Les médiations esthétiques et d'appartenance sociale de Vodacom Congo RDC. Etude des stratégies de sublimation du public par les expressions symboliques et le mythe d'organisation( Télécharger le fichier original )par Issa ISSANTU TEMBE Université de Kinshasa - 2003 |
II. CADRE THEORIQUELe paradigme interprétatif avec lequel nous avons choisi de naviguer dans cet univers esthétique de Vodacom Congo RDC postule que le coeur du succès de l'implantation de cette entreprise se trouve dans l'action sociale et, bien entendu l'appartenance et l'identification qu'elle affiche par rapport à la société au sein de laquelle elle s'implante. Selon Laramée et Vallée, « les approches interprétatives visent à expliquer et parfois à critiquer les significations subjectives et les significations qui font consensus sur l'interprétation de la réalité »32(*) Ce paradigme nous a orienté vers une approche naturaliste doublement nivelée. Cette approche naturaliste englobe un interactionnisme symbolique33(*) et un degré d'ethnométhodologie. Sur ce deuxième aspect on retrouve tout le système symbolique social congolais qui inspire les médiations de Vodacom Congo RDC ainsi que les normes sociales et les pratiques organisationnelles.
Pour mener à bien notre démarche, nous nous sommes donnés de diviser l'espace public en trois scènes : ü Le réel (la scène immédiate) ü L'imaginaire ou l'autre scène (la scène des mythes de l'organisation et des fantasmes) ü Le virtuel (la toile du Web) Penser esthétique d'une organisation telle que Vodacom, c'est, il est vrai, penser les conditions dans lesquelles il apparaît sous son meilleur jour et dans les meilleures conditions au sein de l'espace public et de sociabilité. En d'autres termes, là nous évoquons Bernard Lamizet, c'est aussi « penser les logiques signifiantes qui ordonnent ses interventions publiques et les formes symboliques qui structurent pour elles-mêmes, les identités dont elles sont porteuses »34(*) Avant d'aller plus loin, nous nous faisons le devoir de comprendre que pour une organisation de la taille de Vodacom Congo RDC, « se donner une stratégie symbolique de représentation, c'est exister aux yeux d'autres »35(*) organisations concurrentes ou non. Mais, cette esthétique n'est qu'un adjuvant artistique, voire cosmétique de la communication entre l'organisation et les consommateurs des services GSM, et entre l'organisation et ses concurrents, nous l'avons déjà dit. Notons par ailleurs que le recours à l'esthétique a pour seule fin d'influencer le jugement du public et de le faire pencher de manière subtile à la nouveauté qu'a apporté Vodacom Congo RDC. Pour Alex Mucchielli, « cette influence (qui est à la base du succès de l'implantation de Vodacom) serait quelque chose de largement en dehors du champ de la conscience claire »36(*). Toujours avant d'aller loin, nous croyons que toute la démarche esthétiquement codée de Vodacom visant à séduire sa clientèle potentielle a été faite pendant une phase dominée par cette fascination venue de République Sud-africaine. Dans l'imaginaire collectif des congolais, ce pays représente une sorte de fantasme lointain, un mirage on l'on va pour réussir. Cette terre qui a accueilli des milliers de congolais qui y résident et qui a accueilli le Dialogue Inter congolais37(*), à propos de laquelle, l'opinion pense déjà le bien ne pouvait produire qu'une telle représentation même au niveau d'une de ses parties, représentant le tout à savoir Vodacom. Pour revenir à cette esthétique, nous avons choisi trois de ses concepts fondamentaux : a) La poesis : ce concept évoqué par Hans Robert Jauss38(*) , est considéré par Philippe Quinton comme « l'un des trois concepts classiques de la tradition esthétique. »39(*) Cet auteur la définit comme relevant de la pratique qui permet de participer au monde, de manifester une appartenance et une appropriation du sensible. Au sein de Vodacom et de ses activités, elle relève de toute l'activité opérationnelle de la communication institutionnelle. b) L'aisthesis : elle est selon H.R Jauss et P. Quinton l'opération esthétisante qui régénère l'expérience esthétique et intuitive des choses. C'est elle qui permet aux institutions de faire l'objet d'une reconnaissance symbolique et qui les rend à la fois perceptibles et identifiables dans l'espace public. C'est à travers l'opérationnalisation de cette aisthésis que le logo et les couleurs de Vodacom sont perceptibles, visibles et lisibles. c) La catharsis40(*) : les deux auteurs précités soutiennent que ce concept très ancien est lié à la Grèce antique joue aujourd'hui au sein des grandes organisations un rôle semblable à celui qu'il jouait dans la Grèce antique. Elle faciliterait l'intégration et de l'organisation et des consommateurs des produits de l'organisation dans un même espace, un même monde dans lequel ces deux partenaires joueraient un rôle olympien (l'organisation) et un rôle d'admirateur (le public) Ce sont ces trois concepts fondamentaux constituent les trois étapes de la démarche de Vodacom Congo RDC pour créer son appartenance sociale et assaillir la clientèle de la RDC en particulier. Comme nous avons déjà dit, Vodacom a recouru à la mythologie sociale déjà existante ou créée à cette fin, et a mis en moule son propre mythe d'organisation41(*) pour s'adresser à son public consommateur potentiel. Ceci a eu comme avantage de faire entendre à ce public cible un langage auquel il était déjà apparenté. C'est en quelque sorte le subterfuge d'un voleur qui entre dans une bergerie en imitant la voix du berger. En lisant J.