1.1 Les Valeurs de la musique
Dans l'espace numérique, la musique est un contenu qui
se diffuse, se télécharge et se transmet. Depuis la
création du gramophone, la technologie a fait un bond de géant en
inventant de nouveaux lecteurs audio et vidéo. Nous verrons dans cette
partie comment se sont construites les valeurs de la musique. Une musique que
nous adoptons, chacun, dans notre vie quotidienne de façon quasi
dématérialisée.
1.1.1 Innovations technologiques et modes de
consommations
Le succès des appareils numériques a
apporté dans l'industrie de la musique un intérêt pour les
nouveaux supports numériques et les appareils de stockage afin
d'exploiter au mieux le contenu musical dans son rapport avec les nouvelles
habitudes des consommateurs dans l'écoute de la musique.
La téléphonie mobile autrefois porteuse d'espoir
dans l'exploitation du contenu musical est aujourd'hui la technologie la plus
avancée à la fois sur le plan de l'écoute, de la
portabilité et des services associés en comparaison avec
l'utilisation que l'on peut faire d'un poste fixe connecté à
Internet ou d'un simple lecteur audio mp3. Alors, la téléphonie
mobile, distributrice de musique assure à chacun l'appropriation du bien
musical. Mais étudions dans un premier temps l'évolution
technologique au niveau de l'écoute en relation avec l'appropriation du
bien musical.
1.1.1.1 L' appropriation du bien musical
<<C'est à la fin du XIXe siècle avec
Edison aux Etats-Unis et Charles Cros en France que la musique
enregistrée prend forme. Le premier inventa le
<<gramophone>> en 1877 alors que le second mettait au point
l'année suivante la <<machine parlante>> qui n'aura pas le
succès escompté par son créateur. Ces deux machines
allaient permettre pour la première fois de capturer des sons sur des
supports afin de pouvoir les rejouer à la
demande1>>.
1LABARTHE-PIOL Benjamin, FLACHER David:
Révolutions industrielles, modes de consommation et formes de
l'échange. Une application au cas d'Internet et au secteur de la
musique. Ed. Les cahiers du CREA, n°06. Septembre 2003.
L'histoire de l'industrie de la musique enregistrée
nous montre que celle-ci est en perpétuelle mutation. En effet, en 1877
Thomas Edison invente le phonographe qui marque le début de la musique
enregistrée dans la lignée des recherches sur le
télégraphe et le téléphone. Son écoute va
rapidement se développer pour devenir un divertissement de masse. Les
travaux d'Edison vont alors porter sur l'enregistrement et la restitution de la
parole. Au commencement, le phonographe d'Edison, ainsi que le gramophone de
Bell, ont été commercialisés comme des machines de bureau,
permettant de recueillir, de restituer la parole et de faire ainsi fonction de
<<téléphone différéÈ.
Ë partir de 1890, une nouvelle utilisation de la machine
va être créé par des distributeurs. Ils vont alors proposer
dans les lieux publics l'écoute individuelle d'un enregistrement musical
pour quelques centimes. En 1887, Emile Berliner, ancien employé de Bell,
met alors au point une machine spécifiquement adaptée à
ces usages : le gramophone, qu'il commercialise à partir de 1895. Comme
le résume P. Flichy : <<Berliner, comme Cooke ou Daguerre,
effectue une capture technique qui s'accompagne d'un déplacement
d'usage. [...] Ayant un réel gout pour la musique, il imagine de faire
du disque un instrument de diffusion de la musique et notamment des grands airs
d'opéra2È
Berliner réalisa alors qu'il fallait apporter une
qualité d'écoute supérieure afin de permettre à son
produit une véritable exploitation commerciale. <<Le disque de
zinc lui permettait en outre de séparer le processus d'enregistrement
sur un disque de base, de celui de reproduction à un coüt moindre
et pour une meilleure qualité3È.
<<Bien que l'usage initial n'ait pas été
clairement défini par ses concepteurs, ces technologies allaient se
développer sous l'impulsion de firmes percevant le potentiel commercial
de la musique: les consommateurs allaient s'approprier le gramophone, donnant
naissance à un nouveau marché, celui de la
musique44È. Dès leur création, ces machines se
révèleront au niveau de leur potentiel d'écoute musicale.
Cependant en raison de leur coüt élevé et d'une
qualité trop faible, le public ne pouvait pas encore se procurer ce
produit. Dans cette expérience du sonore les inventeurs se sont alors
orientés vers la reproduction d'oeuvres musicales célèbres
sur des disques appelés phonogrammes qui allaient êtres vendus
dans le but d'être écouté dans les foyers.
Ainsi, c'est la naissance de l'industrie de la musique et la
fabrication de firmes productrices de disques se développe. Il s'agit
alors d'une révolution industrielle dans laquelle la musique va
constituer un véritable potentiel commercial. Dans ses débuts,
les modèles économiques de l'industrie musicale se limitent
à la vente d'équipements oü seule une logique technologique
est poursuivie afin d'améliorer la qualité d'écoute :
<<aucune référence à quelque courant musical que ce
soit ne figure dans cette période. Pour des raisons de brevets, la
structure industrielle se résume à un duopole constitué
par la Columbia Cy et par l'Edison Cie. Après de nombreux travaux, un
niveau d'écoute suffisamment confortable fut atteint pour permettre le
développement des ventes de phonogrammes5È.
