L'attitude des états de la CEMAC face au conflit de Bakassi et ses effets sur l'institution( Télécharger le fichier original )par Sali Aliyou Université de Dschand - D E A 2008 |
Paragraphe II: Une priorité non à la résolution des conflitsLa CEMAC comme son nom l'indique est une communauté d'intégration économique et monétaire. Elle n'est qu'une institution d'intégration économique qui, à défaut de les exclure, renvoie au second plan les objectifs d'intégration politique51(*). C'est ce qui explique que la priorité de la CEMAC ne soit pas la résolution des conflits contrairement par exemple à l'Union Africaine ou à la Communauté Economique et Douanière de l'Afrique de l'Ouest, qui ont intégré dans leurs objectifs prioritaires la résolution des conflits. Nous ferons donc une étude comparée de la CEMAC successivement avec l'Union Africaine (A) et avec la CEDEAO (B) dans le but de mieux comprendre l'attitude des Etats de la CEMAC. A- La CEMAC et l'Union AfricaineL'Acte constitutif de l'Union Africaine fut adopté lors du sommet des chefs d'Etat et de gouvernement africains des 6 au 12 juillet 2000 au Togo. L'institution ainsi créée s'inscrit dans la perspective du renforcement de la résolution des conflits en Afrique52(*). Prenant ainsi acte de l'incapacité de l'OUA à proposer des solutions opérantes et crédibles pour sortir le continent de l'insécurité et reconnaissant que « le fléau des conflits en Afrique constitue un obstacle au développement (...) »53(*), les signataires du Traité instituant l'UA ont placé les questions de la prévention, de la résolution et de la gestion des conflits au coeur de leur projet de renaissance politique africaine54(*). Le défi que l'UA s'est fixé démontre clairement que l'objectif prioritaire de la nouvelle institution est la résolution des conflits en Afrique. C'est d'ailleurs ce que relevait un auteur. Ce dernier affirmait à cet effet que : « la résolution de la problématique des conflits est un aspect important sur lequel se joue la crédibilité de l'Union Africaine »55(*). Pour atteindre ses objectifs, l'UA s'est dotée d'un conseil de paix et de sécurité (CPS)56(*) en remplacement du mécanisme de prévention, de gestion et de règlement des conflits de l'OUA. Le passage de ce mécanisme au conseil57(*) permet d'observer l'engagement politique nouveau de l'UA face à la problématique des conflits. L'Union Africaine, comme sa devancière (l'OUA) est une institution à vocation régionale ou africaine contrairement à la CEMAC qui à l'instar de la CEDEAO sont des organisations plus restreintes et qui ont une vocation sous régionale. B- La CEMAC et la CEDEAOLa CEDEAO et la CEMAC sont des organisations de même nature et de niveau équivalent non seulement elles sont nées presque au même moment, mais aussi et surtout elles ont les objectifs similaires à savoir, l'intégration économique et monétaire. La CEDEAO a été créée dans le but de promouvoir la coopération économique et l'intégration entre les Etats membres. Avec le déclenchement des conflits en Afrique de l'Ouest, la CEDEAO va se fixer un nouvel objectif : celui de la résolution des conflits dans la sous région car convaincu qu'aucun développement économique ne pourra se réaliser effectivement dans un environnement d'insécurité et d'instabilité58(*). Autrement dit la CEDEAO a pour objectif essentiel l'intégration économique de ses quinze membres. Cependant, le climat d'insécurité qui prévaut dans cette sous région59(*)a poussé les Etats membres, conscients de la « corrélation étroite entre les objectifs de développement économique et un environnement de sécurité et de stabilité », à réagir pour ne pas mettre en péril ces objectifs60(*). De même les résultats obtenus dans la voie du développement économique peuvent facilement être compromis par l'instabilité de la sous-région. C'est la raison pour laquelle la CEDEAO a élevé au rang de ses objectifs la résolution des conflits. Elle a mis sur pied à cet effet, à Banjul le 23 au 24 juillet 1998, un mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité. Ce mécanisme comme son nom l'indique, est chargé de la sécurité et de la stabilité dans la sous-région. Ce mécanisme trouve une base juridique à travers le traité constitutif de la CEDEAO, notamment son article 58 relatif à la sécurité sous régionale, le protocole de non agression (ANAD) signé le 22 avril 1978 à Lagos, le protocole d'assistance mutuelle en matière de défense signé à Freetown le 29 mai 1981. L'ensemble de ces textes qui lient les Etats membres constituent le cadre juridique qui préside à la création du mécanisme avec pour objectif principal de permettre le développement du rôle politico-militaire de la CEDEAO61(*). C'est donc conformément à ces instruments juridiques que le mécanisme de la CEDEAO a été mis en oeuvre. Les conflits pris en compte par la CEDEAO sont de deux ordres : les conflits mineurs et les conflits majeurs. Pour les premiers, il s'agit des différends d'ordre politique, frontalier ou de prise de position par les leaders politiques, pour les seconds, il s'agit des conflits ethniques ou des implosions sociales ou politiques62(*). Pour atteindre leur objectif, les Etats de la CEDEAO ont