-N. Kapferer en ce qui concerne la persuasion42(*), on se rend compte que l'une des interactions auxquelles Vodacom Congo a recouru pour bien s'implanter en RDC reste la stratégie de contagion sociale43(*) en tant qu'influence immédiate par mimétisme. Ce concept emprunté par J.P. Meunier44(*) à Le Net fonctionne grâce aux images et aux formules valorisées par l'affirmation et surtout la répétition, et qui finalement entraînent l'adhésion et la contagion. Vodacom, en venant auprès des congolais a aussi utilisé les fantasmes de grandeur d'un pays qui se cherchait alors qu'il était divisé. Le fameux jargon « RDC eloko ya makasi » 45(*) a servi de toile de fond dans tous les messages d'implantation. « Vodacom très très fort »46(*) , par exemple est une expression de super puissance qui a trouvé du répondant dans un peuple assoiffé d'être sous la direction d'une puissance, d'un « homme fort ». On retrouve aussi cette stratégie de discours intégré dans le label pris par l'un des revendeurs exclusifs de Vodacom « 2XT » qu'on lit en lingala : «2 fois te »47(*) pour dire en d'autres termes : « une fois avec action »48(*) Une autre représentation symbolique de la force, de la puissance que Vodacom voulait graver dans la mémoire collective se trouve être ces panneaux géants comme on en a jamais vu dans tout le pays. Sur ces derniers, il était inscrit en grand « Parce que vous méritez mieux »49(*) , « Simply the best »50(*), « Leader dans le monde cellulaire ». Ces grandes inscriptions qui ont poussé à travers la ville ont marqué en gras cette présence puissante dans les esprits. Ce dispositif d'énonciation qui est calqué sur le modèle de la communication interindividuelle met en scène, selon Meunier51(*), une situation dans laquelle le destinateur et le destinataire occupent des positions bien précises. Tout individu qui se place devant un panneau géant de Vodacom est réduit à sa plus simple expression. Il se sent écrasé et décode le message de Vodacom comme s'il était entendu d'une voix d'autorité (voix off). Ici, non seulement les panneaux sont grands mais, les inscriptions aussi. C'est ce « dispositif d'énonciation autoritaire qui illustre la relation unidirectionnelle »52(*) que Vodacom a commencé à établir avant de se lancer finalement dans un dispositif « Je-tu »53(*). Ce sera grâce à ce deuxième dispositif que Vodacom et le public qu'il a conquis ont fini par construire (co-construction) ensemble le sens et l'essence de cette communication esthétique que nous examinons ici. Revenant sur l'inscription « Parce que vous méritez mieux ! », nous y avons vu une stratégie indirecte de vanter le produit et les services de Vodacom. Cette organisation n'a pas fait une publicité sur son service ou sur sa marque, mais sur le client qu'elle voulait conquérir. En lui disant qu' « il méritait mieux », Vodacom a laissé entendre que « ce qui était présenté à ce public ne lui convenait pas » (Il s'agit des mêmes services GSM offerts par d'autres exploitants de la téléphonie cellulaire de la place). Si l'on y voit une sorte d'implicite, on peut soutenir que Vodacom déclare sans le dire qu'il est ce « mieux » que mérite le peuple congolais. Et, on a fini par avoir une inversion de rôles. C'est aujourd'hui le public qui a adhéré au message de Vodacom qui fait sans cesse la publicité de cette entreprise. LE RECOURS AUX TROIS CONCEPTS FONDAMENTAUX Pour concilier les valeurs socialement partagées que Vodacom Congo s'emploie par la suite à proclamer d'une manière esthétique avec les argumentations répondant aux besoins du marché, il faut incruster la démarche de cette entreprise sur la ligne des trois concepts précédemment évoqués. Ø Au niveau de la « poesis », il faut situer la saisie de la quête du sensible par les stratèges et les marketteurs de Vodacom. A cette étape il est convenable de dire que Vodacom s'est saisi d'une démarche qui ne pouvait pas être la sienne. La quête du beau ne fait pas essentiellement l'objet d'une finalité pour les entreprises commerciales, sauf pour celles qui l'ont comme objet social, nous l'avons déjà dit. C'est donc grâce à la « poesis » que Vodacom décrète la médiation esthétique pour élaborer son expérience sensible. Avec cette même « poesis », Vodacom Congo détermine ce que sera le contenu de ses messages, d'où qu'ils viennent et prédit en quelque sorte les résultats. Ø L' « aisthesis » elle, est une régénérescence de l'expérience esthétique au niveau des individus qui sont des membres de l'organisation. Il sont les premiers exposés aux messages et évaluent déjà à leur niveau les résultats des campagnes. A cette étape, intervient le protocole de la médiation qui, à notre avis se déploie à travers :
