A.
LES MOBILES DE LA CRISE
Plusieurs facteurs ont contribué à
l'avènement de cette crise en Allemagne. La "mondialisation" du commerce
agricole et la révolution industrielle ont été parmi les
instigateurs de la crise de l'agriculture qui sévit en Allemagne.
1. La révolution industrielle
La révolution industrielle viendra avec le changement
dans les méthodes de production industrielle et bouleversera toute la
société allemande. Dans ce contexte, il y a une augmentation de
productivité agricole dans la longue durée. L'explosion de la
productivité apporte une surproduction.
En Allemagne, au début des années 1870,
intervient la grande dépression (de 1873 à 1896) provoquée
par des investissements au-delà de la demande. Cette dépression
est caractérisée par des surcapacités et une
déflation importante (Fark-Grüninger 1995 : 43). L'appareil
productif avait grandit trop rapidement dans un marché où
s'installait la concurrence internationale.
2. La «mondialisation» du commerce
Après la guerre de sécession aux Etats-Unis,
presque tout le nouveau monde était cultivé. Grâce au
perfectionnement des moyens de communication et de transport entraînant
une forte diminution des coûts, des grandes quantités de
blé et d'autres productions furent exportées vers l'Europe et
contribuèrent à la baisse des prix
(AldenhoffL-Hübinger : 2005).
Il est certain que ces importations n'étaient pas la
seule explication du phénomène, mais elles contribuèrent
et accentuèrent sans doute la diminution des prix des produits
agricoles, qui était déjà amorcée à cause de
la grande dépression.
De plus, la déflation alourdissait les dettes du
secteur agricole européen qui devait compenser cette dette par une
augmentation de la productivité.
Il n'est donc pas étonnant qu'à la fin des
années 1870, l'empire allemand ait abandonné le libre
échange pour freiner les importations. L'Allemagne fut la
première à introduire des tarifs douaniers protecteurs.
B-
DE LA PROLIFERATION DES EFFETS POLITIQUES DE LA CRISE AUX TENTATIVES DE SA
NEUTRALISATION
Face à la crise agricole, l'empire allemand introduit
à la fin du 20ème siècle un système
protectionniste. Les mesures prises auront des conséquences sur
l'orientation politique de même que sur les hommes politiques de
l'Allemagne.
1. La prolifération des effets politiques de la
crise
La démission de Caprivi à son poste de premier
ministre de la Prusse en 1892 et en 1894 de celui du chancelier du Reich est
l'un des exemples les plus probants.
Les organisations agricoles allemandes comme le Bund Der
Landwirte combattirent la politique commerciale de Caprivi en se
référant au tarif de Méline. En effet, la conclusion du
traité avec la Russie, premier exportateur mondial de seigle fut
durement critiqué. Le seigle était l'une des
céréales préférées des grands
propriétaires fonciers en Allemagne du nord-est et il jouissait d'un
quota extrêmement élevé, environ 46%.
Caprivi dû dédommager les agriculteurs par des
mesures non-tarifaires. Malgré cela, il fut obligé de
démissionner d'autant plus qu'une vague populiste rurale se
déchaîna contre les traités de commerce que Caprivi avait
signé. Le Bund Der Landwirte fut fondé en 1893 et mobilisa les
paysans contre la politique du chancelier Caprivi.
Les effets liés à la crise agricole ne vinrent
que renforcer l'opinion des gens convaincus que le seul moyen de sortir de la
dépression était pour l'Allemagne la conquête des colonies
à elle. Par la suite, ils renforcèrent l'idée selon
laquelle l'Allemagne devait plus s'investir dans l'exploitation de son
protectorat du Cameroun.
Devant une situation interne aussi explosive, il était
urgent de réagir, surtout face à des assertions comme celle de
Heinrich von Treitschke qui écrivait que « pour un peuple qui
souffre d'une surproduction persistante et dont 200.000 de ses enfants sont
année après année envoyés à
l'étranger, la colonisation devient un problème existentiel
». La colonisation devenait ainsi une réponse aux
problèmes naissants dans la société allemande,
problèmes qui risquaient de fragiliser ou de désagréger
l'empire allemand qui avait été chèrement acquis et qui
représentait beaucoup pour certains Allemands. Avant de s'engager dans
une possible course aux colonies, l'empire allemand, à travers le
protectionnisme va essayer d'endiguer la crise agricole qui sévissait
dans son territoire.
2. Le protectionnisme comme principale
stratégie de la neutralisation de la crise
Le protectionnisme vise à protéger le
marché intérieur en adoptant des mesures pour favoriser les
paysans et leur pouvoir d'achat. Avec une population active d'environ 35% dans
le secteur agricole, l'Allemagne avait tout intérêt à
protéger les agriculteurs afin d'éviter des crises sociales
d'autant plus que la nécessité d'unifier le territoire faisait
que les dirigeants politiques cherchaient à gagner l'appui du peuple qui
était à cette époque majoritairement rural. Malgré
la monarchie constitutionnelle, le suffrage universel avait renforcé le
poids politique du monde agricole. Les hommes politiques ne pouvaient plus
ignorer ce que la majorité des électeurs ruraux exigeaient : la
protection de leurs productions. C'est dans ce contexte que des mesures
douanières furent prises.
Les tarifs douaniers sur les produits industriels et agricoles
entrèrent en vigueur en 1880 et restèrent modérés.
En se référant au tarif de Méline (tarif français)
de 1892 qui introduisait des droits de douane sur les produits industriels et
augmentait les tarifs douaniers sur les produits agricoles, le Reich revint sur
sa politique douanière pour conclure des traités commerciaux.
Le chancelier Léo von Caprivi qui avait
succédé à Bismarck, conclut en 1892 et 1894 une
série de traités pour les exportations industrielles avec des
pays comme l'Autriche-Hongrie, l'Italie, la Belgique, la Suisse, la Roumanie,
la Serbie et la Russie. Ces traités furent en vigueur jusqu'à la
fin de 1903 et portaient principalement sur l'abaissement des droits sur le
blé et le seigle (de 5 marks à 3,50 marks pour 100
kilogrammes).
En 1906, de nouveaux tarifs entrèrent en vigueur,
accompagnés de nouveaux traités de commerce qui
remplaçaient le système de Caprivi. Ces nouveaux traités
de commerce allemands formèrent le cadre de la politique agricole. Ils
avaient été votés par le Reichstag en 1902 mais ne purent
entrer en vigueur qu'à partir de 1906 à cause de ceux
signés par Caprivi. Quel fut les conséquences que cette solution
provoquera ? Comment ces mesures protectionnistes favoriseront-elles la
colonisation du Cameroun ?
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