CHAPITRE 4
Suprématie de la Constitution de 1987 : mythe ou
réalité ?
Ce chapitre pose la problématique de l'autorité
de la Constitution de 1987. Cette autorité oscille entre mythe et
réalité. Dans un premier temps, nous donnons quelques raisons
permettant de présumer la suprématie de la Constitution (section
I). Dans un deuxième temps, nous essayons de démontrer que cette
suprématie est hypothéquée, car juridiquement mal
assurée (section II).
SECTION I.- QUELQUES RAISONS DE LA SUPRÉMATIE
PRÉSUMÉE DE LA CONSTITUTION DE 1987
Une Constitution est en quelque sorte un code des Pouvoirs
publics et une charte des libertés. De ce point de vue, Louis DUBOUIS et
Gustave PEISER ont rappelé que « la Constitution est la
Loi suprême de l'État216. » D'ailleurs,
Georges BURDEAU a estimé : « Que la Constitution soit écrite
ou qu'elle soit coutumière, elle demeure la Loi suprême de l'Etat.
»217
Un peu plus loin, Georges BURDEAU a aussi fait valoir que
« la force qui s'attache aux dispositions constitutionnelles doit
être envisagée à un double point de vue : elle leur vient
en effet toujours de leur contenu et parfois de la forme dans laquelle elles
sont édictées218. »
Dans cette perspective, au regard de son contenu, la
Constitution de 1987 paraît être la norme suprême de l'Etat.
Cela permet de présumer sa suprématie matérielle (§
1). De plus, son mode d'adoption et surtout sa procédure d'amendement
consacrent une rigidité de la norme constitutionnelle. Cette
rigidité permet de présumer une suprématie formelle de la
Constitution (§ 2).
216 DUBOUIS, PEISER 2007, op. cit., page 2.
217 BURDEAU 1977, page 80.
218 Idem, page 80.
Par ailleurs, on a pu identifier une consécration
implicite du principe de la hiérarchie des normes juridiques dans la
Constitution de 1987. Au sommet de cette hiérarchie, les constituants de
1987 ont placé la Constitution. Cette dernière prescrit le
principe de la légalité des règlements de
l'Exécutif et de l'Administration et le principe de la
constitutionnalité des lois, des conventions, traités ou accords
internationaux (§ 3).
En conséquence, toutes ces raisons concourent à
faire présumer l'autorité, donc la suprématie de la
Constitution de 1987 sur les autres normes juridiques.
§ 1.- LE CONTENU DE LA CONSTITUTION
Selon les professeurs Louis DUBOUIS et Gustave PEISER : «
La raison profonde de la supériorité de la Constitution tient
à l'importance du contenu des règles constitutionnelles :
organisation du pouvoir, consécration des droits et libertés
fondamentales du citoyen219. »
De son côté, le professeur Georges BURDEAU
précise : « La Constitution doit sa supériorité
surtout à son contenu220. »
Pour sa part, le professeur Philippe ARDANT, faisant
référence au contenu d'une Constitution a fait la remarque que
voici : « La diversité est reine, mais un fonds commun aux
Constitutions existe221. » Pour lui, dans une
Constitution, on trouve généralement et fondamentalement une
Déclaration des droits, des principes d'organisation économique
et sociale, des règles d'organisation et des procédures de
fonctionnement des institutions, puis des dispositions diverses.
En effet, la Constitution de 1987 a un contenu similaire sinon
identique au contenu indiqué par Philippe ARDANT :
> D'abord, la Constitution de 1987 s'ouvre par un
Préambule et comporte une Déclaration des droits. D'ailleurs, la
Constitution fait référence à la Déclaration
Universelle des Droits de l'Homme de 1948 (DUDH) à la fois dans son
Préambule et dans ses dispositions222. De plus, elle fixe les
droits civils et politiques du citoyen sans
219 DUBOUIS, PEISER, 2007, op. cit., page 2.
220 BURDEAU 1977, op. cit., pages 80 et 81.
221 ARDANT 2002, op. cit., pages 69 à 72.
222 Art. 19, Constitution de 1987.
négliger les droits économiques et sociaux. De
ce point de vue, la Constitution de 1987 peut être
considérée comme une charte des libertés. Selon Philippe
ARDANT : « Ces textes formulent la philosophie politique du régime,
les valeurs dont il se réclame, et énoncent les droits et
libertés des citoyens que le pouvoir s'engage à
respecter223. »
> Ensuite, les principes d'organisation économique
et sociale dont parle Philippe ARDANT sont inscrits dans la Constitution de
1987 et prennent place prioritairement dans son Préambule.
Dans le Préambule de la Constitution de 1987, il est
clairement indiqué : « Le Peuple haïtien proclame la
présente Constitution. [...] Pour constituer une nation haïtienne
socialement juste, économiquement libre et politiquement
indépendante. [...] Pour fortifier l'unité nationale, en
éliminant toutes discriminations entre les populations des villes et des
campagnes, par l'acceptation de la communauté de langues et de culture
et par la reconnaissance du droit au progrès, à l'information,
à l'éducation, à la santé, au travail et au loisir
pour tous les citoyens. »
> Pour ce qui concerne les règles d'organisation et
les procédures de fonctionnement des institutions dont fait mention le
professeur ARDANT, elles forment en quelque sorte la toile de fond de la
Constitution de 1987.
La Constitution de 1987 crée trois Pouvoirs dans l'Etat
: le Pouvoir Législatif, le Pouvoir Exécutif et le Pouvoir
Judiciaire224. L'article 59-1 précise : « L'ensemble de
ces trois (3) Pouvoirs constitue le fondement essentiel de l'organisation de
l'Etat qui est civil. » De plus, à l'article 59, la Constitution
dit consacrer le principe de la Séparation des trois Pouvoirs.
En outre, sur le plan local, la Constitution de 1987
crée des collectivités territoriales et en fait le cadre
fondamental de la décentralisation qu'elle prône.
> En dernier lieu, pour le professeur ARDANT, les «
dispositions diverses » que contient la Constitution
précisent certains attributs de l'Etat et proclament des principes
variés comme le nom de l'Etat, des dispositions relatives au drapeau,
les langues, etc.
223 idem, page 70.
224 Voir les chapitres II, III et IV du titre V de la
Constitution.
Là encore, la Constitution de 1987 donne le nom de
l'Etat : « République d'Haïti » qu'elle veut être
d'ailleurs démocratique225. Elle donne les couleurs du
drapeau : « le bleu et le rouge », le décrit et en fait
l'emblème de la Nation226. Elle fixe le Créole et le
Français comme les deux langues officielles de la
République227. Elle donne l'hymne nationale (La
Dessalinienne), l'unité monétaire (La Gourde)228,
etc.
En somme, on vient de voir que la Constitution de 1987, vu son
objet, correspond bien à ce « fonds commun aux Constitutions
» qui a pu être identifié par le professeur Philippe
ARDANT.
