INTRODUCTION GENERALE
I- L'OBJET DE LA RECHERCHE
L'affaire de la frontière terrestre et maritime entre
le Cameroun et le Nigéria arrive devant la Cour internationale de
Justice au moment le plus chaud de la crise militarodiplomatique qui les
opposait depuis le 16 Mai 1981, jour de l'incident le plus
mémorable1. En effet, c'est par une requête
introductive d'instance enregistrée au greffe de la Cour le 29 mars
19942 par l'ambassadeur du Cameroun à la Haye3 que
cet « organe judiciaire principal des Nations Unies
»4 a été saisi pour la première fois.
La requête introductive d'instance du Cameroun était
adressée contre le Gouvernement de la République
fédérale du Nigéria, et portait «
esssentiellement sur la question de la souveraineté sur la
presqu'île de Bakassi »5. La République du
Cameroun fondait alors la compétence de la C.I.J sur les
déclarations par lesquelles les deux Parties avaient accepté la
juridiction de la Cour conformément au paragraphe 2 de l'article 36 de
son statut.
A ce moment, il était question pour la Cour de dire
lequel des deux Etats était habilité d'après le droit
international à excercer sa compétence sur cette presqu'île
pétrolifère . Mais vu l'aggravation de la situation qui,
d'après le Cameroun, avait pris depuis fin 1993, la forme d'une
aggression permanente du Nigéria sur son territoire, ce dernier va
joindre une requête additionnelle au greffe de la Cour. Cette seconde
requête arrive le 06 juin 1994 et vise l'élargissement de l'objet
du différend. Désormais, il était demandé à
la Cour de resoudre « la question de la souveraineté sur une
partie du territoire camerounais dans la zone du Lac Tchad » et de
« préciser définitivement la frontière entre les
deux Etats du Lac Tchad à la mer »6.
1 Voir Z. NGNIMAN, Nigeria Cameroun la guerre permanente ?
, Yaoundé, Editions CLE, 1996, p. 50.
2 voir C.I.J, arrêt du 10 Octobre 2002, affaire de la
frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria
(Guinée Equatoriale intervenant), p.13, paragraphe.1
3 Il s'agit de S.E.Mme Isabelle BASSONG qui adressait cette
requête pour le compte de l'Etat du Cameroun le 28 mars 1994. Celle-ci
désignait comme agent Me DOUALA MOUTOME qui était alors Ministre
de la justice garde des Sceaux, et comme coagents MM. Maurice KAMTO et YANA
Peter NTAMARK, tous professeurs de Droit.
4 Voir Article 92 de la Charte des Nations Unies .
5 Voir C.I.J , arrêt du 10 Oct 2002 , op.cit., paragraphe
1.
6 Voir C.I.J , arrêt du 10 Oct 2002 précité,
paragraphe 3.
Dès lors, la Cour avait devant elle la demande globale
du Cameroun que l'on peut qualifier de « recours en reconnaissance de
souveraineté » dans la zone du Lac Tchad et dans la
presqu'île de Bakassi, et en «fixation définitive de la
frontière » du Lac Tchad à la mer7.
Après une procédure particulièrement
longue8, marquée le 15 mars 1996 par une ordonnance indiquant
les mesures conservatoires en vertu de la lettre camerounaise du 10
février 1996 et confomément à l'article 41 du statut de la
C.I.J, et marquée aussi par l'arrêt du 11 juin 1998 par lequel la
Cour s'est déclarée compétente pour connaître du
fond du différend en rejetant les exceptions préliminaires du
Nigéria, c'est finalement le 10 octobre 2002 que la Cour va rendre son
verdict tant attendu.
A cet effet, c'est cette décision qui constitue la
matière première de notre travail. Parce qu'il s'agira pour nous,
de rechercher la structure du raisonnement de ladite Cour dans son travail de
précision définitive de cette frontière. Il est alors
question non plus de réécrire l'arrêt, mais, d'essayer de
comprendre le processus intellectuel qui a permis à la C.I.J de vider sa
saisine. Cela etant, nous resterons limités à la seule
frontière terrestre ; objet de notre étude. Cette
frontière terrestre comprend trois principaux secteurs : la
presqu'île de Bakassi et la zone du Lac Tchad
qui constituent les zones culminantes des revendications entre les
deux Etats ; et le reste de la frontière terrestre allant du Lac
Tchad à Bakassi, etant donné qu'au-delà de cette
péninsule9 commence la partie maritime qui n'entre pas dans
le champ de notre étude. Mais précisons déjà que
c'est la frontière terrestre qui constitue la majeur partie de
l'arrêt10. Une telle étude n'étant pas
facilement abordable, une délimitation du sujet s'impose.
II- DELIMITATION DU SUJET
Nous commencerons par définir le cadre spatio-temporel
(A), avant d'esquisser un éclairage conceptuel (B).
7 L'agent du Cameroun précisera le 14 juin
1994 que cette requête additionnelle n'était qu'un amendement
à la requête initiale (cf. C.I.J, arrêt du 10 oct 2002
op.cit., paragraphe 5). La Cour acceptera par une ordonnance du 16 juin 1994
(cf. C.I.J, arrêt du 10 oct 2002 paragraphe 6)
8 Introduite le 29 mars 1994, c'est le 10 octobre 2002
que la Cour internationale de Justice va rendre sa décision. Soit
après huit années de procès.
9 L'expression péninsule désigne une
presqu'île très étendue. Elle est souvent employée
pour désigner la presqu'île de Bakassi.
10 La partie relative à la zone du Lac Tchad
fait 23 pages ( cf. arrêt, pp. 43-66 ) , le reste de la frontière
terrestre fait 31 pages (cf. arrêt, pp. 66-97 ), tandis que la partie
relative à la presqu'île de Bakassi fait 16 pages de l'arrêt
( cf. arrêt, pp. 97-113 ). Au total, les développements de
l'arrêt relatifs à la frontière terrestre font 70 pages
disportionnellement reparties, contre 31 pages seulement pour la
frontière maritime ( cf. arrêt, pp. 114-145 ).
NB : Cet état des choses justifie énormement
le déséquilibre dont souffre les parties de notre travail.
A- LE CADRE SPATIO-TEMPOREL
Le cadre spatial de cette étude ne pose pas de
problème. En effet, suivant l'intitulé même de notre sujet,
il est question d'examiner avec la C.I.J le trajet que suit la ligne
frontière Cameroun/Nigéria du Lac Tchad juqsu'à la
presqu'île de Bakassi. Il s'agit alors de l'espace terrestre de la
frontière entre le Cameroun et le Nigéria.
En ce qui concerne le cadre temporel, il faut reconaitre que
les questions de frontière entre ces deux Etats du Golfe de
Guinée prennent naissance dans l'histoire11. Mais dans le
cadre de ce travail, nous partirons du 10 octobre 2002, jour du prononcé
de la décision, jusqu'à nos jours. C'est à partir de cette
date que l'on connaît les droits et obligations de chacun de ces Etats
sur les parties frontalières jadis querellées. Il serait donc
interressant de savoir ce que la C.I.J a fait de la frontière, base de
la sécurité juridique internationale12. Sans
négliger le détour historique nécessaire pour comprendre
la pertinence des accords coloniaux applicables et appliqués.
B- ECLAIRAGE CONCEPTUEL :
Nous convenons avec MBGALE MGBATOU13 que c'est
à travers la précision du contenu de certaines notions
essentielles que le sociologue accède à une meilleure
intelligibilité du travail scientifique. Le juriste n'échappe pas
à cette logique. Aussi essayerons-nous de circonscrire les notions
clés de notre thème.
1- La frontière :
En reprenant la définition doctrinale donnée par
Jean BASDEVANT dans le dictionnaire de la terminologie du droit international,
Laurent ZANG14 définit la frontière comme «
une ligne déterminant où commencent et où finissent
les territoires relevant respectivement de deux Etats voisins ». De
cette définition, il ressort que la frontière implique une
limite, une ligne de séparation de deux territoires étatiques
voisins. D'autres auteurs15 la
11 A cause de l'indifférence frontalière longtemps
entretenue par l'Administration coloniale britannique qui assimilait les deux
peuples sous sur contrôle avant 1960. Cf. C.I.J, arrêt du 2
décembre 1963, affaire du Cameroun septentrional..
12 Le professeur Narcisse MOUELLE KOMBI voit même en
elle un élément fondamental de l'Etat à côté
de la souveraineté. « la frontière permet aux
Etats d'exister. Sans frontières, il n'y a pas de droit international
». In « Séminaire de droit international public
approfondi », dispensé en D.E.A, F.S.J.P, U-DLA, année
académique 2003-2004, inédit.
13 H. MGBALE MGBATOU, « La politique camerounaise de
résolution pacifique de la crise de Bakassi », Thèse de
3è cycle Doctorat, soutenue à l'I.R.I.C en Juillet 2001, p.
29.
14 Professeur Laurent ZANG est internationaliste à
l'IRIC de Yaoundé. Il tient ce propos dans un article intitulé
« Les frontières en Afrique centrale : Barrières, Limites ou
Ponts ? », paru dans le N° 1155 du journal Mutations du lundi 24 mars
2004.
15 C. BARBIER, A. DAVEAU, et Alii, Dictionnaire des
relations internationales au 20e siècle, Paris,
Armand Colin, 2000, p. 105.
définissent comme une « ligne juridique qui
marque les limites de l'Etat et de sa compétence territoriale
». Et d'après la Cour internationale de Justice: «
une frontière internationale est la ligne formée par la
succéssion des points extrêmes du domaine de validité
spatiale des normes de l'ordre juridique d'un Etat »16.
Ces définitions jurisprudentielle et doctrinale seront retenues. Elles
permettent de mieux rendre compte de jusqu'où s'étendent et
s'arrêtent désormais les compétences territoriales et les
ordres juridiques du Nigéria et du Cameroun sur ces zones jadis
querellées.
Bien qu'elle puisse être considérée
à plusieurs points de vue : «point de vue géographique,
linguistique, économique, juridique, culturel, et politique»
comme l'a si bien souligné Romain YAKEMTCHOUK17, la
frontière en droit international est d'abord une construction
géographique. Elle vise à séparer les espaces territoriaux
de deux Etats voisins. Cette approche dite « stato-centrique
»18 est beaucoup plus illustrative dans la mesure
où elle complète mieux la définition jurisprudentielle.
Précisons néanmoins qu'il s'agira uniquement de la
frontière terrestre entre les deux Parties.
2- Terrestre
L'adjectif terrestre est défini par le dictionnaire de
la langue francaise19 comme ce qui est « relatif à
la planète terre, ce qui se fait sur le sol ». Un autre
dictionnaire20 le définit par rapport au ciel pour dire qu'il
s'agit de ce qui est relatif : « au milieu où vit l'homme ; la
terre ». Dès lors la frontière terrestre mérite
une importance capitale en droit international puisqu'elle marque la limite
entre deux espaces habités par des populations relevant de deux Etats
souverains.
En fait l'adjectif terrestre renvoie nécessairement au
territoire ; élément constitutif de l'Etat en droit
constitutionnel comme en droit international public. Mais contrairement aux
autres espaces aérien et maritime qui constituent le territoire de
l'Etat, seul l'espace terrestre est plus concret. Les populations de l'Etat y
vivent et y exercent leurs activités sous le contrôle d'une
Administration au service du Gouvernement dudit Etat. La frontière
terrestre étant ainsi définie, il faut maintenant s'interroger
sur ce que c'est que sa délimitation, sa démarcation, et son
abornement.
16 Cf. Affaire Guinée-Bissau/Sénégal ; in
R.G.D.I.P, 1990, p. 253.
17 R. YAKEMTCHOUK , « Les frontières africaines
», R.G.D.I.P, N° 1, 1970, p. 28.
18 Voir MGBALE MGBATOU , thèse ,op.cit., p.30.
19 Dictionnaire de la langue francaise, Maxi-poche,
références, 1995, p. 450.
20 Dictionnaire Le Petit Robert 1, les dictionnaires Le
Robert, Paris, 1985, p. 1949.
3- Délimitation, Démarcation, et
Abornement d'une frontière
En principe, et d'après les définitions
ci-dessus, la frontière en elle même ne pose pas problème.
Ce sont plutôt les différentes phases de son élaboration
qui sont généralement sources de vives contestations entre les
Etats. Ces phases sont trois et méritent d'être définies. -
Le mot délimitation est un subtantif venant du verbe
délimiter qui veut dire définir les limites. Elle s'entend
surtout en matière de frontières internationales comme un
processus de fixation des limites d'un territoire. Si pour Charles
ROUSSEAU21 elle veut simplement dire: « la
détermination de la frontière », pour d'autes
auteurs22 elle signifie « une opération juridique et
politique qui fixe l'étendue spatiale du ou des pouvoirs
étatiques ». Ainsi définie, la délimitation
d'une frontière est l'opération préalable de sa mise en
place. Elle permet de determiner la volonté politique des Etats dans
l'élaboration de leur frontière commune; d'où son origine
généralement conventionnelle et exceptionnellement
jurisprudentielle. Pour la Cour internationale de Justice, « la
délimitation d'une frontière consiste en sa «
définition », tandis que la démarcation d'une
frontière, qui présuppose la délimitation préalable
de celleci, consiste en son abornement sur le terrain.
»23. Cette définition jurisprudentielle confirme
l'antériorité de la délimitation sur la démarcation
et l'abornement, sans toutefois distinguer ces deux autres
opérations.
- La démarcation quant à elle
est une opération plus pratique. Elle consiste à traduire en
termes concrets sur le sol, les grandes lignes de la délimitation. Elle
est « une opération technique d'exécution qui reporte
sur le sol les termes d'une délimitation établie
»24.
- L'abornement d'une frontière est une
opération plus technique encore. Il s'agit ici de rendre la
frontière plus palpable en y implantant des bornes. En fait c'est «
la phase terminale consistant à matérialiser la
frontière sur le terrain par des repères convenus ( bornes,
piquets, etc. ) »25.
Que faudra t-il alors entendre par la frontière
terrestre entre le Cameroun et le Nigeria d'après la Cour internationale
de Justice? Avant de répondre à cette question, dégageons
d'abord le sens de « d'après » .
21 Ch. ROUSSEAU, Droit international public,
Paris, Dalloz, 5e édition, p. 161.
22 N.QUOC DINH , P. DAILLIER, A. PELLET, Droit
international public, Paris, L.G.D.J, 7e édition, p.
466.
23 Cf. arrêt, p. 69, par. 84. Voir aussi,
affaire du Différend territorial ( Jamahiriya arabe libyenne/Tchad ) (
C.I.J. Recueil 1994, p. 28, par. 56 ).
24 N. QUOC DINH et Alii, op. cit., ibid.
25 Ibidem.
4- D'après
Le Petit Robert 1 définit cette locution
prépositive comme « conformément à, selon,
suivant »26. Il sera alors question ici de revisiter la
ligne de séparation des territoires terrestres camerounais et
nigérian selon le verdict de la C.I.J du octobre 2002 et
conformément à celuici. C'est le cheminement adopté par la
Cour et le résultat auquel elle est parvenue qui justifient
l'intérêt de notre travail.
III- INTERET DU SUJET
L'étude de la frontière terrestre entre le
Cameroun et le Nigéria est certainement un sujet intéressant
à plusieurs égards. En fait, l'identification du titulaire de la
souveraineté sur les zones litigieuses du Lac Tchad et de la
presqu'île de Bakasssi était tellement préoccupante pour
ces deux Etats frères du Golfe de Guinée en particulier, et pour
la stabilité du continent africain en général, qu'il nous
paraît judicieux d'y revenir aujourd'hui après que la C.I.J a
rendu son verdict. Notre sujet apparaît dès lors comme cette
«mine d'or »27 qu'il convient au chercheur
d'explorer pour y déceler un intérêt heuristique (A) et un
intérêt pratique (B).
A- L'INTERET HEURISTIQUE
En restant lié à la demande du Cameroun devant la
Cour, il semble qu'au plan épistémologique l'intérêt
heuristique de notre étude est duale.
Il est question d'un intérêt sur l'analyse que la
C.I.J a faite de la demande ambiguë du Cameroun28, et
l'intérêt d'une réflexion autour des paradigmes de la
délimitation et de la démarcation de la frontière. En
effet, vu la prégnance historique des textes juridiques
évoqués par le Cameroun29 et par le
Nigéria30 devant la Cour, et compte tenu de l'ampleur du
26 Dictionnaire Le Petit Robert 1, op.cit., p. 91.
27 l'expression est du professeur Narcisse MOUELLE
KOMBI, in « Séminaire de D.I.P.A », op.cit.
28 Cette demande est ambiguë parce qu'elle est
contenue dans deux requêtes. Celle du 29 mars 1994 qui portait
exclusivement sur la question de la souveraineté sur la presqu'lle
de Bakassi, et celle du 06 juin 1994 portant exclusivement sur la
question de la souveraineté sur une partie du territoire camerounais
dans la zone du lac Tchad et dans laquelle le Cameroun demandait à
la cour de préciser définitivement la frontière entre
les deux Etats du Lac Tchad à la mer.
29 Le Cameroun puisait l'essentiel de sa plaidoirie
sur les traités coloniaux relatifs à sa frontière
terrestre avec le Nigeria:
- la déclaration franco-britannique du 10 juillet 1919
- la déclaration Thomson-Marchand du 29 Décembre
1929 et 31 Janvier 1930
- l'échange des lettres du 09 janvier 1931
- l'accord germano-britannique d'Obokum du 12 avril 1913
- la section 61 du Nigeria in order britannique du 02 août
1946
- l'accord germano-britannique du 11 mars 1913
Voir à cet effet les conclusions écrites du
Cameroun, C.I.J, Arrêt du 10 oct 2002, op.cit., p.24, paragraphe 26.
« différend »31 qui les
opposait sur cette question de frontière les installant même dans
une logique de «guerre permanente »32, il est
apparu pressant de savoir quelle est la frontière terrestre que la Cour
a retenue entre le Cameroun et son Voisin le plus géant33, et
le plus présent à la frontière34. De
même, il nous fallait étudier le sort qu'a réservé
la Cour au principe de l'intangibilité des frontières
héritées de la colonisation << uti possidetis juris
» consacré par les Etats africains ( y compris le Cameroun et
le Nigéria)35, face aux notions d'effectivité
territoriale et d'acquiescement invoquées par le Nigéria. La
frontière terrestre ainsi précisée par la C.I.J comportait
et comporte alors un intérêt pratique indéniable.
B- L'INTERET PRATIQUE
Comme le soulignent plusieurs auteurs36 et
même la Cour internationale de Justice37, la fixattion d'une
frontière <<engage l'avenir ». C'est une
façon de mettre fin aux nombreuses contestations inhérentes
à l'imprécision sur la ligne de séparation des
sphères de compétence relevant de deux Etats voisins. Il est
alors question d'arrêter une <<solution stable et
définitive» afin de mettre fin aux éventuelles
revendications de souveraineté sur le territoire d'un autre Etat. C'est
dans cette logique stabilisante des relations camerouno- nigérianes que
réside l'intérêt pratique de notre étude.
Etant donné que la Cour internationale de Justice rend
des solutions impartiales sur les différends dont elle est
saisie38, et considérant surtout que l'opération de
précision de la frontière à laquelle devrait se livrer la
Cour avait une importance majeure puisqu'elle devait rétablir «
la paix », restaurer « l'indépendance »
ou la souveraineté de l'un ou de l'autre Etat dans les zones
contestées, et garantir « la sécurité »
des échanges internationaux dans cette
30 Le Nigeria pour sa part ne reconnaissait que quelques uns de
ces textes ; ou même seulement quelques sections:
- paragraphes 3-60, déclaration Thomson-Marchand
confirmée par l'échange de lettres du 09 janvier 1931
- paragraphes 13-21 , accord de démarcation anglo-allemand
du 12 avril 1913
- Articles XV à XVII, traité anglo-allemand du 11
Mars 1913
Voir à cet effet, C.I.J, Arrêt du 10 oct 2002,
op.cit., p. 27, paragraphe 26.
31 Voir D. RUZIE, Mementos de Droit International
public, Paris, Dalloz, 16e édition, 2002, p. 260.
32 Z. NGNIMAN, Nigeria Cameroun la guerre
permanente?, op.cit.
33 P.H. GAILLARD, Le Cameroun, Paris,
l'harmattan, tome 2, 1989, p.198 ; cité par MGBALE MGBATOU, thèse
de doctorat, op. cit, p. 36. Le Nigeria est aussi « la plus grande
colonie britannique de l'Afrique occidentale ».Voir à cet
effet, C. BARBIER, A. DAVEAU, et Alii, op. cit., p. 40.
34 La frontière avec le Nigeria étant la
plus longue de toutes les frontières camerounaises ( 1700km selon T.L
WEIS in « Migration et conflit» cité par MGBALLE MGBATOU, idem
.
Et 1600 km d'après Zacharie NGNIMAN, op.cit., p. 7.
35 Voir la résolution AGH 16-I de l'O.U.A, le
Caire, juillet 1964. In R. YAKEMTCHOUK, << les frontières
africaines », R.G.D.I.P, op. cit, p. 55.
36 N. QUOC DINH, P. DAILLIER, A. PELLET, idem.
37 Voir C.I.J, différend territorial
Libye-Tchad, rec.1994, p. 37.
38 Voir ABC des Nations Unies, New-York, 2001,
p. 300.
zone d'Afrique, il nous semble que l'interêt pratique de
notre étude est assez justifié. Au total, l'arrêt du 10
octobre 2002 devait nous informer sur l'Etat titulaire de la
souveraineté dans la zone contestée du Lac Tchad et dans la
presqu'île pétrolifère de Bakasssi39 et
parallèlement sur le sort des populations de ces zones. Encore que cette
décision est «définitive et sans recours
»40. L'intérêt de notre étude
étant si vaste, sa compréhension ne pourra s'établir
qu'à travers l'élaboration d'une problématique
appropriée.
IV- LA PROBLEMATIQUE DE L'ETUDE
Comme le souligne Michel BEAUD, « la
problémaatique est une composante essentielle dans le travail de
préparation de la thèse. C'est l'ensemble construit, autour d'une
question principale, des hypothèses de recherche et des lignes d'analyse
qui permettront de traiter le sujet choisi »41. Il est
alors question pour nous de dégager, dans la même vision que
MGBALE MGBATOU42, un ensemble d'interrogations qui gravitent autour
du problème scientifique central qu'est la frontière terrestre
entre le Cameroun et le Nigéria conformément à
l'arrêt de la Cour internationale de Justice du 10 octobre 2002.
Avant l'élaboration d'une problématique, il faut
quand même partir d'une hypothèse. En principe, c'est
l'imprécision du tracé des frontières africaines
héritées de la colonisation qui justifie le présent
contentieux. L'idée de départ est alors qu'il existe
effectivement une frontière internationale séparant les deux
Etats en conflit. Le Cameroun et le Nigéria, tous exterritoires des
puissances coloniales européennes43 ne sont devenus des Etats
au sens du droit international qu'après leur accession à
l'indépendance les 1er Janvier 1960 et 1er Octobre
196044 respectivement. Le Cameroun précèdera encore
son «grand voisin »45 dans l'admission aux
Nations Unies46. Mais l'important étant qu'ils
accéderont à l'indépendance
39 Voir ABC des NationsUnies, idem.
40 Voir Article 60 du Statut de la C.I.J
41 M. BEAUD, l'art de la thèse, Paris,
La Découverte,1997, P.32.
42 Voir MGBALE MGBATOU, op.cit., P.7
43 Le Cameroun, contrairement au Nigeria n'a jamais
véritablement connu la colonisation. Ex-protectorat allemand depuis
1884, il est devenu un territoire sous mandat franco-britannique de la S.D.N
après la defaite de l'Allemagne à la prémière
guerre mondiale en 1919. A l'issue de la deuxième guerre mondiale en
1945, il devient un territoire sous tutelle des Nations Unies, et toujours
administré par les mêmes puissances. Quant au Nigeria, il n'aura
connu que l'administration britannique depuis l'époque coloniale
jusqu'à l'independance.
44 Voir C.IJ, arrêt du 10 oct 2002, op.cit.,
p.40, paragraphe 35.
45 Le Nigéria a une superficie de 928 000
km2 contre seulement 475 422 km2 pour le Cameroun (voir
également R. YAKEMTCHOUK ; Op.cit., P. 38)
46 Le Cameroun est admis à l'O.N.U le 20 Septembre 1960
soit neuf mois après son indépendance. Tandis que le Nigeria
devient membre de l'O.N.U le 07 Octobre 1960, soit environ une semaine
seulement après son accession à la souveraineté
internationale. Voir à cet effet, ABC des Nations Unies, op.cit.,
pp .331-333.
dans le cadre des frontières héritées de
« la période antérieure »47 ;
frontières dont ils proclameront avec leurs pairs de l'O.U.A,
l'intangibilité48 en 1964.
Dès lors, le travail de détermination, mieux
encore, de «précision définitive de la frontière
terrestre » demandé par le Cameroun à la Cour, suscite
une question fondamentale : Quelle est la nature de la frontière
terrestre entre le Cameroun et le Nigeria selon la Cour internationale de
Justice? A côté de cette interrogation principale, gravitent,
d'autres non moins importantes. Notamment, auquel des deux belligérants
profite la délimitation historique de cette frontière terrestre
dans les zones querellées, selon l'interpretation de la
Cour49? En bref, il est question pour nous de savoir quels sont les
supports juridiques et la consistance de cette délimitation. De
même peut-on s'interroger sur la valeur pratique de cette
délimitation dans le développement des relations
bilatérales entre ces deux Etats, et dans le développement du
droit international tout court. Encore faudra-t-il savoir si cette
délimitation peut être facilement opérationnalisable. Le
corps d'interrogations relatives à notre sujet déjà
défini, il nous convient maintenant de préciser les
méthodes et les grands axes par lesquels nous y parviendrons.
V- DES METHODES UTILISEES A L' EXPOSE DU PLAN
Avant l'exposé du plan (B), nous esquisserons d'abord les
méthodes de notre travail (A).
A- LES METHODES UTILISEES
Madeleine GRAWITZ50définit la méthode
comme « l'ensemble des opérations intellectuelles par
lesquelles une discipline cherche à atteindre des vérités
qu'elle poursuit, les démontre et les vérifie ». Dans
le cadre de notre travail, nous avons procédé à une
collecte des données dont la toute première a été
l'obtention d'un exemplaire de l'arrêt du 10 octobre 2002. Ensuite, nous
avons collecté d'autres documents51 dans la limite de nos
posssibilités afin de mûrir la réflexion sur l'objet de
notre étude.
47 Voir C.I.J, arrêt du 10 octobre 2002, idem. Voir aussi
R. YAKEMTCHOUK « les frontières africaines »,
R.G.D.I.P, N° 1, 1979 , p. 55.
48 Voir la résolution AGH 16-I de l'O.U.A
précitée, in R. YAKEMTCHOUK , op.cit., p. 55.
49 Puisque la Cour précise qu'elle
n'opère pas à une délimitation de novo, de même
qu'elle ne démarque pas la frontière. Mais qu'elle
interprète simplement les textes applicables. Cf. arrêt, p. 69,
par. 84-85.
50 M. GRAWITZ, Méthodes des Sciences Sociales,
Paris, Dalloz, 1979, p. 34.
51 voir à cet effet, notre modeste bibliographie.
En tout état de cause, une thèse comme tout
travail de recherche doit contribuer, même si c'est pour une part
modeste, à l'amélioration, à l'élargissement ou
à l'approfondissement de la connaissance dans le domaine qu'elle
concerne52. A ce sujet il faut reconnaître que, si plusieurs
opuscules sont déjà parus concernant la question de la
frontière CamerounNigéria53, peu se sont
véritablement occupés jusqu'à présent de la
question de la détermination de cette frontière terrestre,
notamment depuis l'arrêt de la C.I.J du 10 octobre 2002 et à la
lecture de celui-ci54.
Nous avons néanmoins reperé deux travaux non
moins importants parus après le 10 octobre 2002 et commentant
l'arrêt. Il s'agit tout d'abord de l'article de Pierre D'ARGENT
intitulé « Des frontières et des peuples : l'affaire de
la frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigeria
(arrêt sur le fond) »55 où l'auteur, dans une
quarantaine de pages, résume rapidement l'arrêt en
dégageant sommairement un aperçu et des enseignements multiples
relatifs au droit des traités, à la souverainété
territoriale et à la responsabilité internationale. Cette
contribution de M. D'ARGENT permet à la fin de comprendre qu'à
travers la coopération entre les deux Parties, et l'engagement pris
unilatéralement devant la Cour par le Cameroun pour la protection des
populations nigérianes, l'arrêt pourra être facilement
exécuté. Ce travail ne met donc pas l'accent sur la
délimitation de la frontière terrestre telle
qu'interpretée par la Cour ; encore moins sur son applicabilité
profonde.
Il ya ensuite le brillant article de NSONGURUA J. ODOMBANA
dont le titre seul est révélateur du mécontentement
nigérian face à cette décision: « The ghost of
Berlin still haunts Africa! The ICJ judgement on the land and maritime boundary
dispute between Cameroon and Nigeria»56. En 58 pages,
l'auteur nigérian commence par rappeler le contexte, et la
procédure suivie par les Parties en conflit. Ensuite il expose
brièvement la décision de la Cour dont il trouve vite des failles
et des faiblesses. Après s'être interrogé sur l'eventuelle
attitude de chacun des Etats face à cette décision, M. NSONGURUA
donne plutôt des conseils aux Parties pour l'application de
l'arrêt. Il ne finit pas sans rappeler le noeud du problème qui
selon lui réside dans l'inadaptation actuelle des traités
coloniaux aux frontières africaines. C'est donc en terme d'indignation
que le juriste nigérian s'exclame devant cette
52 M. BEAUD, l'art de la thèse,
op.cit., p. 44. Le Docteur Janvier ONANA qualifie cette contribution de
«plus-value savante ». In « Séminaire de
méthodologie de la recherche. . . » en D.E.A, U-DLA, année
académique 2003-2004, inédit.
53 Voir à cet effet l'importante revue critique
de la littérature collectée par MGBALE MGBATOU in « La
politique camerounaise de résolution pacifique de la crise de Bakassi
», thèse, op.cit., pp. 11-20.
54 En dehors des nombreux commentaires journalistiques
effectués par divers organes de presse ; et compte non tenu des
commentaires et opinions des juges de la cour qui font partie de
l'arrêt.
55 In Annuaire Français de Droit
International, 2002, pp. 281-321.
56 In Annuaire Africain de Droit
International, Volume 10, 2002, pp. 13-61.
décision de la C.I.J qui veut que le fantôme de
Berlin continue à hanter l'Afrique 40 ans après les
independances57. Cette étude a le mérite d'avoir
soulevé les lacunes de l'arrêt qui peuvent flexibiliser son
application ; tout en encourageant également le Nigeria et le Cameroun
à s'entendre. Mais elle ne resout pas encore entièrement la
question de notre étude.
Notre recherche garde donc ainsi sa particularité et
son originalité. Certes, elle n'a pas la prétention
d'épuiser la question de la délimitation de la frontière
terrestre CamerounNigéria qui demeure encore d'une actualité
brûlante dans les relations bilatérales entre ces deux Etats.
Comme toute oeuvre humaine, elle est essentiellement perfectible, mais pourra
servir, nous l'esperons, à la compréhension entière de la
frontière terrestre de l'arrêt de la C.I.J du 10 Octobre 2002.