Ø La « catharsis » elle, est l'étape d'achèvement de la séduction qui opère comme une sorte d'hypnose54(*) douce et lente en essayant de restaurer la confiance dans le chef du client pour lui rassurer qu'il n'a pas opéré un mauvais choix. Daniel Bougnoux55(*) va même plus loin et parle d'un « amour désexualisé proche de l'état d'élation ou d'abandon confiant de l'enfant dans les bras maternels. » Selon Bernard Lamizet, la culture de l'organisation qui s'installe suite à cette médiation esthétique de l'appartenance sociale détermine en même temps une triple dimension des stratégies, à laquelle nous allons largement revenir au chapitre deux de ce travail. Cette triple dimension stratégique s'articule de la manière suivante : v La stratégie réelle : elle constitue le mode d'intervention publique de Vodacom Congo RDC ; v La stratégie symbolique : qui constitue le système de représentations qui fonde la visibilité et la signification de Vodacom Congo RDC; v La présence imaginaire : qui constitue le système mythologique assurant la présence de l'organisation dans la rumeur, les fantasmes, les récits...qui font croire quelque chose sur Vodacom Congo RDC. * 32 A. Laramée et B. Vallée, Recherche en communication. Eléments de méthodologies, Quebec, PUQ, 1991, p.71 * 33 Courant de la sociologie américaine dont les tenants sont Margaret Mead, Max Weber et Schutz. En gros, on peut dire que l'interactionnisme symbolique est sociologie interprétative, une microsociologie et une sociologie situationnelle. * 34 B. Lamizet, « L'esthétique institutionnelle » in Recherches en communication, Bruxelles, UCL, 2002, p.17 * 35 J. Habermas, L'espace public, Paris, Edit. Payot, 1993, p.83 * 36 A. Mucchielli, « Aux sources de l'influence. La décomposition du processus d'influence » in Recherches en communication n°6, Bruxelles, UCL, 1996, p.210 * 37 Pourparlers de paix initiés par l'Onu et l'Union africaine mis sous l'égide du Président ThaBo Mbeki. Ces pourparlers se sont déroulés en terre sud-africaine à Sun City et à Pretoria et ont abouti à la signature d'un accord global et inclusif entre tous les belligérants de la guerre en RDC depuis avril 2003. * 38 H. R. Jauss, Pour une esthétique de la réception (2ème édition), Paris, Gallimard, 1990, 336 pages * 39 P. Quinton, op. cit p.80 * 40 Dans le dictionnaire encyclopédique des sciences de l'information et de la communication, Bernard Lamizet met cette `catharsis' dans le lot de ce que les grecs considéraient comme le processus de d'ordre psychologique et social par lequel le public s'identifiait symboliquement au personnage qu'il voyait sur la scène, il adhérait à ses réactions, à son discours et à son comportement au point de rendre manifeste une forme d'oubli de soi. Dans le cinéma par contre, l'identification du spectateur se fait par la médiation de l'image et non en présence des acteurs. * 41 B. Lamizet, « L'esthétique institutionnelle » in Recherches en communication n°17, Bruxelles, UCL, 2002, p.19 * 42 J.-N., Kapferer, Les chemins de la persuasion, Paris, Dunod, 1984 * 43 Meunier, J.P, « Deux modèles de la communication des savoirs », p.3 ( file://C:\WINDOWS\Bureau\Porte-documents\Grems) * 44 J.P Meunier, idem * 45 La RDC est quelque de dur, de fort et de puissant * 46 Expression très employée en lingala de Kinshasa qui signifie « puissant, fort, riche » * 47 Qui veut dire : « qui n'agit qu'une fois, pas deux fois » ou « qui n'échoue point » * 48 En lingala on emploie souvent cette expression pour dire qu'on est différent, qu'on fait une fois et on réussit. Contrairement à ceux qui multiplient les tentatives et les essais avant d'atteindre l'objectif * 49 Voir le chapitre sur le marketing de la marque * 50 « Simplement le meilleur » * 51 J.P. Meunier, op. cit * 52 Ibidem * 53 Grâce à d'autres messages publicitaires et grâce aux actions de marketing * 54 Les sciences de la communication empruntent les usages cliniques de l'hypnose développés et théorisés par Milton Erickson, qui est très proche de Gregory Bateson. Il ne s'agit pas de la domination d'un esprit sur un autre, mais d'un co-pilotage très fin, mutuel et vigilent de la relation ; non pas le sommeil mais l'ajustement et la mise en commun d'une même expérience émotionnelle. * 55 D. Bougnoux, Introduction aux sciences de la communication, Paris, Ed. La découverte, 1998, p.74 |
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