Par conséquent, en raison de l'importance du contenu de
ses règles, on peut déjà présumer une
suprématie de la Constitution de 1987. D'ailleurs, les professeurs Louis
DUBOUIS, Gustave PEISER et Georges BURDEAU ont estimé que le
critère profond de la suprématie de la Constitution doit
être recherché dans son contenu.
D'aucuns diraient qu'il s'agit d'une suprématie
matérielle. Toutefois, le mode d'adoption et la procédure
d'amendement de la Constitution de 1987 permettent encore de présumer sa
suprématie formelle.
§ 2.- LE MODE D'ADOPTION ET LA PROCÉDURE
D'AMENDEMENT DE LA CONSTITUTION
Selon le professeur Georges BURDEAU229 : «
L'autorité renforcée que la Constitution doit à son
contenu appelle logiquement à une consécration formelle. En ce
sens déjà, la rédaction de la Constitution
extériorise la puissance particulière qui s'attache à ses
dispositions. » Plus loin, il avance que « pour rendre cette garantie
plus efficace, on subordonne aussi sa modification au respect de certaines
conditions de forme. »
Tenant compte de ce qui précède, il est à
peine besoin de souligner que les conditions qui ont présidé
à l'adoption de la Constitution de 1987 et celles exigées pour sa
modification en font une Constitution rigide. D'ailleurs, à en croire
Raymond GUILLIEN et Jean
225 Art. 284-4.
226 Art. 3.
227 Art. 5.
228 Art. 4-1 et 6.
229 BURDEAU 1977, op. cit., page 82.
VINCENT, ce formalisme confère en principe à la
norme constitutionnelle une force juridique qui la situe à la
première place dans la hiérarchie des règles de
droit230.
En effet, la forme dans laquelle la Constitution de 1987 a
été élaborée et adoptée obéit
à une procédure différente de la procédure
législative ordinaire. D'où, un critère permettant de
présumer sa suprématie formelle.
En premier lieu, la Constitution de 1987 a été
élaborée par un organe spécial : l'Assemblée
Nationale Constituante. En second lieu, le texte constitutionnel a
été soumis à référendum pour que le Peuple
haïtien puisse le sanctionner. Effectivement, le Peuple l'a
approuvé ; ce qui, en fin de compte, fait de la Constitution de 1987
l'oeuvre du Peuple luimême. Or, le Peuple est le Souverain. Il est le
pouvoir constituant originaire. Comment ne pas parler de la suprématie
de l'oeuvre du Peuple par rapport aux normes édictées par des
organes qu'il institue ?
En outre, la rigidité de la norme constitutionnelle ne
tient pas uniquement à sa procédure d'élaboration. Encore
faut-il que sa modification obéisse à une procédure
spéciale, plus rigoureuse que la procédure législative
ordinaire.
En ce sens, la Constitution de 1987 prévoit
elle-même, aux articles 282 et suivants, les modalités en vue de
lui apporter des amendements. Cela laisse présager qu'elle
prévoit sa modification par la mise en oeuvre de la procédure
spéciale qu'elle renferme. Par conséquent, cette procédure
spéciale exigée par la Constitution pour sa modification peut
être envisagée comme une conséquence de sa
supériorité sur les autres normes juridiques.
Par ailleurs, la rigidité de la norme constitutionnelle
comporte des degrés qui sont fonction de la plus ou moins grande
difficulté de la procédure qui doit être suivie pour sa
modification. Or, à ce sujet, on a déjà entendu plus d'une
fois que la Constitution de 1987 est « verrouillée » tant il
paraît difficile de la modifier par la mise en oeuvre de la
procédure spéciale qu'elle renferme.
En effet, les modalités suivantes sont fixées aux
articles 282 et suivants de la Constitution de 1987, pour sa modification :
230 GUILLIEN, VINCENT 2001, op. cit., page 147.
a) Le pouvoir de révision
Ce sont les parlementaires qui sont investis du pouvoir
constituant dérivé encore appelé « pouvoir de
révision ». Néanmoins, pour amender la Constitution, les
parlementaires siègent dans une formation différente de celle
prévue pour le vote des lois ordinaires : « ...les Chambres se
réunissent en Assemblée Nationale et statuent sur l'amendement
proposé231. »
b) Les étapes de la procédure
1. L'initiative
L'initiative constitutionnelle est partagée. Elle
appartient concurremment au Pouvoir Exécutif et à chacune des
deux Assemblées. Donc, un projet d'amendement peut être
déposé au Parlement par le Pouvoir Exécutif. Sous
l'impulsion de l'une ou l'autre des deux (2) Assemblées, une proposition
d'amendement peut être aussi déposée.
2. La déclaration
La déclaration qu'il y a lieu d'amender la Constitution
est faite par le Pouvoir Législatif, avec motifs à l'appui.
Le libellé de l'article 282 paraît donner un
caractère discrétionnaire à cette prérogative du
Parlement. En effet, ledit article dispose : « Le Pouvoir
Législatif, sur la proposition de l'une ou l'autre des deux (2) Chambres
ou du Pouvoir Exécutif, a le droit de déclarer
qu'il y a lieu d'amender la Constitution, avec motifs à l'appui.
»
On en déduit que même sur la proposition du
Pouvoir Exécutif, par exemple, le Parlement pourrait décider de
ne pas tenir compte de la saisine. En d'autres termes, le Parlement pourrait ne
pas statuer sur le projet d'amendement de l'Exécutif à la
dernière session ordinaire de la Législature, puisqu'il n'est pas
tenu de le faire.
Par ailleurs, pour que la déclaration puisse être
faite, l'adhésion de la majorité qualifiée (2/3) est
exigée au niveau de chacune des deux (2) Assemblées. De plus,
elle peut être faite uniquement au cours de la dernière session
ordinaire de la Législature. Encore, fautil qu'elle soit publiée
sur toute l'étendue du territoire.232
231 Voir l'article 283 de la Constitution.
232 Art. 282-1.
De surcroît, la déclaration du Pouvoir
Législatif n'est qu'une déclaration d'intention233,
car on n'en est pas encore arrivé à l'amendement. Il y a
nécessité de votes renouvelés et cela permet de provoquer
des débats au niveau de la population. De plus, cela permet au Peuple de
se prononcer en décidant de reconduire la majorité ayant fait la
déclaration ou en votant une nouvelle majorité pour manifester
son accord ou son désaccord.
En somme, la déclaration exige la volonté du
Parlement, une majorité qualifiée, une période
précise et une publication immédiate.
3. La décision
La décision d'amender la Constitution suppose que des
élections législatives aient été
préalablement organisées, puisque la Constitution, en son article
283, fait obligation aux Assemblées de se réunir en
Assemblée Nationale pour statuer sur l'amendement proposé
dès la première session de la Législature suivante,
c'est-à-dire la Législature ayant suivi celle qui a fait la
déclaration.
Pour l'adoption de la décision d'amender la
Constitution, il est prévu : - Une période
spécifique : la première session de la Législature.
- Une formation spéciale : l'Assemblée Nationale.
- Un quorum précis : la présence des deux
tiers (2/3) des membres de chacune des deux Assemblées.