A cet effet, nous utiliserons la méthode analytique qui
nous permettra de comprende la lecture qu'a faite la Cour de certaines notions
clés et principes fondamentaux du droit international (des
frontières). A côté de celle-ci, nous mobiliserons
également la méthode historique qui nous facilitera des
détours jurisprudentiels dans le receuil d'arrêts de la C.I.J. Il
faut dire qu'à côté d'une analyse positiviste qui permet de
rendre compte de la pertinence des textes applicables et de la jurisprudence,
l'approche sociologique n'est pas moins importante dans la compréhension
et la mise en oeuvre éventuelle de cet arrêt. Ces méthodes
donneront une forte coloration descriptive à nos commentaires. Toutefois
nous y apporterons, dans la mésure du possible, un regard critique. La
méthode ayant été abordée, il ne reste plus
qu'à fixer les grands axes de notre étude.
B- L' ANNONCE DU PLAN
Notre travail sur la frontière terrestre entre le
Cameroun et le Nigéria à la lumière de l'arrêt de la
C.I.J du 10 octobre 2002 suivra alors une structuration bipartite. Il sera
question d'examiner d'abord les sources juridiques et la consistance
géographique de cette frontière au niveau des zones culminantes
des revendications nigéro-camerounaises ; on verra alors que cette
frontière terrestre est d'une délimitation conventionnellement
quasi favorable au Cameroun dans ces zones ( Ière Partie ). Ensuite nous
examinerons l'interpretation de la Cour sur le reste de la frontière, et
la portée jurisprudentielle de cette délimitation
frontalière; nous constaterons alors qu'il s'agit d'une frontière
terrestre d'une délimitation particulièrement ambiguë et
difficilement applicable ( IIème Partie ).
57 Ibid, p. 51.
UNE FRONTIERE TERRESTRE D'UNE DELIMITATION
CONVENTIONNELLEMENT FAVORABLE AU CAMEROUN DANS LES ZONES CULMINANTES
PREMIERE PARTIE :
La zone du Lac Tchad et la presqu'île de Bakassi sont
les secteurs essentiels de la frontière terrestre entre le Cameroun et
le Nigeria; zones culminantes où les revendications des deux Parties
étaient les plus accrues. Tandis que l'agent du Cameroun priait la Cour
de dire et de juger que la souveraineté sur ces secteurs était
camerounaise, le Nigeria faisait exactement la même demande dans sa
réplique. Or la C.I.J va faire droit aux revendications camerounaises au
détriment de celles de son vis-à-vis. La délimitation
retenue dans ces zones mérite alors d'être examinée
successivement dans la zone du Lac Tchad (chapitre 1èr), et
dans la presqu'île privilégiée de Bakassi (chapitre 2).
CHAPITRE I :
DANS LA ZONE DU LAC TCHAD : UNE DELIMITATION
FAVORABLE AU CAMEROUN
Bien que la question de la souveraineté dans la zone du
Lac Tchad ait été introduite dans le rôle de la C.I.J dans
une requête additionnelle du Cameroun, c'est bien par ce secteur de la
frontière terrestre que la Cour a commencé ses
développements. Certainement la Cour voulait-elle procéder
à une analyse descendante de la délimitation de cette
frontière terrestre allant du Lac Tchad au nord, à la
presqu'île de Bakassi au sud. A cet effet, compte tenu des multiples
revendications antithétiques des Parties dans ce « secteur de
la frontière » contenues dans les paragraphes 25, 26 et 27 de
cet arrêt58, la Cour s'est prononcée en faveur de la
République du Cameroun comme suit:
« LA COUR,
I. A) Par quatorze voix contre deux, décide que la
frontière entre la République du Cameroun et la République
Fédérale du Nigeria dans la région du Lac Tchad est
délimitée par la déclaration Thomson-Marchand de 1929 -
1930, telle qu'incorporée dans l'échange de notes
Henderson-Fleuriau de 1931.59
I. B) Par quatorze voix contre deux, décide que le
tracé de la frontière entre la République du Cameroun et
la République Fédérale du Nigeria dans la zone du Lac
Tchad est le suivant :
A partir d'un tripoint situé dans le Lac Tchad par
14° 04'59 `' 999 de longitude est et 13°05' de latitude nord, la
frontière suit une ligne droite jusqu'à l'embouchure de la
rivière Ebedji, située par 14°12'12'' de longitude est et
12°32'17''de latitude nord, pour ensuite rejoindre en ligne droite la
bifurcation de la rivière Ebedji, en un point situé par
14°12'03'' de longitude est et 12°30'14'' de latitude nord
»60.
Cet extrait du dispositif de l'arrêt est assez illustratif.
Il va de la précision des textes
juridiques applicables à la fixation de la
frontière sur les points litigieux confirmant ainsi la
58 Voir les demandes et conclusions des Parties dans
l'arrêt, pp. 19-36.
59 Voir dispositif de l'arrêt du 10 octobre
2002, p.145, paragraphe 325.
60 Ibid., p. 146, paragraphe 325.
position camerounaise ; tout en rejetant la non moins pertinente
argumentation nigériane basée sur la consolidation historique du
titre et l'acquiescement du Cameroun61.
Bien qu'il ne fasse pas expressément allusion à
une reconnaissance de la souveraineté camerounaise dans cette zone, le
dispositif de l'arrêt de la C.I.J est favorable au Cameroun à
travers la lecture pertinente des textes historiques applicables (section 1),
et aussi à travers la négation des thèses
nigérianes (section 2).
SECTION 1 : LA LECTURE PERTINENTE DES TEXTES
JURIDIQUES APPLICABLES
La lecture pertinente des textes juridiques applicables
à la délimitation de la frontière terrestre dans la zone
du lac Tchad a été matérialisée par la Cour
à travers la précision des points litigieux (II) ; en passant par
la présentation historique de ces textes (I).
I- LA PRESENTATION HISTORIQUE DESDITS TEXTES : DE LA
DÉCLARATION FRANCO-BRITANNIQUE (MILNER/SIMON) DU 10 JUILLET 1919 A
L'ECHANGE DE NOTES HENDERSONFLEURIAU DU 09 JANVIER 1931.
Comme le note la Cour, les principaux instruments pertinents
aux fins de déterminer le tracé de la frontière terrestre
entre les Parties62 ressortent des «divers accords (qui)
furent conclus par l'Allemagne, la France et la Grande-Bretagne pour
délimiter les frontières de leurs territoires coloniaux
respectifs, à la fin du XIXe et au début du XXe
siècle» 63. Toutefois, rappelons que la Cour a retenu, comme
le pensait le Gouvernement du Cameroun, que la frontière dans la zone du
Lac Tchad était fixée par la déclaration Thomson-Marchand
telle qu'incorporée dans l'échange de notes Henderson-Fleuriau.
Pour y parvenir elle a déroulé une page de l'histoire coloniale
du Cameroun et du Nigeria allant de la première guerre mondiale (A)
jusqu'à leur accession à l'indépendance (C), en passant
par la seconde guerre mondiale (B).
61 Voir arrêt du 10 octobre 2002, paragraphe
27.2 (a, b, c), pp. 34-35.
62 Paragraphe 32, arrêt du 10 octobre 2002, p.
39.
63 A l'origine il s'agit des frontières entre
puissances européennes en Afrique. La Cour parle alors de la : -
frontière entre la France et la Grande-Bretagne (convention
Franco-Britanique de 1906),
- frontière entre la République française et
l'Allemagne (convention franco- allemande de 1908 ).
A- APRES LA PREMIERE GUERRE MONDIALE : NAISSANCE DES
INSTRUMENTS PERTINENTS FIXANT LA FRONTIERE TERRESTRE64.
L'Allemagne ayant perdu la première guerre mondiale,
l'ensemble de ses possessions territoriales « ...dans la région
qui s'étendait du Lac Tchad à la mer, furent divisées
entre la France et la Grande-Bretagne par le traité de Versailles, puis
placées sous mandat britannique ou français par accord avec la
société des nations. ». Dès lors il était
devenu impérieux de fixer les limites séparant lesdits
territoires sous mandat. Ainsi sont nés la déclaration
Milner-Simon, la déclaration Thomson-Marchand et l'échange de
notes Henderson-Fleuriau.
1- La déclaration Milner-Simon
Elle est la matérialisation juridique du premier
accord auquel sont parvenues la Grande-Bretagne et la France dans la fixation
des limites les séparant du Lac Tchad à la mer. Comme l'indique
son intitulé, elle a été signée le 10 juillet 1919
par le Vicomte MILNER, secrétaire d'Etat aux colonies de la
Grande-Bretagne et Henry SIMON, ministre des colonies de la République
française. C'est en vue de la préciser que fut signée la
déclaration Thomson-Marchand.
2- La déclaration Thomson-Marchand
Elle a été signée le 29 décembre
1929 et le 31 janvier 1930 par Sir Graeme THOMSON, gouverneur de la colonie et
du protectorat du Nigeria; et Paul MARCHAND, commissaire de la
République française au Cameroun. Elle visait, comme le dit la
Cour, à « préciser le premier instrument ».
Elle est alors le second texte juridique applicable qui luimême a
été confirmé par un troisième ; l'échange de
notes Henderson-Fleuriau.
3- L'échange de notes Henderson-Fleuriau
On peut le qualifier de troisième instrument juridique
applicable à la délimitation de la zone du Lac Tchad. Mais cette
lecture peut être trompeuse. En effet ce texte semble beaucoup plus avoir
un caractère confirmatif que rectificatif. Passé le 09 janvier
1931 par A. DE FLEURIAU, ambassadeur de France à Londres, et Arthur
HENDERSON, ministre britannique des affaires étrangères,
l'échange de notes en question visait à approuver et à
64 Lire l'arrêt, p. 40, par. 34.
incorporer la déclaration Thomson-Marchand. Ces textes
historiques vont être maintenus après la deuxième guerre
mondiale.
B- A L'ISSUE DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE : MAINTIEN,
ET CONSECRATION ONUSIENNE DES ACCORDS TERRITORIAUX
FRANCOBRITANNIQUES65.
Après la deuxième guerre mondiale (1939-1945),
Il y a eu une restructuration de la société internationale sans
pour autant qu'il y ait négation des accords applicables dans la
délimitation des frontières entre la Grande-Bretagne et la France
en Afrique noire.
1- Comme le souligne la Cour, « les mandats
britannique et français sur le Cameroun furent remplacés par des
accords de tutelle dans le cadre de l'Organisation des Nations Unies
»66. Ceci veut dire qu'à partir de 1945, le
Cameroun était devenu un territoire sous tutelle de la France et de la
Grande-Bretagne. Cette situation du maintien du tandem colonial
franco-britannique a eu pour corollaire, le maintien des accords territoriaux
antérieurs. Il ne restait plus que l'Organisation des Nations Unies y
apporte son approbation.
2- La Cour souligne également que : « les
accords de tutelle pour le Cameroun britannique et pour le Cameroun sous
administration française furent tous deux approuvés par
l'Assemblée générale le 13 décembre 1946. Ces
accords se référaient à la ligne fixée par la
déclaration Milner-Simon ». Ce qui laisse croire que la Cour y
trouvait des bases juridiques internationalement solides pour la
détermination de la frontière terrestre entre le Cameroun et le
Nigeria, étant donné que leur accession à
l'indépendance s'est faite dans le strict respect de ces
frontières coloniales.
65 Lire l'arrêt, p. 40, par. 35.
66 L'O.N.U a été créée
par la conférence des Nations Unies pour l'Organisation internationale
à travers un instrument, appelé charte des Nations Unies,
signé à San Francisco le 26 juin 1945 et entré en vigueur
le 24 octobre 1945. Voir à ce sujet, Charte des Nations Unies et
Statut de la Cour internationale de Justice, Nations Unies, New York, juin
1998 ( notes préliminaires, p.iii )
C - A PARTIR DE 1960 : LA PERENNISATION DES TEXTES
COLONIAUX.
En effet le Cameroun et le Nigeria, comme plusieurs autres
Etats d'Afrique, accèdent à la souveraineté internationale
en 1960. Ils sont dès lors indépendants67. La Cour
note surtout le fait que ces accessions à l'indépendance se
faisaient « dans le cadre des frontières héritées
de la période antérieure » ; ce qui veut dire que les
Parties acceptent le « statu quo »68 territorial.
Après cet exposé plutôt cohérent
sur la genèse des instruments juridiques de délimitation de la
frontière terrestre dans le Lac Tchad, la Cour internationale de Justice
arrive aux mêmes conclusions que le Cameroun en affirmant leur
applicabilité sur les points litigieux.
II - LA PRECISION DES POINTS LITIGIEUX :
La difficulté dans la zone du Lac Tchad résidait
dans la fixation des coordonnées du tripoint et de l'embouchure de la
rivière Ebedji. Le Cameroun dans ses conclusions finales, priait la Cour
de dire et de juger que, dans cette région, la frontière entre
les deux Parties suit le tracé suivant : « Du point
désigné par les coordonnées 13°05' nord et
14°05' est, la frontière suit la ligne droite jusqu'à
l'embouchure de l'Ebedji, située au point de coordonnées
12°32'17» nord et 14°12'12» est, point défini dans
le cadre de la C.B.L.T69 et constituant une
interprétation authentique des déclarations Milner-Simon du 10
juillet 1919 et Thomson-Marchand des 29 décembre 1929 et 31 janvier
1930, confirmées par l'échange de lettres du 09 janvier 1931;
Subsidiairement l'embouchure de l'Ebedji est située au point de
coordonnées 12°31'12» nord et 14°11'48» est
» 70.
Quant au Nigeria, il priait la Cour de dire et de juger :
« - que la délimitation et la
démarcation proposées sous les auspices de la Commission
du Bassin du Lac Tchad, n'ayant pas été ratifiées par
le Nigeria, ne s'imposent pas à lui; que la souveraineté sur
les zones de la région du Lac Tchad définies au paragraphe 5.9 de
la
67 Voir la sentence Max Huber dans l'affaire de
l'île de palmes « La souveraineté dans les relations
entre Etats signifie l'indépendance. » ; (C.P.A, 4 avril 1928,
R.S.A, II, p.838) in N.QUOC DINH et Alii, op.cit., p. 424.
68 L'expression est de R. YAKEMTCHOUK, « les
frontières africaines », op.cit, p. 49.
69 Commission du Bassin du Lac Tchad.
70 Voir, arrêt, C.I.J, 10 octobre 2002, pp.
43-44, par. 40.
duplique du Nigeria et indiquées aux figures 5.2 et
5.3 en regard de la page 242 (...) appartient à la République
fédérale du Nigeria;
- qu'en tout état de cause, du point de vue
juridique, le processus qui s'est déroulé dans le cadre de la
commission du bassin du lac Tchad, et qui devait conduire à la
délimitation et la démarcation de l'ensemble des
frontières dans le lac Tchad, est sans préjudice du titre sur
telle ou telle zone de la région du lac Tchad qui revient au Nigeria du
fait de la consolidation historique du titre et de l'acquiescement du Cameroun
»71.
En dehors de l'analyse pertinente des instruments juridiques,
la Cour devait préciser la portée des travaux effectués
par la C.B.L.T (Commission du Bassin de Lac Tchad)72, dans sa
confrontation des différentes thèses en présence. Ainsi
nous examinerons tour à tour la délimitation de la
frontière terrestre au niveau du tripoint (A), et au niveau de
l'embouchure de l'Ebedji (B).
A - LA PRECISION DES COORDONNEES DU TRIPOINT
Avant d'arriver à la solution retenue par la Cour dans ce
secteur (2), il n'est pas superflu de rappeler, comme elle même le fait,
les argumentations des Parties (1).
1 - Le rappel des thèses en
conflit
- La thèse camerounaise reposait pour l'essentiel sur
les dispositions des instruments juridiques coloniaux applicables, sur les
travaux de la Commission du Bassin du Lac Tchad et sur l'attitude paradoxale du
Nigeria. Comme le souligne la Cour, pour le Cameroun la frontière dans
le Lac Tchad a été établie par la déclaration
Milner-Simon de 1919. Que conformément à la «
description de la frontière franco-britannique tracée sur la
carte (Moisel) du Cameroun, à l'échelle 1/300 000 »,
annexée à ladite déclaration, la frontière
partirait « du point de rencontre des trois anciennes
frontières britannique, française et allemande placé dans
le Lac Tchad par 13°05' de latitude nord et approximativement 14°05'
de longitude est de Greenwich ». Que la ligne frontière
établie par cette déclaration fut
71 Voir arrêt, C.I.J, 10 octobre 2002, p.44,
par. 40.
72 La C.B.L.T : Commission du Bassin du Lac Tchad a
été créée par une convention entre le Nigeria, le
Niger, le Tchad et le Cameroun, signée le 22 mai 1964. Initialement
vouée à la coordination des actions des Etats membres dans
l'utilisation des eaux du Bassin et à la résolution des
différends, sa compétence s'est étendue sur la question
frontalière suite aux incidents de 1983. (Voir arrêt, C.I.J, 10
octobre 2002, p. 41, par. 36.)
précisée par la déclaration Thomson-Marchand
de 1929-1930, dont le texte fut incorporé dans l'échange de notes
Henderson- Fleuriau de 193173.
Pour renforcer son argumentation, le Cameroun a
précisé que cette frontière a été
expressément reprise par l'accord de tutelle, pour le territoire du
Cameroun sous administration française, approuvé par
l'Assemblée générale des Nations Unies le 13
décembre 1946 et a été par la suite transmis «
lors des indépendances au Cameroun et au Nigeria par application du
principe de l'uti possidetis »74 . En effet le Cameroun
estimait que, le Nigeria ayant accédé à
l'indépendance dans le cadre des frontières
héritées de la colonisation, n'ayant jamais contesté
celles-ci avant la survenance des incidents frontaliers dans la zone du Lac
Tchad (d'avril à juin 1983), il ne pouvait plus renoncer à la
délimitation de cette frontière du simple fait qu'il n'avait pas
ratifié les résultats des travaux de démarcation de la
frontière opérée par la C.B.L.T, qui précisaient
les coordonnées du tripoint dans le Lac Tchad à
13°05'00»0001 de latitude nord et 14°04'59»999 de longitude
est.
- Face à cette analyse juridico dynamique, le Nigeria
va adopter une attitude fragilisante du droit frontalier colonial. Pour sa
part, l'Etat nigérian estimait que la déclaration
Thomson-Marchand de 1929-1930 n'avait pas fixé la frontière
anglo-française de manière définitive en ce qui concerne
le Lac Tchad, mais prévoyait qu'une commission de frontière se
chargerait de la délimitation75. En plus la partie
nigériane soulève l'imperfection de la déclaration de
Thomson-Marchand dans la délimitation de la zone du Lac Tchad. Le
Nigeria voit dans cet instrument un texte « essentiellement de nature
procédurale et programmatique ». Il fait également
valoir que l'adverbe << approximativement » utilisé
pour qualifier la position du tripoint à 14°05' de longitude est,
dans la <<description de la frontière franco-britannique
tracée sur la carte (Moisel) du Cameroun à l'échelle 1/300
000 » annexée à la déclaration Milner-Simon de
1919, signifiait que la frontière dans cette région
n'était pas encore entièrement délimitée. Et que
les instruments postérieurs n'auraient pas corrigé ces
imperfections76. A la fin, le Nigeria rejette l'argumentation
camerounaise fondée sur la qualité des travaux de la C.B.L.T au
motif qu'il ne les avait pas ratifiés. Les différentes
thèses sur la fixation du tripoint au Lac Tchad déjà
examinées, il faut maintenant voir ce qu'en a retenu la Cour.
73 Lire ces développements à la page 41,
par. 45 de l'arrêt.
74 Cf. arrêt du 10 octobre 2002, op. cit., p.
45, par. 42.
75 Cf. Arrêt, op. cit., p. 47, par. 45.
76 Voir arrêt, p. 47, par. 48.
2 - La solution de la Cour
Avant d'arriver à sa conclusion sur les
coordonnées du tripoint dans le Lac Tchad, la Cour a revisité les
instruments juridiques coloniaux et les travaux de la Commission du Bassin du
Lac Tchad.
- Pour ce qui est de la nature des instruments
applicables, la Cour rappelle : que les frontières coloniales
dans la région du Lac Tchad avaient fait l'objet, à la fin du
×I×e et au début XXe siècle, d'une série
d'accords bilatéraux entre l'Allemagne, la France et la Grande-Bretagne.
Après la première guerre mondiale, la Grande-Bretagne et la
France qui héritèrent des possessions allemandes
redéfinirent une nouvelle frontière à partir du Lac Tchad
à travers « la déclaration Milner-Simon de 1919 qui a
statut d'accord international. »77. Faisant une lecture
exhaustive du mandat conféré à la Grande-Bretagne par la
Société des Nations (S.D.N), la Cour conclue que « ces
dispositions ne laissent en aucun moment entendre que la ligne frontière
n'avait pas été délimitée dans sa totalité
»78. La Cour continue sa démonstration en
constatant que les deux puissances mandataires, bien qu'en n'ayant pas
procédé à une «délimitation sur le
terrain» dans le Lac Tchad, précisèrent
néanmoins l'accord Milner-Simon autant que faire se pouvait, à
travers une seconde déclaration signée en 1929-1930 par l'anglais
THOMSON et le français MARCHAND79. Cette déclaration
Thomson-Marchand sera incorporée dans « l'échange de
notes Henderson-Fleuriau de 1931 ». Et d'après les
déclarations de Fleuriau80 et de Henderson81, il
ne faisait plus aucun doute que la frontière dans la zone du Lac Tchad
avait déjà été délimitée. C'est
à cette solution que va parvenir la C.I.J ; après avoir reconnu
le statut d'accord international à la déclaration
Thomson-Marchand82.
- Ayant rappelé que les textes applicables ici sont des
accords internationaux, la Cour s'est penchée sur les
explications du Nigeria concernant le caractère « défectueux
» desdits textes et sur la valeur des travaux de la Commission du Bassin
du Lac Tchad83.
77 Voir arrêt, p. 48, paragraphe 48.
78 Lire le paragraphe 49 de l'arrêt, p. 49.
79 Arrêt, p. 50, par. 50.
80 Fleuriau, s'adressant à Henderson,
précisait que la déclaration Thomson-Marchand « est
destinée à donner à la description de la ligne que devra
suivre la commission de délimitation plus de précision que ne l'a
fait la déclaration Milner-Simon de 1919. » (Voir arrêt,
p. 50, par. 50).
81 Henderson, répondant à Fleuriau, dira
que « la ligne décrite dans la déclaration de 1929-1930
« définit en substance la frontière ». » ;
(Voir arrêt, par. 50).
82 Voir arrêt, p. 50, par. 50, in fine.
83 Voir arrêt, pp. 50-56, par. 51.
A cet effet la Cour a estimé que, contrairement
à l'argumentation du Nigeria, les Etats Parties de la C.B.L.T avaient
convoqué une session extraordinaire de celle-ci à la suite des
incidents de 1983. L'ordre du jour de cette session extraordinaire portait sur
deux questions: les « problèmes de délimitation des
frontières » et les «questions de
sécurité ». Mais que dans le rapport de cette session,
c'est surtout les expressions «démarcation» et «
sécurité » qui apparaissent84 ; encore
que ladite C.B.L.T se fonde sur « les divers accords et instruments
bilatéraux conclus de 1906 à 1931 entre l'Allemagne, la France et
la Grande-Bretagne. ».
- A la fin la Cour arrive à une solution favorable
au Cameroun.
En effet elle estime, comme l'exposait la Partie camerounaise,
que : « la déclaration Milner-Simon de 1919, ainsi que la
déclaration Thomson-Marchand de 1929-1930 incorporée dans
l'échange de notes Henderson-Fleuriau de 1931, délimitent la
frontière entre le Cameroun et le Nigeria dans la région du Lac
Tchad »85. Sans s'appuyer sur le défaut de
ratification par le Nigeria du rapport de la sous-commission de
démarcation de la C.B.L.T ; sans aussi confirmer d' «
authentique », l'interprétation des textes
opérée par celle-ci, la Cour arrive néanmoins aux
mêmes conclusions que la C.B.L.T dans la délimitation du tripoint.
Elle estime alors que « le tripoint se situe à
14°04'59»999 de longitude est, plutôt qu'à
'approximativement''14°05; et à 13°05' de latitude nord
»86.
Après avoir fixé le tripoint dans le Lac Tchad, la
Cour s'est livrée à la détermination de l'embouchure de la
rivière Ebedji.
B - LA FIXATION DE L'EMBOUCHURE DE L'EBEDJI
Plus que celle de la détermination du tripoint, la
question de l'embouchure de l'Ebedji a été un véritable
serpent de mer pour la Cour. Ici, le véritable problème reposait
sur le fait que : « sur la carte qui illustre la déclaration
franco-britannique fixant la frontière du Cameroun, jointe à
l'échange de notes de 1931...., l'Ebedji présente un chenal
unique débouchant dans le Lac Tchad juste au-delà de Wulgo
» 87. Or de nos jours, suite aux nombreuses
transformations du relief dans le Lac Tchad, ce cours d'eau se serait
divisé en deux chenaux. Un chenal oriental débouchant dans des
eaux n'appartenant pas à l'actuel Lac Tchad, et un chenal occidental qui
aboutirait à une zone marécageuse proche du rivage actuel.
84 Lire le paragraphe 53 de l'arrêt, p. 52.
85 Voir le paragraphe 55, in fine.
86 Cf. arrêt, p. 56, par. 57. Voir
également la page 146 du dispositif de l'arrêt. Voir aussi le
croquis n°1 de l'arrêt en annexe.
87 Cf. arrêt, p. 56, par. 58.
C'est sur l'un et l'autre de ces chenaux que s'articulent les
argumentations des Parties que nous présenterons (1), avant d'arriver
à la fixation retenue par la cour (2).
1- Le contenu des argumentations
camerouno-nigerianes
- Pour le Cameroun, la Cour était priée de
«dire et de juger que '' subsidiairement'',
l'embouchure de l'Ebedji est située au point de
coordonnées 12°31'12» nord et 14°11'48»est
». Le Cameroun estimait que, le chenal occidental auquel il se
réfère correspondait au
« chenal principal », vu le grand
débit des eaux et la profondeur de celui-ci. Pour appuyer sa
thèse, le Cameroun se referait à une jurisprudence de la C.I.J
dans l'affaire de l'île Kasikili/Sedudu (Botswana,
Namibie)88.
- Quant au Nigeria, il invoque le chenal oriental qui
est le plus long et qui selon lui la Cour doit retenir. A l'appui de son
exposé, le Nigeria se réfère à une sentence
arbitrale rendue le 9 décembre 1966 en l'affaire relative au Rio
Palena89. Après cette présentation sommaire des
positions des Parties, arriverons-en à la solution de la cour.
2- L'embouchure retenue : une embouchure unique
basée des coordonnées astronomiques.
En fait, la C.I.J a estimé qu'aucune des deux
argumentations ne pouvait être retenue pour la simple raison qu'il ne lui
appartenait pas de rechercher quel est le chenal de l'Ebedji à retenir,
mais plutôt de déterminer son embouchure exacte. Pour ce faire, la
C.I.J a interprété l'intention des parties signataires de la
déclaration Milner-Simon telle que confirmée et jointe à
l'échange de notes Henderson-Fleuriau de 1931. La Cour arrive à
la solution d'après laquelle, l'intention des Parties à
l'époque visait l'existence d'une seule embouchure. Dans une
conclusion quasi identique à celle de la C.B.L.T, la Cour estime que
« l'embouchure de la rivière Ebedji, telle que
mentionnée dans les instruments confirmés dans l'échange
de notes Henderson-Fleuriau de 1931 a pour coordonnées
14°12'12» de longitude est et 12°32' 17» de latitude nord.
»90.
A la fin, l'on constate que la frontière dans la zone
du Lac Tchad est essentiellement artificielle, parce que reposant sur les
données astronomiques. Bien que cette situation soit justifiée
par la lecture pertinente des textes applicables, le rejet des thèses
nigérianes y a aussi contribué.
88 Cf. C.I.J, recueil 1999, pp. 1064-1072, par.
30-4.
89 Cf. International law reports (ILR), vol. 38, p.
93-95. Voir aussi, arrêt, p. 57, par. 58.
90 Voir paragraphe 60 de l'arrêt, p. 57.
SECTION 2 : LA NEGATION DES THESES NIGERIANES
DE LA CONSOLIDATION HISTORIQUE DU TITRE ET DE L'AQUIESCEMENT DU
CAMEROUN
La C.I.J a nié la pertinence des arguments du Nigeria
basés sur une éventuelle consolidation historique de son titre
dans la zone du Lac Tchad, et sur un certain acquiescement du Cameroun à
sa souveraineté dans ladite zone. C'est pourquoi on peut qualifier ces
thèses de fantastiques parce qu'irréelles et extraordinaires
d'après la position de la Cour. Aussi, avant d'arriver à la
substance de son raisonnement (II), nous rappellerons le contenu des
prétentions des parties (I).
I- LES DIFFERENTES PRETENTIONS DES PARTIES :
C'est sur la consolidation historique du titre et sur
l'acquiescement du Cameroun que le Nigeria fondait sa souveraineté dans
la zone du Lac Tchad (A). Tandis que le Cameroun, comme toujours, se referait
aux dispositions pertinentes des accords internationaux fixant la
frontière dans cette zone (B).
A- UNE SOUVERAINETE NIGERIANE HISTORIQUEMENT
CONSOLIDEE ET ACQUIESCEE PAR LE CAMEROUN, D'APRES LE
NIGERIA91
Pour le Nigeria, sa souveraineté dans la zone du Lac
Tchad, notamment à DARAK et dans les 18 villages avoisinants, est un
fait historiquement situé. Cet état des choses serait donc
indiscutablement avéré. Cette souveraineté repose sur
« trois fondements s `appliquant à la fois
séparément et conjointement, et dont chacun se suffit à
lui-même :
« 1) une occupation de longue durée par le
Nigeria et par des ressortissants nigérians, laquelle constitue une
consolidation historique du titre;
2) une administration exercée effectivement par le
Nigeria agissant en tant que souverain, et l'absence de protestations;
3) des manifestations de souveraineté par le
Nigeria, parallèlement à l'acquiescement par le Cameroun à
la souveraineté du Nigeria sur DARAK et les villages avoisinants du Lac
Tchad. » .» .
91 Lire ces argumentations nigérianes au
paragraphe 62 de l'arrêt, pp. 57-62.
Et que, compte tenu du silence longtemps observé par le
Cameroun face aux actes d'administration par lui exercés, le Cameroun a
acquiescé à l'exercice paisible de la souveraineté
nigériane sur les localités en litige et, que cet acquiescement
constitue un élément très important du processus de
consolidation d'un titre. En fait, le juge ad hoc du Nigeria devant la Cour, le
nigérian Prince BOLA AJIBOLA y trouvait le seul critère de
détermination de la souveraineté dans cette zone; « The
boundary thus requires adjustments and clarifications which can only be taken
care of by effectivités and historical consolidation.
»92. Face à ces plaidoiries de la République
fédérale du Nigeria, le Cameroun n'est pas resté
indifférent.
B- UNE SOUVERAINETE CAMEROUNAISE
CONFORMÉMENT AU TITRE CONVENTIONNEL, SELON LA
PARTIE CAMEROUNAISE93
Pour la Partie camerounaise, les effectivités
évoquées par le Nigeria ne peuvent pas valoir consolidation
historique d'un quelconque titre de cet Etat sur la parcelle querellée,
et qu'elles ne doivent être considérées que comme : «
Un moyen auxiliaire au soutien de [ses] titres conventionnels ».
En somme, le Gouvernement du Cameroun estimait qu' « il n'a pas
à démontrer l'exercice effectif de la souveraineté sur
[ces zones contestées), un titre conventionnel valide prévalant
sur d'éventuelles effectivités contraires ».
