La R.D.Congo en guerre : Que nous révèlent
les chiffres ?
1
Jean-Paul TSASA VANGUi
Econométricien et Chercheur
Département des Sciences Economiques Université
Protestante au Congo Septembre 2009
Résumé
Partant de la constatation selon laquelle, les performances
réalisées par l'économie congolaise sont meilleures en
période de guerre qu'en période de paix, cet article se propose
de tester pour la République démocratique Congo les interactions
existant entre guerres civiles, dépenses de défense nationale et
croissance économique de 1977 à 2008. Pour ce faire, un
modèle de croissance néoclassique « à la Solow
», dans lequel la guerre apparait comme une variable explicative, a
été estimé économétriquement.
Le logiciel Eviews a été utilisé pour
mener ces investigations. Le résultat obtenu prédit une relation
positive entre guerre et croissance du revenu par habitant, et une relation
négative entre cette dernière et les dépenses publiques
affectées à la défense nationale.
Un nouveau concept a été introduit dans l'analyse
pour expliquer ce paradoxe. /l s'agit de la R-GGC.
Note : /l est strictement interdit de reproduire
un extrait de ce texte sans citer la source.
Mots clés : Guerres civiles,
Dépenses de défense nationale et Croissance économique
1 L'auteur est spécialiste de l'analyse
économique de guerres intra-étatiques.
3
5
Introduction
En interrogeant les statistiques et la littérature
économique à propos des guerres, deux faits marquants ont retenu
notre attention. Le premier fait est qu'au début du
XXème siècle, 90.0 % des victimes des conflits
armés étaient des soldats, alors qu'à la fin du même
siècle, 90.0 % des victimes des guerres étaient désormais
des civiles.
Le deuxième fait se rapporte à la
prépondérance des guerres intra-étatiques sur les guerres
interétatiques après la chute de l'Union des Républiques
Soviétiques Socialistes (URSS). Le rapport de l'/nstitut /nternational
de Recherche sur le Prix de Stockholm (2003) révèle que sur 19
conflits recensés dans 18 endroits du monde en 2003, seuls deux
étaient des conflits interétatiques (celui entre les Etats-Unis
et l'/rak et celui entre l'/nde et le Pakistan).
Cet état de chose ne peut qu'inciter de se pencher sur ce
phénomène qui embrouille les bons signaux émis par le
marché et de ce fait, perturbe la marche de l'ensemble de
l'économie.
Depuis 2002, il s'est fait observer un retour à la
croissance positive en République Démocratique du Congo (RDC),
résultat de certaines mesures politiques et économiques
arrêtées par le gouvernement à partir de 2001 afin de poser
les jalons du développement de l'économie nationale. En
dépit de tous les efforts conjugués par le gouvernement et par
certains de ses partenaires, la situation sécuritaire est
demeurée préoccupante.
Les guerres dans la partie Est du pays entravent le bon
déroulement du processus de stabilisation économique, et de ce
fait, ralentissent l'activité économique. Rappelons qu'en
période des guerres, il y a une réallocation des ressources
publiques vers les investissements militaires. Dans le but de répondre
aux besoins de sécurité, les interventions militaires exigent de
fois, l'exécution des dépenses non prévues dans le budget
de l'Etat. Et dans la plupart de cas, l'exécution de ces dépenses
a pour corollaire le creusement du déficit public.
Dans les pays où la corruption2, l'injustice
et la mauvaise gestion des affaires publiques caractérisent le mode de
gouvernance, deux phénomènes peuvent être
distingués. Le premier phénomène est que cette
caractéristique des Pouvoirs publics augmente la probabilité de
l'éclatement de la guerre. A cet effet, le modèle de Collier et
Hoeffler3 montre que la probabilité d'éclatement des
guerres civiles dépend non seulement de la quête de pillage mais
également de la demande de justice.
En effet, la quête de justice est essentiellement
déterminée par l'ampleur des trois facteurs, à savoir
la répression dans le processus de prise de décision
politique (ou l'absence de droits démocratiques), les
performances du gouvernement en ce qui concerne la croissance
économique, la lutte contre l'inflation, les inégalités
dans distribution des revenus et des terres, et la composition
sociale, c'est-à-dire la proportion de jeunes hommes
âgés entre 15-24 ans et le niveau de fragmentation sociale ou la
diversité ethnique, religieuse et géographique.