- Un type de majorité : la décision
d'adopter l'amendement proposé est prise par un vote à la
majorité qualifiée (2/3) des suffrages exprimés.
c) Les limitations et les interdictions
L'article 284-2 de la Constitution de 1987 dispose : «
L'amendement obtenu ne peut entrer en vigueur qu'après
l'installation du prochain élu. En aucun cas, le
Président sous le gouvernement de qui l'amendement a eu lieu ne peut
bénéficier des avantages qui en découlent. »
233 C'est en quelque sorte un voeu d'amendement.
L'article précité fixe le moment de la mise en
oeuvre de l'amendement obtenu. Cependant, qu'adviendrait-il si le Chef de
l'Etat sous la présidence de qui l'amendement a eu lieu redevient
Président cinq (5) ans ou dix (10) ans après, par exemple ?
Va-t-on suspendre l'amendement précédemment obtenu et mis en
vigueur, puisqu'en aucun cas, le Président en question
ne peut bénéficier des avantages qui en découlent ? Nous
voulons croire que le libellé de l'article en cause paraît avoir
un caractère ambigu.
Par ailleurs, en plus du fait que le Peuple ne dispose pas de
l'initiative constitutionnelle, l'article 284-3 de la Constitution interdit
formellement tout référendum constituant.
Enfin, des limitations sont apportées à l'objet
de l'amendement, en ce sens qu' : « aucun amendement à la
Constitution ne doit porter atteinte au caractère démocratique et
républicain de l'Etat234. »
§ 3.- LA CONSÉCRATION IMPLICITE DU PRINCIPE
DE LA HIÉRARCHIE DES NORMES JURIDIQUES
Un système juridique est un ensemble organisé de
règles de droit régissant une société. Elles ne se
retrouvent pas sur le même plan. Par conséquent, elles ne se
voient pas attachées la même valeur juridique. D'où, une
subordination entre normes supérieures et normes inférieures. Les
normes inférieures doivent être conformes aux normes
supérieures235.
La hiérarchie des normes juridiques est une vision
synthétique du droit mise au point par Hans KELSEN. Il s'agit d'une
vision hiérarchique des normes juridiques. Selon cette théorie,
toute règle de droit doit respecter la norme qui lui est
supérieure, formant ainsi un ordre hiérarchisé.
Il est admis que la Constitution écrite est la source
première du principe de la hiérarchie des normes. C'est le cas de
dire que ce principe trouve son fondement juridique dans la Constitution d'un
Etat donné. Pourtant, si on cherche les termes « hiérarchie
des normes juridiques » dans la Constitution de 1987, on ne les retrouvera
point. Donc, le texte
234 Voir l'article 284-4 de la Constitution de 1987.
235 ARDANT 2002, op. cit., p. 99.
constitutionnel ne fait pas textuellement
référence au principe de la hiérarchie des normes
juridiques. Néanmoins, le principe en question est consacré
implicitement dans la Constitution.
Comme on l'a vu un peu plus haut, le principe de la
hiérarchie des normes juridiques suppose une différenciation de
ces normes. Il aboutit à une suprématie de la Constitution et
cette suprématie est garantie par un contrôle de
constitutionnalité, c'est-à-dire, une vérification de
conformité ou tout au moins de compatibilité des normes
inférieures à la Constitution. C'est que cette hiérarchie
n'a de sens que si son respect est contrôlé par un juge. En
d'autres termes, le principe est mis en oeuvre par un contrôle de
conformité. Or, c'est précisément l'objet des articles 183
et 183-2 de la Constitution de 1987.
Par voie de conséquence, on peut avancer que le
principe de la hiérarchie des normes juridiques n'est pas posé
textuellement dans le texte constitutionnel de 1987. Toutefois, sa mise en
oeuvre est organisée par les dispositions des articles 183 et 183-2 de
la Constitution. D'où, sa reconnaissance et sa consécration
tacite.
L'article 183 de la Constitution dispose : « La Cour
de Cassation à l'occasion d'un litige et sur le renvoi qui lui en est
fait, se prononce en sections réunies sur l'inconstitutionnalité
des lois. »
On en déduit l'institution d'un contrôle
juridictionnel de conformité des lois ordinaires à la
Constitution. Donc, de toute évidence, cela suppose aussi que ledit
article prescrit que les lois ordinaires doivent être conformes ou tout
au moins compatibles à la Constitution. D'où, l'on peut supposer
la supériorité de la Constitution sur la loi ordinaire. En
d'autres termes, si l'on veut prendre ledit article au pied de la lettre, on
peut avancer que la norme législative occupe un rang inférieur
par rapport à la norme constitutionnelle.
De son côté, l'article 183-2 de la Constitution
de 1987 dispose : « Les tribunaux n'appliquent les
arrêtés et règlements d'Administration publique que pour
autant qu'ils sont conformes aux lois. »
Ici, on en déduit l'institution d'un contrôle
juridictionnel de conformité des règlements aux lois ordinaires.
Donc, de toute évidence, ledit article prescrit que les
règlements adoptés par le Pouvoir Exécutif ainsi que ceux
adoptés par l'Administration publique236 doivent
être
236 Que ce soit l'Administration publique centrale ou
l'Administration publique locale.
conformes ou tout au moins compatibles aux lois ordinaires. De
là, on peut valablement supposer la supériorité des lois
ordinaires sur lesdits règlements. En d'autres termes, la norme
réglementaire occupe un rang inférieur par rapport à la
norme législative.
Cela paraît d'autant plus vrai que la Constitution ne
fait aucune place aux règlements autonomes, puisque la loi peut
intervenir dans tous les domaines. Donc, les règlements auxquels fait
référence le paragraphe précédent sont toujours des
règlements d'application. Ils tirent leur fondement de la loi ; comment
alors ne pas être conformes ou ne pas être compatibles à la
norme à laquelle ils doivent leur fondement ?
D'ores, il est à peine besoin de préciser que le
contrôle de constitutionnalité des lois organisé par
l'article 183 de la Constitution de 1987 et le contrôle de
légalité des règlements organisé par l'article
183-2 de ladite Constitution font tout de suite penser à une
hiérarchie entre la norme constitutionnelle, la norme législative
et la norme réglementaire. Dans la hiérarchie instituée
entre ces trois (3) catégories de normes juridiques, la norme
constitutionnelle est supérieure à la norme législative et
cette dernière est supérieure à la norme
réglementaire.
De plus, l'article 276 de la Constitution de 1987 dispose :
« L'Assemblée Nationale ne peut ratifier aucun traité,
convention ou accord internationaux comportant des clauses contraires à
la pressente Constitution. »
Le libellé de cet article montre bien le souci de
préserver la supériorité de la Constitution même sur
les instruments juridiques internationaux par la ratification desquels l'Etat
décide de s'engager au plan international. C'est le cas de dire, suivant
l'expression juridique consacrée, que les traités, conventions ou
accords internationaux sont infraconstitutionnels.
