III-2-3-c Discussion
Les systèmes d'élevage sont
généralement définis par les interactions qui
s'établissent entre éleveurs et leurs troupeaux, conditions
environnementales et ressources [LHOSTE, 1984]. Dans ce travail, il s'est
avéré que les variables reflétant les pratiques
d'élevage, par exemple, l'alimentation et les ventes de bovins,
étaient prédominantes dans la définition de
systèmes laitiers différents.
Aussi, l'accent doit-il être mis sur les
résultats généraux issus de la typologie établie,
qui a pris en compte tous les paramètres décrivant les
élevages laitiers suburbains, notamment ceux de tailles
différentes. Selon une méthodologie assez proche, KAMINIECKI
et al. [1999] ont mis en exergue des différences notables dans
les systèmes d'élevage laitier familiaux en Pologne. De
même, LAVAL et al. [1998] ont aussi eu recours aux
méthodes multidimensionnelles pour évaluer la diversité
des élevages de camélidés au Rajasthan, en Inde.
La typologie montre quatre groupes d'élevages avec des
dynamiques de production bovine différentes. Les exploitations du groupe
n°1 sont très différentes du reste,
caractérisées par la faiblesse de l'utilisation des
concentrés (1 873 UFL par vache par an à comparer aux 2 209 UFL
en moyenne pour les vaches des 48 exploitations impliquées dans cette
typologie). En conséquence, le rendement laitier moyen par vache y est
aussi inférieur à la moyenne générale (2 579 kg
à comparer à 3 218 kg). Ce genre d'exploitations laitières
souffre du manque de moyens financiers pour l'achat de concentrés afin
de pallier l'exiguïté des surfaces fourragères, ce qui
affecte négativement le rendement laitier et partant, les
résultats économiques par vache. Aussi, les résultats
économiques y sont négatifs, car dans l'absolu, la faible
productivité laitière ne permet pas de compenser les charges
fixes d'entretien du cheptel.
Les exploitations des groupes 2 et 3 représentent 20
des 48 exploitations retenues et ont pour caractéristiques saillantes
une marge brute positive combinée à des performances
laitières moyennes supérieures à la moyenne
générale de 3 218 kg par vache par an. En fait, c'est
surtout la contribution des fourrages aux apports énergétiques
totaux qui varie d'un groupe à l'autre (ratio
fourrages/concentrés respectivement de 23,7 et 98,4 %). Dans le groupe
n°2, on remarque que ces rendements laitiers supérieurs à la
moyenne sont principalement générés par une valorisation
efficiente des concentrés alimentaires, tandis que dans le groupe
n°3, la rentabilité économique est surtout liée
à d'importantes allocations de fourrages par vaches. Le groupe n°2
reflète ainsi un début de spécialisation laitière
marquée (rendements laitiers par vache supérieurs à
4 000 kg avec les plus importantes consommations de concentrés, et
des ventes de bovins réduites).
L'étable étatique de la SODEA qui a
été mise de côté pour réaliser les analyses
multivariées, compte un effectif de 90 vaches, qui produisent une
moyenne de 6 602 kg, sur 386 ha de superficie agricole. Elle peut
être considérée comme illustrant un pic de
spécialisation laitière dans les conditions marocaines, et en
comparaison aux autres étables étudiées en zone
suburbaine. Dans une étude antérieure d'étables
laitières appartenant à la même société, des
pratiques similaires de conduite du cheptel bovin (rendement de l'ordre de
6 000 kg de lait par vache, utilisation excessive de concentrés par
vache...) avaient été identifiées [SRAÏRI et KESSAB,
1998].
Dans le groupe n° 4, il y a 8 élevages de bovins
qui sont certes excédentaires (bénéfice moyen de 3 218 DH
par vache), mais dont les performances économiques ne reflètent
nullement un savoir - faire en termes d'élevage laitier. En dépit
d'une consommation de concentrés supérieure à la moyenne
de toutes les étables étudiées, le rendement laitier moyen
par vache y est inférieur à ce qui est observé pour
l'ensemble des étables sélectionnées dans ce travail
(2 852 et 3 218 kg respectivement). Dans cette catégorie
d'élevages, des gaspillages d'énergie issue des concentrés
sont apparents, puisque pour chaque kg de lait produit, il faut 1,23 UFL issues
des concentrés. Ceci traduit la participation des concentrés dans
la couverture des besoins d'entretien des vaches, tendance exacerbée par
des rations déséquilibrés en azote total et en
minéraux [INRA, 1988].
