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La liberté d'expression face à la religion: analyse de la jurisprudence de la CEDH

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par F. KORA
Université de Rouen - Master I Droit international et européen 2007
  

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Section II : L'utilité des opinions dissidentes.

Les opinions dissidentes ont apporté des précisions à la jurisprudence et qui permettent de renforcer un temps soit peu la jurisprudence de la Cour européenne. L'étude portera ici sur les opinions dissidentes jointes aux arrêts Otto-Preminger et I. A. c. Turquie. En effet, les opinions dissidentes sont à prendre en considération aussi car les arrêts, pour la plupart, ont été adoptés à faible majorité.

A.)Une recherche plus équilibrée des deux libertés.

«La Convention ne garantit pas explicitement un droit à la protection des sentiments religieux. Plus précisément, semblable droit ne peut être dérivé du droit à la liberté de religion qui, en réalité, inclut un droit d'exprimer des vues critiquant les opinions religieuses d'autrui. » Il ne s'agit pas pour les juges dissidents de remettre en cause toute protection des sentiments religieux mais de mettre en évidence la prééminence accordée à un droit qui n'est pas énoncé clairement par la Convention . En effet, les juges sont censés assurer la protection des libertés énoncées dans la Convention et interpréter les articles de celle-ci. Il n'est pas donc logique d'accorder la primauté à un droit non garanti clairement par la Convention, mais dérivé d'une liberté qui a la même protection que celle qui se retrouve restreinte. Certes, les juges dissidents admettent « qu'il peut être légitime, aux fins de l'article 10, de protéger les sentiments religieux de certains membres de la société contre les critiques et insultes d'une certaine gravité ». Néanmoins, ils rejettent le fait de sacraliser la religion dans sa totalité, de la sanctuarisée et, en quelque sorte l'exemptée de toute critique, de toute représentation ou utilisation par d'autres. La formule de l'arrêt Handyside citée par la Cour dans ses arrêts doit avoir plein effet. Elle ne doit pas servir juste de «  formule incantatoire » Pour ces juges , il est donc nécessaire de se rappeler que la liberté d'expression reste le principe et les restrictions contenues dans l'alinéa 2 de l'article 10 les exceptions.

En outre, pour assurer une protection équitable de ces deux libertés, il faut aussi prendre en compte les circonstances de l'espèce afin d'avoir une application objective des règles énoncées dans la Convention. Les juges mettent aussi en évidence les valeurs démocratiques dans l'exposé de leurs idées.

B.)La mise en évidence des valeurs démocratiques.

La notion de société démocratique a été citée plusieurs fois par la Cour mais les aspects essentiels de celle-ci nécessaires à cette jurisprudence ont-ils été pris en compte ?

Tout d'abord, l'esprit de tolérance doit caractériser une société démocratique. En effet, la Cour demande à ce que les auteurs des oeuvres litigieuses aient une attitude tolérante, mais la tolérance est-elle à sens unique dans une société démocratique ? Les juges Palm, Pekkanen et Makarczyk ont eu à souligner dans leur opinion dissidente depuis 1994 que «  la tolérance est à double sens et le caractère démocratique d'une société se trouvera affecté si des attaques violentes et injurieuses contre la réputation d'un groupe religieux sont autorisées. En conséquence, il faut aussi admettre qu'il peut être « nécessaire dans une société démocratique » de fixer des limites à l'expression publique de telles critiques ou insultes. (...) Le devoir et la responsabilité d'une personne cherchant à user de sa liberté d'expression doivent être de limiter, autant que l'on peut raisonnablement attendre d'elle qu'elle la limite, l'offense que sa déclaration peut causer à autrui. Ce n'est que si elle omet de prendre des mesures nécessaires, ou si elles -ci s'avèrent insuffisantes, que l'Etat peut intervenir. »

En outre, le « chilling effect » est également dénoncé par les opinions dissidentes car il conduit à l'appauvrissement du débat par son effet dissuasif. Les trois juges dissidents soulignent que « la liberté de la presse touche à des questions de principe, et toute condamnation pénale a ce qu'on appelle en anglais un chilling effect, propre à dissuader les éditeurs de publier des livres qui ne soient pas strictement conformistes, ou `politiquement (ou religieusement) corrects'. Un tel risque d'auto-censure est très dangereux pour cette liberté, essentielle en démocratie, sans parler de l'encouragement implicite à la mise à l'index ou aux fatwas.44(*) » Dans cette perspective, estiment-ils, il aurait été « temps de `revisiter' cette jurisprudence, qui nous semble faire la part trop belle au conformisme ou à la pensée unique, et traduire une conception frileuse et timorée de la liberté de la presse. »45(*)

Par ailleurs, « Dans son opinion dissidente jointe à l'arrêt Leyla Sahin c. Turquie, la juge Tulkens conclut « qu'il faut rappeler, encore et toujours, que ce sont les droits de l'homme qui sont les meilleurs moyens de prévenir et de combattre le fanatisme et l'extrémisme. » Dans cette direction, je pense que seule une protection forte tant de la liberté de manifester pacifiquement l'appartenance à une religion que de la liberté de critiquer les doctrines religieuses, fût-ce avec exagération et provocation, pourrait contribuer à enraciner la tolérance dans le droit, ce qui sans nul doute ce dont ont besoin nos sociétés plurielles secouées par des crispations identitaires autour d'objets religieux. »46(*)

* 44 Cour eur. d. h., I.A. , précité, Op. diss. commune aux juges Costa, Cabral Barreto et Jungwiert, § 6

* 45Dans un arrêt Giniewski c. France, rendu le 31 janvier 2006, la Cour consacre une protection forte du discours critique à l'égard d'une doctrine religieuse, tout en maintenant la distinction évoquée ici

* 46P-F Docquir, « La liberté de manifester ses convictions et la liberté de critique à l'égard des doctrines religieuses dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme : une protection amoindrie, ou de l'utilité des opinions dissidentes » in : Actes du colloque « La laïcité dans tous ses états », organisé par le CIERL (ULB) les 16 et 17 déc. 2005, coll. Problème d'histoire des religions, n° 16, Ed. de l'ULB, paru en 2006.

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