Les enjeux géostratégiques de l'initiative pays pauvres très endettés (PPTE): le cas du Cameroun( Télécharger le fichier original )par Bruno ATANGANA Université de Yaoundé II - Soa - DEA 2009 |
Section II : L' intérêt des créanciers pour L'INITIATIVE PPTEL'Initiative PPTE s'inscrit dans un type de coopération donnant-donnant, ainsi toute idée de générosité est à exclure sur ce plan. C'est parce que les créanciers ont un intérêt déterminé qu'ils acceptent s'engager dans ce programme d'allègement de dette. Paragraphe 1 : L'INTÉRÊT DE L'INITIATIVE PPTE POUR LES PRINCIPALES PUISSANCES CRÉANCIÈRES EN ACTIVITÉ AU CAMEROUN. La France et les Etats-Unis sont considérés comme les deux principales puissances étrangères en activité au Cameroun ; la première dont l'influence s'est quelque peu amenuisée et la seconde qui tente d'affirmer sa suprématie. Il s'agira à cet effet de montrer qu il existe un rapport entre l'Initiative PPTE et la sécurité nationale des Etats-Unis A. Ensuite qu'à travers l'Initiative PPTE la France veut retrouver son influence au Cameroun (B) A) Le rapport entre l'Initiative PPTE et la sécurité nationale des Etats-Unis Le thème de la sécurité nationale des Etats-Unis a pris une grande ampleur au lendemain des attentats du 11 Septembre 2001 ; depuis lors la notion de sécurité tournait autour de la lutte contre le terrorisme et le démantèlement du réseau al Quaeda où qu'il se développe. Avec le sabotage des oléoducs et la destruction des convois pétroliers, la sécurité a ensuite consisté en la protection des zones d'approvisionnement en or noir. Plus récemment avec la catastrophe du cyclone Katrina en 2005, la sécurité des Etats-Unis a pris une dimension, celle de la protection de l'environnement et la lutte contre le réchauffement climatique. Cette multiplicité de sens à laquelle renvoie la notion de sécurité est inféodée dans une idée : l'insécurité se développe dans des endroits où règnent la pauvreté et le désespoir. C'est en tout cas ce qui ressort du discours46(*) de Colin Powell au lendemain des attentats du 11 Septembre 2001. Mais doit-on pour autant penser que la lutte contre la pauvreté suffirait à lutter contre la pauvreté. En d'autres termes l'annulation de la dette des pays pauvres très endettés rendrait-elle l'Amérique plus en sécurité. Cette interrogation de Sarah Anderson nous permet d'entrevoir le rapport possible entre l'Initiative PPTE et la sécurité des Etats-Unis. La contribution des Etats-Unis au programme d'allègement de la dette des pays pauvres très endettés n'est pas fortuite. Trois raisons permettent d'expliquer cela : la première a trait à la sécurité énergétique. Quelques uns des PPTE sont des producteurs de pétrole ou ont un accès à la mer qui en facilite l'extraction. Selon Sarah Anderson, le gouvernement américain en travaillant avec le FMI et la Banque Mondiale, s'est servi de la dette comme levier pour pousser les pays pauvres à accélérer l'extraction de l'or noir et d'en réguler la gestion (Anderson, 2006). C'est ainsi que dans l'ordre des recommandations que le FMI et la Banque Mondiale ont prescrites au Cameroun, figure l'obligation de publication des quotas de production, ainsi que l'autonomisation de la Société nationale des Hydrocarbures (SNH) pour en faciliter une gestion transparente ainsi que prévu dans le cadre de l'Initiative de Transparence des industries extractives (ITIE). Cette nécessité de transparence, bien qu'elle limite les risque d'opacité dans la gestion des revenus du pétrole au Cameroun, est surtout destinée à rassurer les multinationales intéressées par l'exploitation pétrolière. Et comme le souligne Jean Laherrère, « banquiers et actionnaires détestent risques et incertitudes ». C'est la raison pour laquelle les pays pétroliers PPTE ont vu leur production augmenter entre la période 1987 et 1996 par rapport aux pays qui ne le sont pas5. La collusion des intérêts des Institutions Financières Internationales et de ceux des Etats-Unis apparaît