La dynamique des rapports de la femme ntumu à la forêt : cas des femmes d'Oyem et de Bolossoville (Gabon)( Télécharger le fichier original )par Sylvie Judith ELLA Université Omar Bongo - Maà®trise 2006 |
UNIVERSITE OMAR BONGO --------------------- FACULTE DE LETTRES ET SCIENCES HUMAINES --------------------- DEPARTEMENT D'ANTHROPOLOGIE Mémoire de maîtrise
Option : Anthropologie régionale Présenté par : Sous la direction de : Judith Sylvie ELLA Paulin KIALO Attaché de recherche à l'IRSH/CENAREST et du Pr Raymond MAYER Juillet 2006 Dédicace L'ambition d'un être est toujours motivée par le désir d'aller de l'avant et de réaliser ses rêves et ceux des siens. A vous mes pères, A vous mères A vous mes grands-pères et grands-mères A belle-soeur Monique Même dans la douleur des disparitions précoces, je continue à nourrir l'ambition que vous soyez fiers de moi. De-là où vous êtes, continuez à guider nos pas et regarder ce que nous sommes devenus. REMERCIEMENTS Nos remerciements vont d'abord à l'endroit de Dieu, le Père pour nous avoir permis de poursuivre nos études et surtout d'avoir toujours veillé sur nous dans les moments les plus durs. Au moment où nous achevons ce rapport, nos pensées vont à l'endroit du professeur Raymond Mayer pour sa rigueur dans la recherche ainsi qu'à la qualité de ses orientations et de ses enseignements. Nos remerciements vont également à l'endroit de Monsieur Kialo Paulin qui, malgré ses multiples occupations, a toujours été disponible, quelque soit le moment. Nos remerciements s'adressent à l'ensemble du corps professoral du département d'anthropologie pour les enseignements reçus durant ces années. Nous tenons aussi à remercier nos parents et amis : ma mère qui a su jouer son rôle malgré la distance, mes tantes, oncles, grands-parents qui ont fait de nos études une de leur priorité. Nous n'oublions pas ma grande soeur Hortense, ma soeur jumelle Huguette, mes beaux-frères, notamment Antoine, Gabriel, Vincent, mes petits frères, mes petites soeurs, tous mes enfants pour leur soutien respectif sans cesse renouvelé. Et surtout pour l'intérêt qu'ils ont attaché à nos études. Nos remerciements vont aussi à l'endroit de Monsieur Mbomeyo François et son épouse qui ont toujours marqué leur attention à leur égard, à mon beau- frèré Ngomba jean jacques pour son soutien matériel et sa disponibilité. Notre gratitude va l'ensemble de nos informateurs et interprètes qui, malgré leurs occupations, nous accordé leur temps. Mes amis de « route », Nadia, Jean Noël, Eddy, Annie, Yeno, Manuella, Ida, Wolgang, Eboua, Stéphane, Nadine, Essimengane, Olivier. Percevez ici l'expression de notre gratitude. Nous pensons aussi à ceux qui nous soutenu de près ou de loin. Nos remerciements vont enfin à l'endroit de MEBALE Mathurin pour son amour, son soutien moral et affectif permanent qui nous ont aidé dans l'élaboration de ce travail. Table des matières Introduction Première partie : Cadre théorique et méthodologique Chapitre1. Cadre théorique Section 1: Les auteurs Section 2: Les concepts Chapitre 2 : Enquête de terrain Section 1 : La pré-enquête et le questionnaire Section 2 : L'enquête et ses résultats Deuxième partie : Les activités féminines dans la forêt Chapitre 3 : L'inventaire des activités et la recension Section 1 : L'agriculture Section 2 : La pêche Section 3 : Le ramassage et la cueillette Section 4 : La médecine Chapitre 4 : Le contexte culturel des activités Section 1 : Le rapport homme/ femme Section 2 : Le rapport religieux Section 3 : L'exercice du pouvoir et les liens de parenté Troisième partie : L'évolution du rapport féminin à la forêt Chapitre5 : Les activités maintenues et la raison du maintien Section 1. : Les constats Section : les raisons Chapitre6 : Les activités transformées et les activités abandonnées Section 1: L'observation Section 2: Les causes du changement Conclusion. INTRODUCTION Notre étude porte sur l'évolution des rapports de la femme ntumu à la forêt dans la province du Woleu-Ntem, plus précisément à Oyem et Bolossoville. La question