2D'après le rapport de l'Agence Transparency
/nternational (2008), la RDC est classée sixième pays le plus
corrompu d'Afrique.
3Le modèle de Collier et Hoeffler
(modèle C-H) est un modèle économétrique qui
identifie les principaux variables explicatives de guerres civiles et se
propose par ailleurs de déterminer la probabilité de
l'éclatement d'une guerre. Ainsi, d'après ce modèle, la
probabilité d'éclatement d'une guerre en RDC est d'environ 70
%.
Le deuxième phénomène est que les
périodes de conflits apparaissent souvent comme des moments où le
détournement de fonds est facile. C'est ainsi que le financement des
guerres entraîne souvent l'élargissement du déficit public
et l'accélération de l'inflation. Par exemple, en 2005, avec
l'éclatement de la guerre à l'Est de la République, le
taux d'inflation moyen qui, en 2003 et 2004, se chiffrait respectivement
à 4.4 % et 9.2 %, est passé à 21.3 %.
Partant de cette constatation, ce papier se propose de mesurer
les effets de la présence de la guerre et de dépenses de
défense sur le niveau de vie du congolais moyen de 1977 à 2008 et
par ailleurs, d'évaluer les performances réalisées par
l'économie congolaise en période de paix et en période de
guerre et par ailleurs.
A cet effet, le papier s'organise en trois sections. La
première section passe en revue la littérature liée
à la question sous examen. La deuxième section présente un
aperçu des guerres en RDC. Et enfin, la troisième section se
consacre à l'analyse empirique des effets de la guerre et de
dépenses de défense nationale sur la vitesse d'accroissement de
la richesse du congolais moyen et à la présentation de la recette
des estimations économétriques.
Revue de la littérature
Guichard (2008) présente une étude menée
par Silberner qui montre comment est-ce que les différents courants
économiques adoptent chacun une attitude particulière envers la
guerre. Les mercantilistes considèrent la guerre comme un
instrument de pouvoir du prince et un moyen d'enrichissement national ; par
contre l'école classique considère la guerre comme
un événement irrationnel et pense que les
nations peuvent s'assurer de plus grands avantages dans la paix par le travail
que dans la guerre par la spoliation.
Pour les socialistes, la guerre constitue un
événement illégitime, elle n'est que le produit d'une
mauvaise organisation économique de la société et qu'elle
disparaîtra nécessairement dans une communauté socialiste.
De leur côté, Litz et l'école allemande (approche
protectionniste) donnent un nouveau fondement théorique à la
relation existant entre guerre et prospérité économique ;
ils pensent que les dépenses militaires concourent au
développement des forces productives nationales et contribuent ainsi au
développement économique. Le célèbre
économiste anglais John Maynard KEYNES mentionne également la
chose militaire, mais il se situe plus en tant que citoyen
qu'économiste.
Toutefois, comme le souligne Lange (1985), que les faits
influencent les penseurs, chaque argument correspond à l'environnement
économique de l'époque où il a été
pensé, d'où l'obligation d'actualiser la relation guerre et
économie dans le contexte congolais car l'analyse faite par chaque
courant des pensées a contribué à l'éclaircissement
du problème de la guerre mais aucune n'en a trouvé la solution
complète.
Les progrès importants réalisés en
économétrie et en modélisation économique depuis la
fin de la deuxième guerre mondiale, d'une part et la fin de
l'antagoniste bipolaire avec la chute de l'URSS en 1991, d'autre part, ont eu
des répercussions sur l'analyse économique des guerres.
Depuis, on assiste à un nouveau type de conflits,
à savoir les guerres civiles. Coulomb (2004) indique que l'expression
« nouveaux conflit » est issue de la Géopolitique et elle
désigne un nouveau type de guerres qui ne concerne pas un
affrontement entre Etats. Elle met plutôt en
scène de nouveaux acteurs comme des milices et de
nouveaux seigneurs de guerre. Dans ces guerres, la population civile est
souvent prise comme cible ou acteur du conflit. Et enfin, ces conflits sont
mouvants et difficiles à identifier dans la durée
(difficultés d'identification du début des conflits notamment) et
dans l'espace (les acteurs du conflit ignorent les tracés
territoriaux).
Les tentatives pour analyser les guerres civiles se sont
multipliées. Selon Marchal - Messiant (2002), trois courants ont acquis
une influence particulière sur le débat universitaire. Le premier
courant, illustré par Kaplan, voit la civilisation
attaquée par des multiples maux, dont le plus
délétère est la violence communautaire.
