De ta tradition à la modernité: étude du manichéisme discursif dans noces sacrées de Seydou Badian. Essai d'analyse sociocritique.( Télécharger le fichier original )par Sylvère DUSABIMANA Université Nationale du Rwanda - Licence 2007 |
1.4 De la carnavalisation discursive à la peinture socialeParlant de la carnavalisation, il est nécessaire de rappeler que l'angle de travail est toujours le roman. Il ne faut pas aussi ignorer la place de l'humour de Girard et de l'ironie de Lukács déjà traité dans ce chapitre. Selon Semujanga (2006), la carnavalisation reste le renversement des valeurs dans une oeuvre littéraire. La subversion des valeurs dans le Moyen-Âge a été un exemple type de la carnavalisation. Dans le cadre du roman que nous allons analyser, Semujanga stipule : « L'histoire y semble moins conçue comme un moyen d'expliquer le présent que comme un signifiant mythique. Elle tient lieu de culte des ancêtres et de tradition sacrée dans un monde en perpétuel changement ». (1999 : 48). Dans la carnavalisation romanesque l'histoire semble être étouffée pour décrire avec un renversement des valeurs « un monde en perpétuel changement » (1999 : 48). Il est nécessaire qu'on parle de la perspective de Bakhtine dans le carnaval, car il s'inscrit dans le cadre du dialogisme conçu comme dialogue des textes, des discours d'où la transtextualité et la transdiscurisivité. Chez Bakhtine, ce n'est pas le décalage entre la conscience et le monde, entre le sujet et l'objet qui constitue le point de départ de la théorie du roman. Le carnaval est défini par Zima (1985 : 106) comme « un événement populaire critique dirigé contre le sérieux de la culture officielle (féodale). Les traits caractéristiques de l'événement carnavalesque sont : l'ambivalence, la polyphonie et le rire». Dans le carnavalesque, la morale et les normes dominantes sont remises en question. Celles-ci sont présentées dans un contexte hétéronome caricatural et rendues ridicules. Le rire carnavalesque comme force critique et destructrice s'oppose à quatre éléments importants dans la culture féodale, entre le Moyen-Âge et la Renaissance : Il nie d'abord la tradition en privilégiant la continuité et l'avenir : la transformation perpétuelle de ce qui est. En deuxième lieu, il y a l'ascétisme spirituel de la religion médiévale. Le carnaval oppose la vie et le corps, en mettant l'accent sur les fonctions sexuelles et fécales de ce dernier. La dernière opposition est celle entre la vie et la mort. Le carnaval qu'on rencontre dans les oeuvres africaines comme Une vie et demie de Sony Labou Tansi et même Noces sacrées de Seydou Badian ne reconnaît pas l'eschatologie de la théologie officielle : elle est niée et dépassée dans l'association de la mort à la naissance. Comme le résume Isaac Bazié : « Le fait de ne pas lire le roman ressemble désormais à une sorte de délit de non assistance à la personne en danger (2003 : 90)»2(*). Par ailleurs, on a su gré à Badian de rendre lisible un sujet aussi grave et réellement insupportable : l'horreur vécue par la culture africaine en impasse depuis la destruction des sanctuaires par les chemins de fer. Pour Badian, la colonisation et surtout l'arrivée des Blancs est considérée comme un élément butoir de la richesse traditionnelle de l'Afrique. Noces sacrées est donc un témoignage fictif mais émouvant conçu pour dénoncer l'inadmissible sinon l'innommable désacralisation de l'Afrique. * 2 Isaac Bazié, « Ecritures de violence et contraintes de la réception : Allah n'est pas obligé dans les critiques journalistiques françaises et québécoises » n° 61, 2003, p. 90. |
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