Les voies d'exécution OHADA et le droit à un procès équitable( Télécharger le fichier original )par Alain Brice FOTSO KOUAM Université de Dschang/ Cameroun - DEA 2009 |
INTRODUCTION GENERALE« Sum cuique tribuere », rendre à chacun sa part. Ce précepte moral d'origine romaine traduit certainement le mieux de nos jours l'idée première du droit qui est d'attribuer à chaque membre de la société ce qui lui est dû. Le premier, le Christ dans l'Evangile l'avait déjà exprimé à sa façon il y a bien longtemps. A une question qui lui avait été posée de savoir s'il était permis ou non de payer le tribut à César, celui-ci répondait en effet : « Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu »1(*). Ainsi, à l'issue d'un marathon judiciaire entre plaideurs, l'idéal serait que la partie perdante exécute spontanément de son plein gré l'obligation mise à sa charge par la décision qui la condamne et ce, même sans attendre qu'elle soit devenue définitive, ou par tout autre titre exécutoire. Cette exécution clôt le procès. Malheureusement, les choses ne se passent pas toujours de la sorte. Très souvent en effet, il arrive que la partie qui a perdu le procès ne s'exécute pas volontairement. Il faut dès lors l'y contraindre, au besoin par la force en recourant à l'exécution forcée. Aussi, la réaction du droit a été d'imaginer divers mécanismes à mettre en oeuvre par le créancier qui n'a pas reçu le paiement pour vaincre les réticences doublées de mauvaise foi de son débiteur et recouvrer ce qui lui est dû. Ces mécanismes sont les voies d'exécution. Qualifiées des fois de « mesures d'exécution », « procédures forcées de recouvrement » ou « d'exécution » ou de « procédures civiles d'exécution »2(*), les voies d'exécution se résument en un ensemble de mesures et de techniques juridiques mises à la disposition de tout créancier pour mettre sous main de justice les biens appartenant à son débiteur dans le but d'être rétabli dans ses droits. Dit autrement, ce sont des procédures légales par lesquelles le créancier impayé peut saisir les biens de son débiteur, et dans certains cas les vendre afin de se payer sur le prix de vente ou se les faire attribuer. Comme l'on se sera aperçu, le procédé habituel est celui des saisies des biens du débiteur. Jusqu'alors régies par une mosaïque législative devenue vétuste3(*) avec pour substrat commun le droit français4(*), ces procédures font désormais l'objet d'une réglementation détaillée dans le nouveau droit issu de l'OHADA5(*) dans l'Acte uniforme n°6 portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d'exécution adopté le 10 avril 1998, entré en vigueur le 10 juillet de la même année. Chapelet de 338 articles directement applicables et obligatoires6(*) à tous les Etats signataires du Traité7(*), cet Acte uniforme reflète la volonté du législateur africain de rompre avec l'inexécution des décisions judiciaires et, conséquemment, l'insécurité tant juridique que judiciaire croissante dans le monde des affaires en Afrique. Les activités économiques ont besoin de crédit pour se développer. La rentabilité de ces activités, et partant, la survie de l'entreprise lorsqu'elle connaît des difficultés, seraient fortement compromises si les différents partenaires que sont les banques et les fournisseurs de crédit ne disposaient pas de moyens de persuasion conséquents pour recouvrer leurs créances. Il va dans l'intérêt du crédit et donc de toute l'économie, à long terme, que ces différents partenaires soient rassurés. Mais dans l'immédiat, cet Acte important tente de réaliser un équilibre difficile mais nécessaire entre les intérêts contradictoires des créanciers et des débiteurs. C'est que le créancier doit pouvoir obtenir le paiement de ce qui lui est dû, surtout après avoir attendu pendant de longs mois, voire plusieurs années, pour faire triompher son droit. A cette fin, l'Acte uniforme organise toute une panoplie de procédures simples, rapides, d'une efficacité redoutable, adaptées à la nouvelle composition du patrimoine du débiteur et destinées à vaincre l'inertie ou le refus de celui-ci de s'exécuter que sont les saisies