3.1.1.4.2
Activités, les Produits et les Services de l'Epargne
3.1.1.4.2.1 Les Activités
L'activité des SFD consiste essentiellement en des
opérations de collecte d'épargne et d'octroi de crédit
à des populations non bancarisées pour des montants modestes,
voire infimes. Cette activité, que l'on appelle usuellement la micro
finance, peut englober des activités annexes : opérations
d'assurance liées au crédit, activités de conseil en
comptabilité ou en gestion, actions d'éducation sanitaire ou
sociale elles aussi liées au crédit.
D'autres produits financiers sont parfois
développés, par les SFD eux-mêmes ou en relation avec des
banques implantées dans l'UEMOA : il s'agit principalement des
opérations de transfert de fonds internationaux, impliquant souvent une
opération de change, et de mise à disposition de chéquiers
en faveur de la clientèle la plus aisée.
Ces activités sont, chacune en ce qui la concerne,
soumises à une réglementation plus ou moins parcellaire, qui a
vocation à régir tout ou partie de l'activité
exercée. Elles demeurent cependant marginales au regard de
l'activité centrale, qui est l'octroi du crédit et, pour une
partie des SFD, la collecte de l'épargne.
3.1.1.4.2.2 Les Produits et les Services de
l'Epargne
La diversité des réseaux de micro finance selon
leur méthodologie et la place qu'ils attribuent à
l'épargne (épargne préalable et exclusive ou concomitante
et secondaire) entraîne une diversité dans les produits et
services d'épargne. Ceux-ci peuvent être appréhendés
sous trois catégories : l'épargne volontaire, l'épargne
obligatoire et l'épargne liée à un service.
a) L'épargne
volontaire
L'épargne volontaire est constituée de deux
types de produits :
v Les dépôts à vue constituent la
catégorie la plus utilisée des produits d'épargne. Ils
sont caractérisés par la souplesse des conditions d'accès
: faible montant exigé pour l'ouverture d'un compte, proximité et
accessibilité des caisses, possibilité d'effectuer de petits
versements et liberté de retraits à tout moment, facilité
d'exécution des opérations. Les dépôts à vue
permettent aux populations de garder leurs économies en lieux
sûrs, à l'abri des pressions familiales. Le livret de compte remis
au déposant lui permet de vérifier les opérations
effectuées et le solde disponible dans le compte ;
v Les dépôts à terme sont des
dépôts bloqués pendant une période minimum de trois
mois et qui sont rémunérés par un taux
prédéterminé. Les dépôts à vue sont
très peu développés pour au moins deux raisons. D'abord,
les populations ont des revenus très faibles. Ensuite il s'avère
que la motivation essentielle de l'épargne demeure l'accès au
crédit, même si d'autres motivations comme la
sécurité et la précaution existent.
b) L'épargne
obligatoire
L'épargne obligatoire est en relation directe avec le
crédit. On trouve deux types d'épargne obligatoire :
® L'épargne préalable suit le postulat
selon lequel un demandeur de crédit doit fournir un effort financier
minimum consistant à épargner régulièrement une
certaine somme pendant une période d'au moins trois mois. Ce qui devra
prouver qu'il est capable d'apporter au moment de sa demande de crédit
une part des besoins de financement (au minimum 10 %). Cette épargne est
bloquée et parfois non rémunérée ;
® L'épargne de garantie sert à garantir le
crédit consenti généralement à un individu ou
à un groupe. L'épargne de garantie est parfois utilisée en
combinaison avec d'autres formes de garanties (cautions solidaires de groupe).
La mobilisation de l'épargne de garantie (ou selon les appellations :
fonds de garantie, fonds de groupe, épargne nantie) se fait selon trois
procédés différents :
Ø Une constitution préalable de l'épargne
par les moyens propres des demandeurs ;
Ø Un prélèvement sur le montant du
crédit au moment de la mise en place du prêt. Ce montant
prélevé est bloqué comme garantie ;
Ø Une constitution de l'épargne au fur et
à mesure que l'on rembourse le prêt. Ceci ne constitue plus une
garantie mais suppose une incitation à l'épargne.
c) L'épargne liée
à un service donné
Ce service n'est pas très répandu mais tend de
plus en plus à être intégré par les SFD. On peut en
citer l'épargne investissement ou l'épargne vieillesse. Par
contre, au Sénégal le service le plus répandu est
aujourd'hui l'assurance-maladie. Des produits micro assurance santé sont
de plus en plus offerts par des mutuelles d'épargne et de crédit.
PAMECAS en a fait l'expérience avec la mutuelle d'épargne et de
crédit Icotaf boubess (MECIB) en installant un dispositif contractuel
entre ses clients et des structures sanitaires (Sine 2003, p. 68).
