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Une gestion des terres conflictuelle: du monopole foncier de l'état à  la gestion locale des Mongo (territoire de Basankusu, République Démocratique du Congo).

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par Ulysse BOURGEOIS
Université d'Orléans - Maà®trise de géographie 2009
  

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Une gestion territoriale conflictuelle entre les populations locales et l'Etat

« Les rivalités entre le droit de l'Etat et les droits locaux, la persistance de ces droits face aux lois nationales montrent bien qu'un droit, pour exister, doit être accepté. Chaque pouvoir, une fois fondé, même mythiquement, et accepté, devient légitime ».

Chrétien J.-P. 86(*)

Dans le contexte qui vient d'être décrit, nous allons maintenant tenter de comprendre les interactions entre l'Etat et les pratiques foncières des Mongo. Entre le droit écrit, que l'on peut qualifier de théorique et les pratiques locales (orales le plus souvent), on peut se demander lequel de ces deux types d'acteurs fonciers dispose de l'autorité sur les terres ?

Nous allons aborder dans un premier temps l'Etat, son influence dans la région, et la manière dont les populations perçoivent son rôle et ses actions, notamment à travers la propriété des terres, qui est un point central.

Il ne fait aucun doute que la région délimitée par les rivières Maringa et Lopori sont des zones enclavées, reculées, en comparaison à d'autres régions et provinces de la RDC. Le manque d'infrastructures routières est un des facteurs explicatif, ainsi que le manque d'entretien des routes actuelles. L'enclavement de cette région rurale et forestière se fait tant au niveau économique que politique. Les périodes de guerres des décennies 1990 jusqu'en 2003 ont entraîné un replis des instances administratives d'Etat dans cette région. Les populations se sont donc tournées vers les modes de gestion coutumiers pendant l'absence de l'Etat lors des conflits qui ont touchés Basankus dans le début des années 2000. Certains Territoires n'ont donc pas été administré pendant cette période. De cette manière l'Etat n'a pas gagné en légitimité, et le retour de la paix civile dans cette région a été le moment du retour de l'Etat. Dans ce contexte, les pratiques foncières ont donc été marquées par l'influence accrue des coutumes locales et anciennes.

1. Le rôle de l'Etat en matière de foncier : un pouvoir à relativiser.

A. La prédominance du pouvoir coutumier sur les terres rurales.

1. La propriété de l'Etat et les populations locales.

Le sol et le sous-sol appartiennent dans les lois sur le foncier à l'Etat. L'Etat est le propriétaire des terres. Cette question de la propriété des terres rurales et/ou forestières est révélatrice des divergences entre le droit écrit et le droit coutumier. Selon les réglementations, certaines terres seraient sans propriétaires. Ce présupposé se retrouve dans l'enquête de vacance de terre. Affirmer que certaines terres sont dépourvues de propriétaires pose de nombreux problèmes par rapport aux ayants droits. En effet, de nombreuses parties de forêts éloignées des villages peuvent paraître vacantes mais ce n'est pas le cas dans la réalité. En majorité, les terres sont réparties aux chefs coutumiers. Peut être existe-t-il des terres vacantes mais aucun cas me permet de l'affirmer. Cette notion de terre vacante est présente depuis la colonisation belge.

Elle est depuis longtemps un instrument au service du milieu politique et économique pour octroyer des terres. Pour les des sociétés étrangères par exemple. Les populations locales font souvent références à cela car en zone rurale, plus que l'Etat, c'est les chefs coutumiers qui disposent de l'autorité sur des terres qu'ils estiment les leurs. Voici ce qu'affirme le fils ainé de Lingolo Isa'Isomba (patriarche du clan Bafaka), José ITONGA :

« Le sol et le sous-sol appartiennent à l'Etat. Mais l'Etat a donné la primauté à celui qui a occupé pour la première fois cette terre. Ici chez nous, si l'Etat veut planter une palmeraie, ou si il veut partager à sa population une partie de terre pour les cultures vivrières, l'Etat envoie le message au chef de groupement qui demandera à ses notables pour chercher les terrains qui suffit pour répartir la population. Les terrains appartiennent aux autochtones, et non à l'Etat. L'Etat c'est l'ensemble de toute les populations. Ce n'est pas qu'il y a une personne qui est choisit pour être le propriétaire des terres 87(*)».

