L'imposition des cultures de rente dans le processus de formation de l'etat au cameroun (1884-1914)( Télécharger le fichier original )par Sandrine Carole TAGNE KOMMEGNE YAOUNDE 2 - SOA / CAMEROUN - Diplome d'Etude Approfondie en Science Politique 2006 |
TROISIEME CHAPITRE :LA RECHERCHE D'UN EQUILIBRE ENTRE POUVOIR POLITIQUE ALLEMAND ET SOCIETES POLITIQUES TRADITIONNELLES POUR LA CONSTRUCTION D'UNE POLITIQUE AGRICOLE EFFICACEGouverner, c'est structurer le champ d'action éventuel des autres. Dans le souci de mettre en valeur le territoire du Cameroun, les acteurs politiques Allemands seront en quête de moyens. Dans cette quête de moyens, le pouvoir allemand se heurtera aux princes sociaux qui avant lui les avaient capté. Ceci d'autant plus que le mot richesse évoque généralement une armée de serviteurs et celui de puissance une suite de soldats. Or partout et toujours, le travail humain a été exploité, les forces humaines domestiquées. De là, le pouvoir allemand dans sa croissance aura pour victimes prédestinées et pour opposants naturels les puissants, les chefs de files, ceux qui exerçaient une autorité et possédaient une puissance dans la société avant son arrivée (Jouvenel 1972 : 260-261). Alors, s'établira une relation de pouvoir dans laquelle autant les gouvernants que les gouvernés disposeront de ressources qui feront d'eux des acteurs pertinents. En fait, au sein d'une organisation, les individus possèdent une part de pouvoir liée à leur position qui leur confère la maîtrise de «zones d'incertitudes» c'est-à-dire des fonctions (noeuds de communication par exemple) qu'eux seuls possèdent. Et " plus la zone d'incertitude contrôlée par un individu ou un groupe social sera cruciale pour la réussite de l'organisation, plus celle-ci disposera de pouvoir " (Crozier et Friedberg 1977 : 66). Ceci ferra en sorte que la conservation du monopole par le pouvoir allemand s'avérera extrêmement difficile à toutes les étapes du déroulement de sa politique agricole. Surtout que la terre et les hommes, principaux éléments de la richesse dans la plupart des sociétés traditionnelles camerounaises, seront arrachés aux Camerounais. Or du fait que la transformation globale de la société " entraîne une lente diminution de pouvoir entre les groupes dominants et les couches sociales " (Elias 1991 : 77-78), on verra la réduction et même la disparition des champs d'action et par la même, la diminution du potentiel de pouvoir de certains groupes sociaux. Dans le souci de ne pas perdre leur statut antérieur, les anciens détenteurs de pouvoir se verront dans l'obligation soit de collaborer, soit de résister dans l'espoir de maintenir, d'accroître ou de ne pas perdre leur statut antérieur. Face à des acteurs déterminés à conserver une parcelle de leur pouvoir et mobilisant pour cela des ressources dont ils avaient besoin pour asseoir leur domination, les Allemands intègreront des acteurs locaux dans leur politique. Seulement, chaque individu poursuivra des objectifs et des stratégies propres et qui se trouveront éventuellement décalés par rapport à la scène politique centrale (Bayart, Mbembe et Toulabor 1992 : 11). Toutefois, la nécessité d'intégrer les colonisés dans le processus d'exploitation se faisait sentir dans la mesure où " la construction d'un ordre social est toujours un processus d'accommodation incertain de gestion des contradictions sociales et de réduction des conflits sociaux " (Commaille et Bruno 1998 : 123). Les stratégies coloniales allemandes d'extraction des richesses du Cameroun ne vont pas seulement modifier les règles préexistantes qui commandaient l'accès aux ressources productives. Elles leur en superposeront d'autres ainsi que de nouvelles modalités de les appliquer. Du coup, l'économie juridique précoloniale, avec ses dispositifs d'incitation et de sanction, ne fut ni entièrement détruite, ni entièrement intacte. L'objectif ici est de voir dans quelle mesure l'introduction de nouvelles cultures et par conséquent d'un nouveau pouvoir politique nécessitant l'accord tacite des dominés débouchera sur une nouvelle configuration sociale. Par la collaboration des populations et aussi par les résistances aux nouvelles techniques agricoles, les Allemands vont réussir à forcer une cohabitation entre les différents groupes sociaux existant sur le territoire camerounais. SECTION I : UNE CONJONCTURE LOCALE " FAVORABLE " AU NOUVEL ORDRE POLITIQUEComment l'ordre colonial, représenté par un