombre très important de litiges. Les contestations portent sur les
droits de succession des filles ; les droits des enfants naturels dans la
succession de leur grand-père maternel ; le statut de la femme
survivante ; les droits des enfants de lits différents ; les droits de
l'enfant adoptif ; le partage et la liberté de tester.
La coutume excluait de la succession la fille car, selon le
système patrilinéaire, elle ne perpétuait pas la famille.
Mais les mentalités évoluent dans le sens de
l'égalité. Les seules résistances concernent la
propriété familiale où le courant dominant résiste
à l'idée de partage égal. Cependant, ces obstacles ne
doivent pas nous faire perdre de vue que le principe de l'égalité
est devenu un principe universel. C'est pourquoi les tribunaux de
résidence ainsi que la justice coiinaire devraient consacrer ce principe
en cette matière, préparant ainsi le terrain à une loi
totalement égalitaire.
Le problème des droits des enfants dans la succession
de leur grand-père maternel est lié au précédent.
Si l'on reconnaît des droits successoraux aux filles, il est logique
qu'elles les transmettent à leurs enfants surtout lorsque ceuxci sont de
père inconnu.
Le statut de la femme veuve varie selon les cas. Lorsqu'elle a
des enfants, elle bénéficie de la coutume, qui lui est favorable.
Elle prend pratiquement la place de son mari décédé et
exerce les mêmes droits. Mais sa situation est plus précaire
lorsqu'elle n'a pas d'enfants, alors qu'elle devrait avoir des droits
liés à sa qualité de conjoint survivant.
Les droits des enfants de lits différents posent
également problème. Traditionnellement, lorsque les mères
occupaient la même propriété, les enfants se la
partageaient plus ou moins équitablement. Mais lorsque les mères
avaient été installées sur des parcelles
différentes, les droits de leurs enfants se limitaient à cette
parcelle.
Cette coutume est acceptable lorsque son application n'aboutit
pas à une injustice flagrante. Par ailleurs, la polygamie étant
maintenant interdite par la loi, le problème se posera de plus en plus
en termes de droits respectifs des enfants naturels et des enfants
légitimes. D'où la nécessité de
consacrer sans ambiguïté le principe de l'égalité
entre les enfants.
En effet le problème demeure puisque la plupart des
enfants naturels ne sont pas reconnus par leurs pères. Un début
de solution se trouve dans la reconnaissance des droits successoraux des
filles, puisque dans ce cas, ces enfants n'héritent que de leurs
mères.
Le même principe d'égalité est valable
pour les enfants adoptifs78. Mais les tribunaux de résidence
opèrent, à juste titre, la distinction entre l'enfant recueilli
et entretenu par une famille sans les formalités d'adoption et l'enfant
effectivement adopté. Le premier ne recueille que les biens que son
bienfaiteur lui donne ou lui lègue de son vivant.
En revanche l'enfant adoptif dispose des mêmes droits
que l'enfant légitime. Cette jurisprudence est conforme à la loi.
Il en est de même de la jurisprudence des Tribunaux de Résidence
qui consacre le principe selon lequel nul ne peut être contraint à
rester dans l'indivision, ce qui rejoint également la coutume.
Enfin, le principe de la liberté de tester est reconnu.
Des hésitations concernent plutôt les limites de cette
liberté. Mais l'équité et le principe
d'égalité des enfants tendent à limiter la liberté
de tester. Comme le prévoient les législations modernes, le
partage effectué par le père devrait être revu lorsque
chacun des enfants n'a pas obtenu un minimum, appelé «
réserve ».
Pour prévenir les conflits relatifs aux successions ou
du moins doter le juge d'un instrument légal, il faudrait
promulguer une loi régissant les successions, régimes
matrimoniaux et libéralités.
Ainsi, on pourrait par la mise en oeuvre de ces solutions,
diminuer le nombre de litiges de proximité.
78 V. les dispositions de la loi no 1/du 30 avril 1999 portant
modifications du Code des personnes et de la famille relatives à la
filiation adoptive.
