Les droits de l'employeur cotisant dans ses relations avec l'URSSAF: opposabilité de la doctrine et application du rescrit en matière sociale( Télécharger le fichier original )par Fathi ALI MOHAMED Université de Nantes - Master 2 Droit social 2006 |
PARTIE 1. Les droits du cotisant face aux changements de doctrineAfin de rendre les lois et règlements compréhensibles à la majorité des usagers, l'administration est amenée à traduire dans un langage simplifié les dispositions législatives et réglementaires en vigueur. Reconnue par les usagers comme étant l'expression de la règle à suivre, la doctrine administrative confère à l'administration qui la rend un pouvoir considérable dans la mise en oeuvre de la loi14(*), que celle-ci soit fiscale, ou sociale depuis l'ordonnance n° 2005-651 du 6 juin 2005. De même que les lois changent, la doctrine de l'administration évolue également, et cette évolution met le cotisant dans une situation délicate du point de vue de sa sécurité juridique car le changement de doctrine risque d'inciter les organismes de recouvrement à redresser le cotisant sur la base de la nouvelle interprétation, y compris pour la période durant laquelle elle n'était pas encore en vigueur. Pour remédier à cette situation, l'article L. 243-6-2 du Code de la sécurité sociale permet au cotisant de sa prévaloir des circulaires et instructions émanant du ministre chargé de la sécurité sociale, pour la période durant laquelle il les a appliquées, afin de faire échec à un redressement de cotisations ou contributions sociales décidé par un organisme de recouvrement sur la base d'une interprétation différente de celle énoncée par le ministre. Il s'agit là d'une innovation majeure dans les relations entre cotisants et URSSAF dans la mesure où jusqu'à présent, la jurisprudence du Conseil d'État, comme celle de la Cour de cassation refusait de reconnaître une quelconque portée à ces textes. Au delà des dispositions permettant au cotisant de se prévaloir des circulaires et instructions, l'ordonnance du 6 juin 2005 permet également au cotisant, par la procédure de rescrit social de l`article L. 243-6-3 du Code de la sécurité sociale, de se prévaloir des prises de position d'une URSSAF lorsque celle-ci cherche à opérer un redressement de cotisations ou contributions sociales motivé par une interprétation différente de celle qu'elle avait fait connaître au cotisant. Ainsi, il résulte des dispositions de l'ordonnance du 6 juin 2005 que son objectif est de garantir la sécurité juridique du cotisant ( Chapitre 2 ). Cependant, dans la mesure où la position classique de la jurisprudence consiste à ne reconnaître aucune valeur juridique aux circulaires, support de la doctrine, l'instauration d'un mécanisme permettant à un cotisant de se prévaloir de la doctrine administrative pose question quant à son efficacité face au juge: le cotisant pourra-t-il se prévaloir de la circulaire ministérielle devant le juge si l'URSSAF considère que les dispositions de celle-ci ne vont pas à l'encontre du redressement? La solution à une telle question ne semble pouvoir être trouvée sans analyser au préalable l'insécurité du cotisant face aux changements de doctrine ( Chapitre 1 ). Chapitre 1. L'insécurité du cotisant face aux revirements de la doctrine L'insécurité juridique du cotisant face aux changements de doctrine a conduit le Gouvernement à instaurer à l'article L. 243-6-2 du Code de la sécurité sociale une protection contre les changements de doctrine. Énonçant la possibilité pour le cotisant de se prévaloir des circulaires et instructions du ministre chargé de la sécurité sociale, sous certaines conditions tenant notamment à la publication du texte, l'article L. 243-6-2 permet ainsi une garantie contre les changements de doctrine. La garantie contre les changements de doctrine aboutit à reconnaître au profit du cotisant l'opposabilité des circulaires et instructions ( Section 2 ). Toutefois, afin de cerner la portée de cette opposabilité, il convient préalablement de comprendre comment se forme la doctrine administrative en matière de recouvrement ( Section 1 ). Section 1. La formation de la doctrine administrative en matière de recouvrementToute circulaire ne peut servir de support à la doctrine administrative. En effet, la circulaire