En somme, il faut remarquer que l'incitation à
épargner dépend du type de service offert. Dans certains
réseaux, par exemple les fonctionnaires ne sont pas éligibles
pour avoir des prêts. La structure ne leur offre que des services
d'épargne, faisant une priorité aux populations à faible
revenu. Cependant, dans un souci de rechercher des moyens, les SFD font preuve
d'innovation en matière de services et de produits offerts aux clients.
L'ACEP propose des types de comptes d'épargne en dehors de ceux
classiques : les comptes d'épargne entrepreneur, d'épargne projet
ou spécial mettent un procédé beaucoup plus complexe et
ciblent une clientèle donnée.
L'organisation de l'épargne et sa capitalisation plus
que l'octroi de crédit aux pauvres et aux exclus était un
défi que le Sénégal devait relever. Aussi, la mobilisation
de ressources internes, par l'épargne nationale, est apparue comme la
base indispensable de financement de la croissance et du développement
face aux contraintes et aux limites de l'endettement extérieur. Du coup,
le financement décentralisé, contrairement au système
financier institutionnel (banque centrale, banque de développement,
banque commerciale) touche la majeure partie de la population non
bancarisée. Il est caractérisé par la souplesse de son
organisation et porte l'empreinte de la population pauvre par sa contribution
à son propre financement ou à celui des autres. Il devient
dès lors un réflexe.
Seulement, un niveau d'élaboration de politiques
nationales, reconnaissant leur place dans l'économie, susceptibles de
stimuler leurs actions par des mesures appropriées, des
réglementations bancaires prenant en compte leur
spécificité reste à achever. La petitesse de la taille et
l'impact encore faible de ces systèmes financiers, même s'ils sont
aujourd'hui reconnus, ne leur permet pas encore d'influer sur la
définition des politiques nationales. Cette faiblesse de l'impact est
surtout caractérisée par sa non organisation en union ou en
fédération, mais aussi par une mauvaise capitalisation des
informations au niveau de certaines SFD. Les mutuelles qui sont parvenues
à se créer en union sont devenues les plus performantes, c'est le
cas de l'UNACOIS, du PAMECAS et du CMS.
Les structures financières décentralisées
constituent dès lors une alternative au système bancaire
classique parce que adaptées au contexte socio culturel et aux
aspirations des populations dans la recherche de moyens efficaces de lutte
contre la pauvreté et du financement d'activités productives. La
micro finance constitue ainsi un outil transversal qui peut avoir des impacts
sur différents aspects du développement et pas seulement sur les
activités économiques. En effet, les créations d'emplois
et de revenus, la capacité d'épargner peuvent induire des
changements dans les comportements de ceux qui en bénéficient.
Ces changements peuvent s'opérer dans le sens d'une amélioration
des conditions sanitaires, d'une augmentation du niveau d'éducation,
d'une meilleure gestion de l'environnement, etc.
Ce constat de la micro finance comme pouvant avoir des effets
directs et indirects, s'exerçant à différents niveaux
(individuel, ménager, etc.) et à champs (impacts sociaux,
économiques, etc.) soutenant les réflexions sur sa pertinence
comme outil de développement.
Seulement, tout comme les données de la BCEAO sur le
Sénégal, ceux de l'UEMOA sont à relativiser. Ces
différentes progressions s'accompagnent d'un certain nombre de
dysfonctionnement, notamment au niveau des systèmes d'informations de
gestion et de contrôle interne des SFD. D'abord, parmi les SFD, qui sont
reconnues par la loi, beaucoup ne parviennent pas à fournir
l'information sur leurs états financiers. Ensuite, il existe au
Sénégal des structures qui fonctionnent sans reconnaissances
juridiques et qui ne sont, par conséquent, pas pris en compte.
L'une des recommandations en micro finance consiste à
vérifier la gestion financière d'une institution par des
contrôles internes efficaces avant de lui permettre de mobiliser
l'épargne des populations Elle ne nous semble pas pertinente.
Au Sénégal, on se rend compte qu'une institution
peut, dès sa constitution, commencer à collecter des
dépôts. Il revient à la cellule d'assistance technique de
se donner les moyens de les contrôler. Les dysfonctionnements que pose la
collecte de l'épargne sont de deux ordres :
· Le problème de la sécurisation des
dépôts qui demeure un des handicaps du fait d'un manque de
contrôle à la fois interne et externe ;
· Le coût de l'épargne. Modeste pour les
bénéficiaires, les coûts de l'épargne peuvent
être parfois très élevés, ce qui peut constituer un
frein à la collecte.