sur la femme en rapport avec la forêt avait déjà été abordée par Pierre-Philippe Rey (1971), Claude Meillassoux (1975, réed. 2003). D'autres auteurs tels que Galley Yawo Ganyo (1985), Roland Pourtier (1989), Stéphanie Carrière (2001), Andrée Corvol-Dessert (2004) se sont intéressés aux pratiques paysannes et écologiques forestières et aux activités agricoles au Woleu-Ntem et au sud du Cameroun (Stéphanie carrière). Ces textes ont traité partiellement ou totalement des rapports de la femme à la forêt. Pour trouver des solutions et élucider notre problème, nous avons eu recours à une enquête de terrain auprès de vingt informateurs dont quatorze femmes et six hommes âgés de 40 à 70 ans. Les personnes interrogées sont du même groupe linguistique résidant respectivement à Oyem et à Bolossoville. Nous nous sommes entretenus plus précisément avec 5 femmes mariées, 5 femmes célibataires, 4 veuves, 4 hommes mariés retraités, 2 hommes célibataires. Notre enquête nous a permis de collecter les récits relatifs aux activités menées par la femme ntumu dans la forêt. Nous avons pu constater une certaine évolution sur l'importance et la connaissance de la forêt. Malgré cette évolution, il ressort que la forêt constitue le lieu par excellence où la femme tire l'essentiel de ses ressources à la fois dans le domaine alimentaire et dans la production des biens. Elle les obtient en faisant de l'agriculture, de la pêche, du ramassage, de la cueillette, et de la médecine. Le recours à la forêt a un fondement mystico-spirituel, la femme ntumu a un « esprit » en elle qui finalement la lie à la forêt. Ce qui lui confère le monopole de la culture vivrière. Le corpus collecté nous a permis de comprendre les mutations qui s'opèrent à partir de l'arrivée des Occidentaux et « l'intrusion » de la monnaie comme étalon dans tous les échanges. Malgré ce fait, l'ambition des femmes ntumu est de préserver la coutume des pratiques culturales afin de les léguer aux générations futures. Toute la socialisation de la jeune fille ntumu en porte la marque : elle continue, comme par la passé à accompagner ses aînées en forêt. On peut donc dire que la forêt, malgré son exploitation « abusive » par les hommes, est une richesse qui occupe une place prépondérante. Ainsi, ces deux faits : femme à forêt et mutation dans ce milieu nous a permis de comprendre le recours de la femme à ce milieu qui représente un tout : garder-manger et pharmacie. La forêt, pour la femme ntumu remplie aussi des fonctions symboliques que nous avons relevées. L'analyse des interdits relatifs à la gestion des écosystèmes permet de comprendre les rapports de la société ntumu à la forêt. Ces interdits apparaissent comme fondant une attitude qui impose à cette société de se construire avec son écosystème. Elle présente la forêt comme l'alliée sans laquelle la vie de la femme ntumu n'aurait finalement plus de sens. On ne postule pas qu'elle est complètement écrasée par la forêt, elle l'exploite dans sa totalité. C'est une question de vie, ce qui justifie le respect à travers les différents interdits qui encadrent la gestion ce milieu. Ce mémoire de maîtrise vise pour objectif l'analyse diachronique des activités que mène la femme ntumu dans la forêt. Il porte sur les rapports de la femme ntumu à la forêt dans le Woleu-Ntem, plus précisément à Oyem et à Bolossoville. La forêt constitue un lieu où la femme ntumu tire l'essentiel de ses ressources à la fois dans le domaine alimentaire que dans la production des biens. Elle les obtient en faisant de l'agriculture, de la pêche, du ramassage et de la cueillette, la médecine. La forêt se présente ainsi non seulement comme une source inépuisable mais aussi comme une pépinière naturelle pour agriculture itinérante. L'itinérance s'applique aussi aux autres activités, par exemple la pêche. Comme le souligne à juste titre Isabelle Droy « l'évolution des conditions sociales et politiques a suscité, ces dernières années, un regain d'intérêt pour la femme comme objet de recherche. » Cela est inhérent au fait