La représentation des actionnaires dans les sociétés commerciales OHADA( Télécharger le fichier original )par Patrice Hubert KAGOU KENNA Université de DSCHANG-CAMEROUN - DEA 2007 |
CHAPITRE II : UNE MISE EN OEUVRE PEU PROTECTRICE DES INTERETS DES PARTIESAprès l'étude des modalités de la représentation des actionnaires dans les assemblées générales, il convient de faire la lumière sur l'exercice des pouvoirs qui sont délégués au représentant. Le mécanisme de la représentation permet à un actionnaire de participer à une assemblée générale sans pour autant être physiquement présent. Ce mécanisme serait efficace si la personne désignée pour le représenter pouvait passer tous les actes comme le ferait l'actionnaire. De même il ne suffit pas que l'actionnaire puisse être représenté à l'assemblée, il faut encore qu'il dispose des actions contre le mandataire qui ne remplirait pas fidèlement sa mission et contre les dirigeants sociaux qui empêcheraient au mandataire d'accomplir sa tâche. Cependant, il ressort de l'analyse que les pouvoirs des représentants sont déterminés d'une manière restrictive (SECTION I) et la protection des parties est lacunaire (SECTION II) SECTION I : LA DETERMINATION RESTRICTIVE DES POUVOIRS DES REPRESENTANTSLa représentation de l'actionnaire réaliserait véritablement l'ubiquité de l'actionnaire si le représentant pouvait passer tous les actes comme le ferait personnellement l'actionnaire. Force est de constater que les pouvoirs du représentant sont définis de manière restrictive. On peut penser que cette limitation est une garantie de sécurité de l'actionnaire, mais en réalité, c'est plutôt un handicap. En effet, si le représentant n'est pas habilité à exercer toutes les actions de son mandant, le mécanisme perdrait sa valeur. Nous étudierons d'abord les pouvoirs consacrés par l'Acte Uniforme (§1), ensuite les pouvoirs dont l'exercice par le représentant est incertain (§2), ainsi que la fin de la représentation (§3). §1 : LES POUVOIRS CONSACRÉSIl s'agit des pouvoirs dont la consécration est certaine. En effet, l'AUSCGIE a prévu expressément que les représentants des actionnaires pouvaient voter aux assemblées (A), et la jurisprudence y ajoute la représentation des actionnaires en justice par les associations (B). A : LE VOTE EN ASSEMBLEE POUR LA REPRESENTATION INDIVIDUELLE Le droit de vote est la prérogative politique la mieux protégée. L'art. 538 AUSCGIE consacre le droit du mandataire de voter aux assemblées générales d'actionnaires. Il faut cependant se référer à l'art. 543 AUSCGIE pour les modalités de vote. Il en ressort que le nombre de voix rattaché à une action est proportionnel à la quotité de capital qu'elle représente. Il ne peut être convenu autrement, puisque toute clause contraire est réputée non écrite. En revanche, il peut être créé des actions à vote double pour récompenser ceux qui auront conservé leurs actions sous la forme nominative pendant au moins deux ans, à condition de préserver l'égalité entre actionnaires. La Cour de Cassation a d'ailleurs réaffirmé ce droit en décidant que « tout associé a le droit de participer aux décisions collectives et de voter, et les statuts ne peuvent déroger à ces dispositions »121(*). D'après les principes de la « corporate governance »122(*), les actionnaires doivent pouvoir voter personnellement ou « in absentia », et les votes ainsi exprimés doivent avoir la même valeur. Toutefois, les parties peuvent organiser les modalités de vote en attribuant des pouvoirs étendus (1) ou des pouvoirs précis (2) à leurs représentants, ce qui ne résorbe pas l'aléa qui peut consister en des incidents de séance (3). 1 : L'attribution des pouvoirs généraux aux représentants Un mandat de représentation formulé en des termes généraux laisse une marge de manoeuvre importante au représentant. Il doit prendre tous les actes nécessaires pour l'expression de la volonté de son mandant. Cette situation se rencontre dans la représentation légale de l'incapable mineur ou majeur. En effet, l'actionnaire étant incapable, le représentant est investi d'une mission générale de gestion de ses biens. Il est donc tenu de voter dans le sens qui lui paraît le plus indiqué pour l'incapable. Plus généralement, il doit accomplir sa mission en « bon père de famille ». Cette formulation peut également se retrouver dans des contrats de représentation conclus avec un professionnel de la représentation des actionnaires. La pratique fait la part belle à l'extension des pouvoirs du représentant. Le sens du vote n'est pas très souvent indiqué et ce dernier doit « signer les feuilles de présence et toutes autres pièces, prendre part à toutes les délibérations, émettre tous votes, et généralement faire le nécessaire »123(*). Cela n'empêche pas aux parties de convenir de l'attribution des pouvoirs spéciaux 2 : L'attribution des pouvoirs spéciaux aux représentants Le représentant de l'actionnaire peut disposer plutôt de pouvoirs précis. C'est généralement le cas des mandataires nommés par la justice pour effectuer une tâche précise. On cite notamment le mandataire de justice chargé de