Le deuxième courant représenté par
Mary Kaldor analyse les répercussions du changement de
période, notamment la fin de la guerre froide et la globalisation, sur
les Etats et les conflits. Et enfin, le troisième courant, dont le chef
de file est Paul Collier, se caractérise par la rigueur
économétrique et par l'importance qu'il accorde à
l'économie dans l'analyse des guerres civiles.
Depuis les travaux de Collier (1999), plusieurs analyses
quantitatives et formelles sur les guerres civiles ont été
menées par la suite. Celles-ci ont identifié l'importance de
facteurs socio- économiques dans l'éclatement et la durée
d'une guerre civile.
Parmi les études les plus extensives4, on
compte celles : de Collier - Hoeffler (1999), Sambanis (2001), Hegre et al.
(1999) et Fearon - Laitin (2000) qui ont identifié les
déterminants de l'éclatement de guerres civiles ; de Collier -
Hoeffler - Soderbom (1999) qui analysent les déterminants
socioéconomiques de la durée de guerre ; et de Mason - Fett
(1996), Licklider (1995) et Doyle - Sambanis (2000) qui s'intéressent
aux déterminants politiques permettant de mettre fin aux guerres civiles
et relancer l'économie en période post-conflit.
Les coûts imposés par les guerres civiles sont
énormes. D'après les estimations de Collier et all (2003), la
perte de croissance annuelle liée au conflit se chiffre à 2.2 % ;
la durée moyenne des conflits est de 7 ans ; l'économie
post-guerre est 15 fois plus petite qu'avant.
En période post-conflit, l'économie croît
à un taux de 1.0 % supérieur à la normale ; il faut en
moyenne 21 ans pour retrouver le P/B que le pays aurait eu sans le conflit ; le
coût pendant et après la guerre se cumule et représente au
total, 105.0 % du P/B initial ; l'augmentation des dépenses militaires
durant et après la guerre représente une perte de 18.0 % du P/B
initial.
S'agissant des effets macroéconomiques des
dépenses publiques liées au financement de la guerre, les
estimations de Barro (1991) révèlent que les dépenses
temporaires rattachées à la défense ont un impact
expansionniste très significatif sur le P/B réel. Les
dépenses permanentes se rapportant à la défense ont un
effet plus petit.
/l sied de préciser que les approches adoptées
par les économistes pour analyser le phénomène guerre
diffèrent. Coulomb (1999) les résume en deux, à savoir une
approche basée sur des modèles formalisés et sur des
méthodes économétriques et une autre approche basée
sur des études empirico-descriptives des activités liées
à la défense. Alors que la première approche analyse
l'impact économique des activités du secteur militaire, la
deuxième s'attèle sur l'analyse
4 Lire à ce sujet Elbadawi et Sambanis,
2001.
des facteurs économiques qui justifient les conflits. Loin
d'être exclusives, ces deux approches sont mutuellement
complémentaires.
L'économie politique des guerres permet de comprendre
les fonctions économiques de la violence. Avant d'énumérer
ces différentes fonctions, nous commençons par les
définitions de la guerre civile. Singer et Small (1994) définit
la guerre civile comme une guerre interne ayant causée la mort d'au
moins 1000 personnes. De son côté, Derriennic (2001)
présente les guerres civiles comme des conflits violents qui opposent
entre eux des citoyens5. Dans le sens de Derriennic, les conflits
peuvent prendre trois formes principales, à savoir, les guerres
partisanes (opposition idéologique), les guerres
socio-économiques (l'appartenance aux groupes en conflit est fonction de
la place des individus dans l'activité économique) ou les guerres
identitaires (opposition des groupes dont l'appartenance est
déterminée dès la naissance).
Par ailleurs, Collier - Hoeffler (2006) basent la
définition de la guerre civile sur quatre caractéristiques
principales. : Une guerre civile exige l'action des organisations militaires ;
elle exige également la bataille d'au moins 1000 morts ; afin de
distinguer les guerres civiles des génocides, des massacres et des
pogroms6, il doit y avoir une résistance efficace, au moins
5% des décès doivent être causés par la partie la
plus faible ; une dernière exigence est que le gouvernement national
doit être actif. Dans le cas où le gouvernement n'est pas actif,
on parle des guerres extra-systémiques ; c'était le cas
par exemple, en Angola (1961-75), au Mozambique (1964-75) ou au Sahara
occidental (1975-83).
