CONCLUSION
Nous avons vu que le problème de la
dette, malgré les réaménagements effectués par les
créanciers afin de rendre les débiteurs solvables, la dette des
pays pauvres reste un problème récurrent.
L'option en faveur d'une annulation de la dette est
défendue par les représentants de la société civile
que l'on range habituellement sous l'appellation d'altermondialiste. Pour cette
mouvance, par ailleurs très hétérogène par ses
discours et ses projets, la dette des pays du Tiers Monde est illégitime
et constitue une forme de « criminalité financière contre le
développement humain ». L'effet « boule de neige » de la
dette, en rendant impossible toute perspective de développement au Sud,
justifierait largement que celle-ci soit annulée. L'audit du stock de la
dette est préconisée dans le but de déceler des dettes
odieuses et donc illégitimes.
Cependant, pour d'autres, le plaidoyer en faveur de l'annulation
de la dette reposerait sur des postulats qu'il conviendrait de
démystifier.
Pour ceux-ci, « annuler n'est pas aider ». Rien ne
justifie que l'on considère la dette comme étant
intrinsèquement pernicieuse. Pour progresser, les pays, comme les
individus, doivent emprunter. Ce qui importe, c'est que les fonds obtenus
soient utilisés à des fins productives et rentables. La
réalité démontre que les pays du Tiers Monde les plus
endettés ne sont pas victime de l'exploitation du secteur privé.
Le manque d'intérêt des entreprises multinationales à leur
égard constitue leur handicap principal.
Ensuite, « l'allégement de la dette n'est pas
nécessairement conforme au principe de justice». Parmi les 1,4
milliard de personnes très pauvres dans le monde, 30% environ
vivent en Inde. Or, ce pays n'est pas éligible à
l'allègement de la dette car il gère ses affaires avec une
relative sagesse. Les pays qui ne peuvent rembourser leurs dettes sont, dans
l'ensemble, les plus mal gérés. C'est pour cette raison qu'il est
injuste d'annuler la dette d'un pays sans tenir compte de ses
résultats.
Enfin, « l'allègement de la dette ne favorise pas
nécessairement la réduction de la pauvreté ». Si le
poids de la dette enlève des marges de manoeuvre réelles aux pays
endettés, à l'inverse, l'annulation de la dette ou même son
allègement ne débouche pas nécessairement sous la forme
d'une amélioration du sort des populations les plus démunies.
L'élimination de la pauvreté de masse ne peut être
conditionnée à la seule annulation de la dette internationale.
Seule une croissance soutenue et rapide peut permettre d'y parvenir. Cette
croissance dépend à son tour de la mise en oeuvre d'un ensemble
de mesures de politiques macroéconomiques, dont la stabilisation
budgétaire et monétaire, la liberté du commerce et
l'assainissement de l'administration.
Entre ces deux idées, la problématique de la dette
des pays pauvres demeure.
Lorsqu'un endettement public excessif et croissant s'est
accumulé, un gouvernement dispose, en théorie, d'un ensemble
important de dispositifs lui permettant de sortir de cette situation.
Toutefois, en pratique, peu de voies sont à la fois réalisables
et efficaces dans le contexte actuel des pays de la zone UEMOA :
- La voie privilégiée dans le passé est
l'inflation, conséquence du financement monétaire de la dette.
Toutes choses égales par ailleurs, une hausse de
l'inflation érode une part de la dette à moyen terme. Le taux
d'intérêt réel diminue, voire devient négatif, et
cela permet par monétisation (création monétaire
destinée à financer les dépenses publiques) d'absorber une
part importante de la dette. Cette voie, observée par exemple en France
dans l'entre-deux guerres, est désormais exclue, du moins dans les pays
de l'UEMOA, du fait du contrôle de l'inflation par une banque centrale
commune et indépendante.
- Une autre pratique courante autrefois, principalement dans les
pays en développement, mais également dans les pays
industrialisés, est celle de la répudiation de la dette. Le
risque de perte de confiance et de crédibilité est majeur et la
période pendant laquelle le gouvernement trouve difficilement des
prêteurs peut s'avérer longue. Enfin, faute de changement
structurel dans la nature et la structure des recettes et dépenses, le
gonflement de la dette recommence, appelant de nouveaux ajustements.
- Certains pays ont fait dans le passé, le choix de
réduire leur dette par recours à une taxe unique et ponctuelle
sur le revenu ou sur le capital (ceci a été utilisé par
plusieurs pays, dont la France en 1924 qui, à la suite de la
première guerre mondiale, porte le taux supérieur de
l'impôt sur le revenu à 90 % pour les couples sans enfant). Les
risques sont alors semblables à ceux de la répudiation à
ceci près que le poids de la dette est largement réparti.
