CHAPITRE 2 : INTERPRETATION DES RESULTATS
1- Interprétation selon la consommation
médiatique et musicale
La présentation des résultats nous donne de
faire un constat très important qui est le suivant. Les réponses
aux questions de la recherche sont fonction de la commune habitée, de
l'âge, du niveau de vie familial et du sexe. Notons que d'autres
chercheurs tels Konaté Sié (1994)52, Glévarec
Hervé (2004)53, Médard (2005)54 ou encore
Marie Thérèse Abogo (2006)55 l'on déjà
relevée quand ils expliquaient les phénomènes de
consommation et de réception médiatique dan s des recherches
antérieures.
52 Konaté, Sié (1994).
La littérature d'enfance et de jeunesse en Afrique noire francophone :
Burkina Faso, Côte d'Ivoire et Sénégal :
L'impérialisme culturel àtravers la production et la distribution
du livre pour enfants. Ott awa : banque internationale d'information sur les
États francophones.
53 Glévarec, Hervé
(2004), « Quel objet social est la radio pour les adolescents? »
Médiamorphoses, no. 10, 2004, pp.51-56.
54 Médard, Marie Mercedes
(2005). Représentations sociales et ré ception
différenciée selon le sexe de messages de prévention du
sida en Haïti, (mémoire de maîtrise). Université
Laval.
55 Abogo, Marie Thérèse
(2006), La réception par des jeunes camerounais de la musique afro
-américaine, (mémoire de maîtrise). Université
Laval, Québec.
La consommation télévisuelle nous a permis de
voir que les jeunes sont beaucoup attirés par l'image. Nous avons
classé ces consommateurs en deux principaux groupes : les gros
consommateurs et les petits consommateurs ; et l'a ctivité de
consommation médiatique selon le sexe, l'âge, et les variables
socio -économiques.
Ainsi, nous avons constaté dans notre étude que 78%
de la population étudiée pour un total de 164/210 ont dit
regarder très souvent la télévision .
Ils sont donc de grands consommateurs de
télévision, et leurs émissions favorites sont pour les
trois quarts (3/4) des émissions musicales, c'est à dire 70% des
adolescents. Parmi eux, plus de la moitié sont des filles (52%). Cela
vient confirmer notre première hypothèse qui dit que la
consommation des émissions musicales à la
télévision était liée au sexe.
En outre, notons que l'écoute musicale à la
télé est aussi liée au fait qu'aujourd'hui presque tout
les foyers ont le câble et donc ils ont accès aux chaînes
musicales étrangères (MCM, MTV, Hit Parade, etc.). Ils
écoutent surtout les clips étrangers notamment
afro-américains. En effet, 104/205 ont dit écouter les
vidéoclips américains, 12/205 les vidéoclips ivoiriens et
89/205 ont dit écouter les deux types de musique.
Au fait, dans la problématique nous avons
précisé que c'est la forte présence des
télévisions étrangères en Côte d'Ivoire qui
est la conséquence de la recherche du divertissement par le public et de
l'échappement de l'emprise du pouvoir politique su r les médias
locaux. Les feuilletons et les séries télévisées
sont les plus cités après les émissions musicales
(159/210). Parmi eux la tendance est encore aux feuilletons étrangers
notamment latino-américains et non locaux. Ceci peut s'expliquer par le
fa it que les adolescents ont été de plus en plus
influencés par le mode de vie, le style vestimentaire véhiculer
par ces films. Notre travail ne s'est pas axé sur cet aspect mais nous
croyons que cela peut faire l'objet d'une autre étude.
Par ailleurs, selon nos analyses, il ressort que les moyens
d'écoute musical e les
plus utilisés par les adolescents sont les compacts discs
(CD), les Digital Vidéo Discs
(DVD) et Internet; contrairement à d'autres recherches
notamment celle de Marie Thérèse ABOGO qui disait que le moyen
d'écoute musicale le plus utilisé par les adolescents
était la télévision. Ce changement peut se justifier par
le fait qu'aujourd'hui chaque famille dispose d'un lecteur VCD ou DVD et aussi
les CD ne sont pas onéreux car gravés comme les résultats
sur l'achat des disques nous l'on montré.