Les facteurs de risque ou déclencheurs des guerres sont
à distinguer des facteurs qui influencent la durée (Collier -
Hoeffler - Soderborn, 2004). Les facteurs robustes de risque
d'éclatement des guerres civiles du point de vue
économétrique sont essentiellement : un faible revenu, une grande
population, un taux de croissance économique faible, une
instabilité politique récente, des institutions
démocratiques incohérentes et la localisation du pays dans un
voisinage ayant connu des guerres ou des systèmes politiques
non-démocratiques.
S'agissant de l'impact des exportations de produits primaires
sur l'éclatement des guerres, les études
économétriques ont montré que : le pétrole augmente
le risque des guerres, particulièrement de conflits séparatistes
; les produits dont un groupe rebelle peut tirer profit tels que les diamants
ou les drogues n'augmentent pas le risque qu'un conflit éclate mais
augmentent la durée des conflits ; il n'y a pas de lien entre les
exportations de produits agricoles et les conflits ; la relation entre les
exportations de produits primaires (pétrole, agriculture et autres
produits) et le risque de conflits ne semble pas vraiment robuste.
Enfin, certains analystes pensent que la persistance des
guerres dans certaines régions est soutenue par un calcul
économique rationnel effectué par certains belligérants.
Les multiples fonctions économiques de la violence l'illustrent
clairement et Keen répertorie sept fonctions principales : les pillages,
la rémunération de la sécurité, le contrôle
monopolistique du commerce, l'exploitation de la main-d'oeuvre, l'appropriation
des terres, le vol de l'aide internationale et l'institutionnalisation des
bénéfices accordés aux groupes militaires.
5 Cités par Forest, 2004.
6 Le pogrom désigne le massacre et le pillage
des juifs par le reste de la population, souvent encouragée par le
pouvoir en place.
Bref historique des guerres en R.D. Congo
En adoptant une approche économétrique, ce
travail se propose de mesurer les effets des guerres civiles sur
l'économie congolaise. Toutefois avant de passer à la mesure de
ces effets, cette section présente, conformément à la
délimitation temporelle, une brève histoire des guerres en RDC
depuis 1977.
L'évolution de l'économie congolaise depuis son
accession à l'indépendance fut marquée par plusieurs chocs
de diverses natures. Parmi ces chocs, les guerres semblent paraitre comme
un talon d'Achille de la stabilisation politique et du
développement socio-économique depuis une dizaine d'années
en RDC.
Les guerres ont des effets particuliers sur l'économie
et sur les être humains. A la suite des rébellions et des guerres
d'agression7, les estimations chiffrent le nombre de morts, du
côté de la population, à environ 4 millions. Le mal semble
prendre place pour longtemps car d'après les estimations faites par
Collier et al, la probabilité d'éclatement d'une guerre civile en
RDC est d'environ 70 % et que si une fois la guerre éclate dans une
économie, celle-ci prend environ 21 ans pour atteindre de nouveau le
niveau du P/B qui aurait régné sans conflit.
La première guerre du Shaba (1977) et ensuite, la
deuxième (1978) tirent toutes leurs origines dans la guerre civile
angolaise et s'inscrivent parmi les conséquences de la guerre froide qui
a pratiquement scindé le monde en deux blocs (bloc capitaliste et bloc
communiste).
En effet, se rangeant dans le camp occidental pendant la
période de guerre froide, Mobutu engagea, en 1975, ses troupes pour
soutenir, lors de la guerre civile angolaise, le Front national de
libération de l'Angola (FNLA) qui affrontait le Mouvement populaire pour
la libération de l'Angola (MPLA) dirigé par Agosthino NETO et
soutenu par l'Union soviétique. Malgré ce soutien, le FNLA n'a pu
s'accaparer de la capitale Luanda suite à l'intervention du corps
expéditionnaire cubain.
A la suite de cet échec, les conflits armés
s'intensifièrent en Angola avec le soutien de Mobutu d'abord au Front de
libération de l'enclave de Cabinda (FLEC) et plus tard à l'Union
nationale pour l'indépendance totale de l'Angola (UN/TA).