Plus loin, la Constitution, en son article 276-2,
précise : « Les traités ou accords internationaux, une
fois sanctionnés et ratifiés dans les formes prévues par
la Constitution, font partie de la législation du pays et abrogent
toutes les lois qui leur sont contraires. »
On en déduit que la Constitution de 1987 accorde aux
traités ou accords internationaux une valeur juridique égale
à la norme législative. Il y a plusieurs raisons à cela
:
> 1- D'abord, les traités ou accords internationaux
ainsi que les lois ordinaires ont la même norme de
référence : la Constitution. Les deux (2) groupes de normes
juridiques doivent leur validité directement à la
Constitution.
> 2- Ensuite, on ne peut pas se fonder sur le fait que
l'article 276-2 de la Constitution précise que les traités ou
accords internationaux ratifiés par Haïti abrogent toutes
les lois qui leur sont contraires pour justifier leur
supériorité prétendue sur les lois ordinaires. Cet
argument n'est pas tenable, puisqu'en principe la loi nouvelle abroge la
loi ancienne237. D'aucuns diraient même qu'il s'agit
là d'un principe cardinal en droit. En ce sens, même la loi
ordinaire nouvelle abroge la loi ordinaire ancienne en cas de
contrariété. Par conséquent, le pouvoir d'abrogation de la
norme nouvelle n'est pas un critère de supériorité.
> 3- De surcroît, les traités ou accords
internationaux ne sont pas supra-légaux, parce qu'il n'est
indiqué nulle part dans la Constitution de 1987 que les lois ordinaires
doivent leur être conformes. D'ailleurs, il n'est pas prévu un
contrôle de conventionalité des lois, c'est-à-dire de
conformité des lois ordinaires aux règles conventionnelles de
droit international. Or, comme pour marquer une hiérarchie entre la
Constitution, les lois ordinaires et les règlements, il est prévu
un contrôle de constitutionnalité des lois et un contrôle de
légalité des règlements.
En somme, même si on ne serait pas d'avis que le
traité international est assimilé à la loi ou encore a
même valeur juridique que la loi, on ne saurait toutefois nier
l'affirmation de la supériorité de la Constitution sur la norme
conventionnelle de droit international.
Or, pour l'essentiel, nous avons voulu surtout
démontrer que la Constitution de 1987 institue tant soit peu une
hiérarchie entre les normes juridiques et la Constitution est
présentée comme la norme occupant le sommet de la « pyramide
». Elle est donc posée comme la norme suprême. La
Constitution ne nie pas le principe de la hiérarchie des normes
juridiques. Elle l'a même consacré, ne fût-ce
qu'implicitement. Le souci a été d'ériger la Constitution
en norme suprême.
Cependant, un écart est observé entre la norme
constitutionnelle et la pratique politique. En effet, la discontinuité
institutionnelle qui marque la « pratique du régime »
237 François TERRE, Introduction
générale au droit, 2006, op. cit., page 397.
apporte une douche froide au principe de la hiérarchie
des normes juridiques par la pratique des décrets.
La Constitution de 1987 ne prévoit pas des cas
où le Parlement ne fonctionnerait pas. En revanche, comme on l'a
déjà vu dans ce travail, la réalité politique
montre toute autre chose. C'est qu'en l'absence du Parlement, le Pouvoir
Exécutif est bien obligé de gouverner le pays ; il le fait par
décret. Par contre, les décrets adoptés paraissent avoir
valeur législative, puisque dans leurs dispositions abrogatoires, ils
indiquent avoir abrogé les lois qui leur sont contraires238.
Or, les constituants de 1987 ont vite fait d'éliminer le
procédé des décretslois239. Par voie de
conséquence, sous le régime constitutionnel de 1987, le Pouvoir
Exécutif n'est pas autorisé à adopter des normes à
valeur législative. Seul le Parlement est appelé à voter
la loi ; même le référendum législatif n'est pas
prévu par la Constitution de 1987. Le Pouvoir Exécutif n'a le
pouvoir d'adopter que des normes réglementaires d'application de la loi,
donc subordonnées à la loi.
A la lumière de ce qui précède, quand le
Pouvoir Exécutif adopte des décrets qui indiquent avoir
abrogé les lois qui leur sont contraires, on peut avancer qu'il s'agit
là d'un accroc à la hiérarchie des normes juridiques
reconnue et consacrée par la Constitution de 1987. D'autant que la
Constitution prévoit un contrôle de légalité des
règlements ; ce qui place les règlements de l'Exécutif
à un rang inférieur par rapport à la loi. Comment alors un
règlement de l'Exécutif pourrait-il avoir la « vertu »
d'abroger une norme qui lui est supérieure ? N'est-ce pas
déjà ébranler la hiérarchie des normes de droit
interne ?
Le problème est d'autant plus épineux que ces
décrets n'ont pas toujours été rapportés par le
Pouvoir Exécutif pour être par la suite présentés
sous forme de projets de loi au Parlement quand celui-ci arrive à
fonctionner. Au contraire, bien souvent, ils restent toujours d'application. De
plus, cette situation devient tellement courante que l'on accuse une certaine
propension à la considérer comme normale. D'où,
déjà, un ébranlement, dans la pratique politique, de la
hiérarchie des normes juridiques posée dans la Constitution de
1987.
238 Prenons en exemple le décret du 22 Août 1995
relatif à l'organisation judiciaire abrogeant la loi du 18 Septembre
1985 sur l'organisation judiciaire.
239 La Constitution de 1987 a accordé le droit
exceptionnel de gouverner par décret uniquement au CNG. Voir l'article
285-1.
SECTION II.- L'AUTORITÉ DE LA CONSTITUTION DE
1987 : UNE SUPRÉMATIE MAL ASSURÉE
On a vu dans la première section de ce chapitre des
raisons permettant de présumer la suprématie de la Constitution
de 1987. On a également fait observer, à la fin de ladite
section, un écart entre la norme constitutionnelle et la pratique
politique qui apporte déjà une douche froide, par la pratique des
décrets, à la hiérarchie des normes juridiques au sommet
de laquelle est placée la Constitution.
Cependant, la Constitution de 1987 comporte en elle-même
des failles qui viennent compromettre, dans une certaine mesure, sa propre
suprématie, puisque cette dernière est juridiquement mal
assurée. Il ne suffit pas de clamer la suprématie de la
Constitution, ni même de l'instituer. Encore faut-il que cette
suprématie soit efficacement protégée.
En effet, la Constitution de 1987 accorde une puissance
illimitée à la loi jusqu'à lui permettre de la
concurrencer matériellement. Cette situation vient en quelque sorte
épingler la suprématie matérielle de la Constitution
(§ 1). De plus, on a pu constater l'inefficacité de la sanction de
la suprématie de la Constitution à un triple point de vue (§
2).
§ 1.- LA PUISSANCE DE LA LOI ET LA SUPRÉMATIE
MATÉRIELLE DE LA CONSTITUTION
Si une Constitution tient sa supériorité
formelle à son mode d'élaboration et à sa procédure
de révision ; elle doit, en revanche, sa suprématie
matérielle à son contenu, c'est-àdire, son objet.