A la fin, répondant à l'argument fondé
sur son éventuel acquiescement à l'exercice d'activités
souveraines par le Nigeria, le Cameroun précisera à la Cour qu'il
n'a jamais acquiescé à la modification de sa frontière
conventionnelle avec le Nigeria. Et que les autorités centrales du
Cameroun, une fois au courant des revendications nigérianes, avaient
réagi dans le cadre de la C.B.L.T et par le biais d'une note du
Ministère des affaires étrangères camerounais en date du
21 avril 1994.
Considérant la teneur des thèses
susmentionnées, et compte tenu de sa jurisprudence constante en la
matière, la Cour va rejeter l'argumentation du Nigeria en des termes
clairs.
92 Voir opinion dissidente de M. le Juge
AJIBOLA, p. 15, par. 48, in fine.
93 Voir le raisonnement du Cameroun à ce sujet,
dans l'arrêt, p. 62, par. 63.
II- LA TENEUR DU RAISONNEMENT DE LA COUR : LA
CONSOLIDATION HISTORIQUE DU TITRE ET L'ACQUIESCEMENT DU CAMEROUN ; DES
ARGUMENTS «CONTRA LEGEM »
En confrontant les deux thèses en conflit, la Cour
arrive à une solution très satisfaisante pour le Cameroun en ce
qu'elle nie toute valeur juridique à l'argument nigérian de la
consolidation historique du titre (A) et à celui fondé sur
l'acquiescement du Cameroun (B), qui n'ont aucun impact sur la
souveraineté dans cette zone qui appartient au Cameroun. La position de
la Cour ici mérite une attention minutieuse.
A - A PROPOS DE LA THÈSE DE LA CONSOLIDATION
HISTORIQUE DU TITRE94
D'après la Cour, cette notion de
«consolidation historique du titre» invoquée par le
Nigeria, « n'a jamais été utilisée comme
fondement d'un titre territorial dans d'autres affaires contentieuses, que ce
soit dans sa propre jurisprudence ou dans celle d'autres organes
juridictionnels >>. Cette notion ne saurait se substituer aux modes
d'acquisition de titre reconnus par le droit international, qui tiennent compte
de nombreux autres facteurs importants de fait et de droit. Rappelant sa propre
jurisprudence dans l'affaire des pêcheries (Royaume-Uni C.
Norvège)95, la Cour observe que la théorie de la
"consolidation historique" ne doit pas laisser entendre la
prévalence d'une occupation territoriale sur un titre conventionnel
établi.
Dans le but de préciser définitivement le
rapport juridique existant entre les « effectivités »
et les titres, la Cour se référera à nouveau à deux
de ses jurisprudences96. Elle estime alors que deux situations
doivent être distinguées : « Dans le cas où le
fait ne correspond pas au droit, où le territoire objet différend
est administré effectivement par un Etat autre que celui qui
possède le titre juridique, il y a lieu de préférer le
titulaire du titre. Dans l'éventualité où
«l'effectivité» ne coexiste avec aucun titre juridique, elle
doit inévitablement être prise en
considération.>>. C'est ainsi que sera amplement
invalidée la thèse nigériane des effectivités que
la Cour a jugée de « contra legem »
par rapport au titre
94 Les développements de la Cour sont contenus
ici au paragraphe 65, p. 63 de l'arrêt.
95 Voir arrêt, p. 63, paragraphe 65. Cf. aussi
(C.I.J. Recueil 1951, p. 130.)
96 Voir affaire du Différend frontalier
(Burkina Faso-République du Mali), C.I.J. Recueil, 1986, p. 587.
Et affaire du Différend territorial (Jamahiriya arabe
libyenne/Tchad), C.I.J. Recueil 1994, p. 75-76, par. 38)
conventionnel préexistant du Cameroun sur cette
région du Lac97. Cette position n'est pas très
éloignée de celle retenue par rapport à la question de
l'éventuel acquiescement du Cameroun.
B- A PROPOS DE LA QUESTION DE L'ACQUIESCEMENT DU
CAMEROUN98
La Cour, tout en reconnaissant d'après sa propre
jurisprudence qu'un acquiescement peut être déterminant à
une modification du titre conventionnel99, observe néanmoins
que face aux nombreuses effectivités nigérianes100,
les activités propres du Cameroun dans la zone du Lac Tchad ont une
incidence très limitée.
La Cour constate néanmoins que quelques actes
d'administration ont été effectués par le Cameroun dans
cette zone entre 1982 et 1985 dans dix huit villages y compris
DARAK101. Qu'à la fin, vu la réaction spontanée
du Gouvernement camerounais le 21 Avril 1994 à la note diplomatique
nigériane de revendication de souveraineté sur DARAK du 14 Avril
1994, et considérant enfin l'élargissement du différend
intervenu dans sa requête additionnelle du 06 juin 1994, <<. . .
le Cameroun n'a pas acquiescé à l'abandon de son titre sur la
région en faveur du Nigeria ».
En bref, à la lumière de toutes ces
démonstrations, la Cour arrive à la reconnaissance de la
souveraineté du Cameroun sur les localités situées
à l'est de la frontière102.
A la fin de l'examen de la frontière terrestre entre le
Cameroun et le Nigeria dans le secteur de la zone du Lac Tchad, nous constatons
que la Cour donne raison dans l'ensemble aux démonstrations juridiques
camerounaises. Elle montre également ainsi, son fort attachement aux
instruments internationaux intervenus dans cette région entre la
première guerre mondiale et l'accession des deux Parties à
l'indépendance. C'est sur la base de ces textes franco-britanniques que
le Cameroun jouit d'un titre juridique devant lequel les effectivités
nigérianes ne doivent que céder. Après l'examen de la
délimitation de la frontière terrestre dans la zone du Lac Tchad
qui consacre dans l'ensemble, les traités coloniaux et les
argumentations camerounaises, il convient à présent de nous
interroger sur la délimitation retenue par la Cour internationale de
Justice dans la presqu'île de Bakassi, où les revendications des
parties étaient beaucoup plus passionnées
encore103.
97 Voir arrêt, pp. 64-65, par. 68.
98 Lire les développements de la Cour à
ce propos aux paragraphes 67 à 70 de l'arrêt, pp. 64-66.
99 Cf. Différend insulaire et maritime ( El
Salvador / Honduras, Nicaragua ( intervenant ), C.I.J, Recueil 1992, pp.
408-409, par. 80.
100 Voir à cet effet, arrêt, p. 64, par. 67.
101 On peut même se demander pourquoi faire un tel constat,
dès lors que le principe de la primauté du titre juridique sur
les effectivités postérieures est acquis ?
102 Voir à cet effet, le croquis N°2 de la page 57 de
l'arrêt, en annexe.
103 Il faut souligner à cet effet que, c'est <<
la crise de Bakassi » qui a servi de tremplin à la saisine
entière de la Cour sur cette affaire de frontière terrestre et
maritime entre les Parties.
CHAPITRE II :
DANS LA ZONE DE BAKASSI : UNE DELIMITATION
INTEGRANT CETTE PRESQU'ILE EN TERRITOIRE CAMEROUNAIS.
Le problème de la crise de Bakassi est celui qui a le
plus fait couler d'encre dans la doctrine camerounaise104 et
nigériane, à cause certainement des enjeux économiques
importants105 qu'engendre la reconnaissance de la
souveraineté sur cette zone pour l'un ou l'autre Etat en conflit.
Dès lors, constituant << le principal site de tension entre le
Cameroun et le Nigeria »106 , la péninsule de
Bakassi fera l'objet de revendications chaudes et acharnées entre les
deux protagonistes. Et comme le souligne opportunément Monsieur Zacharie
NGNIMAN, « c'est que les enjeux de la « guerre » de Bakassi
tenaient en un mot : pétrole. A cela se greffaient la pêche et les
activités connexes ; puis le commerce.
»107. De toute évidence, la tâche de la Cour n'a
pas du tout été aisée sur cette partie de la
frontière terrestre. « Le point crucial du différend
soumis à la Cour, celui qui en constituait l'enjeu territorial majeur
pour des raisons politiques mais aussi économiques vu la richesse en
hydrocarbures de la presqu'Ile et de ses eaux, était relatif à la
souveraineté de l'une des Parties sur Bakassi, occupée par le
défendeur depuis 1994 et revendiquée par le demandeur.
»108. Comme dans la zone du Lac Tchad, il était question
d'un rapport entre l'occupant effectif (Nigeria) et le titulaire du titre
(Cameroun), en vertu du principe de l'<< uti possidetis juris
». Il aurait été intéressant de présenter
même sommairement la géographie de cette presqu'île, comme
le fait Zacharie NGNIMAN. « Recouverte d'une végétation
de mangrove, la péninsule de Bakassi s'étendait sur trois des
sept arrondissements du département du NDIAN dans la province
camerounaise du sud-ouest. Ces départements sont Isanguele, Kombo
Abedimo et Idabato. Elle était peuplée d'environ 9000 habitants
dont la majorité était des pêcheurs. Et, étant le
point d'aboutissement de la frontière terrestre à la mer, cette
presqu'Ile est essentiellement entourée de voies d'eau dont les
principales sont le Rio del Rey, l'Akpa yafé, l'Akpa Bana et
104 Voir à cet effet les différents articles
cités par MGBALE MGBATOU dans sa thèse de doctorat
précitée ; pp.16-19.
105 Z. NGNIMAN voit d'ailleurs en Bakassi, la zone de
<<fixation» du conflit frontalier Cameroun-Nigeria, à cause
des réserves pétrolifères et halieutiques qui s'y
trouvent. Voir son ouvrage précité, p. 39.)
106 L'expression est de H. MGBALE MGBATOU, thèse de
doctorat, op. cit., p. 21. La presqu'île de Bakassi a d'ailleurs fait
l'objet de la première requête du Cameroun devant la Cour, le 29
Mars 1994 ; voir infra.
107 Z. NGNIMAN, op. cit., p. 39.
108 Voir P. D'ARGENT, op. cit., pp. 281-321.
Bakassi Crique. Elle recouvre près de 1800 km2 de
superficie et 60 km de long allant de l'Akpa yafé jusqu'à la
bordure occidentale du Mont Cameroun. »109
Tandis que le Cameroun demandait à la Cour de dire et de
juger :
a) que « la frontière terrestre
entre le Cameroun et le Nigeria suit le tracé suivant : de [la borne 114
sur la rivière Cross] jusqu'à l'intersection de la ligne droite
joignant Bakassi point à King point et du centre du chenal navigable de
l'Akwayafé, la frontière est déterminée par les
paragraphes XVI à XXI de l'accord germano-britannique du 11 mars 1913
et
b) que, dès lors, notamment la souveraineté
sur la presqu'île de Bakassi est camerounaise »110
;
Le Nigeria pour sa part, priait la Cour de dire et de juger
« que la souveraineté sur la presqu'île appartient
à la République fédérale du Nigeria. . .
d'une manière générale, que le titre appartenait en
1913 aux rois et chefs du Vieux-Calabar, et qu'il fut conservé par eux
jusqu'à ce que ce territoire revienne au Nigeria lors de
l'indépendance »111.
Face à ces revendications, la cour va donner raison au
Cameroun en ressuscitant l'accord germano-britannique du 11 mars de 1913 et en
rejetant l'argumentation nigériane.
Dans l'ensemble, le Nigeria contestait l'applicabilité
de cet accord. En plus, il estimait qu'il était invalide et enfin, le
Nigeria invoquait de nombreuses effectivités qu'il avait
réalisées sur le terrain112. Compte tenu de la teneur
des argumentations de la Cour, concernant le rapport entre le titre juridique
et les effectivités, dans les développements concernant la zone
du Lac Tchad, nous n'y reviendrons plus ici ; le même raisonnement ayant
été conservé par la Cour. Nous nous limiterons alors
à la reconnaissance de l'applicabilité (section 1ère), et
de la validité (section 2) de l'accord anglo-allemand du 11 mars
1913.
SECTION 1 : L'APPLICABILITE DE L'ACCORD
ANGLO-ALLEMAND
DU 11 MARS 1913
A l'opposé des arguments du Cameroun tirés pour
l'essentiel de l'analyse des paragraphes XVI à XXI de l'accord
germano-britannique du 11 mars 1913, le Nigeria va adopter une attitude
très critique axée sur la recherche d'éventuelles
défectuosités entachant ledit texte. Pourtant la Cour va faire
droit à la démarche camerounaise en confirmant l'accord
109 Z. NGNIMAN, op. cit., pp. 40-42.
110 Voir arrêt, p. 97, par. 193.
111 Arrêt, ibidem.
112 Arrêt, pp. 109-113, par. 218-224.
du 11 mars 1913 comme texte applicable (II). Avant d'y arriver,
rappelons un temps soit peu, comme le fait la Cour, les thèses en
conflit (I).
I - LE RAPPEL DES THESES EN CONFLIT
Dans l'ensemble, s'il y a eu des débats houleux sur la
question du texte applicable pour la délimitation de la frontière
à Bakassi, c'était à cause des argumentations multiples du
Nigeria (A) devant lesquelles, le Cameroun gardait une attitude plutôt
rassurante (B).
A- UN TEXTE TRIPLEMENT DEFECTUEUX SUIVANT LA THESE
NIGERIANE
Le Nigeria soutenait devant la Cour que l'accord du 11 mars 1913
serait défectueux pour trois motifs:
1- un texte contraire au préambule de l'acte
général de la conférence de Berlin du 26 février
1885
En fait la Cour n'a pas jugé utile d'examiner au fond,
cet argument présenté très brièvement par le
Nigeria dans son contre-mémoire. Surtout que le défendeur n'y
reviendra plus ultérieurement113.
2- Un texte non approuvé par le parlement
allemand
Le Nigeria soutenait également que, selon le Droit
interne allemand de l'époque, tous les traités portant cession ou
acquisition des territoires coloniaux par l'Allemagne, devaient être
approuvés par le parlement. A cet effet, l'accord anglo-allemand du 11
mars 1913 portant bien acquisition de la presqu'île de Bakassi par
l'Allemagne. Il devait alors être soumis à cette
formalité114 ; ce qui n'est pas le cas. Le défendeur
estimait au surplus que le traité de Versailles de 1919 aurait
abrogé ce texte anglo-allemand.
113 Arrêt, p. 98, par. 195.
114 Arrêt, p. 98, par. 196.
3- Un texte abrogé en application de l'article
289 du traité de Versailles du 28 juin 1919
L'article 289 du traité de Versailles prévoyait
que « les traités bilatéraux conclus par l'Allemagne
avant la guerre [seraient] remis en vigueur après notification à
l'Allemagne par l'autre partie ». Le Nigeria poursuit en
démontrant que, « la Grande-Bretagne n'ayant pris aucune mesure
en application de l'article 289 pour remettre en vigueur l'accord du 11 mars
1913, celui-ci a en conséquence été abrogé ; le
Cameroun n'(aurait) donc pas succédé au traité
lui-même »115.
Le Nigeria conclue alors que pour ces trois raisons, le
Cameroun ne pouvait plus succéder à cet accord qui lui-même
ne produisait plus d'effets entre les deux Parties. Face à ces
offensives juridiques, le Cameroun a adopté une attitude
défensive et, juridico-conformiste.
B - DES THESES SANS FONDEMENTS SUIVANT
L'ARGUMENTATION DU CAMEROUN
En fait, la Partie camerounaise se livrait beaucoup plus
à la défensive en fragilisant, autant que possible, les
thèses du Nigeria. Sa démarche telle que présentée
dans l'arrêt, était méthodique et visait à invalider
les exposés nigérians point par point.
1- Par rapport au défaut d'approbation par
l'Allemagne de l'accord du 11 mars 1913
Le Cameroun répliquait que : « le Gouvernement
allemand estima que, dans le cas de Bakassi, il s'agissait d'une pure
rectification de frontière parce que déjà
antérieurement Bakassi avait été traitée en fait
comme appartenant à l'Allemagne ». Dès lors, aucune
approbation parlementaire n'aurait été
nécessaire116.
2- A propos de l'article 289 du traité de
Versailles du 28 juin 1919
Pour le Cameroun, « le champ d'application de cette
disposition se limitait aux seuls traités à caractère
économique, au sens large du terme ». Que dès lors,
cette disposition est sans incidence juridique sur l'accord du 11 mars
1913117. C'est exactement le même raisonnement qu'adoptera la
Cour pour confirmer l'applicabilité de l'accord du 11 mars 1913.
115 Ibidem, par. 198.
116 Voir arrêt, p. 98, par. 196, in fine.
117 Voir arrêt, pp. 98-99, par. 198.
II- LA POSITION DE LA COUR : L'ACCORD ANGLO-ALLEMAND
DU 11 MARS 1913, TEXTE DELIMITANT LA FRONTIERE A BAKASSI
La Cour va donner raison à la Partie camerounaise en
rejetant systématiquement tous les trois motifs d'inapplicabilité
de l'accord anglo-allemand du 11 mars 1913 invoqués par le Nigeria.
A- LE REJET DE L'ARGUMENT TIRE DE L'ACTE GENERAL DE LA
CONFERENCE DE BERLIN
La Cour a estimé que : « cet argument
présenté très brièvement par le Nigeria dans son
contre mémoire n'a été repris ni dans sa duplique, ni lors
des audiences »118. Cette attitude paradoxale du Nigeria
était suffisante pour que cet argument ne soit pas examiné. Si
dans ce cas, la C.I.J a fragilisé l'argumentation du Nigeria de par sa
propre turpitude, la démarche n'a pas été la même en
ce qui concerne le défaut d'approbation par le parlement allemand.
B- EN CE QUI CONCERNE LE DEFAUT D'APPROBATION DUDIT
ACCORD PAR LE PARLEMENT ALLEMAND119
La Cour a décidé que l'argument du Nigeria sur
cette question ne pouvait être accueilli étant donné que
« l'Allemagne elle-même a estimé que les
procédures requises par son droit interne avaient été
respectées, et que la Grande-Bretagne n'a pour sa part jamais
soulevé la question ». Qu'en outre, cet accord avait fait
l'objet d'une publication officielle dans les deux pays. Que dès lors,
il n'était plus nécessaire de savoir si l'accord avait
été approuvé par le parlement allemand. Ayant
rejeté ce deuxième motif de défectuosité, la Cour
fera de même pour le troisième.
118 Arrêt, p. 98, par.195, précité.
119 Voir ces développements à la page 98 de
l'arrêt, par. 197.
C- A PROPOS DE L'EVENTUELLE ABROGATION DE L'ACCORD DU
11 MARS 1913 EN APPLICATION DE L'ARTICLE 289 DU TRAITE DE
VERSAILLES120
Comme pour les deux premiers motifs, la Cour a trouvé
des mots justes pour invalider la thèse du Nigeria. Ici, elle a fait
observer que : « à partir de 1916, l'Allemagne n'avait plus
exercé aucune autorité territoriale au Cameroun. [que] Aux termes
des articles 118 et 119 du traité de Versailles, l'Allemagne
renonçait à tout titre sur ses possessions d'outre-mer
». Ainsi, la Grande-Bretagne ne pouvait plus inclure l'accord du 11
mars 1913 parmi les «conventions bilatérales ou les
traités bilatéraux » dont elle souhaitait la remise en
vigueur avec l'Allemagne. Et qu'à la fin. « Il en
découle que cet argument du Nigeria doit en tout état de cause
être écarté ».
Après avoir rejeté l'argumentation du Nigeria
sur les motifs ci-dessus, la Cour confirmera sa position dans sa conclusion
comme suit: « ... en conséquence que la frontière
entre le Cameroun et le Nigeria à Bakassi est délimitée
par les articles XVIII à XX de l'accord angloallemand du 11 mars
1913 »121. La question de l'applicabilité de
l'accord du 11 mars 1913, que contestait le Nigeria ayant été
résolue, la Cour a confirmé sa validité en ce qui concerne
la détermination du titulaire de la souveraineté sur la
presqu'île de Bakassi.
SECTION 2 : LA VALIDITE ENTIERE DUDIT ACCORD
En effet, l'autre argumentation du Nigeria visait à
démontrer que même si l'accord anglo-allemand du 11 mars 1913
était applicable, il n'était pas valide en ce qui concerne les
dispositions relatives à Bakassi. Le Cameroun pour sa part demeurait
fidèle à sa démarche juridique qui consacrait la
validité de cet accord dans son entièreté. Face à
cette diversité des vues des parties (I), la Cour va adopter une
solution consacrant la thèse Camerounaise (II).
I- RAPPEL DES ARGUMENTATIONS DES PARTIES
Comme nous l'avons souligné, le Nigeria estimait que
l'accord du 11 mars 1913 ne devait pas être retenu par la Cour en ce qui
concerne le délimitation de la frontière terrestre à
Bakassi pour plusieurs motifs (A), tandis que le Cameroun fondait l'essentiel
de sa plaidoirie sur ledit accord (B).
120 Lire ces développements à la page 99 de
l'arrêt, par. 199.
121 Voir, arrêt 10 octobre 2002, p. 113, par. 225.
A- LES ARGUMENTS NIGERIANS DE L'INVALIDITE DE L'ACCORD DU
11 MARS 1913 122
D'une manière générale le Nigeria
estimait que le titre à Bakassi appartenait en 1913 aux rois et chefs du
Vieux-Calabar et qu'il fut conservé par eux jusqu'à ce que ce
territoire revienne au Nigeria lors de l'indépendance. La
Grande-Bretagne n'aurait dès lors pas été en mesure de
transmettre son titre sur Bakassi du fait qu'elle n'avait aucun titre à
transmettre ; conformément à l'adage latin « Nemo dat
quod non habet » qui signifie « personne ne peut
transférer la propriété d'une chose qui ne lui appartient
pas ».
En fait la Partie nigériane faisait constater à
la Cour que le traité de protectorat conclu le 10 septembre 1884 entre
la Grande-Bretagne et les rois et chefs du Vieux-Calabar ne conférait
pas à celle-là, la souveraineté sur les territoires de
ceux-ci. Que les rois et chefs du Vieux-Calabar auraient conservé leur
statut d' « entités indépendantes ayant la
personnalité juridique internationale », y compris le pouvoir
d'entrer en relations avec des « nation(s) ou puissance(s)
étrangère(s) », même si le traité
subordonnait cette éventualité à l'obtention de
l'agrément de l'Etat protecteur, la Grande-Bretagne123.
A la fin, examinant la question de cette frontière de
1913 à 1960, le Nigeria fait observer à la cour que « la
Grande-Bretagne n'a jamais eu le pouvoir de céder Bakassi » et
que, pour nombreuses qu'aient pu être ses activités à
Bakassi durant le régime de mandat ou de tutelle, elles n'auraient pu
détacher ce territoire du protectorat du Nigeria étant
donné qu'il fut administré pendant toute cette période
depuis le Nigeria et comme partie intégrante de celui-ci, et jamais
à partir du Cameroun124.
Dès lors, les articles XVIII à XXII de l'accord
du 11 mars 1913 doivent être séparés du reste du texte
puisqu'ils sont entachés d'un vice juridique. Naturellement, ces
développements ne pouvaient pas susciter l'approbation de la Partie
camerounaise.
B - LES CONTRE ARGUMENTATIONS DU CAMEROUN :
D'après la Partie camerounaise, la frontière
à Bakassi ou, mieux encore, le tracé de la frontière entre
les Parties dans la région de la presqu'île de Bakassi,
était fixé par l'accord anglo-allemand du 11 mars 1913 lequel la
plaçait du côté allemand de la frontière. De
même,
122 Voir arrêt, p. 97, par. 194.
123 Voir arrêt, p. 99, par. 201.
124 Cf. arrêt, pp. 104-105, par. 211.
« lors de l'accession à l'indépendance
du Cameroun et du Nigeria, cette frontière serait devenue la
frontière entre les deux Etats, qui succédaient aux puissances
coloniales et se trouvaient liés par le principe de « l'uti
possidetis » ou uti possidetis juris d'après lequel les
frontières héritées de la période coloniale sont
intangibles »125.
Le Cameroun invoquait à cet effet les articles XVIII
à XXI dudit texte qui disposent notamment que « la
frontière «suit le thalweg de l'Akwayafé
jusqu'à une ligne droite joignant Bakassi point et King
point>> (article XVIII), et qu' « au cas où le cours
inférieur de l'Akwayafé déplacerait son embouchure de
telle sorte que celui-ci arrive au Rio del Rey, il est entendu que la
région actuellement appelée presqu'Ile de Bakassi restera
néanmoins territoire allemand » (article XX) ». Dans
cette logique, Bakassi ayant appartenu à l'Allemagne depuis
l'entrée en vigueur de cet accord, la souveraineté aujourd'hui
sur cette presqu'île appartient à l'Etat camerounais par le jeu de
l'uti possidetis juris invoqué plus haut126.
Contredisant la thèse nigériane d'après
laquelle la Grande-Bretagne n'avait pas la capacité juridique de
céder la presqu'île de Bakassi par la voie du traité du 11
mars 1913, le Cameroun fera observer que l'acte du 10 septembre 1884
passé entre la Grande-Bretagne et les rois et chefs du Vieux-Calabar
visait à établir un « protectorat colonial» et
que « dans la pratique de l'époque, il n'y avait que peu de
différences de fond, au plan international, en termes d'acquisition
territoriale, entre les colonies et les protectorats coloniaux >> et
qu'aussi, « l'élément clé du protectorat colonial
était le postulat du souveraineté extérieure de l'Etat
protecteur ».
Les arguments du Cameroun sont plus élaborés
encore lorsqu'il indique que ni la Grande-Bretagne, ni le Nigeria, Etat qui lui
a succédé, n'ont jamais invoqué une telle cause
d'invalidité de l'accord anglo-allemand du 11 mars 1913. Que «
bien au contraire jusqu'au bout du années 1990, le Nigeria avait de
manière non équivoque confirmé et accepté le ligne
frontière de 1913 par sa pratique diplomatique et consulaire, ses
publications géographiques et cartographiques officielles et, enfin, ses
déclarations et sa conduite sur la scène politique ».
Ainsi, « étant donné qu'il existe une forte
présomption que les traités acceptés comme valides doivent
être interprétés globalement et l'ensemble de leurs
dispositions respectées et appliquées >>, l'accord du
11 mars 1913 forme alors un tout indivisible et qu'on ne saurait en
séparer les dispositions relatives à la presqu'île de
Bakassi127.
125 Arrêt, p. 97, par. 194. Et pour plus de
développements sur ce principe lié à la
décolonisation, voir N. QUOC DINH, P. DAILLIER, A. PELLET, op. cit., pp.
468-469.
126 Arrêt, p. 99, par. 200.
127 Arrêt, pp. 100-101, par. 202.
A la fin, examinant également le sort de ce segment
méridional de la frontière entre 1913 et 1960, le Cameroun
développera d'importants arguments tirés de l'évolution
historique du statut de son territoire128 de la période
allemande, en passant par celles du mandat et de la tutelle, jusqu'à son
accession à l'indépendance. En plus, il ajoute les nombreuses
négociations passées entre le Nigeria et lui conformément
à cet accord du 11 mars 1913, et les permis d'exploration et
d'exploitation pétrolière par lui attribués au Nigeria sur
la presqu'île et au large de celle-ci dès le début des
années soixante. Que tous ces éléments et l'attitude
même du Nigeria militeraient à confirmer la validité
plénière de l'accord anglo-allemand, par conséquent
l'appartenance de la presqu'île de Bakassi au Cameroun129
Face à ces argumentations contradictoires du Nigeria et
du Cameroun, la Cour internationale de Justice va donner raison au Cameroun en
reconnaissant la « camerounité » de la
presqu'île litigieuse de Bakassi.
II- L'ACCORD DU 11 MARS 1913, UN TEXTE BEL ET BIEN
VALIDE, CONFERANT LA SOUVERAINETE A BAKASSI AU CAMEROUN, D'APRES LA
COUR
Dans un effort de structuration méthodique de son
raisonnement, la Cour va reconnaître la validité de l'accord
anglo-allemand dans son entièreté. Pour ce faire, elle invalidera
d'abord l'argument du Nigeria d'après lequel la Grande-Bretagne ne
pouvait pas céder Bakassi à l'Allemagne en 1913 pour
défaut de qualité (A), avant de tirer les conséquences du
traitement réservé à cette frontière entre 1913 et
1960 (B).
A- L'INVALIDATION DE LA THESE NIGERIANE DU DEFAUT DE
QUALITE DE LA GRANDE-BRETAGNE, CONFORMEMENT A L'ADAGE « NEMO DAT QUOD
NON HABET »
La Cour dans une analyse rétrospective, observe que la
Grande-Bretagne, comme les autres puissances européennes à
l'époque de la conférence de Berlin, avait conclu quelque trois
cent cinquante traités avec des chefs locaux du delta du Niger. Elle
souligne également
128 Arrêt, pp. 103-104, par. 210.
129 Arrêt, ibidem.
que, parmi ces traités figurait bien celui conclu le 10
septembre 1884 avec les rois et chefs du Vieux-Calabar en vue de
l'établissement d'un protectorat. L'article II dudit traité
disposait en contrepartie des bonnes grâces et de la bienveillante
protection de sa Majesté la reine de la Grande-Bretagne et d'Irlande
que, « les rois et chefs du Vieux-Calabar s'engageaient à
s'abstenir de toute correspondance, de tout accord et de tout traité
avec une quelconque nation ou puissance étrangère sans
l'autorisation préalable du gouvernement de sa Majesté
britannique ». A travers cette démonstration, la Cour mettait
en évidence l'abandon implicite de souveraineté que les rois et
chefs de Vieux-Calabar avaient effectué en faveur de la
Grande-Bretagne.
Ayant reconnu comme le consul britannique JOHNSTON, dans son
rapport adressé au Foreign Office en 1890, que Bakassi et le Rio del Rey
constituaient effectivement « le territoire
véritable» des rois et chefs du Vieux-Calabar130,
la Cour va s'appesantir sur la nature juridique du traité de protectorat
du 10 septembre 1884. A cet effet, elle estima que « le statut
juridique international d'un « traité de protection » conclu
sous l'empire du droit alors en vigueur ne saurait être déduit de
son seul titre »131. Et, se referant à une sentence
de Max Huber dans l'affaire de l'île de palmas132, et à
sa propre jurisprudence dans l'avis consultatif sur l'affaire du Sahara
occidental, la Cour rappellera que ce genre de traités ou d'accords avec
les chefs locaux étaient considérés comme « ...
un mode d'acquisition dérivé 133 de
territoire et que, même si ce mode d'acquisition ne correspond
pas au droit international actuel, le principe du droit intemporel impose de
donner effet aujourd'hui, dans la présente instance, aux
conséquences juridiques des traités alors intervenus dans le
delta du Niger. »134.
A la fin la Cour fera observer que le choix d'un traité
de protectorat par la Grande-Bretagne découlait de ses
préférences quant à la façon de
gouverner135. De même, constatant que plusieurs ordres en
conseil de sa Majesté britannique plaçaient cette zone sous
l'administration des agents consulaires anglais en 1888 ; la Cour en
déduit « que le traité de 1884 conclu avec les rois
et chefs du Vieux-Calabar n'était pas un traité de protectorat
international. Mais que cet accord n'était qu'un parmi une multitude
d'autres conclus dans
130 Voir arrêt, p. 101, par. 203.
131 Voir arrêt, p. 101, par. 205.
132 Où il disait : « il n'y a pas là
d'accord entre égaux, c'est plutôt une forme d'organisation
intérieure d'un territoire colonial sur la base de l'autonomie des
indigènes... Et c'est la suzeraineté exercée sur l'Etat
indigène qui est la base de la souveraineté territoriale à
l'égard des autres membres de la communauté des nations »,in
R.G.D.I.P, t. XLII, 1935, p.187. Cf. Arrêt du 10 Octobre 2002,
p. 102, par. 205.