Les chefs coutumiers vont donc se retrouvent dans une position particulière. Eux mêmes sont aussi les propriétaires des terres. Les lois concernant les terres vacantes participent à un long processus en Afrique, depuis la présence europèenne. L'Etat dispose toujours d'un certain monopole (ou appropriation d'Etat) comme le souligne Cubrilo M. et Goislard C., en reprenant Le Roy E. :

« L'Etat colonial a construit son monopole foncier en appliquant la théorie du domaine éminent et en imaginant la catégorie des terres vacantes et sans maître. La revendication du monopole foncier a été reprise par les Etats contemporains, avec parfois des compromis. Car le monopole foncier de l'Etat appliqué au niveau national est concurrencé par d'autres formes d'organisation à l'échelle locale88(*) ».

Historiquement, c'est également à travers des politiques rurales que l'administration coloniale a tentée de modifier les pratiques foncières. C'est le cas avec la création du paysannat dans le Congo Belge. Cette politique agricole a été mise en place à partir de 1936. Cela se traduit par l'accession à la propriété qui permet en théorie de jouir d'une liberté économique. En pratique, cela consiste à établir sur un espace délimité (après des enquêtes préliminaires) les populations sur des lots choisit par l'administration. C'est une pratique qui a permis à l'Etat d'exercer un monopole foncier sur des populations.

Le changement de statut de l'espace est une continuité qui n'est pas remise en cause encore actuellement. C'est un facteur qui augmente l'illégitimité de l'Etat auprès des populations locales, et auprès des chefs de terres. De même, l'Etat africain est souvent un relais d'enjeux extérieur liés à des processus économiques globalisés. Pourtier R. parle de « domination extérieure 89(*) » pour décrire ces phénomènes en Afrique, où l'on privilégie les enjeux extérieur plutôt que locaux. Par exemple, on favorise la mise en place de grandes sociétés d'exportations plutôt que de développer l'agriculture paysanne qui représente une activité indispensable pour la très grande majorité de la populations de la Province de l'Equateur, pour ne citer qu'elle. Dans ce contexte, on comprend l'utilité des lois sur des terres qui seraient sans propriétaires, et par là même, on comprend également que les chefs coutumiers, ou tout ce qui se réfère à une gestion de type coutumière va s'opposer au projet de l'Etat.

2. Les acteurs fonciers dans le cas d'une cession de terre.

Il y a un décalage entre le droit écrit et la pratique en matière foncière. Les lois sur la propriété imposent de se référer à l'Etat dans la cession de terre. Il est donc illégal d'obtenir une portion de terre sans se référer à l'administration. Selon les lois, chaque cession de terre doit être obtenue par l'administration en charge du foncier. A l'échelle du Territoire de Basankusu ce n'est pas l'administration du Territoire mais auprès du District faute de mieux. Le district est l'échelon inférieur au Territoire. L'Etat est le premier interlocuteur pour gérer les affaires foncières en zone rurale car toute demande de terre est considéré comme illégale (non conforme au droit écrit) si elle est réalisée uniquement au niveau des chefs coutumiers. Il existe deux manières écrites pour les mouvements fonciers en zone rurale : les titres fonciers coutumiers et l'acte de cession. Ces deux méthodes permettent la reconnaissance des propriétés.

