Les enjeux géostratégiques de l'initiative pays pauvres très endettés (PPTE): le cas du Cameroun( Télécharger le fichier original )par Bruno ATANGANA Université de Yaoundé II - Soa - DEA 2009 |
Paragraphe 2 : la portée stratégique de l'initiative ppteL'Initiative PPTE est présentée comme un programme d'allègement de la dette des pays pauvres très endettés ; mais cette perspective ne présente pas le programme sous toutes ses formes. En réalité, le défi du désendettement n'échappe pas à l'option de la construction politique de la solvabilité (A); ni même à la promotion du néolibéralisme. A) Du défi du désendettement à la construction politique de la solvabilité L'annulation de la dette des pays pauvres très endettés répond à une logique : elle vise à alléger le fardeau de la dette de ces pays. Mais l'Initiative PPTE ne s'inscrit pas seulement dans l'optique du désendettement, elle vise également à restaurer la solvabilité que la charge d'endettement a contribué à hypothéquer. Il s'agit à cet effet pour la communauté financière internationale d'anticiper une crise de la dette à l'instar de celle qui a eu lieu dans les années 1980 où le refus du Mexique de payer sa dette a eu un effet d'engrenage sur les autres pays débiteurs. Ainsi à l'Initiative du G7 regroupant les pays les plus industrialisés de la planète, les institutions financières internationales ont mis en place le programme PPTE, l'implication du politique par le biais du G7 ne participe pas d'une raison fortuite. En effet le sommet au cours duquel se réunissent les pays les plus riches de la planète est une occasion d'examiner l'état de l'économie mondiale ; bien que revêtant un caractère informel, cette réunion vise à anticiper, prévoir et prévenir la survenance d'une crise politique économique démographique, économique ou financière. C'est donc à dessein que l'Initiative PPTE a vu le jour. La volonté d'inscrire l'Initiative PPTE sous la forme d'un programme de lutte contre la pauvreté nourrit quelques contradictions. Lorsque l'Initiative d'allègement de la dette multilatérale IADM est mis en place en 2005, c'est dans l'optique d'atteindre les objectifs du millénaire pour le développement ; c'est un programme instauré en vue de pallier les insuffisances de l'Initiative PPTE, affirme le FMI (IMF Magazine Survey, 2007). Ce point de vue n'est pas pleinement justifié, autrement l'Initiative PPTE aurait intégré la lutte contre la pauvreté dès son lancement en 1996 ou tout au plus en 2000 lors la tenue du Sommet du Millénaire pour le développement. L'argument de la lutte contre la pauvreté ne résiste que partiellement à l'épreuve des faits ; il a surtout servi de mobile de légitimation du programme. La construction politique de la solvabilité semble plus justifier la démarche. En théorie la solvabilité d'un pays est mesurable à son niveau d'endettement et à sa capacité à effectuer le service de la dette. C'est un mécanisme de régulation et de régularisation de la relation débiteur - créancier41(*). Historiquement le Cameroun a eu des rapports mitigés avec les bailleurs de fonds ; cela s'est traduit par son incapacité à assurer le service de la dette entre 1989 et 1997. La restauration de cette solvabilité est l'objectif majeur de l'Initiative PPTE. C'est ainsi qu'entre la période où le pays est admis à ce programme et le moment où il commence à bénéficier des premiers allègements de dette, celui-ci doit remplir un certain nombre de conditionnalités parmi lesquelles la négociation de ses créances bilatérales et multilatérales. Cette négociation implique le paiement de certaines créances sous réserve d'un rééchelonnement autorisé par le créancier. Dans le même ordre d'idées, l'exigence d'une couverture des recettes de l'Etat prévue par le Mémorandum de Politique Economique et Financière participe d'une logique de solvabilité du débiteur. En effet il est admis que l'Etat doit assurer ses dépenses dans le sillage des recettes non pétrolières, les recettes pétrolières étant destinées à assurer le service de la dette. Cette politique qui s'applique à tous les PPTE producteurs de pétrole est significative dans le cas du Cameroun. De ce point de vue, l'Initiative PPTE est un glacis géostratégique par lequel les bailleurs de fonds élaborent un système d'informations échelonnées ou la détermination du Cameroun se heurte à des obstacles gradués intentionnellement. B) De la promotion du Libéralisme Les rapports Nord Sud sont dictés par des échanges économiques et commerciaux entretenus par la mondialisation. La libéralisation des comportements économiques qui en découle participe d'une volonté d'ouverture des barrières douanières, de facilitation de la circulation des personnes et des biens et services. Faiblement représentés dans les échanges commerciaux, les pays pauvres qui vivent en marge du processus de mondialisation, sont soumis à des contraintes d'insertion dans l'économie monde. Même si les « logiques d'intégration des marchés et d'intégration dans l'économie monde » sont inappropriées