Centre d'Etudes des Sciences et Techniques de
l'Information
Université Cheikh Anta Diop de Dakar -
UCAD .............................................................
MEMOIRE POUR L'OBTENTION DU DIPLOME D'ETUDES
SUPERIEURES SPECIALISEES En
SCIENCES DE L'INFORMATION ET DE LA
COMMUNICATION
Theme
LA CONFERENCE DE REDACTION
COMME OUTIL D'AUTO-REGULATION ET
ESPACE DE COMMUNICATION ORGANISATIONNELLE
Cas de Radio-Bénin (1990 - 2000)
Préparé et soutenu par
Anicet Laurent QUENUM
Sous la direction de
Oumar DIAGNE Professeur titulaire des
universités Directeur du CESTI
Mes remerciements à
> Oumar Diagne, sociologue, directeur du Centre d'Etudes
des Sciences et Techniques de l'Information (CESTI)
> Jacques Philippe da MATHA, journaliste, ancien
Directeur Général de l'Office de Radiodiffusion et
Télévision du Bénin (ORTB), ancien Directeur
Général du Centre inter-Etats de radio rurale de Ouagadougou
(CIERRO)
> Mahamoudou OUEDRAOGO, journaliste, enseignant des
Sciences et Techniques de l'Information, ancien ministre burkinabè des
Arts et de la Culture
> Serge Mathias TOMONDJI, journaliste, rédacteur en
chef du quotidien burkinabè « 24 heures »
DEDICACE
Cette oeuvre est dédiée a
:
Marie, Raïssa et
Bérénice
Ma défunte mère, en souvenir de ce
jour de novembre 1985 où ton geste a valu son pesant d'or dans ma
destinée professionnelle.
AVANT- PROPOS
Faut-il faire et le faire savoir ou faut-il plutôt faire
et attendre que les contingences le fassent savoir aux autres ? Dans
l'éventail des réponses possibles, Talleyrand nous en propose une
à travers sa formule incitative : « si cela va sans dire, ça
ira encore mieux en le disant ».
Seulement, jusqu'où le professionnel de l'information
doit-il communiquer sans verser dans le travers de ceux qui prétendent
rester à leur fenêtre pour se voir passer. Parallèlement,
jusqu'où peut-il pousser la circonspection sans courir le risque de
laisser les autres reconstituer sa propre mémoire, sa propre histoire ;
sans courir aussi le risque de laisser aux autres le privilège de dire
les choses en son nom, lui qui passe pourtant toute une carrière
à vendre la parole des autres. Va-t-il s'oublier et se laisser prendre
au dépourvu par la fugacité du temps?
Pourquoi et comment les maîtres de la plume ou / et du
micro doivent-ils abdiquer devant le devoir d'écriture qui est
censé leur offrir le moyen de capitaliser tant d'aventures
inédites, tant d'enseignements précieux, tant
d'expériences si édifiantes, mais aussi de démocratiser
tant de savoirs et de savoirs-faire. Une façon, parmi tant d'autres
d'aider les nouveaux venus et les aspirants au journalisme à commettre
moins d'erreurs que leurs aînés, même s'il est bien utile
qu'ils en fassent quelques unes afin de se forger une bonne carapace et
être plus tard de bons témoins.
Mais au-delà du témoignage, ce livre est aussi la
manifestation d'une auto-interpellation et d'une introspection. Un double
exercice qui pourrait déboucher sur une remise en cause
professionnelle des acteurs du métier. Quant à ceux qui n'ont pas
d'autre choix
que de juger la profession de l'extérieur, ce livre
pourrait les aider, un tant soit peu, à démythifier certaines
réalités souterraines de la vie des Rédactions.
A quoi ressemble une journée de travail dans une
Rédaction ? Que se passe-t-il dans le secret des «
services-Information » des organes de presse ? Du fait brut à
l'information traitée et consommable à travers les ondes, quelle
est la partition jouée au quotidien par les hommes des médias,
journalistes et techniciens ? A quelles joies et peines les expose ce
métier à la fois prenant et exaltant ?
Les réponses qu'apporte ce livre ne sont pas
exhaustives encore moins définitives. Elles n'ont pas valeur d'oracle.
Tout au plus, c'est une lucarne ouverte sur un couvent ; celui des
Rédactions de presse. Possiblement, nombre de professionnels de
l'information et de la communication, notamment ceux de la radio, s'y
reconnaîtront peu ou prou. Davantage les professionnels de l'Audiovisuel
public que ceux du privé. D'aucuns -sait-on jamais- pourraient en rougir
ou être tentés d'en faire une affaire personnelle. Mais non! A
ceux-là, nous tenons à donner l'assurance que les
expériences évoquées dans ce document ne sont exclusives
à aucune Rédaction, à aucune direction ou à un
pays. Si les témoignages recueillis auprès de confrères de
la sous-région ouest-africaine, notamment béninois,
burkinabè et sénégalais ne sont pas en tous points
identiques, force est de reconnaître qu'en revanche, ils sont très
voisins voire similaires. Du bien comme du mal, nul n'en a le monopole.
