I -1 Problématique
La stigmatisation des personnes atteintes de certaines
maladies n'est pas un phénomène nouveau. L'histoire nous apprend
que l'apparition d'une maladie est toujours le plus souvent accompagnée
de sentiment de rejet des malades au sein de la société. Ce fut
le cas pour la variole, la lèpre, l'épilepsie et aujourd'hui, le
SIDA (Zacks et al.2006). Ce sentiment qui est aussi ressenti par les malades
eux-mêmes entrave le traitement et la prévention de nouvelles
infections (Green, 1995). Il existe aujourd'hui une littérature assez
diversifiée sur la stigmatisation des patients atteints de certaines
maladies comme la schizophrénie, l'épilepsie, le SIDA et leur
adhérence au traitement. Ertugul et al. (2004) rapportent que les
patients schizophréniques qui se sentent stigmatisés ont plus de
symptômes de dépression. Lee et al. (2005) quant à eux
montrent que la stigmatisation cause l'anxiété et la
détresse chez les schizophrènes. Dans une étude sur
l'association entre la stigmatisation et la santé mentale, Lai et al.
(2000) soutiennent que la stigmatisation a des effets négatifs sur
l'auto estime des schizophrènes. De plus, ces malades se referment sur
eux-mêmes, limitant ainsi leur chance d'accès à l'emploi.
Une étude psychiatrique réalisée par Sirey et al. (2001)
trouve qu'une bonne adhérence aux traitements était
associée à une faible stigmatisation des patients
dépressifs. Des études menées auprès des
épileptiques révèlent que la stigmatisation dont sont
victimes ces malades seraient un obstacle majeur à leur adhérence
aux traitements antiépileptiques (Buck et al. 1997; Paschal et al.
2005).
Au Pakistan, Mull et al. (1989) trouvent que 30% des 18 000
épileptiques ne suivent pas leur médication. En recherchant plus
en profondeur les raisons de ce refus d'adhérence à la
médication, les auteurs se rendent compte que près de la
moitié des non-adhérents nie tout simplement d'être
malades. Au fait, le refus de reconnaître sa maladie est une
stratégie pour les patients de ne pas affronter la stigmatisation
liée à l'épilepsie au sein de la population. De leur
côté, Ulrich et al. (1993) trouvent que les femmes
épileptiques sont moins adhérentes que les hommes. Leurs
investigations montrent que les femmes épileptiques sont plus
stigmatisées que les hommes et c'est ce qui justifierait cette
différence en matière d'adhérence.
Dans le domaine du SIDA, les recherches prouvent que les
malades du SIDA souffrent de discrimination et de stigmatisation où
qu'ils soient dans le monde mais, on n'a
11 pas encore recensé tous les effets possibles de
cette stigmatisation sur le comportement des personnes vivant avec le SIDA
(Green, 1995). Une étude ethnographique menée auprès des
enfants et adolescents au Brésil par Ernesto et al. (2006)
révèle que la stigmatisation décourage les jeunes à
rechercher des soins lorsqu'ils sont testés positifs au SIDA. Toujours
par peur d'être stigmatisés, ces jeunes refusent de s'engager dans
des campagnes de sensibilisation contre le SIDA.
Utilisant aussi une approche ethnographique, Rebecca et al.
(2004) trouvent que la stigmatisation empêche les femmes
séropositives au VIH de rechercher des soins ou de l'aide. Ces
dernières préfèrent garder leur statut de peur
d'être stigmatisées ou d`être chassées de leur
emploi. Le fait d'être stigmatisé ou de se percevoir
stigmatisé peut empêcher des malades de chercher des soins ou de
demander de l'aide qui pourrait contribuer à l'amélioration de
leur qualité de vie (Edwards, 2006). Dans son étude qualitative
auprès des femmes Afro Américaines souffrant de SIDA, Edwards
(1996) vient à l'évidence que la peur d'être
stigmatisée est la cause principale de la non adhérence aux
traitements.
A travers ces quelques études, on peut comprendre que
l'association entre la stigmatisation et l'adhérence est possible.
Cependant, le chemin causal par lequel la stigmatisation influence
l'adhérence est encore peu exploré. La plupart des études
que nous avons consultées utilisent une approche descriptive, ce qui
n'apporte pas la preuve d'une association causale; elles mettent plutôt
en évidence des corrélations.
Mais, il faut aussi ajouter que la majorité des
recherches sur le Stigma ont porté sur l'attitude du grand public en
général, laissant ainsi de côté le point de vue des
malades concernés qui font l'expérience de la stigmatisation dans
leur quotidien.