2idem. FLACHER David, LABARTHE-PIOL Benjamin
3idem. FLACHER David, LABARTHE-PIOL Benjamin
4LABARTHE -PIOL Benjamin: <<L'impact d'Internet
sur l'industrie du disque : vers un nouveau régime de
croissanceÈ. Thèse de recherche . Paris. Juillet 2005.
5idem LABARTHE -PIOL Benjamin.
En 1914, la guerre n'est pas favorable au développement
de l'activité musicale et la chute du brevet sur le gramophone marque un
premier mouvement de déconcentration dans l'industrie. Aussi,
l'entrée de nouveaux fabricants sur ce marché entra»na une
diminution importante du coüt des machines. Cependant, l'industrie
musicale en reçut un effet stimulant car en 1929, le taux de
pénétration de gramophones était de 50% aux Etats-Unis.
Par la suite, 150 millions de phonogrammes furent vendus dans la même
année. Pour l'édition phonographique il s'agissait de sa
première forte croissance, toujours en raison de progrès
technologiques spectaculaires mais également en raison d'une importance
donnée à la production du contenu
édité6. Les consommateurs se sont alors
accoutumés à la consommation commerciale de la musique et les
firmes de leur côté allaient être dans l'obligation de
revoir leur politique d'offre. Une multitude d'offres musicales s'opéra
alors à travers différents genres musicaux (jazz, rock...). De ce
fait, la radio prend le relais pour devenir le moyen privilégié
d'écoute de la musique par les auditeurs.
Cependant, la radio en raison de sa gratuité, induisait
une chute importante des ventes de phonogrammes sur les ondes radiophoniques en
offrant une diffusion musicale. On assista alors à une lutte entre des
éditeurs musicaux contestant le passage de disques à la radio et
des producteurs radiophoniques y voyant un potentiel indéniable pour la
diffusion de leurs produits.
L'industrie phonographique connut alors une chute
spectaculaire. En effet, les ventes passèrent de 150 millions
d'unités en 1929 à 25 millions en 1935, soit une division par
six7. De nombreuses entreprises souffrirent durant cette
période. Un dilemme se posa donc entre un modèle
économique incapable de survivre à la radio et des consommateurs
pour lesquels la réception de musique via ce médium était
devenue naturelle et irréversible. Dans ce contexte, d'autres facteurs
comme la crise de 1929 qui diminua le pouvoir d'achat des ménages
incitèrent un nouveau modèle économique à
être trouvé avec le star-system8.
Dans les années 1950, la radio joue un rôle
important dans l'appropriation du bien musical et va s'équiper d'un
récepteur pour le grand public et se standardiser. En 1960, avec
l'arrivée du transistor la radio pourra enfin être
écoutée en dehors du foyer, sur n'importe quel lieu comme
à la plage oü dans la rue. La radio prend alors une place
privilégiée dans l'écoute de la musique et l'appropriation
du bien musical. En effet, la radio passe alors d'une écoute familiale
à une écoute individuelle. En parallèle à une
réflexion autour de l'écoute par la radio nous pouvons constater
que le téléphone portable représente bien l'apogée
de l'individualisation de l'écoute inscrite dans la notion de
mobilité.
Les diffuseurs radiophoniques prirent alors conscience du
potentiel de la radio à toucher des publics de masse et que cela
permettrait de vendre en grande quantité des phonogrammes sur une
population plus ciblée d'artistes. <<Les consommateurs avaient
désormais pleinement adopté la musique dans leur mode de
consommation. Ils devenaient alors plus attentifs au contenu qui leur
était proposé 9È.
6LABARTHE -PIOL Benjamin : <<L'impact d'Internet
sur l'industrie du disque : vers un nouveau
régime de croissanceÈ. Thèse de recherche .
Paris. Juillet 2005. 7 idem LABARTHE -PIOL Benjamin
8idem.LABARTHE PIOL Benjamin, FLACHER
Daniel 9idem LABARTHE PIOL Benjamin, FLACHER Daniel
La Radio et sa capacité à diffuser des morceaux
au plus grand nombre montre son pouvoir d'influence sur le public qui peut
écouter en tout lieux, les artistes dont est faite la promotion sur les
ondes. Ces conditions d'écoutes sont alors propices à
l'apparition et à la naissance des ÇstarsÈ dans la
musique. Les firmes étaient en mesure de réaliser d'importantes
économies d'échelle, à la fois sur la production physique
de disques mais également sur l'aspect Marketing en évitant ainsi
de multiplier les coüts fixes et en se limitant à un nombre
restreint d'artistes. Après la récession, l'industrie
phonographique basculait dans une nouvelle ère : en 1938, le chiffre
d'affaires de la vente de disques atteignait 26 millions de dollars aux
Etats-Unis contre 6 millions de dollars en 193310, l'année
oü la récession avait atteint son
niveau le plus bas.