personnel aussi réduit, s'est-il si longtemps imposé aux Camerounais ? Etait ce dû à un «désir de pouvoir»21(*) ? Interrogation cruciale d'autant plus qu'affirmer qu'un individu désire le pouvoir qui s'exerce sur lui, veut simplement dire qu'il en perçoit confusément le caractère bénéfique (Lagroye 1991 : 392). En même temps que les institutions s'imposent à nous, nous y tenons ; elles nous contraignent et nous trouvons notre compte à leur fonctionnement et à cette contrainte même (Durkheim 1967 : XX-XXI). Par ailleurs, les institutions déterminent en grande partie les cadres mentaux des participants, elles établissent les conditions pour l'obtention de la docilité et donc de la rationalité dans la société (Meny et Thoenig 1989 : 78). Or, la plupart des théories politiques distinguent deux types de rapport au pouvoir chez les individus : le rapport de sujétion ou d'obéissance subie et le rapport de consentement ou d'obéissance volontaire c'est-à-dire l'acquiescement des individus, une acceptation du pouvoir et de ces manifestations (Lagroye 1991 : 390). Ici, c'est le deuxième type qui nous intéresse et nous analyserons les dispositifs sociaux qui ont réorganisé en sous main le fonctionnement de la société camerounaise. I- L'ADHESION VOLONTAIRE DES POPULATIONS INDIGENES AU NOUVEL ORDRE SOCIO-POLITIQUE INSTITUE PAR LES ALLEMANDS Aussi longtemps que les routines de la vie quotidienne continuent à exister sans interruption, elles sont perçues comme non problématiques. Mais même le secteur non-problématique de la réalité quotidienne n'est pas interrompu par l'apparition d'un problème. Quand celui-ci apparaît, la réalité de la vie quotidienne cherche à intégrer le secteur problématique à ce qui est déjà non-problématique (Berger et Luckmann 1996 : 38). L'introduction des cultures de rente comme nouvelle problématique devra être intégrée par les populations dans les routines de leur vie quotidienne. La routinisation de cette nouvelle vision de la vie quotidienne sera pour certain un moyen de changer de classe sociale ou bien d'accroître leur puissance. En effet, la stratification de certaines sociétés traditionnelles va favoriser en quelque sorte l'enracinement du pouvoir allemand au Cameroun dans la mesure où l'organisation sociale existant favorisait certains au détriment des autres. Aussi, certaines populations désireuses de s'enrichir accueilleront-ils favorablement ce nouvel ordre. Après avoir vu les fondements sociaux ayant favorisé le contrôle des populations camerounaises, nous verrons par la suite l'impact de la possibilité de s'enrichir sur la cohésion nationale. A. DE L'IMPOSITION DES CULTURES DE RENTE A LA TRANSFORMATION DE LA NOTION DE RICHESSE ET DE PUISSANCE L'avènement des Allemands au Cameroun et l'imposition de leur pouvoir par le biais des cultures de rente a trouvé un terrain propice. En effet, l'organisation sociale de certaines unités politiques peut expliquer la présence de ces désirs inavoués des populations qui voyent dans ce nouveau pouvoir un moyen de s'enrichir. L'insertion des groupes sociaux subordonnés dans le champ politique peut parfois se traduire par l'adhésion au pouvoir par le consentement des dominés à leur domination. «Ceux-ci poursuivent en fait des objectifs et des stratégies qui leur sont propres et qui éventuellement se trouvent décalés par rapport à la scène politique centrale», (Bayart, Mbembe et Toulabor 1992 : 11). Cette attitude favorable à l'ordre allemand peut s'expliquer par l'organisation de la production et de la distribution des biens au sein de l'exploitation familiale. Cette organisation suivait une logique bien définie. A l'Ouest-Cameroun par exemple, l'exploitation familiale suit des règles sociales qui prescrivent les droits et les obligations de chacun selon sa position au sein des structures de parenté. Le chef de famille prend les décisions de production pour tous les hommes sous sa responsabilité. Les ressources accumulées par les hommes non mariés reviennent au chef de famille et en contrepartie, il a obligation de pourvoir à leurs besoins quotidiens. La stratification sociale joue un rôle important et les cadets (hommes célibataires) sont intégrés aux mécanismes de l'économie de subsistance et du commerce. Ne possédant pas de capital, les cadets dépendent entièrement du chef de famille et ont une forte motivation à s'engager dans l'économie familiale pour accélérer l'accumulation de la dot de leur première femme pour pouvoir