conservatoires, la saisie-vente, la saisie-attribution des créances, la saisie des rémunérations, la saisie-appréhension, la saisie revendication des biens meubles corporels et, enfin, la saisie immobilière. Dans le même temps, il faut éviter que ce créancier n'aille jusqu'au bout de son droit en dépouillant complètement le débiteur, le transformant de fait en un indigent à la charge de la société. C'est en ce sens que celui-ci fait l'objet d'une protection accrue dans la nouvelle législation. De la personne du débiteur sur laquelle elle portait à l'origine, l'exécution forcée ne porte plus aujourd'hui que sur les biens8(*) dont il doit lui être laissé du reste ceux indispensables à son existence9(*). Toujours dans l'intérêt du débiteur, les actes ponctuant l'exécution des saisies doivent comporter de très nombreuses mentions visant à l'informer entre autres du droit qui lui appartient de contester la voie de droit pratiquée, les délais pour ce faire etc... Par ailleurs, plusieurs droits dits droits de l'homme, entendus comme des droits inhérents à la nature humaine donc antérieurs et supérieurs à l'Etat, sont susceptibles d'être menacés par la mise en oeuvre d'une de ces procédures. Il en est ainsi du droit de propriété affirmé dans nombre d'instruments juridiques10(*) et dont les caractères sont nettement précisés dans le droit positif11(*). Le débiteur menacé de saisie est un propriétaire qu'il convient de traiter avec respect. Il en est également ainsi du droit à la dignité, du droit au respect de la vie privée12(*) et du droit à l'inviolabilité du domicile. C'est dire que des considérations de morale, de justice, de décence et même d'humanité jalonnent les saisies tout leur long et imposent que le recouvrement par la force soit minutieusement organisé. A côté de ces droits humains qui peuvent être ainsi mis à mal, on en retrouve d'autres, de caractère procédural, essentiellement spécifiques au procès en général et que l'on peut ranger dans ce qu'il est convenu d'appeler le droit à un procès équitable qui, confronté aux voies d'exécution OHADA, va constituer l'objet de la présente recherche. Et comme le souligne un auteur13(*), il n'est pas sans intérêt de sacrifier à une exigence pour toute recherche qui consiste à préciser le sens des notions qui seront examinées, la question principale est de savoir ce qu'est le droit à un procès équitable. Que recouvre donc cette notion ? Quelle en est la teneur ? Dans l'expression « procès équitable », avant équitable, il y a procès. Le procès de façon générale renvoie à l'idée d'instance devant un juge sur un différend entre deux ou plusieurs parties. S'il est assez aisé de donner un sens au terme « procès », il est par contre difficile d'enfermer le mot « équitable » dans une seule définition. En effet, aucun des dictionnaires consultés ne donnent une définition claire et précise du terme équitable qu'ils définissent plutôt par référence à l'équité qui conduit progressivement au procès équitable. Ainsi, l'équité, emprunt savant du latin « aequitas », signifierait égalité, équilibre moral, esprit de justice, dérivé de « aequus » qui veut dire égal d'où impartial14(*). Mais, c'est davantage dans la racine « equus », l'idée d'équilibre qu'il faut retenir pour comprendre ce que peut représenter aujourd'hui un procès équitable. Ainsi donc, le droit à un procès équitable serait le droit à un procès équilibré entre toutes les parties15(*). Encore appelé le « due process of law »16(*) ou le « right to a fair trial », il apparaît pour la première fois clairement comme un droit fondamental17(*) dans la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme (DUDH) de 194818(*) avant d'être systématisé successivement dans divers instruments juridiques nationaux, régionaux et même internationaux adoptés ultérieurement. Au plan universel, le droit à un procès équitable est aujourd'hui inscrit à l'article 14 al.1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 19 Décembre 1966 entré en vigueur en 197619(*). Dans les cadres régionaux, on le retrouve inscrit à l'article 6 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales20(*), à