INTRODUCTION
On n'y pense pas et pourtant ! La Rédaction de presse
est une communauté d'hommes et d'intérêts ; c'est une
société en miniature et comme telle, elle est le lieu
d'expression d'intérêts et parfois d'ambitions antagonistes. C'est
alors que son fonctionnement requiert un effort de socialisation, car la
cohabitation entre confrères n'est pas toujours sans histoire. C'est le
potentiel communicationnel et organisationnel de cet ensemble d'acteurs en
interactions et dans leurs stratégies d'auto-détermination qui
retient ici notre attention.
Toute l'activité de la Rédaction de presse
s'exerce à travers un enchaînement de processus d'interactions et
de communications. C'est l'orchestration d'un système complexe
composé d'acteurs exerçant des rôles et des
activités différenciées tout en étant
fonctionnellement reliés autour d'une même obligation de
résultats. Que des conflits surgissent à l'occasion de leurs
rapports professionnels semble relever d'un principe naturel d'affirmation de
l'acteur par rapport au système. Le reste ne serait alors qu'une
question de management de la ressource humaine dans un contexte où les
conflits professionnels ne sont souvent pas si loin des problèmes de
personnes.
En nous intéressant au fonctionnement de la
Rédaction de presse de la Radiodiffusion nationale du Bénin,
c'est pour analyser divers types d'enjeux : enjeux relationnels, enjeux
d'influence et enjeux de positionnement. Plus intéressant, chacun y va
de son éthique, de ses aspirations et ambitions, avouées ou non !
Plus celles-ci sont divergentes et plus les risques de conflits sont
élevés. Mais, cela n'est-il pas plutôt dans la nature des
organisations humaines ? A ce sujet, nous tenterons d'ailleurs de montrer
à quel point les antagonismes, les contradictions sont
pour la Rédaction de presse source de vitalité. C'est à
certains égards une école du vivre ensemble et ce que
Claude JAMEUX dit de l'entreprise à ce sujet reste valable pour la
Rédaction de presse : « les acteurs participant à
l'entreprise ont des traits originaux : leur histoire, leur culture, les
valeurs auxquelles ils aspirent, les intérêts qu'ils
défendent. Ils sont donc porteurs d'objectifs qui ne sont pas
nécessairement convergents... »1
Mais loin de s'en émouvoir, il semble bien que
l'absence de conflits dans une communauté d'hommes est devenue
aujourd'hui trop flatteuse pour être considérée comme un
signe de sérénité et un véritable témoignage
de cohésion et de réussite. Seule la capacité des
Rédactions à dépasser leurs conflits internes pourrait
conférer à celles-ci du mérite. Et de là naît
la plus grosse curiosité de ce travail, disons le plus grand
questionnement de cette oeuvre : comment les journalistes s'y prennent pour
aplanir les conflits professionnels ? De quels outils de médiation et
d'arbitrage disposent-ils pour laver le linge sale en famille ? Quel est le
secret de ces armes qui leur permettent de contenir certains
débordements professionnels ou comportementaux dans les limites des
quatre murs de la Rédaction et de parvenir à dédramatiser
les «gaffes» les plus grossières ? Ont-ils vraiment les moyens
coercitifs ou pédagogiques pour « dompter les appétits de
leurs membres les plus transgressifs et pour mettre à leur place, ceux
d'entre eux qui bafouent le plus ouvertement la morale professionnelle ?
»2
Evidemment, nous ne répondrons pas à ce faisceau
de questions sans avoir préalablement identifié la typologie
et les sources de conflits et des sujets qui fâchent le
1 C. JAMEUX, Sciences de la société -
les organisations au risque de l'information, Presses Universitaires du Mirail,
octobre 1994, p 43
2 C. LEMIEUX, Mauvaise presse, Editions
Métailié, 2000, p.88
plus au sein des Rédactions de presse et en quoi ils
affectent le fonctionnement de ces Rédactions voire l'image du
métier?
Notre intention est justement de révéler ces
Rédactions sous leurs facettes d'espaces de dialogue professionnel, de
solidarité et de fraternisation plutôt que de lieux
d'affrontement. Même si l'intensité des jeux de pouvoir frise
parfois le « sauve qui peut ! ».
Aussi, voudrions-nous mettre en évidence la forte
parenté existant entre la Rédaction de presse et l'espace public
qui se nourrissent tous deux de contradictions, d'intrigues, mais aussi de
rivalités dans l'argumentation et surtout dans la recherche de
l'argument meilleur selon le concept de Jürgen HABERMAS3. Ce
qui finirait de nous convaincre de ce que les Rédactions de presse sont,
quelque part, des écoles de démocratie où se cultivent
aussi bien des valeurs de discipline, de responsabilité, d'amour du
travail, d'émulation, de tolérance voire de citoyenneté. A
cet égard, Radio-Bénin reste un cas intéressant en raison
d'un contexte institutionnel caractérisé par une
libération quasitotale de la parole et de l'initiative. Plutôt que
de confier à un pouvoir, fût-il démocratique, la
réglementation de la pratique journalistique dont on ne sait jamais
à quel point elle sera contraignante, les journalistes n'ont-ils pas
raison de vouloir autoadministrer leur profession, tout au moins en ce qui
concerne l'honneur professionnel ?