devenir indépendants et eux-mêmes chef de famille. Les femmes, éléments fondamentaux dans l'exploitation familiale car formant la main-d'oeuvre principale et permettant d'accroître le poids démographique d'une famille, sont importantes dans le statut social (Fark-Grüninger 1995 : 32). La recherche du prestige social qui ne peut se réaliser que dans une situation de chef de famille ne peut s'obtenir que par le mariage pour les cadets. Or, c'est le chef de famille qui contrôle l'allocation des femmes à travers les modalités de mariages. Il y a donc un conflit latent entre eux (Fark-Grüninger 1995 : 41). Soucieux de rassembler rapidement la dot de leur première épouse, certains cadets sociaux s'initieront au commerce avant l'arrivée des Allemands. Cette envie d'acquérir des biens peut expliquer la prédisposition favorable de certains Camerounais à l'instauration de l'ordre allemand. Or du fait qu' « il n'y a de chance pour le nouveau pouvoir que s'il répond à des dispositions et à des désirs souvent inavoués du peuple» (Freund 2004: 219), les Allemands trouveront dans ces désirs une courroie de transmission pour l'imposition des nouvelles cultures. L'introduction d'un nouveau système économique au Cameroun va s'appuyer sur ces populations. Quel sera l'impact de l'arrivée des Allemands ? B. IMPACT DE L'ATTRAIT DES NOUVELLES POSSIBILITES D'ENRICHISSEMENT SUR LA COHESION NATIONALE Dans une certaine mesure, le désir de certaines populations de changer de statut va les pousser à se mettre au service du pouvoir allemand. Le mouvement vers les plantations provoquera un exode rural qui favorisera le brassage des populations. Cet exode rural dans lequel on reconnaît une conduite politique dénote dans une certaine mesure de la capacité à agir des acteurs locaux et de leur capacité de décider d'accepter le pouvoir allemand dans lequel ils sentent une possibilité d'en tirer profit. Loin d'avoir toujours été le fruit de la peur de la répression des forces allemandes, ne pouvons-nous pas penser que certaines populations ont opté de manière volontaire de composer avec le pouvoir externe ? Par ailleurs, l'envoi volontaire des enfants dans les écoles allemandes a été un élément constitutif de la participation des populations. Par le biais de l'école, certaines couches sociales vont espérer changer leur statut social. Comme le démontre les études de Gomsi, la plupart des élèves espéraient travailler pour les Allemands. Ces fonctions devaient leur permettre d'avoir des moyens financiers pour payer leurs taxes. On peut donc dire avec Jaffrelot et Dieckhoff (2006 : 49) que, « L'entrée dans le système éducatif des populations de plus en plus éloignées des grands centres, qui comprennent qu'apprendre la langue dominante et posséder une instruction minimale sont les conditions nécessaires de leur ascension sociale et de leur capacité à défendre leurs droits vis-à-vis de l'administration de l'Etat-nation en construction », a été une des stratégies adoptées par les acteurs locaux. Au delà de ceci, les Allemands avaient besoin de la collaboration des autorités politiques traditionnelles. En fait, l'Etat ou les formes officielles chargées d'exercer une domination et de revendiquer le monopole de la violence organisée, ne sont pas les seuls acteurs producteurs de normes sociales et politiques. Mieux, l'Etat ne dispose pas du monopole de la production des normes légales et politiques. D'autres acteurs officiels ou non étatiques interviennent directement dans cette production. Ces groupes peuvent produire leurs propres systèmes de normes sociales et légales - voire politiques - susceptibles d'être compatibles ou non avec l'ordre étatique et d'entrer en compétition avec lui. Nécessité s'est donc fait sentir d'utiliser les chefs locaux comme courroie de transmission de l'ordre politique allemand. II-L'INTEGRATION DES CHEFS TRADITIONNELS DANS LA STRATEGIE HEGEMONIQUE DU CENTRELe pouvoir allemand avait besoin de médiation, de collaboration. Si on considère la colonisation comme une domination étrangère dont le but était d'établir un système, d'en assurer la pérennisation en éliminant les foyers de résistances et en mettant en place des mécanismes débouchant sur un exercice exclusif de l'autorité et du pouvoir de décision, l'installation du pouvoir colonial supposait une redistribution des rôles et une intrusion dans la société africaine. La captation des structures traditionnelles par l'inféodation des chefs à