l'article 7 de la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples (CADHP) du 28 juin 1981 entré en vigueur le 21 octobre 1986 et à l'article 8 de la Convention interaméricaine des droits de l'homme21(*). Au plan national, le droit à un procès équitable est contenu pour l'essentiel dans le préambule de la constitution camerounaise révisée du 18 Janvier 1996 qui pose d'une part que la loi assure à tous les citoyens le droit de se faire rendre justice et affirme d'autre part son attachement aux instruments internationaux qui garantissent à tout justiciable le droit à un procès juste et équitable. Ce qui lui confère valeur constitutionnelle étant entendu que le préambule fait désormais partie intégrante de la constitution22(*). Désormais droit fondamental de l'homme23(*), le droit à un procès équitable englobe toute une série de droits tout autant fondamentaux, de garanties, qui s'attachent au procès et concernent toutes les parties, dégagés pour l'essentiel par plus de trente années de jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l'Homme24(*). Il comporte notamment le droit à un juge impartial et indépendant, le droit au respect de la contradiction et de l'égalité des armes, le droit à un procès public, le droit à un jugement rendu dans un délai raisonnable et le droit à l'exécution effective de la décision obtenue. Il s'agit là des composantes essentielles du procès équitable pris dans son sens large qui touche toutes les phases du procès tant en matière civile que pénale ou administrative25(*), de l'introduction de l'instance à l'exécution du jugement26(*). Il apparaît donc comme la pierre angulaire de toutes procédures juridictionnelles et constitue le socle de l'esprit de justice. De la sorte, il semble dès lors approprié d'examiner la question cruciale de savoir dans quelle mesure ses garanties sus énumérées valent en matière de droit OHADA de l'exécution forcée. Dit autrement, quelle place occupent les composantes du procès équitable, hier simple garantie formelle, aujourd'hui enjeu fondamental27(*), transposées aux voies d'exécution OHADA? Plus simplement, le nouveau droit des voies d'exécution OHADA assure-t-il à tous les justiciables une exécution « équitable » des décisions judiciaires ? L'intérêt qui s'attache à l'étude d'un tel sujet est indéniable à un triple point de vue. D'abord, on assiste depuis plusieurs décennies à un développement significatif du phénomène des droits de l'homme, car clame-t-on l'homme, quelle que soit sa situation ou ce qu'il ait fait reste homme. Ce faisant, on en arrive à un tournant où tous les discours officiels sont axés pour l'heure sur la reconnaissance et le respect des droits fondamentaux de l'homme constitutionnellement consacrés partout dans le monde28(*) et même en Afrique où les Etats sont réputés champions de leur violation. Or Le droit à un procès équitable est justement l'un de ces droits et ses garanties apportées à l'exercice de la justice telle la désignation du tribunal que la loi assigne ou le droit de se défendre entre autres constituent un ensemble de principes qui protègent les droits de l'homme. De la sorte, le relief donné au caractère équitable des procédures d'exécution forcée peut ainsi contribuer efficacement à protéger les droits de l'homme. Ensuite, il ne suffit pas seulement de rendre des décisions de justice, mais encore il faut qu'elles soient exécutées et ce, rapidement même dans l'intérêt de ceux auxquels elles profitent mais aussi dans celui de l'ordre public. En tant que condition principale de la construction de l'Etat de droit, il est acquis aujourd'hui que le droit à un procès équitable contribue à la prééminence du droit dans toute société démocratique29(*). L'exécution des décisions, même au moyen de la force par l'utilisation des voies d'exécution, participe également de cet objectif. D'où la nécessité de s'assurer que cette exécution se déroule dans le strict respect des normes du procès équitable. Enfin, toujours parce qu'il ne sert à rien de rendre des décisions si elles ne doivent pas être exécutées, les voies