133 Voir affaire du Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J ;
Recueil 1975, p. 39, par. 80.
134 Voir arrêt, p. 102, par. 205.
135 Ibidem, par. 206.
une région où les chefs locaux
n'étaient pas assimilés à des Etats
»136. Cette analyse laisse croire à la Cour que
depuis 1884, la Grande-Bretagne était déjà souveraine sur
les terres des rois et chefs du Vieux-Calabar et sur Bakassi notamment, et
qu'elle était donc en droit de céder ce territoire à
l'Allemagne par le biais de l'accord anglo-allemand du 11 mars 1913.
La Cour, constatant qu'en 1913 aucun élément ne
donnait à penser que les rois et chefs du Vieux-Calabar auraient
émis quelque protestation que ce fut, ni qu'en 1960 ils auraient pris
des mesures en vue de transférer un territoire au Nigeria lors de
l'accession de ce dernier à l'indépendance137, va tout
simplement rejeter la thèse du Nigeria en ces termes : « . . .
au regard du droit qui prévalait à l'époque, la
Grande-Bretagne, en 1913, pouvait déterminer sa frontière au
Nigeria avec l'Allemagne, y compris pour ce qui est de sa partie mondiale
»138. C'est à dire que la Grande-Bretagne
était habilitée à céder Bakassi à
l'Allemagne. Bien que cette réflexion ne soit pas convaincante pour
certains juges139, la Cour s'y est solidement appuyée, sans
négliger le régime de cette frontière terrestre de cette
époque à la période des indépendances du Cameroun
et du Nigeria.
B - LE REGIME DE CETTE FRONTIERE ENTRE 1913 ET 1960
Le raisonnement de la C.I.J est quasi identique à celui
déjà développé dans la délimitation de la
frontière terrestre dans la zone du Lac Tchad, en ce qui concerne
l'origine historique du texte applicable.
La Cour rappelle d'abord, qu'après la première
guerre mondiale, la défaite enregistrée par l'Allemagne l'amena
à renoncer à ses possessions coloniales. Celles-ci seront
partagées entre la Grande-Bretagne et la France en vertu du
traité de Versailles, comme territoires sous mandat de la
Société Des Nations (S.D.N). Que c'est en vertu de ce mandat que
la Grande-Bretagne informa le Conseil de la S.D.N de son intention
d'administrer le Cameroun
136 Ibidem, par. 207.
137 Voir arrêt, p. 103, par. 208.
138 Voir arrêt, p. 103, par. 209.
139 En effet, c'est par treize voix contre trois que cette
solution a été adoptée. ( Voir arrêt, p. 146, point
III-A du dispositif. ). Mais, mis à part l'impressionnante Opinion
dissidente du juge ad hoc pour le Nigeria, AJIBOLA, le juge RANJEVA arrive
également à une conclusion contraire à celle de
l'arrêt. Il estime que nier toute valeur juridique au traité du 10
septembre 1884 passé entre la Grande-Bretagne et les rois et chefs du
Vieux-Calabar revient à confirmer que : « dans les relations
conventionnelles avec les chefs indigènes, pacta non sunt servanda
» ; ce qui n'est pas juste . . . Voir à cet effet, Opinion
individuelle du juge RANJEVA, pp. 1-3, par. 3 et suivants.
Les développements du juge REZEK sont encore plus
pertinents dans sa déclaration. Il estime que renier la valeur de
traité international au traité du 10 septembre 1884 entre la
Grande-Bretagne et les rois et chefs du Vieux-Calabar c'est, pour la Cour,
faire preuve d'une « inconsistance » et certainement, d'une
impertinence argumentative. Voir à cet effet, Déclaration de
M. le juge REZEK, pp. 1-3.
méridional conjointement avec les provinces
méridionales du protectorat de Nigeria; ce que ledit Conseil accepta.
Mais la Cour précise qu'il ne s'agissait pas là d'une occasion
d'intégrer ce territoire dans le protectorat du Nigeria. Qu'il
s'agissait pour la Grande-Bretagne d'une manière d'administrer ses
zones, parmi lesquelles Bakassi « comme si elles faisaient partie
» des provinces du Nigeria140. C'est presque ces
mêmes dispositions qui seront maintenues après la deuxième
guerre mondiale.
Après la deuxième guerre mondiale, la Cour note
que les territoires du Cameroun sous mandat céderont place au
régime de tutelle avec la création de l'Organisation des Nations
Unies (O.N.U) en 1945. La situation territoriale étant demeurée
« exactement la même », c'est-à-dire que le
Cameroun sous mandant de la SDN s'étant simplement mué au
Cameroun sous tutelle de l'ONU, les puissances administrantes, France et
Grande-Bretagne, resteront les mêmes. Et la Grande-Bretagne, ayant
continué à administrer la zone du Cameroun méridional
à laquelle appartient Bakassi « comme si elle faisait
» partie du Nigeria, savait sans équivoque que Bakassi
était un territoire camerounais. Encore qu'elle n'avait pas
compétence pour modifier unilatéralement les frontières du
territoire sous tutelle. La Cour arrive alors à la conclusion selon
laquelle «...pour toute la période comprise entre 1922 et
1961 (année où prit fin le régime de tutelle), Bakassi
fit partie du Cameroun britannique. La frontière entre Bakassi et le
Nigeria, indépendamment des arrangements d'ordre administratif, demeure
une frontière internationale »141. Cette
conclusion de la Cour est encore plus claire dans les paragraphes 213 à
217 de l 'arrêt142.
Dans ces paragraphes, la C.I.J adopte une démarche un
peu proche à celle du Cameroun en recherchant des paradoxes dans les
arguments de l'Etat du Nigeria. Après avoir fait observer que ni la
S.D.N, ni l'O.N.U ne considérèrent que Bakassi appartenait encore
aux rois et chefs du Vieux-Calabar, la Cour surprend le Nigeria en lui
rappelant que lors de son accession à l'indépendance, il n'avait
fait mention nulle part avoir acquis Bakassi des rois et chefs du
Vieux-Calabar143. De surcroît, comme le souligne la Cour, le
Nigeria n'avait jamais soulevé une question concernant l'étendue
de son territoire dans cette région à cette époque.
En plus de cette attitude lacunaire du Nigeria, la Cour fait
encore remarquer que le Nigeria avait voté en faveur de la
résolution 1608 (XV) de l'Assemblée générale de
l'O.N.U mettant fin au régime de tutelle confirmant la frontière
définie par l'accord anglo-allemand
140 La Cour fait appel ici à la lettre de l'Ordre en
conseil (britannique) du 26 juin 1923 relatif à l'administration du
territoire sous mandat du Cameroun Britannique, (cf. Arrêt du 10 octobre
2002, paragraphe 212, P.105).
141 Cf. paragraphe 212, p. 105, op.cit
142 Arrêt, pp. 106-109.
143 Arrêt, p. 106, par. 213.
du 11 mars 1913 et confirmée par le plébiscite au
Cameroun méridional de 1961 en vertu duquel cette partie et Bakassi
notamment demeuraient des territoires Camerounais.
La Cour expose à effet, une note verbale n° 570 en
date du 27 mars 1962 adressée au Cameroun par le Nigeria à propos
des concessions pétrolières144. Il en est
résulte que le Nigeria a toujours considéré Bakassi comme
un territoire camerounais ; attitude confirmée dans toutes les cartes
officielles du Nigeria jusqu'en 1972. Dès lors le Nigeria
à cette époque avait admis qu'il était lié par les
articles XVIII à XXII de l'accord angloallemand du 11 mars 1913, et
avait reconnu que la souveraineté sur la presqu'île de Bakassi
était camerounaise145. A la fin, tenant compte des bases
juridiques et de la répartition géographique des concessions
pétrolières accordées par l'une et l'autre Parties
jusqu'en 1991146, tenant également compte d'un certain nombre
de demandes officielles formulées dans les années quatre-vingt
par l'ambassade du Nigeria à Yaoundé ou par les autorités
consulaires nigérianes en vue d'effectuer des tournées
auprès de leurs ressortissants résidant à
Bakassi147, la Cour jugera que « l'accord
anglo-allemand du 11 mars 1913 était valide et applicable dans son
intégralité »148.
En somme, pour la Cour internationale de Justice, la
frontière à Bakassi avait été
délimitée à l'époque coloniale par l'accord
anglo-allemand du 11 mars 1913. Que cet accord se suffisait à
lui-même, et qu'il n'était pas « . . . utile de se
prononcer sur les arguments relatifs à l'uti possidetis avancés
par les Parties pour ce qui est de Bakassi. »149. Et qu'en
fait, les effectivités soulevées par le Nigeria, aussi belles,
aussi évidentes qu'elles peuvent paraître, doivent être
considérées comme des faits «contra legem »,
c'est à dire contraire au droit international, parce que
postérieures au titre du Cameroun150. Les conclusions de la
Cour sont simples sur cette question.
« III.A) Par treize voix contre
trois,
Décide que la frontière entre la
République du Cameroun et la République fédérale du
Nigeria à Bakassi est délimitée par les articles XVIII
à XX de l'accord anglo-allemand du 11 mars 1913 ;
144 Cf. arrêt, pp. 106-107, par. 214.
145 Ibidem, par. 217, in fine.
146 Cf. arrêt, pp. 108-109, par. 215.
147 Ibidem, par. 216.
148 Ce qui ne sera malheureusement pas l'avis des juges KOROMA,
REZEK et, naturellement pas celle du juge ad hoc nigérian AJIBOLA (Cf.
dispositif de l'arrêt, p.147.)
149 Voir arrêt, p. 109, par. 217, in fine.
150 Sur cette question, voir les développements de la
Cour dans les paragraphes 218 à 225, pp. 109-113. Elle articule son
raisonnement sur sa jurisprudence dans l'affaire du Différend frontalier
Burkina Faso/République du Mali (arrêt, C.I.P. recueil
1986,P.586-587, Par. 63), et par une phrase simple: « ...dans
l'éventualité où il existe un conflit entre
effectivités et titre juridique, il y a lieu de préférer
le titre ».
B) Par treize voix contre trois,
Décide que la souveraineté sur la
presqu'île de Bakassi est camerounaise ;
C) Par treize voix contre trois,
Décide que la frontière entre la
République du Cameroun et la République fédérale du
Nigeria à Bakassi suit le thalweg de la rivière Akpakorum
(Akwayafé), en séparant les îles Mangroves près
d'Ikang de la manière indiquée sur la carte TSGS 2240
jusqu'à une ligne droite joignant Bakassi Point et King Point
»151.
Conclusion de la première partie
Dans l'ensemble, la précision de la frontière
terrestre qu'effectue la Cour internationale de Justice dans les zones
culminantes du Lac Tchad et de la presqu'île de Bakassi semble tourner
autour d'une certaine jurisprudence constante de la Cour. Il n'y a pas à
hésiter pendant longtemps. Le Cameroun est détenteur du titre
territorial sur ces zones; raison pour laquelle les démonstrations
factuelles nigérianes doivent tomber en désuétude,
étant donné qu'elles sont contraires au droit. Pourtant le doute
demeure sur la classe jurisprudentielle de cette décision; étant
donné que la Cour a ignoré le principe de l'uti possidetis juris
qui seul justifie l'applicabilité des textes coloniaux aux Etats
décolonisés comme c'est le cas de l'espèce.
Néanmoins, c'est la voix de la démocratie juridique, quoique
certains juristes aient trouvé ce raisonnement à cet égard
« troublant »152 et «regrettable
»153
Si la délimitation de la frontière terrestre
opérée par la Cour dans la presqu'île de Bakassi et dans la
zone du Lac Tchad reconnaît dans l'ensemble la camerounité des
zones contestées, ce ne sera pas le cas pour ce qui est du reste de la
frontière terrestre. Ici la Cour s'est vraiment efforcée à
satisfaire les deux Parties, quoique que cette délimitation soit assez
mitigée et d'une mise en oeuvre difficultueuse.
151 Voir le point III du dispositif de l'arrêt, pp.
146-147.
152 P. D'ARGENT, op. cit., p. 298.
153 Le juge ad hoc pour le Cameroun, M. KEBA BAYE l'a
lui-même pressenti dans son Opinion individuelle, p. 4, par. 18.
UNE FRONTIERE TERRESTRE D'UNE
DELIMITATION CONVENTIONNELLEMENT AMBIGUE, DE VALEUR JURISPRUDENTIELLE
MITIGEE ET D'APPLICATION DIFFICILE
DEUXIÈME PARTIE :
Le reste de la frontière terrestre allant du Lac Tchad
jusqu'à la péninsule de Bakassi est le deuxième secteur de
la frontière entre le Cameroun et le Nigeria d'après le
découpage effectué par la Cour. Cette partie est d'ailleurs la
plus longue de l'arrêt154, relative à la
frontière terrestre. Et c'est là également où les
arguments des Parties ont été plus denses et controversés.
Cet état des choses semble justifier l'interprétation assez
ambiguë des textes applicables à la délimitation que la Cour
y retient (chapitre 3). Il faut reconnaître que dans son ensemble, la
délimitation de la frontière terrestre entre le Cameroun et le
Nigeria, telle que définie par la Cour, demeure d'une valeur
jurisprudentielle mitigée et d'une application difficultueuse entre les
Parties (chapitre 4).
154 Elle va de la page 66 à la page 97 (soit 31 pages)
;contre 16 pages pour la partie de l'arrêt relative à Bakassi (
cf. arrêt pp.97-113 ), 23 pages pour la partie relative à la zone
du Lac Tchad ( cf. arrêt pp.43-66 ) . Bref les développements de
la Cour dans cette partie du reste de la frontière terrestre sont aussi
longs que ceux réservés à la partie de l'arrêt
relative à la frontière maritime ( cf. arrêt pp. 114-145 ),
soit 31 pages également.
CHAPITRE III:
UNE DELIMITATION AMBIGUE SUR LE RESTE DE LA
FRONTIERE TERRESTRE.
La frontière terrestre entre Cameroun et le Nigeria du
Lac Tchad à Bakassi est la plus longue des frontières de l'Etat
du Cameroun155. Bien que le Gouvernement de la République
fédérale du Nigeria soutenait dans ses exceptions
préliminaires qu'il n'existait aucun différend territorial entre
son Voisin et lui sur cette partie de la frontière156, le
Gouvernement de la République du Cameroun dans sa requête
additionnelle du 06 juin 1994 demandera à la Cour de «
préciser définitivement la frontière entre la
République fédérale du Nigeria et lui du Lac Tchad
à la mer »157. Le Cameroun estimait alors que cette
partie de la frontière comporte trois secteurs dont chacun est
clairement délimité par un instrument distinct158 :
* Le premier secteur va de l'embouchure conventionnelle de
l'Ebedji jusqu'au « pic proéminent » que le Cameroun
dénomme « mont Kombon », délimité par
la déclaration Thomson-Marchand telle que incorporée à
l'échange des notes Henderson-Fleuriau159.
* Le deuxième secteur court du « mont Kombon
» jusqu'à « la borne 64 » mentionnée
à l'article 12 de l'accord anglo-allemand du 12 Avril 1913 et
délimité par l'ordre en Conseil britannique du 02 Août
1946160 .
* Le troisième et dernier secteur de la
frontière terrestre quant à lui court de la borne 64 à la
mer, et est délimité par les accords anglo-allemands des 11 mars
et 12 avril 1913161. La Cour constatera que le Nigeria, à ce
propos, vibrait en phase avec le Cameroun162. Mais des imbroglios
notoires persistaient néanmoins entre ces Etats en ce qui concerne le
travail auquel elle devrait se livrer.
Pour le Cameroun, bien que les instruments de
délimitation en question comportent certaines ambiguïtés et
incertitudes163, « préciser définitivement
» la frontière veut dire que la Cour confirme le tracé
de la frontière tel qu'indiqué dans les instruments de
délimitation;
155 Elle avoisine les 1600 Km, voir supra.
156 Cf. C.I.J Arrêt du 10 octobre 2002, P. 67 de
l'arrêt
157 Lire à cet effet le par. 77, P.67 de l'arrêt
158 Voir arrêt, p. 66, par. 72. Voir aussi le croquis
n°3 de l'arrêt, en annexe.
159 Voir arrêt, ibid., par. 73.
160 Arrêt, ibid., par. 74.
161 Ibidem, par.75.
162 Puisqu'il ne constatait ni la pertinence, ni
l'applicabilité des quatre instruments invoqués par le Cameroun
au fin du tracé de ces trois secteurs de la frontière terrestre.
(cf. Arrêt, p.67, par.76 et par.82, p.68 ).
163 Voir arrêt, p. 67, par.79.
qu'il ne s'agissait donc pas pour la Cour de procéder
elle-même, à une délimitation de cette
frontière164.
Le Nigeria pour sa part, en soulignant les nombreuses
défectuosités entachant ces instruments applicables, demandait
à la Cour de « préciser » la
délimitation dans les régions où ces instruments de
délimitation sont défectueux, et de rectifier la ligne
frontière réclamée par le Cameroun s'agissant des
régions où, selon lui, celle-ci ne respecte pas les termes clairs
de ces instruments165.
Ayant remarqué que les parties étaient
divisées sur le problème de la nature et de l'étendue de
son rôle, la C.I.J précisera d'abord la nuance qui distingue
l'opération de délimitation à celle de
démarcation166 de la frontière, avant de
rappeler que dans le cas d'espèce, sa tâche n'est ni de
procéder à une « délimitation de novo »
de celle-ci, ni de la démarquer167. Dès lors, «
préciser définitivement » ce tracé de la
frontière terrestre tel qu'il a été fixé dans les
instruments de délimitation pertinents revient à se prononcer sur
l'interprétation ou l'application de tel ou tel passage desdits
instruments de délimitation168. Après avoir clarifier
la tâche à laquelle elle devait s'acquitter, la Cour va retenir
une délimitation très particulière sur cette partie de la
frontière. Cette délimitation est particulière et
ambiguë parce qu'elle alterne la reconnaissance des thèses
nigérianes et camerounaises sur certains points (section 1) et la
consécration des zones neutres et intermédiaires (section 2) sur
d'autres points litigieux169.
SECTION 1 : L'ALTERNANCE DE LA RECONNAISSANCE DES
THESES
NIGERIANES ET CAMEROUNAISES SUR CERTAINS
POINTS.
Tout en se refusant d'opérer une
«délimitation de novo » de la frontière
terrestre, la cour dans un effort d'interprétation des instruments
applicables va retenir une «définition» de la
frontière qui admet, certes pas dans un ordre successif, les positions
du Cameroun et
164 Ibidem, par. 77.
165 Idem, par. 78.
166 En se référant à sa jurisprudence
dans l'affaire du différend territorial (Jamahiriya arabe libyenne/
Tchad. In C.I.J, Recueil 1994, p.28, Par. 56), la Cour définit la
délimitation d'une frontière comme étant sa
« définition », tandis que la démarcation
d'une frontière, qui présuppose la délimitation
préalable de celle-ci consiste en son « abornement sur le
terrain ». Voir à cet effet, l'arrêt du 10 Oct 2002,
p.69, par. 84.
167 Etant donné que les parties s'accordaient sur les
textes applicables et sur l'éventualité d'une démarcation
ultérieure par leurs propres soins. Voir, arrêt, p. 69, par.84 in
fine.
168 Voir arrêt, p. 69, par. 85, in fine.
169 La Cour énumère à cet effet dix sept
points litigieux sur la frontière terrestre allant du Lac Tchad à
la presqu'île de Bakassi. Ils vont de 1) Limani à 17) La
rivière Sama. (Voir arrêt, p. 69, para. 86). On peut y ajouter un
point 18) La borne 64 contenu au par.190, p. 96 de l'arrêt.
celles du Nigeria. Pour mieux rendre compte de cette
réalité, il nous conviendra de présenter d'abord les
points litigieux reconnus au Nigeria (I) avant d'exposer ceux
conférés au Cameroun (II).
I- LES POINTS RECONNUS AU NIGERIA
Parmi les dix sept points litigieux
énumérés par la C.I.J dans la paragraphe 82 de
l'arrêt, cinq ont été attribué à la cause
nigériane. Il s'agit des points 2) La rivière Keraua (Kirewa ou
Kirawa), 9) Le Maio Senche, 10) Jimbare et Sapeo, 11) Nomberou (Namberou)-
Banglang, et 16) Bissaula-Tosso.
Avant d'arriver au contenu de la position de la Cour (B), il est
toujours intéressant de rappeler les thèses en conflit (A)
quoique de manière sommaire.
A- LES THESES EN CONFLIT
Le travail de la Cour était plus difficile et
difficultueux sur cette partie du reste de la frontière terrestre
à cause certainement de la densité des arguments contradictoires
des parties au point par point.
Aussi, restant fidèle à la démarche de la
Cour, nous exposerons ces thèses nigerocamerounaises point par point.
1- Au point litigieux N°2) La rivière
Keraua
a) Sur ce point, le Nigeria admet l'applicabilité du
paragraphe 18 de la déclaration Thomson-Marchand, mais soulève
très tôt son caractère défectueux étant
donné que des deux bras que cette rivière a aujourd'hui, ce texte
ne précise pas celui par lequel passe la frontière. Selon lui, la
frontière devrait suivre le chenal oriental170
b) la position du Cameroun est toute différente. Pour
lui, « le problème viendrait du fait que le cours de la
rivière Kerawa a été dévié par le Nigeria
qui a construit un chenal artificiel ... afin de déplacer le lit de la
rivière et par conséquent le tracé de la frontière
». Qu'il convient dès lors de dire que, la frontière
devrait passer par le chenal occidental171.
170 Voir arrêt, p. 71, par. 93.
171 Voir arrêt, p. 72, par. 94.
2- Au point N° 09) Le Maio Senche
Faut-il encore souligner que la position du Nigeria (a)
était différente ici de celle du Cameroun (b) ? Pas vraiment,
mais venons-en aux faits.
a) Le Nigeria admet que ce point est bel et bien
défini par le paragraphe 35 de la déclaration Thomson-Marchand et
que « la frontière dans ce secteur doit suivre la ligne de
partage des eaux. Il fait observer que de la ligne réclamée par
le Cameroun dans cette région décale la frontière par
rapport à la ligne de partage des eaux que cette ligne doit suivre en
vertu du paragraphe 35 de la déclaration Thomson-Marchand ...
»172. Qu'en pensera le Cameroun?
b) Le Cameroun, comme le souligne la Cour173 ,
maintient quant à lui que «la représentation de la ligne
de partage des eaux dans la traversée des monts (Atlantikas) et (de) la
localisation du village de Batou » dont il est question dans cette
région est exclusivement un problème de démarcation.
3- Au point N° 10) Jimbare et Sapeo
Sur ce point, la Cour a d'abord présenté les
arguments du Nigeria avant ceux du Cameroun.
a) Pour le Nigeria, les paragraphes 35
à 38 de la déclaration Thomson-Marchand étaient
défectueux. Aussi, la Cour devait préciser et modifier le
tracé de la frontière terrestre dans cette zone dans la mesure
où le texte des paragraphes 37 et 38 de la déclaration
Thomson-Marchand et la carte qui l'accompagne se contredisent.
Que depuis 1920, le responsable du district britannique W.D.K.
Mair et le représentant de l'administration française, le
capitaine Louis Pition avaient élaboré une «proposition
conjointe Mair-Piton » (12 Novembre). Celle-ci sera reprise dix ans
plus tard dans un procèsverbal signé le 16 octobre 1930 par R.
Logan, responsable du district britannique, et J. Le Brun, représentant
de l'administration française : « Procès-verbal Logan-Le
Brun» . Et que enfin, ces textes visaient à corriger les
imperfections de la déclaration Thomson-Marchand, et en vertu des quels
Sapeo a toujours été administré par le Nigeria. Face
à un exposé aussi fourni, le Cameroun va esquisser quelques
réflexions axées autour de l'applicabilité de la
déclaration Thomson-Marchand174.
172 Arrêt, p. 82, par. 136.
173 Dans le paragraphe 137. P.82
174 Voir arrêt, pp. 83-84, par. 141.
b) Pour le Cameroun, bien que les
développements du Nigeria soient valables pour l'identification du pic
visé, dans le paragraphe 35 de la déclaration Thomson-Marchand,
le seul texte applicable selon lui est cette déclaration; étant
donné que la proposition conjointe Mair-Pition et le
procès-verbal Logan-Le Brun n'avaient jamais été retenus
par la France et la Grande- Bretagne, ni reportés dans la
déclaration Thomson-Marchand. Que contrairement à l'argument
nigérian, d'après lequel le préfet du département
de la Bénoué aurait été saisi de la situation sur
le terrain par le sous-préfet de l'arrondissement de Poli par une lettre
du 17 mars 1979, il faut retenir qu' « un simple sous-préfet
n'avait pas bien compris la situation juridique réelle ». Que
dès lors, seule la déclaration Thomson-Marchand doit être
appliquée175-
4- Au point N° 11) Nomberou (Namberou)-Banglang
Comme au point n010, il s'agissait encore ici d'un
débat autour de la validité d'un
fragment défectueux de la déclaration Thomson-
Marchand et notamment son paragraphe
38176.
a) Le Nigeria a considéré que ce paragraphe 38
de la déclaration, était défectueux en ce qu'il
décrit la frontière comme empruntant une vallée nord-est,
puis sud-est, alors que la seule vallée présente dans la
région est orientée nord-ouest, puis sud-ouest. Et que cette
erreur aurait été constatée dans le procès-verbal
Logan-Le Brun de 1930 et corrigée177. Cette réflexion
qui semble plus favorable au Cameroun comme le montrera la Cour n'a pas
été retenue par lui ; certainement par souci d'attachement
à la lex lata.
b) l'argumentation camerounaise présentée par
le Cour sur ce point brille par sa concision: « le Cameroun estime
pour sa part qu'il convient de s'en tenir à la définition de la
frontière contenue dans les paragraphes 37 et 38 de la
déclaration Thomson-Marchand. »178
5- Au point N°16) Bissaula-Tosso
Ici, c'est l'ordre en conseil de 1946 qui était sujet
à interprétations.
a) Pour le Nigeria, cet instrument juridique
devait être interprété du fait que la rivière
Akbang possède plusieurs affluents parmi lesquels, seul
l'affluent sud doit être considéré
175 Arrêt, p. 84, par. 142.
176 Voir arrêt, p. 85, par. 147.
177 Arrêt, pp. 85-86, par. 148.
178 Arrêt, p. 86, par. 149.
parce que coupant la route Kentu-Bamenda comme l'exige le
texte de l'ordre en conseil. Le Nigeria a ajouté que le tumulus de
pierres visé par le texte aurait été
retrouvé179. Telle ne sera pas la démarche
camerounaise.
b) Dans une attitude défensive, le
Cameroun démontrera que l'interprétation
que le Nigeria fait du texte est erronée, que l'Akbang
se situe à l'est, et que le tumulus de pierres n'aurait jamais
été retrouvé contrairement à ce que
prétendait le Nigeria. Que dès lors, le problème demeure
un simple problème de démarcation180.
Après avoir rappeler les thèses en conflit, la Cour
va donner raison aux arguments du Nigeria sur l'ensemble de ces points.
B- LA SUBSTANCE DU RAISONNEMENT DE LA COUR
Sur ces points où les thèses nigérianes ont
prévalu, il convient, pour comprendre la délimitation retenue par
la Cour, de les examiner tour à tour.
1- Au point N° 2) La rivière Keraua
a) La Cour condense ses motifs dans le paragraphe 95 de
l'arrêt. Elle remarque tout d'abord que l'interprétation du
paragraphe18 de la déclaration Thomson-Marchand soulève des
difficultés dans la mesure où le texte se contente de faire
passer la frontière par « la rivière » Keraua,
alors que celle-ci à cet endroit présente deux chenaux. La Cour
rappelle alors que son travail consistera à identifier le chenal par
lequel la déclaration Thomson-Marchand fait passer la
frontière. En confrontant les thèses en conflit, la Cour va
se prononcer en faveur du Nigeria, bien que de façon incidente.
b) Dans sa conclusion, bien qu'ayant refusé
d'accueillir l'argument du Nigeria selon lequel le chenal oriental doit
être préféré, au motif qu'il serait le plus
important et mieux défini le chenal occidental, la Cour finit par
consacrer cette thèse lorsqu'elle conclut que « le paragraphe
18 de la déclaration Thomson- Marchand doit être
interprétée comme faisant passer la frontière par le
chenal oriental de la rivière Keraua. »181.
Si ce n'est que de manière incidente que l'argumentation
du Nigeria est validée à Keraua, comment cela s'est-il
passé au point litigieux N°9 ?
179 Voir arrêt, p.94, par. 181.
180 Voir arrêt, pp. 94-95, par. 182.
181 Voir arrêt, p.72, par. 96.
2- Au point litigieux N° 9) Le Maio
Senche
a) Ici la Cour va tout d'abord rappeler que le paragraphe 35 de
la
déclaration Thomson-Marchand alors applicable pose
encore le problème de l'identification de la ligne de partage des
eaux182. A cet effet, elle arrive à une conclusion
manifestement favorable au Nigeria.
b) La Cour fait valoir l'argumentation du Nigeria sur ce point
en rejetant
ostensiblement celle du Cameroun. Elle s'exprime en ces termes
: « La Cour, après étude de matériau
cartographique que lui ont fourni les parties, observe qu'elle ne saurait
accepter le tracé de la ligne de partage des eaux proposé par le
Cameroun dans la mesure en particulier où celui suit le cours d'une
rivière sur la plus grande partie de sa longueur ; ce qui est
incompatible avec le concept de ligne de partage des eaux183. La
ligne de partage des eaux, comme le soutient le Nigeria, passe entre le bassin
du Maio Senche et celui de deux rivières qui se trouvent le plus au
sud»184.
Ayant affirmé la valeur, mieux encore, le primat de la
démarche du Nigeria sur celle du Cameroun avec précision dans la
zone du Maio Senche, interrogeons-nous de la manière avec laquelle cela
a été fait à Jimbare et Sapeo.
3- Au point litigieux n°10) Jimbare et Sapeo
a) Sur cette zone de la frontière
terrestre, la Cour a d'abord constaté que l'interprétation des
paragraphes 35 à 38 de la déclaration soulève des
difficultés parce que d'une part, ils contiennent des erreurs
matérielles et d'autre part, ils sont tout simplement contradictoires
à la représentation faite de cette frontière sur la Carte
1931 annexé à la déclaration185.
- A Sapeo, la Cour constate avec le Nigeria
que la ligne frontière décrite dans le procèsverbal
Logan-Le Brun est bien celle qui a été reprise sur la carte de
1931 jointe à la déclaration. La Cour ne retient donc pas la
ligne prévue par la déclaration elle-même. Au surplus, elle
ajoute un argument tiré de l'absence d'administration du Cameroun sur ce
village pour confirmer l'appartenance de celui-ci au Nigeria. Que dès
lors, d'après l'interprétation
182 Voir arrêt, p.82, par. 138.
183 Il est regrettable qu'ici la Cour a fait recours au
«concept de ligne de partage des eaux » sans elle même
le définir. Cela aurait pu édifier la doctrine sur les nouvelles
avancées jurisprudentielles sur ce concept. (Voir le paragraphe 139 de
l'arrêt.)
184 Arrêt, p. 82, par. 139. Voir aussi le croquis
no 8 de l'arrêt en annexe.
185 Arrêt, p. 84, par. 143.
pertinente de l'intention des rédacteurs de la
déclaration Thomson-Marchand, c'est le tracé décrit dans
le procès-verbal Logan-Le Brun qui doit être
considéré.