Dans cette perspective, on a déjà
démontré que le mode d'adoption et la procédure
d'amendement de la Constitution de 1987 consacrent sa suprématie
formelle. De plus, il a été aussi démontré que le
contenu de la Constitution de 1987 correspond bien, d'une manière
générale, à ce qu'on trouve dans une Constitution. Donc,
à lire même cursivement la Constitution de 1987, on peut
être légitimement tenté d'affirmer avec
véhémence et d'un ton doctoral qu'au regard de son objet, elle
est la norme suprême de l'Etat.
En réalité, on ne peut pas d'emblée
prendre le contre-pied d'une telle affirmation, car effectivement l'ensemble de
la matière qui est abordée par la Constitution de 1987 est
retrouvée, d'une manière générale, dans quasiment
toutes les Constitutions écrites. En revanche, on ne peut non plus,
d'emblée, abonder dans le sens de l'affirmation en question. En d'autres
termes, il paraît risquer de se fonder sur la matière
traitée par la Constitution de 1987 pour affirmer sa
suprématie.
En effet, tout le problème réside dans le fait
que la loi jouit d'une puissance illimitée. La Constitution de 1987
accorde à la loi une puissance telle que celle-ci peut
matériellement concurrencer la Constitution.
Selon le professeur Philippe FOILLARD : « La Constitution
est l'ensemble des règles qui définissent le statut des
gouvernants (désignation et compétences) et les rapports des
gouvernants et des gouvernés. »240
Pour leur part, les professeurs Francis HAMON et Michel TROPER
avancent : « La Constitution rigide a toujours pour objet et pour contenu
minimum d'instituer des autorités ou organes ou encore pouvoirs
constitués et de répartir entre eux des
compétences241. » De ce point de vue, il revient
à la Constitution d'instituer des autorités et de leur fixer des
compétences. D'ailleurs, le professeur Georges BURDEAU n'a pas
enseigné autrement lorsqu'il a avancé qu' « il appartient
à la Constitution de fixer les compétences des
personnalités ou collèges auxquels il appartiendra de
décider pour l'Etat. »242
Or, la Constitution de 1987 a, certes, mis en place des «
pouvoirs constitués » auxquels elle a normalement accordé
des attributions. Cependant, comme on l'a déjà vu dans ce
travail243, elle réfère en même temps à
la loi pour étendre les attributions des organes qu'elle institue. Ce
procédé fait problème, en ce sens que la loi peut venir
interférer dans un domaine relevant normalement de la Constitution. S'il
revient en principe à la Constitution de fixer limitativement les
compétences des organes qu'elle institue pour éviter l'arbitraire
des gouvernants, la Constitution de 1987 a étrangement innové en
accordant à la loi ordinaire, en ses articles 93 et 97-3, le pouvoir de
prolonger les attributions du Sénat et de la Chambre, deux organes
pourtant chargés de voter la loi et institués par la Constitution
elle-même. D'où,
240 FOILLARD 1997, page 29.
241 HAMON, TROPER 2003, op. cit., p. 42.
242 BURDEAU 1977, op. cit., p. 69.
243 Voir supra, chapitre 3, section I.
la suprématie matérielle que la Constitution
doit, en principe, à son contenu est épinglée par cette
puissance illimitée de la loi qui peut venir la concurrencer.
Il paraît utile ici de faire remarquer que ce type
d'intervention du Législateur dans le domaine constitutionnel n'est pas
sans danger. Sous prétexte d'accroître ses attributions, il peut
être tenté de modifier, voire dénaturer la Constitution
sans passer par les procédures contraignantes de l'amendement.
Néanmoins, le professeur Philippe ARDANT a fait la
remarque que voici : « la Constitution ne peut régler tout ce qui
concerne les Pouvoirs publics. A côté de la Constitution, on
trouve donc souvent des lois qui la complètent, la précisent, la
prolongent. » Un peu plus loin, il a également fait
observer qu'en France, « c'est dans cette optique que la Constitution
prévoit que des lois spéciales, dites lois organiques,
interviendront pour la compléter, pour développer les
règles d'organisation et de fonctionnement des Pouvoirs publics.
»
Par contre, le professeur Philippe ARDANT a tout aussi fait
remarquer que la Constitution prévoit limitativement les domaines dans
lesquels une loi organique peut intervenir. De plus, il a avancé :
«La loi organique ne doit pas réaliser une révision
constitutionnelle déguisée, on ne doit pas utiliser cette
procédure dans l'intention de tourner la Constitution.
»244 D'où, la saisine obligatoire du Conseil
constitutionnel pour un contrôle de constitutionnalité de la loi
organique avant sa promulgation.
A ce sujet, les professeurs Francis HAMON et Michel TROPER
font aussi observer que les lois organiques, en France, sont adoptées ou
modifiées selon une procédure particulière. Cette
dernière est plus contraignante que la procédure
législative ordinaire. Selon eux : « Le trait le plus marquant de
cette procédure est l'examen par le Conseil constitutionnel de la
conformité à la Constitution de tout projet ou proposition de loi
organique, c'est-à-dire sans qu'il ait été
nécessaire de le saisir. Il s'agit évidemment d'empêcher
que la loi organique, sous prétexte de compléter la Constitution,
n'en remette en cause les principes. »245
En dépit des garde-fous mentionnés plus haut, la
Constitution française de 1958 ne prévoit pas qu'une loi
organique puisse venir prolonger la liste des attributions des organes du
pouvoir politique, par exemple. Or, la Constitution haïtienne de 1987, en
ses articles 93 et 97- 3, prévoit que la loi peut accorder de nouvelles
attributions aux organes qui sont pourtant
244 ARDANT 2002, op. cit., p. 59 à 61.
245 HAMON, TROPPER 2003, op. cit., p. 49.
chargés de la voter. Qui plus est, l'objet desdites
attributions n'a guère été précisé et aucune
procédure spéciale n'est prévue à cet effet. Or, le
parlement a une parfaite maîtrise sur la procédure
législative ordinaire. Par voie de conséquence, les deux (2)
dispositions constitutionnelles en question n'ont rien à voir à
la loi organique en France.
En effet, le professeur Philippe ARDANT a fait la remarque que
voici : « Sur le plan de la philosophie politique, se donner une
Constitution, c'est admettre que le pouvoir n'est pas illimité, ses
détenteurs acceptent de lui fixer des bornes. L'idée de
limitation du pouvoir est à l'origine de l'élaboration des
Constitutions. »246
De leur côté, les professeurs Francis HAMON et
Michel TROPER ont fait valoir que « la Constitution est le fondement de la
légitimité des gouvernants. Ceux-ci peuvent justifier leur
pouvoir et leurs décisions par le fait qu'ils ont été
désignés conformément à la Constitution et qu'ils
exercent des compétences qui leur ont été
attribuées par la loi fondamentale.»247
A bien comprendre les remarque et position
évoquées aux deux (2) précédents paragraphes, la
Constitution haïtienne de 1987 paraît faire fi des grands canons
classiques du droit constitutionnel en référant à la
loi pour fixer de nouvelles attributions à deux (2)
organes du pouvoir politique qu'elle institue. Ce faisant, en plus de permettre
à la loi d'empiéter sur son domaine sans même l'exigence
d'une procédure spéciale, la Constitution de 1987 permet aussi
à certains gouvernants de se fixer des compétences, or c'est la
Constitution qui devrait fixer limitativement les pouvoirs des organes
institués. Au lieu d'énumérer limitativement les
compétences du Parlement, elle lui accorde « la
compétence de sa compétence »,248
c'est-àdire la faculté de déterminer l'étendue et
les limites de sa propre compétence.