3.2. Le système informel
de l'épargne
Le secteur informel est l'ensemble des activités
économiques qui se réalisent en marge de la législation
pénale, sociale et fiscale ou qui échappent à la
comptabilité nationale, à toute régulation de l'Etat. Le
secteur dit « informel » se développe en dehors de
toute réglementation ; il échappe au contrôle de
l'Etat. Cette activité témoigne du dynamisme et de la
créativité des populations. Le secteur informel joue un
rôle d'adoption et d'accueil des agents économiques exclus du
secteur officiel. C'est une zone de tampon entre le secteur traditionnel rural
et le secteur moderne. L'informel regroupe les associations tontinières,
les personnes physiques, les commerçants, les employeurs et les
groupements développant des réseaux de solidarité.
Contrairement à la première catégorie,
cet ensemble est régi par des règles souples et adaptées
aux pouvoirs financiers de la clientèle. La présence d'un secteur
informel aux côtés du secteur formel serait la conséquence
de l'inefficacité du secteur financier formel, inefficacité due
en grande partie à la rigidité du secteur formel et
l'omniprésence des pouvoirs publics, principalement en matière de
fixation des taux d'intérêt.
L'insuffisance de la couverture des besoins essentiels, les
pertes d'emploi résultant des restrictions budgétaires publiques,
la restructuration des entreprises et la réorganisation administrative,
combinés avec l'arrivée des nouvelles classes, notamment les
jeunes diplômés, sur le marché du travail, rendent la
recherche d'un travail de plus en plus difficile et poussent à la
réalisation de petits métiers, à l'auto-emploi et à
la création de petites entreprises. Le secteur informel permet de
trouver de nouvelles sources de revenus.
Dans ce domaine, les femmes jouent un rôle de premier
plan puisqu'on les trouve de façon majoritaire dans un certain nombre de
secteurs comme le commerce et la restauration. Les traits communs des divers
circuits informels sont les suivants :
· l'absence de réglementation ;
· un fonctionnement sans garanties formelles, mais sur
des relations personnelles et / ou des solidarités communautaires. Il
convient de noter la présence active des femmes dans la plupart des
formules associatives non institutionnelles d'épargne et de
crédit ;
· l'absence de barrières à
l'entrée ; la prédominance des opérations en
numéraire ;
· l'échelle restreinte des fonds collectés
et des crédits accordés ;
· la faiblesse des coûts de transaction due
à la proximité des prêteurs et des emprunteurs.
Le secteur financier formel ou institutionnel, qui se
caractérise par des structures calquées sur les modèles
occidentaux, est, le plus souvent, bien analysé, connu et mesuré.
Tel n'est pas le cas du secteur financier informel ou non
institutionnalisé qui, moins immédiatement perceptible, reste
méconnu. Son rôle reste largement sous-estimé, bien que de
très nombreux auteurs reconnaissent qu'il constitue, du point de vue de
l'épargne, une potentialité très importante dans la mesure
où il existe généralement une capacité
d'épargne non nulle chez les ménages à revenus moyens ou
faibles.
Cette catégorie de ménages peut
représenter une très forte proportion de la population totale :
ainsi, au Sénégal, le ministère de l'Urbanisme estime
cette proportion à 89 % de l'ensemble des ménages
sénégalais. Il est fort probable que ces ménages, n'ayant
pas accès aux circuits financiers modernes, dont ils se méfient
par ailleurs fortement, se tournent vers les circuits informels pour satisfaire
des besoins réels d'épargne et de crédit.
L'épargne informelle pourrait donc représenter
l'une des solutions au problème de l'épargne interne, clef de
l'investissement et de la croissance.
Toutefois, l'utilisation des « gisements d'épargne
» que représentent les structures financières informelles ou
traditionnelles reste très largement conditionnée par une
meilleure connaissance de ces structures et des agents qui y interviennent.
Malgré les travaux de chercheurs isolés, qui ont fait prendre
conscience de l'inadaptation des analyses classiques en la matière, la
recherche se caractérise encore par une absence prononcée de
connaissances sur le fonctionnement actuel des pratiques financières
informelles au Sénégal. Cela est dû à une
pénurie de chercheurs, en particulier autochtones, ainsi qu'à un
manque de compréhension de la nécessité de réaliser
ces recherches. Cette attitude est sans doute renforcée par le fait que
l'épargne informelle, qui n'adopte pas les formes connues, suit des
canaux très divers et complexes qui rendent difficile une étude
exhaustive en l'état actuel des choses.
De cette diversité émergent cependant les
Associations Rotatives d'Epargne et de Crédit (AREC) ou tontines, dont
les mécanismes sont très répandus au Sénégal
et qui se sont développées à l'heure actuelle.