- Dans une logique voisine, une réduction de dette peut
être obtenue en consacrant des recettes exceptionnelles à cette
fin. C'est le cas par exemple de recettes de privatisations ou du produit des
ventes de certains actifs de l'Etat. Cette solution peut permettre d'impulser
une politique de réduction de l'endettement en produisant un effet
immédiat et visible avant d'engager une réforme des facteurs qui
ont généré la dérive des comptes publics et
compléter ou se substituer à des formes plus traditionnelles de
financement. En plus de la dégradation du bilan de l'État, cette
politique trouve ses limites dans le fait que le stock d'actifs
éligibles à la privatisation n'est pas illimité et
notamment quant il s'agit des pays de la zone UEMOA. Par ailleurs, comme dans
les cas précédents, cette méthode n'a aucun impact sur les
causes initiales de l'endettement excessif qui risque de
réapparaître à moyen terme. Enfin, avant de procéder
à une vente totale ou partielle d'actifs publics pour rembourser la
dette, des recherches sont essentielles, notamment des simulations de l'impact
potentiel de la vente des actifs sur la taille relative de la dette publique,
une évaluation minutieuse de la juste valeur des flux de revenus futurs
des actifs concernés, et une analyse approfondie de l'impact d'un
accroissement du contrôle privé dans les secteurs
économiques touchés, peuvent éclairer la décision
de cession.
- La gestion active de la dette peut, également,
participer à la réduction de l'endettement en optimisant la
structure et la nature des titres. Cependant, les gains susceptibles
d'être réalisés demeurent limités et ne peuvent
réussir à eux seuls à inverser une dynamique cumulative de
la charge de la dette.
- Le remboursement de tout ou une partie de l'emprunt par
anticipation, n'exige pas non plus de réforme structurelle de nature
à dégager de recettes supplémentaires, mais dépend
plutôt, de manière générale, d'une aisance
financière, le plus généralement conséquence d'une
remontée plus que prévu des cours des matières
premières dont le pays débiteur est exportateur.
- L'action directe sur les déficits primaires pourrait
être d'une certaine façon la voie incontournable pour
réduire l'endettement public. Une baisse du déficit primaire
appelle une augmentation des impôts ou une amélioration de leur
perception et/ou une réduction des dépenses publiques, si
possible en optimisant leur efficacité. Mais, comme énoncé
plus haut, cela comporte des coûts politiques et économiques.
De même, la réduction des dépenses publiques
ne doit pas grever la croissance potentielle à moyen terme. De fait, les
dépenses publiques réputées productives (recherche et
développement, éducation supérieure, soutien aux
entreprises innovantes ou de haute technologie, investissement en
infrastructures...) doivent être préservées.
- Le plus sûr moyen de réduire le ratio
d'endettement est certainement d'augmenter la croissance économique.
À court terme, les conséquences sont immédiates sur un
plan comptable (le dénominateur plus élevé fait diminuer
le ratio à numérateur constant), mais aussi sur le plan
économique puisqu'une hausse du produit national implique moins de
dépenses publiques, notamment sociales, et plus de recettes grâce
au dynamisme des assiettes budgétaires.
Le problème de la dette des pays de l'UEMOA réside,
à notre avis, dans les grandes difficultés qu'ils peuvent
rencontrer pour augmenter, même à moyen terme, leur croissance
(potentielle) de façon non négligeable. Il est admis qu'un
contrôle des finances publiques ne nuit pas nécessairement
à la croissance à moyen terme et, pour certains, peut même
être une condition nécessaire, mais pas suffisante, à son
rebond. En conséquence, une baisse du ratio de dette par des
réformes structurelles conduisant à des baisses de
dépenses publiques improductives, moyennant un éventuel
coût transitoire, est une condition nécessaire et/ou suffisante
pour relancer l'activité. Toutefois, les estimations statistiques du
lien entre variables de finances publiques et croissance sont fragiles.
Nous croyons que dans le contexte actuel de réduction de
la dette décidée par les créanciers au titre de
l'initiative en faveur des pays pauvres très endettés, les
gouvernements respectifs des pays de la zone UEMOA pourraient adopter une
politique de réduction du fardeau de la dette en procédant en des
réformes structurelles, permettant de définir le
périmètre d'intervention de l'Etat et partant des dépenses
publiques. Les dépenses d'investissement doivent être
préservées. La mise en place de ce procédé,
permettra d'impulser la croissance, seule facteur, à notre avis, de long
terme permettant un désendettement durable.
Enfin, un contrôle parlementaire efficace de l'endettement
comme l'a réclamé la conférence annuelle du réseau
parlementaire sur la Banque mondiale, doit passer par une budgétisation
des opérations d'emprunt et d'amortissement de dette.
Les nouveaux moyens de financement des Etats doivent donc
être à la fois les moins dommageables possibles sur le plan
économique et les plus acceptables sur le plan politique.
Jusqu'à une période très récente,
des accommodements techniques (rééchelonnement, approches par
menu) ont permis de rendre artificiellement le fardeau de la dette supportable.
Mais, ces accommodements n'ont pu empêcher la dette d'enfler au point
devenir un obstacle majeur au développement des économies des
pays pauvres.
En définitive, sortir de la logique de l'endettement
oblige à repenser les mécanismes et les politiques de croissance
et du développement.
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