que « le développement d'un pays passe par les femme, ces dernières constituant à la fois qualitativement et quantitativement une part importante de populations de nos pays. » Les femmes occupent, en Afrique sur le plan social et économique, une place déterminante. Les femmes rurales sont en particulier d'un grand apport parce que sans développement rural, le développement national est impossible. Par leur surplus de production, elles participent à la vie économique d'un pays, ce surplus étant vendu en vue de l'achat des produits d'autres produits de première nécessité. Dans la société traditionnelle du Woleu-Ntem, la femme est considérée comme un bien. La puissance d'un homme, dans ce cadre, se mesure au nombre de femmes dont il dispose. En effet, la femme ntumu constitue la clé de voûte de l'économie agricole. On constate en fait que par la maternité, elle assure l'existence du capital humain. Ainsi, on peut affirmer qu'elle est la source du maintien de cette économie. D'autre part, cette femme a le monopole de la production vivrière. Cet et état de fait lui confère le rôle indéniable de responsable de tout le groupe dans lequel elle évolue. En outre elle constitue une main-d'oeuvre d'appoint dans l'agriculture marquant son apport de travail dans la récolte des produits. Si on examine cette situation de près, on rend vite compte la femme ntumu est le pilier des activités agricoles, quelle qu'elle soit. Elle entretient de ce fait des rapports très étroits et quotidiens avec la forêt. Elle y passe toutes les journées. Si elle ne plante pas, elle collecte, ramasse, collecte, pêche, survenant ainsi aux besoins de sa famille. Son absence dans ce domaine précis aurait des conséquences « terribles » sur la vie de la famille. Dans ce sens, le thème que nous abordons, la dynamique des rapports à la forêt, mérite une réflexion approfondie. Nous cherchons plus précisément le rapport que la femme entretient avec la forêt et ce qui sous-tend cette relation malgré les mutations que nous pouvons observer. Pour notre part, nous avons des corpus qui mettent en avant d'une part, les activités agricoles de la femme en milieu rural et d'autre part la dynamique des changements observés. Notre étude se limite à l'observation des femmes de la ville et de celle de Bolossoville. Elle s'articule autour de trois moments : L'approche théorique, L'approche méthodologique et La restitution et les premières analyses des corpus collecté. Première partie Cadre théorique et méthodologique Chapitre 1. Cadre théorique Ce chapitre rend compte des lectures effectuées pour nous saisir de notre objet d'étude. Ces auteurs vont des anthropologues aux géographes, etc. Ils nous permettent ainsi la saisie totale de notre objet d'étude. Section 1: Les auteurs « L'homme ne naît pas seul et ne connaît pas seul, il lui est impossible de faire l'expérience de quoi que ce soit en l'absence d'un univers de références, lequel forme le creuset de son expérience.1(*)» Nous rendons compte ici des documents que nous avons consultés qui entrent dans les différentes rubriques de notre interrogation. LEVI-STRAUSS, Claude 1962 - La pensée sauvage. Paris, Plon, 389 p. Il est ethnologue de nationalité française. C'est un des penseurs importants du XXe siècle. Son nom est lié au structuralisme, dont il est un des représentants principaux. Il est né à Bruxelles en 1908 et après des études de philosophie, il s'est tourné vers l'ethnologie: en 1935, il part pour le Brésil comme professeur de sociologie à l'Université de São Paulo. Au cours des années qui vont suivre, il va étudier les tribus indiennes de l'Amazonie. C'est le récit de ses voyages à l'intérieur de ces sociétés dites «primitives» qu'il racontera, en 1955, dans le livre qui l'a rendu célèbre. Exilé à New York pendant la guerre, entre 1941 et 1945, il s'attache à une réflexion théorique sur les systèmes matrimoniaux et il en fera le sujet de sa thèse, qui paraîtra en 1949 : Les structures élémentaires de la parenté. Après s'être imprégné des données accumulées par certains