Un titre foncier coutumier rend officiel vis-à-vis de l'Etat une propriété. Lorsqu'une personne exploite une terre (essentiellement pour les plantations de palmiers, de caféiers ou de cacaoiers), cela peut permettre une sécurisation foncière. Ce document (Annexe n°4, p. 160) est principalement utilisé pour transmettre par héritage des biens fonciers. La mise en place de ce système est récent, et il n'est pas du tout généralisé en zone rurale. Ce document étant payant (3 dollars environ), certains propriétaires n'ont pas les moyens financiers pour sécuriser leurs biens. Etant donné que le phénomène de propriété s'accentue, et que la terre est de plus en plus demandée pour l'agriculture, les titres fonciers coutumiers peuvent résoudre certaines disputes à propos de la propriété, par exemple, avec le bornage et le calcul de la superficie effectués lors de la remise du titre. Malgré tout, les titres sont aussi parfois remis sans que ces préalables soient effectués.

L'acte de cession est un moyen lui aussi récent. Il permet «d'échapper » à la transmission des terres par les clans, et donc d'échapper aux règles foncières coutumières. Cette méthode est proche des titres fonciers car elle concerne le long terme. En effet, les titres permettent de céder des terres de manière durable. Lors d'un acte de cession les signataires vont être le chef de groupement, le chef de localité, ainsi que les notables coutumiers. Il semble que l'acte de cession soit plus efficace vis-à-vis de la loi qu'un titre foncier coutumier. Tout comme les titres fonciers, l'acte de cession est très peu utilisé, de plus tous les mouvements fonciers ne sont pas pris en compte.

D'après les enquêtes et les entretiens réalisés auprès des autorités foncières du District de l'Equateur 90(*), il est primordial d'obtenir une parcelle de terre en accord avec le droit coutumier local. Ensuite, munit d'un document écrit, l'acquéreur se rend chez les représentants de l'Etat pour officialiser la concession. Octroyer des terres sans le consentement du chef coutumier n'est pas concevable car les conséquences peuvent être graves si le pouvoir coutumier est ignoré.

Ces conséquences auront pour but de faire partir le nouveau propriétaire, par la sorcellerie par exemple. Comme cela a été vu précédemment, les recours dont disposent les chefs coutumiers pour s'opposer à l'Etat où à une main-mise dans leur gestion des terres ne sont pas officiels, et ils peuvent ne pas être rationnels. La sorcellerie, de part son caractère mystérieux et dangereux représente un moyen de pression très puissant. De plus, les problèmes dans l'exécution de la justice et dans les recours officiels quels qu'ils soient sont très largement inefficaces, d'autant plus lorsque les chefs coutumiers ne disposent pas de relations avec le milieu politique, ni de moyens financiers importants. A cela s'ajoute le fait que la régularisation des titres fonciers coutumiers par les représentants locaux de l'Etat n'est pas fréquente.

Ils sont nécessaires pour un étranger, mais pour les clans, les lignages ou les familles, cela se réalise rarement par écrit. Des documents fonciers officiels représentent un coût financier que ne peuvent assumer bon nombre de personnes. Il ne m'est pas possible de le quantifier, cela reste donc du domaine de l'hypothèse. Néanmoins, les Territoires étant vastes et pas toujours facile d'accès, l'administration a de grandes difficultés pour gérer le foncier en zone rurale. Les voies de communications sont pourtant extrêmement importantes dans l'édification d'un Etat-nation comme le souligne Pourtier R. : «  Dans l'immense Zaïre la cohésion de l'Etat est affaiblie par l'incapacité à maîtriser le transport au sol ; en dehors de quelques rares axes de qualité, le contrôle des pouvoirs publics se dilue rapidement dès que l'on quitte les centres urbains91(*) ». De part le manque de personnel et de moyens adéquats, la gestion foncière est surtout le fait des chefs coutumiers.