CONCLUSION GENERALE
La justice de proximité évoque l'idée
d'une justice plus proche de la population, une justice qui répond aux
préoccupations quotidiennes de cette dernière. Lorsqu'elle est
bien rendue, la justice de proximité contribue à asseoir la paix
sociale, la réconciliation nationale et la bonne
gouvernance79.
Lorsque par contre, elle fonctionne mal, c'est tout le
système judiciaire qui en pâtit tandis que la paix sociale est
compromise. C'est donc un domaine qui mérite une attention
particulière.
Au Burundi, parler de justice de proximité fait penser,
d'une part, aux Tribunaux de résidence, du moins dans le système
formel de justice, et, d'autre part, aux mécanismes informels de
règlement des conflits, en particulier celui comprenant les
Bashingantahe et le Conseil de Colline ou de quartier, les associations de la
société civile, les autorités locales, les corps de police
ainsi que dans une moindre mesure, le Conseil de Famille.
La collaboration entre ces différents acteurs
s'avère parfois difficile. Ils entrent en conflits de compétence
soit par ignorance de la loi, qui peut elle-même être lacunaire ou
confuse (article 37 de la loi communale) soit pour des raisons d'enjeux de
pouvoir et de contingence politique.
La résolution de ces conflits de compétence doit
passer par l'harmonisation de certains textes intervenant en matière de
justice au Burundi. Ces textes sont notamment la loi no 1 /010 du 18 mars 2005
portant Constitution de la République du Burundi, la loi no 1/016 du
20avril 2005 portant organisation de l'administration communale, la loi no 1/18
du 17 mars 2005 portant Code de l'organisation et de la compétence
judiciaires ainsi que la loi n°1/009 du 4 juillet 2003 portant le
transfert des recettes des Tribunaux de résidence à la
Commune.
En plus de cette action législative, les
différents acteurs devraient respecter strictement les
compétences leurs dévolues soit par la loi soit par leurs
statuts. Seuls les tribunaux de résidence ont le pouvoir de rendre un
jugement en vertu de la loi ; les Bashingantahe en collaboration avec les
élus locaux peuvent régler les litiges de proximité par la
conciliation et la médiation ; les associations de la
société civile peuvent conseiller, orienter et assister les
justiciables et même faire de la médiation dans le respect des
compétences des tribunaux et des Bashingantahe.
L'idéale solution serait la prévention de
conflits entre les différents acteurs par la résolution des
litiges de proximité qui sont soumis à ces acteurs. Ces litiges
portent essentiellement sur des questions foncières, des conflits de
voisinage et de succession.
Enfin, au terme de ce travail, il est permis d'affirmer que la
justice de proximité accuse des dysfonctionnements notoires qui
requièrent, pour son redressement, plus d'efforts de la part de tous les
acteurs concernés à savoir le Gouvernement, les juges des
Tribunaux de résidence, l'autorité communale, les élus
locaux, les O.P.J. , la société civile, les Bashingantahe et les
citoyens.
Ainsi, nous formulons les recommandations suivantes :
1° Au Gouvernement
- Procéder aux reformes nécessaires pour harmoniser
les textes relatifs à la justice de proximité ;
- Instaurer un cadre de concertation permanente entre les
juges, les Bashingantahe, les élus collinaires et l'administration afin
que chacune des parties soit sensibilisée sur le rôle qui lui
incombe et se garde de s'immiscer dans les affaires qui ne le concernent pas
;
- Organiser et multiplier des séminaires de formation
à l'intention des autorités administratives pour une formation
juridique, réglementaire et technique appropriée afin de les
aider à mieux remplir leurs fonctions pour le bien-être de la
population ;
- Appuyer les programmes de formation des Bashingantahe et
élus collinaires ou de quartier sur les matières qui leur sont
couramment soumises comme le droit foncier, le droit des personnes et de la
famille ;
- Appuyer les actions de sensibilisation des administratifs sur
les limites de leurs compétences en matière de règlement
des conflits ;
- Réunir tous les partenaires intéressés
autour d'un débat sur une meilleure collaboration entre les élus
collinaires et les Bashingantahe ;
- Réviser et vulgariser la loi communale et
procéder à son explication aux partenaires concernés ;
- Accorder la priorité aux actions relatives à
la réfection des infrastructures des tribunaux de résidence ainsi
qu'à la fourniture des équipements qui leur manquent cruellement
;
- Doter des moyens de déplacement moins chers aux juges
pour diminuer leur dépendance à l'administrateur communal en
moyens de déplacement ;
- Organiser et multiplier des séminaires de formation
à l'intention des OPJ ;
- Doter les administratifs des textes de lois usuels pour le
renforcement de leurs connaissances ;
- Respecter le principe fondamental de séparation des
pouvoirs, reconnaître l'indépendance de la magistrature et
respecter le principe de l'inamovibilité des juges ;
- Traduire tous les textes législatifs et
réglementaires en kirundi, les vulgariser et sensibiliser la population
;
- Redynamiser le service d'inspection de la justice pour qu'il
puisse accomplir sa mission de suivi sur tout le territoire du Burundi, dans
l'ensemble des services judiciaires et à tous les niveaux de juridiction
particulièrement dans les Tribunaux de Résidence ;
- Instituer des services communaux décentralisés
chargés de l'enregistrement et de la mutation des droits immobiliers,
ainsi que de la délivrance des documents y relatifs.