Finalement, on l'aura vitement compris, cette puissance
illimitée de la loi a fortement épinglé la
suprématie matérielle de la Constitution de 1987, quand bien
même que la loi ordinaire au contenu matériellement
constitutionnel dont on parle aura été prise sur invitation du
constituant. De ce point de vue, c'est le cas de dire que le critère
matériel n'est plus un élément distinctif permettant de
différencier la norme constitutionnelle et la loi ordinaire. Ajouter
à cela, la sanction de la suprématie de la Constitution de 1987
se révèle inefficace à un triple niveau.
246 ARDANT 2002, op. cit., p. 54.
247 HAMON, TROPER 2003, op. cit., p. 45.
248 Termes empruntés à JELLINEK, cité par
André BARILARI et Marie-José GUEDON dans leur ouvrage
intitulé « Institutions politiques », 3e
édition, 1994, Sirey, France, page 19.
§ 2.- L'INEFFICACITÉ DE LA SANCTION DE LA
SUPRÉMATIE DE LA CONSTITUTION
La sanction de la suprématie de la Constitution de 1987
est inefficace. La Constitution institue la constitutionnalité des lois,
mais la garantit inefficacement. Elle institue la constitutionnalité des
conventions, traités ou accords internationaux, mais ne la garantit pas.
De plus, la constitutionnalité du règlement intérieur des
Assemblées n'est pas instituée, donc non garantie.
En effet, la Constitution de 1987 institue, à l'article
183, un contrôle de constitutionnalité des lois. Cependant, les
mécanismes du contrôle n'empêchent pas qu'une loi du
Législateur soit susceptible d'application même lorsque
déclarée inconstitutionnelle par le juge constitutionnel. Il
revient uniquement à l'auteur de la loi déclarée
inconstitutionnelle par le juge, en l'occurrence le Parlement, de la faire
disparaître de l'ordre juridique. Or, la primauté de la
Constitution sur la loi suppose que cette dernière tire le fondement de
sa validité dans la Constitution (A).
En outre, la Constitution de 1987 prescrit sa primauté
sur les normes conventionnelles de droit international. Par contre, elle ne
garantit aucunement cette primauté. En conséquence elle donne
libre cours au Parlement qui peut sans contrainte ratifier une convention ou un
traité international comportant des clauses contraires à la
Constitution, puisque le juge constitutionnel n'est pas fondé à
vérifier la constitutionnalité de ces normes (B).
De plus, les constituants de 1987 n'ont pas cru utile
d'instituer et de garantir le principe de la constitutionnalité du
règlement intérieur des Assemblées. Or, il s'agit d'un
instrument juridique d'une très grande importance qui, dans une certaine
mesure, complète la Constitution. En ce sens, rien n'empêche aux
parlementaires de défier la norme constitutionnelle et même de
s'octroyer des pouvoirs que la Constitution ne leur avait pas accordés
comme cela a pu être d'ailleurs constaté en France, sous la
IIIe République notamment249 (C).
249 DUBOUIS, PEISER 2007, op. cit., page 759 ; ARDANT
2002, op. cit., page 62.
A. L'INEFFICACITÉ DU CONTRÔLE DE
CONSTITUTIONNALITÉ DES LOIS
La constitutionnalité des lois c'est
l'adéquation de la loi votée par le Parlement avec la
Constitution du pays. Donc, le contrôle de constitutionnalité de
la loi c'est la vérification de sa conformité ou de sa
compatibilité à la Constitution.
Historiquement, c'est aux Etats-Unis d'Amérique que fut
institué pour la première fois un contrôle de
constitutionnalité, à la suite de la célèbre
affaire Marbury v. Madison (1803). A cette occasion, la Cour
Suprême des Etats-Unis statua incidemment sur la
constitutionnalité d'une loi à propos d'un litige et
décida de ne pas appliquer cette loi dans le procès en cours
d'instance, puisque son absence de conformité avec la Constitution
américaine de 1787 était établie.
Sous le régime constitutionnel de 1987, les lois
votées par le Parlement peuvent faire l'objet d'un contrôle de
constitutionnalité. Par contre, ce contrôle se
révèle amplement inefficace. C'est que l'objectif de
l'institution d'un contrôle de constitutionnalité des lois est de
garantir la supériorité de la Constitution sur les lois. Une loi
doit être conforme à la norme constitutionnelle car elle trouve le
fondement de sa validité dans la Constitution. Une loi contraire
à une disposition de la Constitution est irrégulière et
n'a pas sa place dans l'ordre juridique hiérarchisé. Or, le type
de contrôle institué par la Constitution de 1987 n'empêche
nullement qu'une loi inconstitutionnelle fasse partie de l'ordre juridique. En
conséquence, la Constitution de 1987 et les éventuelles lois
inconstitutionnelles sont condamnées à cohabiter, nonobstant
l'abrogation des lois dites inconstitutionnelles par le Parlement. D'où,
l'autorité de la Constitution de 1987 sur les lois paraît un vain
mot.
En effet, le régime constitutionnel de 1987 n'institue
pas de Cour constitutionnelle non intégrée dans l'ordre
judiciaire, contrairement à ce qui se fait en France, en Allemagne
fédérale ou en Italie, par exemple250. En Haïti,
le contrôle de conformité d'une loi à la Constitution est
réalisé par la Cour de Cassation selon les dispositions de
l'article 183 de la Constitution et les articles 141 et suivants du
décret du 22 Août 1995 relatif à l'organisation judiciaire,
abrogeant étrangement la loi du 18 Septembre 1985 portant sur
l'organisation judiciaire.
En vertu de ce qui précède, on l'aura vitement
compris, le contrôle de constitutionnalité des lois, en
Haïti, est concentré, puisque la Cour de Cassation est le seul
250 PACTET 2001, op. cit., page 82.
juge constitutionnel ; elle juge en premier et dernier
ressort. Le contrôle de constitutionnalité des lois est de type
juridictionnel en ce sens que le recours en inconstitutionnalité est
formé devant un organe juridictionnel, mais les tribunaux ordinaires ne
sont pas pour autant compétents pour vérifier la
constitutionnalité des lois.
En outre, le contrôle est concret. Le contrôle par
voie d'action n'est pas prévu par la Constitution. Donc, un
requérant ne peut pas directement demander à la Cour de Cassation
de vérifier la conformité d'une loi à la Constitution ; il
faut qu'il y ait un procès. Lors de ce procès, un
requérant soulève l'inconstitutionnalité,
c'est-à-dire le fait qu'il prétend qu'une loi est contraire
à la Constitution et ne doit donc pas lui être
appliquée.