pour rendre compte des effets réels des politiques néolibérales (Mappa, 2003), elles peuvent servir de cadre explicatif aux enjeux économiques nés des politiques néolibérales véhiculées par l'Initiative PPTE. Héritière des Plans d'Ajustement Structurels, l'Initiative PPTE conserve le spectre de la figure de l'Etat modeste et de l'avidité du secteur privé. Une grande place est ainsi faite aux privatisations et à la réduction des interventions de l'Etat dans le secteur productif. A titre d'exemple le programme d'Initiative PPTE du Cameroun prévoit la privatisation des entreprises d'Etat, à l'instar de la CAMAIR, CAMTEL, SNEC, SONEL. A coté de cela, figure aussi la volonté des Institutions Financières Internationales d'assainir le cadre des affaires pour rendre le Cameroun plus attractif en terme d'investissements étrangers d'où l'adoption par le Cameroun du code des investissements et la réforme du système judiciaire42(*). Dans le même ordre d'idées l'Initiative PPTE vise à promouvoir le libre échange à travers l'ouverture des barrières douanières, l'égalité de traitement des partenaires commerciaux par l'application de la clause de la nation la plus favorisée43(*). A cet égard, l'enjeu tourne autour des rivalités commerciales entre les grandes puissances commerciales dans la sous région Afrique Centrale à savoir la France, les Etats Unis l'Union Européenne et la Chine. Pour l'Union Européenne, il s'agit de faire concurrence à l'Initiative américaine AGOA autrement appelée African Growth Opportunity Act, à travers la signature par le Cameroun et les autres ACP des Accords de partenariats économiques APE. A l'occasion de la tenue du sommet Union Européenne ACP en 2000 à Cotonou, il a été préconisé des clauses préférentielles destinées à accorder des exonérations douanières pour certains produits ACP en franchissement de douanes sur le marché de l'Union Européenne. Ces clauses devaient cependant s'estomper au 1er janvier 2008 avec l'entrée en vigueur des clauses non préférentielles opposable à tous, à l'exception des PMA, dans l'optique de se conformer aux règles de l'OMC. Mais à l'approche de l'échéance du 1er janvier 2008, de nombreux pays ACP ont émis des réticences à la signature des APE en évoquant des effets néfastes sur leurs économies, en terme de baisse des recettes douanières, du risque d'effondrement du secteur privé national et de la crise de l'emploi. Pour tenter de contourner ces réticences, les pays de l'Union européenne vont se servir de l'Initiative PPTE comme levier géopolitique pour faire fléchir les gouvernements ayant bénéficié de leurs allègements de dette. Le Cameroun en tant que plaque tournante des intérêts étrangers en l'Afrique Centrale, est pressenti pour servir de marche-pied à la réalisation de cet objectif. C'est dans cette mesure que le secrétaire d'Etat français au commerce44(*) en visite au Cameroun déclare : « le Cameroun a très bien compris puisqu'il est en avance et qu'il va amener avec lui les autres pays de la zone ». Cette déclaration s'inscrit dans une logique géostratégique spécifique, à savoir se servir du Cameroun pour se projeter dans l'espace CEMAC. En principe, selon le texte de Cotonou, les APE doivent être négociés par catégorie de pays regroupés en sous région. L'Union européenne envisage donc convaincre le Cameroun de signer ces APE dans l'optique de se créer un marché comparable à celui de l' AGOA américain ou à celui que la Chine est entrain de conquérir45(*). L'Initiative PPTE est donc une fenêtre ouverte à la compétition entre les différentes puissances engagées dans le programme de désendettement du Cameroun. * 41 Selon Jean Merckaert, les emprunts effectués par les pays du Sud ont surtout servi à rembourser les dettes initiales, voir à payer les arriérés...Si les IFI se félicitent de la diminution comptable du service de la dette, elles se gardent bien en revanche de mettre l'accent sur les montants effectivement remboursés chaque année par les PPTE » Voir Rapport Dette et Développement, dette des pays du Sud, 2005-2006. * 42 La mise en oeuvre de ces conditionnalités a été accompagnée par l'adoption de deux lois, la publication de deux décrets et une décision afin de voir appliquer de manière effective le Droit OHADA. Dans le cadre de la lutte contre la corruption, le Cameroun a ratifié la convention sur la corruption en 2002 et le gouvernement a mis en place un PNG avec la création de la CONAC et de la SNIF. * 43 Cette clause stipule que si on accorde des avantages à un pays, on doit également les accorder à d'autres. * 44 Déclaration de Anne Marie Idrac, Secrétaire d'état français au commerce. Voir le site d information du gouvernement- service du Premier ministre, online actualité- Le Portail du gouvernement.htm * 45 La Chine envisage développer une coopération accrue en matière économique et commerciale avec les pays africains ainsi que l'illustre le Sommet Cino - africain de 2004 qui a servi de base au lancement de ce projet. |
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