Considérés de manière globale, ces
résultats démontrent la faiblesse des rendements laitiers dans
des étables pourtant dotées dans leur écrasante
majorité de vaches de type laitier (Holstein et Frisonne pie-noire). Au
delà de la diversité des stratégies d'élevage
identifiées, c'est l'adaptation même de ces bovins au contexte
suburbain au Maroc qu'il convient d'analyser, sans parler des innombrables cas
de carrières de vaches écourtées par manque de savoir -
faire, comme nous l'avons rapporté dans d'autres régions du pays
[SRAÏRI et BAQASSE, 2000]. A l'instar des résultats de nombreuses
autres publications [MADANI et FAR, 2002 ; DEBRAH et al.,
1995 ; ØRSKOV, 1993], l'option même de femelles à
hautes potentialités laitières importées de pays
tempérées et insérées dans des environnements
d'élevage contraignants est remise en question par nos observations de
terrain et par les suivis de performances. En effet, seules les 8 exploitations
du groupe n°3 que nous avons qualifié de spécialisées
et auxquelles il faudrait ajouter l'étable étatique de la SODEA
peuvent être considérées comme tirant profit du potentiel
laitier des vaches importées. Le reste, pour des raisons très
diverses (manque de technicité, absence de facilités de
trésorerie, visées viandeuses plutôt que
laitières...), aurait très bien pu s'accommoder de bovins avec
des aptitudes laitières moindres et disposant de meilleurs
facultés d'engraissement que les races Holstein et Frisonne pie-noire.
Ces observations convergent vers les recommandations de FAYE et ALARY [2001],
à propos de l'émergence de systèmes d'élevage
durables et compétitifs dans les pays en développement. Ces
auteurs indiquent que le nécessaire accroissement de la production
laitière dans les pays du Sud « ne peut pas se faire par une
simple adaptation des méthodes d'élevage des pays du Nord, mais
doit intégrer les enjeux sociaux et environnementaux particuliers et
s'inscrire dans un objectif de développement durable ».
Pour des perspectives de développement de
l'élevage laitier dans la zone suburbaine de Rabat-Salé, il est
évident que la mise en oeuvre de programmes de recherches et d'appui
technique adaptés aux contraintes typiques à ces régions
(rareté des fourrages et importante charge animale par ha) est urgente
au Maroc. Le conseil technique dans le domaine de l'alimentation du cheptel
bovin laitier, à travers la vulgarisation du rationnement, en utilisant
des quantités appropriées de fourrages de bonne qualité et
avec les concentrés disponibles localement, devrait avoir des
répercussions plus que positives. De même, la
généralisation des méthodes d'exploitation rationnelle des
fourrages et de conservation des excédents saisonniers par l'ensilage ou
le fanage pourrait constituer une autre voie prometteuse de
développement des performances des étables laitières. Du
fait de la très vaste adoption de rations riches en concentrés,
c'est principalement leur intégration dans des formules adaptées
aux divers fourrages qui fait encore défaut. D'autre part, les
traitements hormonaux des vaches à problème de reproduction et la
généralisation de l'évaluation de l'insémination
artificielle peuvent aussi représenter des voies d'action prioritaires
pour augmenter l'efficacité reproductive du cheptel bovin, dans un
contexte où très peu d'exploitations possèdent des
documents actualisés en rapport avec la reproduction des vaches. De
manière similaire, les traitements prophylactiques des affections
parasitaires devraient être conçus et appliqués à un
moment où peu d'élevages adoptent des programmes prophylactiques
raisonnés.
En définitive, la majorité des éleveurs
chez lesquels s'est déroulé ce travail éprouvent un besoin
d'appui technique rapproché, notamment les 36 étables
détenues par des structures de taille réduite sur moins de 5 ha,
et qui représentent plus des ? des exploitations visitées.