d'exécution, à défaut d'exécution volontaire par le perdant s'entend, apparaissent comme les moyens utilisés ou à utiliser pour y parvenir. Sous ce rapport, l'exécution se présente alors comme le prolongement normal du procès. C'est ce qu'affirme la Cour EDH30(*) aux yeux de laquelle l'exécution d'un jugement ou arrêt, de quelque juridiction que ce soit, doit être considérée comme faisant partie intégrante du « procès »31(*). Par conséquent, les voies d'exécution se situeraient donc au coeur du procès. Et du coup, il semble opportun de constater si elles se déroulent selon les exigences du procès équitable. Son importance est d'autant plus évidente qu'en tant que droit substantiel, pierre angulaire de toutes procédures juridictionnelles, l'application rigoureuse des règles du procès équitable vise également à assurer une bonne administration de la justice, facteur de sécurité juridique et judiciaire, objectif recherché par le Traité OHADA. Au demeurant, il n'est plus du tout contesté de nos jours que le droit processuel en général, et les procédures civiles d'exécution en particulier, subissent les effets de l'encadrement du procès par les garanties du procès équitable. Aussi, il s'agira pour nous à l'analyse de passer en revue ces garanties à l'épreuve des voies d'exécution dans le périmètre de l'OHADA. A regarder de près, on doit se rendre compte que si les unes concernent le juge auquel il faut au préalable pouvoir accéder, les autres ont directement trait à la procédure qui aboutit à l'exécution de la décision. Nous regrouperons donc ces garanties autour de ces deux grands pôles qui constitueront l'ossature des développements qui vont suivre à savoir d'une part les garanties d'accès au juge (TITRE I) et d'autre part les garanties liées à l'exécution de la décision obtenue (TITRE II). TITRE I : LES GARANTIES D'ACCES AU JUGE Comme nous avons eu l'occasion de le souligner, le procès équitable s'exprime aujourd'hui à travers des garanties dont la toute première assure le droit du justiciable, créancier et débiteur, à ce que sa cause soit « entendue équitablement » : c'est le droit d'accès à un juge. Le droit d'accès à un juge découle de la DUDH qui tout en proclamant le droit de toute personne à un recours effectif devant les juridictions nationales compétentes32(*), dispose en son article 10 que : « Toute personne a droit, en pleine égalité, à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) ». Cette disposition, qui la première pose les jalons du droit d'accès à la justice comme une des exigences du droit au procès équitable, a été reprise à des différences près par les standards internationaux ultérieurs, principalement la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples33(*) mais surtout la CEDH dont l'article 6 a servi de fondement à sa reconnaissance par la Cour EDH depuis son célèbre arrêt Golder du 21 Février 197534(*). Selon la Cour, « on ne comprendrait pas, en effet, que l'article 6 § 1 décrive en détail les garanties de procédure accordées aux parties à une action civile en cours et qu'il ne protège pas d'abord ce qui seul permet d'en bénéficier en réalité : l'accès au juge ; équité, célérité, publicité du procès n'offrent point d'intérêt en l'absence de procès ». Cela dit, et selon l'expression désormais consacrée diversement en termes de « droit au recours », de « droit au juge »35(*) ou encore de façon plus générique de « droit à un tribunal »36(*), l'accès à la justice est le droit pour toute personne physique ou morale d'accéder à un tribunal pour y faire valoir ses droits. Il découle de la logique que ce tribunal, compétent37(*) et établi par la loi38(*), doit être accessible, donc déterminé ou à tout le moins déterminable. Par ailleurs, si toute personne doit pouvoir accéder à la justice, c'est pour obtenir quelque chose : un jugement. L'accès à la justice n'aura alors de sens qu'au regard du jugement obtenu dans un délai raisonnable suivant une procédure organisée qui respecte certains principes fondamentaux de l'instance dont le contradictoire. Le législateur OHADA l'a bien compris. Précisément dans le cadre