chercheurs qui ont tenté de comprendre les rapports des sociétés « traditionnelles » aux êtres de la nature à travers les représentations sociales qu'ils s'en font, Claude Lévi-strauss (1962) va critiquer la thèse selon laquelle le «sauvage est gouverné exclusivement par des raisons organiques ou économiques2(*)». Pour ce faire, il entame un travail de déconstruction de ce qui avait été dit sur les comportements et les manières d'agir des sociétés traditionnelles, pour construire ensuite une nouvelle façon de comprendre la pensée traditionnelle. Pour Claude Lévi-strauss, la pensée primitive n'est pas une ``pensée prélogique'' sous prétexte qu'elle serait noyée dans les mythes et les croyances qui semblent être irrationnelles. Mais, il s'agit d'une pensée qui se pose des problèmes pour concilier la nature et la culture, parce qu'elle est elle même- issue d'une séparation originaire de la nature et de la culture. Autrement dit, de cette division de la nature et de la culture découle un chaos ; un désordre. Et, la pensée sauvage est manifestement cette médiation qui vient parer, par la classification de l'univers, à tout «désordre» et impose l'«ordre» puisque la nature est par essence «désordre» et l'esprit humain se réfère à la culture pour établir l'«ordre». Ainsi, Lévi-strauss, après avoir constaté la richesse et la précision des connaissances des sociétés dites traditionnelles, société dépassent le cadre utilitaire ou éthologique, va soutenir la thèse selon laquelle: les connaissances naturelles visent d'abord à mettre de l'ordre dans la nature en instaurant un classement des choses et des êtres. Ce souci de classement, « de mise en ordre », repose sur une logique binaire qui aime les principes de contradiction et de ressemblance. La pensée sauvage n'est pas la pensée des sauvages mais toute pensée humaine qui est sujette à toute classification. DESCOLA, Philippe 1986 - La nature domestique : symbolisme et praxis dans l'écologie Achuar. Paris, Maison des Sciences de l'Homme, 450 p. Né en 1949, Philippe Descola est anthropologue français. Il est directeur d'étude à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (E.H.E.S.S) et membre du Laboratoire d'anthropologie sociale au collège de France. Son parcours intellectuel est parsemé par de brillantes études en philosophie, puis il découvre l'ethnologie et les sociétés exotiques auxquelles il restera attaché. Philippe Descola s'intéresse alors aux travaux d'éminents anthropologues, notamment Maurice Godelier auquel le nom est associé à l'anthropologie économique, mais surtout à l'approche structurale des mythologiques amérindiennes de Claude Lévi-strauss dont - il affirme être le disciple. Philippe Descola se consacre à l'étude des modes de socialisation de la nature, dont il tire une analyse anthropologique comparative. Ses recherches de terrain l'ont amené en Amazonie, auprès des Jivaros Achuar. Il est marié à Anne-Christine Taylor, directrice de recherche au CNRS, qui est détachée depuis février 2005 au musée du quai Branly, où elle dirige le département de la recherche et de l'enseignement. En 1976, il bénéficie de la mission du CNRS (centre national de recherche en sciences sociales) par le biais du laboratoire d'anthropologie à l'époque dirigé par Claude Lévi-strauss. A son retour, il rédige une thèse qui sera publiée sous le titre: la nature domestique. En sus de cet ouvrage majeur, il a publié de nombreux ouvrages par exemple, Les Lances du crépuscule. Relation jivaros, haute Amazonie (1993) ou bien Les Idées de l'anthropologie en 1988 (avec G. Lenclud, C .Severi et A.C. Taylor). Il a aussi publié plus d'une quarantaine d'articles. Dans l'ouvrage qui nous concerne, l'auteur présente la société indienne achuar, d'Amérique du Sud, comme une société dont l'imaginaire donne à la nature toutes les apparences de la société humaine. Divisant le milieu naturel en trois espaces (la forêt, la rivière et le jardin), la société achuar, dans ses rapports à l'environnement, estime Philippe Descola, ne sépare pas « les