v « Passer l'interview »
Un jour, parce qu'on est « des gens à la
moitié du chemin » (neeg tog kev), on se décide
à « passer l'interview » (HASSOUN,
1983 : 14), à savoir se mettre en quête d'un visa
délivré par un des pays tiers dont les représentants sont
présents dans le camp. Comment choisir ? Vers quelle destination
inconnue se tourner ? Peut-on réellement choisir ?
On savait qu'on ne pouvait pas revenir au Laos... Toutes
les ambassades de France, d'Australie, du Canada, des USA nous ont
interviewés pour savoir si on voulait venir dans leurs pays... On a
choisi la France... (témoignage de K.T.)
Je suis resté 3 ans dans le camp, je me suis
marié et j'ai eu un enfant. J'avais un oncle en France. C'est pour
ça qu'on a choisi la France... (témoignage de H. T.)
Il semblerait, selon le premier témoignage, que le
réfugié ait eu un choix à faire : en
réalité, il ne pouvait prendre la direction des pays anglo-saxons
en raison de sa polygamie ; dans le second cas, nous sommes en
présence d'un rapprochement familial facilité par la
possibilité de donner l'adresse d'un parent déjà
installé. Cela octroie une priorité dans la sélection des
partants. A titre secondaire, on retient aussi la connaissance de la langue
française ou anglaise, ou les anciens services rendus par ceux qui ont
travaillé avec les Français ou les Américains. Par
exemple, le père de Teng CHIENG était militaire au Laos, aux
côtés des Français, à l'époque du
protectorat. Il explique ainsi son départ pour la France :
« L'Ambassade a vu que je peux venir en France,
parce que nous avons des choses qui nous rapprochent des
Français ».
En réalité, les réfugiés ne
choisissent pas le pays d'accueil car ils sont toujours prêts à
tenter l'expérience d'une insertion dans le premier pays qui accepte de
leur donner asile (CONDOMINAS, 1982 : 176).
L' « ailleurs » vers lequel ils ont
décidé de se diriger est toujours associé à un
mieux-être économique et politique (HASSOUN, 1997 : 49).
Pourtant, contrairement aux membres des autres
nationalités, les tribus montagnardes enregistrent le taux de
réinstallation le plus bas. De 1980 à 1983, 8 854 membres de ces
tribus sont partis pour un pays tiers, contre 99 277 Cambodgiens, 36 422
Vietnamiens et 33 818 Laotiens des basses terres. Cela tient essentiellement au
fait qu'elles constituent une société très soudée,
dominée par un esprit de clan. Les membres de la tribu se conforment
généralement aux décisions des chefs de clan, quelles
qu'elles soient. Dans les camps, ils continuent d'exercer une autorité
dans un cadre similaire à celui du village d'origine au Laos. La
réinstallation impliquerait la dispersion des membres de la tribu et
mènerait, dans un cadre étranger, à l'affaiblissement de
l'autorité des anciens sur leurs proches (NA CHAMPASSAK, 1984 :
15).
Le départ est encore un moment douloureux pour
différentes raisons, car « la migration politique est
celle qui laisse le moins de place au projet » (HASSOUN,
1997 : 81). De plus, outre l'appréhension du voyage - on prend
l'avion pour la première fois - et la peur de l'inconnu, on quitte des
membres de sa famille qui n'ont pu ou pas voulu obtenir un visa : un homme
doit parfois abandonner l'une de ses femmes pour pouvoir accepter une offre de
réinstallation (ROBINSON, 1990). On laisse sur place les amis que l'on a
eus. La promiscuité et les souffrances partagées, ainsi que les
moments de bonheur vécus dans l'enceinte du camp, tout cela a fait
naître ou renforcer des amitiés. Et c'est tout ce passé que
l'on abandonne, une fois de plus, pour une vie
nouvelle « sab ntuj teb nraum no »,
c'est-à-dire « de l'autre côté du
monde » (HASSOUN, MIGNOT, 1983 : 14).
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