réglementaire, par opposition à la circulaire interprétative, est l'outil privilégié de la doctrine et est un cadre pour les relations entre les différents acteurs impliqués dans le recouvrement des cotisations sociales ( § 1 ). Au delà de cette exigence, l'utilisation des circulaires en droit de la sécurité sociale se révèle nécessaire ( § 2 ). § 1. La circulaire réglementaire, cadre des relations entre les différents acteurs A. Les intérêts en présence1) Le Ministre chargé de la sécurité sociale Membre du Gouvernement, le ministre chargé de la sécurité sociale a traditionnellement un rôle mineur dans le contentieux relatif aux cotisations et contributions sociales. En effet, le Conseil d'État, comme la Cour de cassation, refusent de donner une quelconque valeur à ses circulaires. L'ordonnance n°2005-651 du 6 juin 2005, en rendant possible l'opposabilité des circulaires émanant du ministre chargé de la sécurité sociale tente, ainsi, de permettre à ce dernier de pouvoir influer dans un domaine dans lequel il ne pouvait, jusqu'alors, que modestement intervenir. 2) L'ACOSS L'agence centrale des cotisations de sécurité sociale ( ACOSS ) est un établissement public à caractère administratif ainsi que la caisse nationale de la branche recouvrement du régime général de la sécurité sociale. Chargée, comme les URSSAF et les CGSS qu'elle fédère, d'une mission de service public, l'ACOSS est notamment amenée à édicter des circulaires destinées aux organismes de recouvrement qui se heurtent ainsi aux mêmes difficultés que celles émanant du ministre chargé de la sécurité sociale. 3) Les URSSAF Les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociales et d'allocations familiales ( URSSAF ) constituent un réseau d'organismes dont la principale mission est la collecte des cotisations sociales destinées à financer le régime général de sécurité social. Organismes de droit privé chargés d'une mission de service public, les 102 URSSAF de métropole et les 4 CGSS15(*) des départements d'Outre-mer sont indépendantes et constituent des personnes morales distinctes. De ce fait, les pratiques des organismes de recouvrement et leurs tolérances peuvent varier fortement d'un organisme à l'autre, essentiellement en raison du tissu économique des lieus dans lesquels ils sont implantés; cette discorde étant l'un des facteurs expliquant l'insécurité juridique ressentie par les cotisants. 4) Les entreprises et les cotisants. L'objectif recherché par les employeurs, et les cotisants en général, est d'assurer la sécurité juridique de leurs pratiques en matière de cotisation sociale. En effet, les relations entre organismes de recouvrement et cotisants sont souvent complexes et productrices d'insécurité juridique pour le cotisant. Cette insécurité s'est manifestée essentiellement autour de trois axes: l'inopposabilité d'une décision de l'URSSAF à une autre URSSAF, l'inopposabilité des circulaires aux URSSAF, et l'impossibilité de transiger avec les URSSAF. Pour ce qui est de l'inopposabilité d'une décision de l'URSSAF à une autre URSSAF premièrement, elle résulte d'un arrêt de la Cour de cassation du 29 juin 199516(*) dans lequel la Cour a énoncé que « les unions de recouvrement constituant autant de personnes morales distinctes, la décision prise par l'une d'elles n'engage pas les autres ». Cet arrêt, bien qu'il ait suscité l'incompréhension chez nombre d'employeurs, ne semble pas discutable d'un point de vue juridique dans la mesure où, comme vu précédemment, les unions de recouvrement constituent des organismes de droit privé chargées d'une mission de service public et indépendantes les une des autres. Cependant, les conséquences engendrées par cette situation ne favorisent pas la sécurité juridique de l'entreprise qui devra, pour chacun de ses établissements, s'interroger sur les pratiques de l'URSSAF dans le ressort de laquelle il se trouve. L'inopposabilité des circulaires aux URSSAF, en second lieu, est également une source d'insécurité pour les cotisants. Il s'agit ici, essentiellement des circulaires émanant du ministre chargé de la sécurité sociale auxquelles la Cour de cassation s`est toujours refusée à reconnaître une quelconque portée, mais aussi des circulaires émanant des organismes nationaux de sécurité sociale même si le cas