Pour ce qui est de l'Internet la raison est que de nos jours,
nous assistons à sa vulgarisation. Même à la maison
grâce à un modem (Téléphone fixe, portable, wifi,
bluetooth, etc.), on peut se connecter au réseau.
Ainsi la consommation de la musique est une activité
très répandue chez les jeunes et comme nous l'avons vu, leur
consommation des médias est très liée à
l'écoute musicale. Ceci a déjà été
observé dans une étude sur la réception de la musique a
froaméricaine56 . En réalité,
l'intérêt prononcé des jeunes ivoiriens en particulier et
africains en général pour la musique afro-américaine n'est
pas le fait du hasard. Dans la revue de littérature, nous avons en effet
appris par Martin (en ligne) que les africains ont été
séduits par la musique afro-américaine dès leurs premiers
contacts avec le monde extérieur pendant les périodes
précoloniales. D'autres courants sur les influences musicales
reconnaissent même que l'origine des rythmes musicaux afro et l atino
américains est africaine.
Les rythmes anciens comme la samba et la rumba ont
été remplacés par le R&B et le Rap.
En Côte d'Ivoire, les adolescents aiment plus les
vidéoclips afro -américains que les vidéoclips Ivoiriens.
Cette préférence selon les r ésultats obtenus est fonction
du niveau de vie familiale des adolescents, ce qui vient confirmer notre
troisième hypothèse car en effet plus de la moitié de ceux
qui disent aimer les vidéoclips afro -américains viennent des
familles de niveau de vie favoris é (52/104 contre 29/104 pour les
adolescents de niveau de vie moyen et seulement 23/104 pour les
défavorisés). Et cela pourrait être dû au pouvoir
d'achat qui non seulement leur permet d'acheter
56 Ibid
régulièrement les CD, mais aussi tous ont le
câble à domicile et ne regardent pratiquement pas la
télévision nationale. Ils ont pour la plupart des ordinateurs
portables ou de bureau avec connexion Internet.
Ces résultats sont similaires à ceux obtenus en
focus groupe et en entretien individuel. La majorité ou la
quasi-totalité des adolescents interviewés
préfèrent la musique afro-américaine (06/09) et la
minorité la musique ivoirienne (02/09). Essentiellement les raisons
avancées étaient le style vestimentaire des artistes et leur
rythme musical.
2- Interprétation selon réception de la
musique afro -américaine et l'acculturation des adolescents
Les adolescents pour la plupart regardent les CD et DVD,
suivis de ceux qui disent utiliser Internet pour écouter leur musique
préférée et enfin de ceux qui disent regarder à la
télévision. Pour plus de la moitié des répondants
(167/209), les CD et les DVD sont les plus utilisés pour la musique ; et
la télévision pour la musique également, les feuilletons
et séries étrangers. Notons que ces résultats
diffèrent de ceux ob servés par Marie Thérèse
ABOGO, dans son mémoire, qui dit que les adolescents pour la plus part
écoutent leurs émissions musicales à la radio.
Selon certains chercheurs, les moyens médiatiques tels
la télévision, la radio, le cinéma, la presse
écrite, les livres, la publicité et Internet véhiculent
des idéologies conforment à l'idéal de vie
américaine (Konaté, 1994 ; Mattelar, 2002).
Les résultats obtenus montrent que la présence
des vidéoclips afro-américains est dominante et constitue un mode
d'acculturation des adolescents ivoiriens. L'étude menée par
Konaté (1994, p9) citée par Marie Thérèse ABOGO
(2006 p 86-87) révèle en effet que :
« La domination des produits culturels occidentaux
dans le Tiers -monde est une réalité qu'on peut mesurer sur le
flot des produits que les occidentaux déversent dans les États en
développement et aux modèles véhiculés. Les
Américains occupent les marchés du Tiers-monde parce que ceux-ci
sont souvent `vierges' ; leur pénétration est donc plus
facile.»
Nous comprenons donc pourquoi les jeunes disent pour la
plupart préférer les chanteurs afro-américains. Ils sont
victimes d'une réception très dominante des contenus musicaux
afro-américains. Ce qui nous laisse observer qu'il n'y a aucun
équilibre entre la réception culturelle étrangère
(afro-américaine) et la réception de la culture ivoirienne en
matière musicale.
