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Le traitement de la loi etrangere en matiere de statut personnel

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par Chimene Chrystelle AKEUBANG YEFFOU
Universite de Yaounde II SOA - Diplome d'Etudes Approfondies en Droit Prive 2005
  

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CONCLUSION GÉNÉRALE

127. Au terme de cette étude consacrée à la question du statut de la loi étrangère devant les juridictions du for, nous pouvons constater une évolution dans le traitement habituellement réservé aux lois étrangères lorsque leur compétence est désignée par les règles de conflit du for. En effet, le système instauré par la jurisprudence Bisbal330(*) est progressivement remplacé par un système plus réaliste et surtout qui tient compte de la nature juridique de la loi étrangère même en dehors des frontières de l'Etat qui l'a édicté.

La position traditionnelle du droit positif français relativement à la question du statut des lois étrangères devant le juge, a pendant longtemps consisté à dénier toute impérativité à la règle de conflit de lois lorsqu'elle désigne la compétence de la loi étrangère. Cette solution, issue de l'arrêt Bisbal, consistait à admettre que le juge n'a pas l'obligation d'appliquer d'office un droit étranger. Il peut toutefois le faire s'il en a envie.

128. Le caractère facultatif de la règle de conflit était suivi d'un accroissement du rôle des parties dans l'établissement du contenu du droit étranger compétent. Les arrêts Lautour et Thinet ont en effet mis à la charge des plaideurs, la preuve du contenu de ce droit, au motif qu'il s'agit d'un simple fait objet de preuve.

129. Quelques années plus tard, la Cour de cassation a fini par tenir compte de toutes les critiques doctrinales adressées au système issu de la jurisprudence Bisbal, puisqu'elle a opéré un important revirement de jurisprudence. En effet, avec les arrêts Rebouh, Schule, Driss Abou et les deux arrêts du 28 juin 2005, le juge a désormais l'obligation d'appliquer d'office le droit étranger lorsque le droit litigieux est indisponible. Dans le cas contraire, il garde la faculté de recourir ou non à sa règle de conflit. Toujours est-il que quelque soit la nature du droit en cause, et une fois qu'il a reconnu la compétence d'une loi étrangère, il est obligé d'en rechercher le contenu avec le concours des parties.

Plusieurs arguments ont soutenu ce revirement de jurisprudence. Tout d'abord, la tâche des juges du fond n'est pas si insurmontable, puisqu'ils peuvent solliciter et même exiger l'aide des parties. Ensuite, l'extension de l'office du juge semble être le moyen d'éviter que la règle de conflit ne reste une oeuvre purement théorique. Enfin, certains auteurs à l'instar de M. MELIN ont estimé que seul le dépassement de la jurisprudence Bisbal, pourrait permettre « la réalisation du droit » et faciliter l'égalité des plaideurs relativement à « l'accès au droit ».

Le caractère impératif de la règle de conflit, qui est déjà consacré en Allemagne et au Burkina-Faso, pour ne citer que ces pays, peut néanmoins être perturbé par le jeu de la théorie de l'équivalence.

130. Il existe néanmoins des hypothèses de défaillance de la loi étrangère applicable. En effet, la loi étrangère sera mise à l'écart chaque fois que le juge se trouve dans l'impossibilité d'établir son contenu exact ; ou encore lorsque ce contenu est contraire aux valeurs essentielles de l'Etat du for. Pour résoudre ce problème, l'application de la lex fori dans sa vocation subsidiaire est progressivement en train de se substituer au rejet traditionnel de la prétention soumise à la loi étrangère défaillante. Cette solution est consacrée dans plusieurs pays comme l'Australie, la Roumanie, le Burkina-Faso, la Tunisie. Notons toutefois que dans d'autres systèmes juridiques, le législateur préfère appliquer un droit proche du droit étranger défaillant ou encore le recours à des rattachements subsidiaires.

131. Cette évolution du statut de la loi étrangère observée dans le système français de droit international privé et même dans plusieurs autres pays paraît conforme à l'une des Résolutions prise par l'Institut de Droit International lors de la Session de Saint-Jacques De Compostelle de 1989, sur le Rapport de M. Pierre GANNAGE.331(*) En effet, parlant de « l'égalité du traitement procédural entre la loi étrangère et la loi du for », l'Institut avait exprimé le souhait que le caractère obligatoire de la règle de conflit soit reconnu ; que la règle de conflit soit dans tous les cas soulevée d'office par les autorités compétentes du for et que la teneur de la loi étrangère désignée par la règle de conflit soit elle-même déterminée d'office.332(*) Il ne serait donc pas étonnant que d'ici peu de temps, l'application d'ofiice de la règle française de conflit soit imposée au juge français même lorsque les parties ont la libre disposition du droit litigieux. D'ailleurs, l'on peut déjà noter la décision de la première chambre civile de la Cour de cassation française du 20 juin 2006, qui a imposée la règle de conflit en matière successorale alors que « dans le système de droit international privé français, les droits patrimoniaux sont en principe disponibles ».333(*) La reconnaissance du caractère juridique de la loi étrangère devant le juge doit donc être encouragée parce qu'elle est propice au développement du droit international privé, dans un monde de plus en plus enclin à la libre circulation inter étatique des personnes et des biens.