Ainsi, nous retrouvons dans l'histoire de la musique la
relation entre révolution commerciale, évolution des formes de
consommation et révolution technologique et industrielle. De ce fait, le
consommateur va se diriger vers la modernité. Les nouveaux acteurs venus
de la radio seront à l'origine d'une révolution commerciale dans
ce secteur en instaurant le star system. Cette révolution a alors
conduit à une transformation profonde des habitudes de consommation qui
permet à l'économie du secteur d'entrer dans une nouvelle phase
de croissance11.
La diversité musicale et l'arrivée du Rock
apportent sur les ventes un confort et une hausse de la demande. C'est dans ce
contexte que va alors appara»tre une nouvelle technologie. Il s'agit de
l'invention du microsillon qui donna lieu à l'apparition quasiment
simultanée du 33 tours et du 45 tours. Dans le même temps,
l'enregistrement sur bande magnétique et la cassette audio feront leur
apparition. Bien que l'enregistrement magnétique trouve ses origines
à la fin du XIXe siècle, il aura fallu attendre l'arrivée
du rock n' roll et l'appétit de nouveaux entrants, pressés par la
demande, pour pénétrer le marché par des innovations qui
voient commercialement le jour avec succès12.
Ë travers cette étude, nous pourrons alors retenir
quatre points essentiels qui bouleversent les comportements de consommation
durant cette période13:
- L'impact évident de la technologie sur les mutations
dans l'écoute musicale et son développement.
- La conscience musicale qui génère toujours plus
de demande.
- Le développement des stratégies commerciales
(Marketing de la musique). - L'ancrage de la musique dans la population en
particulier chez les jeunes.
Au-delà de la réussite commerciale, la
consommation musicale acquit une place plus importante dans la
société, faisant basculer la musique du champ culturel à
celui du divertissement. Cela conditionnera certains aspects de la consommation
à venir comme la portabilité et l'exigence de qualité que
l'on retrouve avec des formats audio élaborés. Cela conduira
également les maisons de disques à modifier leurs
stratégies commerciales en insistant sur le poids du Marketing et la
sophistication des produits mis en vente.
10 idem, LABARTHE PIOL Benjamin
11 Idem.LABARTHE PIOL Benjamin, FLACHER
Daniel 12idem, LABARTHE PIOL Benjamin, FLACHER
Daniel 13idem, LABARTHE PIOL Benjamin, FLACHER Daniel
Cependant, le manque d'offre pousse le consommateur à
restreindre sa consommation musicale. L'industrie phonographique conna»t
alors sa troisième récession alors que, paradoxalement, le
développement du walkman et la généralisation de la
cassette enregistrable chez les jeunes finissent de faire basculer le bien
musical du champ culturel vers celui de bien de consommation de masse. Aussi,
la portabilité de la musique, c'est-à-dire la possibilité
que l'on puisse écouter de la musique n'importe oü prend
progressivement le pas sur l'aspect qualitatif du bien.
De cette façon appara»t la numérisation de
la musique sur un support plus petit. Le compact disc va alors
développer le concept d'une écoute de la musique en toute
mobilité, en tout lieux. Cette invention technologique va alors
créer un équilibre entre l'aspect qualitatif et l'aspect
fonctionnel qui permet une écoute musicale nouvelle pour le
consommateur. L'attrait pour ce nouveau produit fait alors redécoller
les ventes et satisfait ainsi les nouvelles pratiques de consommation.
Ë travers l'histoire de la naissance de l' industrie
phonographique, nous venons de voir de quelle façon comment
l'appropriation du bien musical a commencé à se structurer avec
l'apparition des premières technologies qu'ont été
successivement le phonogramme et la radio. Aussi, nous avons pu comprendre
qu'il existe un lien étroit entre les révolutions industrielles,
les révolutions commerciales et les évolutions des modes de
consommation. De cette façon, les industriels ont su adapter
l'innovation technologique à de nouveaux modes de consommation.
Le secteur de la musique même s'il n'est pas porteur
nous montre que l'évolution des habitudes de consommation peut favoriser
l'émergence de nouvelles technologies comme il peut en condamner
d'autres. En ce sens, l'évolution des formes de consommation semble
être un élément clef des révolutions sectorielles
dans l'histoire14.
Aujourd'hui, le secteur phonographique est l'un des plus
touchés par la révolution des nouvelles technologies de
l'information et de la communication. Il est constamment dans une
imprévisibilité liée à l'innovation
technologique15. ÇLes pratiques des consommateurs lui
imposent de se remettre en question en suivant de près les
transformations industrielles comme commerciales16È.
L'avènement d'Internet n'a d'ailleurs laissé aucun repos à
cette industrie avec une nouvelle crise qui touche cette fois les ventes de
disque mais qui, porté par la rapidité des flux offre de
nouvelles possibilités.
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