Les adolescents interviewés ont dit
préférer la culture américaine parce qu'elle
reflète la modernité notamment à travers ses
précisions technologiques, ce qui est tout à fait le contraire
pour la culture ivoirienne. La jeune élève interrogée en
entrevue individuelle à dit que les clips ivoiriens sont nuls, que
c'était du « n'importe quoi » et quand il lui arrivait de les
regarder, elle avait des migraines. Tout cel a pour dire que la culture manque
de précision.
Toutes ces observations viennent confirmer notre
première hypothèse. Ainsi pourrait donc se justifier le fait que
les adolescents ivoiriens parlent souvent des chanteurs afro-américains.
Selon notre étude cette domination se manifeste par la réception
très dominante des contenus musicaux afro -américains, ainsi que
des séries télévisées.
En matière musicale, notons qu'il n'y a pas
d'équilibre entre la réception culturelle étrangère
et la réception de la culture ivoirienne. Pour les adolescents
interrogés, la culture américaine reflète la
modernité, notamment à travers la précision de ses
technologies, ce qui n'est pas le cas pour la culture africaine et ivoirienne
en particulier. Le dépouillement des questionnaires nous
révèle que la quasi-totalité des adolescents désire
vivre en Occident ; ceci confirme le fort attrait de ces contenus culturels
pour ces adolescents.
Comme le signale l'auteur cité plus haut, dans un
contexte d'impérialisme, les peuples dominés adoptent le style de
vie occidentale, leurs manières de penser et d'agir. Ceci contribue
à expliquer le fait que les adolescents disent qu'à la
télévision, ce sont les chansons américaines qu'ils
préfèrent beaucoup plus que les chansons ivoiriennes. Cette
préférence, ils l'expliquent mieux en entrevues individuelles,
quand on leur demande pourquoi ils aiment les vidéoclips
américains, comme en témoigne cette réponse de
l'interviewée:
« les vidéoclips ivoiriens sont nuls, alors que
les vidéoclips américains sont modernes, les images de
qualité, ils ont du style».
En outre, l'analyse des deux vidéoclips, nous a
montré que la réception des clips afro-américains par les
élèves est tellement dominante que les vidéoclips
ivoiriens ne véhiculent que les mêmes messages de vie à
l'occidentale (la vie luxueuse, la consommation des biens, le gaspillage de
l'argent, etc.).
Les entrevues individuelles, nous ont permis de constater que
les filles sont beaucoup plus portées vers les musiques
américaines de type Slow et RnB, qui fait essentiellement allusion
à l'amour. Cependant, les garçons préfèrent le rock
et le rap, à cause de son langage cru et révolutionnaire. Ceci
vient confirmer nos hypothèses 2 et 4 et les constats déjà
effectués par d'autres chercheurs sur la diff érence des
préférences selon le genre.
Aussi relevons que le constat fait par Konaté, voulant
que : « Le récepteur ne consomme pas systématiquement
les produits d'importation ; s'il le fait son comportement peut ne pas en
déduire les effets »57 est vérifié
dans notre étude car les adolescents interrogés affirment que
même si les vidéoclips sont très beaux à regarder et
qu'ils les aiment il n'en demeure pas moins que le contenu des messages
véhiculés et le style vestimentaire (trop osés) ne sont
pas bons.
57 Konaté, Sié (1994).
La littérature d'enfance et de jeunesse en Afrique noire francophone
: Burkina Faso, Côte d'Ivoire et Sénégal :
L'impérialisme culturel à travers la production et la
distribution du livre pour enfants. Ottawa : banque
internationale d'information sur les États francophones, P
12.
Par ailleurs nous insistons sur un fait important dont nous
avons parlé plus haut, à savoir que la réception
médiatique est généralement liée au sexe. Et cela a
déjà été relevé dans des travaux
antérieurs sur la réception : Médard (2005, p36)
écrit à cet effet que : « la réception
médiatique renvoie à des compétences et à des
pratiques culturelles différenciées ; le rituel, l'usage et le
décodage son différents. De même la consommation des
médias varie d'un média à un autre selon les genres. Les
attentes ne s ont pas les mêmes chez les deux sexes ». Les
résultats sur la réception médiatique obtenus, nous donne
de comprendre que les adolescents de chaque sexe sont souvent partagés
dans le travail d'interprétation des messages reçus.