132. Contrairement au droit français, le droit positif camerounais n'est pas aussi favorable à l'étude du traitement procédural réservé au droit étranger. Nous nous sommes heurtés à l'extrême rareté du contentieux international de la famille devant les juridictions camerounaises. Toutefois, parce que la jurisprudence Bisbal et Lautour est encore en vigueur en droit camerounais, on peut logiquement affirmer le statut factuel actuellement réservé à la loi étrangère devant le juge camerounais. Ce principe semble d'ailleurs être confirmé par la décision du juge camerounais dans l'affaire des époux Malong. En effet, une interprétation implicite de cette jurisprudence démontre qu'il appartient non seulement aux parties d'invoquer la compétence du droit étranger désigné par la règle de conflit, mais aussi encore de rechercher le contenu de cette loi, faute de quoi elles verront leur demande rejetée.

Nous avons estimé que deux arguments principaux pourraient justifier ce système. D'une part, la plupart des juges ignore le mécanisme de la règle de conflit et ces derniers n'ont par conséquent pas de réflexe internationaliste. D'autre part, ceux qui ont reçu une formation en droit international privé préfèrent le plus souvent s'abstenir de soulever la compétence d'une loi étrangère alors qu'ils ne disposent pas de moyens adéquats pour en établir le contenu.

Sur le plan législatif, les rédacteurs de l'Avant Projet de Code camerounais des personnes et de la famille ont fait quelques propositions qui manquent de clarté. En effet, une lecture littérale des articles 9 et 10 de ce texte permet d'arriver à la conclusion suivante : le juge camerounais devra appliquer le droit étranger chaque fois que les parties en auront invoqué la compétence. Dans le cas contraire, il doit appliquer le droit camerounais.

133. A notre avis, une telle proposition est fortement déconseillée dans la mesure où elle n'accorde même pas au juge la faculté de décider lui-même de faire application de la loi étrangère compétente. Mais nous pensons que telle n'a pas été la vision des rédacteurs de l'Avant Projet de Code lorsqu'ils rédigeaient ces articles. Raison pour laquelle ces deux articles doivent être reformulés afin de consacrer clairement l'application d'office de la règle de conflit lorsque les parties n'ont pas la libre disposition du droit litigieux en cause ; et la recherche d'office du contenu de la loi étrangère compétente, quelle que soit la nature du droit litigieux.

Nous pensons en effet que lorsque les parties ont la libre disposition du droit litigieux, il serait un peu excessif de leur interdire la possibilité de s'accorder sur le choix de la loi applicable, même si elle est différente de la loi précédemment désignée dans le contrat.

Nous avons pu constater avec M. MELIN qu'un système qui fait peser sur l'une des parties la charge de la preuve du droit étranger compétent, favorise en quelque sorte une inégalité, non seulement dans le traitement procédural de la loi étrangère et de la loi du for, mais aussi et surtout entre les parties au litige. En effet, un plaideur qui ne dispose pas de moyens suffisants pour établir le contenu exact d'une loi étrangère compétente, ne pourra pas accéder à la justice alors que la Loi Fondamentale du Cameroun et plusieurs textes internationaux consacrent l'égalité de tous les justiciables devant la loi.

134. L'Avant Projet de Code prévoit également, en son article 8 deux moyens d'obtenir la preuve de la loi étrangère. Il s'agit de l'expertise et des connaissances personnelles du juge. C'est déjà là une initiative à encourager, mais cet article devrait préciser que ces moyens de preuve doivent être utilisés d'office par le juge. Et pour qu'une telle disposition reçoive une certaine effectivité dans la pratique, le gouvernement doit ratifier avec les pays étrangers, des conventions ayant pour objet de faciliter l'accès aux lois étrangères. On pourrait même prévoir un budget spécial pour financer les opérations de recherche du contenu des droits étrangers.

Nous proposons aux rédacteurs de l'Avant Projet de Code de consacrer à la place de la vocation subsidiaire de la lex fori, « le recours à des rattachements subsidiaires » lorsque la loi étrangère compétente est défaillante. Ainsi, l'on dissuaderait les juges camerounais de se retourner trop facilement vers la loi camerounaise.

Avant son adoption, l'Avant Projet de Code doit aussi envisager de consacrer l'exercice par la Cour suprême d'un contrôle minimum sur l'application faite du droit étranger par les juridictions d'instance ; ainsi que les modalités d'un tel contrôle.

Il est nécessaire que le droit international privé camerounais tienne compte de l'originalité de la condition du droit étranger par rapport au régime de la preuve des faits. Le droit étranger n'est certes pas totalement assimilable au droit du for, mais il n'est pas non plus un fait matériel, et mérite par conséquent un traitement spécifique.

135. Nous espérons que cette étude pourra retenir l'attention du législateur, de la doctrine et des magistrats camerounais et ainsi, les amener à participer chacun à son niveau, à la construction d'un système camerounais de droit international privé qui tienne autant compte de l'accroissement actuel des relations privés internationales que des particularités de la société camerounaise.

* 330 Préc.

* 331 v. KINSCH (M.), Principe d'égalité et conflits de lois, Communication lors de la séance des Tr. du Com. Fr. D.I.P. du 23 mai 2003, sous la direction de Mme GAUDEMET-TALLON (H.), in Tr. Com. Fr. D.I. P. 2002-2004, éd. A. PEDONE, p. 130.

* 332 Ibid.

* 333 Cass. Civ 1er., 20 juin 2006, JDI 2007, p. 125, note GAUDEMET-TALLON (H.). Cité par MONEGER (F.), Droit international privé, Préc.

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