L'Etat n'a donc qu'un rôle d'intermédiaire vis-à-vis d'un pouvoir coutumier, qui, pris dans son sens large est très important en zone rurale, voire prédominant. On peut ajouter également que le pouvoir coutumier est toujours en rivalité avec l'Etat pour qui le sol et le sous-sol lui appartiennent. Depuis l'époque coloniale jusqu'à aujourd'hui, la législation concernant la propriété de la terre est au coeur d'enjeux qui vont de l'échelle globale pour concerner le local.

Le problème principal vient du fait que l'Etat cherche légitimement à interférer avec les pratiques foncières locales, mais sans qu'il y ait de véritables consensus entre ces deux échelles dans la mesure où la reconnaissance des droits de propriétés n'est que partielle.

3. La forêt limite-t-elle de l'autorité de l'Etat ?

La Province de l'Equateur est avant tout marquée par un tissu forestier très dense. Dans cet espace de forêts, l'occupation humaine est très peu marquée dans le paysage. On peut même dire que le peuplement ressemble à un îlot au milieu d'un océan de forêts. Dans ce contexte, la prédominance de la forêt entraîne un enclavement important. Cela rend les déplacements difficiles d'autant plus que cela est aggravé par le manque d'axes de communication. Les forêts ont souvent été un frein à l'établissement de l'autorité de l'Etat. L'histoire donne de nombreux exemples où la mise en place d'autorité politique régionale a nécessité des politiques de désenclavement forestier, pas toujours avec succès comme le souligne Pourtier R.: « La forêt (...) fit longtemps écran à l'établissement d'une autorité centrale efficace : maints administrateurs coloniaux devaient constater impuissants qu'elle s'y engloutissait 92(*)».

Par exemple, les routes coloniales ont été conçues à cet effet : pour administrer plus efficacement le territoire en augmentant les échanges et les déplacements. Les axes de communications sont d'une grande importance pour la maîtrise territoriale de l'Etat, et « c'est principalement les routes qui, aujourd'hui, facilitent le désenclavement et les mouvements de population 93(*)». L'axe de transport le plus présent en Afrique est avant tout le réseau routier. Plus de 80% des transports se font par les routes, et les pays d'Afrique centrale disposent de la plus faible longueur du réseau routier à l'échelle du continent avec environ 120 000 km de routes, dont environ 75% sont considérées en mauvais état. (Ben Hammouda H. & Koumaré H.94(*), CEA-Bureau d'Afrique Centrale 95(*)) .

La forêt est dans ce raisonnement un facteur qui limite l'implantation d'une autorité d'Etat. C'est parce que les accès sont difficiles que l'Etat ne peut prétendre avoir une influence forte au sein de certaines régions forestières comme c'est le cas dans cette partie du Bassin du Congo. C'est une explication possible (parmi d'autres) pour comprendre pourquoi des modes anciens de gestion foncière semblent restés importants en zone rurale forestière. L'Etat et l'autorité qui en découle est en effet bien souvent un facteur non-négligeable de la transformation de ces modes de gestion. Les diverses lois dont est à l'origine l'Etat centralisé n'ont qu'une influence faible pour les populations Mongo et sur leurs manières de gérer le domaine foncier.

Chapitre 3

La prise en compte de telles pratiques foncières dans la conservation d'espaces naturels

La conservation d'espaces naturels importants en terme de biodiversité nécessite de s'intégrer dans un contexte local précis. Les politiques des acteurs environnementaux passent par des politiques territoriales et le domaine foncier est un élément nécessaire à prendre en compte.

En effet, les politiques de conservation et de développement agissent sur le domaine foncier, précisément sur la manière d'utiliser l'espace. Par exemple, lorsque l'on cherche à modifier certains usages des forêts.

L'utilisation des ressources forestières est liée à la manière dont est approprié l'espace. La propriété des forêts est ainsi importante à connaître si on cherche à interdire certains prélèvements aux populations locales.

Nous allons donc nous pencher sur le cas de la pratique de la chasse et comment elle interagit avec les politiques environnementales. Ensuite, nous tenterons de mettre en évidence en quoi les forts taux de couverture forestière sont dû ou non à la manière dont est organisé le foncier des populations Mongo.