également au niveau de la péninsule de Bakassi qui suscite de plus en plus la convoitise. En effet dans le questionnaire classique qui aide à la préparation des missions du FMI et de la Banque Mondiale au Cameroun, les bailleurs de Fonds voulaient savoir, s'agissant du secteur pétrolier, des « données actualisées pour la production du pétrole jusqu'à la fin 2027, prenant en compte les réserves de Bakassi ». Cet intérêt pour Bakassi considérée comme une zone riche en pétrole47(*), est significatif au regard des prétentions des institutions de Bretton Woods. Pour le gouvernement américain, la pression sur les pays débiteurs est destinée à une stratégie énergétique basée non pas seulement sur la dépendance en pétrole, mais également sur la diversification de l'offre en or noir pour les USA par rapport au Moyen Orient (Anderson, op.cit). La deuxième raison est relative à l'impact de l'action des pays situés dans des zones protégées sur l'environnement. En effet il est admis que le réchauffement climatique est en grande partie dù à la main de l'homme. Pour les autorités américaines, il faut aider les pays pauvres à utiliser les ressources naturelles à bon escient dans la voie qui protége l'environnement ; sans la charge de la dette, ces pays seraient dans une meilleur situation pour mieux gérer les ressources naturelles limitées de manière plus responsable, affirme Sarah Anderson. De ce point de vue, il apparaît que le réchauffement climatique, parce qu'il menace directement leur sécurité nationale, est un sujet préoccupant pour les Etats-Unis. Selon le rapport de l'Institut Mondial des Ressources, la déforestation est significative dans de nombreux pays du Tiers-monde, notamment dans certains pays pauvres très endettés. Tableau 9: top 20 Deforesters ranked by loss land Shading indicates heavily indebted poor country Country Decline in natural forest area Rank in developing world 1990 2000 thousands of hectares in total external debt 1. Brasil -24,443 1 2. Indonesia -15,831 7 3. India -14,707 8 4. Sudan -9,889 32 5. Zambia -8,528 58 6. México -6,573 6 7. Myanmar -5,534 52 8. Congo.Dém.Rép. -5,325 42 9. Nigeria -4,214 16 10. Argentina -3,77 4 11. Thailand -3,374 11 12. Zimbabwe -3,221 71 13. Peru -3,188 21 14. Malasia -2,718 12 15. Cote d'Ivoire -2,696 39 16. Venezuela -2,675 17 17. Cameroon -2,220 45 18. Columbia -1,970 19 19. Bolivia -1,625 60 20. Ecuador -1,407 33 Source: World resources Institute Au regard de ces indicateurs, le Cameroun apparaît comme l'un des pays pauvres très endettés avec la Cote d`Ivoire ou l'impact sur la forêt est remarquable. Une autre étude6 relève par ailleurs un pourcentage élevé de coupe de bois illégale qui concourt à cet état de fait. L'intérêt des puissances créancières et notamment des Etats-Unis, à l'annulation de la dette des PPTE apparaît donc clairement ; le levier de la dette peut permettre de contraindre ces pays à mieux contrôler l'utilisation de leurs ressources naturelles. Enfin la troisième raison réside dans la main mise des Etats-Unis sur le processus de privatisation et d'octroi de concessions. A ce titre l'on peut noter la nomination d'un responsable Américain en charge de la privatisation auprès des services de la présidence de la république du Cameroun. Ce n'est donc pas surprenant que ce dernier soit amené à garantir en premier les intérêts des Etats-Unis en influant sur l'octroi des offres les plus attrayantes aux entreprises Américaines. A titre d'exemple la société Américaine Geovic-Cameroun S.A, a obtenu en 2007 du gouvernement Camerounais la réalisation du projet cobalt-nickel de Nkamouna à l'Est Cameroun, ainsi que l'exploitation d'une mine de bauxite à Minimartap estimée à 1,2 milliards de tonnes de réserve avec pour concessionnaire la société Américaine hydromine48(*). Dans le même ordre d'idées le secteur de l'électricité a été confié à Aes Sonel. La présence Américaine au Cameroun est concurrencée par la France qui tente de retrouver son influence.