Dans un continent comme l'Afrique où le SIDA est encore
entouré d'idées préconçues, vivre avec le SIDA est
toute une épreuve pour les sidéens, ce qui peut même les
décourager de suivre toute thérapie pour leurs soins de
santé. Il paraît donc urgent d'étudier quel effet peut
avoir la stigmatisation des personnes vivants avec le VIH (PvVIH) en Afrique
sur leur adhérence aux traitements Anti Rétro Viraux (ARV) dans
un contexte où le déficit mondial en matière de traitement
du SIDA constitue une urgence sanitaire de portée mondiale. Au fait,
Plus de 40 millions de personnes vivent aujourd'hui avec le VIH/SIDA, dont 95%
dans les pays à ressources limitées (Malta et al. 2005 ; ONUSIDA
2004). Selon l'ONUSIDA (2004), au moins 6 millions d'entre elles souffrent
d'une pathologie associée au VIH à un stade avancé et ont
besoin d'un traitement antirétroviral (ARV). De ces 6 millions
12 de personnes, 4,1 millions vivent en Afrique au sud du
Sahara, où la quasi-totalité des États souffrent d'une
carence de systèmes de santé et où il est difficile de
bénéficier de prévention, de soins et d'un traitement
adéquat. Jusqu'à la fin de l'année 2001, moins de 4% des
personnes ayant besoin d'un traitement antirétroviral dans les pays en
développement recevaient le traitement et moins de 10% des personnes
vivant avec le VIII (PvVIII) avaient accès aux traitements palliatifs
contre les infections opportunistes liées au VIII (Malta et al. 2005).
Au nom de l'urgence sanitaire, la communauté internationale s'est
mobilisée pour aider les pays en voie de développement à
lutter contre cette pandémie.
Il convient de souligner que c'est l'annonce faite a la
Xè conférence de Vancouver en 1996 sur l'efficacité des
multithérapies antirétrovirales utilisant les protéases,
qui a suscité chez certains militants du droit à la santé,
responsables de santé publique et donateurs privés, une prise de
conscience militante en faveur de la diffusion de ces progrès
thérapeutiques en Afrique. Ainsi, en septembre1997 s'est ouvert à
Dakar au Sénégal, une consultation scientifique qui a permis de
définir les pré-réquis à la diffusion des
traitements antirétroviraux et de préciser les protocoles
thérapeutiques. En décembre de la même année,
quelques chefs d'États et de gouvernements réunis à
Abidjan en Côte - d'Ivoire lors d'un sommet sur le SIDA et les MST
apportent leur appui politique en annonçant la mise en oeuvre prochaine
de programmes de traitements antirétroviraux dans plusieurs pays
africains.
Le Sénégal est le premier pays de l'Afrique
subsaharienne à mettre en place dès 1998 un programme public de
distribution de médicaments antirétroviraux (ARV). Il sera suivi
au courant de la même année par l'Ouganda et la
Côte-d'Ivoire dans le cadre spécifique de « l'Initiative
ONUSIDA pour un meilleur accès aux médicaments », avec le
soutien technique de l'ONUSIDA (Ndoye et al.2002). Le Burkina-Faso leur
emboîte le pas en 1999 (Vinh-Kim et al.2003).
Si dès le départ, le scepticisme entourant la
question de l'accès aux traitements antirétroviraux en Afrique
était lié à la question financière car, pour les
décideurs et les bailleurs de fonds qui se basaient sur les analyses de
certains économistes qui prétendaient que le traitement par les
ARV était susceptible d'engloutir la totalité du budget de
santé de certains États, aujourd'hui la question scientifique
majeure n'est plus tant économique mais, est centrée plutôt
sur l'adhérence ou l'observance aux traitements ARV. En effet, dans une
perspective d'optimisation des stratégies thérapeutiques et de
lutte contre l'échec thérapeutique, les recherches et les actions
visant à améliorer l'observance des traitements de
13 l'infection par le VIH connaissent de plus en plus un
développement important en particulier depuis l'émergence des
multithérapies (Barber, 2002 ; Benjaber et al. 2005 ; Bungener et al.
2001 ; Casalino, 2005 ;Delpierre et al. 2003 ; Spire et al. 2004 ; Valentin,
2005 ; Volberding et al. 1998 ). Bien que des progrès notables aient
été enregistrés dans le traitement du VIH, des
barrières pour le succès à long terme persistent.
Aujourd'hui, on est unanime sur le fait qu'une adhérence maximale des
patients au traitement est nécessaire pour garantir l'efficacité
thérapeutique et arrêter le développement de la maladie (Ow
Fong et al. 2003 ; Valentin, 2005). Malheureusement, on constate que
l'adhérence aux traitements ARV reste inachevable pour certaines PvVIH
(Volberding et al. 1998). Les médecins sont régulièrement
confrontés à la difficulté du suivi de leurs prescriptions
ou « adhérence » au traitement. Une récente
étude de Vinh-Kim et al (2003) montre que les efforts du gouvernement
Burkinabé pour faciliter l'accès aux ARV n'ont pas suffi pour
augmenter l'adhérence à un niveau suffisamment
élevé.