2° Aux organisations non
gouvernementales
- Appuyer les programmes de formation des Bashingantahe et
élus collinaires ou de quartiers sur les matières qui leur sont
couramment soumises comme le droit foncier, le droit des personnes et de la
famille ;
- Créer des opportunités de rencontres et
d'échanges pour une meilleure collaboration entre l'administration, les
juges, les élus collinaires ou de quartiers et les Bashingantahe ;
- Appuyer le renforcement des capacités des magistrats et
agents d'ordre judiciaire des tribunaux de résidence ;
- Les associations devraient s`abstenir d'empiéter sur les
compétences des juridictions, des administratifs et des
bashingantahe.
3° A l'autorité communale
- Les administrateurs communaux devraient se déclarer
juridiquement incompétents toutes les fois qu'ils sont sollicités
dans des domaines qui ne relèvent pas de leur compétence ;
- Eviter autant que faire se peut de s'ingérer dans le
secteur judiciaire et collaborer le plus largement possible avec
l'autorité judiciaire à la base ;
- Sensibiliser les élus collinaires et les Bashingantahe
afin d'éviter des rivalités inutiles et travailler ensemble dans
le règlement des conflits à la base ;
- Les administrateurs communaux devraient collaborer avec les
OPJ et magistrats des Tribunaux de Résidence en matière de lutte
contre la criminalité et d'exécution des jugements (assurer le
transport) ;
- Les administrateurs communaux devraient assurer une
présence régulière sur les collines pour prévenir
les conflits de compétence entre les chefs de colline et les
bashingantahe, ainsi que pour renforcer le dialogue avec la population ;
- L'administrateur devrait s'assurer de l'origine du bien
avant de délivrer les documents officiels sanctionnant la transaction
foncière pour minimiser les risques de ventes illégales par des
non propriétaires ;
- Respecter et faire respecter la législation
foncière au niveau communal, en assurant une gestion des terres
domaniales et des expropriations conformément à la loi.
4° Aux Bashingantahe
- Revoir les dispositions de la Charte des Bashingantahe
spécialement celles les interdisant de siéger avec les non
investis traditionnellement ;
- Renoncer à écarter les élus locaux aux
séances de délibération lors du règlement des
conflits (là où on le fait actuellement) ;
- Eviter l'instrumentalisation et la politisation des
Bashingantahe qui doivent se garder de faire partie des organes
dirigeants des partis politiques ;
- Veiller, pendant les périodes électorales ou de
crise, à la défense de l'intérêt
général pour susciter toujours la confiance de la population ;
- Les Bashingantahe devraient éviter de
contraindre les parties d'accepter la solution proposée à leur
différend en recourant à des sanctions de type social.