1. La réserve Lomako Yokokala : la volonté de modifier l'usage de la chasse.

Figure 14.

Cette réserve fût crée en 2006 par l'Etat. Elle a pour but de protéger la faune encore présente dans la partie centrale de l'aire M.L.W. Notamment l'espèce Pan paniscus, c'est-à-dire le singe Bonobo qui se trouve uniquement en RDC. La création de la réserve est principalement le fait de l'Etat et AWF intervient pour sa mise en place et sa gestion. Les chefs coutumiers ont été consultés pour obtenir leur accord visant à mettre en place cette réserve sur leurs terres. Bien que ces politiques de conservations soient liées à un besoin de l'Etat, les populations locales ont en grande majorité la conviction que cette zone est la propriété de AWF.

Cette réserve à pour but de procurrer un refuge pour la faune de la région. La pratique de la chasse est en effet très largement répandue dans toute zone forestière M.L.W. La chasse est responsable de la raréfaction du gibier dans de nombreuses forêts. Il faut ajouter que la chasse est une pratique très ancienne qui est également un trait culturel très important chez les Mongo, et c'est sans doutes la pratique ancienne la plus importante (avec la pêche), beaucoup plus que l'agriculture et les plantations. Les différentes guerres, la pratique agricole a but commerciale ainsi que les difficultés que connaissent les activités d'élevages dans la région ( avec la peste porcine par exemple) sont certains des facteurs qui peuvent permettre de comprendre la disparition du gibier autour des villages et des pôles urbains de la région. De nombreux témoignages traduisent des rarefactions d'espèces comme les singes, mais aussi les éléphants. Auparavant, les éléphants pouvaient détruire les cultures villageoises voire le village lui-même. Ce n'est plus le cas, et pour chasser, il est nécessaire de pénétrer toujours plus loin en forêt. La pratique de la chasse permet également d'obtenir des revenus importants aux chasseurs, en plus d'obtenir une nourriture de qualité, et qui plus est gratuite. En effet, une famille ou une lignée peut chasser et mettre des pièges dans leurs forêts, voire même dans des terres ne leur appartenant pas.

Pourtant, ce n'est pas vraiment les populations villageoises qui pratiquent la chasse. Cette pratique existe mais elle a fortement perdu son importance, surtout dans les zones proches de pôles urbains, du fait de la surexploitation de la ressource. La chasse est surtout le fait de campements localisés profondément en forêt, et par des braconniers. Un campement peut être composé d'une population très faible (par exemple une famille), mais il est fort possible de trouver de très nombreuses populations au sein d'un campement (400 personnes par exemple). On trouve ainsi des campements autour de la réserve, d'où des conflits d'usage. Des groupes de chasseurs se rendent fréquemment dans la réserve. Très enclavé de part les forêts et les marécages, le gibier y est encore plus abondant que dans d'autres parties de la région M.L.W. Des conflits opposent les gardes de la réserve (gardes de l'ICCN 96(*)) à des chasseurs. Parfois de manière violente comme c'est le cas au Nord de la réserve, dans le territoire de Bongandanga. La réserve est majoritairement située sur ce territoire, et c'est une des régions les plus réticentes à la conservation. Cela vient du fait que la chasse est très pratiquée par les populations présentes dans cette région, et l'agriculture n'y est que très faible par rapport à d'autres territoires comme Djolu ou Basankusu. Ces conflits d'usage ne concernent pas exclusivement la chasse mais aussi la pêche. Des populations vivent de la pêche dans toute le paysage M.L.W. et cela comprend aussi la bordure de la réserve délimitée par les rivières Lopori au Nord, et Maringa au Sud. L'ICCN avait interdit l'accès pour la pêche, mais la pêche semble autorisée aujourd'hui suite à des conflits entre les pêcheurs et les gardes. Beaucoup de personnes de toute la région forestière où agit AWF pensent que la chasse est interdite partout, et que la protection du Bonobo se fait à l'encontre de leurs activités de subsistances. L'enclavement de la région explique ce manque d'information et de communication aux populations forestières et villageoises. De plus, la politique de conservation est récente, et les voies d'accès et de communications étant rares et dans un état très mauvais, ces conflits demeurent.

