Droit foncier coutumier
Chez les essarteurs traditionnels, le droit foncier coutumier
porte à la fois sur les terres de culture (y compris les
jachères) et sur le terroir forestier. Partout, les vastes
forêts de chaque unité clanique ou lignagère forment un
tout aux limites définies par des cours d'eau ou des montagnes. En
général, le droit sur la terre n'est qu'un droit
d'usufruit tandis que l'attachement à la terre est de type
symbolique, une priorité étant donnée aux descendants du
premier défricheur. La terre appartient au lignage, et tous les membres
de celui-ci ont les mêmes droit à l'utiliser et à la
défricher, mais nul n'a le droit de la céder hors du lignage :
qu'il s'agisse de la terre de culture ou des terres de parcours forestier, la
terre est un bien collectif inaliénable et le droit
d'exploitation est imprescriptible. Les lignages exercent un droit de
propriété sur le territoire forestier de leur village. Les
limites en sont clairement définies mais généralement
maintenues par un simple respect mutuel.
A l'intérieur du lignage, c'est par la concertation,
surveillée par le chef du village ou du hameau, que les parcelles sont
allouées. Toutefois, dès qu'une parcelle est
défrichée, le défricheur et ses descendants conservent une
prééminence sur ce qui deviendra jachère, pour la
défricher à nouveau une dizaine d'années après. On
hérite des jachères de son père. Toutefois, quelques
ethnies transmettent les jachères de mère en fille ou à
défaut en belle-fille, donc de femme à femme. C'est le cas des
Fang et des Ntumu (Cameroun, Gabon).
Fréquemment, une personne possède aussi des
droits d'installation sur le terroir du lignage de sa mère, permettant
ainsi un certain choix de mobilité. Partout, le village et ses terres
(de culture et de chasse) s'inscrivent dans la terre des ancêtres : par
delà les attaches économiques, existent les liens spirituels et
affectifs. Cette territorialisation des terres concerne non seulement les
usages agricoles, mais également les activités de
prélèvement, chasse, pêche, collecte et matériaux.
La pratique de la chasse, ou la simple poursuite d'un gibier,
sur l'aire forestière d'une autre communauté entraîne
fréquemment des contestations. Chez la chasse et tous les
problèmes qui y touchent occasionnent de fréquentes palabres
entre les personnes qui possèdent des terres en commun. En cas de
conflit, le propriétaire coutumier porte la dispute devant les
autorités traditionnelles, tandis que le nouvel occupant remet
plutôt la chose entre les mains de l'administration. Cependant, peu de
litiges sont relevés entre anciens et nouveaux propriétaires car
les territoires de chasse sont très vastes, ce qui permet
d'éviter de chasser à proximité les uns des autres
La plupart des problèmes de propriété ne
peuvent se résoudre que par référence aux
généalogies et à la hiérarchie des droits
(priorité des naissances). Lorsque les rapports
généalogiques exacts entre deux groupes sont oubliés ou
contestés, la seule solution est de se rendre autonome l'un par rapport
à l'autre, en partageant les biens. Lorsqu'une unité clanique
déménage à plusieurs reprises, elle restera
néanmoins co-propriétaire des terres de son clan (tant que le
souvenir persiste).
Actuellement, la dynamique des droits fonciers est
influencée par la mobilité de certains groupes et l'insertion
dans l'économie de marché avec, notamment, le payement de
redevances locatives. La terre n'est plus seulement un moyen de subsistance
mais aussi un moyen de rapport financier. Néanmoins, ceci ne porte que
sur l'usufruit et non sur la terre en tant que telle.
Dynamique des rapports à la terre et à
la forêt
Les cultures de rente
Ce régime s'est modifié à la suite de
la moindre mobilité des familles, de l'augmentation démographique
et surtout de l'adoption des cultures de rente c'est-à-dire
d'une utilisation permanente des terres, sans jachère et sans
itinérance, qui fixe les hommes pendant plusieurs
générations. Celles-ci ont
entraîné le renforcement du sens de la propriété, et
orienté le droit foncier, en passant d'un droit né du travail
à un droit sur le sol. Dans ces régions où les ethnies et
les clans se mélangent de façon inextricable, le problème
de l'accès aux terres pour les étrangers est très
fréquent. Ces derniers sont tenus de demander une terre au chef de
famille auprès duquel ils s'installent.