Au-delà des études encore fragmentaires qui les concernent,
l'ampleur du phénomène tontinier reste une impression dominante;
il n'est donc pas étonnant que les tontines polarisent aujourd'hui
l'attention des chercheurs.
Les AREC n'ont fait l'objet que d'un très faible nombre
d études analytiques, même si leurs principes de fonctionnement
sont à peu près cernés et si, par ailleurs, de très
nombreux articles leur ont été consacrés.
Dès lors, la quasi absence, dans la littérature,
d'exemples concrets d'enquêtes quantitatives sur le terrain a
constitué l'un des principaux obstacles à la mise sur pied
d'études,
En effet, il est difficile de cerner les AREC qui n'ont
souvent pas d'existence physique et qui, de plus, peuvent avoir un
caractère plus ou moins secret. Cette caractéristique a deux
conséquences immédiates :
#177; D'une part, la quasi impossibilité d'effectuer un
recensement exhaustif et systématique des tontines dans une zone
géographique déterminée ;
#177; D'autre part, l'impossibilité de les
étudier directement. Pour observer ces institutions, il est absolument
nécessaire de transiter par une tierce personne, le responsable du
groupement ou un participant. Ce n'est donc que par l'utilisation de contacts
personnels qu'il est possible de mener des investigations au niveau d'une
tontine.
Il existe cependant de nombreux liens entre les secteurs
financiers formels et les secteurs informels. Par exemple, les sommes
attribuées par les tontines à leurs membres sont souvent
déposées en banque, de même que les réserves qui ont
été constituées. Le secteur financier informel est
constitué d'un ensemble très varié de techniques,
d'associations de toutes sortes, de pratiques d'épargne et de
crédit. Les tontines (associations rotatives d'épargne et de
crédit) sont comme la partie immergée d'un vaste secteur. Elles
sont perçues comme un moyen d'épargne. Les tontines servent de
capacité de financement des uns pour satisfaire les besoins des autres.
La tontine ou structure de solidarité apparaît comme un
système d'incitation à l'épargne. Elle constitue un
réservoir d'épargne important pour les pays en voie de
développement. Ces tontines se caractérisent par des relations
personnelles très étroites entre les membres, et leurs
mécanismes sont d'une réelle originalité et d'une grande
souplesse. Elles se sont développées, ont évolué
pour s'adapter à leur environnement et le rôle est d'autant plus
important aujourd'hui qu'elles semblent avoir réussi là où
les banques ont échoué, à savoir mobiliser
l'épargne domestique.
D'après le BIT (1993), la production du secteur
informel au Sénégal intervient pour 52 pour-cent dans la
production intérieure brute totale, dont 95 pour-cent dans
l'agriculture, 35 pour-cent dans l'industrie et 50 pour-cent dans les services.
L'emploi dans le secteur informel urbain est passé en 10 ans (1980/1990)
de 58 pour-cent à 77 pour-cent de l'emploi total.
Au total, le secteur informel occupe une grande place et joue
un rôle important dans l'économie du Sénégal. Ce
secteur permet d'avoir l'accès au crédit. Il se
caractérise essentiellement par une grande souplesse au niveau
organisationnel, de faibles coûts. La rapidité de traitement des
demandes de prêts et, la volonté de traiter les petites sommes qui
correspondent aux besoins et à la capacité de la majorité
de la population font que les mécanismes informels sont mieux
adaptés que les mécanismes formels aux besoins du milieu rural et
urbain, dans lequel ils opèrent. Toutefois, ce système
recèle certaines défaillances. On distingue en
général trois problèmes auxquels se heurte le secteur
financier informel :
· Absence de réelle intermédiation
financière dans le secteur financier informel.
Les organisations informelles ne sont pas en mesure de remplir
en même temps les deux fonctions qui caractérisent un
intermédiaire financier, c'est-à-dire collecter des ressources
courtes et transformer celles-ci en emplois longs pour des besoins de
financement.
En effet, si le secteur financier informel semble pouvoir
acquérir de l'information sur les emprunteurs à moindre
coût et maintenir la confiance des déposants, principalement pour
les zones rurales, il ne semble pas pouvoir supporter le coût lié
à la défaillance éventuelle des emprunteurs.
· La finance informelle ne finance que très peu
l'acquisition de biens d'investissement. Le fait que les prêts fournis
dans le secteur financier informel soient de courte durée et souvent de
faibles montants est un handicap pour les opérations de long terme.