voter au nom des actionnaires minoritaires en cas d'abus de minorité. Il est chargé d'accomplir toutes les diligences qui lui permettront d'accéder aux assemblées et de voter conformément à l'objet social. De même, dans le cadre d'un mandat, les parties peuvent convenir du sens dans lequel le mandataire devra exprimer son suffrage. C'est généralement le cas lorsque les parties ont adhéré à une convention de vote. Une convention de vote est un accord de volontés destiné à régler le sens dans lequel devra s'exercer le droit de vote en assemblée. Elle est signée par certains actionnaires et n'apparaît que rarement au grand jour puisqu'elle a une nature occulte et il faut un conflit aigu pour que leur licéité soit soumise à l'appréciation du juge. C'est l'exemple de frères et soeurs qui conviennent d'adopter des positions communes dans les votes124(*). La question de leur licéité n'est pas tranchée, et l'AUSCGIE a relancé le débat. En effet, sous l'empire de la loi de 1867 sur les sociétés, la jurisprudence condamnait les conventions sur droit de vote lorsqu'elles portaient gravement atteinte à l'exercice dudit droit. Un décret-loi du 31 août 1937 était venu décider péremptoirement qu'étaient « nulles et de nul effet dans leurs dispositions générales et accessoires les clauses ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte au libre exercice du droit de vote dans les assemblées d'actionnaires »125(*). De nos jours, il est de plus en plus des voix qui s'élèvent pour recommander la consécration des conventions de vote126(*). L'AUSCGIE n'est pas précis sur la question puisqu'il l'évoque à l'art. 175 en traitant de la détention du contrôle d'une société127(*). Cependant, il convient de dire que l'AUSCGIE a entendu interdire ces conventions en dehors de toute intention de détenir le pouvoir de contrôle128(*). Toutefois, il faut se référer à la jurisprudence française qui distingue entre les « bonnes » et les « mauvaises » conventions de vote. A cet effet, elle tient compte de la gravité de l'atteinte à la liberté de vote et à l'apport de la clause pour le fonctionnement de la société. Sont donc nulles les clauses par lesquelles un actionnaire s'engage par avance à voter dans un sens déterminé129(*), sans égard à l'intérêt social. En revanche, la jurisprudence valide les conventions de vote qui, certes limitent la liberté de vote, mais sont passées dans l'intérêt social130(*). D'ailleurs, cette tendance s'affirme en matière de groupe de sociétés où il est admis qu'un protocole d'accord pourrait prévoir une répartition inégalitaire des sièges d'administrateur afin de permettre un contrôle paritaire dans le fonctionnement d'une filiale commune131(*), ce qui a pour conséquence d'éviter des incidents dans les assemblées. 3 : L'influence des incidents de séance Que les pouvoirs soient en des termes généraux ou précis, ils portent sur un ordre du jour bien déterminé, tel qu'agréé par le conseil d'administration et figurant sur l'acte de convocation de l'assemblée. Cependant, il peut arriver que certaines décisions à prendre ne figurent pas dans l'acte de convocation. C'est le cas des incidents de séances qui peuvent consister en la révocation ou au remplacement des dirigeants sociaux. Il est donc question du pouvoir d'initiative du représentant. Peut-il donc se prononcer sur une question qui n'était pas envisagée dans l'acte de représentation ? La réponse dépend sans doute de la nature de ses pouvoirs. S'il dispose de pouvoirs généraux, rien ne l'empêche de se prononcer sur la question. Si par contre le représentant dispose de pouvoirs précis, notamment lorsqu'il a reçu des directives de son mandataire, on hésiterait à admettre son vote. Par exemple, si un actionnaire voulant contester les comptes charge un mandataire de refuser l'approbation, ce dernier pourra juger que l'incident qui soumettait à l'assemblée générale la révocation du président est la suite « nécessaire du mandat donné et dans la ligne des instructions reçues »132(*). Par contre, un mandataire qui a reçu la consigne de soutenir les résolutions présentées et agréées par le conseil ne saurait voter pour la destitution des dirigeants. Dans tous les cas, en votant dans le sens contraire aux prescriptions de son mandataire, il engage sa responsabilité. B : LA REPRÉSENTATION EN JUSTICE POUR LES ASSOCIATIONS D'ACTIONNAIRES Historiquement, les associations d'actionnaires ont une origine contentieuse. Elles se sont constituées pour défendre les intérêts des porteurs d'action. Ces associations créées à l'occasion d'un contentieux prenaient fin dès que le procès s'achevait. Cette démarche contentieuse s'est progressivement doublée d'un souci de formation et d'information des actionnaires, ce qui a doté les associations d'une certaine stabilité dans leur fonctionnement. Cependant, leur capacité à agir pour la défense des intérêts de ses membres a évolué dans le temps. D'abord, la jurisprudence décidait qu'était irrecevable l'action en désignation d'un expert de gestion formulée par une association d'actionnaires au motif que l'action n'est ouverte qu'aux actionnaires