"Keske j'fé, kan j'fé rien?"Adolescents en quête d'une identité personnelle:l'ennui fécond( Télécharger le fichier original )par Laura PERRIN Haute Ecole Léon Eli Troclet - Educatrice Spécialisée 2007 |
II 4. Comprendre l'ennui avec l'adolescent« Comme je l'ai dit, l'aspect principal de l'ennui était l`impossibilité pratique de rester en face de moi-même, seule personne au monde d'autre part, de laquelle je ne pouvais me défaire d'aucune façon » Alberto Moravia, l'Ennui A partir du moment où j'ai eu cerné et compris le rôle que je pouvais avoir par rapport à l'ennui avec les adolescents, je n'avais plus qu'à mettre tout ça en pratique. Evidemment, on dit souvent que c'est plus facile à dire qu'à faire ! J'étais maintenant dans l'optique d'essayer de faire prendre conscience aux adolescents les raisons de leur ennui. II 4.1 "Je m'ennuie mais je ne comprends pas pourquoi"Laurence26(*) est une adolescente de 18 ans. En raison de sa faiblesse physique, elle est obligée d'avoir plusieurs temps de repos par jour. Je passe la voir plusieurs fois dans la journée pour prendre de ces nouvelles. Elle s'occupe comme elle peu me dit-elle. Elle me raconte qu'elle s'ennuie très souvent pendant la journée. Je lui demande si elle connaît les raisons de son ennui. Elle me répond qu'elle ne s'est jamais vraiment posée la question. Elle peut quand même me dire qu'elle pense savoir ce qu'elle ressent quand elle s'ennuie. Que ce sont souvent des choses très négatives sur sa personne. Devant ses souffrances, je ne pouvais pas rester de marbre. Mais en même temps, comme je l'ai démontré précédemment, je ne voulais pas combler son ennui. Il fallait que je trouve un moyen, avec elle, de comprendre son ennui. Après réflexion je lui ai proposé de rédiger chaque soir un carnet de bord qui reprenait plusieurs questions en rapport avec ses périodes d'ennui. « T'es-tu ennuyé aujourd'hui ? » « Quels sentiments as tu éprouvés ? » « As-tu mis des choses en place pour surmonter cette période ? » En sachant que ce travail s'est déroulé sur plusieurs semaines, je ferai part des réponses les plus pertinentes à mon sens. - « T'es-tu ennuyé aujourd'hui ? » « Oui, comme tous les jours... » « Pas l'après midi car on était bien occupé mais bien le matin. Entre 9h et 10h, pendant mon « heure de repos » quand tous les autres étaient à l'école et que les éducateurs étaient en réunion » « Non, pas trop car on s'est bien occupé (jeux de société, DVD, ...) C'était chouette ! » « Oui quand les autres étaient à l'école » « Oui quand même beaucoup surtout le matin car l'après midi j'ai eu de la visite » « Oui, lorsque les autres sont partis pour la patinoire. » On voit bien que l'adolescente reconnaît son ennui dans les moments où elle n'est pas avec les autres. J'interprète cela par le fait qu'elle se sent différente des autres. Elle n'est pas au même endroit qu'eux et surtout ne fait pas la même chose qu'eux. Mon interprétation s'est confirmée lorsque j'ai lu ses ressentis.
« - Quels sentiments as-tu éprouvés ? » « Triste et parfois un peu fâchée ou jalouse des autres. Un peu fâchée contre moi aussi. Je pense beaucoup dans ces cas là. » « Je me sentais triste et un peu abandonnée » « Le matin s'était plutôt un peu de la colère car si ça m'ennuie d'être ici d'un côté je me dis que c'est de ma faute... L'après-midi c'était plus de la tristesse car ça me rends mal à l'aise que mes parents se déplacent jusqu'ici rien que pour moi et qu'ils prennent du temps pour moi et puis quand ils sont là, je ne sais pas quoi leur dire » « J'étais très nerveuse et angoissée » « J'avais envie d'y aller avec eux. Je me sentais à part et différente des autres. » « J'étais triste de ne pas pouvoir aller avec eux car j'adore patiner et j'étais en colère contre moi-même car c'est de ma faute si je ne peux sortir d'ici. » Elle expose bien son sentiment de différence. Elle se sent abandonnée lorsque les adolescents sont autre part. Elle culpabilise aussi beaucoup de ne pas pouvoir faire la même chose que les autres. Elle se sent responsable de sa maladie et éprouve beaucoup de colère à son égard. « - As-tu mis des choses en place pour surmonter cette période ? » « J'ai essayé de lire un livre mais je n'y suis pas arrivée car je pensais trop à plein de choses. J'ai mis mon réveil à 10h pour éviter de regarder tout le temps l'heure et de voir passer chaque minute car alors ça paraît encore plus long. » « Le matin j'ai essayé de m'occuper en lisant et en rangeant ma chambre. L'après-midi j'ai proposé à mes parents de faire un jeu de société. » « J'en avais marre de tout, alors je me suis couchée dans mon lit en espérant m'endormir pour que le temps passe plus vite, mais ça n'as pas fonctionné » « Je me suis plongée dans mon livre pendant près d'une heure puis j'ai fait des mots fléchés, j'étais bien occupée » « Oui, j'ai essayé de « programmer » des activités (seule ou avec les autres) pour chaque moment de la journée » « J'ai commencé par regarder la TV mais ça n'allait pas car j'avais tout le temps l'esprit attiré par autre chose. Ensuite j'ai fait de la peinture et ça m'a détendue car j'avais l'attention bien occupée. » « J'ai essayé de m'occuper seule mais comme je m'ennuyais toujours autant, je suis allée trouver un infirmier pour lui demander s'il voulait bien faire un jeu avec moi. On a joué au Trivial Poursuite et le temps est passé beaucoup plus vite ! » Après cette lecture, je me rends bien compte que Laurence utilise pratiquement tout le temps des stratégies pour « tromper » l'ennui. Elle me prouve que ce qui lui fait oublier l'ennui c'est de s'occuper. Faire des choses encore et encore pour occuper le temps et surtout faire oublier son ennui. Le carnet de bord s'est établi sur 6 semaines, les réponses que j'expose sont chronologiques. Je me rends bien compte que les symptômes et les solutions de son ennui n'ont pas évolué. Elle s'ennuie encore tous les jours et elle tente de le "noyer" dans l'agir. Elle cherche sans arrêt quelque chose à faire. Elle ne dit à aucun moment qu'elle se laisse aller et qu'elle ne fait rien. Je suis stupéfaite par son abondance d'activités que j'interprète comme de l'« hyperactivité ».
Je la laisse quelques jours sans lui parler de l'ennui. Elle vient me voir et m'explique que son carnet de bord l'a aidé. Elle m'explique que mettre des mots sur ces périodes d'ennui lui a permis de se libérer de ses pensées. Je lui demande si c'est le fait d'avoir écrit ou plutôt que je le lise ensuite. Elle me dit qu'écrire l'aide à mieux situer ces périodes d'ennui et qu'elle se rend aussi compte qu'elle veut sans cesse être occupée. Elle me dit quand même qu'elle a apprécié que je le lise et que je ne la juge pas. Elle se sent davantage comprise et elle culpabilise moins lorsqu'elle ne sait pas quoi faire. * 26 Prénom changé afin de garder l'anonymat de la personne |
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