Ce sont donc ces faits qui poussèrent l'Angola à
soutenir le Front National de libération du Congo (FNLC) lors des
offensives, lancées d'abord le 7 mars 1977 et plus tard en mai 1978 dans
les villes de la province minière du Shaba (actuellement Katanga),
notamment Kolwezi. Face à ces faits, la Belgique, les Etats-Unis et la
France ne tardèrent pas d'envoyer un soutien aéroporté. Et
parallèlement, l'Egypte fournit une cinquantaine de pilotes et
techniciens et le Maroc déploya un contingent aguerri d'environ 1500
hommes. Ce soutien permit donc aux forces zaïroises d'alors d'entamer la
reconquête de la province et de sauver le régime Mobutu.
7Dans la littérature, la rébellion
(1996-1997) et la guerre d'agression (1998-2001) sont, respectivement,
appelées première guerre du Congo et deuxième guerre du
Congo.
7
L'économie congolaise a connu une relative
stabilité pendant la décennie 1980 avant de voir renaître
au début des années 1990 des troubles, soulèvements,
pillages et le renforcement de l'opposition et par après
l'émergence de la rébellion en réaction de la mauvaise
gestion des affaires publiques et de la corruption caractérisant le
régime en place. Par ailleurs, la convoitise de la gestion des
ressources que regorge la RDC a aussi constitué un élément
déterminant de l'éclatement des conflits armés.
Dans le tableau qui suit, nous résumons les principaux
événements vécus pendant les périodes de crises et
des conflits armés en RDC, tout en ne perdant pas de vue les
critères retenus au niveau de la revue de la littérature pour
définir une guerre civile.
Tableau 1. Guerres civiles en RDC
Année
|
Principaux événements
|
1 si guerre civile, 0 si non
|
1977
|
- Première guerre de Shaba
|
1
|
1978
|
- Nouvelle tentative de sécession katangaise :
Deuxième guerre de Shaba
|
1
|
1990
|
- Manifestations estudiantines et réprimandes
|
0
|
1991
|
- Violentes émeutes, suivies des pillages à
Kinshasa, à Lubumbashi, etc.
|
0
|
|
- Exactions et pillages occasionnant plus de 300 morts ;
|
|
|
- Troubles ethniques au Katanga entraînant le
déplacement d'au moins
|
|
1993
|
100.000 personnes vers leur province d'origine (Kasaï) ;
|
0
|
|
- Affrontements de nature ethnique dans le Nord Kivu
occasionnant
|
|
|
200 morts.
|
|
|
- Plus d'un million de rwandais, majoritairement de l'ethnie
hutu, se
|
|
1994
|
réfugient dans l'Est de la RDC suite à la prise de
pouvoir par le Front patriotique rwandais de Paul Kagamé (ethnie
Tutsi)
|
0
|
|
- Combats dans le Kivu entre l'armée zaïroise et des
Banyamulenge
|
|
1996-
|
(congolais tutsis de souche rwandaise) ;
|
1
|
1997
|
- Rébellion, chute du mobutisme et prise de pouvoir par
L.D. Kabila
|
|
|
(Première guerre du Congo)
|
|
1998-
|
- Eclatement de la Guerre d'agression (Deuxième guerre du
Congo) ;
|
|
2003
|
- Guerre à Kisangani.
|
1
|
2004-
|
- Guerre de l'/turi ;
|
|
2008
|
- Bataille de Mushake.
|
1
|
Source : L'auteur
Signalons à ce niveau que le déplacement en
masse de la population et l'intensification de la maffia, occasionnés
par les conflits armés, ont alourdi les pertes enregistrées dans
les secteurs agricoles et miniers qui disposent d'énormes
potentialités. De même, l'insécurité qui
sévit dans la région Est demeure à ce jour une contrainte
pour l'épanouissement du tourisme.
Toutefois, il convient de noter que certaines branches ont
bénéficié des effets positifs de la guerre, notamment, les
branches de chaussures et des tissus de coton. L'analyse faite par le
gouvernement en 1999 sur l'évolution économique et
financière, a indiqué une croissance respective de 245.5 et 88.6
%.
Ainsi, une analyse des effets de guerres civiles sur
l'économie exige donc une réelle prudence dans la
méthodologie et dans les commentaires de faits. D'ailleurs, il a
été montré qu'en RDC,
dans les années 1990, les agrégats
macroéconomiques8 se sont bien comportés pendant les
périodes des guerres que pendant celles de paix (Nshue, 2004). Les cinq
années qui ont précédées la guerre de
rébellion (1996-1997) furent marquées par des taux de croissance
négatifs, soit -7.12 % en moyenne annuelle et par une hyperinflation
très marquée, soit un taux moyen annuel de 3883.27 %.