La modification de l'accès au gibier par la création de la réserve peut aussi entraîner un phénomène de surchasse dans les périphéries de la zone protégée. Néanmoins, les droits d'usages sont stricts concernant les propriétaires des forêts où le gibier est encore abondant. Il est nécessaire pour un groupe de chasseurs des villages voisins de demander les autorisations coutumièrement : par des dons, des contre-partie comme une part de viande, ou autre, le chasseur va être autorisé à prélever du gibier. Ainsi, les droits d'usages deviennent ignorés volontairement lorsque le gibier vient à disparaître. En effet, cette pratique est liée à l'appropriation des ressources forestières, et les droits d'usages disparaissent dès que l'usage n'est plus fréquent.

Corrélée à un engagement très peu important de l'Etat dans cette zone forestière, la gestion du domaine foncier est marquée par des pratiques anciennes. Qui plus est, cette gestion est légitime face à un Etat aux multiples difficultés. Que ce soit en matière de justice foncière ou en matière de distribution des terres, la gestion coutumière exerce donc un pouvoir important dans cette région. C'est dans ce contexte que la conservation du patrimoine naturel est prise en charge par des acteurs extérieurs car l'Etat seul ne peut assumer financièrement de mettre en place de telles politiques. La difficulté vient du fait que l'ONG, au même titre que l'Etat est considéré par de nombreuses populations locales comme étrangère. Les critiques ne vont donc plus se tourner vers l'Etat mais vers l'AWF. Bien que les ONG ne remplacent pas le rôle d'un Etat, les différentes politiques d'aménagement mises en place (ou en projet) montrent bien que cela y ressemble. L'exercice de l'Etat est par ailleurs très lié à la conservation comme le souligne Rodary E. :

« La conservation s'inscrit en continuité des logiques étatiques de contrôle des populations, de contrôle territorial, de marchandisation et d'étatisation des ressources. Le secteur se construit sur une homothétie avec l'Etat97(*) ».

Pratiquer des politiques de conservation dans une région où les défaillances de l'Etat sont flagrantes (pauvreté, santé, enclavement, corruption, déficit de l'administration,...) peut être problématique car toutes ses difficultés seront autant de problème pour les acteurs extérieurs. Par exemple,  bien que l'ONG cherche à appuyer l'agriculture, le manque d'axes de transports et l'enclavement de certaines parties du paysage M.L.W. ne relèvent pas du rôle d'une ONG environnementale, mais bien d'une politique de l'Etat. AWF ne cherche pas à remplacer le rôle que pourrait jouer un Etat bien ancré dans son territoire, mais pour limiter la pratique de la chasse elle est pourtant contrainte d'assumer un peu de ce rôle. Et d'une certaine manière, la préservation de la faune implique des contreparties pour développer l'agroforesterie et l'élevage, et donc cela s'entraîne obligatoirement sur une perte de superficie forestière. En effet, l'agroforesterie bien que fixée sur un territoire n'est actuellement pas encore une alternative puissante : elle semble être encore, qu'un complément pour les paysans concernés. Cela ne limite donc pas forcément l'agriculture itinéraire sur brûlis. Ces régulations sur l'espace correspondent à une maîtrise foncière.

