L'imposition des cultures de rente dans le processus de formation de l'etat au cameroun (1884-1914)( Télécharger le fichier original )par Sandrine Carole TAGNE KOMMEGNE YAOUNDE 2 - SOA / CAMEROUN - Diplome d'Etude Approfondie en Science Politique 2006 |
II- DE LA CONFRONTATION DES SYSTEMES POLITIQUES TRADITIONNELS AVEC LE DROIT NOUVEAU A LA FIXATION DE NOUVELLES REGLES DANS LA COLONIE DU CAMEROUNLa raison principale de la colonisation allemande du Cameroun était l'appât du gain. Comme l'a bien montré Léon Kaptue (1986 : 10), les premiers colons qui arrivèrent au Cameroun étaient en majorité des hommes d'affaires et comme tels, ils voulaient placer leurs capitaux et réaliser des bénéfices. Du fait de la grande dépression économique subsistant dans l'Allemagne des années 1870-1880 et provoquée par des investissements au-delà de la demande et une forte spéculation boursière, les colonies semblaient ouvrir une porte de secours en offrant non seulement des ressources bon marché mais aussi des débouchés, d'où la nécessité d'un contrôle des territoires coloniaux. La colonisation, basée essentiellement sur l'économie de plantation, avait besoin, pour être efficace, de posséder les terres. Non seulement l'installation des colons nécessitait l'appropriation des terres, mais de par son but, la question agricole était d'abord une question foncière. Aussi, l'instauration de la souveraineté allemande au Cameroun ira de pair avec une réorganisation des terres et provoquera un changement des pôles de pouvoir. A. MISE EN PLACE D'UNE NOUVELLE ORGANISATION DES TERRESLa question agricole étant avant tout une question de contrôle de terre, la préoccupation première des Allemands sera de s'en accaparer. Ils mettront sur pied un ensemble de mesures juridiques qui devront faciliter et légitimer cette appropriation des terres camerounaises. En fait, l'introduction des cultures de rente qui entraînait le changement du mode de production locale nécessitait une nouvelle organisation des terres. L'ordonnance souveraine du 15 juin 1896 sur la création, la prise de possession et l'aliénation des terres de la couronne et sur l'acquisition et l'aliénation des terres dans le territoire du Cameroun est assez explicite sur l'organisation des terres. Le paragraphe 1 stipule que, «sous réserve des droits de propriété ou d'autres droits réels que des particuliers ou des personnes morales, que des chefs ou des collectivités indigènes pourraient prouver de même que sous réserve des droits d'occupation de tiers fondés sur des contrats passés avec le gouvernement impérial, toute terre à l'intérieur du territoire de protectorat du Cameroun est terre de la couronne comme étant sans maître. Sa propriété échoit à l'empire»7(*). Un fait marquant se dégage de ce texte. On y observe des termes comme droit de propriété, prouver, terre de la couronne, sans maître. Au contraire des allégations selon lesquelles ses terres soient sans maître, des articles parus dans le « AMTSBLATT », bulletin officiel des années 1910 semble prouver que les Allemands étaient parfaitement au courant de l'existence des propriétaires de ces terres. En effet, les propos du Docteur Berké dans son article sur l'organisation politique des populations résidantes dans le district de Baré sont assez explicites. Après avoir tracé un tableau détaillé du fonctionnement de cette unité politique, fonctionnement qui d'ailleurs permettait le maintien d'un ordre social, le Docteur Berké ne manquera pas de souligner que : «Le sentiment d'une connexion politique est généralement peu développé, quelquefois même transformé en hostilité farouche à l'intérieur de l'unité tribale (...) La sphère de chaque chef s'étend juste aussi loin qu'il lui est possible de faire valoir son influence personnelle(... )le déplacement d'une borne n'était considéré nulle part comme répréhensible ; on se rend sur les lieux, en général sous la direction du chef et rectifie la limite»8(*). Seulement, quoique conscients de l'existence de ces unités politiques, les colonisateurs dans le souci d'atteindre leurs objectifs, mettront en place des instances de régulations leur permettant de contrôler la plus part de ces sociétés. Les politiques agraires seront l'une de ces institutions. La loi citée ci-dessus marque l'avènement d'un changement dans l'organisation des sociétés camerounaises surtout que ce décret devrait s'appliquer sur l'ensemble du territoire. Cette législation s'impose aux populations locales. Ces dernières pour sauvegarder leur terre n'auront d'autre choix que de s'aligner et d'observer ces lois. En effet, l'empereur d'Allemagne précise bien dans cette loi que les terres à l'intérieur du territoire du protectorat sont terre de la couronne sous réserve des droits de propriété (...) que des chefs ou des collectivités indigènes pourraient prouver. Comment prouver la propriété d'une terre pour des populations qui jusqu'alors n'avaient pas besoin de le faire ? Il est vrai qu'avant l'arrivée des Allemands, la propriété du sol n'existait pas ; mais il n'existait pratiquement pas non plus de terre n'appartenant à personne. Il existait un système dans lequel un groupe d'individus pouvaient revendiquer la propriété d'une terre notamment avec l'existence d'unités politiques territorialement délimitées. Seulement, l'établissement de la colonisation allemande introduira la notion de propriété privée, de titre foncier etc. De manière insidieuse mais efficace, une nouvelle organisation des terres s'imposera à l'ensemble des populations du Cameroun. Cette organisation ira de pair avec le changement des pôles de pouvoir. * 7. ANY, TA 22 et bis, Circulaire souveraine sur la création, la prise de possession et l'aliénation des terres de la couronne et sur l'acquisition et l'aliénation des terres dans le territoire du Cameroun du 15 juin 1896. * 8. ANY, TA 23, 1910, Amtsblatt, l'organisation politique des indigènes et son emploi dans l'administration et la juridiction du protectorat du Cameroun |
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