A défaut de douter de la pertinence du raisonnement de
la Cour, on peut néanmoins s'interroger sur l'opportunité de son
argumentation tirée sur le défaut d'administration du Cameroun
dans cette région. N'est-ce pas là une manière, quoique
infime qu'elle paraisse, de faire prévaloir les effectivités sur
le titre ? Quoiqu'il en soit, la Cour considère que Sapeo était
nigérian lors des plébiscites de 1959 et 1961186.
- A Jimbare, la Cour note que contrairement
à ce qui s'est passé à Sapeo, la révision de la
frontière contenue dans le procès-verbal Logan-Le Brun n'a pas
été transposée sur la carte de 1931 jointe à la
déclaration Thomson-Marchand, pour ce qui concerne la région du
Jimbare. Mais malgré cette remarque pertinente par elle faite, la Cour
va affirmer « ... néanmoins que c'est également le
tracé décrit dans le procès-verbal Logan-Le Brun qui doit
ici prévaloir
»187.
c) Mais la conclusion de la Cour est encore
très surprenante. Elle conclut que « les paragraphes 37 et 38
de la déclaration Thomson-Marchand doivent être
interprétés comme faisant passer la frontière par le
tracé décrit au paragraphe1 de procès-verbal Logan-Le
Brun, tel que représenté par le Nigeria sur les figures 7.15 et
7.16 en regard des pages 346 et 350 de sa duplique »188.
La surprise ici réside dans la substitution implicite qu'effectue la
Cour de la déclaration Thomson-Marchand par ce procès-verbal
Logan-Le Brun qui pourtant, comme elle l'a rappelé au paragraphe
précédent, n'a pas été entièrement
transposé dans ladite déclaration. La Cour aurait certainement
mieux fait en précisant la valeur juridique de cet instrument de
délimitation.
La reconnaissance des thèses du Nigeria à Sapeo
et à Jimbare s'est donc faite avec une certaine touche
particulière de la Cour. De même devient-il pressant d'examiner la
technique retenue au point litigieux n°11.
4- A Nomberou (Namberou) - Banglang
a) La Cour commence d'abord par constater que
le paragraphe 38 de la déclaration Thomson-Marchand soulève des
difficultés d'interprétation en ce qu'il contient des erreurs
fondamentales189. Qu'à cet effet, elle devrait s'attacher
« ...à identifier le tracé que les
186 Cf. Arrêt, pp.84-85, par. 144.
187 Arrêt, p.85, par. 145.
188 Arrêt, p. 85, par. 146 in fine.
189 Voir arrêt, p. 86, par. 150.
rédacteurs de la déclaration
Thomson-Marchand ont entendu donner à la frontière dans cette
région ». Mais assez paradoxalement, la Cour va quasiment
abandonner le tracé de la frontière proposé par la
déclaration Thomson-Marchand en ce qu'il ne lui permet pas de
déterminer exactement la frontière dans ce secteur.
b) Comme au point litigieux
précédent, elle va donner raison à la thèse du
Nigeria en retenant le tracé contenu dans le procès-verbal
Logan-Le Brun parce que plus détaillé et fixant le point
d'aboutissement de la frontière à Hosere Tapere situé par
12014'30' de longitude est et 80 22' 00» de latitude
nord. L'autre paradoxe vient du fait que la Cour souligne toutefois que «
... le procès-verbal Logan-Le Brun et le paragraphe 38 de la
déclaration Thomson-Marchand semblent faire aboutir la frontière
dans ce secteur à un point identique »190. Et si
tel était le cas, on se serait attendu qu'elle détermine vraiment
la frontière ici à travers l'analyse pertinente du paragraphe 38
de ladite déclaration Thomson-Marchand. Toutefois, la Cour a
souligné que la délimitation ainsi retenue est plus favorable au
Cameroun191.
A la fin, la cour conclut que « le paragraphe 38 in
fine de la déclaration Thomson-Marchand doit être
interprété comme faisant passer la frontière par le cours
de la rivière Namberou jusqu'à sa source, puis de ce point, par
une ligne droite, jusqu'au Hosere Tapere tel que localisé par la cour
»192. Ainsi examinée, l'étude de
raisonnement de la C.I.J au point litigieux N°11) Namberou n'est pas
très différente de celle effectuée à Jimbare et
Sapeo. Interrogeons-nous à présent sur la méthode
utilisée à Bissaula-Tosso.
5- Au point litigieux N° 16) Bissaula-Tosso
Après avoir examiné les arguments en conflit, la
cour a constaté que la difficulté dans cette région
était de déterminer quel est l'affluent de la rivière
Akbang qui coupe la route Kentu-Bamenda et est par conséquent l'affluent
par lequel l'ordre en conseil fait passer la frontière.
A cet effet, c'est sans équivoque que la Cour fait
valoir la prétention du Nigeria en constatant que « l'affluent
sud de l'Akbang coupe bien la route Kentu-Bamenda comme le Nigeria le
prétend. C'est donc le tracé de la frontière
proposé par le Nigeria qui doit être
préféré. »193. A la fin, la C.I.J
considère « qu'il convient d'interpréter l'ordre en
conseil de 1946 comme faisant passer la frontière par le point où
l'affluent sud de la rivière Akbang, tel
190 Arrêt, p. 86, par. 151
191 Arrêt, Ibidem, in fine.
192 Arrêt, p. 87, par. 152. Voir le croquis n°9 de
l'arrêt en annexe
193 Arrêt, p. 95, par. 183.
qu'identifié par la cour, coupe la route
Kentu-Bamenda, puis de se point par l'affluent Sud jusqu'à son confluent
avec la rivière Akbang »194.
A côté de ces points litigieux où la cour a
donné raison au Nigeria au détriment de son Voisin, certains
autres points existent où le phénomène inverse s'est
produit.
II - LES POINTS CONFERES AUX THESES CAMEROUNAISES
Il s'agit ici des zones litigieuses sur lesquelles la cour a
fait valoir les arguments du Cameroun. Ces points sont au nombre de trois : le
point N° 3) La rivière Kohom, le point N° 6) Kotcha (Koja), et
le point N° 13) Le franchissement du Mayo Yim. Nous rappellerons, autant
que faire se peut, les thèses en conflit (A) avant d'exposer le
raisonnement de la cour (B).
A- L'EXPOSE DES ARGUMENTS EN CONFLIT
Pour mieux rendre compte de la teneur de ces arguments, il
convient de procéder point par point.
1- Au point litigieux N°3) La rivière
Kohom
Dans cette partie de la frontière, c'est le paragraphe
19 de la déclaration Thomson-Marchand qui était applicable et
c'est autour de son interprétation que se déchiraient les
parties195.
a) Pour le Nigeria « le paragraphe 19 de la
déclaration Thomson-Marchand est défectueux car il présume
que la rivière Kohom prend sa source dans le mont Ngosi ; ce qui ne
serait pas le cas ». Selon lui, ceci est la conséquence d'une
erreur commise par les rédacteurs de la déclaration
Thomson-Marchand. Que la rivière prenant sa source dans le mont Ngosi
est la Bogaza et non le Kohom. La frontière devrait donc suivre le cour
de la Bogaza196. Telle ne sera naturellement pas le point de vue du
Cameroun.
b) Pour le Cameroun, les monts Ngosi constituent une
chaîne de montagne et non un sommet déterminé, si bien que
tant la rivière Kohom que la rivière Bogaza y prendraient leur
194 Arrêt, p. 95, par. 184.
195 Arrêt, p. 72, par. 97.
196 Arrêt, p. 73, par. 98.
source. Et que les termes de la déclaration
Thomson-Marchand sont assez clairs pour identifier cette rivière Kohom
(des Kirdis), différente de celle identifiée par le
Nigeria197.
1- A Kotcha (Koja), point litigieux N°6
Comme au point précédent, c'est la
déclaration Thomson-Marchand qui fixe la frontière ici. Mais
cette fois, à travers ses paragraphes 26 et 27 qui brillent par leur
extrême concision:
« 26) puis la frontière passe par le mont Mulikia
(appelé aussi Lourougoua).
27) Du sommet du mont Mulikia elle atteint la source du
Tsikakiri, laissant Kotcha à l'Angleterre et Dumo à la France;
puis elle longe une ligne jalonnée provisoirement par quatre bornes par
MM. Vereker et Pition en septembre 1920 »198.
Les avis des parties vont diverger quant à
l'interprétation à donner à ces dispositions.
a) Pour le Nigeria, « les
paragraphes 26 et 27 de la déclaration Thomson-Marchand ci-dessus
présenteraient un problème dans la mesure où, sur les
quatre bornes mises en place en 1920 qui y sont indiquées, une seulement
pourrait éventuellement être identifiée aujourd'hui.
» A cet effet, il priait la cour de retenir la frontière passant la
ligne de partage des eaux, sauf à proximité de Koja village
nigérian qui s'est étendu de part et d'autre de
celleci199. Qu'est-ce qu'en pensait alors le Cameroun?
b) Le Cameroun pour sa part estimait que la
ligne frontière demandée par le Nigeria à proximité
de Koja est contraire à la déclaration Thomson-Marchand et que le
texte de celle-ci devrait être respecté200. Cette
attitude camerounaise bien que pas vraiment dynamique présente
l'avantage d'être au moins juridique. C'est le même schéma
argumentatif que l'on retrouve au point litigieux N°13).
197 Arrêt, p. 73, par. 99.
198 Arrêt, p. 78, par. 120.
199 Arrêt, p. 78, par. 121.
200 Arrêt, p. 79, par. 122.
2- Au point litigieux N° 13) Le
franchissement du Mayo Yim
Selon la C.I.J, la frontière est définie à
ce point par les paragraphes 48 et 49 de la déclaration
Thomson-Marchand201.
a) L'avis du Nigeria était que, ces paragraphes de la
déclaration Thomson-Marchand sont trop vagues, surtout en ce qui
concerne le point où la frontière traverse le Mayo
Yim202. Le Cameroun avait une vue diamétralement
opposée.
b) Les deux paragraphes de la déclaration
Thomson-Marchand en question ne nécessitant aucune clarification de la
part de la cour, il n'y avait là qu'un problème de
démarcation. Telle était l'argument de la Partie
camerounaise203. Face à ce conflit d'arguments et contre
arguments, la Cour validera les thèses camerounaises sur l'ensemble de
ces trois points. Il nous semble alors important d'examiner le contenu de son
raisonnement.
B- CONTENU DU RAISONNEMENT DE LA COUR
Il convient, pour le cerner, d'explorer les développements
effectués par la Cour sur chacun de ces points respectivement.
1- A la rivière Kohom
a) En effet, la Cour a eu d'énormes
difficultés pour identifier le cours de la rivière Kohom par
lequel doit passer la frontière comme le prévoit le paragraphe 19
de la déclaration Thomson-Marchand. Ayant admis avec le Nigeria que
c'est bien la rivière Bogaza qui prend sa source dans le mont Ngosi, et
non la rivière Kohom, la Cour essayera de déterminer le
tracé que les rédacteurs de la déclaration
Thomson-Marchand ont entendu donner à la frontière dans cette
région en la faisant passer par la rivière dénommée
« Kohom »204.
Constatant l'insuffisance de cet instrument
«pertinent» de délimitation, la Cour fera recours
à un croquis établi en mars 1926 par des fonctionnaires
français et britannique. Cette comparaison faite, elle estime alors que
le cours du Kohom par lequel la déclaration Thomson-Marchand fait passer
la frontière est celui indiqué par le Cameroun.
b) Ainsi, toujours en s'appuyant sur ce croquis
de 1926, elle constate que la frontière
passe au nord des monts Matakam comme le fait la ligne
réclamée par le Cameroun, et
201 Arrêt, p. 87, par. 156.
202 Arrêt, p. 88, par. 157.
203 Arrêt, p. 88, par. 158.
204 Arrêt, p. 73, par. 100.
contrairement à celle prônée par le
Nigeria qui passe nettement au sud de ces monts. Après un argumentaire
rejoignant largement les arguments du Cameroun, la Cour va tenter de se
rattraper à respecter la déclaration Thomson-Marchand en
cherchant à assurer la jonction entre la source de la rivière
Kohom telle qu'identifiée par elle même et la rivière
Bogaza qui prend sa source dans le mont Ngosi205.
A la fin, c'est par des données astronomiques que la
C.I.J détermine la source de la rivière Kohom qu'elle
décrit comme située par 130 44' 24» de longitude
est et 100 59' 09» de latitude nord. De ce point, la
frontière passe par une ligne droite orientée vers le sud et
rejoignant le mont marqué à une altitude de 861 mètres,
mont situé par 130 45' 45» de longitude est et
100 59' 45» de latitude nord, avant de suivre le cours de la
rivière Bogaza dans la direction sud-ouest jusqu'au sommet du mont
Ngosi206
Ainsi, la délimitation opérée par la cour
dans cette zone de la frontière terrestre semble très
ambiguë. Néanmoins malgré la coloration
d'équité qu'elle présente, cette délimitation est
«plus proche des thèses Camerounaises
»207. On peut dès lors affirmer que c'est de
façon indirecte que cette partie est reconnue au Cameroun. Comment cela
s'est-il alors passé à Kotcha ?
2- A Kotcha (Koja)
a) Contrairement aux développements
qu'elle a opérés dans la zone de Kohom, la position de la Cour
à Kotcha brille par une clarté et un synthétisme hors du
commun. Tout d'abord, elle a tenu à préciser, en défaveur
du Nigeria, qu' « elle n'a pas compétence pour modifier une
ligne frontière délimitée, même dans
l'hypothèse où un village auparavant situé d'un
côté de la frontière se serait étendu au delà
de celle-ci »208. C'était là une
façon brave et nette pour la cour, de mettre fin aux
velléités expansionnistes du « géant
»209 Nigeria.
b) Dans sa conclusion, la Cour donne
ostensiblement raison au Cameroun lorsqu'elle décide que « dans
la région de Kotcha visée aux paragraphes 26 et 27 de la
déclaration Thomson-Marchand, la frontière passe par la ligne de
partage des eaux, et cela y compris à proximité directe du
village de Kotcha, où les terres cultivées se trouvant du
côté
205 Arrêt, pp. 73-74, par. 101.
206 Arrêt, p. 74, par. 102. Voir aussi le croquis n°5
de l'arrêt en annexe.
207 L'expression est du président de la cour, M. GUILLAUME
lui même. Propos recueilli in Mutations, N° 762 du vendredi 11
octobre 2002, p.2
208 Arrêt, p. 79, par. 123.
209 Le Nigeria est un géant d'Afrique. Voir supra.
Camerounais de la ligne de partage des eaux demeurent en
territoire camerounais »210. C'est toujours de cette
façon qu'elle a donné raison au Cameroun dans la zone du
franchissement du Mayo Yim.
3 - Au franchissement du Mayo Yim
a) La décision de la Cour est
caractérisée ici par un laconisme très poussé. Elle
souligne tout d'abord que si le Nigeria a contesté dans son contre
mémoire le tracé de la frontière au niveau du
franchissement du Mayo Yim visé au paragraphe 49 de la
déclaration Thomson-Marchand, il n'est plus revenu sur cet argument sur
le reste de la procédure. Encore qu'il n'a pas rejeté l'argument
du Cameroun selon lequel le problème dans cette région
était un problème de démarcation211.
b) Qu'à cet effet, ne jugeant plus nécessaire
de préciser les coordonnées de la frontière dans ce
secteur, la Cour conclut tout simplement que « dans la région
du franchissement du Mayo Yim, la frontière suit le tracé
visé aux paragraphes 48 et 49 de la déclaration Thomson-Marchand
»212 ; ce qui n'est que la confirmation de l'argumentation
camerounaise.
Ainsi, la Cour donne raison directement aux thèses
camerounaises sur trois points litigieux. Néanmoins comme nous l'avons
vu plus haut, les arguments du Nigeria ont le plus été pris en
compte sur certains points. Toutefois, à côté de cette
reconnaissance alternative des thèses des parties, la Cour, dans un
effort de neutralité, a dégagé des solutions issues de son
inspiration propre sur d'autres points litigieux de la frontière
terrestre.
SECTION 2 : UNE DELIMITATION CONSACRANT DES ZONES
NEUTRES
OU INTERMEDIAIRES
En effet, l'arrêt de la C.I.J du 10 octobre 2002 a ceci
de particulier qu'il va au-delà des prétentions des parties.
C'est dans ce sens que se justifie la délimitation de la
frontière terrestre retenue sur plusieurs points litigieux où la
Cour a fait montre d'une certaine rigueur dans l'interprétation des
textes coloniaux applicables. C'est ainsi qu'elle retient une
210 Voir arrêt, p. 79, par. 124.
211 Lire ces développements au paragraphe 159, p. 88 de
l'arrêt.
212 Arrêt, p.88, par. 160.
délimitation presque autonome en adoptant une
neutralité, mieux encore, une impartialité assez surprenante dans
sa décision sur certains points litigieux qu'il nous convient d'abord de
présenter (I), avant l'examen même de son raisonnement (II).
I- LES DIFFERENTS POINTS LITIGIEUX CONCERNES
Comme nous l'avons vu plus haut, il s'agit ici des zones
où la Cour a adopté une délimitation neutre à
travers l'interprétation pertinente des instruments
applicables213. Toutefois, compte tenu de la densité des
développements consacrés à ces points, il serait
difficultueux, voire même « fastidieux de rapporter ici
l'analyse minutieuse de l'arrêt à cet égard
»214. Néanmoins, nous constatons que certains
points sont définis par la déclaration Thomson-Marchand (A),
tandis que deux seulement sont définis par l'ordre en conseil de 1946
(B).
A- LES POINTS LITIGIEUX DEFINIS PAR LA DECLARATION
THOMSON-MARCHAND
Il faut bien préciser qu'il ne s'agit ici que des
points sur lesquels la décision de la cour s'est un temps soit peu
écartée des thèses des parties en conflit. Cette
précision faite, il faut dire que la Cour retient dans ce cadre, sept
points litigieux que nous présenterons successivement.
1- Le point N°1) Limani
Il est défini par les paragraphes 13 et 14 de la
déclaration Thomson-Marchand215. Mais c'est autour de la
question de savoir quel est « le bras» de la rivière
passant près du village Limani jusqu'à un confluent situé
à environ 2 kilomètres au nord-ouest de ce village que les
parties se déchiraient. Tandis que le Nigeria préconisait le
bras se trouvant le plus au sud, le Cameroun invoquait le
deuxième bras à partir du nord216.
213 Puis qu'il ne faut pas perdre de vue que la cour ne fait
traduire l'esprit des rédacteurs de ces textes. Ne dit-elle pas qu'elle
n'opère pas à une « délimitation de novo » ?
(cf. p. 69, par 84 in fine).
214 P. D'ARGENT, « Des frontières et des peuples
: l'affaire de la frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et
le Nigeria (arrêt de fond) », A.F.D.I, 2002, pp.
281-321.
215 Arrêt, p. 70, par. 87.
216 Arrêt, p. 70, par. 88 et 89.
2- Le point N°4) La ligne de partage des eaux de
Ngosi à Humsiki (Roumsiki) / Kamale / Turu (les monts Mandara)
La frontière ici est fixée par les paragraphes
20 à 24 de la déclaration ThomsonMarchand217. La chose
exceptionnelle qu'il faut souligner ici c'est que, tandis que le Nigeria
s'attache cette fois à la lex lata (de la déclaration) qui «
délimite clairement la frontière dans la région en
prévoyant à une ligne de partage des eaux
»218, le Cameroun tante d'échapper au texte en
estimant que « la notion de ligne de partage des eaux est complexe et
qu'il est difficile de fixer une telle ligne le long d'un escarpement abrupt
comme c'est le cas en l'espèce »219.
3- Le point N°5) Du mont Kuli à Bourha/
Maduguva (la ligne erronée de partage des eaux de la carte Moisel)
Dans cette zone, la frontière est définie par
le paragraphe 25 de la déclaration Thomson-Marchand220.
Malgré la clarté apparente de cette disposition, le débat
ne fut pas moins houleux entre les parties. Le défendeur estimait que ce
paragraphe qui place la frontière sur « la ligne erronée
de partage des eaux » est défectueux et entaché d'une
vétusté de près de quatre-vingt dix ans. Quant au
demandeur, il va tout simplement revenir à des sentiments juridiques en
estimant que la déclaration Thomson-Marchand «place sciemment
la frontière sur la ligne erronée de partage des eaux
indiquée sur la Moisel », et que dès lors il suffit
à la cour de s'en tenir purement et simplement à la transposition
de cette ligne sur une carte moderne et sur le terrain221. La
versatilité argumentative des parties sur ce point n'est plus à
démontrer222 ; chacune tirant la couverture de son
côté.
4- Le point N°7) La source de la rivière
Tsikakiri
C'est le paragraphe 27 d la déclaration
Thomson-Marchand qui fixe la frontière dans la zone de la source de la
rivière Tsikakiri223. Pour bref qu'il soit, le contenu de ce
paragraphe ne faisait pas l'unanimité entre les parties. Pour la partie
Nigeria, la rivière Tsikakiri a trois sources et qu'il fallait que la
Cour retienne l'un des tributaires sud de la rivière, et non le
217 Arrêt, p. 74, par. 103.
218 Arrêt, p. 75, par. 104.
219 Ibidem, par. 105.
220 Arrêt, p. 77, par. 115.
221 Arrêt, p. 77, par. 106 et 107.
222 On était en présence d'un conflit devant le
juge international, dès lors, ces variations d'attitudes face au
droit
traduisent « des politiques à l'égard de
l'interprétation du droit ». Sur l'attitude des Etats face au
droit, lire G. DE LACHARRIERE, La politique juridique extérieure,
Paris, Economica, 1983, pp. 105-176.
223 Arrêt, p. 79, par. 125.
tributaire nord invoqué par le Cameroun. Naturellement,
le Cameroun n'y verra que du canular en estimant que le point
désigné par le Nigeria comme source du tributaire sud ne
correspond à rien de tel224.
5- Le point litigieux N°8) De la borne
frontière N°6 à Wammi Budungo
Ici, ce sont les paragraphes 33 et 34 de la
déclaration Thomson-Marchand qui déterminent la
frontière225. Le problème ici réside dans le
fait que, comme l'a soulevé le Nigeria, « les bornes N° 6
et 8 par lesquelles la déclaration Thomson-Marchand fait passer la
frontière n'ont pas pu être retrouvées ». Que
dès lors, il convient de tenter de localiser ces bornes à partir
de l'accord anglo-allemand de 1906 qui a servi de base à la fixation du
tracé de la frontière dans cette région. Face à cet
exposé très dense du défendeur226, le demandeur
va tout simplement rappeler avec insistance qu'il s'agit ici « d'un
problème de démarcation et non de délimitation
»227. Ce genre d'arguments de la part du Cameroun ne
pouvait que conférer une large part de manoeuvre aux juges.
6- Tipsan, point litigieux N°12
A Tipsan, la frontière est définie par les
paragraphes 40 et 41 de la déclaration Thomson-Marchand228.
Dans cette zone, bien que les parties se soient mises d'accord sur
l'interprétation de ces paragraphes comme l'a observé la
Cour229, elles sont néanmoins restées
séparées sur l'identification, mieux encore, sur la
démarcation du lieu dit Tipsan.
7- le point N°14) La région des monts
Hambere
Elle est la dernière zone litigieuse de la
frontière terrestre Nigeria-Cameroun définie par la
déclaration Thomson-Marchand. Comme le rappelle la Cour, la
frontière ici est fixée par les paragraphes 60 et 61 de cette
déclaration230. Et comme toujours, les deux protagonistes ne
partageaient pas le même point de vue sur l'interprétation
à donner à ces dispositions.
Pour le Nigeria, le pic qui est décrit dans la
déclaration comme « assez proéminent »,
et pour lequel la version anglaise du texte ajoute le
qualificatif « pointu », serait « Itang
224 Arrêt, p. 79, par. 126 et 127.
225 Arrêt, p. 80, par. 130.
226 Arrêt, pp. 80-81, par 131.
227 Arrêt, p. 81, par. 132.
228 Arrêt, p. 87, par. 153.
229 Arrêt, p. 87, par. 154.
230 Arrêt, p. 88, par. 161.
Hill ». Que ce pic n'étant toutefois pas sur
la ligne de partage des eaux, il conviendrait de tracer la frontière en
joignant la ligne de crête à Itang Hill au nord-est de ce
sommet231.
A côté de cette démonstration tirée
de la réalité du relief, le Cameroun va quant à lui
réaffirmer son attachement à l'esprit de la déclaration en
insistant qu'il s'agit seulement d'un problème de démarcation.
En dehors de ces points définis par la déclaration
Thomson-Marchand, il y a trois autres déterminés par l'ordre en
conseil de 1946.
B- LES POINTS LITIGIEUX DEFINIS PAR L'ORDRE EN CONSEIL DE
1946
Tel que cela ressort de la lecture des paragraphes 169 à
189 de l'arrêt, ces points sont deux. Ici également, l'argument
d'aucun des protagonistes n'a prévalu.
1- Le point N°15) Des monts Hambere à la
rivière Mburi (Lip et Yang)
En effet, la frontière dans cette zone est
définie par un fragment de l'Ordre en conseil de 1946 que la Cour cite
dans son paragraphe 169. Et à ce sujet, le Nigeria, toujours
fidèle à sa politique réaliste essaye de démontrer
les défectuosités entachant ledit texte étant donné
que selon lui, il ne correspond pas à la topographie
locale232. Quant au Cameroun, le problème n'était pas
très complexe comme voulait le faire croire le Nigeria. Il s'agissait
d'une simple question de démarcation de la ligne décrite dans
l'ordre en conseil de 1946233. Après cette zone litigieuse,
il y a également la zone de la rivière Sama où l'Ordre en
conseil fut retenu (étant donné que le point litigieux N°16
fut reconnue au Nigeria).
2- Le point litigieux N°17) La rivière
Sama
Comme le souligne la Cour dans le paragraphe 185 de
l'arrêt, c'est l'Ordre en conseil de 1946 qui fixe la frontière
dans cette zone: « de la borne 64 de l'ancienne frontière
angloallemande, la ligne remonte la rivière Gamana jusqu'à son
confluent avec la rivière Sama ; de là, elle remonte la
rivière Sama jusqu'au point où celle-ci se divise en deux ; de
là, elle suit une ligne droite jusqu'au point le plus
élevé du mont Tosso ».
231 Arrêt, p. 89, par. 162.
232 Arrêt, p. 91, par. 170.
233 Arrêt, p. 91, par. 171.
Et comme toujours, le Nigeria va asseoir se plaidoirie sur la
défectuosité du texte applicable en préconisant à
la Cour de retenir l'affluent sud de la rivière Sama pour
indiquer le point où elle « se divise en deux
»234. Le Cameroun, pour sa part, demande à la Cour
de retenir l'affluent nord de la rivière Sama étant
donné qu'il est celui qui « a toujours été pris
en compte par les deux parties pour le tracé de la frontière
»235.
En effet, qu'il s'agisse des points définis par la
déclaration Thomson-Marchand ou ceux fixés par l'Ordre en conseil
de 1946, ce qui nous semble important ici c'est le fait que la Cour y a retenu
des solutions intermédiaires ou neutres. D'où l'urgence
d'examiner son raisonnement sur ces points.
II- L'EXPOSE DU RAISONNEMENT DE LA COUR SUR LES POINTS
CONCERNES
L'analyse du raisonnement de la Cour internationale de justice
sur ces points litigieux est assez intéressante. Elle montre une
délimitation de la frontière terrestre entièrement neutre
par endroits (A), tandis que sur certains points, elle retient une
délimitation mixte ou intermédiaire (B).
A- UNE DELIMITATION NEUTRE PAR CERTAINS
ENDROITS
La Cour internationale de Justice a bel et bien retenu une
délimitation assez neutre sur certains points litigieux de la
frontière terrestre entre le Nigeria et le Cameroun. Par
délimitation neutre de la frontière, on entend ici une
délimitation ne militant en faveur des thèses d'aucun des deux
Etats Parties au procès. Nous présenterons alors ces points
d'après l'ordre retenu par l'arrêt lui-même.
1- Au point litigieux N°1) Limani
La réflexion de la Cour est contenue ici dans les
paragraphes 90 et 91 de l'arrêt. Elle prend d'abord le soin de
démontrer les insuffisances entachant les arguments du Cameroun. Elle
estime que le bras de la rivière dont parle le Cameroun« ne
saurait être retenu. Ce bras ne satisfait pas aux prévisions du
paragraphe 14 de la déclaration ». Ayant invalidé
234 Arrêt, p. 95, par. 186.
235 Arrêt, p. 95, par. 187.
l'argumentation camerounaise du deuxième bras à
partir du nord, la Cour va également estimer problématique le
bras méridional proposé par le Nigeria, parce que ne figurant sur
aucune carte.
Dès lors « la Cour constate en revanche qu'il
existe un autre bras de la rivière, appelé Nargo sur la feuille
« Ybiri N.W » de la carte DOS reproduite à la page 23 de
l'atlas annexé à la duplique du Nigeria qui remplit les
conditions posées par la déclaration Thomson-Marchand (...). La
Cour considère dès lors qu'il s'agit du bras qui était
visé par les rédacteurs de la déclaration Thomson-Marchand
»236.
Et dans sa conclusion, la Cour estime que « la
rivière visée au paragraphe 14 de la déclaration
Thomson-Marchand est le bras coulant entre Narki et Tarmoa et que la
frontière partant du marrais d'agzabam doit suivre ce bras
jusqu'à son confluent avec la rivière Ngassaoua
»237. A cet effet, la délimitation retenue à
Limani est entièrement neutre, et c'est la même neutralité
que la Cour adopte au point litigieux N°5.
2- Au point litigieux N°5) Du mont Kuli à
Bourha/Maduguva (la ligne erronée de partage des eaux de la carte
Moisel)
Sur cette zone de la frontière, les
développements de la Cour sont contenus dans les paragraphes 118 et 119
de l'arrêt. En tout état de cause, elle admet clairement la
validité du paragraphe 25 de la déclaration Thomson-Marchand qui
prévoit expressément que « la frontière doit
passer par « la ligne erronée de partage des eaux indiquée
par la carte Moisel » »
Mais, malgré certaines erreurs que contient cette
carte, la Cour va d'abord rejeter l'argumentation camerounaise aux motifs que
la ligne erronée de partage des eaux dont elle fait allusion se trouve
en effet sur toute sa longueur à l'ouest du méridien de
130 30' de longitude est, et non à l'est comme le
prévoit la carte Moisel. Elle rejettera également la ligne
erronée de partage des eaux proposée par le Nigeria parce que son
tracé est brisé et non sinueux comme l'indique la carte
Moisel.
Après avoir fragilisé les arguments des deux
parties, la Cour conclut que le paragraphe 25 de la déclaration
Thomson-Marchand doit être interprété comme faisant passer
la frontière du Mont Kuli au point marquant le début de «
ligne erronée de partage des eaux », situé par
130 31'47» de longitude est et 100 27' 48» de
latitude nord ; point qu'elle rejoint en suivant la ligne correcte de partage
des eaux. Puis de ce point, la frontière suit le tracé de «
ligne erronée
236 Arrêt, p. 71, par. 90 in fine.
237 Ibid, par. 91. Voir aussi le croquis n°4 en annexe.
de partage des eaux » jusqu'au point marquant la
fin de cette ligne, qui se trouve par 130 30' 55» de longitude
est et 100 15'46» de latitude nord238.
En effet, le recours aux données astronomiques ici
montre que la frontière terrestre entre le Cameroun et le Nigeria
continue à demeurer artificielle. Bref, l'important c'est l'application
des textes pertinents de délimitation. Et c'est cette application
impartiale des instruments de délimitation qui conduira encore la C.I.J
à retenir une délimitation neutre à la source de la
rivière Tsikakiri.