l'administration a été un moyen de mieux atteindre la population. La soumission des chefs traditionnelles à permis de transcender les micros Etats et d'aller vers la construction de l'Etat. Quelles sont les raisons pouvant avoir poussé les chefs traditionnels à collaborer avec le nouveau pouvoir ? Était ce dû à un désir de pouvoir ? Quels profits en tiraient-ils ? Comment ont-ils aidé à la vulgarisation des cultures de rente et par conséquent du pouvoir allemand ? La participation des chefs traditionnels à l'imposition des cultures de rente dans le territoire du Cameroun s'est faite à travers le recouvrement des impôts fixés par les Allemands. Ils seront aussi des pourvoyeurs de main d'oeuvre pour les plantations allemandes. A. LE RECOUVREMENT DES IMPÔTS ET CONTRÔLE FINANCIER DES AUTORITES POLITIQUES TRADITIONNELLES PAR LE POUVOIR COLONIAL Du fait des moyens financiers limités, il n'était pas question pour les Allemands d'entretenir dans le territoire du Cameroun une administration purement européenne. Par ailleurs, il fallait également épargner les européens des maladies tropicales du fait du taux de mortalité élevé chez la population blanche comme l'ont montré les travaux du Docteur Plehn. En plus, étant donné que pour bien administrer il vaut mieux connaître le pays et les hommes, l'emploi des chefs traditionnels s'avérait nécessaire pour les colons car pratique et peu coûteux. La collaboration de certains chefs sera spontanée et la peur des représailles guidera d'autres. La collaboration est comprise ici comme une acceptation volontaire ou non, intéressé ou non de l'influence étrangère. L'une des fonctions essentielles des chefs sera le recouvrement des impôts de leurs sujets très enclin à se soulever. Ils leur revenaient donc la charge de discipliner leurs sujets. Moyennant une commission, les chefs furent appelés à faire rentrer l'impôt. La commission des chefs étaient de 10% des sommes versées avant le 1er Octobre et de 5% de celles remises après cette date (Gomsu 1986 : 138). Ceci est confirmé par la lettre de l'officier divisionnaire de Bamenda écrite le 9 avril 1916 à son supérieur. Il dit ceci: Sir, I have the honour to inquire whether the chief receives ten per cent of the amount collected whatever that may be or only if he collects the sum at which his village is assessed. Thus if a village is assessed at 500 Marks and the full sum is collected the chief received 50 Marks. If he collects 480 Marks does he receive 48 Marks or 30 Marks (450 Marks being the share of the government if the full sum had been collected), and does he receive 43 Marks if he collects 430 Marks, or nothing at all because the full government share has not been collected. I imagine that he receives his 10% on whatever sum he collects but should like to have a ruling on the point as early as possible. I have the honour to be, Sir, Your obedient servant, Divisional officer The resident, At Bamenda. P.S .In translations of German law n°3 para 9, it reads «the chiefs entrusted with the collection of taxes can be reserved up to 10% of these taxes with the consert of the governor» but in Mr. STOBART's memorandum para. 5 (under cover of provincial circ. n°16), the chief appears to receive the 10% as a matter of course22(*). De ceci, il ressort que les chefs percevaient bel et bien une ristourne qui était proportionnelle à la somme globale remise à l'administration. Il était donc dans l'intérêt des chefs que ces sommes fussent les plus importantes possible. Aussi, leur collaboration était d'autant plus facilement acquise qu'ils y trouvaient leurs intérêts. Non seulement la collaboration des chefs contribuaient à la mise en discipline des Camerounais, mais en plus, cette acceptation et cette soumission au pouvoir allemand suppose la reconnaissance d'un pouvoir unique de décision par l'ensemble des autorités traditionnelles collaborateurs. Plus, la collaboration marque le passage d'une société composé de `'micro Etat'' à une vision plus globale de la société camerounaise. Cette collaboration s'étendait aussi dans la réquisition de la main-d'oeuvre. B. COLLABORATION DES CHEFS TRADITIONNELS ET VULGARISATION DES CULTURES DE RENTE L'approvisionnement en main-d'oeuvre des différents secteurs de l'économie coloniale a été l'un des rôles des chefs traditionnels qui collaboraient avec les autorités allemandes. Gomsu Joseph (1986: 139) dit qu'au début de l'aménagement des grandes plantations sur la côte, les