Section I/ Libéralisation financière et
croissance : brève revue de littérature et expérience
des pays de l'UEMOA
A/
Brève revue de la littérature :
Du point de vue théorique, le concept de
libéralisation financière apparaît au début des
années 70 dans les écrits de R.I Mc Kinnon (1973) et E .Shaw
(1973). Ces deux auteurs présentent la libéralisation du secteur
financier comme un moyen efficace et simple pour accélérer la
croissance économique des pays en voie de développement. Cette
théorie trouve rapidement un écho favorable, tant auprès
des grands organismes internationaux (FMI, Banque Mondiale) qu'auprès de
certains pays en voie de développement. Elle séduit par la
simplicité de sa mise en oeuvre. Pour ces deux auteurs, les pays en voie
de développement souffrent moins d'un manque de ressource
financière que d'une intermédiation, essentiellement bancaire,
devenue inefficace du fait des distorsions liées à
l'administration des taux d'intérêts. Le développement de
leurs travaux a donné lieu au paradigme de la répression
financière (Galbis, 1977, Mathieson, 1980, Fry, 1995). La principale
proposition de politique économique est la libéralisation des
conditions financières des banques, le taux d'intérêt
étant la principale variable de contrôle. En l'occurrence, il
devrait s'en suivre une hausse des taux d'intérêt qui permettent
aux banques d'être plus performantes dans la mobilisation de
l'épargne et le financement de l'économie. Depuis les
contributions de ces deux pionniers, un train de littérature
économique, en la matière, à été mis en
place dont l`objectif est de tester la validité de la
thèse de la libéralisation financière selon laquelle
un système financier libéralisé joue un rôle
positif dans le financement du développement économique.
Dans son ensemble, la première
génération des travaux des héritiers [Kapur
(1976,1983), Vogel et Buser (1976), Galbis (1977), Mathieson (1979, 1980)],
comme le souligne Balassa (1993), s`attache plus à modéliser les
contributions originelles de Mac-Kinnon et de Shaw qu`à apporter de
nouveaux fondements au concept de la libéralisation
financière. Cependant, Fry (1988b) parvient à enrichir les
thèses des fondateurs en spécifiant les fonctions
d`investissement et d`épargne. Selon FRY l'administration des taux
d'intérêt à un niveau bas entraîne des
conséquences, telles qu'un système bancaire peu
développé, la rareté de l'épargne
financière, la faiblesse de l'investissement et de la
productivité du capital, ce qui serait un frein à la croissance
économique.
La libéralisation financière est censée
favoriser, à travers la hausse du taux d'intérêt
créditeur réel, l'accroissement des investissements et
l'augmentation des ressources investies en capital productif. Fry (1981) trouve
des résultats significatifs et conformes à la relation positive
entre le taux d'intérêt réel et le volume de crédits
intérieurs sur un échantillon de douze pays asiatiques. Par
contre, Green et Villanueva (1991) trouvent que la hausse des taux
d'intérêt réduit les investissements dans 33 pays en
développement. Demetriades et Devereux (1992) aboutissent à une
conclusion similaire sur un échantillon de 64 pays en
développement.
Quant à la seconde génération, Roubini
et Sala-i-Martin (1992, 1995) et De Melo et Giovannini (1993) et King et Levine
(1993b), elle s`est efforcée de fonder sa contribution sur des concepts
économiques plus récents. Dans une étude, Bandiera et al
(2000) analysent la fonction d'épargne privée dans un
échantillon de huit pays en développement. Dans six pays, les
régressions entre l'épargne privée et le taux
d'intérêt créditeur réel conduisent à une
corrélation négative. En outre pour Bandiera et al (2000),
l'effet à court terme de la libéralisation financière sur
l'épargne peut être observé lorsque les réformes
viennent d'être mises en place. Une évaluation de l'impact des
différentes réformes financières sur l'épargne
nécessite une analyse des différents canaux de transmission de la
libéralisation financière et la séparation entre les
effets de court terme et de long terme véhiculés par le processus
de transmission. L'effet à court terme provient essentiellement d'une
variation des taux d'intérêt et des quantités de
crédits disponibles. Dans ce cas l'épargne pourra chuter pendant
les premières années de la libéralisation
financière laissant la place à un boom de la consommation
(Muellbauer, 1994). A long terme, la libéralisation financière
aura permis un développement financier qui influencera positivement la
croissance de la production et du revenu, et donc de l'épargne.