B) Le d: une tentative Française de retrouver son influence au Cameroun Historiquement le Cameroun a été sous influence française notamment à travers le mandat et la tutelle exercés par la France. Après son indépendance, le Cameroun a entretenu des relations étroites avec l'ancienne puissance. Il était même considéré comme faisant partie de son précarré, c'est-à-dire politiquement connecté à la France par le biais de rapports privilégiés se traduisant parfois par des actes d'allégeance (Mouelle K., 1996 :55) Mais dès la décennie 90, la chute du mur de Berlin a marqué la fin du monopole de la France sur ses anciennes puissances coloniales ainsi que l'affirmait l'ancien Secrétaire d'Etat Américain Becker. La première étape de cette tourmente s'est faite par la dévaluation du franc CFA le 1er janvier 1994 et la mise du Cameroun sous ajustement structurel par le FMI et la Banque Mondiale. A vrai dire la main mise des institutions de Bretton Woods sur le Cameroun a réduit la marge de manoeuvre de la France. Deux obstacles permettent d'illustrer cet état de choses : la nécessaire transparence de la gestion du pétrole se fait aux dépens des compagnies pétrolières françaises d'une part, et d'autre part la prescription de l'endettement à des conditions concessionnelles contribuent à remettre en cause le monopole de la France sur les créances accordées au Cameroun. En effet la compagnie pétrolière Elf a longtemps été la principale entreprise d'exploitation du pétrole au Cameroun ; en 1992 la multinationale Française produisait 77 % du pétrole Camerounais, et jusqu'en 1996 les recettes pétrolières n'étaient pas budgétisées. Cette gestion opaque des revenus de l'or noir a néanmoins bénéficié à quelques dirigeants Camerounais, ainsi qu'a la multinationale Française. L'exigence du FMI et de la Banque mondiale en matière de gestion pétrolière s'est traduite par la mise en place de l'Initiative pour la Transparence des Industries Extractives (ITIE) pour rendre le processus plus transparent. Cela a contribué à faire reculer le monopole de la France en matière d'exploitation pétrolière au Cameroun ; situation qui s'est confirmée par le retrait des sociétés Françaises Total Fina Elf réunies en joint venture du projet Pipeline Tchad-Cameroun en 1999. En outre, la perspective du contingentement de la France par les institutions de Bretton Woods sous l'égide des Etats-Unis, s'est également faite à travers l'exigence de libéralisme et la prescription de l'endettement du Cameroun à des conditions concessionnelles. Dans le premier cas, le Fmi et la Banque mondiale ont prescrit au Cameroun, sous réserve de l'allègement de la dette, un réendettement à des conditions concessionnelles ; cela signifie le réendettement avec un taux d'intérêt de 0,5%. Cette forme d'endettement est en effet celle préconisée dans le cadre du Fmi et de la Banque mondiale, cela signifie dès lors que le Cameroun ne devrait pas privilégier de s'endetter auprès de ses autres partenaires, notamment la France ; mais plutôt auprès des institutions de Bretton Woods dont les USA sont les principaux contributeurs. Cette idée traduit elle aussi la volonté américaine d'avoir un contrôle sur l'orientation politique et économique du Cameroun, et d'écarter de ce fait la France. Face à cela comment la France réagit elle ? La France est consciente de sa perte d'influence en Afrique en général et au Cameroun en particulier ; c'est pourquoi elle nourrit le désir de faire son retour. C'est ce que reconnaît le Secrétaire d'Etat français à la Coopération et à la Francophonie Alain Joyandet49(*) : « J'ouvre donc aujourd'hui huit chantiers ; ces chantiers sont autant d'actions concrètes pour repositionner la France sur l'échiquier africain et encadrer sa coopération. Ces huit chantiers reposent sur deux piliers : le développement économique et le rayonnement culturel...Avec le premier chantier que je propose, la France fera bouger les lignes, en incitant plus encore les entreprises françaises à investir en Afrique... ». Le retour de la France dans les zones où son influence s'est détériorée est donc devenu une priorité pour les autorités françaises, et l'Initiative PPTE peut servir d'instrument pour y parvenir. La possibilité qu'offre l'Initiative PPTE aux créanciers bilatéraux de traiter la dette des pays pauvres, se traduit par la modélisation du programme à leur convenance. La France pour sa part, dispose d'un levier spécifique appelé d à travers lequel elle peut exercer un contrôle sur les pays qui bénéficient de son aide, notamment la Côte d'Ivoire et le Cameroun. En principe le d s'étale sur une dizaine d'années, mais son effectivité est assujettie à certaines conditionnalités dont la présentation de projets jugés pertinents et viables. Ceux-ci sont principalement consacrés à la réalisation d'infrastructures urbaines et rurales ; Douala et Yaoundé ont été choisis pour les projets de voiries sur financement c2d. Mais l'éventualité du financement de tels projets suscite quelque controverse : en effet la participation d'entreprises françaises à la réalisation de projets d'infrastructures est souvent sujet à caution, elle est souvent déterminante pour le décaissement des fonds. A titre d'exemple la société française Razel a réalisé des projets de construction des axes routiers Olezoa - Mess des officiers ; l'agrandissement en 2 fois 2 de la nouvelle route Bastos, le plan de déplacement en giratoire avec passage souterrain du carrefour Préfecture. Ces travaux sur financement d réalisés par des entreprises françaises permettent d'expliquer la logique du donnant - donnant qui prévaut dans le cadre du programme d'allègement de la dette des pays pauvres très endettés.