· Le caractère usuraire des taux
d'intérêt pratiqués. Le fort taux d'intérêt
pratiqué dans le secteur financier informel proviendrait de ce que le
risque pris par les prêteurs est plus élevé par rapport au
risque pris dans le secteur formel. Il pourrait également venir du fait
d'une disponibilité quasi immédiate des fonds dans le secteur
informel. Mais d'autres facteurs semblent pouvoir expliquer le
phénomène (mobilité géographique des emprunteurs et
des prêteurs, répression financière, renforcement de la
concurrence de la part des institutions informelles, etc....).
3.2.1 L'épargne informelle : Une
épargne associative
Les tontines manifestent l'expression de la volonté
d'un groupe pour satisfaire les besoins d'épargne des participants, dont
les comportements, en Afrique, ne réagissent pas seulement à de
pures motivations économiques, mais relèvent aussi de motivations
sociales.
Cette dépendance reconnue des comportements
d'épargne envers de multiples variables psychosociologiques conduit
à s'interroger sur la validité de la transposition aux pays en
développement des catégories couramment utilisées pour
l'analyse de ces comportements dans les pays développés. En
particulier, peut-on véritablement parler de << l'épargne
des ménages » dans le contexte sénégalais ?
La réponse à cette question apparaît
déterminante dans la mesure où existe une contradiction flagrante
entre la faiblesse, voire la quasi nullité, de l'épargne des
ménages telle qu'elle ressort des comptes nationaux ou des
enquêtes « budgets-consommation », et l'importance que l'on
reconnaît généralement à l'épargne
informelle.
Cette contradiction ne serait cependant qu'apparente si une
unité de comportement autre que le ménage était
utilisée, notamment l'individu.
D'autre part, il ne faut pas perdre de vue que l'AREC est
aussi l'expression d'une volonté collective ou communautaire pour faire
face aux problèmes rencontrés. L'AREC, en tant qu'agrégat
d'individus, est donc certainement plus complexe que la simple addition de
ressources.
De même qu'il est erroné de penser que la
monétarisation des sociétés engendre nécessairement
l'essor d'une épargne formellement institutionnalisée, il est
faux d'affirmer pour les mêmes raisons une individualisation
immédiate des formes de l'épargne. Les associations et tontines
peuvent constituer en la matière des formes transitionnelles, permettant
de concilier les contraintes nées de la salarisation et de la
marchandisation et celles de sociétés très largement
holistes.
Les formes d'épargne associative, auxquelles
l'adhésion est obligatoire pour les originaires d'un même village,
caractérisent bien évidemment avec force ces logiques sociales
collectives. Mais les formes tontinières constituées sur la base
d'une adhésion volontaire n'y sont pas étrangères. La
participation à une tontine s'oppose à priori aux tendances
holistes, puisqu'elle permet très largement, en faisant valoir
l'obligation de verser sa part, d'échapper à ce que certains
désignent comme parasitisme familial. En cela les tontines favorisent
des pratiques individualisantes qui pourraient aussi illustrer l'inventaire des
biens de consommation acquis grâce aux tontines.
Toutefois, n'est-il pas singulier que cette
échappée du solidarisme traditionnel doive se réaliser
à travers des formes nouvelles de vie collective qui, par le jeu des
tours de rôle, peuvent constituer les pratiques mutualistes
indispensables à la survie dans un cadre urbain ?
En cela les tontines sont des formes en transition. Elles ne
sont pas pour autant des formes bancaires primitives.
Il serait erroné de confondre banques et tontines.
Celles-ci ont par rapport à celles-là une
supériorité relative :
· Les tontines étant fondées sur des
relations personnelles excluent gage, nantissement ou hypothèque ;
· La procédure pour faire un dépôt ou
pour obtenir un prêt dans une tontine est assez simple ;
· En l'absence même de contraintes légales,
du fait de contraintes sociales et morales, la capacité de recouvrer ces
créances est très grande ;
· Le coût de gestion d'une tontine est faible ;
· La confiance dans une organisation totalement
indépendante de I'Etat et du fisc est très grande.
Pourtant, cette supériorité des tontines par
rapport aux banques n'est pas absolue. Les opérations dans une tontine
ne sont pas toutes discrètes et anonymes: le voisinage a des chances de
connaître dettes et créances.
De plus, la périodicité préétablie
des réunions limite la possibilité d'obtenir immédiatement
dans une tontine un prêt. Enfin, les taux d'intérêt (lorsque
ceux-ci sont pratiqués) sont généralement beaucoup plus
élevés dans une tontine que dans une banque.
Toutefois ce qui constitue un coût très
élevé pour les débiteurs (que les institutions bancaires
rejettent) est un revenu pour les créanciers !
3.2.2 Les limites de
l'épargne informelle
La limite essentielle des tontines tient à la nature
très particulière de ces organisations financières.