Celui-ci les autorise à défricher une parcelle
pour les cultures vivrières (exploitation de courte durée, sans
droit sur les jachères) mais il leur est interdit de planter
caféiers ou cacaoyers. En dehors des personnes originaires d'un village
particulier ayant le droit de cultiver les terres du lignage (sauf
autorisation), on engage les autres paysans à exploiter le terroir de
leur village d'origine. Ceci explique
l'éloignement de certaines plantations et la création de
campements de plantation isolés. Le regroupement et l'immobilisation des
villages rend le régime foncier hétérogène, la
tendance étant à l'individualisation et à l'apparition de
terres d'appartenance familiale à l'intérieur de l'espace
collectif clanique.
Conclusion
Au terme de notre recherche, la construction de notre objet
nous a permis d'identifier clairement les différentes composantes du
lien de la femme ntumu à la forêt. Notre objet d'étude
cherche à poser plus précisément les bases
théoriques d'une réflexion visant à comprendre les
rapports de la femme ntumu à la forêt (agriculture, la
pêche, la médecine, la cueillette, le ramassage). C'est en
réalité l'objectif que nous poursuivons pour passer de
l'ethnographie à l'ethnologie pour aboutir à l'anthropologie.
L'anthropologie ayant pour ambition de comprendre l'unité de l'Homme
à travers la diversité des moyens qu'il se donne pour objectiver
un monde dont il n'est pas dissociable. Pour nous l'articulation principale est
celle qui gère les rapports dialectiques entre l'Homme et la nature.
La problématique que nous avons
développée dans ce mémoire s'est focalisée
principalement autour de la question des rapports de la femme ntumu à la
forêt. La gestion mesurée dont font les femmes dans la
société traditionnelle ne fait nullement pas mention de
l'existence d'une certaine cohabitation de plusieurs types d'attitudes dans un
même espace pour en savoir un peu plus sur les comportements qu'elles
afficheraient vis- à- vis de la nature, particulièrement de la
forêt. Face à la richesse des travaux des différents
auteurs, nous avons identifié une série de questions qui nous ont
permis de circonscrire les aspects majeurs de notre travail à savoir,
pourquoi la femme ntumu maintient toujours les rapports avec la forêt
quand nous savons qu'aujourd'hui, les phénomènes externes comme
le capitalisme, l'exode rural, les nouvelles technologies, les marchés
ont pris une grande place dans nos sociétés ? Comment
entretient-elle ses rapports avec la forêt, comment gère- t- elle
la forêt de nos jours ?
La forêt est un « Internet »
traditionnel où les femmes vont apprendre à échanger leurs
savoir-faire. Chaque forêt correspond à un site où les
femmes peuvent exploiter d'autres connaissances, une école
d'apprentissage de mère à fille. La femme, contrairement à
l'homme passe plus de temps dans la forêt. La forêt comme matrice
de la vie des femmes ntumu, renvoie à l'idée que toute la vie des
femmes, toutes les activités voire même toute leur existence n'a
de sens que rattaché à ce milieu. La forêt a un fondement
mystico spirituel qui lui confère le monopole de la culture
vivrière.
Tous les milieux forestiers sont touchés par les
mutations de notre ère. Cependant, bien que la « modernisation
est une matrice qui fermente le processus de transgression sociale »
les changements des modes de vie de nos sociétés
n'empêchent pourtant pas à la femme ntumu de respecter la
forêt. Ses prélèvements ne sont pas abusifs, ils sont
proportionnels à ses besoins. Cette procédure d'exploitation qui
associe la conservation est une stratégie de bon sens.
Nous rendons compte ici des théories des auteurs
consultés, qui nous ont permis de juger la pertinence de nos travaux qui
ont été confirmés par Claude Meillassoux (2003)
Femmes, greniers et capitaux ; « fait avec
promptitude une analyse en profondeur de la production et de la reproduction
dans les sociétés agricoles d'autosubsistance ». Pierre
Philippe Rey (1971) Colonialisme, néocolonialisme et transaction du
capitalisme, montre le rapport de la femme au sol, le dynamisme qui
s'opère, il montre les facteurs qui ont lancé un processus dans
les rapports à l'environnement. Paul Claval (2003) Géographie
culturelle :une nouvelle approche des sociétés et des
milieux, analyse la construction de la société et du territoire
et pense que la culture fournit aux hommes les moyens de s'orienter , de
découper l'espace et d'exploiter les milieux. Il montre que les cultures
fournies aux hommes les moyens de s'orienter, de découper l'espace et
d'exploiter les milieux. Il montre que les cultures subissent dans leur
apparente stabilité des profondes crises de restructuration.