déterminations techniques des déterminations mentales.3(*)» Aussi, montre-t-il qu'il s'agit d'une écologie symbolique qui établit une filiation entre la société et la nature. De ce fait, elle n'est pas une représentation illusoire de la réalité, car la symbiose qui existe entre cette société et la nature est influencée par cette construction sociale du milieu Cette lecture qu'il fait des rapports d'une société et son espace, ne se démarque pas de sa ligne idéologique .Pour lui, la société se pense non pas à travers la culture, mais à travers la nature. L'homme en inventant la culture croit qu'il cesse d'être un participant de la nature. C'est le désire de s'affranchir, de se singulariser du reste de la nature, qui pousse l'homme, à se doter d'un moyen (la culture) capable de lui permettre de passer de la perception du monde à la conception du monde, du rang de chose du monde à celui de cause du monde. Or, l'analyse de Philippe Descola consiste à montrer que la culture n'est pas hors de la sphère de la nature mais à l'intérieur. « Les cultures sont des natures », dans la mesure où c'est en référence à la nature que l'homme peut entreprendre toute construction : la culture sans la nature est vide de sens. C'est parce que l'animal existe que l'homme peut prétendre penser la société. Il n'y a pas de totems sans référence aux éléments de la nature. Cet ouvrage nous apporte beaucoup au chapitre consacré au rapport de la femme achuar à la forêt, surtout à sa plantation. En effet, celle-ci considère la plante comme son enfant, elle lui apporte donc tous les soins possibles. Elle lui parle même, mais elle est au moins consciente que ce n'est pas elle qui a accouché de la plante. DESCOLA, Philippe, 2004. Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard, 630 p. Sur les bords de la rivière Kapawi, en Haute-Amazonie, sur le territoire des Jivaros, Philippe Descola, alors jeune ethnologue, s'interroge sur le sens du mot «nature». Devant les eaux tourbillonnantes, il vient de s'installer dans un défrichement adossé à des milliers d'hectares d'arbres, de mousses et de fougères, chez les Indiens Achuar. Un monde où les bêtes sauvages viennent habiter sur le seuil des maisons de palmes, où les femmes font pousser le manioc en parlant aux plantes comme à des enfants, où les hommes partent à la chasse en s'adressant au gibier comme à des membres de leur famille. Pour les Achuar, animaux, plantes et humains ont le même statut. Ils ne se voient pas comme des êtres tout-puissants face à une nature à dompter. Et les guerres, qui occupent une grande partie de leur énergie, ne servent pas à conquérir des territoires ou à se procurer des biens, mais à acquérir de nouvelles identités, afin de compenser les vides laissés par les morts, dans un système où circulent sans cesse les êtres de chair et les âmes. L'élève de Claude Lévi-Strauss, le père du structuralisme, tirera de cette expérience amazonienne un livre magnifique: Les lances du crépuscule (Plon). Un modèle de récit ethnographique. Douze ans plus tard, devenu professeur au Collège de France, au poste de son ancien maître à penser, Philippe Descola publie un document fondamental qui va secouer le monde des sciences sociales. Intitulé Par-delà de nature et culture, le livre propose de nouveaux outils et une nouvelle approche pour classer les groupes sociaux. Une révolution pour l'anthropologie. L'auteur, passant au crible les récits d'autres ethnologues, ceux du passé comme ceux de ses contemporains, raconte, avec brio, comment, des Pygmées et des Bushmen d'Afrique aux Inuit de l'Arctique, des Samoyèdes de Sibérie et des Papous de Nouvelle-Guinée aux Indiens d'Amérique, nombre de peuples pratiquent le même usage du monde que les Jivaros. Un usage en totale opposition avec l'attitude occidentale, imbue de technique, affamée de domination, soucieuse de faire entrer dans le rang la face sauvage de la planète. Certes, Descola n'est pas le premier à avoir arpenté des territoires mal connus et constaté que notre manière de considérer nature et