2. L'organisation foncière de l'espace : un atout pour la conservation ?

Ce système foncier est le reflet de l'organisation de la société Mongo. Les liens familiaux sont interconnectés à la gestion foncière. Les familles, les lignages et enfin les clans ont un rôle important en matière foncière. Héritée d'une organisation ancienne, la gestion des terres traduit une adaptation des populations locales. Ce sont elles qui sont les garants de l'organisation de l'espace face à un Etat qui a peu d'influence en zone rurale et forestière

Il est donc possible de poser la question de l'impact de ce type de gestion de la propriété de la terre par rapport aux milieux naturels : les forts taux de couverture forestière observables dans cette région sont-ils reliés à cette organisation foncière ?

Le type d'appropriation des terres peut dans certains cas être un facteur limitant l'implantation humaine, et les activités humaines. La terre est précieuse, c'est même un des biens les plus important pour les Mongo comme il l'a été précisé à maintes reprises. Les règles de propriétés, ou encore les droits d'usages limitent l'utilisation intensive de l'espace. L'agriculture ne peut pas être pratiquée partout, il faut des autorisations des chefs de terres car les règles sont précises et il est de plus en plus difficile d'obtenir des parcelles cultivables en dehors des terres gérés collectivement par les structures familiales, lignagères et claniques. En attestent les difficultés des entreprises étrangères et privées qui exploitent les ressources dans la Province.

Cette gestion foncière est un trait marquant de l'espace. Etant donné que c'est un système qui peut s'adapter rapidement car les règles ne sont jamais fixes et lorsque les besoins le permettent, elles peuvent évoluer. D'après les entretiens, on constate que ces règles se sont durcies récemment, dans un contexte de pression accrue sur les terres. Il est primordial que les propriétés collectives soient transmises aux générations futures, et la dimension temporelle sur les terres a donc une influence. Par exemple, si toutes les terres d'un lignage sont vendues, cela va avoir des conséquences sur les membres - présents et futurs - du lignage. C'est un contexte très différent de ce que l'on peut observe dans les forêts du bassin amazonien où l'appropriation des terres est plus facile à réaliser par les petits paysans, puis par de grands exploitants agricoles.

Cette gestion des terres limite donc l'utilisation des terres en dehors d'une utilisation collective. Pour un étranger, le contexte foncier actuel peut donc être un problème pour obtenir des surfaces où pratiquer l'agriculture. La gestion coutumière semble plus favorable aux membres des familles ou des lignages, et au contraire, elle est plus restrictive concernant les étrangers lorsqu'ils sont demandeurs de parcelles pour des activités économiques. L'importance que revêt les forêts explique aussi qu'il est utile de conserver ces espaces à l'origine de nombreuses sources de produits naturels indispensables pour les populations rurales (cf. Fournier T. : Mémoire de recherche concernant l'utilisation des plantes et des produits forestiers non-ligneux chez les populations Mongo - 2009).

Une autre explication de la présence d'un couvert forestier qui n'a pas beaucoup subit d'évolutions dans le temps, est liée à la pauvreté. Le manque d'outils explique pourquoi les populations rurales n'utilisent que rarement le bois d'oeuvre dans les constructions d'habitations. L'exploitation des arbres nécessite des scies, et de nombreux outils pour travailler le bois, et peu de personnes dans les villages où se situent ces recherches disposent de tels outils. C'est pourquoi on peut observer que le défrichage des champs est difficile et que les arbres présents sur les parcelles ne sont que rarement utilisés.

Le manque de moyens économiques aux mains des populations villageoises est donc un facteur explicatif important. Cela semble être la raison principale de la prédominance du couvert forestier. Pourtant, l'exploitation des arbres pourrait permettre des revenus financiers aux populations, dans le cas où ce serait elles mêmes qui pratiqueraient cette activité, et non une entreprise privée. La pauvreté limite donc aussi certains prélèvements de ressources forestières.