colonisateurs concluaient des traités avec les chefs qui se montraient matériellement intéressés pour trouver les travailleurs nécessaires. A cette fin, il existait entre le chef Galega de Bali et les dirigeants de la WAPV (Westafrikanische Pflanzungsgesellschaft Victoria) un accord pour livraison de 2000 travailleurs par an. Concernant cet accord, le témoignage du journal Deutsche Reichs-Post dans une enquête du 15/8 au 12/9/1900 dit que " depuis la mort du Dr. Zintgraff, la société de plantation ouest africaine, Victoria (WAPV) est approvisionnée en travailleurs par le Roi Galega de Bali ; en contrepartie Galega reçoit chaque année pour 300 marks de cadeaux et la visite d'un dirigeant de la société " (Gomsu 1986 : 140). Par ailleurs, lorsque certains chefs refusaient de passer ce genre d'accord, les colonisateurs employaient un mode de recrutement particulièrement coercitif. En fait, la contraindre à la collaboration par la force peut légitimer un pouvoir, c'est-à-dire peut faire en sorte que ce nouveau pouvoir soit tacitement reconnu. Le seul bénéfice que peut retirer celui qui subit la contrainte est alors la suspension temporaire des effets des plus coercitifs de celle-ci ; s'établit alors une sorte de relation. Dans cette optique, le gouverneur von Puttkamer va décréter que tout village dont les habitants s'enfuiraient à l'approche des agents de recrutement, serait réduit en cendre (Gomsu 1986 : 140). Les troupes coloniales étaient en effet là pour persuader les chefs de collaborer mais participèrent aussi à l'approvisionnement des plantations en main d'oeuvre. Au cours des campagnes militaires, la schutztruppe recruta par voie de contrainte, de nombreux travailleurs. C'est ainsi qu'en mars 1905, le lieutenant Rausch fit une incursion dite punitive dans la chefferie de Bamendu en pays Bamiléké et en ramena 61 travailleurs. Ensuite, Rausch exigea l'envoi par an de 200 autres travailleurs dans les plantations de la côte (Saha 1993 : 83). Ce fut là le plus important point de ce qui passait pour un traité de paix. La collaboration des chefs fut décisive dans l'introduction et la vulgarisation des cultures de rente. Les colons se servaient de l'influence des chefs pour promouvoir les cultures d'exportation dans la mesure où lorsque les chefs acceptaient de cultiver le café ou le cacao, les sujets suivaient généralement l'exemple. Ceci était d'autant plus nécessaire qu'on avait découvert avec l'arrivée de Bernhard Dernburg au secrétariat d'Etat aux colonies que les colonisés constituaient un élément dynamique dans l'exploitation des colonies. Le recouvrement des impôts et la vulgarisation des cultures de rente par les chefs traditionnels camerounais participent à la reconnaissance d'une autre autorité politique au dessus d'eux. Cette attitude a favorisé dans une large mesure la mise en place d'une entité étatique au Cameroun dans la mesure où ces autorités politiques traditionnelles appartenaient à des espaces différents. Malgré leur disparité, tous ces chefs prêtaient allégeance au même pouvoir politique dont ils reconnaissaient la supériorité. La collaboration volontaire des chefs a contribué à la construction de l'Etat dans la mesure où en intégrant la logique coloniale, ils abandonnent leur souveraineté et oeuvrent ainsi à la fin des micros Etats. La soumission marque l'acceptation de cette globalité ce qui contribue à la construction de l'Etat car tous adhèrent désormais à une même vision de la société. Toutefois, la collaboration des chefs ne manquait pas de révéler quelques velléités d'opposition, opposition qui se traduisait souvent par la désobéissance civile. Tant qu'il y a régime d'oppression, la résistance à l'oppression existe. Comment les Allemands vont-ils réussir à imposer leur ordre politique à travers les résistances ? Comment cela va-t-il contribuer à la naissance de l'Etat camerounais ? * 21. Parler de désir pouvoir ici fait référence aux mutations économiques qu'ont connues certaines sociétés traditionnelles avant l'arrivée des Allemands. Par le biais du commerce, certaines populations dans le souci de se repositionner dans l'échiquier social verront dans l'ordre allemand un moyen de s'enrichir. * 22 ANB, Oa/a-1916/12, Travelling allowance for non officials employed on the plantations 1916 Victoria division; Report on the collection of taxes in the Ossindinge division, Cameroon province for the year 1916-17. |
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