de ces dernières est plus complexe17(*). Enfin, contrairement au droit fiscal18(*), la transaction n'existe pas en matière de cotisations sociales. Ainsi, cette impossibilité tend à dénuer les discussions entre cotisants et les URSSAF de tout intérêt. B. Nécessité d'une circulaire réglementaire Traditionnellement, la jurisprudence du Conseil d'État, opère une distinction, entre les circulaires réglementaires, qui contiennent des règles nouvelles venant s'ajouter aux normes déjà en vigueur19(*), et les circulaires interprétatives, qui ne constituent quant à elles que des documents internes à l'administration et demeurent, en principe, dépourvues, de toute portée juridique. Cette distinction, issue de l'arrêt « Notre-Dame du Kreisker20(*) », a cependant été précisée en 2002 dans un arrêt « Mme Duvignères »21(*). Ce dernier a entraîné une évolution jurisprudentielle, amenant à l'apparition de deux régimes distincts: celui de la circulaire impérative qui trouve à s'appliquer dans le cadre du recours pour excès de pouvoir, et celui de la circulaire réglementaire, dont le terrain d'expression est désormais circonscrit à l'invocabilité22(*). C'est ce dernier cadre qui intéresse essentiellement la présente étude. La jurisprudence accorde aux circulaires et instructions réglementaires la même valeur et la même portée que les autres textes réglementaires émanant des autorités administratives compétentes, à la condition, toutefois, que celles-ci répondent aux critères établis par la jurisprudence administrative pour reconnaître ce caractère réglementaire23(*). Tout d`abord, comme vu précédemment, pour pouvoir recevoir la qualification de réglementaire, la circulaire ne peut pas se contenter d'une simple interprétation des dispositions législatives et réglementaires en vigueur mais doit nécessairement contenir des dispositifs juridiques s'additionnant aux normes déjà en vigueur et soumettant l'usager à des obligations nouvelles. C'est ainsi qu'une circulaire qui ne s'est pas borné à donner un commentaire d'un décret mais en a fixé les modalités particulières d'application à une catégorie d'agent a été qualifiée de circulaire réglementaire24(*). De même, c'est ainsi qu'une circulaire qui ne contient par elle-même aucune disposition directement opposable aux administrés constitue une instruction de service et ne peut donc recevoir la qualification de circulaire réglementaire25(*). De plus, jusqu'à présent tout du moins, le Conseil d'État s'est toujours refusé à accorder à un usager qui la réclamait, l'application d'une circulaire illégale, prenant le parti de l'annuler en cas de saisine pour excès de pouvoir, ou celui de la déclarer illégale dans les autres cas. § 2. Intérêt des circulaires réglementaires en droit de la sécurité sociale * 14 V. E. Mignon, Doctrine administrative: jurisprudence récente, questions en suspens, RJF, juin 2000, p. 487. * 15 Caisses générales de sécurité sociale * 16 Cass. Soc. 20 juillet 1995, Sacer, RJS 8-9/95, n° 934. * 17 V. X. Prétot, De l'esprit des circulaires et des instructions... et des rapports qu'elles entretiennent avec le droit social, RJS 6/97, p.415. * 18 LPF, art. L. 247 et s. * 19 Elles peuvent ainsi soit faire l'objet d'un recours en annulation pour excès de pouvoir ou d'une exception d'illégalité , soit être invoquées, à l'inverse, à l'appui d'un recours contentieux. * 20 CE Ass. 29 janvier 1954; AJDA 1954, II bis, p. 5, chron. F. Gazier et M. Long; RPDA 1954, p. 50, concl. B. Tricot. * 21 M. Long, P. Weil, G. Braidant, P. Devolve, B. Genevois, Les grands arrêts de la jurisprudence administrative, Dalloz, 14ème édition, 2003, n°118, p. 902. * 22 V. G. Koubi, , Distinguer « l'impératif » du « réglementaire » au sein des circulaires interprétatives, Revue du droit public, n°2, 2004, p.499. * 23 Voir R. Chapus, Droit administratif général, Tome 1, 15ème édition, Montchrestien, 2001, n° 685, p. 515. * 24 CE 19 février 2003, Syndicat général CGT des personnels de l'éducation nationale, n° 34767, 2éme espèce, http://www.legifrance.gouv.fr/WAspad/Visu?cid=33077&indice=1&table=JADE&ligneDeb=1 * 25 CE 10 juillet 1995, Association Un Sysiphe, n°162718. http://www.legifrance.gouv.fr/WAspad/Visu?cid=118274&indice=1&table=JADE&ligneDeb=1 |
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