3- Interprétation selon la réception de la
musique afro-américaine et la
construction des valeurs identitaires des
adolescents
Il s'agissait pour nous de voir si le comportement des
adolescents par rapport à leur consommation et leur réception des
médias était fonction de la re présentation psychologique
qu'ils se faisaient d'eux -mêmes. Dans notre étude, la plus part
(76%) des élèves se voient comme des adolescents. Il faut donc
une bonne représentation d'eux - mêmes. Nous nous accordons avec
Marie Thérèse ABOGO pour dire que si la majorité des
élèves se voient comme des adolescents c'est : « en
partie à cause de leur âge, ensuite parce qu'ils constituent une
communauté, conformément à la littérature sur
l'identité culturelle adolescente et la domination des industries
culturelles. »
Egalement, notons que si la grande majorité (93%) des
élèves désirent vivre en occident, c'est parce qu'ils
pensent que dans ces pays, la vie est exactement comme cela leur est
présentée dans les vidéoclips et donc ils ont tendance
à plus ai mé ces pays que le leurs. Aussi, si d'autres
élèves désirent vivre dans des pays asiatiques c'est
à cause de la technologie et des produits électroménagers
qui ont envahit le continent africain et la Côte d'Ivoire en
particulier.
Par ailleurs ce grand amour pour l'oc cident n'exerce pas une
forte influence sur leur esprit patriotique surtout chez les filles dans la
mesure ou plus de la moitié (52%) des élèves affirment
leur patriotisme. Par ces résultats, nous remettons en cause la
thèse des chercheurs tels que Marie Thérèse ABOGO, qui
dans son étude sur la réception des vidéoclips
afro-américain au Cameroun relève qu'en raison de leur plus
grande réception des contenus musicaux afro-américains les filles
n'étaient pas patriotes pour la plus part. CHAPITRE III :
RECOMMANDATIONS
Cette étude que nous avons entrepris est en fait un
paravent, parce qu'implicitement, nous avons voulu interpeller la conscience
des uns et des autres sur l'importance de la sauvegarde de nos valeurs
culturelles, en raison de la diffusion massive des vidéoclips
afro-américain jusqu' à la création d'une émission
type pour ces vidéoclips.
En effet à l'ère de la mondialisation, qui
suppose un échange réciproque entre les différents pays,
échange culturel surtout, nous importons massivement les musiq ues
afro-américains et leurs styles sans toutefois exporter les
nôtres.
Ainsi les élèves dans leur grande
majorité ont affirmé regarder les émissions musicales sur
Internet, les CD et à la télévision, nous suggérons
donc au gouvernement par le biais du ministère de la culture de
créer une plate forme virtuelle sur laquelle les vidéoclips
ivoiriens vont être diffusées. Ceci permettra aux adolescents
ivoiriens de se familiariser avec leur culture mais aussi aux occidentaux de
découvrir la culture musicale ivoirienne.
En outre que les responsables de la Radiodiffusion
Télévision Ivoirienne (RTI), régulent la diffusion des
vidéoclips afro -américains sur les chaînes et que les
producteurs créent des émissions qui vont valoriser la culture
musicale ivoirienne ; c ar les scènes que les adolescents voient
à la télévision s'imprègnent dans leurs
consciences, au point de les marquer et de les amener souvent à
s'identifier à leurs stars préférées.
Par ailleurs des organismes de développement international
peuvent être d 'un
grand apport dans les programmes d'éducation des
adolescents en Côte d'Ivoire. A titre
d'exemple, l'UNESCO, Organisation des Nations Unies pour la
Culture et l'Education, qui prône la protection et la promotion de la
diversité culturelle, peut offrir d e conditions qui permettront de
protéger la culture ivoirienne.
De même d'autres structures locales qui travaillent dans
le domaine culturel telle le CNAC, Centre National des Arts et de la Culture
doivent initier des programmes d'éducation et de sensibilisation des
adolescents qui sont en quête d'identité.
L'Etat à travers les mairies et les conseils devraient
pouvoir construire des centres culturels pour les jeunes, ce qui leur permettra
de se divertir tout en apprenant leur culture. Aussi l'Etat doit assainir les
milieux scolaires, universitaires et la fonction publique afin de donner la
chance à tout le monde de réussir, évitant ainsi de
pousser les jeunes à l'aventure dans les pays occidentaux.
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