En premier lieu, les banques reçoivent des
dépôts et font crédit; elles peuvent en se fondant sur la
proportion et la périodicité des retraits créer de la
monnaie en consentant à l'ensemble de leurs clients un montant de
crédits supérieurs a la somme de leurs dépôts. En
second lieu, les tontines redistribuent les apports de chacun; les
créances et les dettes sont strictement équivalentes puisque le
support monétaire est constitué de pièces et de billets.
Si les tontines sont à même de mobiliser des encaisses qui
seraient autrement oisives (ce que font aussi les banques pour les seuls
dépôts), ces organisations sont incapables d'injecter des
liquidités nouvelles dans l'économie. Et l'absence d'une
reconnaissance légale des statuts de ces organisations les rend
précaires et limite la possibilité pour certaines d'entre elles
de croître et de devenir des institutions originales, adaptées et
directement concurrentes des banques.
Ainsi, si fonctionnellement les organisations informelles
d'épargne et de prêt rotatifs peuvent correspondre à des
modalités de mobilisation de l'épargne à des fins
productives, si certaines d'entre elles participent à ce mouvement, le
plus grand nombre d'entre elles échappent à ce devenir, en raison
même de la logique de leur constitution. Les impératifs
économiques et financiers ne doivent pas masquer leurs aspects ludiques
et sociétales et les déterminismes socioculturels qui sont les
racines profondes d'un grand nombre d'entre elles.
Nous formulons les
recommandations suivantes avant de conclure notre étude.
4. Recommandations
De ce qui ressort de notre étude nous estimons que les
nombreuses insuffisances du système financier sénégalais
empêchent une grande mobilisation de l'épargne au
Sénégal. Afin de renverser cette tendance, les institutions
financières et l'Etat doivent, chacun en ce qui le concerne, pousser un
peu plus loin en adoptant les recommandations suivantes :
4.1 Diversifier les produits de collecte
de l'épargne domestique
Il s'agira pour les institutions bancaires et
financières, d'adopter une démarche de type classique dans le but
de la collecte de l'épargne. Elles peuvent identifier les trois
principales motivations de l'épargne (la précaution,
l'investissement et le placement) qui donnent respectivement, l'épargne
de précaution, l'épargne projet et l'épargne en vue de
rendement. Elles pourront ainsi concevoir des instruments de collecte à
la mesure de chaque type d'épargne à savoir,
respectivement :
· Un plan d'épargne santé permettant aux
agents économiques de faire face à leurs dépenses de
santé et à celles de leurs familles, un plan d'épargne
éducation pour les parents désireux de prévoir le
financement des futures études supérieures de leurs enfants, un
plan d'épargne équipement pour les jeunes et même les moins
jeunes ;
· Un plan d'épargne investissement pouvant
permettre aux entreprises de financer leurs investissements en moyen de
production et aux promoteurs de financer leur projet d'entreprise ;
· Un plan d'épargne titre que les banques se
chargeront de placer au niveau du marché financier régional, ce
qui contribuera à son essor.
Cette diversification, pour être efficace, devra reposer
sur des réseaux de distribution adéquats qui offriront des
instruments de collecte, des politiques de communication et des politiques
commerciales plus attrayantes.
4.2 Raffermir la crédibilité et la
sécurité des moyens de paiement
Cela pourrait encourager encore plus l'utilisation des
chèques et cartes bancaires et éviter une trop grande circulation
de la monnaie fiduciaire.
4.3 Dynamiser le marché régional
des capitaux
La bourse régionale des valeurs mobilières
(BRVM) est, à ce stade, peu dynamique tant du coté de l'offre que
de la demande de titres. Dans un premier temps, des privatisations
d'entreprises publiques pourraient contribuer à alimenter l'offre. La
demande pourrait être améliorée par une plus grande
implication des investissements institutionnels et des organismes de
prévoyance sociale.
4.4 Adoption d'une politique
d'augmentation des revenus
Définie le plus souvent à partir du revenu, la
mobilisation de l'épargne passe impérativement par la mise en
oeuvre d'une politique efficace de création d'emplois.
L'inadéquation entre la formation et le marché de l'emploi ne
cesse de se rétrécir. L'enquête sur les priorités
nous apprend que le taux de chômage affecte 27 pour-cent des actifs
à Dakar. En créant de l'emploi, l'Etat augmente le revenu et
diminue la dépendance économique. L'Etat doit recruter les jeunes
diplômés et créer des emplois pour les chômeurs.
L'Etat doit aussi créer des centres de formation professionnelle pour
les femmes et les jeunes qui n'ont pas de métiers afin de faciliter leur
insertion dans le tissu économique.