Parallèlement, pendant la période des guerres, les contre-
performances observées au niveau de l'évolution de la production
réelle et de l'indice des prix se sont estompées. De 1996
à 2001, le taux de croissance moyen s'est chiffré à -3.59
% et le taux d'inflation moyen se chiffre à 329.45 %. Partant de ces
statistiques (taux de croissance faible et hyperinflation), une relecture du
modèle de demande de justice montre que toutes les conditions furent
réunies pour l'éclatement d'une guerre civile en RDC.
Effets de la guerre civile sur le niveau de vie du
congolais moyen
S'inscrivant dans l'approche endogène de la croissance, le
modèle structurel retenu se compose d'une équation qui
décrit le comportement de la croissance économique.
En plus du niveau de revenu national (P/BR)9 qui
est une variable d'état, le taux de croissance du P/B10 per
capita, noté par TP/BH, est expliqué par les variables
suivantes.
Le taux de croissance annuelle du ratio du stock de capital
physique, noté par TCAP. /l est mesuré par le taux de
croissance du ratio de l'investissement domestique brut réel à la
population active. /l est attendu une relation positive entre le capital
physique par actif et le taux de croissance du P/BH ;
Le taux de croissance annuelle du capital humain,
noté par TCAH. Considéré par la théorie de la
croissance endogène comme une source intérieure de croissance
économique, le capital humain est une notion de nature
multidimensionnelle qui nécessite l'utilisation de plusieurs variables
influençant la mise en valeur des ressources humaines, notamment les
variables relatives à la santé, au niveau d'éducation ou
à la qualité de la main-d'oeuvre. Toutefois, dans le cadre de
cette étude, il est mesuré par le taux de scolarisation
secondaire (variable proxy) ;
Les dépenses publiques liées à la
défense nationale (DEDN). Cette variable est mesurée par la
croissance du ratio de dépenses publiques liées à la
défense nationale au total du budget de l'Etat ;
Les exportations de matières premières
(EXPMAT). Cette variable permet de capter l'effet d'ouverture sur la croissance
du P/BH, elle est par la part des matières premières dans les
exportations totales.
L'absence ou la présence de la guerre civile,
noté par WAR. La guerre étant une variable factice (dummy
variable), elle prend la valeur 0 en période de paix et la valeur 1 en
période de guerre. Son coefficient permettrait de mesurer l'impact de la
présence des guerres civiles sur la croissance économique en
RDC.
8Les agrégats macroéconomiques sont ici
considérés comme indicateurs de la gestion des affaires
publiques.
9 Le Produit /ntérieur Brut (P/B) est
considéré comme le meilleur indicateur du comportement de
l'économie ou de son niveau d'activité et donc un indicateur par
excellence du pouvoir économique d'une nation.
10 Le taux de croissance du P/B per capita mesure la
vitesse de l'accroissement de la richesse par habitant.
9
Ainsi, la forme spécifique du modèle à
estimer s'écrit donc comme suit : Encadré 1.
Modèle d'analyse
TPIBHt = al + a2TCAPt + a3TCAHt + a4PIBRt + asEXPMATt + a6DEDNt
+ a7WARt + Ut
Où les coefficients ai mesure l'impact des variables
explicatives sur la variable endogène, à noter le taux de
croissance du P/B par habitant (TP/BH).
Les données utilisées dans cette analyse
proviennent principalement de trois sources, à savoir, les rapports
annuels et condensés d'informations statistiques de la Banque centrale
du Congo (BCC), les statistiques financières du Fonds monétaire
international (FM/) et les rapports annuels de la Banque africaine de
développement (BAD).
L'analyse économétrique exige beaucoup de
prudence puisqu'une violation ne serait-ce que partielles des hypothèses
fragiliserait la validité des résultats obtenus. Ainsi, les
données collectées doivent être testées avant de les
soumettre à l'estimation. C'est à ce titre que les tests de
diagnostic concernant la stationnarité et la
multicolinéarité de nos séries ainsi que la
normalité et l'autocorrélation des résidus ont
été systématiquement effectués.
Après application des tests de Duckey-Fuller
augmenté (test de racine unitaire), de Klein et de Farrar-Glauber, il
ressort que quelques variables ne sont pas stationnaires à niveau et il
n'existe pas un risque de colinéarité entre les variables
explicatives puisque tous les coefficients de corrélation entre
variables explicatives sont inférieurs au coefficient de
détermination (Voir annexe 2, tableaux A3.1.1-A3.1.2 en annexe 3).