3- A la source de la rivière Tsikakiri, point
litigieux N°7
Dans cette zone de la frontière terrestre, le
raisonnement de la Cour est contenu dans les paragraphes128 et 129 de
l'arrêt. Tout d'abord la Cour reconnaît la complexité qui
entoure l'application du paragraphe 27 de la déclaration
Thomson-Marchand dans cette zone. Constatant avec les parties que la
rivière Tsikakiri présente effectivement plusieurs sources
contrairement à « la source» dont parle le texte
applicable, la C.I.J va alors préciser sa tâche en
l'espèce. Celle-ci est d'identifier la source par laquelle les
rédacteurs de la déclaration Thomson-Marchand entendaient faire
passer la frontière.
Et dans sa conclusion, elle estime que « la
frontière dans la région visée au paragraphe 27 de la
déclaration Thomson-Marchand part du point de coordonnées
130 17' 50» de longitude est et 100 03' 32» de
latitude nord qui se trouve aux abords de Dumo. Puis, de ce point, la
frontière rejoint par une ligne droite le point que la Cour a
interprété comme étant « la source du Tsikakiri
» mentionnée par la déclaration, avant de suivre le
cours de cette rivière »239. Ici, comme au point
litigieux N°5, la Cour a fait référence aux données
astronomiques marquant ainsi l'artificialité de la source de la
rivière Tsikakiri. Ce qui est quand même paradoxal lorsqu'on sait
qu'une rivière a toujours une source qui soit géographiquement
identifiable; c'est à dire naturelle. Mais la Cour ne faisait que faire
son travail: appliquer le droit. Dans cet élan, elle arriva
également à une délimitation entièrement neutre
à Tipsan.
4- A Tipsan, point litigieux N°12
Sur ce point de la frontière terrestre, le raisonnement
de la Cour brille par son laconisme. En effet, compte tenu de la
prolixité des arguments des parties, la Cour souligne d'abord l'accord
spontané des parties de faire passer la frontière par une ligne
parallèle à la
238 Arrêt, p. 78, par. 119, in fine.
239 Arrêt, p. 80, par. 129. Voir également le
croquis N°6 en annexe.
route Fort-Lamy-Baré et distante de celle-ci de 2
kilomètres à l'ouest, comme le prévoit le paragraphe 41 de
la déclaration Thomson-Marchand240. Toutefois, prenant acte
de cet accord, la Cour détermine le point d'aboutissement de ce segment
de la frontière « à environ 2 kilomètres au
sud-ouest du point où le Mayo Tipsal est traversé par la
piste» comme correspondant aux coordonnées 120 12'
45» de longitude est et 70 58'49» de latitude nord.
De toute évidence, le recours à une
délimitation basée sur les données astronomiques
était pour la Cour une preuve d'impartialité et pour les parties
un gage de neutralité. C'est encore cet effort d'impartialité qui
a marqué la délimitation opérée dans la
région des monts Hambere.
5- Au point litigieux N°14) la région des
monts Hambere
La Cour articule son raisonnement relatif à cette zone
de la frontière terrestre nigéro camerounaise sur les paragraphes
164 à 168 de son arrêt. Tout d'abord, elle reconnaît que les
paragraphes 60 et 61 de la déclaration Thomson-Marchand soulèvent
des problèmes d'interprétation dans la mesure où ils font
passer la frontière par « un pic assez proéminent
» sans toutefois le préciser241. Néanmoins,
la Cour estime que ces extraits de la déclaration Thomson-Marchand
contiennent un certain nombre d'indications utiles pour retrouver ce «
pic assez proéminent » par lequel doit passer la
frontière242. Après l'analyse des documents
cartographiques fournis par les parties, la Cour rejette la proposition
nigériane concernant Itang Hill243. Elle estime au contraire
que « lorsqu'on suit la ligne de partage des eaux passant au travers
des monts Hambere en venant de l'est, comme le prévoit le paragraphe 60
de la déclaration, on aboutit à un mont fort proéminent et
particulièrement marqué, le mont Tamnyar, qui remplit les
conditions prévues par la déclaration Thomson-Marchand et culmine
à une altitude supérieure à celle d'Itang Hill
»244.
Et dans sa conclusion sur ce point, la Cour estime que «
le paragraphe 60 de la déclaration Thomson-Marchand doit être
interprété comme faisant passer la frontière par la ligne
de partage des eaux aux travers des monts Gesumi ou Hambere, telle
qu'indiquée sur la feuille NB-32-XVIII - 3a-3b de la carte au 1/50
000e du Cameroun établie en 1955 par l'IGN
240 Arrêt, p. 87, par. 155.
241 Arrêt, p. 89, par. 164.
242 Ibid, par. 165.
243 Ibid, par. 166.
244 Ibid, par. 167.
et produite en l'instance par le Nigeria, jusqu'au pied du
mont Tamnyar, mont que la Cour a identifié comme constituant le «
pic assez proéminent » visé par la déclaration
»245.
Malgré cet effort d'impartialité
manifesté par la Cour, on peut néanmoins lire dans sa position
une certaine tendance à satisfaire les thèses de la partie
demanderesse. En effet, si les paragraphes 60 et 61 de la déclaration ne
précisent pas expressément le « pic assez
proéminent » par lequel doit passer la frontière,
lorsque la Cour arrive à le fixer au mont Tamnyar, n'est-ce pas
là une façon d'opérer une démarcation, même
implicite ? Mais la Cour l'a elle même dit, son travail n'est ni de
délimiter de novo, la frontière, ni de la démarquer.
Il consiste à expliquer aux parties l'esprit des rédacteurs des
instruments pertinents de la délimitation. Le même esprit
d'indépendance de la Cour vis-à-vis des parties se fait ressentir
dans la zone des monts Hambere.
6- Dans la zone des monts Hambere à la
rivière Mburi (Lip et Yang)
Les développements de la Cour s'illustrent ici par leur
densité. Ils vont du paragraphe 172 au paragraphe 179 de
l'arrêt246. La Cour commence par constater, comme l'a fait le
Nigeria, que l'interprétation de l'ordre en conseil de 1946
soulève deux difficultés essentielles. La première
difficulté est liée à l'identification du pic
proéminent, et la seconde est liée à la
détermination du tracé de la frontière au delà de
ce point247.
En ce qui concerne le pic proéminent, la Cour estime
qu'il ne s'agit pas de celui dont parle le paragraphe 60 de la
déclaration Thomson-Marchand. Ce pic ne correspond non plus à
Tonn Hill comme l'a suggéré le Nigeria. Elle estime que «
les critères d'identification du pic proéminent posés
par l'ordre en conseil ne permettent d'identifier ni Tonn Hill, ni Itang Hill,
ni le mont Tamnyar, ni aucun autre mont précis comme étant ce pic
proéminent par lequel doit passer la frontière
»248. Néanmoins, la Cour souligne que «
l'ordre en conseil de 1946 prévoit en effet que le «
pic proéminent » par lequel il fait passer la
frontière se trouve sur une crête de montagnes qui marque
l'ancienne frontière franco-britannique »249. Que
cette crête de montagne étant aisément identifiable,
l'intention des rédacteurs de l'ordre en conseil était de faire
passer la frontière par cette ligne de crête. Dès lors, la
ligne de partage des eaux aux travers des monts Hambere, sur laquelle se trouve
le mont Tamnyar, se prolonge naturellement jusqu'à la ligne de
crête qui marque l'ancienne frontière franco-britannique et
à partir de laquelle commence la partie de la frontière
délimitée par l'ordre en conseil de 1946.
245 Ibid, par. 168. Voir également le croquis N°10
joint à l'arrêt en annexe.
246 Voir arrêt, pp. 92-94.
247 Arrêt, p. 92, par. 172.
248 Ibid, par. 173.
249 Ibid, par. 174. Voir le croquis N°10 joint à
l'arrêt en annexe.
Il est très curieux ici de voir avec quelle technique
la Cour a fait disparaître le « pic proéminent
» visé par l'ordre en conseil pour ne retenir que la «
ligne de crête »250. On peut se demander si la
recherche poussée de l'esprit des rédacteurs des textes
applicables n'a pas conduit la Cour à donner ses propres estimations.
Mais qu'à cela ne tienne, il est à remarquer que la solution de
la Cour ne donne particulièrement raison à aucune des deux
parties sur ce point.
Après avoir résolu le problème de
l'identification du pic proéminent qui doit désormais être
entendu comme ligne de crête, la Cour a recherché le tracé
de la frontière à partir de cette ligne de crête. Ce
faisant, elle a confirmé la valeur juridique de l'ordre en conseil de
1946 en tant que seul instrument de délimitation internationalement
reconnu à l'occasion du rattachement du Cameroun méridional sous
mandat britannique au Cameroun indépendant251. Elle constate
que cet instrument de délimitation contient un grand nombre
d'informations sur le tracé de la frontière dans cette
région252. Ainsi, en examinant attentivement les cartes
fournies par les parties, la Cour remarquera que le tracé de la
frontière de l'ordre en conseil ne correspond ni à la ligne
réclamée par le Cameroun, ni à celle
réclamée par le Nigeria253. Dès lors, on ne
pouvait plus que s'attendre à une délimitation
véritablement neutre sur ce point. Après des motifs
extrêmement riches et enrichissants exposés dans le paragraphe 178
de l'arrêt, la Cour arrive à une conclusion assez composite. Cette
décision tient compte de l'accord des parties concernant la
frontière située à l'ouest de Nyam et consistant à
faire passer la frontière par le cours de la rivière Mburi (Maven
ou Ntum). La Cour conclut en effet que « d'est en ouest, la
frontière suit en premier lieu la ligne de partage des eaux aux travers
des monts Hambere depuis le mont Tamnyar jusqu'à ce que cette ligne
atteigne la ligne de crête marquant l'ancienne frontière
franco-britannique. Conformément à l'ordre en conseil de 1946, la
frontière suit ensuite cette ligne de crête vers le sud, puis vers
l'ouest-sud-ouest jusqu'à la source de la rivière Namkwer. La
frontière emprunte alors le cours de la rivière Namkwer
jusqu'à son confluent avec la rivière Mburi ; à 1 mille
nord de Nyam. De ce point, la frontière suit le cours de la
rivière Mburi. (...). »254.
Cette décision assez équilibrée
consistait certainement à tenir compte des thèses des deux
parties sans pour autant s'y appuyer. C'est le même constat qui se
dégage de l'examen de l'attitude de la Cour dans la zone de la
rivière Sama.
250 La ligne de crête désignant « une ligne
idéale reliant les sommets les plus élevés d'une
chaîne unique », voir à
cet effet, Ch. ROUSSEAU, Précis de Droit international
public, Paris, Dalloz , 1970, 5e édition, p. 163.
251 Arrêt, p. 93, par. 175.
252 Ibid, par. 176.
253 Ibid, par. 177.
254 Arrêt, p. 94, par. 179. Voir aussi le croquis N°10
de l'arrêt en annexe.
7- Dans la zone de la rivière Sama ; point
litigieux N°17
Ici, la Cour reconnaît à la suite du Nigeria que
l'ordre en conseil de 1946 soulève des difficultés
d'interprétation pour identifier lequel des affluents de la
rivière Sama à prendre en considération. Dans un vaste
paragraphe 188 de l'arrêt, la Cour démontre que d'après la
carte Moisel, les deux affluents ont la même longueur et la même
importance. Et ne disposant d'aucune donnée concernant le débit
des affluents, elle ne saurait accueillir l'argument du Nigeria. De même,
constatant que la partie demanderesse ne fournit aucune preuve
établissant l'affluent nord comme le seul utilisé dans la
pratique, la Cour rejette la thèse camerounaise.
Après avoir invalidé les deux thèses en
conflit, la Cour affirme clairement l'applicabilité de l'ordre en
conseil de 1946 sur cette partie de la frontière terrestre. <<
La lecture du texte de l'ordre en conseil permet de déterminer quel
est l'affluent à retenir pour la détermination de la
frontière ». De ce fait, la Cour établit un
rapprochement entre l'ordre en conseil de 1946 et la déclaration
Thomson-Marchand en ce qu'ils décrivent la frontière à
l'aide << des caractéristiques physiques du paysage
» ceci dans le but de la rendre plus aisément identifiable.
Dans sa dynamique de recherche de l'esprit des rédacteurs du texte
applicable, la Cour estime que ceux de l'ordre en conseil entendaient faire
passer la frontière par le premier confluent rencontré sur la
rivière en venant du nord. Ce qui conforterait l'argumentation du
Cameroun255. Dès lors, on pouvait penser que la
délimitation opérée ici fait la part belle au Cameroun. Et
pourtant dans sa conclusion, la Cour va adopter des termes assez
imprécis tout en se référant aux données
astronomiques.
La lecture du paragraphe 189 de l'arrêt est assez
évocatrice : « L'ordre en conseil britannique de 1946 doit
être interprété comme faisant passer la frontière
par la rivière Sama jusqu'au point où aboutit son premier
affluent, point de coordonnées 100 10' 23» de longitude
est et 60 56' 29» de latitude nord, que la Cour a
identifié comme étant celui, visé par l'Ordre en conseil,
où la rivière Sama « se divise en deux »,
puis, de ce point, par une ligne droite jusqu'au point le plus
élevé du mont Tosso. »256. Il semble que cet
attachement aux coordonnées astronomiques au détriment des
indices naturels proposés par les instruments applicables visait
l'expression d'une forte impartialité de la part de la Cour. Mais
jusqu'où pouvait-elle aller dans cette oeuvre en échappant au
rôle forcement distributif que devait avoir sa décision?
L'impartialité de la Cour demeure pourtant la base de la confiance que
lui font les Etats. Malgré la rigueur de son raisonnement sur ces points
litigieux, la Cour a également consacré des zones mixtes ou
intermédiaires.
255 Voir arrêt, p. 96, par. 188, in fine.
256 Ibid, par. 189.
B- UNE DELIMITATION MIXTE OU INTERMEDIAIRE PAR D'AUTRES
ENDROITS
Sur l'ensemble des dix sept points litigieux qui constituaient
la frontière terrestre, deux seulement ont connu une délimitation
assez mixte ou intermédiaire. On entend par délimitation mixte
ici, et contrairement à la délimitation neutre, celle où
la Cour a donné raison en partie à chacune des deux parties
concomitamment. Ces deux points litigieux sont le point litigieux N°4 (1),
et le point litigieux N°8 (2).
1- Dans la zone de la ligne de partage des eaux de
Ngosi à Humsiki
(Roumsiki) /Kamale/Turu (les monts Mandara)
En effet, la détermination du tracé de la
frontière dans la zone de la ligne de partage des eaux de Ngosi à
Humsiki n'a pas été aisée. C'est le point de la
frontière terrestre sur lequel la démarche juridique camerounaise
a tenté pour la première fois de se détacher de la
déclaration Thomson-Marchand, tandis que le Nigeria s'y attachait
fermement257. Face à ce revirement de politique juridique des
deux Etats, la Cour va essayer de jouer au médiateur. Ainsi dans un
argumentaire contenu dans neuf paragraphes, la Cour déroule sa vision
des faits258. Elle commence alors par préciser sa tâche
: « la tâche de la Cour est donc de déterminer le
tracé de la frontière en se référant aux termes de
la déclaration Thomson-Marchand, c'est-à-dire essentiellement
à la ligne de crête, à la ligne de partage des eaux et
à des villages devant être situés de part et d'autre de la
frontière »259. Et c'est à travers la
délimitation tronçon par tronçon qu'elle va tantôt
faire valoir la thèse nigériane, tantôt la thèse
camerounaise.
- De Ngosi à Turu, la Cour estime que
la frontière suit effectivement la ligne de partage des eaux comme le
prévoit le paragraphe 20 de la déclaration Thomson-Marchand. Elle
note à cet effet qu' « il n'est pas contesté par les
parties que la frontière passe par la ligne de partage des eaux
». Néanmoins, elle rejette la ligne proposée par le
Cameroun au motif qu'elle coupe plusieurs cours d'eau. De ce fait même,
elle accorde plus de crédit à celle proposée par le
Nigeria. Mais c'est la situation du village Turu qui va faire l'objet de
l'originalité de la position de la Cour. En effet, bien que ce village
camerounais se soit étendu en territoire nigérian, la Cour va
laisser sa détermination entre les mains des deux
257 Voir à cet effet l'arrêt, p. 75, par. 104 et
105, précités
258 Arrêt, pp. 75-77, par. 106-114.
259 Arrêt, p. 75, par. 106.
protagonistes. Elle pense ainsi se conformer à l'esprit
de la déclaration Thomson-Marchand lorsqu'elle rappelle par ailleurs que
« si elle peut interpréter les dispositions des instruments de
délimitation lorsque leur libellé appelle une telle
interprétation, elle ne saurait en revanche modifier le tracé de
la frontière tel que ces instruments l'établissent ».
Que dès lors elle ne saurait modifier la ligne frontière. Et que
« s'il était avéré que le village de Turu s'est
étendu en territoire nigérian au delà de la ligne de
partage des eaux, il appartiendrait aux parties de trouver une solution aux
problèmes qui en résulteraient aux fins d'assurer le respect des
droits et intérêts de la population locale ». En
définitive, dans ce tronçon, et contrairement aux estimations
camerounaises260, c'est par la ligne de partage des eaux
préconisée par le Nigeria que passe la
frontière261.
- De Turu à Mabas, ici la Cour
souligne que selon le tracé préconisé par les paragraphes
21 et 22 de la déclaration Thomson-Marchand, il y a une divergence de
vues entre les parties au sud de Wisik, et près de Mabas. Si la Cour
estime que la ligne de partage des eaux proposée par le Cameroun
près de Mabas pose problème, elle la retient par ailleurs dans la
zone de Wisik. Et dans l'ensemble, sans faire valoir la ligne proposée
par le Nigeria, la Cour rappelle que selon la déclaration, la
frontière laisse Mabas du côté français. Et que
dès lors, « la frontière doit donc, à cet
endroit, suivre la ligne de partage des eaux tout en laissant
l'entièreté du village Mabas du côté camerounais
». Dans ce tronçon de la frontière terrestre, il semble
alors que c'est néanmoins la thèse camerounaise qui fait
foi262.
- Dans son très court paragraphe 109, la Cour souligne
tout simplement que de Mabas à Ouro Mavoum,
l'emplacement de la ligne des partages des eaux ne fait l'objet d'aucune
discussion entre les parties. Cette solution qui est assez laconique n'est pas
pourtant très reluisante. Il nous semble que la Cour aurait mieux fait
en donnant son point de vue sur la délimitation dans ce tronçon.
Mais on ne saurait lui reprocher de faire confiance à la bonne foi des
parties.
- Dans le tronçon d'Ouro Mavoum à la
montagne de Jel via Humsiki, la Cour souligne que le tracé
proposé par le Cameroun, quoique correspondant à la ligne de
partage des eaux, ne satisfait à l'esprit du paragraphe 22 de la
déclaration Thomson-Marchand. Qu'il convient
260 Contenues au par. 105, p. 75.
261 Voir à cet effet, arrêt, p. 75, par. 107.
262 Arrêt, p. 76, par. 108.
dès lors de retenir que dans ce tronçon «
la frontière suit la ligne proposée par le Nigeria tout en
laissant sur toute sa longueur la route en territoire Camerounais
»263.
- C'est encore le tracé proposé par le Nigeria qui
sera retenu dans la zone allant De la montagne de Jel à
Mogodé264.
- Dans le tronçon allant De Mogodé
à Humsiki (Roumsiki), la Cour donne raison à la partie
nigériane même comme concrètement la délimitation
ainsi opérée est beaucoup plus avantageuse au Cameroun. C'est
là où l'on retrouve tout le caractère intermédiaire
de la position de la C.I.J : « la frontière continue à
suivre la ligne de partage des eaux, tout en laissant en permanence la route en
territoire camerounais (...). La ligne nigériane semble convenir
davantage pour autant toutefois que la route reste en tout point du
côté camerounais de la frontière et que cette ligne laisse
l'entièreté de Humsiki au Cameroun »265.
Cette préoccupation implicite de la Cour de satisfaire les deux parties
sur ces zones de la frontière terrestre est toutefois très
extraordinaire. On peut se demander comment l'Etat de la République du
Nigeria s'est constitué avocat du Cameroun devant la Cour...toutefois,
la même impression demeure à la lecture du raisonnement de la Cour
au dernier tronçon.
- Dans le tronçon allant Au-delà de
Humsiki, « la frontière continue à suivre la
ligne proposée par le Nigeria. Cette ligne apparaît au demeurant
plus avantageuse pour le Cameroun que celle reproduite sur ses propres cartes
»266. En tout état de cause, la lecture de ces
paragraphes de l'arrêt du 10 octobre 2002 semble ressortir parfois le
caractère paradoxal des politiques juridiques du Cameroun et du
Nigeria267. Néanmoins la Cour a dit le droit et il faut s'en
réjouir. Et dans le paragraphe 114 de l'arrêt, elle conclut
brièvement que « dans la région allant de Ngosi à
Humsiki, la frontière suit le tracé décrit par les
paragraphes 20 à 24 de la déclaration Thomson-Marchand tels que
précisés par la Cour » 268. La
délimitation opérée par la Cour a également
été assez mixte dans la zone de la borne frontière
N°6 à Wammi Budungo.
263 Arrêt, p. 76, par. 110.
264 Arrêt, p. 76, par. 111.
265 Ibidem, par. 112.
266 Ibidem, par. 113.
267 Le Nigeria (défendeur) aurait alors de bons
arguments juridiques qui profitent au Cameroun (demandeur). Tandis que le
Cameroun souffrirait miraculeusement d'un manque d'arguments. Et surtout, comme
le souligne la Cour « ... et le Cameroun ne s'est opposé en
tout état de cause à aucun moment aux prétentions du
Nigeria à cet endroit de la frontière » (cf.
Arrêt, p. 76, par. 113 in fine).
268 Arrêt, p. 77, par. 114.
2- Dans la zone de la borne frontière N°6
à Wammi Budungo
Le problème majeur dans cette partie de la
frontière terrestre résidait dans le fait que les dispositions
des paragraphes 33 et 34 de la déclaration Thomson-Marchand y
afférentes sont devenues vétustes. En effet, comme l'a
rappelé la Cour « l'interprétation des paragraphes 33 et
34 de la déclaration Thomson-Marchand soulève une
difficulté dès lors que ces dispositions font passer la
frontière par trois bornes dont à tout le moins deux ont
aujourd'hui disparu »269. Mais, la Cour va d'abord se
rallier à la position nigériane quant à l'identification
des bornes n°6 et 7 conformément au texte de l'annexe I à
l'accord angloallemand de 1906. Elle s'exprime en ces termes : « le
point indiqué par le Nigeria comme correspondant à la borne
N°6 et situé par 120 53' 15» de longitude est et
90 04' 19» de latitude nord reflète bien les termes de
la description qu'en donne l'accord, puisqu'il se trouve sur la rive gauche du
Mao Hesso à 3 kilomètres au nord-ouest du village de Beka. La
cour estime de même que le point indiqué par le Nigeria comme
correspondant à la borne N°7 et situé par 120 51'
55» de longitude est et 90 01' 03» de latitude nord doit
être retenu »270. Le raisonnement de la Cour ici
n'est pas loin d'être militantiste. En effet, pour la Cour, bien que le
Nigeria n'apporte pas la preuve de ses allégations, sa
démonstration relative au positionnement de la borne N°7
«correspond en effet à ce que prévoit l'accord
angloallemand de 1906, et ce d'autant plus qu'il s'agit de la seule
éminence rocheuse présente dans cette région
»271.
Sans entièrement léser la partie demanderesse,
la Cour va faire valoir l'argument du Cameroun quant à l'emplacement de
la borne N°8. « C'est le point proposé par le Cameroun, de
coordonnées 120 49' 22» de longitude est et
80 58' 18» de latitude nord qui doit être retenu,
dès lors qu'il remplit tant les conditions posées par l'accord de
1906 que celles prévues au paragraphe 34 de la déclaration
Thomson-Marchand »272.
Si la déclaration retenue par la Cour ici
intègre bien concomitamment la position de l'Etat défendeur et
celle de l'Etat demandeur, on peut toutefois s'interroger sur la valeur
probante de l'accord anglo-allemand de 1906 face à la déclaration
Thomson-Marchand. Mais dans son effort habituel d'appliquer la
déclaration, la Cour conclut dans cette zone que « les
paragraphes 33 et 34 de la déclaration Thomson-Marchand doivent
être interprétés comme faisant passer la frontière
par les points qu'elle a identifiés comme correspondant aux bornes
N°6,7, et 8 visées dans ces paragraphes et situés aux
coordonnées susmentionnées »273.
269 Arrêt, p. 81 par. 133.
270 Ibidem.
271 Ibidem.
272 Ibidem, in fine.
273 Arrêt pp. 81-82, par. 134. Voir également le
croquis n°7 en annexe.
Tout compte fait, la frontière terrestre du lac Tchad
à Bakassi telle que précisée par la Cour a
été une opération très difficile. Très
tôt la Cour s'est refusée d'opérer une nouvelle
délimitation de la frontière. Elle a également
précisé qu'elle ne la démarquait point. Toutefois, la
longue analyse des développements qu'elle confère à cette
partie de son arrêt nous conduit à des constats tout au moins
controversés. On peut penser que la Cour a souvent donnée des
solutions idoines aux querelles camerouno-nigérianes. Tantôt, elle
a fait valoir les arguments de l'un au détriment de l'autre, et vice
versa. Tantôt encore, elle a donné des solutions mixtes
intégrant les deux thèses en conflit. Néanmoins, la
délimitation « non de novo » à laquelle elle
est parvenue peut à quelques égards être qualifiée
de « de novo » dans la mesure où bien que axée
sur des textes historiques, elle a le mérite d'être la lecture
jurisprudentielle au 21e siècle des instruments de
délimitation relevant de l'époque coloniale en Afrique.
Mais l'on peut encore regretter le fait que la Cour ne soit
pas parvenue à une délimitation entière et
définitive de cette frontière terrestre. Si l'on peut saluer la
paix des braves réalisée par les parties à l'occasion de
leur accord devant la Cour pour fixer la borne 64 et la fin de la
frontière définie par l'ordre en conseil de 1946274,
il est à déplorer le fait que la Cour laisse un ensemble d'
« autres points» indéterminés au seul motif
que « aucune conclusion n'a cependant été
présentée par les parties sur ces points
»275. Bref, il faut admettre avec Pierre D'ARGENT que cet
arrêt du 10 octobre 2002 est riche d' « enseignements
»276. Ceci peut nous pousser à nous interroger sur
la portée opératoire de la délimitation ainsi retenue.
274 Voir arrêt p. 96, par. 190.
275 Voir arrêt, p. 97, par. 191.
276 P. D'ARGENT, « Des frontières et des peuples
: l'affaire de la frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et
le Nigeria (arrêt sur le fond) », A.F.D.I, 2002, op.
cit., passim.
CHAPITRE IV :
UNE FRONTIERE TERRESTRE D'UNE DELIMITATION DE
PORTEE JURISPRUDENTIELLE MITIGEE ET D'APPLICATION DIFFICILE
En effet, l'arrêt du 10 Octobre 2002 a le mérite
d'avoir mis fin aux débats camerounonigerians devant la Cour
internationale de justice de la Haye. Mais depuis cette date, l'on est
rentré dans le cycle des négociations diplomatiques classiques
pour essayer de traduire en termes concrets le dispositif de cette
décision277. Si jusqu'à nos jours, cet arrêt
continue à susciter des questions, c'est certainement parce que la
portée jurisprudentielle de la délimitation de la
frontière terrestre qu'il consacre demeure assez mitigée (section
1) ce qui rend inévitablement son application concrète difficile
(section 2).
SECTION 1 : LA PORTEE MITIGEE
DE LA VALEUR JURISPRUDENTIELLE DE LA DELIMITATION DE LA FRONTIERE TERRESTRE
DANS L'ARRET DU 10 OCTOBRE 2002
Nous essayerons de montrer que l'arrêt du 10 octobre
2002, à travers la délimitation de la frontière terrestre
entre le Cameroun et le Nigeria qu'il opère, demeure néanmoins
d'une importance assez nuancée au plan jurisprudentiel. Si le but
poursuivi dans la résolution contentieuse des différents
frontaliers a été atteint (I), Il faut cependant déplorer
la méthode avec laquelle la Cour y parvient. D'où
l'imprécision sur sa classe jurisprudentielle (II).
277 En effet, s'étant d'abord réunis à
Paris le 05 septembre 2002 devant le Secrétaire Général
des Nations Unies S.E.M KOFI ANNAN, en prélude à la
décision de la C.I.J sur l'affaire de la frontière commune de
leurs deux Etats, les présidents OLUSEGUN OBASANJO du Nigeria et Paul
BIYA du Cameroun se rencontreront encore à Genève le 15 Novembre
2002 toujours devant le Secrétaire Général de l'ONU pour
lui dire leur engagement au respect de l'arrêt du 10 octobre par la
C.I.J.
Cf. Commission mixte des Nations Unies pour la mise en oeuvre
de l'arrêt de la C.I.J du 10 Octobre 2002, 11e Session,
Yaoundé, Hôtel Hilton, du 18 au 19 Août 2004, pp. 12-12.
I- LA RECHERCHE DU MAINTIEN DE LA PAIX ET DE LA
COOPERATION DANS LES RELATIONS CAMEROUNONIGERIANES
De toute évidence, la Cour internationale de justice
mesurait bien l'enjeu de la délimitation de la frontière
terrestre entre le Cameroun et le Nigeria qu'elle a opérée le 10
octobre 2002. Bien qu'elle ait tenu à le rappeler, cette
délimitation était non « de Novo »278, il
fallait néanmoins mettre fin à la situation de
crise279 et de guerre permanente280 qui prévalait
tout le long de cette frontière depuis plus de dix ans. Ainsi, aussi
difficile que cela puisse paraître, la Cour a laissé une grande
marge pour le maintien de la paix entre le Cameroun et le Nigeria dans la
rédaction de son arrêt (A); ce qui a pour corollaire
l'encouragement de la coopération entre ces deux Etats (B).
A- LA RECHERCHE DU MAINTIEN DE LA PAIX ENTRE LES DEUX
PROTAGONISTES
La lecture de la délimitation de la frontière
terrestre entre le Cameroun et le Nigeria par la Cour Internationale de Justice
laisse comprendre que, bien que celle-ci était animée du souci de
donner une réponse définitive aux revendications de ces deux
Etats sur la question centrale de la souveraineté sur la
presqu'île de Bakassi, elle n'a pas perdu de vue le fait que ces deux
Etats du Golfe de Guinée étaient voisins et devait le rester.
C'est pourquoi à la fin de son dispositif, elle ordonne les mêmes
obligations aux deux Parties. Nous n'oublions pas le fait que tout le long de
la frontière allant du Lac Tchad à Bakassi, la Cour a
alterné la reconnaissance des zones nigérianes et des zones
camerounaises y compris aussi la consécration des points
intermédiaires. Avant de voir les obligations imposées au
Cameroun (2), visitons d'abord celles incombant au Nigeria (1).
1- Les obligations imposées à la
République fédérale du Nigeria
Dans le point V.A de son dispositif, la Cour adresse une
injonction au Nigeria dans le but de mettre fin aux opérations
militaires sur la frontière terrestre entre le Cameroun et lui. Par
quatorze voix contre deux, la Cour «décide que la
République fédérale du Nigeria est
278 « La tâche de la Cour n'est donc ni de
procéder à une délimitation de novo de la
frontière, ni de démarquer celle-ci ». Voir,
arrêt, p. 69, par. 84 in fine.