des voies d'exécution, il consacre nombre de dispositions dans l'Acte uniforme tendant à assurer aux parties le respect de certaines garanties de procédure (chapitre 2) non pas sans avoir au préalable procédé à la détermination de la juridiction compétente en cas de difficultés au cours de l'exécution forcée (chapitre 1). CHAPITRE 1 : LA DETERMINATION DE LA JURIDICTION COMPETENTE Le droit à un juge, garantie fondamentale du procès équitable, la toute première, est selon la formule célèbre de l'arrêt Airey, « effectif et concret »39(*) dans le droit de l'exécution forcée OHADA. En effet, si les voies d'exécution n'ont pas toutes un caractère judiciaire40(*), elles supposent souvent l'intervention d'un juge qui pourra être requis dans certains cas pour la désignation d'un séquestre judiciaire41(*), l'autorisation de pratiquer une saisie aux jours et heures prohibés42(*) ou pour contester la validité d'une saisie43(*) ou, plus brièvement, pour tous les incidents susceptibles de naître au cours de l'exécution qui ne peuvent être réglés qu'en justice. C'est en ce sens d'ailleurs que le législateur prescrit à chaque fois la désignation dans l'acte de saisie44(*) ou de dénonciation, le cas échéant, de la juridiction devant laquelle seront portées les contestations relatives aux saisies. D'où la question de savoir qui est ce juge ? A sa manière, le droit uniforme africain y apporte une réponse. Il résulte de l'article 49 de l'AUVE que : « La juridiction compétente pour statuer sur tout litige ou toute demande relative à une mesure d'exécution forcée ou à une saisie conservatoire est le président de la juridiction statuant en matière d'urgence ou le magistrat délégué par lui ». Ce texte instaure ainsi un juge en charge du contentieux de l'exécution des saisies. Seulement, l'OHADA n'ayant pas eu pour ambition de toucher à l'organisation judiciaire des Etats parties, il s'est donc posé le problème de son identification (SECTION I). D'un autre côté, l'accès à la justice s'exprimant par le droit de saisir un juge mais non nécessairement d'en saisir un second45(*), la question mérite d'être posée d'un droit ou non à plusieurs juges successivement dans le temps. Ce qui pose en d'autres termes le problème plus général des voies de recours en matière d'exécution forcée (SECTION II). SECTION I : L'IDENTIFICATION DE LA JURIDICTION COMPETENTE Avant l'avènement de l'OHADA, les difficultés d'exécution d'un jugement devaient être soumises dans l'ex-Cameroun occidental d'inspiration juridique anglo-saxon à la juridiction qui avait rendu la décision par voie de motion on notice ou de motion ex-parte. Aucun texte par contre ne réglait la question dans la partie francophone du pays alors sous administration française. Pour résoudre le problème, il fallait s'en référer aux articles 182, 291 et 292 du CPCC combinés aux articles 13 et 16 de l'ordonnance n°72/4 du 26 Août 1972 portant organisation judiciaire modifiée. Il en résultait alors un partage de compétence entre le PTPI et les juridictions du fond (TPI ou TGI) en fonction du montant des causes de la saisie46(*). C'est pour mettre fin à cet état de choses impropre à favoriser un procès équitable que le législateur OHADA a entendu concentrer le contentieux de l'exécution entre les mains d'un seul juge. En effet, l'article 49 de l'AUPSRVE, à l'image de l'article 8 de la loi française n°91-650 du 9 Juillet 199147(*), édicte en règle générale que : « La juridiction compétente pour statuer sur tout litige ou toute demande relative à une mesure d'exécution forcée ou à une saisie conservatoire est le président de la juridiction statuant en matière d'urgence ou le magistrat délégué par lui ». En dépit de l'insertion de cette formulation très généreuse au Titre I consacré aux conditions générales communes à toute saisie48(*), deux remarques préliminaires méritent d'être faites. D'une part, l'article 49 institue un juge exclusivement49(*) compétent en matière de saisies mobilières. Ainsi, contrairement à la législation française50(*), les litiges relatifs à la saisie immobilière continuent, comme par le passé, de relever