culture comme deux pôles inconciliables de l'existence est peu répandue. Racontant l'historique de ce «grand partage» proposé par la pensée européenne, le chercheur note que la nature y est devenue progressivement muette, inodore, impalpable. Vidée de toute vie. Seulement, de ce constat, il tire une méthode d'analyse et esquisse une théorie. D'un côté, dit l'auteur, il y a les corps, la physicalité. De l'autre, l'intention, l'intériorité. Selon les relations entre ces deux éléments, les sociétés peuvent se répartir en quatre catégories: le naturalisme, l'animisme, le totémisme et l'analogisme. Ainsi, après des années pendant lesquelles l'ethnologie, par méfiance des grandes idées, a accumulé des monographies toujours plus fouillées, Philippe Descola, qui ne renie pas son passé de structuraliste ni sa première formation de philosophe, ose se lancer dans un travail théorique que personne, actuellement, n'a entrepris. Ce travail, il l'a déjà testé auprès de ses étudiants de l'Ecole des hautes études en sciences sociales, à Paris, et de la London School of Economics, à Londres. Ce livre vient à son heure. Voilà des siècles que les anthropologues et autres scientifiques occidentaux sont imprégnés par l'idée que l'homme est possesseur et dominateur de la nature. Voici qu'ils s'interrogent sur l'impasse où les a menés cette confiance aveugle dans la technique. En proposant d'analyser, dans d'autres sociétés, les autres arrangements avec le visible - les objets du réel - et l'invisible - l'homme, le temps, la mort, l'au-delà - Descola permet à l'anthropologie de repartir sur de nouvelles bases, et de répondre aux questions de l'époque. Or ce penseur possède aussi un véritable talent d'écrivain pour raconter les mythes. Il restitue ainsi une pensée prétendument sauvage. Comme celle de ses amis Achuar, où tout n'est que vibrations, effleurements, reflets. Où la mort ne peut être évoquée qu'à travers une incantation: «La lance du crépuscule arrive, esquive-la. Que chacun de tes pas te déguise en palmier chonta.» CLAVAL, Paul. 2003 - Géographie culturelle: une nouvelle approche des sociétés et des milieux. Paris, Armand Colin, 287 p. Paul Claval, né en 1932, est géographe, professeur émérite à l'université de Paris Sorbonne. Il consacre ses recherches à l'histoire et à l'épistémologie de la géographie, à la géographie économique, sociale et politique, à la logique des systèmes territoriaux et aux problèmes culturels. Son ouvrage repose sur une réflexion qui présente l'emprise de la culture sur la structure spatiale des sociétés. Il analyse la construction de la société et du territoire et pense que la culture fournit aux hommes les moyens de s'orienter, de découper l'espace et d'exploiter les milieux .En plus d'analyser la nature comme une composante de la culture, il montre que les cultures subissent dans leur apparente stabilité des profondes crises de restructurations. Ce qui semble être le cas d'Ekouk. Les manières d'habiter, de travailler, de se distraire et de prier reflètent la spécificité des groupes humains. Elles changent d'un lieu à un autre et marquent profondément les paysages. L'action humaine est modelée par les codes et les représentations que les individus apprennent au cours de leur enfance et tirent de leur expérience. Les processus de transmission des savoirs, de construction des identités et d'établissement des normes conditionnent les répartitions géographiques, comme le montre l'ouvrage de Claval qui complète et approfondit les notions exposées dans La géographie culturelle paru aux Editions Nathan en 1995. CORVOL, Andrée-Desser et al. (dir.) 1997 - La forêt : perceptions et représentations, Paris, L'harmattan, 401 p. Andrée Corvol-Désert est la responsable du groupe de recherche sur l'histoire des forêts au CNRS français. A travers cet ouvrage, dont elle assure la coordination scientifique, la forêt est un univers aux richesses variées : c'est une source d'énergie et un espace nourricier au service de l'homme. L'histoire a évolué d'une gestion parcimonieuse