individuels. Ensuite, il a été admis que l'association puisse agir en défense des intérêts individuels de ses membres, et cette somme d'intérêts parfois divergents est qualifiée d'intérêt commun. L'action s'est très souvent heurtée au principe « nul ne plaide par procureur »133(*). Ce principe situe l'action associative entre qualité et intérêt à agir, et pose le problème de la qualité de l'association à agir contre une société dont elle ne détient pas les titres. Toutefois, la Cour de Cassation décide que les associations d'actionnaires peuvent faire « par voie d'action collective ce que chacun des membres peut faire à titre individuel »134(*). L'association doit respecter certaines limites dans son action, car ses membres doivent avoir souffert d'une atteinte à leurs droits individuels, même s'il s'agit d'un seul d'entre eux, et l'action doit être inscrite dans ses statuts135(*). A défaut de cette précision, l'action est rejetée par le juge136(*). L'atténuation du caractère contraignant de la maxime « nul ne plaide par procureur » est expliquée diversement en doctrine. D'après SOLUS et PERROT, l'intérêt dont se prévaut l'association n'est que la somme des intérêts individuels que les membres ont décidé de mettre en commun. D'autres y voient une délégation du droit d'agir des membres vers l'association. Enfin, il est dit que l'association a un intérêt personnel à agir puisque les préjudices de ses membres rejaillissent sur la collectivité que l'association représente par son objet social d'où il résulte pour l'association un préjudice par ricochet137(*). En revanche, dès lors que l'association souhaite excéder la simple représentation des intérêts individuels de ses membres et défendre l'intérêt collectif d'un groupe d'actionnaires appartenant à des sociétés différentes, la compétence de l'association de droit commun prend fin. C'est ainsi que la Cour de Cassation138(*) refuse systématiquement aux associations les actions en défense « des grandes causes »139(*) exercées dans des domaines proches de l'intérêt général. En effet, le juge traduit ainsi la « défiance que les organismes privés à but désintéressé ont toujours inspiré aux pouvoirs publics »140(*) et ces derniers craignent l'émergence d'un « ministère public privatisé »141(*). Ainsi, seule la loi peut consentir une délégation de parcelles d'intérêt général aux associations. Or en OHADA comme en droit camerounais, il n'existe pas encore de dispositions habilitant les associations d'actionnaires à agir pour la défense des intérêts collectifs de groupes d'actionnaires ou d'investisseurs. Toutefois, l'association d'actionnaire peut agir en justice au nom de ses membres non seulement pour la défense de l'intérêt social142(*), mais aussi en vue de la sauvegarde des droits personnels. C'est d'ailleurs ce qu'a décidé le juge du tribunal hors classe de Dakar dans l'affaire qui opposait « le club des actionnaires de la Sonatel » à la Sonatel143(*). Si le représentant de l'actionnaire peut voter dans les assemblées ou exercer l'action en justice, un doute persiste sur l'exercice d'autres pouvoirs de l'actionnaire. * 121 Cass.Com, 09 février 1999, Bulletin 1999 IV N° 44 p. 36. * 122 Principes du gouvernement d'entreprise de l'OCDE * 123 Voir la formule de procuration en annexe. * 124 MERLE (P.) : Op. Cit. n°314, P.354. * 125 Idem. * 126 Voir à cet effet la proposition 67 du rapport MARINI du 10 septembre 1996. DAIGRE (J J ) (sous la direction de) : La modernisation du droit des sociétés : premières réflexions sur le rapport MARINI, Actes du colloque organisé par la Fédération Nationale pour le droit de l'Entreprise du 13 novembre 1996, Editions Joly, 1997, P.95. * 127 L'art. 175 dispose qu'une personne est présumée détenir le contrôle d'une société « lorsqu'elle dispose de plus de la moitié des droits de vote d'une société en vertu d'un accord ou d'accords conclus avec d'autre associés de cette société ». * 128 KEUFFI (D. E.) : mémoire précité, P.56. * 129 MERLE (P.) : Op. Cit. n°314, P.354 : c'est le cas par exemple de l'acquéreur qui, dans une cession d'actions s'engage à voter en faveur du cédant pour un poste d'administrateur. * 130 Paris, 30 juin 1995, JCP édition E 1996, II, 795, DAIGRE (J. J). à propos d'un engagement à souscrire à une augmentation du capital. * 131 T. com. Paris, 1er août 1974, Rev. Sociétés 1974. 685, OPPETIT (B.). * 132 Bull. Soc, n°6, juin 1972, P.357. * 133 Ce principe interdit à toute personne d'engager une action en qualité de mandataire sans indiquer le nom de son ou des ses mandants. * 134 Cass. civ. 23 juillet 1918, S. 1921. 1.289, note CHAVEGRIN. * 135 Cass. 3eme Civ. 10 octobre 1978, D 1979.581, note FRANK. * 136 Cass. Soc.11 octobre 1994, n°80-11-206, bull. civ. n°266. * 137 LE BARS (B.) : « Associations d'actionnaires et d'investisseurs », répertoire des sociétés Dalloz février 2001, T.1, n°38 et s, P.7. * 138 LE BARS (B.) : article précité, n°44, P.4. * 139 Idem. * 140 Idem. * 141 Idem. * 142 Il s'agit en l'occurrence de l'action sociale ut singuli. * 143 Voir infra. |
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