Par ailleurs, les tests de Jarque-Bera et du Durbin-Watson
révèlent que les résidus sont normalement
distribués et non-correlés (voir les tableaux A3.3-A3.2 en annexe
2).
/l existe quatre types de régressions11,
dans le cadre de cette étude, nous allons recourir à la
régression standard pour estimer notre modèle. En effet, ce type
de régression consiste d'abord à estimer toutes les variables en
même temps et par après, interpréter le résultat
obtenu sans modifier le modèle initial, même en cas de non
signification de certaines variables. Pour résumer ces différents
types de régression, nous proposons le schéma suivant.
Eu égard aux précautions-diagnostics
établies, l'équation de la croissance économique per
capita a été estimée par la méthode des moindres
carrés ordinaires. Les résultats de ce test sont repris dans le
tableau 2 en annexe 2. Au regard de la valeur de F de Fisher significative au
seuil de 5% et du R2 relativement bon (environ 97%), donc il y a
lieu de dire que ce modèle a un pouvoir explicatif et un ajustement
linéaire globalement satisfaisants.
11 Les quatre types de régression multiple sont
: régression hiérarchique, régression pas-à-pas,
régression set wise et régression standard (pour de plus amples
détails, lire Tsasa, J.P., 2009).
10
Encadré 2. Résultat de la régression
par les MCO sur l'équation de croissance
Substituted Coefficients:
- --------------------
- --------------------
TPIBH = 0.54 + 0.001*TCAP + 0.032*TCAH + 0.0002*PIBR +
0.03 1*EXPMAT - 0.061*DEDN + 0.227*WAR
(2.21)
|
(0.28)
|
(1.99)
|
(23.82)
|
(1.40)
|
(-2.75)
|
(0.65)
|
(0.038)
|
(0.781)
|
(0.060)
|
(0.000)
|
(0.177)
|
(0.012)
|
(0.522)
|
R2= 0.97 D-W = 1.91320 Prob(F-stat) = 0.0000
Source: Compilation de l'auteur
Le résultat obtenu révèle l'existence
d'une relation positive entre la croissance économie per capita et la
présence de la guerre civile considérée comme la variable
d'intérêt de notre modèle. Par ailleurs, la relation entre
croissance économie per capita et les dépenses de défense
nationale est négative.
Seules les variables de revenu national et du taux de
dépenses de défense sont significatives, les autres variables
(capital physique, exportation des matières premières et guerre)
ne sont pas significatives au seuil de 5.0%. S'agissant de l'accroissement du
capital humain, il est significatif au seuil de 10.0%.
L'augmentation d'un point de dépenses de défense
entraîne une diminution de 0.061 du taux de croissance du revenu par
habitant. Et la présence de la guerre civile augmente le taux de
croissance du P/B per capita de 0.227 point. Ce résultat, loin
d'être généralisé, corroborent avec l'analyse faite
au niveau de la section précédente en ce qui concerne
l'économie congolaise. Et donc, il exige beaucoup de prudence pour
dans son interprétation.
Rappelons que la guerre civile et les dépenses de
défense sont deux variables distinctes. L'effet positif de la
présence de la guerre traduit sans nul la tendance qu'ont les pouvoirs
publics après éclatement d'un conflit d'améliorer la
gouvernance (accords, dialogue, négociation ou cessez-le- feu). Et
l'effet négatif de dépenses de défense traduit la perte en
termes de bien-être que subit la population ; les fonds qui auraient
servis aux investissements sociaux sont affectés au financement de la
guerre avec l'objectif de rétablir la souveraineté nationale.
Par ailleurs, il sied de préciser que l'économie
congolaise a connu des guerres intensives dans la seconde moitié de la
décennie 1990 et cela s'est estompé vers 2002. Cependant, il est
constaté que les performances de l'économie congolaise pendant la
période avant l'éclatement de la première guerre du Congo
étaient plus médiocres que celles réalisées pendant
la période de guerre. /l y a eu une sorte de cassure entre les
deux périodes.
Se référant aux analyses de Collier et Hoeffler,
nous regroupons les données par épisode. Un épisode
correspond à cinq années et l'éclatement d'une guerre
civile, ne serait- ce que pour une
année affecte toute la période. Ainsi, les
périodes de 1991-1995, 1996-2000, 2001-2005 seront respectivement
affectées par les chiffres 0, 1 et 112. Ainsi, nous obtenons
le tableau ci-après.