Nous ne saurions prétendre affirmer que, ce que nous
appliquons chez les femmes ntumu soit généralisable à
toutes les sociétés traditionnelles, la femme occupe sur le plan
social et économique une place déterminante. La femme rurale est
en particulier d'un grand apport parce que sans développement rural, le
développement national est impossible «le développement
d'un pays passe par la Femme. Ces dernières constituant à la fois
qualitativement et quantitativement une part importante de la population de nos
pays ». La forêt se présente ainsi non seulement comme
une source inépuisable, mais aussi comme une pépinière
naturelle pour les activités de la femme.
Références bibliographiques
1. Sources orales
ABAGHA, Micheline, mars 2006, née en
1950. Les interdits de la forêt.
ABAGHA NGUEMA Emmanuel, 65 ans, Bollosoville,
Esabok, retraité. Les mutations des activités en
forêt. Né en 1935, clan Esabok, village Bollosoville,
retraité de la gendarmerie.
MBANG Delphine, 61 ans, Esabok, Bolossoville,
agricultrice. Le lien de la femme à la forêt. Née
en 1957, en mariage à Bolossoville, village d'origine Konoville.
NDOGO ELLA Philomène, née en
1950, clan nkodjè, retraitée, agricultrice. La forêt,
une école de la vie. Née en 1950, clan Nkodjè,
retraitée de la Poste et Communication.
MBA Ondo Jean de Dieu mars 2006.
Né en 1953. Le rapport de la femme à la terre.
Né en 1953, clan Osesègne, ressortissant du village Bissok.
NZANG, Madeleine mars 2006. Née en
1932. La forêt comme source de vie.
OBONE, Anastasie mars 2006. Née en
1941. L'importance des campements. Clan Nkodjè,
retraitée de l'Ecole des Cadres Ruraux d'Oyem.
OBONE, Madeleine, mars 2006. Les
tâches difficiles de la femme ntumu en forêt. Née vers
1930, clan Esabok, village Bolossoville.
2. Sources écrites
BALANDIER, Georges. 1955 - Sociologie
actuelle de l'Afrique. Paris, PUF.
DESCOLA, Philippe 1986 - La nature
domestique : symbolisme et praxis dans l'écologie Achuar. Paris,
Maison des Sciences de l'Homme.
CARRIERE, Stéphanie. 2003 - Les
orphelins de la forêt. Les pratiques paysannes et
écologie forestière. (Les Ntumu du Sud Cameroun). Paris,
éd. de l'IRD.
CLAVAL, Paul. 2003 - Géographie
culturelle: une nouvelle approche des sociétés et des
milieux. Paris, Armand Colin.
CORVOL, Andrée et al. (dir.) 1997 -
La forêt:perceptions et représentations, Paris,
L'Harmattan, 401 p.
FRETIGNE, Cédric. 2003 - Article :
questions à l'anthropo-écologie
LEVI-STRAUSS, Claude 1962 - La
pensée sauvage. Paris, Plon.
LUTO, 2004 - ``Les formes traditionnelles de
gestion des écosystèmes'' in Revue Gabonaise des sciences de
l'Homme, n°5, Libreville, PUG.
Projet Forêt et Environnement.
2000 - Etude de faisabilité des forêts communautaires
au Gabon, Rapport final, LUTO, Université Omar Bongo.
MEILLASSOUX, Claude. 2003, Femmes,
greniers et capitaux. Paris, l'Harmattan.
REY, Pierre-Philippe. 1971, Colonialisme,
néocolonialisme et transition du capitalisme, Paris.
DESCOLA, Philippe. 1989 - La nature
domestique. Paris, CNRS
MEILLASSOUX, Claude. 2003 - Femmes,
greniers et capitaux. Paris, l'Harmattan
REY, Pierre-Philippe. 1973. - Capitalisme
et néocapitalisme et transition au capitalisme. Paris, Maspero.
3. Sources photographiques
Photographie n°1 - Utilisation des
outils modernes. Cliché de Ella Judith, au village Bolossoville,
avril 2006
Photographie n°2 - Mise en terre de
grains d'arachide. Cliché de Ella Judith, au village Bolossoville,
avril 2006
Photographie n°3 - Mise en terre
d'une igname. Cliché de Ella Judith, au village Bolossoville, avril
2006
Photographie n°4 - Mise en terre
d'un rejet de bananier. Cliché de Ella Judith, au village
Bolossoville, avril 2006
Photographie n°5 - Transport de
boutures de manioc. Cliché de Ella Judith, à Oyem, avril
2006
Photographie n°6 - Collecte des
feuilles de manioc dans un champ pluricultural Cliché
Photographie n°7 - Technique de portage. Cliché de
Ella Judith, à Oyem, avril 2006
|