Toutefois, les mesures en faveur des élevages laitiers doivent
être ciblées pour éviter les échecs de transferts de
technologie ayant eu lieu au préalable avec les traitements des pailles
à l'urée [WANAPAT et al., 1998 ] ou avec la
technique du ley farming [AMINE, 1993 ; CHRISTIANSEN et
al., 2000]. Ainsi, dans un premier temps, les techniques
nécessitant des moyens en capitaux importants devraient être
évitées et réservées uniquement aux exploitations
agricoles ayant les moyens de s'en accommoder. En effet, il s'avère en
fin de compte que les pratiques d'élevage les plus communes
privilégient la contribution maximale du pâturage et des fourrages
spontanés (en cas de pluies) conjuguée à la mobilisation
des réserves corporelles des femelles ; pratiques ne
nécessitant aucun investissement monétaire, et en partie
imposées par l'état général de la trésorerie
des éleveurs [SRAÏRI, 2002]. Il faut mentionner que des travaux de
recherche à philosophie similaire sont actuellement en cours pour
favoriser le développement d'élevages laitiers, par des
formulations alimentaires équilibrées pour des exploitations
agricoles de type traditionnel, sans bouleverser l'organisation
générale qui y prévalait. C'est le cas au Mexique,
où ARRIAGA-JORDAN et al. [2002] ont mesuré l'impact de
trois niveaux de complémentation en concentrés sur les
performances laitières en élevages bovins de petite taille. Mais
il faudrait, pour en garantir le succès, sélectionner les
exploitations les plus réceptives (éleveurs instruits et
motivés) tels que l'ont mentionné ROELEVELD et VAN DEN BROEK
[1996]. Par la suite, ces éleveurs pourraient servir de courroie de
transmission de ces techniques à leur entourage. Dans pareil contexte,
les typologies d'élevage suivies d'actions de développement
ciblées qui valorisent au mieux les moyens disponibles sont
indispensables. Elles garantissent la viabilité et la durabilité
de cette activité qui représente à l'heure actuelle une
voie prometteuse pour améliorer les revenus des agriculteurs suburbains
[DIEYE et al., 2002]. Ceci devrait être considéré
à sa juste valeur par les organismes de développement et par les
décideurs en charge du secteur de l'élevage bovin au Maroc.
III-2-4 Conclusion
Ce suivi de 48 étables laitières dans la
ceinture suburbaine de Rabat - Salé, capitale du Royaume du Maroc, a
confirmé l'existence d'une large variété de modes
d'élevage bovin. Ceci peut être expliqué en partie par la
diversité des statuts conférés par les éleveurs
à leur troupeau (laitier spécialisé, allaitant et/ou
mixte), aux différents modes d'alimentation du cheptel, et aux poids des
ventes de bovins dans le chiffre d'affaires total. Même si 98 % des
vaches sont de génotype laitier (Holstein Friesian et croisées
Holstein Friesian x locales), le rendement laitier moyen par vache demeure
faible (3 218 kg) avec d'amples variations, de 1 130 à 6 602
kg, et les bénéfices dégagés par vache fluctuent de
situations positives à d'autres négatives. Les analyses
statistiques multidimensionnelles ont permis d'identifier quatre groupes
distincts d'élevages, sur la base de variables tels que le rendement
laitier par vache, les modes d'alimentation du cheptel bovin et les ventes de
bovins, sans aucun lien avec les paramètres de taille. Par
conséquent, cette typologie préliminaire pourrait servir de base
de réflexion pour la promotion des performances du secteur bovin
suburbain, notamment par l'adoption de mesures adaptées aux besoins des
différentes catégories d'éleveurs. Une large frange
d'élevages est groupée dans des catégories
caractérisées par une relative rentabilité de
l'activité laitière (groupes 2, 3 et 4, ce qui représente
29 fermes), mais pourrait aboutir à de meilleures productivités
et à des résultats économiques accrus par des techniques
favorables à l'intensification (alimentation, traite, accouplements
raisonnés...). Comme les résultats montrent que les variables
liées aux modes d'alimentation des vaches sont déterminantes pour
distinguer les types d'étables, toute mesure ultérieure de
développement devrait se focaliser en priorité à
l'amélioration des pratiques actuelles des éleveurs,
caractérisées par l'absence de rationnement, et l'usage
irraisonné de concentrés. En définitive,
l'élaboration suivie de la vulgarisation des tables alimentaires des
matières premières les plus usitées (fourrages et
concentrés) et la conception de rations propices à l'augmentation
de la production laitière, semblent être des leviers d'action
prioritaires. La validation de leurs effets par des essais dans des
élevages privés en garantirait la diffusion.
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