On a observé qu'une augmentation du revenu influence
positivement l'épargne nationale au Sénégal. Ainsi, il est
nécessaire d'accroître la production. Une grande partie de la
population vit de l'agriculture et possède des revenus faibles ou
proches du revenu de subsistance (NEPAD, 2001 ; FAO, 2002). Les niveaux
insuffisants du revenu et la faible variation du PIB constituent l'explication
la plus importante du faible niveau de l'épargne nationale. La meilleure
façon d'augmenter l'épargne est de créer un cercle
vertueux de croissance et de jouer sur des variations du revenu et de son taux
de croissance.
L'agriculture est source de nourriture et de matières
premières pour les industries. L'agriculture est aussi source d'emploi
et de devises à travers les exportations. Il faudra promouvoir l'emploi
en assurant l'égalité entre les femmes et les hommes. Il est
aussi nécessaire d'encourager le financement de micro-entreprises, la
micro-finance et l'accord de prêts réservés aux pauvres par
la mise en place de structures d'épargne et de crédit. Ceci
constitue des leviers sur lesquels on peut s'appuyer pour financer le monde
rural. Il convient de mettre une stratégie de développement qui
faciliterait l'acquisition des compétences et le développement
d'une base technologique locale. Une telle stratégie doit créer
la capacité d'adapter de manière significative les technologies
importées et de promouvoir un lien actif entre le développement
agricole et le développement industriel. En définitive, si le
monde rural est doté de matériels technologiques importants,
associés à un financement, il pourra développer
l'agriculture et générer des revenus.
4.5 Maîtrise de
l'inflation
La maîtrise de l'inflation constatée après
l'année de la dévaluation est nécessaire pour
éviter son effet néfaste sur l'épargne nationale. Le taux
d'inflation mesuré par l'indice des prix à la consommation (IPC)
est évalué à 1.6 pour-cent en 1999. En effet, la rigueur
dans les dépenses publiques, soutenue notamment par un contrôle du
crédit a permis au Sénégal de respecter les
critères de convergence au sein de l'Union Economique et
Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) en consolidant les performances en
matières d'inflation. Au Sénégal, la réduction
observée du taux d'inflation depuis 1995 (8 pour-cent en 1995, 5.3
pour-cent en 1996, 1.8 pour-cent en 1997 et 1.6 pour-cent en 1999) masque
cependant de fortes variations saisonnières qui traduisent des tensions
occasionnelles sur les prix de certains biens.
Ces tensions ont parfois entraîné des
poussées inflationnistes, particulièrement durant les
périodes de soudure entre deux récoltes. Elles traduisent les
carences du système de production et de distribution plutôt qu'un
relâchement de la politique économique. Il convient donc de mettre
en oeuvre une politique d'offre efficace, notamment pour le secteur agricole et
promouvoir l'offre de produits alimentaires, qui reste largement soumise aux
aléas climatiques et à en améliorer la distribution, les
pénuries constituant, à ce titre, un des principaux ressorts de
l'inflation.
4.6 Politique de réduction
du taux de dépendance économique
Le taux de dépendance et l'épargne étant
fortement corrélés, les études empiriques
démontrent qu'une forte proportion de jeunes de la population
dépendante affecte négativement l'épargne nationale. Le
planning familial reste au premier rang de priorités : des
progrès considérables sont nécessaires dans ce domaine, en
particuliers dans les zones rurales. Par ailleurs, l'Etat doit créer des
emplois pour les chômeurs afin de réduire la dépendance car
si l'on sait qu'à Dakar le taux de chômage affecte 27 pour-cent
des actifs (ESP, 1991 ; EPPS, 2001).
Toutefois, nous ne négligeons pas le capital humain car
Oladeji, S. I and Ogunrinola, I. O. (2001) ont analysé les
déterminants de l'épargne non institutionnelle dans le Sud-ouest
du Nigéria et leurs résultats empiriques ont montré que le
niveau de l'éducation est un facteur déterminant de
l'épargne. Par ailleurs, Kelly (1980) a étudié l'effet du
nombre d'enfants dans les villes du Kenya. Il en conclut que le coût de
l'éducation et le souci d'éduquer ses enfants incitent les
ménages à épargner. Ainsi, l'investissement
éducatif est d'autant plus rentable que la vie est longue qu'il s'agisse
de sa propre éducation ou de celle de ses enfants.
4.7 Politique d'incitation
à l'épargne extérieure
L'épargne extérieure est un complément
fort utile de l'épargne domestique, à la condition que la
politique économique soit soutenable, le système monétaire
et financier bien réglementé et les garanties gouvernementales
aux emprunts étrangers limitées.
Le Sénégal a donc l'urgence de réduire
les déséquilibres budgétaires ainsi que les
déséquilibres persistants de balance de paiements à
l'origine de l'accroissement de l'endettement extérieur source
d'incertitude économique.