Compagnies filiales Nationalité Superficie des concessions % de la superficie 1998-99 milliers d ha. Totale des concessions 1998-99 -Thanry CIBC, SAB française 650 16% SEBC, CFC, Prenant - Bolloré, SIBAF française 412 10% La forestière de Campo - Coron française 212 5% - Alpi, Alpicam ; Grumcam italienne 204 5% - Hazim, SFH libanaise 157 4% - Rougier, SFID française 132 3% - Decolvenaere, Sotref belge 75 3% SFIL - Itallegno, Ecam italienne 69 2% - Vasto-Legneault SEFAC italienne 63 2% - Pasquet Pallisco française 61 1% - Autres 2019 50% Total 4054 100% Source : La superficie des concessions a été calculée par l OMF Cameroun a partir des données fournies par le SIGIF ; les renseignements sur les sociétés et les filiales proviennent de Greenpeace international, Buying destruction, Amsterdam 1999 ; JC CARRET, CERNA communication personnelle, de.1999, Alain Karzentry, CIRAD communication personnelle, Dec.1999, Dominieck Plouvier, WWF Belgique Communication personnelle, Dec.1999. Ce tableau illustre bien que les sociétés françaises sont prépondérantes parmi les sociétés étrangères exportatrices de bois au Cameroun. On peut dès lors être amené a s' interroger sur le bien fondé d'une commission sur financement destinée à la préservation du couvert forestier au Cameroun, sachant que la France a auparavant été réticente à l'adoption d'un cadre normatif51(*) en vue de la transparence de l'exploitation forestière au Cameroun. Deux hypothèses peuvent alors être envisagées ici : Soit la France veut s'assurer que les intérêts des entreprises françaises sont sauvegardées, soit elle veut tout en gardant la première option, montrer qu'elle milite en faveur de la protection de l'environnement. Dans les deux cas, la France envisage se servir de l' allègement de la dette du Cameroun pour préserver ses intérêts. * 46 Voir Sarah Anderson ,» boomerang :how Americans would benefit from cancellation of impoverished country debts», working Paper, Institute for studies, Washington Dc, mars 2006 * 47 Voir Dossier Cameroun-FMI, « Pétrole : Bakassi intéresse le FMI » in La Nouvelle Expression 20-09-2007. Par Valentin Siméon Zinga. * 48 Voir Le journal de la Finance Africaine, online http : www.lesafriques .com-Cameroun du 26-11-2008 * 49 Voir Le jour, quotidien camerounais N. 0192 du lundi 23 juin 2008. Point de presse du secrétaire d'Etat français à la coopération et à la Francophonie, Alain Joyandet., Paris le 19 juin 2008 * 50 La France a élaboré avec l'Allemagne une « feuille de route » dont l'objectif est la gestion durable des ressources forestières au Cameroun et dans le Bassin du Congo, à travers le Programme Sectoriel Forêt et Environnement ; le PSFE camerounais auquel la France apporte sa contribution à hauteur de 20millions d euro. La France appuie par ailleurs depuis février 2005 la facilitation du partenariat pour les forêts du Bassin du Congo. * 51 Le chef de mission de coopération, Pierre Jacquemot et le directeur de la Caisse Française de Développement Dominique Dordain avaient dissuadé le Cameroun de créer l' Office National du Bois prévu par une loi du 20 Janvier 1994. Voir Lettre du 05-07-1994, citée par Charles Yaho, « Exploitation forestière, c'est la France qui décide » in La Nouvelle Expression du 08-08-1995. Cet Office aurait permis de connaitre les chiffres d'affaires exacts des grands groupes d'exploitants étrangers et d'assurer un rapatriement conséquent des devises générées par l'exploitation du bois camerounais. Voir à ce titre Valentin Siméon Zinga, »le gouvernement veut liquider nos forets » in Le Messager du 10-10-1994. Le passage à la trappe de cette loi permet d'entretenir le flou sur les profits et la surexploitation des forets ; sans doute que la France disposait d'un moyen de pression non négligeable. Elle liait une remise de dette de 58 millions de FF à l'adoption d'une nouvelle législation forestière jugée acceptable. Voir le Messager du 10-11-1994. |
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