Qu'est ce qui peut justifier le fait que malgré les
efforts des soignants et même parfois la connaissance des risques
encourus en cas de mauvaise adhérence au traitement, les PvVIH
persistent à ne suivre qu'une partie de la prise en charge ? Pourquoi en
dépit de tout, des PvVIH continuent de se mettre dans une situation de
danger, parfois au risque de leur vie ?
La plupart des études sur la question
d'adhérence aux traitements ont été
réalisées dans les pays développés (Menzies et al.
1993 ; Ow Fong et al. 2003). Cependant, leurs résultats sont
généralisables dans les autres parties du monde. La plupart de
ces études (Gordillo et al. 1999 ; Haynes et al. 2002 ; Hinkin et al.
2004 ; Lanièce et al. 2003 ; Nemes et al, 2004) soutiennent que
l'adhérence des patients aux traitements est un phénomène
complexe et peut se situer au niveau des interactions entre les facteurs
liés au patient ou entre les facteurs liés au traitement (Ow Fong
et al. 2003). Mais au plan analytique, plusieurs auteurs (Castro, 2005 ; Knobel
et al. 2000 ; Malta et al. 2005) soutiennent que l'adhérence aux
traitements ARV est déterminée par une conjonction
d'éléments situés dans le système de santé
(infrastructure sanitaire, mécanismes de financement y compris les
frais, qualité des relations entre le patient et le personnel soignant ;
conservation des médicaments) ; le capital social (support du
réseau social, statut social, le manque de domicile fixe ou
l'incarcération) ; les facteurs socioéconomiques (guerre,
violence politique, coût des médicaments, manque de revenu,
coût du transport, coût du manque à gagner suite aux
déplacements pour aller s'approvisionner en médicaments) ; les
conceptions culturelles de la santé et de la maladie
14 (sur l'étiologie et la transmission, sur le
personnel soignant, sur l'efficacité et la toxicité du
médicament, sur le type de soin) ; les caractéristiques
personnelles (âge, sexe et genre, le groupe ethnique, l`éducation,
la religion, la profession), les facteurs psychologiques ( l'estime de soi et
la motivation, les conditions morales suite à la maladie), les facteurs
cliniques (l'immunologie et le stade clinique du VIII/SIDA, l'occurrence et la
sévérité des infections opportunistes, la grossesse ou
l'allaitement, la symptomatologie au début du traitement, les effets
secondaires désirables et indésirables) ; le régime
antirétroviral (nombre de médicaments à prendre par
régime et par jour ; la composition thérapeutique des
régimes de médicaments).
Selon le peu de littérature qui existe sur le sujet,
l'association entre la stigmatisation et l'adhérence aux traitements ARV
n'a pas encore reçu une attention particulière. Quelques auteurs
des sciences sociales, anthropologues pour la plupart (Desclaux, 2002 ; Vidal
2002 ; Ouattara 2002 ; Micollier 2002) l'ont mentionné dans leurs
études sans en faire une analyse particulière. Pourtant, il
serait intéressant de s'y attarder surtout en ce qui concerne le VIII /
SIDA dans la mesure où la stigmatisation associée à cette
maladie est particulièrement destructrice parce qu'elle affecte le plus
souvent les individus et les groupes de la société les plus
pauvres et les plus vulnérables. Pour la plupart, ces individus ou
groupes subissent déjà une exclusion et une discrimination. Au
niveau de la société, la stigmatisation peut conduire au silence
et au refus de reconnaître l'existence du VIII / SIDA et d'y faire face.
Cette situation renforce l'ignorance et la peur, favorise les
préjugés, laissant ainsi libre cours aux comportements à
risque et permettant aux attitudes hostiles de se perpétuer. La
stigmatisation est aussi la meilleure façon de réduire au silence
et d'exclure les partenaires fondamentaux dans la réponse au
fléau du VIII / SIDA.
L'objectif de la présente étude est de
décrire la stigmatisation chez les PvVIII et d'examiner les liens entre
l'adhérence aux traitements Antirétro-Viraux chez les PvVIII et
la stigmatisation. Au fait, il serait pertinent de comprendre en premier lieu
les déterminants de la stigmatisation car, est un concept abstrait et on
ne peut agir directement sur elle pour la diminuer. Le moyen adéquat
pour y parvenir serait d'agir plutôt sur ses déterminants.
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