à une gestion capitaliste pour finir dans une gestion parcimonieuse sous la pression des Organisation non gouvernementales. Les différentes étapes sont traversées par des relations fortes entre l'homme et la forêt. Espace de liberté, parangon d'une nature et généreuse, source d'imaginaire pour petits et grands mais aussi mais aussi patrimoine à conserver et à valoriser, soumises aux impératifs de rentabilité économique : la forêt, dont la représentation a profondément évolué au fil du temps, est aujourd'hui l'objet d'appropriations et d'enjeux contradictoires dans tous les pays du monde. Fruits d'une approche interdisciplinaire réunissant historiens, géographes, forestiers et archéologues, cet ouvrage s'efforce d'explorer les multiples facettes de cette richesse. Espace nourricier de l'humanité, et de bien d'autres créatures, son existence est davantage menacée par l'augmentation perpétuelle des besoins d'une population mondiale en constante croissance. Par ailleurs, ces auteurs militent dans le sens de faire accréditer l'idée d'une gestion et d'une préservation des forêts en vue de leur exploitation durable. LUTO, 2004 - ``Les formes traditionnelles de gestion des écosystèmes'' in Revue Gabonaise des sciences de l'Homme, n°5, Libreville, PUG, 331 p. Au cours d'un colloque organisé par le Laboratoire Universitaire de la Tradition Orale, LUTO En ce début de siècle où l'humanité dans presque sa totalité témoigne un intérêt profond à l'endroit d'une préservation plus efficiente des écosystèmes, le Gabon, par le biais de ses universités, ne s'exclu pas de cette logique. La réflexion au cours de ces débats tournaient autour des patrimoines identifiés et constitutifs de l'écosystème forestier, notamment les patrimoines botanique, animal, aquatique et halieutique, foncier et enfin humain. Le séminaire visait plus précisément l'identification et l'inventaire des techniques traditionnelles de l'environnement mises en oeuvre par les ethnocultures gabonaises. Ces techniques visent à la préservation des patrimoines identifiés. Les croyances et les prescriptions relatives à l'application de ces techniques n'ont pas été laissées en marge. Toutefois, il ressort que les populations gabonaises semblent désormais se désintéresser de ces modes de gestion. Soulignons que ce séminaire avait réuni des spécialités diverses : anthropologie, géographie, histoire, botanique, médecine, environnementaliste, écologue, etc. La mise en commun de leurs différentes problématiques a abouti à la publication de ce numéro. Projet Forêt et Environnement. 2000 - Etude de faisabilité des forêts communautaires au Gabon, Rapport final, LUTO, Université Omar Bongo, 156 p. Cette étude est initiée par les experts du Laboratoire universitaire de la tradition orale (LUTO) de concert avec le Ministère de l'économie forestière. Elle était composée d'une équipe interdisciplinaire : d'un juriste (Zeh Ondoua Jean), d'un anthropologue (Kialo Paulin), de deux économistes (Okoué Metogo Fabien et Zomo Yébé Gabriel), d'un écologue (Ngoye Alfred). Elle était assistée de trois agents du Ministère des Eaux et Forêts. L'étude s'est déroulée dans cinq provinces du Gabon : Estuaire (Ekouk et certains villages de la Pointe Denis), Ngounié (Yétsou), Ogooué-Lolo (Baniati et Bassegha), Ogooué-Maritime (Idjembo-M'Pivié, Diambou) et Woleu-N'Tem (Nkang)4(*). Elle vise à déceler, si possible, parmi les modes de gestion traditionnelle des forêts qui existent un mode de gestion qui correspondrait au concept de «forêt communautaire». Après avoir sillonnés les sites préalablement choisis, les experts constatent qu'il n'existe pas de mode de gestion répondant au modèle dit de «forêt communautaire». La mission a simplement constaté qu'il existe une diversité de modes de gestion villageois des espaces et des ressources forestières. Le premier est une gestion individualisée (Ekouk), le deuxième est gestion lignagère (Baniati et Nkang), le troisième est une association (Bassegha), le quatrième est une gestion locale mixte (Yétsou). Ainsi, l'inexistence