279 H. MBGALE MBGATOU, « la politique camerounaise de
résolution pacifique de la crise de Bakassi », Thèse de
doctorat 3é cycle, op. cit., passim.
280 Z. NGNIMAN, Nigeria Cameroun la guerre permanente ?,
op. cit., passim.
tenue de retirer dans les plus brefs délais et sans
condition son administration et ses forces armées et de police des
territoires relevant de la souveraineté de la République du
Cameroun conformément aux points I et II du présent dispositif
»281. Il va de soi que le retrait de ces soldats
ordonné par la Cour était une façon pour celle-ci de
normaliser et de stabiliser la frontière terrestre ainsi définie,
surtout que la même obligation pesait également sur le
Cameroun.
2- Les obligations imposées à la
République du Cameroun
C'est à l'unanimité que la C.I.J va demander au
Cameroun de se retirer des territoires qui relèveraient de la
souveraineté de la république fédérale du Nigeria.
La Cour, à l'unanimité donc, « décide que la
République du Cameroun est tenue de retirer dans les brefs délais
et sans condition toutes administration ou forces armées ou de police
qui pourraient se trouver sur des territoires relevant de la
souveraineté de la République fédérale du Nigeria
conformément au point II du présent dispositif
»282. Elle rappelle d'ailleurs que la même
obligation pèse également sur le Nigeria conformément au
point II du dispositif.
Dès lors, on peut comprendre que la C.I.J en tant que
« organe judiciaire principal des Nations Unies
»283 essaye toujours de maintenir la paix et
l'équilibre dans les rapports inter étatiques. Et comme le
souligne un document publié par la C.I.J elle même, « le
but ultime de la Cour est, lorsqu'il existe un conflit, d'ouvrir la voie
à l'harmonie internationale.»284. Il semble alors
qu'à travers ces injonctions adressées aux deux parties, c'est en
filigrane l'idée de la restauration de l'harmonie qui y était
cachée. A travers cette harmonie rejaillirait la coopération.
B- L'ENCOURAGEMENT DE LA COOPERATION ENTRE
LE CAMEROUN ET LE NIGERIA
Comme nous l'avons souligné plus haut, l'arrêt du
10 octobre 2002 a permis à la Cour de rechercher l'harmonie et la paix
dans les relations entre la République du Cameroun et la
République fédérale du Nigeria. Mais la Cour ne s'est pas
contentée de ce retour à la normale. Elle a implicitement
encouragé le rétablissement de la coopération entre ces
deux Etats à travers la prise en compte de l'engagement du Cameroun (1)
et le refus de prononcer la responsabilité internationale du Nigeria
(2).
281 Voir arrêt du 10 octobre 2002, p.149, point V. A.
282 Voir arrêt du 10 octobre 2002, p.149, point V. B.
283 Conformément à l'article 1 de son statut et
à l'article 92 de la charte des Nations Unies.
284 Voir, La C.I.J, 1946-1996, la Haye, 4è
édition, 1996, p.71.
a) La prise en compte de l'engagement du Cameroun
La République du Cameroun avait pris un engagement
devant la Cour en faveur des populations nigérianes installées
sur son territoire. Cet engagement, la Cour l'a accepté par quinze voix
contre une. Aussi, la Cour : « prend acte de l'engagement pris
à l'audience par la République du Cameroun, par lequel celle-ci
affirme que, « fidèle à sa politique traditionnellement
accueillante et tolérante », elle « continuera à
assurer sa protection aux Nigérians habitant la péninsule [de
Bakassi] et [à] ceux vivant dans la région du Lac Tchad
»285. Mais cette attitude du Cameroun ne devrait pas
surprendre. Etant un Etat animé d'un pacifisme notoire dans la conduite
de ses relations internationales, il ne pouvait qu'adopter une attitude
susceptible de rétablir la sécurité entre son Voisin et
lui. Et comme le soulignait déjà Albert MANDJACK, « la
sécurité de l'Etat étant l'intérêt
suprême de tout Etat, il est donc logique que tout gouvernement comme
celui du Cameroun cherche dans la mesure de ses moyens à avoir des
voisins qui ne soient pas une menace sinon réelle du moins potentielle
pour ses intérêts. »286
A travers la prise en compte de cet engagement de la
République du Cameroun en faveur des ressortissants nigérians, la
C.I.J fait un point d'honneur à la coopération entre ces deux
Etats. Coopération qui d'ailleurs est indispensable pour assurer la
sécurité aux populations riveraines qui se trouvent ainsi
divisées de part et d'autre le nouveau tracé de la
frontière terrestre. Mais l'idéal de coopération entre
camerounais et nigérians sera plus renforcé à travers le
refus de la Cour de statuer sur la responsabilité internationale du
Nigeria.
2- Le refus de prononcer la responsabilité
internationale du Nigeria
C'est à l'unanimité que tous les juges de la
Cour ont rejeté la demande du Cameroun tendant à déclarer
le Nigeria internationalement responsable envers lui. Les termes de la Cour
sont clairs et concis à cet effet : « rejette le surplus des
conclusions de la République du Cameroun concernant la
responsabilité internationale de la République
fédérale du Nigeria »287 . En toute logique, s'il est
vrai que le Nigeria occupait des territoires camerounais le long de la
frontière terrestre, l'injonction de retrait de ses forces armées
et de police de ces zones ordonnée par la C.I.J devait s'accompagner par
le prononcé de sa responsabilité internationale face au
Cameroun.
285 Voir arrêt, p.149, point. V. C.
286 A. MANDJACK, « Le Cameroun face à la crise
tchadienne », Mémoire de maîtrise en science politique,
Yaoundé, septembre 1984, p. 88.
287 Voir arrêt, p. 149, point V. D.
Hélas, la Cour a fait prévaloir la
coopération entre les deux Etats. Elle estime d'ailleurs que, <<
du fait du présent arrêt et de l'évacuation du
territoire camerounais occupé par le Nigeria, le préjudice subi
par le Cameroun en raison de l'occupation de son territoire aura en tout
état de cause été suffisamment pris en compte. La Cour ne
recherchera donc pas si et dans quelle mesure la responsabilité du
Nigeria est engagée à l'égard du Cameroun du fait de cette
occupation. »288. En principe pour la C.I.J, ce qui compte
c'est le retour à la normale ; voilà pourquoi elle se
réjouit lorsqu'elle constate que « l'exécution du
présent arrêt donnera aux parties une occasion
privilégiée de coopération dans l'intérêt des
populations concernées afin notamment que celles-ci puissent continuer
à bénéficier de services scolaires et de santé
comparables à ceux dont elles jouissent actuellement. Une telle
coopération sera particulièrement utile en vue du maintien de la
sécurité lors du retrait de l'administration et des forces
armées et de police nigérianes.»289.
Mais est-ce que la cessation du fait illicite constitue la
réparation du dommage ? Nous sommes d'avis avec Pierre D'ARGENT que
<< l'auteur du fait illicite reste tenu de réparer tous les
dommages dont l'effacement n'est pas réalisé par le retour
à la légalité « primaire ».
»290. Faut-il alors regretter l'impunité que la
Cour accorde ainsi implicitement au Nigeria? De toutes les façons, la
Cour a le mérite d'avoir mis fin aux débats judiciaires devant
elle, quoique de manière assez mitigée.
II- LA DIFFICILE CLASSE JURISPRUDENTIELLE DE LA DECISION
RETENUE
Par classe jurisprudentielle on entend ici la catégorie
dans laquelle on peut ranger une décision d'une juridiction dans le
répertoire de ses décisions. Aussi, il nous semble très
difficile de classer l'arrêt du 10 octobre 2002 dans le répertoire
des décisions de la Cour internationale de Justice. S'agit-il d'un
arrêt de principe ou d'un arrêt de confirmation de jurisprudence?
Dans tous les cas, il semble que l'hypothèse d'un arrêt de
principe est plus proche de la réalité (A) que celle d'un
arrêt de confirmation d'une jurisprudence constante ; celle-ci
n'étant pourtant pas à rejeter (B).
288 Cf. arrêt, p. 144, par.319.
289 Arrêt, op. cit., p. 143, par. 316.
290 Voir P. D'ARGENT, << Des frontières et des
peuples : l'affaire de frontière terrestre et maritimes entre le
Cameroun et le Nigeria (arrêt de fond) », A.F.D.I, op.
cit.
A- L'HYPOTHESE APPARENTE D'UN ARRET DE
PRINCIPE
La Cour internationale de Justice fonde son raisonnement pour
déterminer la frontière terrestre entre le Cameroun et le Nigeria
sur les traités historiques conclus à l'époque coloniale.
Comme nous l'avons vu plus haut, ces traités dont elle donne
l'interprétation aujourd'hui ne sont pas applicables au Cameroun et au
Nigeria que par le jeu de la «succession aux traités
»291. Et surtout, il n'est pas assez de le rappeler, ses
deux Etats avaient signé la résolution de l'O.U.A de 1964 tendant
à «respecter les frontières existants au moment
où ils ont accédé à
l'indépendance». Cette résolution consacre ainsi le
principe de l'uti possidetis juris. Dès lors il semble que le
refus de la C.I.J de statuer sur l'argument du Cameroun fondé sur ce
principe de l'intangibilité des frontières
héritées de la colonisation est assez curieux à
défaut d'être incohérent. En effet, « la Cour n'a
pas jugé utile de se prononcer sur les arguments relatifs à l'uti
possidetis avancés par les parties pour ce qui est de Bakassi
»292. Encore qu'elle n'a nulle part fait allusion à
cet argument dans l'arrêt.
Elle a simplement affirmé que le Cameroun
détenait un titre préexistant sur la région du Lac Tchad
et dans la presqu'île de Bakassi. Que les effectivités
nigérianes devaient être considérées comme
«contra legem ».
Dès lors l'arrêt du 10 octobre 2002 rendu par la
C.I.J en matière de délimitation de frontière semble
dégager un principe : « dans le cas où le fait ne
correspond pas au droit, où le territoire objet de différend est
administré effectivement par un Etat autre que celui qui possède
le titre juridique, il y a lieu de préférer le titulaire du titre
». Mais ce raisonnement laisse penser que ce titre territorial dont
pouvait se prévaloir le Cameroun était établi entre le
Nigeria et lui. Ce qui est discutable293. Voilà pourquoi l'on
n'est pas loin de l'hypothèse d'un arrêt de confirmation de
jurisprudence.
291 Pour approfondir la question de la succession des
ex-colonies aux traités antérieures à leurs
indépendances, lire S. GLASER, « Décolonisation et
succession aux traités en marge du problème de la primauté
du droit international », R.G.D.I.P, N°4, 1970, passim.
292 Cf. Arrêt, p. 109, par. 217 in fine.
293 Les seuls accords camerouno-nigerians ne concernaient que la
confirmation des textes délimitant la frontière maritime.
Notamment :
- La note nigériane n°570 du 27 mars 1962
- L'accord de Yaoundé I du 14 avril 1970
- L'accord de Yaoundé II du 14 avril 1971
- l'accord de Kano du 1er septembre 1974
- L'accord de Maroua du 1er juin 1975. (Voir,
arrêt, p.104, par. 210.)
B- L'HYPOTHESE D'UN ARRET DE CONFIRMATION
Si l'on admet qu'un arrêt de confirmation de
jurisprudence est celui dans lequel une juridiction consolide et maintient ses
solutions antérieures dans les cas identiques ; on peut facilement
affirmer que l'arrêt de la C.I.J du 10 octobre 2002 en est un.
En effet, lorsque la Cour doit déterminer la
frontière entre le Cameroun et le Nigeria, elle fait
énormément recours aux solutions auxquelles elle était
déjà parvenue dans ses arrêts antérieurs. Notamment
en ce qui concerne le rapport entre le titulaire du titre territorial et celui
qui exerce la compétence effective sur le territoire litigieux.
La Cour s'est référée à sa
jurisprudence dans l'affaire du différend frontalier Burkina Faso/Mali
(arrêt du 22 décembre 1986). C'est à travers cette
jurisprudence qu'elle invalide les arguments du Nigeria tant dans la zone du
Lac Tchad294 que dans la presqu'île de Bakassi295.
La cour a également évoqué sa jurisprudence dans l'affaire
du différend territorial Jamahiriya arabe libyenne/Tchad (C.I.J,
recueil, 1994, p. 75-78, p. 38). Désormais le principe était
confirmé « dans l'éventualité où il existe
un conflit entre effectivités et titre juridique, il y a lieu
de préférer le titre. ». C'est en vertu de cette
démarche que le Cameroun récupère la quasi totalité
des villages dans la zone du Lac Tchad et recouvre la souveraineté sur
toute la presqu'île de Bakassi.
Mais le fait d'avoir refusé de statuer sur les
arguments des parties tirés de l'uti possidetis juris rend
quand même l'arrêt du 10 octobre 2002 un peu complexe dans la
mesure où les arrêts auxquels il se réfère sont les
cas d'application de ce principe. Car la Cour internationale de Justice dans
l'affaire du différend frontalier précitée estimait que
« le principe de l'uti possidetis juris accorde au titre juridique la
prééminence sur la possession effective comme base de
souveraineté. Il vise avant tout à assurer le respect des limites
territoriales au moment de l'accession à l'indépendance
»296. Il semble alors paradoxal de faire prévaloir
le titre juridique camerounais sur les effectivités nigérianes
dans les zones frontalières litigieuses sans passer par le cheminement
de l'uti possidetis juris. Monsieur D'ARGENT trouve d'ailleurs que le
silence de la cour sur la question de l'uti possidetis n'en demeure
pas moins « troublant »297. Mais il trouve
néanmoins une justification à cela : « C'est
précisément peutêtre parce que la Cour a
considéré le contentieux qui lui était soumis comme un pur
différend
294 Voir arrêt, pp. 64-65, par. 68.
295 Arrêt, p. 113, par. 223.
296 Résume des arrêts, avis consultatifs et
ordonnances de la Cour internationale de Justice, 1948-1991, Nations Unies,
p. 216.
297 P. D'ARGENT, op. cit., p. 302-303.
frontalier de délimitation et non un
différend territorial d'attribution qu'elle a estimé inutile - en
réalité inopportun- d'examiner les arguments relatifs à
l'uti possidetis. »298. De toutes les façons la
Cour internationale de Justice a rendu une décision définitive et
sans recours, voilà l'essentiel. Mais depuis le 10 octobre 2002 les deux
Parties n'arrivent toujours pas à rendre entièrement applicable
cet arrêt. Certainement que plusieurs facteurs existent qui rendent cette
délimitation de la frontière terrestre difficilement
réalisable.
SECTION 2 : LES FACTEURS ENTRAVANT LA MISE EN
OEUVRE
DE LA DELIMITATION DE LA FRONTIERE TERRESTRE
Depuis que la C.I.J a définitivement
précisé le tracé de la frontière terrestre et
maritime entre le Nigeria et le Cameroun, l'on est toujours dans l'attente de
matérialisation totale de cette décision. En principe, puisque
à notre avis préciser définitivement la frontière
revient à la délimiter en termes clairs, c'est sa
démarcation qui fait problème aujourd'hui. Si l'on peut se
réjouir de la création d'une commission mixte des Nations Unies
pour la mise en oeuvre de cet arrêt du 10 Octobre 2002299 , il
faut néanmoins déplorer l'existence de plusieurs facteurs qui
tendent à rendre l'application de cette décision difficultueuse,
quoique de manière incidente. Parmi ces causes, certaines sont
inhérentes à l'arrêt lui même (I), tandis que les
autres lui sont indirectement liées (II).
I- LES FACTEURS D'INAPPLICABILITE PROPRES A L'ARRET
C'est vrai qu'il peut sembler incohérent de tenter de
trouver dans l'arrêt lui-même, les causes de son inapplication. Et
pourtant si la délimitation de la frontière terrestre entre le
Cameroun et le Nigeria continue à faire couler beaucoup d'encre
aujourd'hui, c'est que quelque part, l'arrêt du 10 octobre 2002 a
laissé ouverte une pareille faille qui peut justifier son
inapplicabilité. A défaut de pouvoir faire un état complet
de ces lacunes entravant la mise en oeuvre de cette délimitation, on
peut tout de même souligner que le recours permanent aux instruments
défectueux (A) et le défaut de sanction du Nigeria (B) peuvent
constituer les propres erreurs de la Cour.
298 Ibidem, p. 305
299 Il s'agit de la commission mixte bilatérale Cameroun -
Nigeria créée à Genève le 19 Novembre 2002 et dont
la première réunion a eu lieu le 1er Décembre
2002 à Yaoundé.
A- LE RECOURS PERMANENT AUX INSTRUMENTS
DEFECTUEUX
Comme il ressort de l'arrêt, et comme nous l'avons
souligné, la frontière terrestre entre le Cameroun et le Nigeria
remonte à l'époque coloniale. Bref, « elle s'inscrit
dans un contexte historique » bien
particulier300. C'est ce qui fait que les variations
climatiques et géographiques qu'a connues cette zone du Golfe de
Guinée aient forcément altéré l'esprit des colons
européens, rédacteurs des textes « pertinents
» de cette délimitation. Et comme l'a reconnue la Cour
à plusieurs reprises, les instruments pertinents de délimitation
de la frontière tant dans la zone du Lac Tchad que sur le reste de la
frontière jusqu'à Bakassi présentaient des imperfections.
Nous illustrerons cette assertion par quelques extraits de l'arrêt (1)
avant de souligner l'incohérence théorique qui s'y cache (2).
1- Les extraits illustratifs
Tout au long de l'arrêt, la Cour a souvent reconnu les
observations de la partie nigériane sur le caractère
défectueux des textes de délimitation.
- Dans la zone du Lac Tchad par exemple,
parlant de l'applicabilité de la déclaration Thomson-Marchand de
1929-1930, la Cour dit ceci : « la déclaration
Thomson-Marchand, telle qu'approuvée et incorporée dans
l'échange de notes Henderson-Fleuriau, a le statut d'accord
international. La Cour reconnaît certes que cette déclaration
présentait quelques imperfections techniques et que certains
détails restaient à préciser. Elle n'en estime pas
moins que ladite déclaration établissait une délimitation
qui suffisait de manière générale à la
démarcation »301. Dès lors, consacrer une
délimitation frontalière sur un accord de cette qualité
était une manière incidente d'ouvrir une faille à des
interminables discussions entre les Etats concernés.
- Dans le reste de la frontière terrestre
allant du Lac Tchad à Bakassi, la Cour a également
reconnu que « l'interprétation de la déclaration
Thomson-Marchand soulève des difficultés
»302 pratiques dans l'identification de la ligne
frontière. Le même constat a été fait en ce qui
concerne l'ordre en conseil de 1946. Selon la Cour, cet instrument pertinent de
délimitation soulevait « deux difficultés essentielles
dans la région allant du « pic assez proéminent »
visé par la déclaration Thomson-Marchand à la
rivière Mburi »303 . Il «
soulève
300 Arrêt, pp. 39-41, par. 31et 37.
301 Arrêt, p. 50, par. 50 in fine.
302 Arrêt, p. 70-88, par. 90-164.
303 Arrêt, p.92, par. 172
(encore) des difficultés »
d'interprétation dans la zone de la rivière Sama304.
Mais malgré l'existence de ces << difficultés
essentiels », la Cour va néanmoins fixer la frontière
« conformément » à cet
instrument305. C'est encore certainement une manière
incidente, sinon voulue d'éterniser des textes historiques
entachés d'une vétusté pathologique.
- Dans la presqu'île de Bakassi, il est
difficile de dire que l'accord anglo-allemand du 10 mars 1913 est
défectueux puisque la Cour même ne le dit pas. Néanmoins
parmi les arguments soulevés par le Nigeria, il apparaît que celui
relatif à la violation par la Grande-Bretagne du traité de
protectorat avec les rois et les chefs du Vieux-Calabar peut-être
fondé à certains égards. Car comment comprendre que la
cour internationale de Justice invalide ce protectorat de 1884 tout en
confirmant la validité de l'accord du 11 mars 1913 ? Dans la mesure
où c'est le protectorat avec les rois et chefs du Vieux-Calabar qui
justifie la présence de la Grande-Bretagne dans cette zone, il importait
à la Cour d'étudier profondément la lettre de ce texte.
Notamment régler la question de savoir si cet accord équivalait
à une session territoriale des rois et chefs du Vieux-Calabar au profit
de la puissance administrante. Mais telle n'a pas été la
démarche de la Cour. Elle a tout simplement signifié, en se
référant à la sentence Max Huber dans l'affaire de
l'île de palmas, qu' « il n'y a pas là d'accord entre
égaux ; c'est plutôt une forme d'organisation intérieure
d'un territoire colonial, sur la base de l'autonomie des
indigènes ....Et c'est (ainsi) la suzeraineté
exercée sur l'Etat indigène qui devient la base de la
souveraineté territoriale à l'égard des autres membres de
la communauté des nations ». Cette argumentation sera encore
renforcée par le recours à sa propre jurisprudence dans l'affaire
du Sahara occidental306 où la Cour a estimé qu'
<< on voyait dans les accords avec les chefs locaux un mode
d'acquisition dérivé »307. Et qu'à la
fin, « ...au regard du droit qui prévalait à
l'époque, la Grande-Bretagne en 1913, pouvait déterminer sa
frontière au Nigeria avec l'Allemagne, y compris pour ce qui est de sa
partie Méridionale »308. Cette analyse de la cour
ne semble pas très pertinente parce qu'elle tend à dire
qu'à l'époque coloniale, les rapports conventionnels entre les
<<Nations civilisées » et les « Peuples
indigènes » étaient régis par la maxime «
pacta non sunt servanda ». C'est cette erreur que ne partage pas
le juge RANJEVA dans son opinion individuelle. Il estime qu'<< il est
difficile pour la Cour internationale de Justice d'accepter qu'au nom du droit
intertemporel la maxime pacta sunt servanda soit dévoyée ... (qu)
' on ne saurait placer sur le
304 Arrêt, p. 96, par. 188.
305 Arrêt, p.96, par.188.
306 Avis consultatif, C.I.J, Recueil 1975, p. 39, par. 80.
307 Arrêt, p.102, par. 205.
308 Arrêt, p.103, par. 209.
même rang la maxime pacta sunt servanda et les
règles du droit intertemporel qui n'ont qu'une fonction auxiliaire
d'interprétation de la règle principale pacta sunt servanda. Une
interprétation de nature à porter atteinte à cette
règle fondamentale n'est pas pertinente »309. Cette
analyse du juge malgache est soutenue de façon plus acerbe par le juge
REZEK qui, dans sa déclaration jointe à l'arrêt, pense que
« si le traité de 1884 n'était pas un traité et
n'avait point de valeur juridique, il convient de se demander sur quelle base
la Grande-Bretagne a pu asseoir son autorité sur ces territoires, en
vertu de quel mystérieux droit divin s'est elle érigée en
Etat protecteur de ces espaces africains »310. Et que les
rois et chefs du Vieux-Calabar n'ayant pas cédé leur territoire
à la Grande-Bretagne, « ...le défaut de
légitimité qui caractérise l'acte de cession fait que le
traité anglo-allemand du 11 mars 1916 ne saurait être valable
là où, définissant le dernier secteur de la
frontière terrestre, il décide du sort de Bakassi
»311. Il nous semble que ces développements
exprimés par deux juges de la cour tendant à démontrer la
défectuosité qui entache l'accord anglo-allemand du 11 mars 1913,
peuvent être une entrave sérieuse à l'application de
l'arrêt par les Etats concernés. Mais, ne peut-on aussi pas y
trouver une certaine incohérence?
2- L'incohérence théorique
Cette incohérence théorique est évidente.
En effet, il semble paradoxal au plan de la théorie même des
traités qu'un traité défectueux soit applicable entre les
Parties. Parce que ce caractère défectueux constitue un vice qui
entrave la qualité et la validité de l'acte. Or en droit
international public, le traité est « un accord international
conclu par écrit entre Etats et régi par le droit international,
qu'il soit consigné dans un instrument unique ou dans deux ou plusieurs
instruments connexes, et quelle que soit sa dénomination
particulière »312. C'est donc un acte juridique,
c'est à dire, une manifestation de la volonté des sujets de droit
international destinée à produire des effets de droit. Les Etats
ne peuvent pas eux-mêmes prendre le soin de consigner dans un document
écrit des dispositions aussi floues et embarrassantes. Mais comme on le
sait déjà, cette frontière terrestre entre le Cameroun et
le Nigeria est régie par « des accords internationaux
» anglo-allemands et franco-britanniques passés à
l'époque coloniale. Il faut également déplorer la non
rétroactivité de la Convention
309 Opinion du juge RANJEVA jointe à l'arrêt, p. 2,
par. 3.
310 Déclaration de M. le juge REZEK, p. 1, par. 3.
311 Ibid, par. 4.
312 Sur cette définition, lire l'art. 2 al. 1 (a) de la
Convention de Vienne sur le droit des traités, 23 mai 1969, Etat
du 25 novembre 2003, p. 2.
de Vienne sur le droit des traités313. Surtout
que c'est à une date relativement récente que le Cameroun en
deviendra membre314, contrairement au Nigeria qui s'y était
attaché très tôt315.
Vu sous cet angle, on peut dire avec l'ensemble des juges que
la cour a dit le droit et que c'est par honnêteté intellectuelle
qu'elle a pris le soin de rappeler que ses instruments pertinents de
délimitation étaient néanmoins «
défectueux ». Mais l'incohérence ne disparaît
pas pour autant. Nous pensons avec Prosper WEIL que : « Non seulement
c'est pour remplir certaines fonctions que le droit international s'est
constitué en système normatif, mais c'est dans la mesure
seulement où il constitue un système normatif de qualité
qu'il est apte à remplir ses fonctions »316. Ce
côté de la réalité a certainement
échappé à la cour. Dans une certaine logique, si les
instruments pertinents de délimitation posent des problèmes
d'interprétation du fait de leur défectuosité, une
attitude réaliste aurait consisté de ne les appliquer que dans la
mesure du possible. La pensée du professeur WEIL va plus loin encore
lorsqu'il estime que : «Sans normes de bonne qualité, le droit
international ne serait plus qu'un outil défectueux, mal
approprié à ses fonctions » que sont le réglage
des relations internationales et l'organisation de la société
internationale317.
S'il est vrai, comme c'est le cas, que la frontière
terrestre en question doit être mise en oeuvre, c'est à dire,
démarquée, par le Nigeria et le Cameroun, il aurait fallu qu'elle
repose sur des bases juridiques solides. A notre humble avis, cette
fragilité dans la qualité des textes appliqués peut
constituer à nos jours une cause sérieuse de flexibilité
dans la mise en oeuvre de cette délimitation.
En dehors de cette incohérence théorique qui
entraîne des difficultés pratiques sérieuses dans
l'application de l'arrêt, l'autre facteur entravant sa mise en oeuvre
aujourd'hui peut-être le défaut de sanction du Nigeria par la
Cour.
B - LE DEFAUT DE SANCTION DU NIGERIA
Il s'agit ici du problème relatif à la
responsabilité internationale du Nigeria à l'égard du
Cameroun dont il a violé l'intégrité territoriale. Il faut
souligner que c'est à l'unanimité que la Cour a rejeté
« ...le surplus des conclusions du Cameroun concernant la
responsabilité
313 Lire l'art. 4 de ladite Convention, op. cit., p. 3
314 Le Cameroun adhère à cette Convention le 23
octobre 1991, et la ratifie le 22 novembre de la même année. Cf.
Convention de Vienne, op. cit., p. 29.
315 Le Nigeria adhère le 31 juillet 1969 et la ratifie le
27 janvier 1980. Cf. Ibid, p. 30.
316 P. WEIL, « Vers une normativité relative en droit
international? », R.G.D.I.P, janvier-mars, 1982, N°1, p.
6.
317 P. WEIL, op. cit., p. 7.
internationale de la République
fédérale du Nigeria »318. Cette
impunité dont bénéficie le Nigeria est, nous semble t-il,
une des causes de la lenteur que l'on observe de nos jours dans l'application
de l'arrêt. On peut même se demander si ce n'est pas de la part de
la Cour une technique de déconstruction de la rigidité de sa
décision à l'égard du « Géant d'Afrique »
?
Sans tomber dans le terrain très glissant de la
responsabilité internationale sur lequel les Etats eux-mêmes
n'arrivent pas à s'entendre, il faut tout simplement admettre avec le
juge ad hoc pour le Cameroun, M.KEBA MBAYE que, lorsque la Cour déclare
les effectivités nigérianes de «contra legem »
cela sous entend que cet Etat a violé la souveraineté du Cameroun
et le principe d'intégrité territoriale des Etats ; dès
lors la Cour ne nie pas la responsabilité du Nigeria, même comme
elle ne la confirme pas. Elle ne cherche pas tout simplement « dans
quelle mesure la responsabilité du Nigeria est engagée à
l'égard du Cameroun du fait de cette occupation
»319.
L'organe judiciaire principal des Nations Unies a bien senti
toutes les fautes qui pèsent sur le Nigeria. Mais lorsqu'il refuse de le
sanctionner au motif que le Cameroun n'apporte pas assez de preuves pour
justifier ses allégations, elle assouplissait ainsi la rigidité
de son arrêt. D'où les interminables négociations que l'on
observe dans les travaux de la commission mixte bilatérale
chargée de la mise en oeuvre de cet arrêt.
Alors s'il est vrai comme l'a reconnu la C.I.J que les
territoires de Lac Tchad et de Bakassi jadis querellés sont Camerounais,
et que les effectivités nigérianes y effectuées
jusqu'alors sont «contra legem », ne pas sanctionner le
Nigeria est, à défaut d'un grand paradoxe de la part de la Cour,
un facteur de renforcement de la psychologie du peuple et de l'Etat du Nigeria
qui apparemment a tout perdu. Cet état des choses justifie l'absence de
contrainte dans l'accomplissement des obligations découlant de cet
arrêt. Mais sans chercher à présumer la mauvaise foi de
l'Etat Nigérian Voisin, surtout qu'un juriste nigérian voit dans
cette absence de sanction, un facteur qui devrait encourager l'Etat
nigérian à s'exécuter : «Nigeria should at least,
reluctantly accept the ICJ judgment, even if it does not embrace it willingly.
(....). There are aspects of delimitation that actually favour Nigeria,
particularly in the Lake Chad region. Cameroon did not get all it wanted. For
example, it invoked state responsibility against Nigeria and asked for
reparation... the court refused.»»'320. Il faut dire
qu'en toute objectivité, de tels facteurs peuvent expliquer d'une
.318 Voit arrêt, p. 149, point. V. D du dispositif.
319 Opinion individuelle de M. le juge ad hoc KEBA MBAYE,
p. 27, par. 143 et suivants.
320 NSONGURUA J. ODOMBANA, « The ghost of Berlin still
haunts Africa ! The ICJ . . . », op. cit., p.44.
certaine manière la réticence du peuple
nigérian de céder Bakassi. En dehors de ces lacunes internes
à l'arrêt, d'autres paramètres existent qui ne lui sont pas
directement liés.
II - LES FACTEURS INDIRECTS A L'ARRET : ESSAI D'UNE
ETUDE DE LA COMMISSION MIXTE BILATERALE CAMEROUNNIGERIA
Il faut dire que la mise en oeuvre de la délimitation
de la frontière terrestre entre les parties rencontre aujourd'hui des
difficultés pratiques sur le terrain. Ces difficultés, à
bien y voir de près, résident dans l'examen minutieux des
missions confiées à la commission mixte bilatérale de mise
en oeuvre de cet arrêt par les acteurs de la tripartite de Genève
(le Secrétaire général des Nations Unies Kofi ANNAN, le
Président de la République du Cameroun Paul BIYA, et le
Président de la République fédérale du Nigeria
OLUSEGUN OBASANJO) du 15 novembre 2002 d'une part (A), et dans l'insuffisance
de ses moyens d'action (B).