Par ailleurs, la perspective d'une capitalisation de toute la
somme d'enseignements et d'outils que la communication organisationnelle peut
apporter au management des Rédactions de presse nous paraît digne
d'intérêt. Notamment, pour celles qui ambitionnent de renforcer
leur potentiel d'autorégulation que nous définissons ici en
rapport avec l'accès des professionnels de l'information à des
niveaux supérieurs de
3 Philosophe allemand, théoricien de l'Espace
public
maturité discursive, professionnelle, intellectuelle et
humaine. Derrière cette exigence, se trouve en filigrane, le souci d'une
autorégulation qui tienne compte des intérêts des tiers,
notamment des consommateurs. Car, si l'on est mieux servi que par
soi-même, l'on est pas toujours suffisamment exigeant envers
soi-même.
Cette approche de l'autorégulation nous paraît
d'autant plus essentielle qu'elle nous met en garde contre toute tentation des
Rédactions de presse à se barricader derrière de nouvelles
déontologies taillées à leur propre mesure. Toutefois, si
l'autorégulation n'autorise pas à être moins
légaliste, il n'est non plus totalement exclu qu'une Rédaction
puisse développer un style moral propre censé influencer ses
choix éditoriaux mais également ses mécanismes /
modèles spécifiques de médiation et de cohésion
interne.
En définitive, cette autorégulation, comment la
définir : un raccourci ? Une alternative? Une chance? Un exutoire ? Une
appropriation de pouvoir ? Une quête d'autonomie ? Une arme
protectionniste ?
Les prochaines lignes nous le diront, peu ou prou !
Clarification de concepts
Conférence de
rédaction
Espace professionnel au sein duquel s'organisent la vie et le
fonctionnement de la Rédaction. A ce titre, la conférence de
rédaction est une instance de débat et de
délibération sur diverses questions professionnelles : menus des
éditions du Journal, appréciation des prestations de ses membres,
organisation d'échéances importantes (couverture
médiatique de grands événements), médiation interne
en cas de différends, rappels à l'ordre face à
d'éventuelles atteintes aux normes déontologiques ou
éthiques, etc. Elle est aussi un lieu d'évaluation et
d'auto-évaluation des prestations des journalistes ; d'où son
allure de cuisine interne.
Conflit
La notion de conflit telle que utilisée dans ce
Mémoire n'a aucun rapport avec l'affrontement physique ou un
éventuel bellicisme. Il ne s'agit nullement dans le contexte des
rédactions de presse d'un « conflit à mort », mais plus
exactement de rivalités d'intérêts, de querelles de
clochers, de tiraillements, ou de stratégies de positionnement. Plus
prosaïquement, on pourrait également entendre ici la notion de
conflit par rapport à tout ce qui est source potentielle de
mésentente, de dysfonctionnement professionnel et de rupture de
cohésion du groupe.
Autorégulation
Entendue dans l'esprit de ce travail comme un ensemble de
dispositions contribuant à un mécanisme de police interne. Il
pourrait s'agir aussi d'un état d'esprit favorable à une gestion
confraternelle des conflits plutôt que toute autre forme de recours aux
procédures judiciaires.
Acteurs
Nous privilégions dans le cadre de ce Mémoire les
catégories d'acteurs ci-après :
- Le rédacteur en chef
- Le secrétaire de rédaction
- Les rédacteurs
- Les « fossoyeurs » de la Rédaction - Le
directeur
Contexte
Le contexte visé est celui de Radio-Bénin
(organe d'Etat) à l'ère du pluralisme, soit au lendemain de la
Conférence Nationale de Février 1990 et couvrant la
première décennie du Renouveau démocratique. On a donc
affaire à des journalistes épris de liberté et
d'indépendance et donc déterminés à tourner la page
de l'autocensure, du bâillonnement, de l'inféodation et à
renouer avec une pratique plus professionnelle du métier. Ils sont
aidés en cela par l'avènement d'un cadre institutionnel plus
démocratique (HAAC4, ODEM5...)
Les caractéristiques de contexte étant, entre
autres :
- le regain de professionnalisme
- la libération des initiatives
- l'innovation ou la tendance à s'affranchir des anciens
schémas de travail - la liberté de ton des journalistes au sein
des Rédactions
- une nouvelle approche (horizontale) des rapports avec
l'autorité
4 Haute autorité de l'audiovisuel et de la
communication
5 Observatoire de l'éthique et de la
déontologie dans les médias. L'ODEM a conduit le processus ayant
abouti à l'adoption, en septembre 1999, d'un Code de déontologie
pour la presse béninoise.
- une quête de transparence dans la gestion des avantages
matériels/ financiers et autres enjeux professionnels, etc.
Question de terminologie
Retenons que « Radio-Bénin » est
utilisée dans l'ensemble du document pour désigner, en plus bref,
la Radiodiffusion nationale du Bénin. Il s'agit donc de termes synonymes
tout comme « service de l'information » et « Rédaction
» désignent la même réalité.
SECTION I
LES ACTEURS
SPECIFICITES ET INTERACTIONS
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