Du reste, comme étant donné que, contrairement
au modèle américain, le contrôle de
constitutionnalité des lois n'est pas diffus, le tribunal saisi du
litige principal ne statue pas luimême sur l'inconstitutionnalité
soulevée. Il sursoit à statuer et renvoie les parties par-devant
les sections réunies de la Cour de Cassation. D'où, la Cour de
Cassation, juge constitutionnel, fait le contrôle de
constitutionnalité des lois par le biais du renvoi
préjudiciel.
Puisque le contrôle de constitutionnalité des
lois, en Haïti, est toujours concret, cela autorise n'importe quel
justiciable, lors d'un procès, d'exciper que les dispositions que l'on
entend lui appliquer ne sont pas conformes à la Constitution. En
revanche, ce procédé est par essence aléatoire, puisqu'il
ne peut pas être mis en oeuvre en dehors d'une instance judiciaire. Or,
la Constitution de 1987 dispose en même temps que la loi peut accorder
des attributions au Sénat et à la Chambre. Est-il toujours
possible d'avoir un procès permettant aux organes du Pouvoir
Exécutif, par exemple, de contester la constitutionnalité d'une
loi attribuant des compétences au Sénat ou à la Chambre et
qui ont été déjà attribuées au Pouvoir
Exécutif ? Le citoyen qui n'est pas partie à un procès en
instance, comment pourra-t-il avoir la possibilité d'échapper
à une loi liberticide ?
Par suite, il va sans dire que le contrôle de
constitutionnalité des lois, en Haïti, se fait a posteriori,
c'est-à-dire en aval de la promulgation ; d'où, une
insécurité juridique. Le citoyen est exposé. Il risque de
voir appliquée contre lui une loi inconstitutionnelle si son
défenseur en Justice, le cas échéant, n'a la moindre
intelligence de soulever l'inconstitutionnalité de la loi. En ce sens,
tous les problèmes contentieux ne sont pas réglés avant
l'entrée en vigueur de la loi.
En outre, le problème majeur résulte du fait que
la loi déclarée inconstitutionnelle par la Cour de Cassation
n'est pas pour autant rayée de l'ordre juridique. Cette loi sera
seulement déclarée inapplicable au litige
considéré, puisque l'arrêt de la Cour produit un effet
inter pares, c'est-à-dire entre les parties. Le juge
constitutionnel ne fait qu'écarter l'application de la loi dans un cas
précis. Il s'ensuit qu'elle est toujours d'application dans tous les
autres cas, si aucune inconstitutionnalité n'aura été
soulevée.
Puisque le contrôle de constitutionnalité des
lois, en Haïti, n'empêche pas qu'une loi inconstitutionnelle fasse
partie de l'ordre juridique, l'on peut se demander à bon droit si la
suprématie de la Constitution n'est pas un vain mot. D'autant que l'on
sait qu'une loi ordinaire peut accroître les attributions du Sénat
ou de la Chambre, les deux organes pourtant chargés de la voter.
En somme, l'article 183 de la Constitution de 1987 instituant
le contrôle de constitutionnalité des lois vise à garantir
la suprématie de la Constitution. C'est en quelque sorte une limite
apportée à la loi. Cependant, le modèle de contrôle
institué n'empêche pas en même temps que cette limite soit
dépassée, puisque même lorsque déclarée
inconstitutionnelle par un arrêt de la Cour de Cassation, la loi reste
encore en vigueur autant que le Parlement le veuille. Par conséquent,
elle est toujours susceptible d'être appliquée.
La Constitution permet au Parlement d'accroître ses
pouvoirs par la loi, alors que même si cette loi arrive à
être déclarée inconstitutionnelle par le juge
constitutionnel, elle continuera à s'imposer erga omnes
jusqu'à ce que ce même Parlement décide
éventuellement de faire cesser ses effets en l'abrogeant. En d'autres
termes, l'arrêt du juge constitutionnel, le gardien de la
suprématie de la Constitution, produit un effet inter pares,
alors que la loi inconstitutionnelle du Parlement s'impose erga omnes.
Ainsi, n'est-ce pas permettre au Parlement d'élargir par la loi sa
sphère d'influence tout en l'autorisant à défier
l'autorité de la Constitution ?
B. LE PROBLÈME DE LA CONSTITUTIONNALITÉ
DES TRAITÉS, CONVENTIONS OU ACCORDS INTERNATIONAUX
L'article 276 de la Constitution de 1987 pose en termes clairs
la supériorité de la Constitution sur les traités,
conventions ou accords internationaux dans la hiérarchie des normes
juridiques. Ces instruments juridiques internationaux sont
infra-constitutionnels et doivent donc être conformes à la norme
constitutionnelle. C'est tout au moins ce qui est posé comme principe
à l'article en question.
En fait, l'article 276 de la Constitution de 1987 ne fait que
poser une interdiction. On pourrait même avancer qu'il s'agit d'une
simple mise en garde, puisque le respect du principe en tant que tel n'est pas
garanti par la Constitution.
La meilleure façon de garantir la
supériorité de la norme constitutionnelle sur la norme
conventionnelle de droit international c'aurait été d'instituer
un contrôle de constitutionnalité des traités, conventions
ou accords internationaux. Cela aurait permis au juge constitutionnel, gardien
de la suprématie de la Constitution, de vérifier la
conformité des instruments juridiques internationaux à la norme
constitutionnelle. Donc, s'il n'existe pas un contrôle de
conformité, l'Assemblée Nationale peut ne pas se sentir
obligée de respecter l'interdiction posée à l'article 276
de la Constitution. Comment d'ailleurs empêcher qu'un traité
international inconstitutionnel puisse être ratifié par
l'Assemblée Nationale ?
Sous le régime de la Ve République en
France, le traité ou l'accord international est supra-légale,
donc de valeur juridique supérieure à la loi, mais
infra-constitutionnel. Cette primauté de la Constitution sur le
traité ou l'accord international est garantie par l'institution d'un
contrôle, a priori, de constitutionnalité des engagements
internationaux par le Conseil constitutionnel.251
En effet, l'article 54 de la Constitution française de
1958 dispose : « Si le Conseil constitutionnel, saisi par le
Président de la République, par le Premier ministre, par le
président de l'une ou l'autre assemblée ou par soixante
députés ou soixante sénateurs, a déclaré
qu'un engagement international comporte une clause contraire à la
Constitution,
251 Voir les articles 52 et suivants de la Constitution
française de 1958 ; François TERRE, Introduction
générale au droit, 2006, op. cit., p. 208 ; David
RUZIE, Droit international public, 16e édition,
Dalloz, Paris, 2002, page 23 ; PACTET 2001, op. cit.,page 526.
l'autorisation de ratifier ou d'approuver l'engagement
international en cause ne peut intervenir qu'après la révision de
la Constitution. »
De son côté, la Constitution haïtienne de
1987 s'est contentée de poser le principe de sa primauté sur le
traité ou l'accord international, sans que pour autant le respect de ce
principe soit garanti.