A - UNE COMMISSION MIXTE AUX MISSIONS TROP
ETENDUES
Rappelons tout d'abord que ce n'est pas la commission mixte
bilatérale des Nations Unies pour la mise en oeuvre de l'arrêt de
la C.I.J du 10 octobre 2002 qui est source de problème. Au contraire,
elle est même l'artisan majeur de la restauration de la paix et de la
confiance entre le Cameroun et le Nigeria. Pourtant si ses missions principales
sont salutaires (1), elle a d'autres missions supplémentaires sources de
lenteur (2).
1- Ses missions principales salutaires
Il faut les rechercher dans ces phrases du secrétaire
général de l'Onu : « les deux présidents sont
également convenus de me demander de mettre en place une commission
mixte bilatérale qui sera présidée par son
représentant spécial, Ahmed Ould Abdallah, et chargée de
réfléchir aux moyens de donner suite à l'arrêt de la
C.I.J et de faire avancer le processus. »321. Après
avoir défini les sources volontaristes de la création de cette
321 Voir le texte du communiqué commun des
délégations du Cameroun et du Nigeria à l'issue de la
rencontre entre le Secrétaire général des Nations
Unies, le Président BIYA et le Président OBASANJO concernant
l'arrêt de la C.I.J en date du 10/10/2002 . Genève, 15 nov.
2002, par. 5. In Commission mixte des Nations Unies pour la
commission, S.E.M Kofi ANNAN détermine ses missions
comme suit: « la commission mixte se penchera sur toutes les
incidences de la décision, notamment la nécessité de
protéger les droits des populations concernées des deux pays. La
commission aura entre autre, pour tâche de procéder à la
démarcation de la frontière terrestre entre les deux
pays. »322.
La lecture de ces passages montre clairement que les missions
principale de la commission mixte bilatérale sont la réflexion
sur les moyens pratiques de mise oeuvre de l'arrêt, (dans son ensemble),
la protection des Droits des populations des zones concernées, et
surtout la démarcation de la frontière terrestre en question. Les
tâches ainsi énumérées sont en elles mêmes
capitales pour l'opérationnalisation de la délimitation de la
frontière terrestre par la commission mixte (...).Mais cette commission
s'est vue doter d'une autre série de charges supplémentaires.
2- Des missions supplémentaires
pléthoriques.
D'après le paragraphe 7 de l'acte de Genève du
15 novembre 2002, la commission mixte devra formuler des «
recommandations » sur des mesures de confiance
supplémentaires telles que :
- la tenue des réunions sur une base
régulière, entre les autorités locales, des fonctionnaires
gouvernementaux et les chefs d'Etat ;
- la formulation de projets destinés à promouvoir
des co-entreprises et la coopération transfrontalière ;
- La renonciation par les deux parties à tout propos ou
déclaration incendiaires au sujet de Bakassi ;
- Le retrait des troupes des zones pertinentes le long de la
frontière terrestre ;
- La démilitarisation ultérieure de la
péninsule de Bakassi avec la possibilité de déployer du
personnel international chargé d'observer le retrait ;
- La réactivation de la Commission du Bassin du Lac
Tchad.
Sans chercher à sous-estimer la compétence des
membres de cette notable commission323, il faut reconnaître
qu'un mandat aussi volumineux ne peut être qu'une source de lenteur dans
la mise en oeuvre de l'arrêt dont elle est chargée, et dans la
démarcation de la
mise en oeuvre de l'arrêt de la C.I.J du 10 octobre
2002, 11e Session, Yaoundé, Hôtel Hilton, du 18 au
19 août 2004. p. 13.
322 Ibidem, par. 6.
323 On tient à noter ici qu'il s'agit d'une commission
mixte dont les deux principaux promoteurs, les présidents Paul BIYA et
OLUSEGUN OBASANJO se félicitent des résultats déjà
réalisés. Voir à cet effet, « le communiqué
conjoint publiée à l'issue de la visite officielle de S.E chief
OLUSEGUN OBASANJO au Cameroun du 26 au 29 juin 2004 », in Commission
mixte des Nations Unies, op. cit., p. 34, par. 3.
frontière terrestre particulièrement. A
côté de ces missions trop étendues dont est chargée
la commission mixte bilatérale, l'autre source de lenteur de ses travaux
réside dans l'absence de moyens concrets.
B- UNE COMMISSION MIXTE AUX MOYENS LIMITES
En examinant la composition et le fonctionnement de la
Commission mixte bilatérale des Nations Unies pour la mise en oeuvre de
l'arrêt de la C.I.J du 10 Octobre 2002, depuis le début de ses
travaux jusqu'à nos jours324, on a l'impression malheureuse
qu'elle a beaucoup de volonté mais sans réels moyens ; ou tout au
moins qu'elle a des moyens limités. Pour s'en convaincre, il faut
remarquer que ses bases de travail sont tentaculaires (1), la
personnalité du représentant de l'Etat nigérian pouvant
susciter quelques problèmes d'interprétation de l'arrêt
(2), et le manque de financement demeurant une épine entière sous
ses pieds (3).
1- Le problème de la diversité des bases
de travail
Aussi surprenant que cela puisse paraître, la Commission
mixte bilatérale des Nations Unies pour la mise en oeuvre de
l'arrêt de la C.I.J du 10 Octobre 2002 dans l'affaire de la
frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigeria
n'applique pas que cet arrêt. Comme elle l'a affirmée lors de sa
toute première réunion tenue à Yaoundé : «
la commission a décidé que les documents de travail de ses
membres seront l'arrêt de la Cour Internationale de Justice du 10 Octobre
2002, le communiqué de presse publié à l'issue du sommet
de Paris du 5 septembre 2002, le communiqué conjoint adopté au
sommet de Genève du 15 novembre 2002 et les autres documents qu'elle
pourrait adopter à ses réunions.»325.
? notre humble avis, si cette multitude de documents peut
permettre une entente rapide entre les deux Etats, elle a pour effet pervers la
limitation de l'esprit de la C.I.J dans les débats et discours
politiques. Ainsi, la frontière terrestre Cameroun-Nigeria
d'après la C.I.J souffrirait de son trop grand attachement aux textes
coloniaux la délimitant. Mais il faut s'interroger sur l'impact de la
personnalité du chef de la délégation nigériane
dans le travail de cette commission.
324 Elle a tenu sa première réunion à
Yaoundé les 1er et 2 décembre 2002. Elle a le
mérite jusqu'à nos jours d'avoir réussi entièrement
les opérations de retrait et de transfert d'autorité dans la zone
du Lac Tchad. Les dernières opérations ont eu lieu à
NDABAKURA et à NARKI le 13 juillet 2004. Malheureusement, ces
opérations n'ont pu suivre dans la presqu'île de Bakassi le 15
septembre 2004 dernier à cause d'un calendrier assez flexible. . .
325 Voir le «Communiqué adopté à
la première réunion de la commission mixte Cameroun-Nigeria
créée en application du communiqué conjoint du 15 Novembre
2002 à Genève », in Commission mixte des Nations
Unies, op. cit., p. 14, par. 5.
2- La personnalité charismatique du
représentant du Nigeria ; Monsieur le prince BOLA
AJIBOLA
En toute logique, le Cameroun en tant que partie qui s'est
tirée la part du lion dans ce contentieux devant la C.I.J ne saurait
être celle qui bloque le déroulement du processus. Il devient
ainsi inopportun de revenir sur la personnalité du chef de sa
délégation à la commission mixte S.E.M. AMADOU
ALI326. La personnalité du président de ladite
commission mixte S.E.M. AHMEDOU OULD ABDALLAH ne devrait pas aussi faire
problème puisqu'il est le représentant personnel du
Secrétaire général de l'O.N.U, il ne pourra être
qu'un pacificateur. Mais pour ce qui est de S.E. Prince BOLA AJIBOLA, il fut le
juge ad hoc de la République fédérale du Nigeria devant la
Cour dans cette affaire. Il a le mérite d'avoir voté contre six
points essentiels de l'arrêt327. Il est d'ailleurs l'auteur
d'une opinion dissidente très dense328 dans laquelle il
affirme que la Cour n'a pas bien examiné sa jurisprudence de l'affaire
Burkina-Faso/République du Mali dans le cas d'espèce. «
... « Finally, there are cases where the legal title is not capable of
showing exactly the territorial expanse to which it relates. The
effectivités can then play an essential role in showing how the title is
interpreted in practice». Unfortunately the court it self fails to give
serious consideration to this vital part of the text of its previous judgment
»329. En effet, le Prince AJIBOLA pense que la Cour a
rendu une décision partiale basée sur ce qu'il appelle «
The one-sided argument of Cameroun ... »330.
Qu'à la fin, le Nigeria n'aurait jamais perdu Bakassi juridiquement. Il
le dit avec beaucoup de regret « to conclude my dissenting opinion, I
am of the view that the Court ought not to dismiss the claim of Nigeria based
on effectivité.(...) Similarly the Court should not have rejected the
Nigeria's claim based on historical consolidation.(...) . The claim of Cameroon
to the Bakassi peninsula based on the Anglo-German Agreement is defective for
the fore going reasons and ought not to have been relied upon by the court
»331.
326 Sauf peut-être à préciser qu'en tant
que Ministre d'Etat chargé de la justice, garde des sceaux, il
était agent de la République du Cameroun auprès de la
C.I.J (cf. Arrêt du 10 octobre , P.5). Il est aujourd'hui Vice Premier
Ministre, Ministre chargé de la justice cumulativement avec ses
fonctions à la commission mixte bilatérale.
327 Voir le dispositif de l'arrêt, pp. 145-150. Mais, il
faut dire qu'en dehors du fait qu'il soit nigérian, ses arguments ne se
sont pas vides de sens pour autant. Encore qu'il est seulement deuxième
après le juge KOROMA qui a voté 7 fois contre le dispositif de
l'arrêt ; mais très loin devant le juge REZEK qui a seulement 2
fois contre. Pour une étude des votes des juges, voir le dispositif de
l'arrêt.
328 Son opinion dissidente jointe à l'arrêt est
faite de 51 pages et de 212 paragraphes. Il y explique les raisons de son
désaccord avec plusieurs parties essentielles de l'arrêt et de son
dispositif.
329 Voir opinion dissidente du juge ad hoc BOLA AJIBOLA,
jointe à l'arrêt, p. 50, par. 211.
330 Ibidem, par. 210.
331 Ibidem, par. 209.
Il n'est pas sûr que le juge ad hoc nigérian
devenu Chef de la délégation du Nigeria auprès de la
Commission mixte bilatérale Cameroun- Nigeria va abandonner toutes ses
convictions juridiques. Au contraire, il semble que sa nomination à ce
poste peut être une technique de l'Etat du Nigeria pour infléchir
politiquement la rigoureuse délimitation de la frontière que la
Cour a voulu ancrer dans l'histoire à travers une interprétation
extensive des instruments applicables.
En marge du côté charismatique de S.E. Prince
BOLA AJIBOLA qui pourrait énormément infléchir la
délimitation textuelle de cette frontière comme l'a voulue la
C.I.J, l'autre source de lenteur des travaux de la Commission, et par ricochet
de la mise en oeuvre de la délimitation de la frontière,
réside dans l'absence des moyens financiers propres à la
commission mixte.
3- L'insuffisance des moyens financiers
S'il faut saluer la volonté politique qui anime les
présidents Paul BIYA et OLUSEGUN OBASANJO dans la mise en oeuvre
pacifique de cet arrêt concernant la frontière commune de leurs
deux Etats332, il convient malheureusement de déplorer
l'insuffisance des moyens financiers pour réaliser la démarcation
sur le terrain de cette frontière. Il est clair que pour la
réalisation d'une opération d'une telle envergure, la seule bonne
volonté politique est louable, mais pas suffisant si les moyens concrets
techniques et surtout financiers ne l'accompagnent pas. Telle est à nos
jours l'une des difficultés à laquelle la Commission mixte
bilatérale est confrontée dans le suivi de ses opérations.
Pour néanmoins confirmer leur ferme volonté politique, le
Cameroun et le Nigeria ont déjà fourni au moins 6 millions de
dollars U.S dans le Fonds d'affection spécial des Nations Unies pour la
démarcation. Le Royaume-Uni a déjà contribué 1
million de livres sterling à cet effet. Mais les aides volontaires pour
permettre à moyen terme la finalisation du processus restent encore
attendues de la part des amis du Cameroun et du Nigeria333. Cet
état des choses relève, à n'en
332 Ces efforts ont été salués par le
Secrétaire général de l'O.N.U S.E. KOFI ANNAN le 31
janvier 2004 dernier. Voir à cet effet, « le communiqué
conjoint du sommet tripartite entre le Secrétaire général
de l'O.N.U, le Président de la République du Cameroun, et le
Président de la République fédérale du Nigeria, sur
le suivi de la mise en oeuvre de l'arrêt de la C.I.J du 10 octobre 2002.
Genève, le 31 janvier 2002. ». In Commission mixte des
Nations Unies . . ., op. cit., p. 26, par. 2 et 4.
333 Pour plus de détails sur ces appels à
contribution, voir le «communiqué conjoint du sommet tripartite . .
. », op. cit., par. 8 : « le secrétaire
général a de nouveau lancé un appel à la
communauté internationale pour qu'elle appuie dans le cadre de la
diplomatie préventive, les efforts déployés par les deux
pays, notamment en fournissant des aides financières pour le processus
de démarcation (...). »
Voir également le « Communiqué
adopté à ABUJA les 1er et 2 juin 2004 lors de la
10e session de la commission mixte Cameroun-Nigeria ». In
Commission mixte des Nations Unions pour la mise en oeuvre de l'arrêt
, 11e session, op. cit., p.32, par. 8.
point douter, les difficultés liées à la
mise en oeuvre de la délimitation de la frontière terrestre entre
les deux Etats.
Conclusion de la deuxième partie
Eu égard à ce qui précède, on peut
dire en raccourci que la Cour internationale de Justice a connu beaucoup de
difficultés dans l'interprétation des instruments pertinents de
délimitation de cette frontière terrestre entre le Cameroun et le
Nigeria.
Sur le reste de la frontière allant du Lac Tchad
à Bakassi, elle s'est voulue impartiale en faisant valoir tantôt
les arguments de l'un, tantôt ceux de l'autre. La Cour a également
désigné des zones neutres où les deux Etats sont
passés à côté de sa logique interprétative.
Mais à la fin, ce sont ces deux parties: Cameroun et Nigeria qui doivent
appliquer cette délimitation en démarquant la frontière.
C'est ce que la Cour n'a pas trop considéré lorsqu'elle se
referait aux textes historiques « défectueux » comme
pour dire que la frontière terrestre entre le Cameroun et le Nigeria est
malade de ses sources historiques comme « le droit international (est)
malade de ses normes »334. Naturellement cela fait que
cette frontière soit d'application difficultueuse. Heureusement la
volonté politique y est ; et ce n'est que la mobilisation des moyens
appropriés qui ferait encore problème.
334 L'expression est de Prosper WEIL, in « Vers une
normativité relative en droit international? », R.G.D.I.P,
op. cit., p. 6.
CONCLUSION GENERALE
L'étude de la frontière terrestre entre le
Cameroun et le Nigeria d'après le verdict de la Cour internationale de
Justice du 10 octobre 2002 nous conduit à la fin vers des
vérités déjà connues qu'il convient
néanmoins de rappeler. D'abord il faut souligner qu'il ne peut avoir de
contentieux international en matière de frontière inter
étatique sans frontière. Si les deux Etats étaient en
conflit sur plusieurs points de leur frontière commune, et plus
précisément dans la zone de Bakassi, c'est qu'en effet, ils ne
s'entendaient pas sur l'interprétation, et même parfois sur la
validité des vieux instruments pertinents applicables ; tous issus de
l'époque coloniale. Mais compte tenu des réalisations
énormes335effectuées par le Nigeria sur le sol
camerounais, et en violation de l'intégrité territoriale de cet
Etat, il a cru bon de s'attacher exclusivement sur ces effectivités
territoriales. Le Cameroun pour sa part a préféré la
protection juridique des instruments applicables et celle du principe de
l'uti possidetis juris. Et lorsque nous nous interrogions sur la
nature de cette frontière terrestre selon la décision de la C.I.J
du 10 octobre 2002, nous partions de l'hypothèse selon laquelle il
existe bel et bien une frontière terrestre entre les deux Etats ;
frontière sans laquelle il n'y aurait jamais eu de séparation
entre sphères de compétence de l'ordre juridique nigérian
et l'ordre juridique camerounais. Cette hypothèse semble encore se
vérifier. Mais seulement, il est indéniable que les Parties,
comme les rédacteurs même de ces instruments ne les avaient jamais
complètement traduits sur le terrain par une démarcation ou un
abornement. Dès lors, le différend frontalier en question
demeurait un simple conflit de délimitation plus qu'un conflit
d'attribution territoriale. De même «
l'interprétation ou l'application de tel ou tel passage des
instruments de délimitation de cette frontière
»336à laquelle s'est livrée la Cour, bien
que n'étant pas en soi une «délimitation de novo
» ni une «démarcation »337 de
celle-ci, constitue au moins ce que nous appelons une vision jurisprudentielle,
au 21e siècle, d'une délimitation historique. Aussi,
« les titres juridiquement établis pendant la période
coloniale doivent (- ils) prévaloir sur les actes d'administration
effective, et a fortiori sur des caractères de fait
»338.
335 Construction des écoles, des centres médicaux,
perception d'impôts réalisées à Bakassi depuis 1959,
voir arrêt, p. 111, par. 222.
336 Arrêt, p. 69, par. 85, in fine.
337 ibid., par. 84.
338 Voir; J.C. GAUTRON, «création d'une chambre au
sein de la Cour internationale de Justice, mesures conservatoires et
médiation dans le différend frontalier entre le Burkina Faso et
le Mali », A.F.D.I, XXXII - 1986, publié par le CNRS, p.
196.
C'est cette décision sacralisatrice du droit sur les
effectivités que la Cour a retenu. Il en ressort que la frontière
terrestre entre le Cameroun et le Nigeria est conventionnellement
délimitée depuis l'époque coloniale. Que cette
délimitation est avantageuse à l'Etat demandeur dans les zones
culminantes des revendications camerouno-nigerianes. Seulement, sur le reste de
la frontière allant du Lac Tchad à la presqu'île de
Bakassi, cette délimitation est assez ambiguë et même
mitigée ; ce qui rend sa mise en oeuvre difficultueuse et
problématique. Comme les autres frontières africaines
héritées de la colonisation, la frontière terrestre entre
le Cameroun et le Nigeria est d'un « caractère purement
artificiel », mais d'un « fondement conventionnel
»339. De même, la prégnance de ce facteur
conventionnel constitue également la consécration juridique
d'absurdités historiques, géographiques ou
sociologiques340. Et malgré le caractère artificiel de
cette frontière, il faut reconnaître que « la Cour
(a) dit le droit »341. Toutefois, le refus de la
Cour de statuer sur les arguments des Parties tirés de l'uti
possidetis juris contribue à complexifier la classe
jurisprudentielle de cet arrêt. Néanmoins, la frontière
étant à l'origine une « conception politique pure
», comme le soulignait déjà P. DE LA
PRADELLE342, nous nous devons de saluer la volonté politique
qui anime les présidents Paul BIYA et OLUSEGUN OBASSANJO pour traduire
en termes concrets, cette décision de la Cour. Ils ont mis sur pieds,
avec l'appui de S.E.M KOFI ANNAN, une commission mixte des Nations Unies pour
la mise en oeuvre de l'arrêt du 10 octobre. Avec la réserve
qu'elle n'a à son actif aujourd'hui que le retrait et le transfert
d'autorité dans le Lac Tchad et sur le reste de la frontière
terrestre ; la presqu'île de Bakassi continuant toujours à faire
problème343.
Or, la mise en oeuvre de la délimitation de la
frontière c'est sa démarcation, c'est son abornement. On peut
alors dire que, si la Cour a déterminé la frontière entre
le Cameroun et le Nigeria conformément aux instruments conventionnels
applicables, l'absence de sanction du Nigeria du fait de la violation de
l'intégrité territoriale du Cameroun risquerait fortement de
nuire à cette mise en oeuvre.
Enfin, « la stabilité de l'ordre territorial des
Etats et de leurs frontières (étant)
fonction de leur degré de civilisation et de
l'adhésion des populations aux principes de droit
339 Nous empruntons ces propos du Professeur N. MOUELLE KOMBI in
« la frontière tchado-libyenne d'après la Cour
Internationale de Justice, (Arrêt du 3 février 1994) »,
Afrique 2000, N° 22, juillet-août-sept. 1995, p. 46
340 N. MOUELLE KOMBI, op. cit., ibidem
341 Voir, opinion individuelle de M. le Juge MBAYE, p. 16,
par. 80. Voir aussi la même opinion individuelle, p. 10, par. 52.
342 Cité par R. YAKEMTCHOUK, « les conflits de
territoire et de frontière dans les Etats de l'ex-URSS »,
A.F.D.I, XXX IX - 1993, éditions du CNRS, Paris, p. 394.
343 Ces opérations étaient prévues à
Bakassi les 14 et 15 septembre 2004 d'après le calendrier de la
commission. Elles sont toujours attendues
BIBLIOGRAPHIE
et de démocratie »344, il est
à souhaiter que les populations du pays frère345
adhérent à ces principes et, mettent lear ferme volonté en
marche. Ce n'est qu'à ce prix que pourra un jour se concrétiser
le renouvellement jurisprudentiel de l'esprit des créateurs des
territoires des Etats d'Afrique.... Et c'est aussi là où
résiderait la rigidité de l'ordre juridique international; car
« précariser » les frontières reviendrait
à « précariser » le droit international346.
Mais s'il est vrai que la rigidité de l'ordre juridique international
est consubstantiellement liée à la rigidité des
frontières, le raisonnement de la Cour basé essentiellement sur
des textes coloniaux devenus défectueux à nos jours est-il
pertinent? Ou, est-ce le droit international des frontières, et des
frontières africaines en particulier, qui est malade de ses normes ?
344 R. YAKEMTCHOUK, op. cit., ibidem.
345 Le Peuple nigérian a constamment connu des coups
d'Etat; de même a-t-il connu une guerre de cessession dans la zone du
Biaffra de 1967-1970. Ces paramètres ne pourraient-ils pas entraver son
adhésion aux principes démocratiques, et son attachement au droit
?
346 Voir, N. MOUELLE KOMBI, op. cit., p. 47.
I- OUVRAGES
- BEAUD (M), L'art de la
thèse, Paris, collection «Guides repères », la
découverte, 1996, 178 p.
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politique juridique extérieure, Paris, Economica, 1983, 236 p.
- GRAWITZ (M),
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2002.
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II- ARTICLES
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- ZANG (L), « Les
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III- MÉMOIRE ET THÈSE
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Cameroun face à la crise tchadienne », Mémoire de
Maîtrise en Science politique, U.Y, Yaoundé, Septembre 1984, 94
p.
- MGBALE MGBATOU (H), «
La politique camerounaise de résolution pacifique de la crise de
Bakassi », Thèse de doctorat 3è cycle, IRIC, Yaoundé,
Juillet 2001, 297 p.
IV- TEXTES DE BASE ET AUTRES
DOCUMENTS
- ABC des Nations Unies, Nations Unies, New York, 2001.
- Cameroon Tribune N°7703/3992 du mardi 15 Octobre 2002.
- Chartes des Nations Unies, 26 Juin 1945.
- C.I.J, Année 2002, 10 octobre 2002,
Affaire de la frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le
Nigeria (Cameroun C. Nigeria ; Guinée Equatorial (intervenant),
arrêt sur le fond, 150 pages; compte non tenu des
opinions et déclarations des juges.
- Commission mixte des Nations Unies pour la mise en
oeuvre de l'arrêt de la C.I.J du 10 Octobre 2002, 11è
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2004, 51 p.
- Convention de Vienne sur le droit des traités, 23 mai
1969, (état du 25 novembre 2003)
- Mutations N°762 du vendredi 11 Octobre 2002.
- Nouvelle expression.
- Ordonnance du 15 Mars 1996 sur les mesures conservatoires
(Affaire Cameroun-Nigeria).
- Recueil des résumés des arrêts, avis
consultatifs et ordonnances de la Cour internationale de Justice, 1948-1991,
publié par les Nations Unies, 382 p.
- Statut de la Cour internationale de Justice, 26 Juin 1945.
ANNEXES
TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION GENERALE 1
I- L'objet de la recherche 1
II- La délimitation du sujet 2
A- Le cadre spatio-temporel 3
B- L'éclairage conceptuel 3
III- L'intérêt du sujet . 6
A- L'intérêt heuristique 6
B- L'intérêt pratique 7
IV- La problématique de l'étude 8
V- Des méthodes utilisées à l'annonce du
plan 9
A- les méthodes utilisées . 9
B-l'annonce du plan 11 PREMIERE PARTIE :
UNE FRONTIERE TERRESTRE D'UNE DELIMITATION CONVENTIONNELLEMENT
FAVORABLE AU CAMEROUN DANS LES ZONES
CULMINANTES 12 CHAPITRE I : DANS LA
ZONE DU LAC TCHAD : UNE DELIMITATION
FAVORABLE AU CAMEROUN 14
SECTION 1 : LA LECTURE PERTINENTE DES TEXTES JURIDIQUES
APPLICABLES . 15 La présentation historique desdits textes :
de la déclaration franco-britannique
I- (Milner-Simon) du 10 juillet 1919 à l'échange de
notes Henderson-Fleuriau du
09 janvier 1931 15
A- Après la première guerre mondiale : naissance
des instruments
pertinents fixant la frontière terrestre 16
B- A l'issue de la seconde guerre mondiale : maintien, et
consécration
onusienne des accords territoriaux franco-britanniques 17
C- A partir de 1960 : la pérennisation des textes
coloniaux 18
II- La précision des points litigieux 18
A- La précision des coordonnées du tripoint .
19
B- La fixation de l'embouchure de l'ebedji 22
SECTION 2 : LA NEGATION DES THESES NIGERIANES DE
LA
CONSOLIDATION HISTORIQUE DU TITRE ET DE
L'ACQUIESCEMENT DU CAMEROUN 24
I- Les différentes prétentions des parties 24
A- Une souveraineté nigériane historiquement
consolidée et acquiescée par 24
le Cameroun, d'après le Nigeria
B- Une souveraineté camerounaise conformément au
titre conventionnel, selon la partie Camerounaise . 25
La teneur du raisonnement de la Cour : la consolidation
historique du titre et
II-
l'acquiescement du Cameroun ; des arguments «contra
legem » 26
A- A propos de la thèse de la consolidation historique du
titre .. 26
B- A propos de la question de l'acquiescement du Cameroun
27 CHAPITRE II : DANS LA ZONE DE BAKASSI : UNE
DELIMATATION
INTEGRANT CETTE PRESQU'ILE EN TERRITOIRE
CAMEROUNAIS 28
SECTION 1 : L'APPLICABILITE DE L'ACCORD
ANGLO-ALLEMAND
DU 11 MARS 1913 . 29
I- Le rappel des thèses en conflit 30
A- Un texte triplement défectueux suivant la thèse
nigériane . 30
B- Des thèses sans fondements, suivant l'argumentation du
Cameroun 31
La position de la Cour : l'accord anglo-allemand du 11 mars
1913, texte
II-
délimitant la frontière à Bakassi 32
A- Le rejet de l'argument tire de l'acte général
de la conférence de Berlin ... 32
B- En ce qui concerne le défaut d'approbation dudit
accord par le parlement Allemand 32
C- A propos de l'éventuelle abrogation de l'accord du 11
mars 1913
en application de l'article 289 du traité de Versailles
33
SECTION 2 : LA VALIDITE ENTIERE DUDIT ACCORD
33
I- Rappel des argumentations parties .. 33
A- Les arguments nigérians de l'invalidité de
l'accord du 11 mars 1913 34
B- Les contre argumentations du Cameroun 34
II L'accord du 11 mars 1913,un texte bel et bien valide
conférant la souveraineté
à Bakassi au Cameroun, d'après la Cour 36
A- L'invalidation de la thèse du Nigeria du défaut
de qualité de la Grande- 36
Bretagne conformément a l'adage « nemo dat quod
non habet »
B- Le régime de cette frontière entre 1913 et 1960
38
Conclusion de la première partie 41
DEUXIEME PARTIE : UNE FRONTIERE TERRESTRE D'UNE
DELIMITATION CONVENTIONNELLEMENT AMBIGUE, DE VALEUR JURISPRUDENTIELLE MITIGEE
ET D'APPLICATION DIFFICILE 42
UNE DÉLIMITATION PARTICULIEREMENT AMBIGUE SUR LE
CHAPITRE III: RESTE DE LA FRONTIÈRE TERRESTRE 44
L'ALTERNANCE DE LA RECONNAISSANCE DES THESES
SECTION 1 :
NIGERIANES ET CAMEROUNAISES SUR CERTAINS POINTS
45
I- Les points reconnus au Nigeria 46
A- Les thèses en conflit .. 46
B- La substance de raisonnement de la Cour 49
II- Les points conférés aux thèses
camerounaises 53
A- L'exposé des arguments en conflit 53
B- Contenu du raisonnement de la Cour .. 55
SECTION 2 : UNE DELIMITATION CONSACRANT DES ZONES
NEUTRES OU
INTERMEDIAIRES 57
I- Les différents points litigieux concernés 58
A- Les points litigieux définis par la déclaration
Thomson-Marchand 58
B- Les points litigieux définis par l'ordre en conseil de
1946 .. 61
II- L'exposé du raisonnement de la Cour sur les points
concernés . 62
A- Une délimitation neutre par certains endroits 62
B- Une délimitation mixte ou intermédiaire par
d'autres endroits 69 CHAPITRE IV : UNE FRONTIERE TERRESTRE D'UNE
DELIMITATION DE PORTEE JURISPRUDENTIELLE MITIGEE ET D'APPLICATION DIFFICILE .
74
SECTION 1 : LA PORTEE MITIGEE DE LA VALEUR
JURISPRUDENTIELLE DE LA DELIMITATION DE LA FRONTIERE TERRESTRE DANS L'ARRET DU
10 OCTOBRE 2002 74
La recherche du maintien de la paix et de la coopération
dans les relations
I-
camerouno-nigérianes 75
A- La recherche du maintien de la paix entre les deux
protagonistes 75
B- L'encouragement de la coopération entre le Cameroun et
le Nigeria 76
II- La difficile classe jurisprudentielle de la décision
retenue 78
A- L'hypothèse apparente d'un d'arrêt de principe
79
B- L'hypothèse d'un arrêt de confirmation . 80
LES FACTEURS ENTRAVANT LA MISE EN OEUVRE DE
LA
SECTION 2 :
DELIMITATION DE LA FRONTIERE TERRESTRE . 81
I- Les facteurs d'inapplicabilité propres à
l'arrêt . 81
A- Le recours permanent aux instruments défectueux 82
B- Le défaut de sanction du Nigeria . 85
Les facteurs indirects à l'arrêt : essai d'une
étude de la commission mixte
II-
bilatérale Cameroun-Nigeria . 87
A- Une commission mixte aux missions trop étendues .
87
B- Une commission mixte aux moyens limités 89
Conclusion de la deuxième partie 92
CONCLUSION GENERALE 93
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES 96
ANNEXES 99
TABLE DES MATIERES 100
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