5° Aux élus collinaires
- Les chefs de colline devraient favoriser le règlement
des litiges dans un esprit de collaboration et de non concurrence avec les
Bashingantahe ;
- Accepter de collaborer avec les Bashingantahe dans
le règlement des conflits conformément à la loi communale,
car cette collaboration est conçue pour rendre très
opérationnelle le règlement des conflits à la base
(là où il y a toujours réticence du côté des
élus) ;
- Certains élus devraient renoncer au dénigrement
de l'Intahe qui est un symbole sacré dans la tradition
burundaise ;
- Les chefs de colline devraient lors d'une vente, se
concerter avec le conseil de familles des parties à la vente et cosigner
le procès verbal de vente pour renforcer la protection des biens
fonciers et réduire le nombre de procès en annulation des ventes
de terres.
6°Aux juges des tribunaux de
résidence
- Lutter avec énergie pour l'indépendance effective
de la magistrature en refusant toute influence de l'administration ;
- Collaborer avec les autres acteurs notamment les associations
qui assistent les justiciables;
- Tenir compte du procès verbal de conciliation par les
Bashingantahe et les élus collinaires si du moins les parties
avaient passé par cette étape.
57 7o Aux officiers de la police judiciaire
- Les officiers de police judiciaire devraient respecter et
faire respecter la déontologie professionnelle, pour prévenir les
cas de détention illégale, de pratique de la torture,
d'ingérence dans le règlement des affaires civiles, etc ;
- Dans les cas de flagrant délit, l'OPJ devrait
procéder à une enquête de nature à former l'intime
conviction du juge sur la culpabilité ou l'innocence de la personne
placée en garde à vue ;
- Respecter les délais de procédure et la
déontologie policière. 8° Aux citoyens
- Eviter de saisir simultanément plusieurs acteurs de la
justice ;
- Faire des efforts pour connaître la loi et la
procédure judicaire ;
- Refuser la manipulation et faire confiance aux gens
appelés à régler leurs litiges sur les collines, en
l'occurrence les Bashingantahe et les élus ;
- Eviter à jamais les velléités corruptrices
et dénoncer les cas de corruption portés à leur
connaissance devant l'autorité compétente ;
BIBLIOGRAPHIE.
A. Codes, textes législatifs et
réglementaires.
1. BELLON, R. et DELFOSSE, Codes et Lois du Burundi,
Bruxelles, Ferdinand Larcier, 1970, 1092 p.
2. La Déclaration Universelle des Droits de l'Homme,
http://www.un.org/french/aboutun/dudh.htm.
3. Loi n° 1/10 du 18 mars 2005 portant promulgation de la
Constitution de la République du Burundi in BOB n°3 TER /2005,
pp.1-35.
4. Loi n° 1/08 du 17 mars 2005 portant Code d'organisation
et de la compétence judiciaire in BOB n°3 QUATER/2005, pp.19-37.
5. Loi n° 1/016 du 20 avril 2005 portant organisation de
l'administration communale in BOB n°4 bis/2005, pp.1-13.
6. Loi n° 1/23 du 31 décembre 2004 portant
création, organisation, mission, composition et fonctionnement de la
Police Nationale in BOB n°12bis/2004,pp.932-937.
7. Loi n° 1/008 du 1er septembre 1956 portant
Code Foncier du Burundi in BOB n°7 à 9/86, pp.1-181.
7 Loi n° 1/010 du 13 mai 2004 portant Code de
procédure civile in BOB n°5bis2004, pp.1-45.
8 Loi n° 1/015 du 20 juillet 1999 portant réforme du
Code de procédure pénale in BOB n°1/2000, pp.1-54.
9 Loi n° 1/6 du 04 avril 1981 portant réforme du Code
pénal in BOB n°6/81, pp.240-298.
10 Loi n° 1/18 du 4 mai 2006 portant missions, compositions,
organisation et fonctionnement de la Commission nationale des terres et autres
biens in BOB n°5/2006, pp.463-465.
11 Décret-loi n° 1/024 du 28 avril 1993 portant
réforme du Code des Personnes et de la Famille in BOB n°6/93,
pp.214-243.
12. Loi n°1/009 du 4 juillet 2003 portant transfert des
recettes des Tribunaux de résidence à la commune in BOB no
8/2003, p.6.
B. Ouvrages généraux, spéciaux et
autres documents.