Considérant l'effet positif de l'épargne
extérieure sur l'épargne nationale, il est donc nécessaire
que les décideurs orientent les dépenses publiques vers des
infrastructures de base, à savoir les domaines de la santé, de
l'éducation, des moyens de transport, de
télécommunications, d'électricité, d'adduction
d'eau, etc.... Une mobilisation des ressources externes afin de les orienter
vers les utilisations les plus productives permettra de soutenir et de
renforcer la croissance et la productivité de l'investissement du
secteur privé : on peut citer par exemple l'Aide publique au
développement (APD) et l'Investissement direct étranger (IDE). En
effet, dans les études sur les pays en développement l'on a
constaté que l'investissement public réalisé dans les
domaines suscités a une grande influence positive sur la
productivité et la formation du capital privé.
4.8 Réorganisation ou articulation entre
secteur financier formel et secteur
financier informel
Le secteur financier informel ou non institutionnalisé
constitue du point de vue de l'épargne une potentialité
très importante dans la mesure où existe
généralement une capacité d'épargne non
négligeable chez les ménages à revenus moyens ou faibles.
Cette catégorie de ménages peut représenter une
très forte proportion de la population totale. La majeure partie de la
population rurale et urbaine est exclue de l'accès au crédit
institutionnel, et aussi parce que les institutions de prévoyance et
d'assurances sont absentes.
L'épargne informelle pourrait donc représenter
l'une des solutions au problème de l'épargne interne, clef de
l'investissement et de la croissance. C'est pourquoi Lelart (1991), Soyibo
(1996) estiment que le secteur informel se développe et joue un
rôle de régulateur en se substituant aux défaillances des
institutions du secteur formel.
Une articulation entre secteur financier informel et secteur
financier formel est nécessaire : ici, un certain degré de
dualisme doit être toléré. Le but est essentiellement de
réduire l'écart entre les deux secteurs par le
développement de liens plus étroits entre les intervenants
formels et informels. Lier la finance formelle à l'informelle en
utilisant les ONG : une expérience Gambienne. A plus long terme,
cette articulation doit permettre de préserver les aspects positifs du
secteur informel tout en réformant les institutions financières
formelles.
Il est nécessaire d'encourager l'essor des banques
commerciales comme une banque centrale autonome capable de contrôler et
de réguler efficacement les activités des institutions de
crédit et les institutions bancaires. L'Etat doit
réfléchir sur les normes et une réglementation plus souple
pour favoriser le développement des villages-banques, des caisses
villageoises et des mutuelles de crédit : on peut citer comme
exemple la création des mutuelles de crédit dans les villages de
Ngoudiane, Notto et Tassette dans la région de Thiès par l'ONG
Plan International. Pour ce faire, les institutions de crédit et les
institutions bancaires doivent rendre l'accès au crédit plus
facile avec des conditions mieux adaptées aux activités des
professionnels (ligne de crédit, mutualisation). L'Etat doit
créer des banques qui seront gérées par les clients
eux-mêmes, instaurer des banques dans les zones rurales les plus
reculées pour pallier l'éloignement géographique de
certaines institutions monétaires.
Conclusion
L'épargne, préalable à tout
investissement, constitue un enjeu crucial pour l'essor économique des
pays en voie de développement. Aujourd'hui, la mobilisation de
l'épargne passe par la mise en place d'un système financier
moderne et performant. Le Sénégal, dans le cadre de la politique
financière concertée en vigueur au sein de l'UEMOA, a
amorcé à partir de 1989 des réformes visant à
moderniser le secteur financier.
Nous avons dans notre étude passer en revue
l'évolution des variables de l'épargne, la situation de
l'épargne intérieure et cerner les systèmes
d'épargne au Sénégal.
Il s'avère, au terme de l'étude que le revenu a
un impact capital, très positif et significatif sur l'épargne. Le
taux d'intérêt réel, influence, à long terme, de
façon négative et significative l'épargne domestique.
L'épargne extérieure évince significativement
l'épargne domestique aussi bien à court qu'à long terme,
tandis que l'épargne domestique décalée, à long
terme, a une influence positive.
Le processus de modernisation du secteur financier a permis
l'émergence d'un type nouveau d'intermédiaires financiers, en
l'occurrence les Systèmes Financiers Décentralisés. Ces
Systèmes Financiers Décentralisés sont très actifs
dans la collecte de proximité de l'épargne des petits
épargnants. De nouveaux sentiers de recherche pourraient mener à
l'étude de la relation liant le système bancaire et ces
systèmes financiers décentralisés afin de
déterminer si c'est une relation de concurrence ou de
complémentarité.
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