La Cour de Cassation, en Haïti, est le juge
constitutionnel, c'est-à-dire le gardien de la suprématie de la
Constitution. Or, la Constitution de 1987 l'autorise seulement à
vérifier, selon les dispositions de l'article 183, la
constitutionnalité des lois. Quid des conventions,
traités ou accords internationaux ?
Là encore, la Constitution de 1987 pose une limite et
permet en même temps de la dépasser. En prescrivant à
l'article 276 que « l'Assemblée Nationale ne peut ratifier
aucun traité, convention ou accord internationaux comportant des clauses
contraires à la présente Constitution », elle pose une
limite au pouvoir de ratification du Parlement. Par contre, en ne
prévoyant aucun mécanisme de contrôle de
constitutionnalité de ces instruments juridiques internationaux, la
Constitution de 1987 permet de dépasser la limite qu'elle a
posée.
Or, le Peuple, auteur de la Constitution, est le seul
Souverain. En conséquence, le justiciable devrait pouvoir exciper de
l'inconstitutionnalité d'un instrument juridique international
ratifié par ses délégués au Parlement. Imaginer le
contraire aboutirait à ruiner la hiérarchie des normes juridiques
telle que posée dans la Constitution de 1987.
Finalement, cette attitude ambiguë des constituants de
1987 permet à l'Assemblée Nationale de ratifier impunément
des engagements internationaux comportant des dispositions contraires à
la Constitution de 1987. D'où, la suprématie de la Constitution
de 1987 en prend un nouveau coup.
C. LE PROBLÈME DE LA CONSTITUTIONNALITÉ DU
RÈGLEMENT INTÉRIEUR DES ASSEMBLÉES
PARLEMENTAIRES
Pour l'adoption du règlement intérieur des
Assemblées, plusieurs systèmes sont concevables, selon le
degré d'autonomie que la Constitution entend laisser aux
Assemblées.
D'abord, il est un système dans lequel il revient au
Pouvoir Exécutif d'adopter le règlement intérieur des
Assemblées. Ce système n'offre aucune autonomie aux
Assemblées relativement à l'adoption du règlement
intérieur devant régir leur organisation interne et le travail
parlementaire. La France a connu ce système sous le Consulat et
l'Empire.252
Ensuite, un autre système accorde aux Assemblées
le pouvoir d'adopter leur règlement intérieur respectif sans le
moindre contrôle. C'est le système qui offre la plus grande
autonomie aux Assemblées parlementaires. Le régime
constitutionnel de 1987 retient ce système.
En dernier lieu, un autre système, dit
intermédiaire, accorde aux Assemblées le pouvoir d'adopter leur
règlement intérieur respectif, mais sous le contrôle du
juge pour éviter qu'elles ne portent atteinte aux principes
constitutionnels. La France, sous le régime de la Ve République,
connaît ce système.253
En effet, selon les professeurs Francis HAMON et Michel TROPER
: « Les règlements des Assemblées parlementaires
complètent la Constitution pour tout ce qui concerne l'organisation
interne des assemblées et le travail parlementaire. »254
Pour leur part, les professeurs André BARILARI et
Marie-José GUEDON ont avancé : « Le règlement
intérieur d'une Assemblée a une influence très grande sur
les modalités d'exercice des pouvoirs et donc sur les rapports avec le
Gouvernement. Une liberté totale en la matière peut au fait
donner aux Assemblées la possibilité de modifier le
fonctionnement d'un régime politique. »255
En vertu de tout ce qui précède, on comprend
bien que le système retenu par le régime constitutionnel de 1987
et qui laisse la plus grande autonomie aux Assemblées parlementaires
252 HAMON, TROPER 2003, op. cit., page 51.
253 Idem, page 51 ; PACTET 2001, op. cit.,
pages 497 et 498.
254 Ibidem, page 50.
255 BARILARI, GUEDON 1994, op. cit., page 235.
relativement à leur règlement intérieur
respectif n'est pas sans danger. Puisque la Constitution haïtienne de 1987
ne prévoit aucun mécanisme de contrôle de conformité
du règlement intérieur des Assemblées à la
Constitution, qu'est-ce qui rassure que cet instrument juridique d'une aussi
très grande importance ne comportera pas des dispositions
inconstitutionnelles ?
D'ailleurs, il a été fait observer qu'en France,
« l'expérience de la IIIe et de la IVe
République avait montré que, par le biais de son
règlement, une Assemblée parlementaire pouvait parfois s'octroyer
des pouvoirs que la Constitution ne lui avait pas accordés. C'est pour
éviter une telle dérive que les règlements des
Assemblées sont désormais obligatoirement soumis, avant leur mise
en application, au contrôle du Conseil constitutionnel. »256
Il n'est pas sans intérêt de rappeler qu'en
France, sous le régime da la Ve République, le
contrôle de la constitutionnalité des lois parlementaires par le
Conseil constitutionnel n'est pas obligatoire. Il est plutôt facultatif ;
il peut être demandé par le Président de la
République, par le Premier Ministre, par le Président de
l'Assemblée Nationale ou de celui du Sénat, par soixante
Députés ou soixante Sénateurs. Pourtant, au même
titre que les lois organiques et les propositions de loi mentionnées
à l'art. 11 avant qu'elles ne soient soumises au
référendum, le règlement intérieur des
Assemblées est soumis obligatoirement au contrôle de
constitutionnalité avant leur promulgation257.
C'est le cas de dire que les constituants français de
1958 ont bien compris la nécessité d'encadrer juridiquement les
Assemblées parlementaires dans l'adoption de leur règlement
intérieur respectif, ayant tiré leçon de
l'expérience de la IIIe et de la IVe
République258.
En revanche, avec l'absence de contrôle de
constitutionnalité du règlement intérieur des
Assemblées parlementaires sous le régime constitutionnel de 1987,
la suprématie de la Constitution de 1987 prend encore un nouveau coup,
puisqu'on ne peut pas empêcher ni même sanctionner la violation de
la Constitution par les Assemblées parlementaires dans leur
règlement intérieur respectif.
256 Ibidem, page 759 ; ARDANT 2002, op. cit.,
page 62.
257 Cf. art. 28 de la LOI constitutionnelle
no 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de
la Ve République ; le nouvel article 61 de la Constitution
française de 1958 ; COLLINET 1999, op. cit., page 92 ; PACTET
2001, op. cit., page 497.
258 « Anodin en apparence, le règlement se
présentait comme une véritable machine infernale contre
l'Exécutif et la Constitution. Les constituants de 1958 ne s'y sont pas
trompés en soumettant obligatoirement sa conformité à
l'appréciation du Conseil constitutionnel (art. 61 in limine)
». Voir GICQUEL 1997, op. cit., page 130.
En somme, la Constitution est affirmée comme la norme
suprême de l'Etat, mais cette suprématie est juridiquement mal
assurée, car les actes du Parlement, quand ils ne sont pas soumis
à un régime de contrôle inefficace, ne font l'objet d'aucun
contrôle. En d'autres termes, la Constitution fixe des limites et permet
en même temps au Parlement de les dépasser.
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