1. BIGIRIMANA, J., « Emplois du mot intahe et ses
corollaires dans la langue et la culture burundaises » in NTAHOMBAYE, P.,
NTABONA, A., GAHAMA, J. et KAGABO, L. (sous la direction de), L'institut
des bashingantahe au Burundi. Etude pluridisciplinaire,
Bujumbura, INABU, 1999, pp. 67-86.
2. DESLAURIER, C., « Le « Bushingantahe »
peut-il réconcilier le Burundi ? », Politique
Africaine, 2003, pp. 76-96.
3. GLOBAL RIGHTS, «Les tribunaux burundais face au droit
coutumier» in Revue de droit et de jurisprudence, n° 1,
Bujumbura, 2002, 67 pages.
4. GUICHAOUA, A., Destins paysans et politiques agraires en
Afrique Centrale, Tome I, Paris, Ed. L'Harmattan, 1989.
5. D'HERTEFELT, M. et TROUWBORST, A., « Le droit
coutumier des successions » in Revue juridique de droit écrit
et coutumier du Rwanda-Burundi, 1963, pp. 149-150.
6. LESPINAY, C.(DE), « Valeurs traditionnelles, justice
de proximité et institutions (Rwanda et Burundi ) » in LESPINAY
C.(DE) , MWOROHA E.(dir.),Construire l'Etat de droit : Le Burundi et la
région des grands lacs, Paris, L'harmattan, 2000,
p.196.
7. NGORWANUBUSA, J., « L'institution des bashingantahe
et le bel idéal de l'honnête homme » in NTAHOMBAYE, p. et
al., (sous la direction de), l'institution de bashingantahe au Burundi
: Etude pluridisciplinaire, Bujumbura, INABU,1999 , pp.
264-279.
8. NTAHOMBAYE, P., « La réactualisation de
l'institution des bashingantahe : enjeux et problématique
générale de l'étude » in NTAHOMBAYE, P., et al.,
(sous la direction de), L'institution des
bashingantahe au Burundi : Etude
pluridisciplinaire, Bujumbura, INABU, 1999, pp. 5-26.
9. NYAMOYA, F., « L'insertion de l'institution
d'Ubushingantahe dans l'ordre juridique moderne burundais » in Au
Coeur de l'Afrique n° 2-3, Bujumbura, 1999, pp. 257-260.
10. OAG, Analyse critique du fonctionnement de la justice de
proximité au Burundi, Bujumbura, mars 2007,160p. hppt://
www.oag.bi/IMG/pdf/Analyse-justicedeproximite-pdf.
11. OAG, Etude sur les conflits sociaux liés à
la gestion des parcelles et des propriétés foncières dans
les localités de Kinyankonge, Nyabugete et Kamenge,
Bujumbura, 2005, 40p.
http://www.oag.bi/IMG/pdf/etude_conflis_fonciers_mairie.pdf
12. RCN Justice & Démocratie, Etude sur les
pratiques foncières au Burundi : Essai d'harmonisation, Bujumbura,
2004, 106p. http://www.rcn-ong.be/
13. RCN Justice & Démocratie, Etude sur
l'harmonisation du rôle des bashingantahe avec celui des
Tribunaux de Résidence dans les provinces frontalières avec la
Tanzanie, Bujumbura, 2002.
14. SEBUDANDI, C. et NDUWAYO, G., Etude sur la
stratégie et le programme d'appui à la société
civile burundaise, rapport PNUD, Bujumbura, 2002.
15. WEILENMANN, M. (2005), Promouvoir la Justice et la
Démocratie au Burundi, un rapport d'évaluation du programme des
activités de RCN, Bujumbura, 2005.
16. ONUB, Division des droits de l'homme, rapport trimestriel
juilletseptembre 2005.
17. Ligue Iteka, Rapport du projet « Ecoute,
orientation et médiation des victimes des violations des droits de
l'homme », Bujumbura, le 7 janvier 2007.