d'un modèle traditionnel unique de gestion rend problématique la mise en place d'une gestion de type communautaire des forêts au Gabon au sens défini par la Banque mondial : « Mon village est plus vieux que le Gabon » dit un informateur aux hommes de sciences au cours de cette enquête5(*), pour dire que l'Etat du Gabon n'a pas de prérogatives sur les terres des villages ou encore « Mon grand-père, c'est l'Etat » pour dire que les lignages n'existent plus à Ekouk comme structures qui gèrent les terres, puisqu'elles sont gérées par l'Etat. Ce qui expliquerait peut-être le « désordre » constaté dans la gestion de la forêt. Les experts étaient confrontés au problème de l'identification d'un mode de gestion standard susceptible de garantir une gestion durable des espaces forestiers. Le texte se termine par des recommandations à l'endroit du Ministère des Eaux et Forêts et par la proposition d'un cadre juridique relatif aux forêts communautaires. CARRIERE, Stéphanie. 2003, Les orphelins de la forêt, Paris, éd. de l'IRD. Stéphanie Carrière est docteur ès Sciences (Ecologie, Montpellier) et chercheur (écologue, ethnobotaniste) à l'Institut de recherche pour le développement (IRD, ex-ORSTOM). Depuis près de 10 ans, elle porte une attention particulière à l'écologie des paysages forestiers tropicaux à travers, entre autres, l'étude des systèmes agricoles et de leur influence écologique sur la régénération, principalement en Afrique (Guinée Conakry, Tanzanie, Cameroun, Guyane). Elle est actuellement en affectation au sein du programme conjoint IRD-CNRE Gestion des espaces ruraux et environnement à Madagascar (GEREM-Fianarantsoa). Dans cet ouvrage, l'auteur dénonce comment aujourd'hui certaines pratiques ancestrales comme la protection d'arbres orphelins dans les champs vivriers sont garantes de la durabilité du système. A travers les phénomènes écologiques complexes, ces arbres contribuent en effet à accélérer la régénération forestière dans les jachères, condition indispensable au maintien d'un équilibre en forêt et parcelles cultivées. Dans notre étude la présence des gros arbres assure la protection de la forêt et de l'homme. Ce sont des représentations symbolique et même culturelle (ou même encore écologique, écologie elle-même étant culturelle au sens où c'est l'homme qui pense l'écologie) à long terme que l'homme met en place. La forêt présente la mère nourricière des orphelins. Elle constitue pour eux un environnement où se trouve la matière de leur survivance et leur vie est indispensable à ce milieu. Cet aspect peut être vérifié dans notre étude au niveau des relations que les femmes entretiennent avec la forêt. Précisons que les orphelins de la forêt sont les arbres qui n'ont pas été abattus. Cet ouvrage, qui porte sur les Ntumu du Cameroun pose une question simple mais pas moins importante : pourquoi les hommes ntumu n'abattent-ils pas tous les arbres de leurs plantations ? L'auteur arrive à la conclusion que les arbres abandonnés ont une certaine valeur utilitaire et symbolique, elle en dresse d'ailleurs la liste. Dans la même lancée, elle présente le rôle de chaque agent dans l'exploitation de la forêt : l'homme qui s'occupe des grands travaux (la chasse, la grande pêche), la femme qui plante, ramasse, collecte, cueille, les enfants qui pratique le ramassage, la collecte et la petite chasse (aux oiseaux). MEILLASSOUX, Claude. 2003, Femmes, greniers et capitaux. Paris, l'Harmattan, 251 p. Claude Meillassoux est né à Roubaiv en 1975 dans une famille de la bourgeoisie textile, il obtient le diplôme de l'institut d'étude politique en 1925, puis étudie l'économie et les sciences politiques à l'université de Michigan (USA) en 1949. Il est décédé le 2 janvier 2005.* 1 Pierre Paillé et Alex Mucchielli. L'analyse qualitative ... Paris. Armand Colin.2003, p. 38 * 2 Claude Lévi-strauss, La pensée sauvage. Paris, Plon, 1962, p. 6 * 3 Philippe Descola, La nature domestique, p. 12. * 4 Page 126 bis du rapport. * 5 P.F.E. |
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