Synthèse

Les difficultés que connaît l'Etat sont révélatrices des tensions autour des terres dans cette région forestière. La gestion coutumière semble être très influente, et il ne fait aucun doute que le domaine foncier est avant tout géré par ce système ancien, plutôt que par le droit moderne. Le manque d'influence de l'Etat en zone rurale explique que les populations locales se réfèrent toujours à des pratiques foncières héritées d'une longue tradition. La résolution des conflits fonciers est la preuve que la gestion coutumière est adaptée aux populations. Cette justice s'intègre à un contexte social et économique spécifique aux Mongo. Les conflits fonciers sont parfois inhérents à la vie des habitants et à la structure de la société. La gestion coutumière tend à réduire ces problèmes liés à la terre.

Le cas des conflits entre les acteurs privés et les populations locales traduisent différentes manières de concevoir l'appropriation des terres. Ils peuvent rarement trouver de résolution locale, et ils nécessitent de se rendre dans les tribunaux provinciaux. La terre se retrouve donc au coeur de rapports de forces. Le plus souvent, entre l'Etat et les chefs coutumiers, comme cela s'observe avec les limites urbaines et rurales. Le monopole foncier de l'Etat est donc faible dans la pratique. La gestion coutumière des terres s'intègre difficilement dans le cadre juridique de la RDC, d'autant plus lorsque les régions sont enclavées physiquement. La perméabilité des forêts en matière de communications, d'échanges, met l'Etat dans une position complexe. Les territoires sont donc influencés par des pratiques foncières anciennes même si des évolutions existent. La pression accrue sur les terres liée à l'augmentation de l'agriculture est un exemple particulièrement d'actualité.

Ce contexte rend la conservation difficile à mettre en place. Les acteurs environnementaux sont au coeur des tensions entre la maîtrise foncière de l'Etat et les pratiques foncières locales. Les relations (obligatoires) entre les ONG et l'Etat entraînent des critiques de la part des populations locales, et la modification de l'utilisation des terres et des forêts suite à la création de la réserve nécessite une approche intermédiaire. Cette position d'intermédiaire est complexe à mettre en place dans la mesure où elle doit s'intégrer dans le droit de l'Etat et en même temps dans les pratiques foncières des Mongo.

* 86 Chrétien J.-P. (1983). Histoire rurale de l'Afrique des Grands Lacs. AFERA, Paris, p.156

* 87 Entretien réalisé chez le chef du clan Bafaka ; José ITONGA, localité de Boondjé, 2009

Cf. Annexe 2, p. 148

* 88 Cubrilo M., Goislard C., Association pour la promotion des recherches et études foncières en

Afrique (1998). Bibliographie et lexique du foncier en Afrique Noir. Karthala, Paris, p.340

Le Roy E. (1987). La réforme du droit de la terre dans certains pays d'Afrique francophone. FAO, Rome, pp. 10-20

* 89 Pourtier R. (1989). Les espaces de l'Etat in, Tropiques. Lieux et liens. Editions Orrtom, Paris, p.395

* 90 D'après un entretien réalisé auprès du Chef de service des affaires foncières (District) :M. Bangoni

(avril 2009, Basankusu)

* 91 Pourtier R. (1989). Les espaces de l'Etat in, Tropiques. Lieux et liens. Editions Orrtom, Paris, p.395

* 92 Pourtier R. (1989). Les espaces de l'Etat in, Tropiques. Lieux et liens. Editions Orrtom, Paris, p. 395

* 93 Bouly De Lesdain S. (2000). Les Peuples des Forêts Tropicales Aujourd'hui - Volume II, Du sentier à

la route. APFT, Bruxelles, p. 289

* 94 Ben Hammouda H. et Koumaré H (2004). Les transports et l'intégration régionale en Afrique.

Maisonneuve & Larose, Paris, p. 51

* 95 CEA - Bureau d'Afrique Centrale (2004). Les économies d'Afrique centrale. Maisonneuve & Larose,

Paris, p. 115

* 96 ICCN : Institut Congolais pour la Conservation de la Nature

* 97 Rodary E. et Castellanet C. (2003). Conservation de la nature et développement : l'intégration

impossible ?. Karthala, Paris

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