de la compétence du TGI51(*). D'autre part, les voies d'exécution subissant l'influence des procédures collectives, la juridiction compétente en matière de contentieux d'exécution est, et ce à titre exceptionnel, le tribunal compétent en matière commerciale qui a ouvert la procédure collective en vertu de l'article 3 de l'Acte uniforme relatif aux procédures collectives52(*). Cela précisé, l'OHADA n'ayant pas entendu toucher à l'organisation judiciaire des Etats53(*), il appartenait à chaque Etat d'indiquer dans son ordre juridique interne la juridiction compétente en matière de difficultés d'exécution telle que prévue à l'article 49. Ce qui a tôt fait de donner lieu, dans le contexte camerounais en particulier, à un véritable débat doctrinal quant à l'identité de cette juridiction (§.1), débat que l'on croyait clos avec l'adoption en 2007 d'une loi qui est venue remettre la question sur la sellette (§.2). * 1 Matthieu 22, 15-21. * 2 KUATE TAMEGHE (S.S), La protection du débiteur dans les procédures civiles d'exécution, L'Harmattan, 2004, n°6, p. 19 ; n°56, p.66. * 3 En effet, avant l'avènement de l'OHADA, les législations applicables dans les Etats parties à l'organisation, très anciennes, étaient héritées de la période coloniale, à l'exception de la législation malienne laquelle était la plus récente. Cf. en ce sens sur les sources des voies d'exécution, ASSI-ESSO (A.-M), DIOUF (N), OHADA. Recouvrement des créances, Bruylant, Bruxelles, 2002, p.2. Au Cameroun par exemple, il était fait application dans la partie orientale du pays du code de procédure civile et commerciale datant de 1806 rendu applicable par un arrêté du 16 décembre 1954 et du Sheriffs and Civil Process Ordinance CAP 189, du Sheriffs and enforcement of judgments and orders ordinance CAP 205 et du Police ordinance CAP 154 en ce qui concerne la partie occidentale alors sous administration anglaise. * 4 La plupart des Etats membres de l'OHADA sont des anciennes colonies françaises, exception faite de la Guinée Equatoriale et de la Guinée Bissau. * 5 L'Organisation pour l'Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires. Elle a été instituée par un traité signé le 17 Octobre 1993 à Port-Louis (Ile Maurice). Elle a pour objectif majeur de favoriser le développement, au plan économique, des Etats membres et l'intégration régionale, ainsi que la sécurité juridique et judiciaire de l'environnement des entreprises par la mise à la disposition des Etats parties d'un droit moderne, simple et adapté à la situation de leurs économies. A ce jour, huit Actes uniformes sont déjà entrés en vigueur relatifs au droit commercial général, au droit des sociétés commerciales et du groupement d'intérêt économique, au droit des sûretés, au droit de l'arbitrage, aux procédures simplifiées de recouvrement et des voies d'exécution, aux procédures collectives d'apurement du passif, au droit comptable et aux contrats de transport des marchandises par route. * 6 L'article 10 dispose que : « Les Actes uniformes sont directement applicables et obligatoires dans les Etats parties nonobstant toute disposition contraire de droit interne, antérieure ou postérieure ». * 7 Actuellement, 16 Etats sont membres de l'OHADA: Bénin, Burkina-Faso, Cameroun, Centrafrique, Comores, Congo, Cote d'Ivoire, Gabon, Guinée, Guinée Bissau, Guinée Equatoriale, Mali, Niger, Sénégal, Tchad, Togo. * 8 L'exécution sur la personne, encore appelée contrainte par corps ou « prison pour dettes », a été supprimée par une loi française du 22 juillet 1867 et est définitivement sortie du cadre de la procédure civile et commerciale. Toutefois elle subsiste en matière pénale. * 9 Cf. infra. * 10 Cf. notamment les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ; art. 17 de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 ; art. 14 de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples. * 11 Cf. art. 544 du c. civ : « La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements. * 12 BEIGNIER (B), La protection de la vie privée, in Libertés et droits fondamentaux (sous la direction), 7e éd., Dalloz, 2001, pp.163-197. * 