III. PENSER L'EMERGENCE DE L'ETAT CAMEROUNAIS
Ce point rendra compte de notre démarche
méthodologique et analytique. La méthode renvoie à la
posture adoptée pour saisir un objet. C'est un ensemble concerté
d'opérations mises en oeuvre pour sélectionner et coordonner des
techniques et atteindre un objectif de recherche. La complexité du fait
social, noeud de relations, de représentations, de sens, évolue
et change dans le temps et dans l'espace et porte de ce fait plusieurs aspects
ou dimensions. Dans ce cas, une seule méthode ne peut rendre compte de
cette complexité. Le recours à plusieurs outils
méthodologiques aide à mieux cerner le réel et en rendre
compte de manière pertinente. Chaque technique contribuant à
élucider une dimension particulière de ce complexe social qui se
résume à chaque période dans les politiques agricoles,
nous mobilisons ici à la fois deux entrées disciplinaires (la
sociologie historique de l'Etat et la sociologie de l'action publique), une
posture méthodologique (le constructivisme) et un dispositif
empirique.
A. ENTRE LA SOCIOLOGIE HISTORIQUE DE L'ETAT ET LA
SOCIOLOGIE DE L'ACTION PUBLIQUE
Notre recherche s'appuiera sur la sociologie historique et la
sociologie de l'action publique. La perspective socio-historienne contribue
à imposer une nouvelle approche de l'étatisation de la
société camerounaise. La sociologie de l'action publique marque
le choix d'une approche où sont pris en compte à la fois les
actions des institutions publiques et celles d'une pluralité d'acteurs,
publics et privés issus de la société civile comme de la
sphère étatique, agissant conjointement, dans des
interdépendances multiples pour produire des formes de régulation
des activités collectives. Le choix de telles approches se justifie dans
la mesure où, ce ne seront pas uniquement les objets traditionnels de la
science politique (pouvoir, personnels étatiques, instances
gouvernementales, institutions étatiques, etc.) qui seront
concernés, mais surtout ce qui se passe au sein même de la
société dans les interactions multiples, diverses et complexent
qui les structurent.
1. Pour une sociologie historique de l'Etat
camerounais par les politiques agricoles
Ce travail entend opérer un renouvellement du
questionnement sur les termes de la formation de l'Etat camerounais et les
modalités de son action. Si la sociologie historique de l'Etat formule
de manière inédite des propositions pertinentes dans ce sens,
c'est précisément parce que, nous suivons en cela Yves Deloye
(1996). Elle rend compte des processus historiques de " mise en
administration " de la société. D'une manière
générale, le tournant socio-historique dans l'analyse de l'action
de l'Etat permet de " préciser le regard et d'entrer dans une
étude fine des types d'interactions qui sous-tendent les
formes-mêmes de l'action publique dans différents contextes
historiques de l'action publique " (Payre et Pollet 2006, 91). Theda
Skocpol fait des propositions intéressantes dans ce sens dans le cadre
de la sociologie américaine de l'Etat (Skocpol 1992).
Spécifiquement, dès la fin des années
80, l'on assiste à l'établissement de passerelles entre la
Science politique, les Sciences sociales et l'Histoire. Elles permettent de
penser autrement l'étatisation de la société. Les
processus présidant à la formation de l'Etat seront
examinés du point de vue des " pratiques, figures et usages
concrets " de la mise en administration de la société (Payre
et Pollet 2006 : 93). Dans le cadre de ce mémoire, nous ne faisons
pas une sociogenèse des politiques agricoles au Cameroun. Nous nous
proposons d'interroger la manière dont la mise en administration de la
société dans le domaine agricole forme l'Etat camerounais au
début du 20e siècle. Cette démarche va
permettre de regarder de près entre autres, la genèse de la
circulation d'hommes d'Allemagne au Cameroun et sur le territoire camerounais,
des pratiques de constitution et de mise à disposition de savoirs sur
l'agriculture que l'on dispensera aux locaux, les usages individuels et
collectifs des politiques agricoles en train de se faire, etc.
2. L'apport spécifique de la sociologie de
l'action publique
Les Politiques publiques et la sociologie de l'action publique
dans le champ agricole nous fournissent une gamme variée d'outils
permettant de penser la formation de l'Etat du point de vue de son action.
Cette approche nous permettra d'étudier ce qui se passe au sein
même de la société camerounaise par le biais des
interactions multiples, diverses et complexes qui la structure. L'Etat n'est
plus qu'un des partenaires participant à la construction de son action
publique (politiques agraires) dont le rôle spécifique est
difficile à analyser car il est lui-même agi par la
complexité et la différenciation de ces organisations
susceptibles de produire des contradictions internes au champ
étatique. " De ce constat découle celui d'un
déplacement d'une régulation centralisée vers une
régulation multipolaire, marquée par la démultiplication
et la polycentricité des niveaux d'action avec de fortes
interdépendances entre des acteurs nombreux et
différenciés, aux intérêts divergents sinon
antagonistes " (Commaille 2006 : 418). Dans la recherche de
politiques agricoles efficaces et ne maîtrisant pas toute les ressources
dont il a besoin, le pouvoir allemand se verra dans l'obligation de
coopérer au niveau local avec d'autres instances politiques
traditionnelles, de négocier avec ces pouvoirs locaux porteuses de
stratégies différentes et éventuellement fortement
contestataires.
Nous nous proposons dans le cadre de ce travail de faire
ressortir le fait que les politiques agricoles qui vont prévaloir seront
la résultante de stratégies enchevêtrées d'acteurs
et de systèmes d'action suivant un schéma décisionnel qui
relève d'une accumulation de régulations négociées.
Les politiques agricoles se sont aussi construites au coeur des interactions
sociales et pas seulement au sommet de l'Etat. Cette perspective aura des
conséquences sur les schémas d'analyses et les outils
théoriques susceptibles d'être mobilisés.
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