Cependant, l`échec des expériences de
libéralisation financière dans de nombreux pays en
développement a été à l`origine de
l`émergence de plusieurs analyses émanant de nouveaux
courants théoriques. Citons, à titre d'exemple, les analyses des
néo-structuralistes de Taylor (1983) et de Van Winjbergen (1983),
celles des post-keynésiens Burkett et Dutt (1991), celles
liées aux problèmes informationnels de Stiglitz et Weiss
(1981) et enfin celles liées aux problèmes de financement
du déficit budgétaire de l`Etat [Bencivenga et Smith
(1992)]. Ces analyses ont essayé de montrer les effets néfastes
de la libéralisation sur le développement économique.
Les critiques néo-structuralistes prennent en
considération non seulement le secteur financier officiel mais aussi
le secteur financier informel. Elles ont mis en évidence les effets
négatifs d`une hausse des taux d`intérêt,
conséquence directe de la libéralisation financière. Par
contre, les critiques post-keynésiennes se basent sur les concepts
keynésiens de demande effective, de préférence pour la
liquidité et de constitution d`une épargne de précaution.
Elles montrent que, dans un contexte d`utilisation des pleines
capacités de production, la libéralisation financière,
parce qu`elle permet théoriquement la croissance de
l`épargne, se traduira par un ralentissement économique à
la fois à court et à long terme. En outre, dans un contexte de
plein emploi, elle ne serait efficace qu`à court terme tandis que son
impact de long terme s`avèrerait indéterminé (Dutt et
Burkett, 1991).
Depuis lors, les analyses aussi bien théoriques que
pratiques ont montré que le succès de la libéralisation
des systèmes financiers est souvent assuré par le respect
de certaines conditions, telles que, les réformes fiscales, juridiques,
comptables, financières et réglementaires ainsi que la
stabilité macro-économique. Mac-Kinnon (1991) souligne que la
discipline budgétaire et le contrôle monétaire
doivent intervenir avant d`entamer des politiques de
libéralisation. Pour Johnston et Pazarbasioglu (1995), les politiques
macroéconomiques de stabilisation constituent une condition
préalable à toute politique de libéralisation
financière réussie en termes d`efficacité et de croissance
économique. Quant à Fry (1997) il soutient que les
différences institutionnelles (les modes et la qualité de
la supervision prudentielle) constituent une des causes qui affectent l`impact
des politiques de libéralisation financière sur le
développement financier. Plus tard, cette idée a
été soutenue par Arestiers, Demetriades, Fattouh et
Mouratidis (2002). D'autres comme De-Silianes et Vishny (1997) ont
souligné que la qualité des normes juridiques et les lois
d`exécution des contrats sont des déterminants importants du
développement des marchés des capitaux.
Généralement, les leçons tirées
à partir de l'expérience de certains pays
d'Amérique latine, du Sud-Est asiatique ou de Scandinavie
confirment en outre que la réussite d'un processus de
libéralisation financière est tributaire d'une bonne politique
macroéconomique. C'est en effet, le moyen d'éviter un
déséquilibre grandissant des marchés financiers et
d'atténuer les crises financières lorsque la panique fait rage.
Une gestion rigoureuse des finances publiques, grâce à laquelle
les déficits ne grossissent pas hors proportion, permet d'éviter
la tentation de recourir à l'emprunt extérieur qui pourrait
compliquer la gestion de la dette, miner le crédit du pays ou
le rendre plus vulnérable aux chocs externes. La politique
monétaire peut servir à contrecarrer les désordres
dans des marchés (un relèvement temporaire des taux
d'intérêt peut inverser l'exode des capitaux) et, alliée
à la politique budgétaire, elle peut atténuer la
contraction de l'économie en cas de fléchissement de la
conjoncture (une expansion budgétaire et monétaire permet
de stimuler la production et l'emploi, et de faire face aux effets de
perturbations passagères.
En somme, la majorité des contributions
théoriques admettent que la libéralisation financière
accroîtra le poids de l`activité financière dans la
production de biens et de services si elle est précédée
par un plan de reformes minutieux et des considérations
systémiques appropriées.
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