13 NGUELE ABADA (M), La réception des règles du procès équitable dans le contentieux de droit public, Juridis Périodique n°63-2005, p.20. * 14 GUINCHARD (S), Convention européenne des droits de l'homme et procédure civile, in Répertoire de procédure civile, Tome 2, Dalloz, Mars 2003. * 15 Ibid. * 16 En effet, l'on assimile généralement le due process of law au procès équitable alors même qu'il s'agit de deux notions autonomes. Sur la distinction, cf. ZOLLER (E), Procès équitable et due process of law, Rec. Dalloz n°8, 22 février 2007, pp.517 et s. * 17 Car la tendance moderne aujourd'hui est de parler de droits fondamentaux plutôt que de droits de l'homme. V. en ce sens TERRE (F), Introduction générale au droit, 2e éd., Dalloz, 1994, note de bas de page n°2, p. * 18 Cf. art. 10 et 11 de la Déclaration. Toutefois, « en dépit de son importance politique et historique exceptionnelle, la déclaration universelle, selon le Professeur François SUDRE, ne procède pas à proprement parler, à l'inscription des droits de l'homme dans le corpus juridique international. Au même titre que les autres résolutions adoptées par l'Assemblée générale, elle n'est pas un instrument juridique contraignant ; en tant que recommandation, elle ne crée pas d'obligation pour les Etats, n'est pas source directe du droit et ne peut être utilement invoquée devant le juge interne ». Cf. SUDRE (F), La dimension internationale et européenne des libertés et droits fondamentaux, in Libertés et droits fondamentaux (Sous la direction), 7e éd., Dalloz, 2001, n°71, p.36. Dans le même sens TERRE (F), op. cit., n°169, p.157 ; VINCENT (J), GUINCHARD (S), Procédure civile, 26e éd., Précis Dalloz, 2001, n°53, p.98. * 19 L'article 14 du Pacte dispose que : « Tous sont égaux devant les tribunaux et les cours de justice. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial établi par la loi qui décidera soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle, soit des contestations sur des droits et obligations de caractère civil... » * 20 Adoptée à Rome en 1950, elle est encore appelée Convention Européenne des Droits de l'Homme (CEDH). Elle prévoit en son article 6 (1) que : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial établi par la loi... ». * 21 La convention américaine relative aux droits de l'homme a été signée par 12 Etats à San José (Costa Rica) le 22 novembre 1969 et est entrée en vigueur le 18 juillet 1978. * 22 Cf. art.65 de la constitution. * 23 Cf. GUINCHARD (S), Le procès équitable : garantie formelle ou droit substantiel ?, Mélanges en l'honneur de Gérard Farjat, éd. Frison-Roche, 1999, pp.139-173. * 24 L'un des tous premiers arrêts de la jurisprudence européenne sur le procès équitable date de 1975 (CEDH, Golder c/ Royaume-Uni, 21 Février 1975). * 25 Lire à ce sujet NGUELE ABADA (M), La réception des règles du procès équitable dans le contentieux de droit public, Juridis Périodique n°63-2005, op. cit., NGONO (S), L'application des règles internationales du procès équitable par le juge judiciaire, Juridis Périodique n°63-2005, pp.34 et s. * 26 Il importe de souligner qu'il s'agit d'un concept en constante évolution. Il recouvre d'autres aspects qui ne sont pas exhaustifs et inhérents à la progression des droits de l'homme en général. * 27 GUINCHARD (S), Le procès équitable : garantie formelle ou droit substantiel ?, op. cit., p.164. * 28 Il n'existe pas aujourd'hui une seule organisation - Etat, Eglise, parti politique, association, syndicat, organisations non gouvernementales - qui ne se prévale de son souci de voir réaliser pleinement les droits de l'homme. En France par exemple, il a même été créé un poste de Secrétariat d'Etat aux droits de l'homme. * 29 CEDH, 27 Février 1980, Deweer c/ Belgique, série A, n°35; 29 Octobre 1991, Helmers c/ Suède. * 30 On la désignera ainsi pour la suite. * 31 CEDH, 19 mars 1997, Hornsby c/ Grèce, Recueil des arrets et decisions de la CEDH, 1997, II, p.510, §.40, www.idhae.org, www.echr.coe.int. * 32 Cf. art. 8 de la DUDH. * 33 Cf. art. 7 préc. * 34 CEDH, 21 Février 1975, Golder c/ Royaume-Uni, série A n°18. Cet arrêt est l'un des arrêts fondateurs de la jurisprudence européenne sur le procès équitable. * 35 Ces expressions sont de RENOUX et RIDEAU cités par COULON (J.