TABLE DES MATIERES
Dédicace .ii
Remerciements iii
Liste des sigles et abréviations iv
Introduction générale 1
Chapitre 1er. GENERALITES SUR LA JUSTICE DE
PROXIMTE 4
Section 1. Notion de justice de proximité
. .....4
§1.Quelques éléments pour définir la
justice de proximité .....4
§2. La justice de proximité au Burundi 5
1. Les institutions et leur environnement . ......5
2. Le cadre juridique de la justice de proximité ...6
Section 2. La coexistence du droit écrit et de
la coutume dans la justice
de proximité . . . 7
§1.Le droit écrit .7
§2 La coutume .....8
1. avantages de la coutume 9
2. Inconvénients de la coutume ..9
Section 3. Les principaux litiges de proximité au
Burundi..... .9
§1. Les conflits fonciers entre voisins ...10
§2. Les problèmes des terres des rapatriés et
des déplacés .11
§3. Les conflits de succession 11
§4. Le mariage et ses variantes ..12
§5. La sorcellerie et les pratiques occultes .13
Chapitre II. LES ACTEURS DE LA JUSTICE DE PROXIMITE
AU BURUNDI .15
Section 1. Les acteurs étatiques 15
§1. Les juges des tribunaux de résidence .15
§ 2. Les autorités administratives à la base
.17
1. Qui sont les autorités administratives à la
base ? 17
2. Les compétences des autorités administratives
à la base 18
A. L'Administrateur communal . ..18
B. Le Chef de zone . ..19
C. Le Chef de colline ou de quartier ..19
§3. Les officiers de la police judiciaire . ..20
Section 2 Les acteurs non étatiques 21
§1. Les Bashingantahe 21
1. Notion de mushingantahe ...21
A. Etymologie du terme ....21
B. Les conditions pour devenir mushingantahe . ..21
2. Les techniques et procédures des Bashingantahe
. ...22
A. La médiation 22
B. La conciliation ...23
C. L'arbitrage ..23
3. La compétence actuelle des Bashingantahe dans
la résolution des conflits...23
§2. Les associations de la société civile
|
.24
|
1. Les cliniques juridiques
|
.....24
|
2. Les ligues des droits de l'homme
|
.25
|
3. Les Medias
|
26
|
4. Les confessions religieuses
|
26
|
|
§3. Le Conseil de famille
|
.27
|
Chapitre III. LES CONFLITS DE COMPETENCE ENTRE
LES
|
|
ACTEURS DE LA JUSTICE DE PROXIMITE
|
...29
|
Section 1. Les origines des conflits de compétence entre
les acteurs
de la justice de proximité
|
29
|
§1. L'ignorance de la loi
|
.30
|
§2. La problématique d'application de la Loi
communale
|
30
|
|
§3.La juxtaposition de deux structures qui relèvent
de deux
philosophies différentes
|
32
|
§4. Les contingences politiques
|
.....33
|
§5. Les enjeux de pouvoir et d'intérêt
|
34
|
Section 2. Typologies de conflits entre les acteurs de
la justice
de proximité . 34
§1. Les Bashingantahe et les administratifs à la
base 34
§2. Les Bashingantahe, les OPJ et les magistrats des T.R
35
§3. Les autorités administratives et les OPJ . 36
§4. La société civile, les Bashingantahe et
les magistrats des T.R .37
Chapitre IV. PROPOSITION DE SOLUTIONS AUX CONFLITS DE
COMPENTANCE ENTRE LES ACTEURS DE LA JUSTICE DE PROXIMITE 39
Section 1. Harmonisation de la législation
relative à la justice. 39
§1. La Constitution de la République 38
§2. Le Code d'organisation et de la compétence
judiciaires ..39
§3. La Loi Communale . 40
§4. La loi portant transfert des ressources des T.R. aux
communes ..40
Section 2. Le respect de la délimitation des
compétences des différents Acteurs.... 41
Section 3. La prévention des conflits de
proximité 41
§1. Des solutions aux conflits fonciers 41
1. Le problème des terres des rapatriés et des
déplacés ....41
2. La gestion des terres domaniales ...41
3. Le problème des Batwa sans terres 43
4. Les paysannats 43
§2. Les conflits traditionnels de voisinage .43
§3. Les conventions entre les particuliers ..44
§4 Des solutions aux questions successorales . 45
Conclusion générale 47
Bibliographie .53
Table des matières 56
Annexes
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