créé une force armée multinationale, l'ECOMOG dont l'une des principales missions est le maintien de la paix. L'ECOMOG est une force opérationnelle qui a joué un rôle fondamental dans la résolution des nombreux conflits sous-régionaux.63(*) Instrument militaire de l'institution, L'ECOMOG intervient aussi bien en cas de conflit armé à l'intérieur d'un Etat membre orchestré et soutenu de l'extérieur et susceptible de compromettre la paix et la sécurité de l'ensemble de la communauté, qu'en cas de conflit entre deux ou plusieurs Etats membres et après échec des tentatives de règlement pacifique64(*). L'ECOMOG peut-il intervenir dans les conflits frontaliers à l'instar du conflit de Bakassi ? Nous pensons que la réponse est positive, car à la lecture des dispositions du mécanisme, on se rend compte que le critère prépondérant retenu pour une intervention est la menace à la paix et la sécurité sous-régionale. La force multinationale de la CEDEAO est chargée de la gestion collective de la sécurité sous régionale65(*). La CEDEAO fait donc recours à l'ECOMOG pour la gestion et le règlement des conflits dans la sous région, mais en cas de conflits armés, la CEDEAO aura recours à d'autres instruments notamment l'appel à des missions d'intervention politique et militaire étrangères. Par leur nature, la CEDEAO est comme la CEMAC, un organe essentiellement économique, mais à la différence de la deuxième, la première est complétée par un dispositif politique concrétisé par la signature d'un pacte de défense et de non agression66(*) et a élaboré un mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité. Cette dimension politique lui permet de servir de lieu au règlement des conflits dans la sous région. L'absence d'un mécanisme similaire dans la CEMAC a pour corollaire la prolifération par de nombreuses crises qui affaiblissent davantage la communauté d'où la nécessité d'une prudence pendant le conflit de Bakassi. SECTION II : UNE PRUDENCE LIEE A LA FAIBLESSE DES ETATS DE LA CEMAC L'adoption d'une position d'abstention pendant le conflit de Bakassi se justifierait aussi par la faiblesse des Etats de la CEMAC. En effet, l'institution communautaire était caractérisée de nombreuses crises. Il fallait donc être prudent, car il devenait risqué de prendre position dans un conflit aux enjeux énormes. Les Etats de la CEMAC étaient affaiblis non seulement par de nombreuses crises (paragraphe I) mais aussi par le leadership naturel du Nigeria (paragraphe II) Paragraphe I: L'affaiblissement des Etats de la CEMAC par de nombreuses crises Les Etats de la CEMAC sont comme la plupart des Etats de l'Afrique, déchirés par de nombreuses crises qui affaiblissent la communauté. La totalité des pays de la sous- région sont victimes de ces crises qui peuvent faire échec à toute politique d'intégration67(*). L'insécurité, créée par ces crises, recouvre en Afrique Centrale des contours multiformes selon les pays, avec pour point commun, néanmoins, l'extrême préoccupation qu'elle engendre partout68(*). Les Etats de la CEMAC sont victimes de nombreuses crises tant politiques (A) que sociales (B). * 51 Mouangé Kobila (J), Cours de droit institutionnel de la CEMAC, non publié, 1ère année de doctorat, FSJP, Université de Douala et de Dschang 2006-2007 p.5. * 52 Yero Ba (A), « Fléau des conflits et défi sécuritaire en Afrique » In RJPIC, n° 1, 55e année, janvier-avril, 2001, p.24. * 53 V. L'Acte constitutif de l'Union Africaine. * 54 Fogué Tedom (A), « L'Union Africaine face au défi titanesque de la prévention, du règlement et de la gestion des conflits », In Juridis périodique, n° 75, janvier-aout-septembre 2008, p.77. * 55 Ibid. p.78. * 56 Le protocole qui crée le conseil de paix et de sécurité fut adopté par la première session ordinaire de la conference de l'Union Africaine du 9 juillet 2002 à Durban en Afrique du Sud. Il est devenu officiel le 26 décembre 2003.Le CPS a été inauguré finalement le 25 mai 2004, lors de la « journée africaine » organisée à Addis-Abeba en Ethiopie. * 57 Pour les objectifs du conseil de paix et de sécurité, voir l'article 3 du protocole du 9 juillet 2002. * 58 Préambule mécanisme de prévention, de gestion et de règlement des conflits, de maintien de la paix et de sécurité de Banjul du 23-24 juillet 1998. * 59 Notamment au Libéria, en Guinée-Bissau et en Sierra Leone. * 60 Yéro Ba (A), Op.Cit p.20. * 61 Yéro Ba (A), Op.cit, p.21. * 62 Amonao Kataka (M-S), Le nouveau mécanisme de prévention des conflits de la CEDEAO, Rapport de stage IRIC, 1999p.1. * 63 En Sierra Léone en 1998, au Libéria en décembre 1989-avril 1991. * 64 Confert mécanisme de Banjul de 1998. * 65 Amonao Kataka (M-S), Op.Cit p.2. * 66 Sako (F), La CEDEAO et le règlement des conflits de la sous région : le cas du Libéria, décembre 1989-avril 1991, Rapport de stage diplomatique IRIC, Yaoundé, juin 1991pp. 20-21. * 67 Mbarga Nyatte (D), « La dynamique intégrative en Afrique Centrale : perspectives et limites de la CEMAC » in dynamiques d'intégration en Afrique Centrale, Tome 1, Presses Universitaires de Yaoundé, novembre 2001, p. 363. * 68 L'action n° 163 du 29 février 2000 P.3. |
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