-M), FRISON-ROCHE (M.-A), Le droit d'accès a la justice, in Libertés et droits fondamentaux (Sous la direction), 7e éd., Dalloz, 2001, n°577, p.443. * 36 Selon la terminologie de la Cour Européenne des Droits de l'Homme. CEDH, V. BERGER (V), Jurisprudence de la cour européenne des droits de l'homme, 5e éd., Sirey, 1996, p.128. * 37 Cf. art. 8 DUDH: «Toute personne a droit à un recours effectif devant les juridictions nationales compétentes...» ; art. 14 (1) du Pacte : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue... par un tribunal compétent... » ; art. 7 CADHP : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend : a) le droit de saisir les juridictions nationales compétentes... ». * 38 Cf. art. 6 (1) de la Convention : « Toute personne a droit a ce que sa cause soit entendue... par un tribunal... établi par la loi » ; art.14 (1) du Pacte. * 39 CEDH, 9 Octobre 1979, Airey c/ Irlande, série A, n°32. La Cour considère en effet que les droits que la convention a pour but de protéger ne sont pas « théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs ». * 40 En effet, certaines procédures d'exécution peuvent être menées en dehors de tout procès notamment lorsqu'elles ne font pas l'objet de contestations. Il en est ainsi pour l'essentiel de toutes les saisies mobilières. Car comme a pu écrire un auteur, « l'un des apports de la réforme opérée par l'Acte uniforme est la réduction du rôle du juge dans les saisies ». ASSI-ESSO (A.-M), DIOUF (N), op. cit., n°106, p.62. * 41 Art.78, 103 al.2, 113, 166, 233 et 263 AUVE * 42 Art. 46. * 43 V. infra. * 44 Art. 64-8, 79, 86, 100-8, 109-10, 160-2, 231, 238 et 254 AUVE. * 45 COULON (J.-M), FRISON-ROCHE (M.-A), op. cit., n°592, p.448. * 46 Le TPI était compétent pour des litiges dont le montant n'excédait pas 500000 francs. Au-delà de ce montant, le litige relevait de la compétence du TGI. * 47 La loi du 9 Juillet 1991a institué en France les nouvelles règles relatives aux procédures civiles d'exécution dont on sait que le législateur communautaire OHADA s'est fortement inspiré. L'article 8 de cette loi dispose : « Le juge de l'exécution connaît des difficultés relatives aux titres exécutoires et des contestations qui s'élèvent au cours de l'exécution forcée même si elles portent sur le fond du droit (...). Dans les mêmes conditions, il autorise les mesures conservatoires et connaît des contestations... » * 48 Cf. articles 28 à 53 de l'Acte uniforme. * 49 Cette exclusivité n'exclut pas un partage de compétence entre ce juge et tout autre juge. * 50 En France en effet, le juge de l'exécution depuis le 1er Janvier 2007 est également en charge du contentieux de la saisie immobilière. Cela résulte de l'article 12 de l'ordonnance n°2006/464 du 21 Avril 2006 sur la réforme de la saisie immobilière. * 51 L'article 248 de l'AUVE prévoit en effet que la juridiction devant laquelle la vente est poursuivie est celle ayant plénitude de juridiction dans le ressort territorial où se trouvent les immeubles. L'article 298 précise que les contestations ou demandes incidentes sont instruites et jugées d'urgence. Au Cameroun, cette juridiction connaissait déjà de la saisie immobilière avant l'avènement de l'OHADA. * 52 Cf. FOSSO (Y.-R), Procédures collectives et voies d'exécution OHADA, Mémoire de DEA, FSJP, Université de Dschang, 2001, p.22 et s. ; POUGOUE (P.-G), TEPPI KOLLOKO (F), La saisie attribution des créances OHADA, coll. Vademecum, PUA, 2005, p.81. * 53 C'est ce qui justifie l'utilisation par le législateur communautaire de termes génériques tels que « juge statuant en urgence », « juridiction compétente en matière commerciale » etc.... pour tenir compte des spécificités nationales. Lire à ce sujet ISSA-SAYEGH (J), Quelques aspects techniques de l'intégration juridique : l'exemple des Actes uniformes de l'OHADA, Revue de droit uniforme, 1999-1, p.5, Unidroit, Rome, www.ohada.com/Ohadata D-02-11, p.13. |
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