Tableau 2. Analyse de performances de l'économie
congolaise par épisode
EPISODE 1
|
|
EPISODE 2
|
|
EPISODE 3
|
|
Inflat.
|
C. PIB
|
C. PIBH
|
|
Inflat.
|
C. PIB
|
C. PIBH
|
|
Inflat.
|
C. PIB
|
C. PIBH
|
1991
|
3244.43
|
-8.4
|
-11.27
|
1996
|
698.05
|
-1.1
|
-4.37
|
2001
|
135.09
|
-2.1
|
-4.66
|
1992
|
2989.58
|
-10.5
|
-13.42
|
1997
|
13.76
|
-5.4
|
-8.42
|
2002
|
15.8
|
3.5
|
0.65
|
1993
|
4206.56
|
-13.5
|
-16.44
|
1998
|
134.85
|
-1.7
|
-4.96
|
2003
|
4.4
|
5.8
|
3.16
|
1994
|
8593.16
|
-3.9
|
-7.02
|
1999
|
483.71
|
-4.3
|
-7.50
|
2004
|
9.2
|
6.6
|
3.70
|
1995
|
382.63
|
0.7
|
-2.480
|
2000
|
511.21
|
-6.9
|
-9.94
|
2005
|
21.3
|
7.2
|
4.73
|
MOY.
|
3883.27
|
-7.12
|
-10.13
|
MOY.
|
368.32
|
- 3.88
|
-7.04
|
MOY.
|
37.16
|
4.2
|
1.52
|
Où Inflat : Taux d'inflation/ C.
PIB : Taux de croissance du P/B réel/ C. PIBH
: Taux de croissance du P/B par habitant/ MOY.: Moyenne.
Source: L'auteur
Les cinq années qui ont précédé la
première guerre du Congo furent marquées par des taux de
croissance négatifs, soit -7.12 % en moyenne annuelle et par une
hyperinflation très marquée, soit un taux moyen annuel de 3883.27
%. Parallèlement, pendant la période des guerres, les
contre-performances observées au niveau de l'évolution de la
production réelle et de l'indice des prix se sont
atténuées. De 1996 à 2001, le taux de croissance moyen
s'est chiffré à -3.59 % et le taux d'inflation moyen se chiffre
à 329.45 %. En considérant ces statistiques comme les indicateurs
de la gestion des affaires publiques, il apparaît évident qu'en
RDC, le problème majeur soit donc la gouvernance13 car les
guerres ne sont qu'une de conséquences néfastes de la mauvaise
gouvernance ; le modèle C-H est assez éloquent à ce
sujet.
Ainsi, l'éclatement de la guerre en 1996 et la prise de
pouvoir (changement de régime) vers mi- 1997 ont suscité tant
soit peu de changement au niveau de la gestion des affaires publiques car cette
guerre était soutenue par la quête de justice et le souci de
rétablir un Etat de droit. Partant, coïncidant avec la
période de la seconde guerre du Congo, ce changement et cette
amélioration du niveau de l'économie comparé à
celui quelques années avant l'éclatement de la première
guerre du Congo14, justifient donc l'effet positif de la guerre sur
la croissance du P/B per capita.
/n fine, il ne faudra pas perdre de vue qu'une croissance
économique forte et durable nécessite la formation du capital
physique et l'organisation de l'activité économique, dans un
environnement stable, par des hommes dotés d'une santé saine,
d'une force physique et d'une capacité intellectuelle
élevée.
Par conséquent, la mauvaise gestion des affaires
publiques ou la mal gouvernance (empêchant la meilleure allocation des
ressources) et les nombreux conflits qui sévissent dans le territoire
congolais (affectant négativement la répartition des ressources
publiques) pourraient expliquer en partie l'appauvrissement
socioéconomique de la population.
12 Le chiffre 0 symbolise l'absence de la guerre et le
chiffre 1 la présence de la guerre.
13 La gouvernance porte, en effet, sur l'aptitude du
gouvernement à formuler et mettre en oeuvre des politiques saines ainsi
qu'à garantir le respect des citoyens et de l'Etat pour ses
institutions.
14 /l ressort des simulations faites que lorsque que
nous ignorons la présence de guerre pendant la période 1996-
2001, l'effet de la guerre devient négatif (-0.562713).
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